Bella-Union – Destruction récente des Indiens Guaranis

La bibliothèque libre.

BELLA-UNION.

DESTRUCTION RÉCENTE


Des Indiens Guaranis et Charruas.

L’année dernière, à peu près à pareille époque, tout ce que Paris renferme de curieux et d’oisifs courait voir comme des animaux d’une espèce rare, les quatre Indiens Charruas importés de l’Amérique du Sud par un spéculateur. Ces malheureux que nous avons vus froidement mourir du mal du pays, entre un rhinocéros et un boa, sont aujourd’hui complètement oubliés comme les Osages de la restauration. On pourrait disserter longuement sur ce sujet, ne fût-ce que pour montrer la différence admirable qu’établit dans la condition des hommes celle qui existe dans la couleur de leur peau, quoique le siècle se pique de tenir toutes les races pour égales. Un nègre est libre en mettant le pied sur le sol de la France : fou serait celui qui tenterait de gagner sa vie en le colportant dans les foires à la suite d’une ménagerie ; mais un Indien ! sauf une voix ou deux qui crient timidement dans le désert, sans arriver aux oreilles du procureur du roi, tout le monde trouve cela parfaitement juste et naturel. L’Indien ne représente exactement qu’un crâne de plus pour une collection phrénologique, un masque en plâtre pour celle du muséum d’histoire naturelle, et une dissertation académique. Nous en sommes encore à cet égard aux premiers temps de la découverte de l’Amérique. Toutefois, ce n’est pas de cela qu’il s’agit en ce moment : mon intention n’est pas de faire de la morale, trop facile dans ce cas, mais de raconter, en ma qualité de témoin oculaire, à la suite de quels événemens les quatre Charruas ont fini par nous arriver à Paris.

Si ceux qui les faisaient chanter, sauter, courir et lancer le lazo, eussent su qu’ils avaient sous les yeux, dans la personne de ces quatre misérables, les derniers restes d’une nation qui a jadis occupé un territoire aussi vaste que les deux tiers de la France ; qui, pressée, refoulée de tous côtés par les Européens, a toujours su conserver sa liberté jusqu’au jour d’hier qu’elle a été entièrement exterminée, il est probable qu’un peu de compassion les eût saisis ; car toutes les ruines sont touchantes, si obscures soient-elles. En même temps que cette nation des Charruas ont disparu les débris d’une autre plus célèbre, de ces Guaranis dont les jésuites ont rendu le nom familier en Europe, et qui ont été long-temps un témoignage vivant de ce que peut l’esprit religieux réuni à un profond savoir-faire. Ces derniers joueront même dans mon récit un rôle plus important que les Charruas qui sont moins intéressans à tous égards.

On sait que les premières missions des jésuites dans ces parages, celles qu’on nomme encore aujourd’hui, mais improprement, Missions du Paraguay, furent établies à la fin du xvie siècle (1580) entre le Parana et l’Uruguay, dans l’endroit où ces deux fleuves, rapprochant leur cours, ne laissent entre eux qu’une étroite lisière. Le caractère doux de la nation des Guaranis qui habitaient ce beau pays, et de celles que les jésuites confondirent plus tard sous le même nom, se prêta sans peine au régime que ces pères voulurent établir. En peu d’années, vingt villages contenant une population d’environ cent cinquante mille ames s’élevèrent et devinrent le centre de cet empire sur lequel on a débité tant de fables. Non contens de ce succès, dès le commencement du xviie siècle, les jésuites passèrent sur la rive gauche de l’Uruguay et réunirent dans sept grands villages près de soixante-quinze mille Indiens Tapes qui prirent également le nom de Guaranis. Pour distinguer cet établissement du précédent, il reçut le nom de Sept Missions qu’il a toujours conservé depuis. Je passe sur le régime bien connu de ces établissemens, régime qu’on a condamné sans apprécier sa valeur relative, mais admirable dans ses effets, et dont l’histoire n’offre pas un second exemple. En 1752, lorsque l’Espagne et le Portugal envoyèrent sur les lieux, pour déterminer les limites de leurs territoires respectifs, une commission à laquelle nous devons la relation de d’Azzara qui en faisait partie, la première de ces puissances céda à l’autre les Sept Missions qui lui appartenaient en échange de la Colonia del Sacramento. Les jésuites s’opposèrent à cette transaction, et quoique vaincus dans une bataille rangée où quinze cents de leurs Indiens restèrent sur le carreau, les Sept Missions continuèrent de faire partie du territoire espagnol. Quelques années plus tard, en 1767, eut lieu leur expulsion, et avec elle commença le dépérissement des Missions qui furent confiées aux mains d’autres ordres religieux. L’esprit créateur et vivifiant s’était retiré. Ceci est un fait dont sont convenus les plus violens ennemis des jésuites. Dix ans après, le nombre des Indiens avait diminué de plus de moitié et continua de s’affaiblir sans cesse. Les choses restèrent dans cet état jusqu’au commencement de ce siècle, que la guerre ayant éclaté en Europe entre l’Espagne et le Portugal, les Brésiliens de la province de Rio-Grande envahirent les Sept Missions et s’en emparèrent. Aujourd’hui elles font encore partie du Brésil.

La révolution et les troubles qui l’ont suivie, et qui ne sont pas encore terminés, ont achevé de porter le coup de mort à celles qui font partie du territoire espagnol, c’est-à-dire qui sont situées entre le Parana et l’Uruguay. Arrachés à leurs travaux et à leurs habitudes paisibles, transformés en soldats ou plutôt en brigands par le fameux Artigas, poursuivis ensuite et impitoyablement massacrés, tantôt par les Portugais, tantôt par les troupes du docteur Francia, les malheureux Guaranis ont été presque entièrement anéantis. Les vingt villages dont j’ai parlé, brûlés, détruits de fond en comble, n’offrent plus que des pans de murailles, des débris de temples et des monceaux de décombres parmi lesquels se sont élevés des bois d’orangers et autres arbres fruitiers qui ont envahi les places, les rues, et jusqu’à l’intérieur des édifices qui sont devenus le repaire des jaguars et des reptiles. Le petit nombre de familles indiennes échappées à cette destruction lamentable ont été transportées violemment sur le territoire brésilien, ou errent aujourd’hui dispersées, déplorant la perte du beau pays qu’elles cultivaient, et toujours prêtes à se réunir pour retourner sur les lieux qui les ont vues naître, et relever les restes chancelans de leurs temples et de leurs habitations. Nulle part, en un mot, l’homme ne s’est acharné avec plus de fureur sur les œuvres de la nature et de la civilisation.

Les Sept Missions, quoique ayant aussi beaucoup souffert et perdu la plus grande partie de leur population, offraient cependant encore l’ombre de ce qu’elles avaient été jadis, lorsque l’heure fatale sonna aussi pour elles ! Les Indiens détestaient le joug des Brésiliens, et ce fut l’espoir de l’échanger contre un sort meilleur qui les perdit. En 1828, pendant la troisième année de cette lutte que soutinrent Buenos-Ayres et Montevideo contre le Brésil, l’armée patriote se trouvait dans la partie orientale de la province de Rio-Grande. Une diversion dans la partie opposée fut jugée utile, et son exécution confiée au général Fructuoso Riveira, natif de la Bande orientale[1]. Celui-ci s’avança à la tête d’un corps de partisans sur les Sept Missions, et en chassa sans peine les Brésiliens. Les Guaranis, délivrés d’un gouvernement tyrannique, accueillirent Riveira comme un libérateur, comme un ange tutélaire. Mais, pendant qu’ils se flattaient d’un avenir plus heureux, la paix fut signée, et d’après le traité, les Missions devaient être restituées au Brésil. Ce coup inattendu plongea les Guaranis dans le désespoir. Il fallait donc retomber dans l’esclavage ! les libérateurs allaient partir ! Des maîtres odieux étaient sur le point de reparaître !

Riveira exploita habilement la disposition d’esprit de ces hommes simples. Il augmenta leur frayeur par des peintures faites à propos des vengeances qu’allaient exercer en rentrant les Brésiliens ; il leur dépeignit sous un aspect enchanteur les campagnes de Montevideo, parla de liberté, de la protection assurée de son gouvernement, qui n’avait qu’un jour d’existence, et finit par proposer aux Guaranis de le suivre dans sa retraite. On vit alors, mais sur une moindre échelle, un nouvel exemple de ces migrations d’une population toute entière si fréquentes dans l’histoire des peuplades de l’Asie. Les sédentaires et laborieux Guaranis se décidèrent tous d’un commun accord à abandonner leurs champs, leurs églises, leurs demeures, pour se mettre à la merci des étrangers. Emportant tout ce qu’ils purent, jusqu’aux cloches de leurs temples, traînant à leur suite une immense quantité de bétail, ils se mirent en marche au nombre d’environ huit mille, escortés par la petite armée de Riveira. Le voyage fut pénible et long. Souvent, tournant leurs regards en arrière, ils se refusaient à augmenter d’un pas la distance déjà trop grande qui les séparait de leur patrie. Mais les chariots, contenant le peu qu’ils possédaient, marchaient toujours en avant, et alors ils se résignaient et suivaient.

Ils arrivèrent enfin au lieu désigné pour l’établissement de la colonie. C’était un vaste plateau, baigné à l’ouest par l’Uruguay, au nord et au sud par deux petites rivières portant leurs eaux au fleuve, et sans autres limites que le désert à l’est.

C’eût été sans doute une précieuse acquisition pour la province de Montevideo, entièrement peuplée dans la campagne de grossiers gauchos, que cette population pacifique et agricole, si l’on eût su en tirer parti. Mais, au lieu de lui distribuer des terres et de quoi les ensemencer, Fructuoso Riveira, gaucho lui-même et fier d’être le fondateur d’une colonie, s’occupa avant tout de bâtir une ville. On traça en conséquence le plan d’une cité magnifique avec des rues de cent pieds de large, des trottoirs bordés d’orangers, des églises, des hôpitaux, sans omettre des prisons, comme si Riveira eût senti que les Guaranis ne pourraient vivre long-temps dans la compagnie des siens sans perdre leur candeur primitive. Enfin, la nouvelle ville reçut le nom de Bella-Union, Belle-Union.

La famine était le premier des maux qui attendaient les pauvres Guaranis sur la terre étrangère. De quatre cent mille têtes de bétail qu’on avait amenées des Sept Missions, à peine en restait-il un vingtième. Tout le reste avait été partagé entre les principaux chefs de l’armée qui l’avaient envoyé dans la campagne de Montevideo ou vendu à des spéculateurs. La viande étant la base alimentaire du pays, et par conséquent une chose de première nécessité, la rareté du bétail devait entraîner les conséquences les plus funestes pour les nouveaux colons. Du reste, la privation de cet important objet de consommation ne se fut pas fait sentir long-temps, si l’on eût demandé à la terre, qui est d’une fertilité admirable dans cette partie de l’Amérique, la subsistance de la colonie.

Bella-Union existait depuis environ deux mois, lorsque je la visitai. Des spéculateurs de Buenos-Ayres et Montevideo s’empressaient de porter des vivres et des marchandises de toute espèce dans un endroit qu’ils savaient dépourvu de tout. Je profitai du départ de quelques-uns d’entre eux pour entreprendre un voyage qui offrait un grand attrait à ma curiosité.

Après avoir remonté l’Uruguay jusqu’au village de Paysandù, situé à soixante-dix lieues au nord de Buenos-Ayres, sur la rive gauche du fleuve, nous continuâmes notre voyage par terre. Pendant quinze jours d’une marche que retardaient à chaque instant les pesantes charrettes qui portaient les marchandises de mes compagnons de voyage, nous traversâmes un pays magnifique, alternativement couvert de forêts et de savannes, mais désert au point que souvent on eût cherché vainement une cabane dans un rayon de dix lieues. Cependant, après avoir fait dix lieues au-delà de Belen, chétif hameau de douze maisons, situé à l’extrême frontière de la province, la scène changea subitement d’aspect. Une suite de collines formant un rideau d’un vert sombre se déroula devant nous à perte de vue. La plupart étaient couronnées d’habitations, appartenant à des Guaranis qui avaient sauvé quelque bétail du pillage. À chaque pas que nous faisions, le pays devenait plus peuplé ; tout annonçait le terme de notre voyage. Enfin nous passâmes à gué une petite rivière dont l’embouchure servait de port à la ville, et nous entrâmes à Bella-Union.

À l’aspect de l’activité qui régnait de toutes parts et des travaux commencés et encore imparfaits, je me crus un instant transporté dans le Champ d’Asile, fondé aussi par des exilés malheureux comme ceux que j’avais sous les yeux. Personne n’était oisif dans la ville naissante ; on eût dit une ruche que vient de peupler un nouvel essaim. Les uns charriaient le bois, d’autres creusaient la terre et y plantaient des pieux. Le faîte des maisons presque achevées était couvert d’Indiens tressant la paille ou les feuilles de palmiers destinées à leur servir d’abri contre l’intempérie des saisons. Tout se faisait en même temps et partout. On travaillait surtout en grande hâte à la construction d’une église. La semaine sainte approchait, et les Guaranis se faisaient un point d’honneur de la célébrer dans le nouveau temple. Les femmes et les enfans munis de vases de toute espèce faisaient une procession continuelle de la rivière à l’église pour fournir de l’eau aux travailleurs. En attendant, une maison appartenant à l’un des chefs de l’armée servait provisoirement au culte. J’y fus introduit en arrivant. Elle était à moitié remplie de balles de coton. Plusieurs coffres contenaient les ornemens d’église, que le maître du logis se plut à me faire admirer en détail. Sur l’un de ces coffres on avait dressé un autel auquel plusieurs balles de coton servaient de degrés. Cependant sur cet autel modeste était placé un missel qui n’aurait pas déparé celui de nos plus magnifiques cathédrales. Bientôt une nombreuse affluence remplit la salle. C’étaient des chantres qui venaient répéter l’office de la semaine sainte. Ils entonnèrent le Stabat Mater. Chacun des chanteurs, son cahier à la main, faisait sa partie avec méthode, tandis que le maître de chapelle, monté sur une malle et la tête couronnée d’un bonnet de coton, marquait la mesure avec toute la dignité d’un chef d’orchestre de l’Opéra. Mais de ce groupe si singulièrement accoutré s’échappaient des sons mélodieux qui ne permettaient guère de voir le côté ridicule de la scène. L’ame était véritablement émue.

On connaît le goût qu’ont pour la musique presque tous les indigènes de l’Amérique. Les premiers missionnaires, principalement les jésuites, s’en servirent souvent pour toucher les cœurs des peuplades errantes qu’ils voulaient civiliser, et plus d’un village s’est élevé au bruit des chants et des instrumens religieux. Ce que la fable nous raconte de la lyre d’Amphion et des murs de Thèbes s’est réalisé cent fois dans les déserts du Nouveau-Monde. Le sens musical me parut très développé chez les Guaranis. J’en eus une seconde preuve le soir même de mon arrivée. Nous étions campés en plein air, sur le milieu de la place. Un de nous ayant commencé à jouer quelques airs de clarinette, une douzaine d’Indiens accoururent avec leurs instrumens pour l’accompagner. Il leur suffisait d’avoir entendu une fois un de nos airs français, pour le répéter sans manquer les intonations les plus difficiles. Tous leurs instrumens avaient été fabriqués par eux. Le violon était celui qui dominait.

Tout ce que je voyais me transportait en imagination à l’époque florissante des Missions, quoique la dégénération des anciens élèves des jésuites fût bien marquée ; mais on retrouvait encore en eux assez de traces de l’éducation qu’avaient reçue leurs pères pour deviner ce que ceux-ci avaient dû être jadis. Presque tous ceux de Bella-Union savaient lire et écrire, et connaissaient un métier. Leur costume, semblable à celui des gauchos, se composait d’un caleçon de toile de coton, d’un morceau de même étoffe, ou chiripa, roulé autour de la ceinture, et du poncho ordinaire. La plupart allaient pieds nus, et les autres portaient des bottes faites avec les jambes de derrière d’un jeune poulain, et attachées au-dessous du genou avec une jarretière. Les femmes n’avaient pour tout vêtement qu’une sorte de tunique en coton, tissée par elles-mêmes, qui les couvrait depuis le cou jusqu’aux pieds, sans être le plus souvent serrée à la ceinture. Celles qui en avaient le moyen complétaient leur toilette avec de larges pendans d’oreilles en argent et une croix de même métal suspendue au cou. Les enfans des deux sexes allaient nus jusqu’à l’âge de puberté. L’intérieur des maisons respirait la pauvreté et ne contenait que les ustensiles les plus indispensables avec un hamac. Ce dernier meuble indiquait une civilisation plus avancée que celle des gauchos, qui se contentent d’un cuir étendu à terre pour se livrer au sommeil.

La misère la plus affreuse régnait dès cette époque dans la colonie. Tout le bétail était épuisé, et les Indiens, occupés de leurs constructions et ne se livrant à aucun travail d’un rapport immédiat, ne pouvaient se procurer les vivres que les marchands vendaient à un prix exorbitant. C’était surtout sur les bords du fleuve où s’étaient établis tous ceux qui n’avaient pu, faute de moyens, bâtir une maison dans l’enceinte même de la ville, que le tableau le plus digne de pitié s’offrait aux regards. Là, dans des huttes alignées sur deux rangs et formées de quelques bottes de paille réunies à leur sommet, étaient entassées des centaines de familles. Là régnaient la faim, les maladies, et tout ce que la misère a de plus hideux. Qu’on se représente une population de huit mille hommes, amenés loin de leur pays, dans un lieu dépourvu de tout, n’ayant d’autres alimens qu’une chétive ration de viande qu’on leur distribuait tous les matins, et, pour comble de maux, souffrant le supplice de Tantale : ayant sous les yeux des marchands qui étalaient tout ce qui eût satisfait leurs besoins, mais qu’ils ne pouvaient acheter ! Combien ne souffrions-nous pas en prenant nos repas en présence d’une foule affamée qui suivait des yeux chaque morceau que nous portions à notre bouche et se jetait sur nos restes pour y chercher encore quelque débris à ronger ! Est-il surprenant que quelques crimes aient été commis par des malheureux qui jusque-là avaient à peine connu le tien et le mien, qui avaient vécu dans l’abondance, et qui tout à coup se sont vus en proie à toutes les horreurs du besoin ? Ce dont je m’étonnais au contraire, c’est que la demi-douzaine de marchands qui se trouvaient à Bella-Union n’eussent pas été déjà égorgés et pillés ; et certes je n’aurais pas voulu me trouver en pareille circonstance au milieu de huit mille Européens affamés. Mais la douceur naturelle de ces pauvres Indiens les éloignait de toute violence, quoiqu’ils eussent la force en main, la garnison n’étant composée que de quatre cents hommes, pris d’ailleurs, comme toutes les troupes des nouvelles républiques, dans la lie de la société, et, à en juger par leurs mines, plus disposés à donner le signal du pillage qu’à le prévenir.

On n’avait vu jusqu’alors qu’une exécution à Bella-Union. Le coupable était un malheureux à qui la faim avait fait commettre un assassinat pour se procurer quelques réaux. Afin d’encourager le pauvre diable à marcher bravement au supplice, ses camarades s’étaient cotisés pour lui acheter une bouteille de tafia. À défaut de prêtre, car il n’en existait pas un seul dans la colonie, un cacique indien marchait à côté du patient, tenant d’une main un crucifix, et de l’autre la bouteille. Tout en l’exhortant à bien mourir, il l’engageait de temps en temps à boire un coup, et comme celui-ci ne répondait pas plus à ses invitations qu’à ses conseils pieux, il buvait lui-même à longs traits, sans doute pour faire provision du courage qu’il voulait inspirer à son pénitent. Arrivés au lieu de l’exécution, la bouteille était vide, et l’on eut beaucoup de peine à séparer du condamné son confesseur, qui voulait se faire fusiller avec lui plutôt que de le quitter.

Malgré les maux de toute espèce qui accablaient les pauvres Guaranis, ils oublièrent tout momentanément pour célébrer les cérémonies de la semaine sainte. Un prêtre venait d’arriver de Corrientes ; l’église était terminée, et ses murs de boue étaient tendus intérieurement de tapisseries qui naguère avaient orné les temples brillans des Missions. Sur l’autel en bois brut étincelaient les candélabres, les ciboires et les calices en argent et en or, et la croix superbe qui se promenait au milieu de ces hommes demi-nus faisait un triste contraste avec leur profonde misère et leurs traits empreints des marques de la souffrance. Le jour de la fête des Rameaux, hommes, femmes et enfans jetèrent en l’air des branches tressées en mille dessins divers et poussèrent des cris de joie ; mais les derniers jours de la semaine furent remplis par des cérémonies bien autrement surprenantes. Ce ne fut pas moins que la passion de Jésus-Christ qui fut représentée avec une vérité effrayante. Chaque personnage y figura scrupuleusement : Marie, les apôtres, Hérode, Ponce-Pilate, le peuple juif, personne ne manqua à l’appel, pas même le coq, qui chanta lorsque Pierre renia son maître. En la compagnie de ce dernier marchait un chien dont je ne pus découvrir le sens allégorique. À la nuit tombante, la procession sortit de l’église. Un cacique indien prononça, en guarani, un long discours qui arracha souvent des sanglots à la multitude ; puis Jésus fut livré aux bourreaux. L’Indien qui jouait ce rôle s’était dévoué volontairement ; mais on n’aurait pas infligé à un criminel véritable des tourmens plus cruels que ceux qu’on lui fit subir. Il fut dépouillé, lié et fouetté jusqu’au sang ; on lui crachait au visage ; on le jetait à terre en le secouant rudement de côté et d’autre par ses liens. Enfin on lui planta une couronne d’épines, et on lui fit faire le tour de la ville avec une lourde croix de bois sur les épaules. À chaque station, les tourmens recommençaient au milieu des cris barbares des Juifs qui hurlaient en guarani : Salut à Jésus de Nazareth !

Ce qui formait un contraste frappant avec ces scènes d’un fanatisme sauvage, c’était le recueillement des spectateurs. Les femmes, laissant tomber en signe de deuil leurs longs cheveux noirs sur leurs tuniques blanches, chantaient et sanglottaient en même temps. Derrière le cortége marchaient un grand nombre de pénitens qui, en expiation de leurs péchés, s’étaient voués à divers genres de supplices. Les uns, nus jusqu’à la ceinture, faisaient ruisseler leur sang sous les coups de discipline ; d’autres s’étaient emprisonnés le cou dans une longue et pesante pièce de bois, aux extrémités de laquelle leurs mains étaient attachées. Je passe sous silence d’autres pénitences bizarres. Le tout se termina par le crucifiement de Notre-Seigneur : on le suspendit à une croix, sans le clouer cependant ; mais, par forme de compensation, on lui donna dans le côté cinq coups de lance au lieu d’un. Les blessures cependant n’étaient pas mortelles, ainsi qu’on le verra plus loin, quoique le sang coulât en abondance. Je voulus ensuite aller visiter le tombeau de Jésus-Christ, lorsqu’on l’y eut déposé ; mais je trouvai la porte de l’église gardée par des Juifs coiffés de bonnets pointus, qui me barrèrent le passage avec leurs piques en me signifiant que je n’entrerais pas sans ôter préalablement mes bottes. Cependant je profitai du moment où la femme du commandant général[2] allait faire ses dévotions, pour entrer tout chaussé à sa suite ; mais je ne vis dans l’intérieur du temple rien qui mérite une description particulière.

Bientôt le deuil fit place à l’allégresse. Le dimanche de Pâques, nous fumes réveillés de grand matin par des salves d’artillerie auxquelles succéda le carillon d’une douzaine de cloches élevées provisoirement sur des piquets, et de tous côtés les danses et les jeux commencèrent. Un seul de ces derniers me frappa. Sur la place principale, on avait construit un cirque où eurent lieu des courses à pied et à cheval et un simulacre de combats à la manière indienne. Deux partis, représentant deux nations ennemies, s’étaient placés, l’un en dedans, l’autre en dehors de l’arène. Les guerriers, suivant l’usage des Indiens, étaient accompagnés de leurs femmes et de leurs enfans. Des hérauts entrèrent dans le cirque, sonnèrent de la trompette, et firent à trois fois une espèce de déclaration de guerre. Aussitôt la bande ennemie pénétra dans l’enceinte et en fit le tour de toute la vitesse des chevaux. L’autre parti la poursuivit, chacun s’attachant particulièrement à un adversaire qui, lorsqu’il se voyait atteint, se défendait en faisant le moulinet avec la lance dont il était armé. Pour qu’il fût censé prisonnier, il fallait saisir la bride de son cheval, et l’empêcher de sauter à terre et de s’enfuir à pied, ce qui arriva souvent dans le cours de la bataille. Les femmes des vaincus donnaient des signes d’une frayeur extrême, et, traînant leurs enfans à leur suite, faisaient des efforts inouïs pour s’échapper. Les cavaliers, sans autre costume qu’un caleçon, et montés à poil sur leurs chevaux, semblaient, comme les anciens centaures, ne faire qu’un avec ces derniers, et prenaient à chaque instant mille postures diverses. Souvent, dans le cours des évolutions, le coursier glissait sur le sable humecté par une pluie de la veille, et s’abattait ; mais toujours le cavalier, sautant de côté, se trouvait debout sur les pieds, et, prompt comme l’éclair, s’élançait de nouveau sur sa monture avant d’avoir été atteint.

Pendant le cours des cérémonies religieuses et des réjouissances, j’eus plus d’une fois occasion d’observer avec regret combien ce peuple avait dégénéré depuis que la barrière que les missionnaires avaient élevée entre lui et les autres nations avait été brisée. L’Indienne, après s’être abandonnée à la douleur pendant toute la semaine sainte, les yeux encore mouillés de larmes, ne pouvait résister à l’offre séduisante d’une croix en cuivre ou d’un ticholo[3]. Les pénitens, et Jésus-Christ lui-même, que j’avais cru mort ou du moins mourant de ses blessures, profitèrent de quelques réaux dus à la générosité de leurs compatriotes pour réparer leurs forces avec du tafia. Pendant la procession, les Juifs se détachaient de temps en temps du cortège, et venaient près des marchands de liqueurs fortes prendre du ton pour mieux crier haro sur le Sauveur. Enfin les deux espèces de débauches étaient générales dans la colonie malgré la dévotion des habitans, dévotion qui ne les empêchait pas non plus de s’approprier le bien d’autrui toutes les fois que l’occasion s’en présentait. Mais, tels qu’ils étaient, les Guaranis valaient cent fois mieux encore que les blancs leurs voisins, qui avaient tous leurs vices, sans peut-être une seule de leurs vertus. C’est par leur contact avec ceux-ci qu’ils avaient perdu ce qui leur restait encore de leurs anciennes mœurs.

Je quittai Bella-Union après un mois de séjour, qui me convainquit de sa ruine prochaine et inévitable. La misère et les maladies eussent suffi pour cela ; mais elle devait avoir une fin plus prompte, et tomber victime des révolutions subites dont la province de Montevideo devint coup sur coup le théâtre immédiatement après son érection en état indépendant. Je demande presque pardon au lecteur de l’entretenir de ces misérables querelles dont l’Europe détourne depuis long-temps ses regards avec un juste mépris mêlé de dégoût, et qui sont complètement inintelligibles pour quiconque n’a pas été sur les lieux. Mais je m’y vois obligé, et je le ferai en aussi peu de mots qu’il me sera possible.

Deux ambitieux vulgaires se disputaient alors le pouvoir dans l’état de la Bande orientale, et l’ont bouleversé jusque dans ces derniers temps. L’un était ce Fructuoso Riveira dont j’ai déjà parlé, et qui, de simple gaucho, s’était élevé au grade de général ; l’autre, Lavalleja, qui, en 1825, avait été l’auteur du soulèvement de la province contre le Brésil, ce qui lui avait donné une grande influence dans le pays. Il serait difficile de décider lequel de ces deux champions avait le plus de mérite, ou, pour mieux dire, le plus d’incapacité. Cependant Riveira, qui, comme un enfant, désirait simplement avoir la première place, et eût permis à des ministres plus capables que lui d’agir avec quelque liberté, eût été le moins mauvais des deux. Quant à Lavalleja, il était secondé par le parti fédéraliste, alors dominant à Buenos-Ayres, parti qui semble destiné à perpétuer dans le pays l’ignorance et le fanatisme espagnols ; et cela seul suffit pour expliquer la répugnance que montrait à son égard la partie la plus éclairée de la population du nouvel état. En revanche, son influence était très grande dans la campagne. Or, c’est à la rivalité qui existait entre ces deux hommes que furent dus à la fois la fondation et l’anéantissement de Bella-Union. Riveira, en y transportant les Guaranis, n’avait pas songé à autre chose qu’à se procurer des hommes dévoués, sur lesquels il pût compter dans sa lutte contre son compétiteur. L’acquisition pour son pays d’une population industrieuse n’entrait pour rien dans ses vues, de sorte que les pauvres Indiens, en croyant acquérir une patrie, n’étaient à leur insu qu’un instrument dont les partis comptaient se servir pour s’entre-déchirer.

Leurs dissensions éclatèrent en 1829, tandis que l’assemblée nationale, siégeant à Montevideo, rédigeait la constitution de l’état. On avait nommé un président provisoire, homme dévoué à Riveira, qui administrait la république, lorsque Lavalleja le renversa à main armée et s’empara du pouvoir. Sous son administration, qui dura quelques mois, la dissolution de la colonie indienne fut décrétée ; mais Riveira, qui la gouvernait, ne tint aucun compte du décret, et elle continua d’exister, quoiqu’elle eût perdu une partie de ses habitans. Les maladies et la misère les avaient plus que décimés ; d’autres s’étaient enrôlés dans l’armée ou dispersés dans la campagne, pour y vivre de rapine, à l’imitation des gauchos ; quelques-uns, en petit nombre, avaient passé sur la rive droite de l’Uruguay, dans la province de l’Entre-Rios. Ceux qui restaient, en proie à tous les maux imaginables, étaient encore plus à plaindre que lors de mon séjour parmi eux. Riveira n’eut pas de peine à enrôler ces hommes affamés dans la petite armée qu’il organisait alors pour marcher contre son rival ; quand ses préparatifs furent terminés, il se mit en marche, recrutant tout ce qu’il rencontrait de bandits sur sa route, et se présenta aux portes de Montevideo. Le sang allait couler, lorsqu’une députation de l’assemblée alla trouver Riveira et lui fit entendre que la constitution devant être promulguée incessamment, et le gouvernement provisoire devant dès lors cesser ses fonctions, il pouvait, en se donnant la peine d’attendre un peu, devenir bientôt président par la voie légale. Riveira, touché de ces raisons, et sûr d’être élu, grâce à la présence de son armée, consentit à une suspension d’armes, et fut en effet nommé président peu de jours après.

Les Guaranis ne gagnèrent rien à l’élévation au pouvoir de leur prétendu protecteur. Ceux enrôlés dans l’armée retournèrent presque tous à Bella-Union, reconnaissant enfin combien ils avaient été trompés, et disposés à en tirer vengeance. L’occasion se présenta bientôt, et ce fut Lavalleja qui se chargea de la faire naître. Tournant contre son adversaire les armes que ce dernier avait forgées contre lui, il fit soulever, en juin 1832, la population de Bella-Union. Le commandant militaire de la place fut massacré, et les insurgés s’avancèrent dans le sud jusqu’au village du Salto qu’ils livrèrent au pillage. À cette nouvelle, Riveira, celui que les Guaranis nommaient naguère leur libérateur et leur père, se met en marche pour aller les exterminer. Mais à peine a-t-il quitté Montevideo, que la garnison de cette ville se soulève contre lui et proclame Lavalleja pour président. En même temps une révolte semblable éclate dans son propre camp au Durazno, et il n’échappe à la mort qu’en sautant en chemise par une fenêtre et s’enfuyant tout seul à travers champs, après avoir vu son aide-de-camp égorgé à ses côtés. En un instant il vit renverser sa puissance dans toute l’étendue de la république.

Riveira néanmoins ne se tint pas pour définitivement battu. Il rassembla de nouveau ses partisans, et aussitôt qu’on sut à Montevideo qu’il se trouvait à la tête de forces capables de balancer celles de son adversaire, une contre-révolution s’opéra, et Lavalleja, poursuivi à son tour, chercha un refuge sur le territoire brésilien où il fut désarmé. Aujourd’hui il est à Buenos-Ayres où il a plusieurs fois cherché vainement à armer contre sa patrie.

Ces quatre révolutions, si toutefois ce nom convient à ces coups alternatifs de bascule entre deux ambitieux sans mérite et sans talens, peuvent donner une idée de la manière dont les nouvelles républiques gouvernent leurs affaires depuis qu’elles sont livrées à leur propre sagesse. Peu de sang, du reste, coula dans ces échauffourées ; de basses trahisons et l’absence de tout patriotisme en furent les caractères les plus remarquables ; les Guaranis payèrent pour tous. Riveira, réinstallé de nouveau, résolut de les punir de leur révolte en faveur de Lavalleja, et fit marcher contre eux son frère, don Barnabé. Dans la destruction se trouvèrent enveloppés les Charruas qui avaient fait cause commune avec les Guaranis. Cette nation, puissante autrefois, occupait, lors de la découverte, tout l’espace compris entre le Rio de la Plata, au sud, l’Uruguay au nord et à l’ouest, et les bords de l’Atlantique à l’est. Ce fut elle qui, en 1516, massacra près du rivage de Santa-Lucia, quelques lieues à l’est de Montevideo, Solis, le premier découvreur du fleuve, et quelques-uns de ses matelots. Repoussés dans leurs déserts à mesure que s’étendaient les progrès des Européens, les Charruas erraient dernièrement encore avec les Minuanos, les Guaycanas, les Patos et quelques restes non civilisés des Tapes, dans la province de Rio-Grande, aux environs de Sept Missions, et dans le nord de la province de Montevideo. Les missionnaires avaient essayé vainement de les réduire et de leur faire apprécier les bienfaits de la civilisation. L’un d’eux rapporte, dans un ouvrage manuscrit qui m’est tombé entre les mains, que les caciques de la nation, le voyant baptiser avec empressement les enfans nouveau-nés, vinrent lui proposer, pour se moquer de lui, de baptiser certaine partie de leur corps qu’ils lui montraient avec des gestes indécens, afin que leurs enfans futurs se trouvassent baptisés par anticipation ; sur quoi le bon père se récrie avec indignation sur cette manière d’administrer les sacremens. Sauf l’acquisition du cheval qui avait rendu leurs excursions plus promptes et plus fréquentes, les Charruas avaient conservé leurs mœurs primitives qui sont absolument les mêmes que celles des Indiens des pampas. Montés à cru sur des chevaux à peine domptés, qu’ils gouvernaient au moyen d’une simple lanière de cuir en guise de bride, ils erraient de côté et d’autre, plantant seulement çà et là, pour quelques jours, leurs tentes de peaux, faisant la chasse aux autruches, et pillant les troupeaux des frontières, ou dévalisant les rares voyageurs qui leur tombaient entre les mains. En un mot, c’étaient de très incommodes voisins, et, dans l’impuissance de les civiliser, on excuserait presque ceux qui les ont détruits, si l’on ne songeait qu’après tout, ces infortunés étaient dans leur patrie, sur le sol dont leurs pères étaient jadis les maîtres, et que leurs vainqueurs ne sont guère plus civilisés qu’ils ne l’étaient eux-mêmes.

Les Charruas, qui se montaient à sept ou huit cents individus, étaient plus nombreux que les Guaranis échappés aux désastres de Bella-Union. Les uns et les autres combattirent vaillamment, et refusèrent plusieurs fois la vie qu’on leur offrait en échange de leur liberté. À peine avaient-ils quelques armes à feu et quelques sabres, pris pour la plupart sur l’ennemi ; et que pouvaient contre celui-ci, bien pourvu des premières, des hommes armés de lances ? Après un grand nombre d’escarmouches, de surprises, de marches et contre-marches, ce qu’on peut appeler une bataille décisive eut lieu. Barnabé Riveira, arrivant un jour avec son armée au sommet d’une petite colline, se trouva tout à coup en face de l’ennemi rangé en ordre de bataille à un quart de lieue de là dans une vaste plaine. Un témoin oculaire m’a raconté que c’était un spectacle singulier et imposant à la fois que celui de ces hommes au teint bronzé, nus pour la plupart à l’exception d’un léger poncho flottant sur leurs épaules, et montés sur des chevaux, indomptés comme eux, qu’ils maniaient avec une dextérité merveilleuse. Après quelques instans d’attente mutuelle, les Indiens poussèrent leur cri de guerre accoutumé mêlé aux cris de muera Barnabé ! et des deux côtés on se chargea avec fureur. Dès le premier choc, trois lances indiennes percèrent à la fois Barnabé Riveira de part en part. Il fut enlevé du coup à douze pieds au-dessus de son cheval et lancé sans vie à vingt pas plus loin. Malgré cet exploit, les Indiens n’en furent pas moins taillés en pièces ; et quelques mois plus tard, Fructuoso Riveira, qui, outre ses anciens griefs, avait à venger la mort de son frère, acheva l’œuvre de destruction.

On fit cependant quelques prisonniers dans le cours de cette guerre sauvage. Amenés à Montevideo, où le gouvernement ne savait trop qu’en faire, quatre d’entre eux furent remis à un Français, qui, à son arrivée en France, les céda, à ce qu’il paraît, à un spéculateur des mains duquel ils passèrent dans une ménagerie où ils sont morts, comme je l’ai dit, entre un rhinocéros et un boa.

Quoique j’aie parlé de destruction complète, il est possible qu’il existe encore quelques individus de ces deux peuplades. On les trouverait alors épars dans les vastes plaines de Montevideo, sur les fermes où l’on élève le bétail, ou bien fuyant, dans les forêts des bords de l’Uruguay, la présence des blancs, en attendant qu’ils aillent rejoindre les mille autres nations indiennes disparues de dessous le soleil depuis la découverte.

Isid. Aubouin.
  1. Nom sous lequel on désigne habituellement dans le pays la province de Montevideo.
  2. Ce commandant était Barnabé Riveira, frère du général, qui se trouvait alors à Montevideo.
  3. Espèce de confiture enveloppée dans de la paille de maïs.