Batte les coqs

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Imprimerie Bénard (12p. 1-16).

LES CEUX DE CHEZ NOUS
(QUAND J’ÉTAIS P’TIT)


Marcel Remy


Batte les Coqs



CONTE XII

LIÉGE
Imprimerie Bénard, société anonyme
Rue Lambert-le-Bègue, 13
1916

XII

Batte les coqs

Avec Vix-Jean que j’ai été un dimanche après-midi pour les coqs. Il me l’avait promis parce que je l’aide toujours à atteler et dételer les chevaux, je sais déjà assez bien ; et lui c’est un fin amateur dans les coqs, on dit toujours de lui :

— C’est onk qu’est k’noheu et pârteye.

Et quand on lui dit ça, il répond :

— Damache ! Vola trinte ans qui j’fais d’vins les coqs.

Mais il n’a pas de coq à lui, parce que mon oncle ne veut pas à cause qu’il ne lui plaît pas, paret, dit-il, d’aller au tribunal avec le garde-champette. Nous avons été avec Vix-Jean par les petits chemins et en coupant au court dans des champs, nous avons descendu les Trixhes, puis des routes que je ne connais pas et où je n’oserais jamais aller tout seul. Vix-Jean faisait des grandes ascoheyes et moi beaucoup des petits pas. Il ne parlait pas et moi je n’osais pas ; il pleuvait, son sâro reluisait avec l’eau, et moi, quand je m penchais en avant, l’eau coulait hors du bord de mon chapeau où qu’elle restait comme dans un coronisse. C’est loin, et on le fait exprès de faire ça loin, afin qu’on ne le sache pas et que le garde-champette ne vienne pas empêcher qu’on fasse batte. J’ai bon parce que je m’rafie de voir batte, mais j’ai un peu peur parce que je ne sais pas quoi est-ce. Et puis, Vix-Jean marche toujours sans rien dire, avec une figure comme quand ses chevaux ne veulent pas écouter.

A la creuh-leye Vove, il y a une vieille croix verte qui n’est plus droite, un tout petit bon Diu noir et un gros teutait dessus. Il y a une petite ferme un peu plus loin, on voit des bâtiments mêlés, sans fenêtres, c’est des écuries et tout ce qu’il faut.

Nous entrons. C’est une ferme, mais on vend aussi la goutte comme quand on reste assez longtemps sans voir une maison ; alors comme il n’y a pas des cabarets assez, on peut avoir une goutte ou un pintai dans les petites fermes, au bord des routes.

Tout le monde est debout dans la place et on tient chacun un hèna qui laisse tomber la moitié à terre, parce que les hommes font toujours tout plein des gestes avec leur hèna ou leur frèsé pour s’expliquer. Vix-Jean a crié : Tapez n’toarneye ! en entrant ; c’est par politesse qu’il dit ça, et l’homme de la ferme a dit : Awet, so l’côp. Et eune di doux po li p’tit èdon ! Un peu après, il fait le tour avec un grand plateau où il y a toutes les gouttes dessus, qui tremblent, et le pèquet qui coule de tous les côtés parce que l’homme n’est pas un vrai cabaretier et qu’il en met trop pour faire l’honnête. Il pousse son plateau trop haut, dans le nez des hommes, en disant :

— S’i v’plaît, mècheux !

Les mècheux c’est tous des laides sales gens comme le maçon Lodomé, le gros Hangneye, le père de Zante, Djôre, qui est déjà saoûl quand on n’a pas encore commencé. Il y a encore Bolleux, le scrinî, qu’on appelle toujours Maqueye, peut-être parce qu’il en mange trop, le vieux Michî qui ne voit presque rien et qui parle tout seul sur une chaise, et qui n’a plus rien dans son hèna, tellement que ses mains tremblent, le sot Houbert, comme on dit, qui ne comprend rien de rien et rit toujours en se donnant lui-même chaque fois une calotte. Et puis, M.  Lucas Gardedieu, un homme capâpe, qui écoute tout ce qu’on lui dit en poussant son nez de côté avec son doigt levé, puis il fronce les sourcils et crie :

— Oui… mais… non.

Alors on croit qu’il sait mieux tout que tout le monde ensemble, et on répète toujours que c’est quelqu’un de fort sintincieux et capâpe ; peut-être qu’il n’est qu’une grosse bête, mais c’est pas moi qui ira l’dire, est-ce pas !

Et vola n’gotte di doux po li p’tit avou on bai noû croquet, que l’homme de la ferme me dit en arrivant devant moi avec son plateau où il ne reste plus qu’un laid petit verre avec quelque chose de jaune comme de l’huile de lamponette, et il a dans son autre main, toute sale, un pain grec qui a l’air chamossi. Je les prends, et, comme personne n’a l’air de m’acompter pour trinquer avec moi, je me retourne contre le mur près du vieux Michî pour goûter les affaires. Mauvais, mauvais ! Le jaune verre, c’est tout fat et gras, comme un jour que j’avais voulu manger, pour savoir, la pommade rose que mon oncle a dans une petite boîte de bois qu’il met pour faire racroler ses lochettes au-dessus de ses oreilles. Et le croquet, il est dur, et le petit coin que j’ai hagné bas, troule dans mes dents comme du sable, avec un goût de vieux. Je vide le verre à terre où il y a déjà un grand potay et des rèchons, et le croquet je le pousse dans ma poche pour le jeter derrière moi, sur la route, plus tard.

Ahà vo Z’chai, enfin ! Djan don ! on n’ rattindez-ve pu qu’vo po k’minci, mayeûr ! que les hommes crient à un gros monsieur qui arrive avec un beau chapeau, un grand paletot comme il faut et une rouge figure avec deux demi-favoris gris à ses joues, comme pour l’empoigner plus facilement par là. Il a une belle chaîne de montre en or sur son gilet en vroul brun.

— Bonjour, bonjour, mes enfants. On vient quand on peut. Les affaires publiques à traiter, le souci des intérêts de notre belle commune...

Attakang ! crie quelqu’un, et on voit le houlé Lovinfosse qui fait le maître, traverse tout le temps, avec sa mauvaise jambe qui fait un numéro 4 avec l’autre, et explique tout avec le tuilleau de sa grosse pipe. — C’est co lu qui fait Z’homme di paille, èdon, demande Vix-Jean à un homme.

Awet, comme todi. On li r’mette treus pèces po çoula, et co n’saquoè d’vin l'cas qui...

Po les risses, paret.

On se pousse maintenant vers une autre place, là sans doute que le fermier dort, parce qu’il y a un lit qu’on voit des coussins que les tîkes sont à carreaux blancs et rouges et une grosse couverture brune avec des ronds plus noirs comme une bouquette hatie, et pas de table de nuit, mais quelque chose avec l’oreille cassée en dessous le lit, et une petite aiguière violette et bordée sur une table près du mur avec, plus haut, un miroir pas plus grand qu’une fenêtre de commodité.

Quand on a traversé cette place où il sent le matelas, le vieux pantalon et le grenier, on est dans la cour, et justement il ne pleut plus, mais il y a de la paille à terre.. Au milieu, c’est une petite estrade, pas haute, et dessus la treille. Elle est ronde, grande comme quand Zante, Colas et moi, nous nous tenons par les mains, et c’est en fer les fins barreaux qui sont bien un mètre hauts, et solides, sa’ez-vous, pour que les coqs ne roufflent pas tout dju. Autour de la treille, pas trop près, il y a quatre bancs qui font le tour, puis, derrière, des tables où qu’on s’asseoit aussi en laissant place pour les ceux qui montent debout derrière, ça fait que tout le monde verra bien. Vix-Jean s’a assis une moitié au bord d’une table, son autre pied à terre, et il m’a pris près de lui.

N’ass nin sogne ? qu’il dit avec une grosse voix.

— Non, que je veux répondre, mais je n’entends même pas mon mot.

Ain ! Ligèois, hitte è Mouse qui v’s’ estez turtos. Happe avou mi on hèna d’fronce[1] qwand è n’è passeret, dit-il, et justement le fermier passe avec un plateau de verres rouge-clair, et ça a l’air bon. Nous prenons et l’homme me regarde si drollement :

Fât qu’apprinse, èdon, dit Vix-Jean ; buvans à gins, dit-il à moi, et nous avalons la moitié seulement. Moi, il me semble que c’est une grosse pierre chaude qui court dans mon estomac. Il m’faut respirer vite pour refroidir le tuilleau de ma gorge, mais après, j’ai un peu bon, comme si on me chatouillait dans mes veines, et je ris un peu tout seul. Vix-Jean est content.

Mais voilà qu’on voit deux hommes avec Lovinfosse, qui fait toujours le capâpe et le malin tout près de la treille. Ils portent chacun un gros coq sur leur main qu’ils ont poussé par en-dessous, par devant, entre les pattes du coq qui reste bien tranquille sans tâcher de se sauver. Le coq de Blaise, le fôrgeu, est gris-clair, avec des plumes blanches mêlées, et celui de Jean-Louis, le marchand de sabots qu’on appelle toujours Mostâte, parce que le dimanche il est habillé jaune toujours ; son coq est un Flori avec un peu de toutes les couleurs.

Hallait ! crie Lovinfosse, on k’mince. Et les deux coqs que leurs maîtres caressaient sur le dos sont mis dans la treille. Ils ne se voient pas d’abord, ou bien ils font semblant. Mais le Flori tourne sa tête, il regarde l’autre, et il vient au milieu de la treille ; toutes les plumes de son cou sont maintenant toutes droites, il a l’air d’avoir poussé sa tête dans un rond de papier qui lui collerait, il laisse pendre ses ailes comme quand il tourne près d’une poule pour la piquer. Et il tient son bec tout près de terre, pendant que le gris, qui a vu ça, fait la même chose. Les deux becs sont ensemble, et ils les relèvent et les rabaissent en même temps, plusieurs fois, en faisant des yeux pleins de colère. Et puis, le Flori saute en l’air et jette ses pattes en avant en les refermant pour tâcher d’attraper le Gris avec ses sporons pointus. Mais le Gris avait deviné ça, il se rabaisse, les sporons passent au-dessus, tandis que lui, il donne un gros coup de bec dans le cou du Flori qui retombait. On voit du sang qui coule dans les belles plumes en collier. Mais le Flori ne le sent pas et voilà que tous les deux mettent encore leurs becs tout près en les levant, puis les baissant, puis tâchant de stichî dans l’œil et la tête. On leur a d’avance coupé la crête et la barbe de viande pour qu’ils ne s’attrapent pas là, mais ils essaient tout de même et le Gris reçoit un coup, klok, sur sa tête que les osses craquent et qu’il saigne à grosses gouttes. Puis ils sautent tous les deux ensemble et leurs pattes se mêlent, on voit les sporons qui entrent dans le corps des deux et les plumes volent comme quand on raccommode les matelas. J’ai tellement bon et les hommes crient pour donner du courage aux coqs et pour parier beaucoup de cennes dessus.

Tchôque, maque, mi p’tit Gris, crie Blaise à son coq.

Hallait, Flori, tchesse-li l’ gueuye è terre, que Bolleux répond.

Co n’pèce so l’Gris, dit Lodomé, qui regarde en avançant sa tête tant qu’il peut.

Deux pèces so Flori, dit M. le bourguemaîte, que tout le monde regarde alors.

Les deux pauvres coqs sautent tout le temps, ils sont tout déchirés et pleins de sang qui colle leurs plumes et tout autour c’est comme s’il y avait un peu de neige avec des taches rouges. Ils n’ont plus une figure de coq, tellement ça saigne, et des morceaux de tête qui pendent, et ils continuent à se donner, sans plus pouvoir les parer, des coups de bec comme avec un pic. Ça commence à me dégoûter à c’t’heure. Et voilà que tout d’un coup le Gris s’accroupit comme s’il voulait pondre un œuf et il laisse tomber sa tête en fermant ses yeux déplaqués de sang.

Fotous, vos autes, qu’une voix crie.

Halte, nin co, il n’a nin brait, qu’on répond.

Oui… mais… non, dit alors Monsieur Lucas Gardedieu, en avançant ses bras pour arrêter tout.

Taihîz-ve turtos, commande le houlé Lovinfosse, c’est mi l’maisse del djowe, èdon, on va compter l’timps qui fât.

Et pendant qu’il calcule avec sa montre, le fôrgeu Blaise parle à son coq comme à un enfant malade, avec une petite voix :

Habeye don, mi p’tit binamé Gris, sâye co n’feye, po m’fer plaisir ; ni t’lais nin aller ainsi, djan don, co on pau d’corège, va, et nos estans les maisses.

Et le pauvre coq a rouvert son œil du côté qu’on lui parle, il relève un p’tit peu sa tête, son corps tremble, et il se laisse raller, il ne peut plus.

Pierdou, vos avez pierdou, crie Lovinfosse d’une voix de maître. Le Flori, plein de plumes plaquées avec du sang, est au milieu de la treille, tout droit sur ses pattes déhavées et grattées ; il se fait le plus haut qu’il peut, avec un gros estomac et un bec rouge avec des petites plumes restées dedans, on dirait qu’il veut attaquer tout le monde.

Hourra po Mostâte ! Vive li Flori ! que des hommes crient, tandis que je vois qu’on se paie des pièces de cinq francs, et ceux qui ont gagné les font danser dans leurs deux mains comme à la deye, et commandent des tournées. Blaise a pris tout doucement son coq et va vers le cabaret en disant :

Cinsi, dinez-m’ vite on platai avou dè pèquet po l’ravu, et netti ses plôyes.

Je me sens triste un peu et je dis :

— Vieux-Jean, allons-nous-en, j’ai mal au cœur.

Beus on côp, qu’il répond, et nous avalons le reste du fronce de nos hènas.

Nos beurans co n’saquoè d’meyeux torate, dit-il, en me montrant deux pièces de cinq francs qu’il vient de gagner.

M. le bourguemaîte a mis dans sa poche une grosse poignée de pièces et il va doucement du côté du thierry où derrière les cormannes, les clichets et les cherrowes, on voit une petite porte qui va sans doute sur un autre chemin.

— Comment, dit M. Lucas Gardedieu, vous partez au moment de la lutte la plus conséquente ?

— Cher conseiller, le travail urgent, le souci des affaires de notre belle commune…

Et il s’en va avec l’air un peu embêté qu’on l’aie vu partir avec tout l’argent.

Attinchon, mes gins, crie Lovinfosse, qui a renettoyé la treille.

Et voici le gros Hangneye qui apporte et jette son coq comme un paquet dans la treille. Le coq tombe droit sur ses pattes comme un chat et ne bouge pas. Il est énorme, tout rossai et rouge avec des petites lignes noires dans les plumes jaunes de son cou. On l’appelle Bonapare, tout le monde le connaît, on parle si souvent de lui dans le village, comme si c’était un homme, tellement qu’il est fort et malin et qu’il a fait des choses. Il a un bec tout noir qui est presque comme la corne de la chèvre de tante Dolphine. Et des gros yeux rouges qui brûlent quand il ne tire pas dessus une petite peau blanche. Sa crête est large et violette et sa tête pointue a l’air d’une plantroule qu’on aurait plié. A ses grosses pattes comme des bâtons de zinc, on voit deux sporons grands comme mes doigts du milieu, et ils tournent lentement un autour de l’autre quand Bonapare fait un pas.

Qui est-ce l’aute ? demande Vix-Jean à un homme par-dessus moi.

C’est Bargarî, ine Itâliyen, on soffleu à boteyes à l’ouhenne Vastré ; ji n’a nin co veyou s’coq, mains il paret qui c’est ine saquoè d’fâmeux qu’a battou tos les autes è pays d’Nâmeur, Misse qui s’maisse ovréve jisqui dièrainemint. Vo l'chal.

Et voici un homme avec un coq noir dans son bras. L’Italien dit bonjour à tout le monde en montrant ses dents ; il est habillé bien, avec un rond chapeau et un costume et une ceinture rouge qui tient son pantalon ; il est crolé tout noir avec une moustache et une mouche comme un vrai monsieur.

Kimint lomme-t-on t’biesse ? crie un.

Nero, signor.

Quoi est-ce don çoula po on no ? Nos dirons Neurai, nos autes, puisqu’è neur.

L’homme met son coq à deux mains dans la treille et le pousse fort vers le gros Bonapare qui mettait sa tête entre deux barres pour avoir quelque chose. Neurai est plus petit que l’autre, mais si rapitte dà ! Il est tout noir excepté les pattes comme du fer et les plumes rondes de sa queue qui ont un vernis vert comme une dorure, c’est si beau. On n’a pas tout recoupé à sa tête, il a un peu de rouge comme barbe et crête. Il est drolle, tout noir.

Vos dirîz on curé, dit un homme.

Et Neurai qui est poussé par son maître continue à courir et... plik... il donne un gros coup de bec sur l’aile de l’autre qui ne s’attendait pas à ça. Ça sonne comme sur un coffre. Le gros Bonapare se retourne, il regarde, et il ne fait rien. Mais Neurai pique encore deux ou trois coups et l’attrape dans la viande de la patte. Alors le rossai saute et aboie comme un chien et il se jette sur le noir si fort qu’il l’écrase contre le grillage ; l’autre est renversé et avec ses sporons il gratte et il pique vers la tête du gros qui doit se reculer, peur pour sa vue. On crie et on parie, mais bien plus de pièces que sur les premiers coqs.

Ji wage tôt çou qu’on vont so l’neurai, crie Djôre, qui est déjà fort soûl.

Et mi, j’èl tins, l’wageure et ji t’bouhe à l' main, répond de l’autre bout le sot Houbert, qui rie tout seul.

Allez è fou dè djeu, vos deux tchîâx, leur crie Lovinfosse. Ils n’ont nin qwatte patârs è leu poche et ils vinriz fer displî et brôdjî l’jowe.

Maque, hagne, strouke ! mi p’tit Neurai, crie toujours Djôre en faisant des gestes avec ses pieds et ses mains.

Hourra, vive Bonapare ! que le sot Houbert répond tout le temps. Alors, pendant que les deux coqs se donnent des coups presque en mesure et qu’on se penche pour mieux voir, voilà qu’on entend une vieille petite voix, derrière nous.

Vive Bonapare ! vive l’âpèreûr ! il r’vinret, il r’vinret !

C’est le vieux Michî, qui est tout seul, assis près du mur où il ne voit rien ; il a toujours un hèna dans une main et il remue l’autre en tremblant. Il a presque cent ans, dit-on, et il a été à la guerre dans le temps ; il ne voit plus goutte, il boit du pèquet et raconte toujours la même chose.

Il a déjà riv’nou ine feye èdon di l’île di Lelp. Il r’vinret co. Nôna, il n’est nin moèrt. Il r’vinret. « Mes enfangs, diha-t-il to passant d’vant nos autes, la victoère est à nous.» Et il m’bouha è s’toumac, tôt contint. Vive l’âpèreûr !

Et il pleure maintenant, le vieux Michî. Comme il est drolle !

Oui mais, les coqs ont continué à se battre et Bonapare est enragé, lui qui ne voulait pas se battre d’abord. Et il saute en lançant ses sporons que la treille est remplie de plumes noires de l’autre. Mais le Neurai est plus traite et tout d’un coup, il donne un coup de bec près de l’œil du gros qu’on voit une boule rouge et une plaque de sang qu’on ne sait pas si c’est l’œil qui a sorti et qui pend. Et ça fait Bonapare si furieux qu’il vise bien et attrape l’autre dans la hanette avec un coup comme un fièrmint sur un bloquai, le bec entre dedans, la tête est comme coupée, le Neurai tombe, et crie un si laid coup dà !

A brait, à brait, çoula y est, que les hommes crient ; mais pendant qu’ils se disputent et se donnent des pièces de cinq francs, il m’faut aller faire une petite commission contre le mur, dans le thierry où j’ai vu que les autres allaient ; et pendant que je suis là, je vois venir L’Itâliyen, avec une figure qui fait peur ; il tient son coq par les pattes et la tête pend avec du sang qui goutte. L’homme va derrière la cormanne, il met la tête du coq à terre, et il commence à l’écraser à coups de talon en montrant ses dents et disant des sacrinoms qu’on ne comprend pas. Le pauvre Neurai vivait encore et voulait ôter sa tête, mais l’homme l’a toute sprâchie et a encore donné des coups de talon dans le corps et est parti. Quand j’ai repassé, tout dégoûté, le coq faisait encore aller ses pattes comme des mains qu’on ouvre et referme. J’étais tout malade en revenant près de Vix-Jean, qui me dit :

Les gendâres vinet d’arriver, mains l’affaire est foû à c’t'heure.

C’est vrai, voilà le brigadier et un autre gendarme avec leurs gros bonnets qui vient jusqu’aux yeux et leur petit fusil qui pend sur leur côté. Ils n’ont pas l’air fâché comme je croyais et Lovinfosse va tout près, en houltant, et dit l’air capâpe :

C’est d’à meune tôt. Ji so l’maisse del djowe ; li treille, les coqs, c’est d’a meune tot.

— Oui, vous êtes l’homme de paille, comme d’habitude, répond le brigadier ; et il tire des papiers (pour faire le procès-verbâl, me dit Vix-Jean).

Ji n’dimande nin voss no, ji v’ kinohe assez, dit encore le brigadier, en écrivant debout.

Oh, po çoula ! répond Lovinfosse en riant bêtement, puis il crie à la femme du cinsî :

Hè là ! treus grands cognacs, et de meyeux, po l’brigadier et s’camarâte et por mi. Et les gendarmes rient avec lui, au lieu de l’empoigner et de lui lier les mains et le mener en prison.

Rallans-ès, dit Vîx-Jean, il m’fât fôrer mes ch’vâx.

Tout le long du chemin, je revois encore le pauvre coq avec sa tête en brèbâdes dans une plaque de sang et les doigts de ses pattes qui remuaient pour ne pas mourir !



  1. Fronce, eau-de-vie de France.