Beowulf/Walter Thomas/Introduction

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Traduction par Walter Thomas.
Beowulf et les premiers fragments épiques anglo-saxonsHenri Didier (p. i-xxxii).
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Le Poème de “Beowulf”


INTRODUCTION


Les débuts de l’épopée anglo-saxonne.

Le Beowulf est le premier et le seul spécimen complet d’une œuvre épique que nous ait léguée l’antiquité germanique, c’est-à-dire d’une œuvre où soient racontés de façon naïve et populaire les exploits d’un héros mythique dont la légende a transformé et embelli le souvenir. Il y a en effet deux catégories d’épopées qui relatent, en y ajoutant une proportion plus ou moins grande d’éléments merveilleux, les hauts faits du passé. Sous l’influence de l’imagination créatrice, lorsqu’elle travaille sur les données d’une tradition collective, les unes surgissent spontanément, sans auteur connu, des profondeurs de l’âme obscure des foules et se résument en de courts chants vifs et passionnés avant de tenter la verve de quelque adaptateur. Les autres sont le produit artificiel d’une époque savante et raffinée où, pour plaire à tel ou tel personnage marquant, un poète de carrière célèbre en vers solennels et limés avec soin, l’une de ces figures lointaines et mystérieuses auxquelles prétend se rattacher la famille du souverain dont il dépend. C’est l’Enéide de Virgile s’opposant à l’ensemble grandiose, mais parfois trop touffu, que la Grèce nous a transmis sous le nom d’Homère.

Le contraste que nous venons de signaler marque de lui-même la différence entre ces deux sortes de poèmes. Quand elle est naïve et spontanée, l’épopée reproduit sans effort et sans critique les légendes populaires qui transfigurent, à l’aube de l’histoire, les actions de quelque chef en la personne duquel s’incarnent les aspirations nationales d’une tribu primitive. Le héros qui en est le centre apparaît pourvu des diverses qualités physiques et morales susceptibles de contribuer aux progrès d’une société naissante et devient, par un travail d’accumulation incessant et presque inconscient, le modèle proposé aux rois futurs. Demi-dieu à l’origine, ainsi que tous les fondateurs de dynasties anciennes, il reste, même quand le temps lui a substitué, comme dans le Beowulf, des parents humains, investi de pouvoirs surnaturels, doué d’une intelligence et d’une sagesse qui dépassent celles du commun des mortels et guidé par l’inspiration d’En-Haut. Ses exploits extraordinaires et les grands services qu’il a rendus à la communauté l’entourent d’un éclat magique et fournissent des thèmes inépuisables aux ménestrels chargés d’entretenir le prince et son cortège de preux au cours des fêtes d’apparat. Aussi ces premières poésies, composées au hasard des circonstances et sous l’impression de puissantes mais passagères émotions, portent-elles au début l’empreinte d’un lyrisme débordant. Ce durent être, pour la plupart, des pièces de vers courtes et vibrantes, où quelque Tyrtée barbare cherchait à ranimer le courage des guerriers par l’exemple d’un ancêtre héroïque. Plus tard sans doute ces lais enthousiastes, en se répétant et en se développant, prirent plus nettement le caractère narratif. Ils perdirent en sauvage énergie de ton ce qu’ils gagnaient au point de vue de la composition et de l’art littéraire jusqu’à ce qu’enfin quelque barde, plus ambitieux et plus habile que ses prédécesseurs, les souda et les remania en un récit suivi et soutenu. Et c’est ainsi que naquirent les poèmes épiques populaires.

Mais cette épopée elle-même tendra bientôt à se modifier et à se compléter. Tant que la spontanéité l’emporte encore sur les autres éléments qui concourent à sa formation, c’est à peine si l’épopée se dégage du lyrisme originel. Traduisant des sentiments impulsifs plutôt qu’elle ne relate une suite de faits bien définis, elle se précipite avant tout droit au but, sans se soucier d’exposer son sujet avec logique et clarté. Ce qui lui importe, c’est d’impressionner des esprits assez frustes, et ceux-ci, plus préoccupés de vie intense que de beau langage, demandent qu’on leur présente des actes éclatants et non de longs récits circonstanciés. De là des cantilènes courtes et pour ainsi dire haletantes d’émotion, où le dialogue se condense en de vives et brèves réparties, où l’action se traduit en petites phrases nettes et énergiques, où la passion se répand en mots rapides et frappants. Plus l’on remonte vers les débuts de la langue et de la littérature, plus ce caractère d’impétuosité et de véhémence, cette fougue proprement lyrique se remarquent. Par degrés cependant, à mesure que s’écoulent les générations, cette ardeur se calme, la réflexion intervient et commente le cours des événements, le barde primitif s’efforce de décrire les mobiles de ses personnages en même temps que leurs exploits, et le récit plus ample tempère la vivacité du narrateur. Tels sont les deux stades que nous montre la poésie épique anglo-saxonne.

Le premier et le plus éloigné de nous par le temps n’est malheureusement représenté qu’en des œuvres trop rares. Ce qui en fournissait la matière, c’était la légende germanique avec un certain nombre de cycles dont le développement ultérieur se verra plus tard dans l’ensemble formé par les Eddas islandaises. Mais déjà chez les Anglo-Saxons, quelques compositions de l’époque la plus reculée rappellent ces vieilles traditions de la race. Telle est, entre autres, la pièce de vers intitulée le Widsith ou Voyageur au long cours qui mentionne, au hasard d’une liste fastidieuse de noms propres, les principaux personnages de la période des invasions barbares, personnages dont s’empara l’imagination poétique dès l’aurore du moyen-âge. Telle est encore la série de petites strophes, probablement des quatrains à l’origine, auxquelles on a donné le titre de la Plainte de Deor et que nous avons traduites à la suite du Beowulf. Elle fait allusion, tout en étant fort brève, à l’histoire du Vulcain teuton, Weland, à celle d’Attila et de Théodoric de Vérone et à celle du roi Eormanric, dont la tyrannie avait laissé les plus pénibles souvenirs chez les Ostrogoths et les tribus voisines au moment où expirait l’empire romain. Mais ce ne sont là après tout que des ébauches informes et imparfaites. Il nous reste mieux pour avoir une idée à peu près suffisante des chants populaires dont parlent les historiens des premiers siècles de l’ère chrétienne et dont la plupart ont péri sans laisser de traces. Si le vieil allemand conserve dans le Hildebrandslied un reste précieux des cantilènes primitives, le vieil anglais n’est pas moins favorisé. Il garde, en effet, comme témoin d’un lointain passé et comme unique spécimen d’une forme littéraire trop vite ensevelie dans l’oubli, le beau fragment du Combat de Finnsburg. Celui-ci, que nous avons donné en entier, traite une matière frisonne se rattachant à l’épisode du roi Finn et de sa fin tragique raconté dans le Beowulf (v. 1068-1159) et reproduit, semble-t-il, un de ces anciens chants dont la fusion avec d’autres devait par la suite conduire à de vastes compositions épiques. Mais il y manque encore la sérénité d’âme du jongleur qui s’amuse à broder sur son sujet. On y sent un poète tout subjectif pour qui le récit n’est rien et l’action seule est tout, qui s’identifie avec ses héros au point de ne pas songer à les contempler en spectateur, et qui se laisse entraîner par l’ardeur du combat et l’emportement de la passion au lieu de se complaire à de belles narrations.

Mais les années se passent et voici le Waldere. Étroitement apparenté au Waltharius qu’écrivit en hexamètres latins le moine Ekkehard du monastère de St-Gall[1], il diffère considérablement du Combat de Finnsburg par le ton. Bien qu’il n’en soit parvenu à la postérité que deux fragments d’une trentaine de vers — réunis ici avec d’autres petits extraits après le Beowulf — l’impression qui s’en dégage est celle d’une œuvre à la fois plus importante et plus littéraire que la précédente. On est porté à croire que les deux morceaux retrouvés se rattachaient à quelque ensemble où la matière d’Attila et de ses otages était traitée avec l’ampleur voulue. En tous cas, l’auteur n’est plus hypnotisé par son sujet au point d’en oublier les détails accessoires qui présenteraient un réel intérêt pour le lecteur. Volontiers il interrompt le cours de l’action pour laisser parler ses personnages et par là l’observation psychologique entre dans son récit. Même il arrive que ce sont des dialogues qui ont été conservés et ces dialogues, loin d’être de courtes et vives répliques comme dans le Combat de Finnsburg, s’étendent avec complaisance sur diverses circonstances de la lutte engagée et sur la valeur du héros qui prend la parole. Ils ont bien, semble-t-il, le développement oratoire des apostrophes et des plaidoyers chez Homère et devaient appartenir à un poème de grande étendue. Le Waldere constitue donc, pour autant que l’on puisse juger d’après ce qu’il en reste, le début, en quelque sorte, de l’épopée véritable dans l’histoire des lettres anglaises. Il suppose un art déjà consommé, et provient, à n’en pas douter, de quelque scop ou ménestrel de profession.


Le “Beowulf” et son sujet épique.


Jusqu’ici nous n’avons eu affaire qu’à des tentatives plus ou moins heureuses, à de simples ébauches de poèmes narratifs de longue haleine. Avec le Beowulf c’est une œuvre complète qui apparaît, isolée cependant, comme pour laisser le regret d’autres œuvres analogues dont on peut soupçonner l’existence à l’aurore du moyen-âge et qui ne sont pas venues jusqu’à nous. Mais, à lui seul, il suffit pour faire entrevoir ce que savait produire la muse épique en pays germanique quand elle traitait une matière empruntée à l’histoire légendaire de la race. C’est en effet un spécimen bien conservé d’une de ces anciennes épopées guerrières nées d’abord sous forme de cantilènes diverses et plus tard fondues ensemble par quelque rhapsode entreprenant. Les apports primitifs se reconnaissent non seulement dans certains épisodes comme ceux de Finn, d’Heremod et de Thrytho, mais encore à des interruptions soudaines du récit et à des inégalités de facture où semblent se trahir les points de suture originels. Il y a donc trace de ces chants spontanés en l’honneur des héros d’autrefois dont parlent les historiens de l’antiquité, et Tacite entre autres, dans son De Moribus Germanorum, à propos des prouesses et de la mort d’Arminius. Et pourtant l’on trouve mieux dans le Beowulf qu’une série d’incidents au de contes détachés. L’on y découvre un sujet unique se développant avec plus d’art et de logique que n’en comporterait une composition purement populaire et c’est ce qui permet de l’attribuer, comme nous le verrons, à un poète responsable de la rédaction définitive, en tout cas à un jongleur professionnel visant un but proprement littéraire.

Mais pour se rendre compte des conditions dans lesquelles cette œuvre se présente à la critique moderne, il importe de savoir comment et sous quelle forme elle a traversé les siècles. Ainsi que la grande majorité des poèmes en vieil anglais, le Beowulf a été transmis à la postérité en un manuscrit unique, le Codex Vitellius Axv, aujourd’hui déposé au Musée Britannique, et qui faisait partie au 18e siècle du célèbre Fonds Cotton, fortement endommagé par un incendie en 1731. Comme de ces poèmes aussi, il n’en subsiste qu’une version en dialecte anglo-saxon occidental qui paraît transcrite sur un original provenant de l’Anglie. De là bon nombre de termes aux désinences angliennes qui, avec quelques particularités linguistiques du Kent, introduites sans doute par les auteurs de la transcription, détonnent dans un style généralement homogène. Les copistes en question, qui semblent être du 10e siècle, se sont partagé la tâche : l’un d’eux a écrit du commencement de l’œuvre au mot scyran du vers 1939 et l’autre la fin ainsi que le poème de Judith, qui suit le Beowulf dans le Codex Vitellius. C’est au second qu’il faut attribuer le changement de la diphtongue eo en io et l’adoption presque constante de Biowulf, pour le nom du héros dans cette dernière moitié du manuscrit. Enfin il reste dans le texte actuel quelques traces d’un reviseur qui a corrigé de temps à autre le travail des deux scribes.

De ces faits matériels l’on peut tirer quelques conclusions générales. Les formes angliennes laissent supposer que le premier rédacteur du Beowulf sous sa forme définitive, dut être un scop de Northumbrie ou d’Anglie et c’est également ce qu’indique le long épisode de la reine Thrytho, renfermant l’éloge d’Offa Ier, ancêtre des rois d’Anglie, seul lien apparent entre une matière purement scandinave et les tribus anglo-saxonnes auxquelles s'adressait le poète. De plus, maints détails de grammaire et de syntaxe, qui apparaissent dans le manuscrit transposé en anglo-saxon occidental, marquent un état plutôt archaïque de la langue et apparentent nettement, sous ce rapport spécial, la vieille épopée aux plus anciennes pièces de vers de la littérature anglaise, telles que les charmes d’origine païenne, le Widsith et le Chant de Deor. D'où il devient probable, a priori, que notre poème héroïque remonte à l’époque qui vit se constituer et s’affermir les premiers grands royaumes de souche germanique sur la côte orientale de l’Angleterre et que la date approximative de sa composition pourrait se placer aux environs de l’an 700 de notre ère. Date qui s’applique, cela va sans dire, à la seule apparition de l’œuvre en tant que cantilènes isolées et éparses, tandis que leur réunion en un même corps de poésie devrait être attribuée à une période postérieure.

Si maintenant on examine le Beowulf en soi, au point de vue de la matière, il apparaît, tel que l’ont montré Mullenhoff et ses émules, comme un amalgame comprenant un nombre variable de récits. Ces critiques allemands, entraînés par l’exemple de Fr. A. Wolf, qui, vers 1795, dépeça l’Iliade et l’Odyssée et en assigna les débris à une multitude de rhapsodes inconnus, voient partout dans l’épopée anglo-saxonne des redites, des raccords et des interpolations, et sacrifieraient à leurs scrupules les deux tiers de l’ouvrage. Chacun d’eux, à son tour, voudrait accroître la liste des chantres primitifs auxquels seraient dus les principaux fragments, et le tout disparaîtrait sous la marqueterie des morceaux ainsi rassemblés. Heureusement que les plus fougueux partisans de la théorie des auteurs multiples se sont petit à petit assagis et se contentent depuis quelque temps d'hypothèses moins extrava­gantes. De nos jours, les érudits semblent admettre que si l'on fait abstraction de courts passages peu importants, le fond du poème se compose de trois, ou plutôt même de deux, grandes divisions bien nettes ayant eu probablement une origine distincte et dont l’indépendance foncière ressort encore clairement à la lecture du manuscrit actuel.

C’est d’ailleurs ce que met en évidence une analyse critique de son contenu. Le Beowulf commence par un éloge des rois de Danemark et par l’histoire sommaire des premiers souverains de ce pays. De là, le poète arrive au règne de Hrothgar et à la construction dans sa capitale — que l'on s’accorde aujourd'hui à situer non loin de Lejre, dans l’île de Seeland — d’une haute salle décorée de bois de cerfs et appelée pour cette raison le Heorot. Le roi ne jouit pas longtemps en paix avec ses preux du superbe bâtiment. Un monstre du nom de Grendel, habitant avec sa mère les marécages voisins, vient de nuit y assaillir les Danois et emporter des victimes qu’il dévore dans son repaire. Les conseillers du chef cherchent en vain un remède à leurs maux et plusieurs années se passent pleines de deuils et d’affreuse tristesse. C’est alors qu’un jeune noble géate, Beowulf, dont le père Ecgtheow eut jadis à se louer des bons offices de Hrothgar, entend parler de son infortune et se décide à lui porter secours. Il s’embarque au Sud de la péninsule scandinave avec quatorze braves du Gotland, et après une traversée de vingt-quatre heures atteint le littoral danois. Un gardien de la côte les arrête et les interroge. Instruit de leurs projets amicaux, il les met en bonne voie et la petite troupe se présente au Heorot. Là, le souverain les reçoit avec gracieuseté et ils prennent part à un banquet au cours duquel Unferth, l’ora­teur attitré de Hrothgar, raille Beowulf qui serait incapable d’af­fronter le monstre puisqu’il a autrefois échoué dans une lutte à la nage contre Breca. Il provoque de la part du héros un démenti formel et une riposte foudroyante. Après le festin, le roi se retire et Beowulf, entouré de ses compagnons, attend l’ennemi. Le monstre survient et engloutit Hondscio. Mais le preux géate le saisit par le bras et Grendel n’échappe à son étreinte qu'en laissant entre ses mains le membre arraché à l’épaule. Le lendemain, Hrothgar, tout joyeux, félicite son hôte et le comble de présents.

Mais cette première aventure est à peine terminée qu’une autre lui succède. Pendant la nuit qui a suivi cette victoire, la mère de Grendel, brûlant de venger son fils, s’est rendue au Heorot et, n'y trouvant pas le noble géate, a tué Aeschere, principal conseiller du roi. Très affligé de cette perte, Hrothgar mande en hâte Beowulf, qui s’engage à poursuivre l’ogresse dans sa retraite. Danois et Géates réunis l’accompagnent jusqu’au bord du golfe ombragé d’arbres sinistres et hanté de bêtes étranges, qui sert de refuge aux monstres. Beowulf fait ses dernières recommandations pour le cas où il ne reviendrait plus et plonge résolument au fond du gouffre. Son armure le protège contre mainte attaque sournoise, mais son adversaire s’avance au devant de lui et l’entraîne dans une caverne sous-marine, dont le sol est à sec hors de portée des vagues. Pendant le duel qui s’engage, son épée lui refuse tout service et il va succomber, quand il parvient à saisir un vieux glaive magique suspendu au mur et grâce auquel il abat son ennemie. Avant de rejoindre les siens, il aperçoit près de lui le cadavre de Grendel dont il tranche la tête pour l’emporter en guise de trophée. Puis il remonte à la surface de l’eau. Seuls, les preux géates, confiants en sa victoire, l’ont attendu. Ils l’escortent derechef à la capitale, où Hrothgar fait une réception magnifique au héros qu’il récompense libéralement et félicite en public. Beowulf prend congé de lui pour rentrer dans son pays. Son oncle Hygelac l’y accueille avec joie, et il lui raconte en détail ses exploits.

Nous sommes ici à un nouveau tournant de l'histoire. En quelques vers le poète nous apprend la mort du roi Hygelac au cours d’une expédition malheureuse contre les Frisons, l’avènement au trône de son fils Heardred qui, peu après, périt à son tour en combattant une invasion venue de la Suède, et l’arrivée au pouvoir de Beowulf. Celui-ci, honoré et craint de tous, règne depuis un demi-siècle, lorsqu’un événement imprévu se produit. Non loin de la résidence royale un esclave fugitif découvre un trésor amassé par des preux d’une époque lointaine et que garde un dragon. Il en dérobe une coupe précieuse qu’il porte à son seigneur pour obtenir son pardon. Furieux de ce vol, le dragon dévaste toute la contrée. Beowulf, muni d’un bouclier en fer, se dispose à livrer combat au monstre. Mais onze guerriers de sa suite l’abandonnent lâchement et seul le douzième, son jeune parent Wiglaf, reste à ses côtés. Les deux champions abattent le reptile, mais auparavant, de ses dents venimeuses, il a blessé à mort le roi. Celui-ci, sentant que sa fin approche, rappelle tristement ses souvenirs de jeunesse et demande qu’on étale sous ses yeux le trésor qu'il a conquis et qu'il devra payer de sa vie. Puis il remet son collier à Wiglaf en ajoutant qu’il veut être enterré au sommet d’un promontoire d’où son tertre funéraire servira de point de repère aux marins. Après un dernier adieu, il meurt. Le chef ami qui le veille prive de leurs droits héréditaires les vassaux poltrons qui ont fui à l’heure du danger et fait exécuter les ordres du maître disparu. Enfin, un héraut annonce au peuple la pénible nouvelle en exprimant ses appréhensions au sujet d’une attaque de la part des Francs ou des Suédois, et Wiglaf préside aux obsèques solennelles du héros national.

Il nous faut noter, en outre, dans l’analyse du poème, un certain nombre d’épisodes ajoutés çà et là et provenant de cycles légendaire qui devaient être bien connus de l’auditoire habituel du scop. Tels sont la cantilène sur le roi Finn et sa fin tragique, chantée au banquet par le ménestrel de Hrothgar (Beowulf, v. 1068-1159), et qui rappelle le fragment du Combat de Finnsburg, dont il a été question plus haut, la saga sur Sigemund et le dragon (Beowulf, v. 871-900), le passage où Hrothgar fait allusion au tyran Heremod, son ancêtre (id., v. 1709-1722), et celui qui traite en quelques vers d’Eormanric, l’odieux despote des Ostrogoths, et du vol, par Hama, du célèbre collier des Brisings ayant appartenu à la déesse Freya (id., v. 1197-1201). Relevons encore le contraste établi entre la douce Hygd, épouse de Hygelac, et l’orgueilleuse Thrytho que put seul dompter son mari Offa Ier, roi des Angles continentaux (id., v. 1931-1962), et les indications un peu vagues fournies sur la lutte entre les Géates et les Suédois, ainsi que sur le raid avorté de Hygelac contre les Frisons (id., v. 2354-2390 et v. 2922-2998). Ces différents morceaux, qui forment à proprement parler des hors-d’œuvre dans l’ensemble, sont autant de fenêtres, en quelque sorte, par lesquelles le regard plonge dans la masse confuse des mythes germaniques et qui relient le Beowulf aux essais d’épopée nés vers la même époque ou plus tard en Angleterre et en Allemagne. Mais étroitement unis au développement d’une action continue et à la peinture d’un caractère de chef unique et idéal, ces épisodes ajoutent de la variété à la narration héroïque.

L’ouvrage ainsi constitué d’éléments divers, mais fondus en un seul tout, comment s’est-il présenté aux contemporains de l’adaptateur définitif ? Ici les avis diffèrent suivant le point de vue des critiques. Pour les uns, le Beowulf ne serait que la continuation ou l’amplification de fragments poétiques que des bardes errants colportaient d’une cour anglo-saxonne à une autre, et qu’ils déclamaient en s’accompagnant d’une mélopée fort simple où la note musicale venait à point nommé renforcer le sens du vers et rehausser l’impression tragique. Pour les autres, il s’agit vraiment non d’un air plus ou moins modulé par les sons d’une harpe grossière, mais d’un poème de longue haleine dû à un auteur déjà cultivé. Il l’aura confié à l’écriture dans le scriptorium de quelque monastère pour édifier et délecter des auditoires variés auxquels un interprète instruit était chargé de le réciter. Le Beowulf lui-même, dit-on, confirme la première de ces deux hypothèses, puisqu’il nous laisse voir le scop moitié musicien, moitié conteur, qui charme une assemblée de guerriers en chantant des légendes du temps passé. Mais il convient de remarquer que les chants ainsi répétés sont invariablement fort courts et correspondent plutôt aux vieilles cantilènes d’inspiration lyrique et passionnée. L’épopée qui les reproduit n’a plus ce caractère. Par son ampleur même — plus de trois mille vers — elle se prête mal à la déclamation rythmée, tandis que son développement logique et calme, ses sages aphorismes et ses appels à la réflexion semblent réclamer soit un jongleur récitant l’ouvrage en plusieurs séances consécutives après une étude qu’il en ferait à tête reposée, soit un lecteur parcourant un manuscrit pour son seul plaisir.


Les éléments païens du “Beowulf”


Quant à la trame même de l’épopée, elle comporte un singulier mélange d’apports bien différents par leur âge et leur nature. Les plus anciens remontent à une époque fort reculée et incontestablement païenne. Pour qui les considère d’un peu près, ils rappellent les conditions dont Tacite parle dans le De Moribus Germanorum comme prévalant chez les Teutons au premier siècle de notre ère. L’on y retrouve en effet, tant chez les Géates que chez les Frisons, la coutume de l’incinération des morts, qui cessa plus tard après un contact assez prolongé avec les Romains et dès avant l’introduction du christianisme. Ce changement, du reste, semble s’annoncer dans le Beowulf car l’ancêtre des rois danois, dont les obsèques navales ouvrent le poème, est simplement livré aux flots sur un navire chargé de trésors, sans que l’embarcation soit au préalable incendiée, et jamais il n’y est question de bûchers funéraires au Danemark, d’où cet usage préhistorique paraît avoir déjà disparu. Un autre détail conforme à ce que rapporte l’historien latin est l’étroit lien de parenté existant entre un oncle et le fils de sa sœur, curieux vestige d’un état de choses où l’héritage se transmettait dans la ligne de descendance féminine et où une femme, qui était de droit prêtresse de la divinité nationale, exerçait une réelle souveraineté sur toute la tribu. Voilà qui explique les rapports existant entre le roi Hrothgar et son neveu Hrothulf, à qui Wealtheow recommande ses deux jeunes fils au cas où le père et la mère viendraient à leur être enlevés. C’est aussi ce qui justifie la reine Hygd, quand, à la mort d’Hygelac, elle offre le trône à Beowulf, au détriment d’Heardred, que son cousin se refuse à évincer. Et c’est là peut-être la raison première et atavique du rôle prestigieux joué par les femmes dans la société que nous dépeint le scop.

Par contre, si la préhistoire se continue en certaines coutumes que décrit l’œuvre épique, le paganisme lui-même ne se manifeste dans le Beowulf que par des traces parfois difficiles à reconnaître. Il est évident que le rédacteur anglo-saxon ou bien ne s’en est pas douté ou qu’il a pris soin de le dissimuler, ce qui s’accorderait d’ailleurs avec cette teinture de christianisme qu’il s’est efforcé de donner à l’ensemble. Mais les débris épars des vieilles croyances païennes n’en sont que plus significatifs et que plus précieux à recueillir pour qui veut s’assurer de l’antiquité des traditions à la base des sagas dont l’auteur définitif s’est inspiré. L’un des plus curieux se rattache à la prédilection des guerriers pour des casques pourvus d’images de sangliers. Beowulf et ses compagnons s’en recouvrent (Beowulf, v. 303-305, 1111-1112 et 1448-1454), et le premier texte dit expressément : « Le verrat faisait garde », indiquant par là que l’homme ainsi équipé se place sous la protection de Freyr, divinité adorée jadis par les tribus voisines de la Baltique et de la mer du Nord. C’est aussi ce qu’implique l’étendard à la hure de sanglier dont Hrothgar récompense le vainqueur des monstres (Beowulf, v. 2152). Enfin, c’est une déesse bien connue que rappelle le fameux collier des Brisings dérobé par Hama (ou Heime, dans la tradition allemande) et qui avait appartenu à Freya (id., v. 1197-1201). Le titre de bealdor ou prince, attribué aux chefs des Géates et à eux seuls (id., v. 2428, 2567), provient sûrement du culte de Balder, pratiqué dans la Suède méridionale, comme le surnom patronymique d’Ingwine (amis d’Ing), donné aux Danois, de celui d’un ancêtre divin dont le souvenir s’était effacé avec le temps. D’après le critique Sarrazin, quand il est question, à propos du meurtre involontaire d’Herebeald commis par son frère Haethcyn, du supplice de la pendaison (id., v. 2444-2448), il faudrait voir dans ces vers une allusion voilée aux rites du dieu Odin, que l’on honorait à Upsala en lui offrant des victimes suspendues vivantes aux arbres de son bois sacré. Enfin le poète reconnaît formellement l’existence de sanctuaires d’idoles que consultent en vain les conseillers de Hrothgar, mais il n’en parle que pour les condamner (id., v. 175-182).

Cette réticence s’explique de la part d’un reviseur chrétien et peut-être rattaché à quelque monastère anglo-saxon. Elle ne semble pas prévaloir au même point chez lui lorsqu’il s’agit seulement de mythes plus ou moins vagues dont la signification religieuse s’était perdue. Tel est le cas dès le début du Beowulf, où l’histoire du fondateur de la dynastie danoise, Scyld, fils de Scef (l’enfant du bouclier et l’enfant de la gerbe), n’est sans doute qu’une déformation de quelque légende primitive se rapportant aux origines lointaines de l’agriculture. Du même cycle de croyances naïves relèvent la foi aux armes ensorcelées, telles que l’épée dont le héros géate s’empare dans la caverne sous-marine, et à la magie qui protège contre les atteintes du fer les êtres surnaturels du poème, Grendel et sa mère (id., v. 804-5 et 1523), ou bien encore la superstition du mauvais œil (l’invidia des Latins et la jettatura des Italiens) qui tarit en un instant les forces de la vie (id., v. 1760). Enfin la vieille épopée conserve des ressouvenirs confus du Panthéon germanique dans la mention du forgeron divin, Weland (id., v. 452-455), qui a tissé la cotte de mailles du vainqueur des monstres, et dans celle de Wyrd, que le barde confond le plus souvent, de propos délibéré, avec la Providence (id., v. 1055-1058), alors qu’en réalité c’est une personnification du destin auquel l’homme ne saurait résister. Et sans qu’il soit possible de préciser les détails absolument étrangers au christianisme, notons combien les obsèques de Beowulf, au cours desquelles pourtant le nom des dieux païens n’est pas une seule fois prononcé, se rapprochent des cérémonies du paganisme, des funérailles d’Achille dans l’Iliade et de celles du roi des Huns, Attila, à l’époque de l’invasion des barbares qui se partagèrent les débris de l’empire romain. Il plane en effet sur la fin de l’œuvre épique comme une atmosphère de temps préhistoriques que toute la vigilance du diascévaste définitif n’a pas pu dissiper.

En vue d’expliquer cet ensemble de récits légendaires, l’on eut recours, au siècle dernier, à la théorie des mythes naturels. Le Beowulf, pour la plupart des critiques qui cherchèrent à en comprendre les procédés de composition, proviendrait simplement d’une série de symboles fort anciens exprimant sous une forme imagée la lutte victorieuse du printemps contre les frimas hivernaux et plus tard le retour offensif du froid auquel, malgré son charme et sa force, l’automne doit succomber. À quelques détails près, c’est là presque toujours l’interprétation classique du sujet de la première épopée anglo-saxonne, et Gr. Sarrazin l’adopte également à la fin de l’étude savante qu’il en a faite dans ses Beowulfstudien[2]. L’inconvénient de cette méthode d’exégèse, mise en vogue pour les poèmes primitifs par le sanscritiste Max Muller, c’est de s’adapter indifféremment à des œuvres quelconques et de se prêter aux combinaisons les plus invraisemblables. On prétend s’en servir comme d’une clef passe-partout pour les ouvrages les plus divers d’esprit et de facture. Mais on ne prouve rien en voulant trop prouver, et les solutions universelles deviennent suspectes par leur universalité même. Aussi nous parait-il plus plausible d’admettre, avec le critique Panzer[3], que, loin d’être un pur mythe solaire, le Beowulf se rattache au folklore primitif si répandu chez les peuples à demi-civilisés. Le héros relèverait alors non d’un symbolisme vague et enfantin, mais d’une de ces vieilles légendes déjà en faveur avant la naissance de l’histoire proprement dite et qui se retrouvent dans les contes de Perrault et dans d’autres récits populaires. Il appartiendrait à la catégorie bien connue des dompteurs de bêtes monstrueuses qui, dédaignés pendant leur jeunesse, se révèlent plus tard au monde étonné avec le prestige d’une vigueur surhumaine et d’une sagesse merveilleuse et grâce à des coups d’éclat qui confondent leurs détracteurs. En d’autres termes, il fait partie de la lignée de l’Hercule grec qui abattit l’hydre de Lerne, de Persée vainqueur de Méduse et sauveur d’Andromède, de Saint Georges de Cappadoce qui transperça le dragon, et se rapprocherait enfin de ce Jean l’Ours — le nom d’ours n’a-t-il pas été proposé comme la traduction exacte du nom de Beowulf ? — dont ma mère l’Oie et ses émules vantaient les exploits aux paysans de nos campagnes. Et par là l’œuvre épique qui ouvre la littérature anglaise prend un recul extraordinaire et nous reporte bien au-delà de l’ère chrétienne et même de l’histoire authentique des tribus germaniques primitives.

Il y a comme une confirmation de ces origines lointaines dans le fait que maints détails du récit ramènent le lecteur à une époque de civilisation rudimentaire. C’est ainsi que la mention assez fréquente d'armes et de heaumes bruns (p. ex. : Beowulf, v. 1546, 2578, 2615) dénote probablement l’existence de lames et de plaques anciennes en bronze, telles qu’on en rencontre à partir de l’âge de la pierre polie et avant la découverte des métaux que la nature ne fournit pas à l’état pur. Le fer, dans le poème, paraît d’introduction plus récente, mais il sert aux usages les plus variés, à la fabrication d’épées (Beowulf, v. 673, 802, 892, 1459, 2778), de cottes de mailles (id., v. 671, 2986) et de flèches ou de dards (id., v. 3116), tandis que l’acier, à en juger par les deux endroits où il est cité (id., v. 985 et 1533) reste précieux et rare, apprécié surtout pour sa dureté exceptionnelle. Les méthodes de combat s’accordent avec ces moyens d’attaque primitifs et l’on voit, au vers 2957, le chef suédois Ongentheow, par crainte des forces supérieures de son adversaire Hygelac, se réfugier derrière un de ces remparts de terre qui ont laissé des traces nombreuses en Angleterre et en France sous le nom de Danes’ barrows ou de camps de César. Si l’or est bien connu et représente avant tout la richesse (id., v. 304, 614, 715, 1800, 2414, 2748), alors que le bétail en demeure le principal signe chez Homère, il n’est nulle part question de l’argent[4] que certaines tribus germaniques lui préféraient, au dire de Tacite (De Moribiis Germanorum, ch. V). Notons aussi comme un indice d’antiquité relative, la position de certaines tribus, qui suppose souvent une date antérieure à la migration des barbares. Th. Arnold remarque que les Gifthas, en qui Ettmuller reconnaît, sans doute avec raison, les Gépides de l’histoire, au lieu de résider en Dacie, comme le rapporte Jornandes, sont fixés près des Danois sur les bords de la Baltique. De même les Hugas, qui correspondent aux Chauci de Tacite, habitent le littoral de la mer du Nord (Beowulf, v. 2502, 2914), et les Heathobards, que leur nom apparente aux anciens Longobards ou Lombards, se rencontrent encore dans le voisinage du Danemark (id., v. 2032, 2037), alors que les historiens du 5e siècle les situent sur le cours moyen du Danube. Quoique remontant moins haut dans le passé que les indications relevées ci-dessus, ces détails géographiques nous replacent également en pleine période païenne.

S’il fallait une preuve subsidiaire de l’ancienneté des traditions recueillies dans le Beowulf, l’aspect qu’y revêtent quelques légendes du vieux temps nous la fournirait. De même que, dans le Waldere, le rôle de la femme stimulant le preux au combat est plus conforme à l’idéal primitif des Germains que celui dont la pourvoit le Waltharius, de même la saga de Siegfried et du dragon se présente ici sous des traits plus archaïques que dans les Eddas ou le Nibelungenlied. Dans l’épopée anglo-saxonne, en effet, la défaite du dragon et la conquête du mystérieux trésor sont attribués à Sigemund lui-même — apparemment chef danois — et l’auteur ne lui connaît d’autre enfant que Fitela (le Sinflötli de la Volsunga Saga islandaise). Mais par un phénomène fréquent dans d’autres cycles épiques, tels que ceux de Charlemagne et du roi Arthur, lorsque les populations de la Germanie proprement dite se furent emparées du mythe, le siège du royaume où régnait le vainqueur des monstres fut situé sur le Rhin, à Xanthen, et les exploits de Sigemund furent tranférés à Siegfried, dont on fit son fils. Ajoutons que les noms des personnages principaux prennent dans le Beowulf une forme plus ample qui confirme au point de vue linguistique l’antiquité des données fondamentales du poème. C’est ainsi que chez Saxo Grammaticus et dans les Eddas, les noms de Healfdene et de ses fils Hrothgar et Halga (Beowulf, v. 57, 61) se retrouvent contractés en Halfdan, Hroarr ou Roe, et Halgi. Le neveu de Hrothgar, Hrothulf, devient le célèbre Hrolfr Kraki. Le fils du roi Ohthere de Suède, Eadgils, apparaît comme Athils, et Onela, le frère d’Ohthere, comme Ali. D’autre part, la présence d’éléments plus récents se trahit dans la mention des Mérovingiens (id., v. 2921) et dans le mot même de Danois, inconnu avant le 5e siècle de l’ère chrétienne, qui désigne des peuplades ignorées des premiers historiens de la Germanie.


Les traces d’une civilisation nouvelle.


À côté du fond antique, et sous certains aspects même préhistorique, il convient de signaler les marques d’une civilisation bien plus avancée et relativement récente, si l’on tient compte de la date approximative de composition du Beowulf. À proprement parler, c’est l’apport des adaptateurs successifs et peut-être, plus sûrement encore, du dernier reviseur. Comme les Germains de Tacite, les tribus citées au cours du poème pratiquent l’équitation et connaissent l’usage du cheval en temps de paix et de guerre, bien qu’au combat le coursier soit plutôt réservé au chef et à ses parents (Beowulf, v. 1035-1039, 1399-1402). Alors que leurs ancêtres ne semblent guère avoir eu d’autre arme défensive que le bouclier, ici les princes danois et géates sont revêtus de cottes de mailles pareilles à celles que l’on a découvertes au 19e siècle dans maints tumulus scandinaves. Ils paraissent les avoir adoptées au contact des Celtes, qui furent leurs premiers voisins en Occident, comme ils adoptèrent l’art de construire et d’équiper des navires, lorsqu’ils eurent atteint les rivages de la mer du Nord. Mais c’est aux Romains qu’ils furent redevables de l’écriture, et ce progrès les différencie par exemple nettement des héros homériques, chez qui les documents écrits font entièrement défaut. On sait aujourd'hui que les runes sont une imitation par entailles sur bois des lettres de l’alphabet latin, imitation due à la première rencontre des deux civilisations du Nord et du Midi. Il est vrai qu’elles conservèrent longtemps, ainsi que leur nom l’indique (run voulant dire conseil caché), un sens mystérieux qui se retrouve d'un bout à l'autre du poème, mais elles sont d'un emploi constant lorsqu’il s’agit de nommer le possesseur de quelque épée précieuse (Beowulf, v. 1695-1697). Sous ces divers rapports, les contemporains de Hrothgar l’emportent incontestablement sur les Teutons du siècle de Tacite.

D’autres signes manifestent l’avance accomplie par les héros du Beowulf. Si les routes pavées qu’établirent les légionnaires de Rome les frappent d’étonnement comme l’œuvre d’une race supérieure et étrangère — le mot même de straet (strata), est un emprunt au latin — ils ont une certaine pratique de l’architecture, ainsi qu’en témoigne la construction du Heorot. Ils connaissent aussi la voûte, stanboga (id., v. 2545 et 2718), dont on ne trouve aucune trace à cette époque en Scandinavie et dont ils ont dû apprendre l’usage des peuples du Midi. Le fait qu’il est souvent question de compensation pécuniaire pour meurtre (id., v. 470, 2441) et la mention de trésors, à maintes reprises (id., v. 894, 2193, 2344, 2763-2766), ainsi que de l’attrait d’une grande masse d’or (id., v. 2764-2766), prouvent que le numéraire leur est familier, sans doute grâce au voisinage de la civilisation méditerranéenne. C'est du reste ce que semble indiquer la dérivation latine de termes qui désignent des objets précieux, tels que des plats (discas, id., v. 2775, 3048, venant de discus) ou des aiguières (orcas, id., v. 2760, 3047, venant de urceus). Une conclusion identique ressort de la présence des tapisseries (web aefter waegum, id., v. 995), sur les murs de la grande salle de Hrothgar et de l’emploi d’une ancre (ancor, id., v. 303, 1883, 1918, tiré de ancora) pour fixer les embarcations en rade. Il y a plus. La consommation du vin (win, id., v. 1162, 1233, 1467, imité de vinum), à côté de la bière et de l’hydromel, et la désignation de salle de vin (win-aern, id., v. 654 et win-sele, id., v. 2456), donnée au Heorot, supposent un commerce suivi avec les districts vinicoles du Sud de la Gaule, commerce qu’il est difficile de concevoir entre ces régions et les pays scandinaves. Autant de preuves, au cours du poème épique, d’un apport nouveau et plus récent que celui dont les Anglo-Saxons étaient uniquement redevables à leurs ancêtres lointains.

Certaines coutumes bien différentes de celles que leur avait léguées l’antiquité confirment d’ailleurs notre conjecture. C’est ainsi que le bûcher funéraire a disparu des mœurs du peuple danois dont l’épopée fait plus d’une fois l’éloge et qu’il est remplacé par l’ensevelissement tel que le pratiquaient les Celtes et les Latins[5]. Les institutions de l’État sont aussi plus complexes dans le Beowulf que dans la communauté germanique primitive. L’on remarque par exemple autour du roi Hrothgar un cérémonial inconnu aux chefs du temps d’Arminius. Sa cour comporte un introducteur des étrangers, Wulfgar (id., v. 335-355), un orateur officiel, Unferth (id., v. 1165-1166, 1456), un ménestrel attitré (id., v. 1066-1067) et plusieurs conseillers dont le principal est Aeschere, que la mère de Grendel tue pour venger la mort de son fils (id., v. 171-174 et 1323-1325). Si le chant est en honneur auprès des anciennes peuplades moins civilisées, il semble que la musique elle-même et l’usage des instruments à vent et à cordes se soient considérablement développés depuis le début de l’ère chrétienne. En plus de la trompette et du cor (byme et horn, id., v. 2943 et 1432), il faut noter la harpe (hearpe, id., v. 89, 2107, 2262 et gleo-beam, id., v. 2263) et peut-être une sorte de viole rustique (gomen-wudu, id., v. 1065, 2108) qui, comme la harpe, guidait la voix et soutenait le récitatif du scop. Enfin la conception du rôle de la femme s’est modifiée avec le raffinement de la vie. Loin de pousser à la guerre, suivant l’exemple des Walkyries légendaires ou des contemporaines de Thusnelda, le poète nous la représente contribuant à apaiser les querelles survenues entre tribus voisines (id., v. 2027-2029) et méritant le beau nom de « tisseuse de paix » (freothu-webbe, id., v. 1942) ou de « pacificatrice des peuples » (frithu-sibb folca, id., v. 2017). En contraste avec la rudesse d’autrefois, il y a là un adoucissement général et significatif.

Le progrès des mœurs est donc évident depuis l’époque de l’historien Tacite. Cela ressort non seulement de l’influence modératrice et bienfaisante attribuée au sexe faible, mais de l’atmosphère spéciale à l’épopée tout entière. On le sentira encore mieux, si l’on vient de relire le Combat de Finnsburg et le Waldere. Chez les personnages du Beowulf, et notamment dans la famille du roi Hrothgar et du chef géate qui accourt à son aide, le barde fait ressortir, au même titre que les vertus guerrières, des caractéristiques plus douces et plus humaines. Chez le grand-père de ce dernier, Hrethel, lorsque son fils aîné meurt accidentellement par le fait de son frère Haethcyn, l’affection paternelle se manifeste de la façon la plus touchante sous la forme d’un cœur brisé (id., v. 2460-2469), phénomène inconcevable au temps d’Arminius et de ses émules. La reine Wealtheow montre ses sentiments maternels quand elle recommande, en termes émouvants, ses jeunes garçons à leur cousin Hrothulf (id., v. 1180-1187), et l’amour conjugal apparaît dans le salut qu’elle adresse à Hrothgar (id., v. 1169-1180) et dans la tendresse d’Ingeld pour Freawaru (id., v. 2065) avant la rupture des relations entre Heathobardes et Danois. L’on s’aperçoit à certaines réflexions du poète, au contraste qu’il établit soigneusement entre le tyran Heremod et Beowulf (id., v. 1709-1722), ainsi qu’aux paroles qu’il met sur les lèvres du héros à la veille de disparaître (id., v. 2732-2739), du changement accompli au cours des générations. Il y a comme un idéal nouveau et déjà presque chevaleresque séparant les souverains danois et géates de leurs lointains prédécesseurs uniquement préoccupés de batailles et de pillage. L’on y découvre l’indice évident d’une évolution morale étrangère aux pères de la race, mais qui s’est accentuée avec la fuite des siècles chez les Anglo-Saxons fixés sur les côtes anglaises.


Remaniements chrétiens apportés au poème.


Ces modifications essentielles posent le problème de l’influence chrétienne qui a pu affecter, la rédaction de l’œuvre épique. Pour Mullenhoff et pour la plupart des critiques allemands, il s’agit d’une action tout extérieure et de passages manifestement interpolés qui se détacheraient d’eux-mêmes du texte primitif. Mais on a observé justement que les vers où le christianisme, sous quelque forme que ce soit, a laissé sa marque, sont trop nombreux, et surtout trop uniformément répartis d’un bout à l’autre du Beowulf, pour qu’il soit possible de les écarter de prime abord et sans examen. Sans doute leur présence se révèle le plus souvent par un changement de ton en contraste frappant avec l’esprit et le fond païens qui ont passé des cantilènes dans l’ensemble définitif. On s’en aperçoit de temps en temps à des illogismes curieux, par exemple à la contradiction entre les conseillers de Hrothgar, qui consultent les idoles (Beowulf, v. 175-183) pour conjurer un malheur public, et leur souverain, qui remercie le Dieu unique de sa délivrance (id., v. 925-931), à l’opposition entre la passion de l’or et des trésors attribuée au vainqueur géate et l’amour de la grâce divine qui l’emporte seul chez lui (id., v. 2535-2537 et v. 3074-3075), ou encore à la conception de la Providence, qui, sous certains aspects, se rattache à la mythologie germanique. Mais à tout prendre, l’élément monothéiste et chrétien, loin d’être un simple placage, est un remaniement voulu et conscient qui pénètre jusqu’au tréfonds de l’épopée.

Comme on pouvait s’y attendre, on doit constater dans le Beowulf que le christianisme, tardivement surajouté, a subi plus d’une déformation et s’amalgame sous une forme parfois étrange aux restes déjà signalés de croyances païennes. C’est le cas, nous avons eu l’occasion de l’observer plus haut, de la notion de Wyrd. Primitivement déesse reconnue et redoutée par les guerriers barbares, en tant que personnification du destin inexorable, elle conserve au cours du poème une partie de ses anciens attributs et, par moments, semble y constituer une entité bien distincte. Quand l’auteur dit du roi Hygelac, au vers 1205 : « Wyrd l’enleva » ou des vassaux danois, au vers 477 : « Wyrd les a enlevés dans l’assaut terrible de Grendel », ou que Beowulf mourant s'écrie, aux vers 2814-15 : « Wyrd a emporté tous mes parents vers le sort décrété par là Divinité », il est infiniment probable que nous avons affaire à une conception remontant au paganisme. C’est ce que fait apparaître encore mieux le passage suivant : « Wyrd était… près, qui devait aborder le vieillard, aller trouver le trésor accumulé de l’âme, séparer du corps la vie » (id., v. 2420-2423), où l’image d’une déesse présente et active vient naturellement à l’esprit du lecteur, et cet autre : « il devra advenir de nous au rempart, comme Wyrd le décidera pour nous, le sort de chaque homme » (id., v. 2526-2527), où « sort » traduit le mot metod, ailleurs réservé à Dieu Lui-même. Mais cette antique personnification prend parfois une teinte chrétienne et se transforme insensiblement en Divine Providence, en quelque chose qui rappelle la Hagia Sophia des Byzantins, quand le poète remarque, à propos du roi géate : « s’il… devait… remporter renom à la bataille, comme la Destinée ne le lui attribua pas » (id., v. 2573-2575). Ou bien encore il subordonne nettement le vieux Fatum au Créateur, en disant « la Destinée les a enlevés dans l’assaut terrible de Grendel. Mais sans peine Dieu peut arrêter dans ses méfaits ce meurtrier insensé » (id., v. 477-479) et en déclarant que le monstre aurait fait bien plus de victimes, « si le Dieu sage et l’humeur courageuse de cet homme n’avaient écarté la destinée » (id., v. 1056-1057). Et par un phénomène connexe mais inverse, certains détails de l’Histoire Sainte se prêtent dans l’épopée à une interprétation païenne. Tel est le cas lorsque le scop attribue à Grendel et à sa mère une généalogie légendaire. D’après lui, ils seraient les descendants de Caïn (id., v. 1258-1265) et se rattacheraient à la race des géants nés, suivant le chapitre 6 de la Genèse, du commerce entre les fils de Dieu et les filles des hommes (id., v. 102-110). Nous assistons ici à la formation d’une fable nouvelle où les données de la Bible se greffent sur celles que fournissaient les vieilles croyances germaniques. Les commentateurs juifs et latins des textes sacrés ont pu contribuer à ces étranges notions. Mais il n’en reste pas moins vraisemblable qu’elles continuent certaines traditions ancestrales dont la persistance a favorisé l’éclosion de mythes d’apparence chrétienne.

Au reste, à cette époque lointaine où la doctrine du Christ vient à peine d’atteindre la côte occidentale de l’Angleterre, et notamment le royaume de Mercie qu’elle met longtemps à conquérir, on ne saurait s’étonner qu’elle apparaisse chez les premiers ménestrels avec un caractère équivoque et indécis. À ne considérer que les passages déjà signalés du Beowulf, le rédacteur qui les a introduits ne devait posséder que des notions bien imparfaites au sujet des dogmes de l’Église. Le christianisme y est à ce point atténué et réduit que le mot de Sauveur n’y figure pas, même lorsque le scop, avec une insistance marquée, rend hommage à la Divinité (p. ex. : Beowulf, v. 180-183). Il ne semble connaître que l’Ancienne Alliance, la Nouvelle demeure lettre morte pour lui. C’est ainsi qu’il se représente Dieu comme le Seigneur au verbe souverain qui dispose à Son gré de la vie des mortels (id., v. 1725-1727). Il voit en Lui le Juge sans appel des actions humaines (daeda Demend, id., v. 181 et v. 2858-2859)[6], Celui qui s’irrite contre le mal (id., v. 711 et v. 2329-31) et qui condamne le criminel (id., v. 977-979), le seul et vrai Maître de l’Univers (id., v. 1609-1611, l’Éternel (id., v. 1779). C’est le Dieu Saint et Sage (id., v. 685-686 et v. 1552-1555), le Roi Tout-Puissant (id., v. 92, 701-702), le Conservateur de l’Honneur (id., v. 931), Celui qui soutient Ses serviteurs (id., v. 72, 1272-1273, 1658-1664) et leur accorde la victoire (id., v. 2874-2876 et v. 3054-3056). Mais jamais au cours du poème il n’est question de la Trinité, comme au début du fragment de Judith (v. 83-86) qui accompagne le Beowulf dans le manuscrit original, et l’idée même de la rédemption paraît étrangère au poète. Sans doute Mullenhoff a prétendu découvrir aux vers 1745-1747, faisant partie du discours de Hrothgar, une imitation du Nouveau Testament (Éphésiens, ch. VI, v. 16). Mais ce rapprochement ne résiste pas à un examen critique et rien ici ne rappelle en effet quelque écrit de l’âge apostolique. Si le barde anglais avait lu et médité les évangiles et les épîtres de Saint Paul, il en serait resté des traces plus manifestes dans son œuvre, tandis que le vague monothéisme qui ressort de ses vers n’est que l’expression de connaissances chrétiennes bien rudimentaires.

Cela étant, il n’y a pas lieu d’être surpris si ces croyances, dernier apport fait à l’épopée dans son ensemble, n’ont eu qu’une faible influence sur la rédaction définitive. Réduites à un petit nombre de notions abstraites d’origine juive, elles constituent le minimum de ce qu’a pu prendre au christianisme un esprit encore tout pénétré d’idées païennes et pourvu d’une culture très élémentaire. Pas plus que jadis la prédication de l’évêque Ulfilas chez les Goths, elles n’ont réussi à refouler chez l’aède anglo-saxon le farouche amour des combats, le plaisir de la vengeance et le respect instinctif des décisions imposées par la violence. La mentalité d’un peuple à peine civilisé ne se transforme pas ainsi au premier contact avec des vérités nouvelles qui, après plus de treize siècles de diffusion, n’exercent encore, les faits contemporains nous le prouvent, qu’une action bien peu efficace sur telle ou telle nation de race germanique. Ce qui, dans le Beowulf, relève peut-être de l’enseignement des premiers missionnaires, c’est l’appel constant, au cours du récit, à la justice divine (cf. id., v. 1555-1556, 2330, 2738-2739, 3058-3060 et au droit (id., v. 1700-1701, 2056), c’est l’appréciation, chez les personnages principaux du poème, de qualités purement morales, telles que la rectitude et la bonté comme elles apparaissent dans le dernier adieu du héros géate (id., v. 2739-2743) et dans l’éloge que font de lui ses vassaux en deuil, lorsqu’ils proclament qu’il a été « un grand roi du monde, le plus doux des humains et le plus débonnaire aux hommes, le plus aimable pour ses gens et le plus avide de louanges » (id., v. 3180-3182). Peut-être aussi l’influence chrétienne est-elle pour quelque chose dans ce sentiment de la précarité de l’existence et de la force d’âme exigée des meilleurs d’entre les mortels qui enveloppe l’épopée d’une atmosphère toute spéciale. Et s’il en était ainsi, l’on pourrait attribuer pour une part notable au christianisme primitif cette vague mélancolie qui s’empare de l’esprit à la lecture des plus anciennes pièces de vers anglaises.


Comment est né le poème de “Beowulf”.
Hypothèses diverses.


L’épopée dont on vient d’étudier les éléments fondamentaux soulève de nombreuses questions quant à sa composition littéraire. Sa complexité même a donné lieu aux conjectures les plus variées, dès qu’il s’est agi d’expliquer son apparition en vieil anglais. Pour un certain nombre de critiques, le Beowulf, bien qu’écrit en anglo-saxon, relèverait uniquement de quelque œuvre nordique, et sa structure intime comme sa filiation directe le rattacheraient aux plus anciens monuments de la poésie scandinave. Par le fond, il dériverait des cantilènes populaires répandues en Danemark et en Suède, dont un ménestrel anglien ou mercien se serait inspiré. Sa donnée païenne, la forme spéciale des légendes qu’il a redites, les noms qu’il célèbre et qui se retrouvent pour la plupart dans le recueil des mythes islandais en feraient une branche, isolée sans doute à la suite de quelque singulier hasard, mais apparentée à tout l’ensemble des traditions familières aux pays septentrionaux. C’est la thèse que soutenaient au siècle dernier les érudits de Copenhague avec quelques confrères anglais et allemands. L’un de ceux-ci, H. Möller, au cours d’un travail intitulé : « Le Beowulf et les autres fragments de l’épopée populaire en vieil anglais sous leur forme originelle et strophique[7] », alla plus loin que ses prédécesseurs. Il prétendit retrouver dans notre texte la division en quatrains réguliers chère aux Eddas poétiques dont ce texte ne serait dès lors qu’une imitation étrangère anticipée. Thèse ingénieuse, mais des plus sujettes à caution. L’on remarque que la répartition en quatrains, souvent fort arbitraire, entraîne de multiples difficultés et que la pratique de l’enjambement, si constante chez le scop du Beowulf, la contredit formellement. Enfin, les traces relevées plus haut d’une civilisation déjà raffinée et de mœurs plus douces, dont rien ne laisse soupçonner l’existence chez les Vikings du 8e siècle de l’ère chrétienne, ne permettent pas d’adopter la solution un peu simpliste qui vient d’être exposée.

L’hypothèse d’une provenance entièrement scandinave ne pouvait que conduire à l’idée d’une traduction intégrale. C’est à cette conception que se rallie Gregor Sarrasin, l’un des critiques qui ont le mieux étudié le Beowulf. Après avoir établi que le fond du poème est dû sans doute au Danemark et à la Suède et que certains éléments linguistiques en paraissaient empruntés aux idiomes du Nord, il s’est demandé si l’original, qui aurait servi de modèle à l’aède anglais, n’était pas, non une série de cantilènes primitives, mais une œuvre proprement littéraire rédigée en langue danoise. Une fois entré dans cette voie, il devait lui être relativement facile de découvrir l’auteur probable de l’original ainsi compris. Et c’est ce qui arrive en effet. Il finit par l’attribuer sans trop d’hésitation « à un Thul ou Skalde, comme il appert de la forme artistique de la composition et des nombreux kenningar (ou composés métaphoriques), mais surtout des exhortations à la générosité faites en passant »[8]. Et comme il nous est parvenu quelques noms de ménestrels de ces temps éloignés, il rattache de confiance à l’un d’entre eux son premier Beowulf dont il dit qu’il a « sans doute été composé ou refondu par le skalde Starkad vers l’an 700 à la cour du souverain danois Ingeld, à Lethra »[9]. Conjecture curieuse, sinon intéressante, car l’on ignore absolument si le poème anglais dépend d’un prototype unique et rien ne le prouve. L’on ne sait pas non plus avec certitude si le célèbre Starkad a existé, et ce personnage nébuleux semble appartenir à la légende plutôt qu’à l’histoire. Enfin, rien n’indique qu’il ait chanté le chef géate vainqueur de Grendel et l’épopée anglo-saxonne porte trop de marques d’une civilisation avancée et née en Angleterre pour qu’elle puisse être une simple copie d’un ouvrage d’outre-mer.

Une autre théorie plus plausible fait du vieux poème épique un assemblage artificiel de divers fragments empruntés à des cantilènes populaires. Mais les conclusions de Mullenhoff, qui voulut y voir l’œuvre de chantres multiples, ne trouve plus guère créance auprès de la critique moderne. Elle se heurte à l’objection que l’on a affaire à une épopée pourvue d’une unité réelle et que les procédés de style et de versification sont identiques dans les diverses parties du récit. Au lieu du manteau d’Arlequin auquel aboutit la méthode des interpolations et des apports variés, l’érudition la plus récente nous met en présence d’un ensemble harmonieux formé tout au plus de trois ou de quatre divisions principales, indépendantes à l’origine les unes des autres : le combat de Beowulf et de Grendel, la lutte avec la mère du monstre, le retour au pays des Géates et la victoire sur le dragon. Encore faut-il remarquer que le duel avec Grendel se soude tout naturellement au duel entre Beowulf et le monstre femelle, et que le retour du vainqueur dans sa patrie se rattache avec beaucoup de vraisemblance au premier des deux morceaux qui l’encadrent. Il resterait en définitive une dichotomie réelle marquée au vers 2200, mais sans qu’il puisse en aucun cas être question d’une simple juxtaposition. La charpente épique de l’œuvre anglo-saxonne constitue une masse uniforme et solide où les épisodes sont strictement subordonnés à un même plan et où le caractère ferme et net des personnages essentiels trahit, tout autant que la facture homogène, le dessein bien conçu et proprement littéraire qu’il serait difficile de ne pas attribuer à un seul auteur.

Une pareille constatation devait conduire à l’hypothèse d’un diascévaste ou d’un reviseur responsable du poème sous la forme où il nous a été transmis. Cette hypothèse peut du reste s’accorder avec les précédentes en ce sens que chacune d’elles contiendrait une part de vérité. L’on conçoit en effet sans peine qu’un ménestrel entreprenant, qui serait allé en Danemark ou qui aurait recueilli d’une bouche danoise les légendes au sujet de Beowulf, ait songé à s’en inspirer pour charmer des auditoires angliens ou merciens ayant conservé des relations avec les pays d’outre-mer et disposés par une certaine communauté d’origine à se complaire aux cantilènes populaires germaniques du continent voisin. Intéressé, semble-t-il, d’une façon spéciale par l’élément merveilleux qu'il retrouvait dans les traditions ancestrales, il se serait engoué des combats du chef géate contre des adversaires surnaturels, et c’est ainsi qu’il aurait cherché à fondre en une même narration les aventures du héros aux prises avec deux monstres, mâle et femelle et plus tard avec un dragon. Toutefois, subissant malgré lui l’influence d’un milieu plus civilisé et déjà moins crédule, il aurait été amené à atténuer les invraisemblances des anciens mythes. Pour lui, Grendel et sa mère, bien que garantis contre l’atteinte des épées par des arts magiques, ne sont que des mortels d’une taille extraordinaire, mais vulnérables et destinés à succomber. Quant au dragon, malgré les flammes dont il s'entoure, il suffit d’un bouclier en fer pour l’affronter avec succès et, pour le tuer, d’un coup adroitement porté au ventre, où les écailles ne le protègent pas contre l’assaut meurtrier (Beowulf, v. 2699-2700). Ajoutons que les portraits, si minutieusement tracés, de Hrothgar, d’Hygelac et de son neveu impliquent une habileté considérable dans l’art de concevoir des caractères et supposent un poète expert comme dernier auteur de l’épopée.

Aussi comprend-on que certains érudits aient voulu découvrir le nom du barde anglais qui nous a laissé ce beau récit épique. Après avoir attribué l’œuvre originale au skalde danois Starkad, Sarrazin se devait de lui trouver un traducteur digne de figurer à ses côtés. Il n’y manque pas et désigne Cynewulf. Selon lui, il nous faut admettre chez l’ultime reviseur la connaissance de l’ancienne langue poétique du Nord et c’est ce qu’il remarque chez Cynewulf, puisqu’il relève à la fois chez celui-ci et dans le Beowulf des vocables isolés et des mots composés d'origine nordique, la postposition de l’article et de la préposition et mainte particularité de syntaxe scandinave. Ce sont là en effet des coïncidences curieuses, mais sont-elles bien probantes ? À supposer même que Sarrazin n’ait pas exagéré la portée de ressemblances fortuites (et ne serait-ce pas ici le cas ?) n’a-t-il pas pris pour une caractéristique frappante du vieux scop une série de traits communs a toute l’épopée anglo-saxonne ? Et n’est-il pas naturel de croire qu’un poème de l’importance du Beowulf a dû influer fortement, au point de vue de la langue et du vers, sur les poèmes héroïques qui lui ont succédé ? D’autres considérations encore empêchent de s’arrêter à l’hypothèse du critique allemand. Cynewulf, tel qu’il s’est révélé dans ses écrits, est un barde d’inspiration foncièrement chrétienne. Ses poèmes authentiques sont empruntés à la tradition ecclésiastique et contiennent à maintes reprises l’affirmation de sa foi. Se pourrait-il qu’il eût choisi un sujet presque païen et que, par surcroît, l’ayant choisi, il n’y eût pas laissé la marque incontestable de ses croyances ? Que vénérant la croix du Sauveur au point d’en avoir chanté la découverte par Sainte Hélène, mère de l’empereur Constantin, il ne l’eût pas mentionnée une seule fois dans son récit épique et que le christianisme du Beowulf demeurât absolument incolore et à vrai dire méconnaissable ? La chose ne parait guère admissible. Et s’il en est ainsi, l’hypothèse d'une traduction, si peu probable en soi, devient tout à fait douteuse dès que le traducteur doit s’appeler Cynewulf.

Une autre conjecture moins audacieuse et moins tranchante, faite avec toutes les réserves que comporte l’obscurité de la question, est celle de M. Thomas Arnold[10] dans ses « Notes sur le Beowulf ». Il remarque que des sagas en dialecte danois ou géate avaient sans doute cours en pays scandinaves au 7e siècle de notre ère et que celles sur Hrothgar, sur Hygelac et son illustre neveu devaient être parmi les plus aimées et les plus répandues. C’est précisément à la fin de cette période que des missionnaires partis des côtes orientales de l’Angleterre ont débarqué chez les Frisons et en Danemark, pour convertir les païens du littoral. L’un des missionnaires anglo-saxons qui aurait entendu réciter telle ou telle de ces cantilènes n’a-t il pas pu s’en servir après son retour en Grande-Bretagne pour charmer les loisirs de ses compatriotes ? M. Arnold convient que ce ne fut certainement pas Cynewulf, dont le style, le ton et les tendances sont bien différents de ceux de la vieille épopée. Mais après avoir donné acte au critique anglais de sa réfutation de l’hypothèse de Sarrazin, ne faut-il pas ajouter que la sienne, quoique plus souple et plus vague, n’en reste pas moins inacceptable pour les raisons exposées plus haut ? Quel est le missionnaire envoyé chez des peuplades barbares par quelque église ou quelque monastère qui se serait contenté de leur emprunter, sans plus, des chants pénétrés de l’esprit du paganisme ? Il aurait été, semble-t-il, offusqué au premier chef par les anciens mythes qu’il se serait efforcé de faire oublier à ses convertis et péniblement affecté de l’absence complète des doctrines chrétiennes qu’il était tenu de leur transmettre. Dès lors, comment croire qu’il eût laissé dans le Beowulf tant d’allusions aux dieux de l’Olympe germanique et qu’il n’y eût pas introduit l’aveu formel de son christianisme ? En bonne logique, il paraît donc difficile d’adopter l’ingénieuse supposition que le savant commentateur a émise d’une façon hésitante et comme à titre d’essai.

Mais le problème demeurait trop tentant pour ne pas attirer l’attention de quelque autre génie inventif. L’honneur des lettres anglaises semblait exiger que l’on pût nommer l’auteur probable, et non pas seulement le simple traducteur, de la vieille épopée. Ce fut le professeur Earle, de l’Université d’Oxford[11], qui s’en chargea. Au cours de sa version du Beowulf, il avait noté le panégyrique des souverains de l’Anglie impliqué dans un passage relatif au roi Offa et à la reine Thrytho (Beowulf, v. 1931-1962). Tout naturellement, il le transféra à la dynastie régnant vers la fin du 8e siècle sur la côte orientale de l’Angleterre. L’ancienne légende germanique se rattache pour lui, par un lien manifeste, à Offa II, le chef belliqueux qui domina la Mercie de 755 à 796 et qui, peu avant sa mort, conquit le pays des Angles. Or, Offa II avait un fils, Ecgferth, destiné à recueillir sa succession, et M. Earle voit dans notre poème quelque chose comme l’institution d’un prince du sang, une leçon de haute morale à l’adresse de l’héritier d’un trône glorieux. Cette leçon, qui était alors en mesure de la formuler ad usum Delphini sous les espèces d’un chant héroïque où sont exaltées les diverses vertus requises pour bien gouverner un peuple de guerriers ? Question ardue sans doute. Mais servie par une imagination fertile, l’érudition ne saurait être prise en défaut. Ce ne pouvait être qu’un illustre prélat, Hygebehrt, appelé par Offa II à l’archevêché de Lichfield et conseiller intime du monarque. C’est donc lui que le savant critique, non sans quelques réserves prudentes, désigne comme le poète inspiré de la geste anglo-saxonne. Malheureusement il est plus facile de comprendre les hésitations de l’érudit que de se rendre aux arguments souvent spécieux dont il étaye sa conjecture. L’on se demandera toujours comment il n’est rien resté de l’archevêque de Lichfield qu’un ouvrage obstinément anonyme et comment ce haut dignitaire ecclésiastique y aurait laissé des traces si incertaines de la foi nouvelle qu’il avait charge d’enseigner à ses compatriotes.


Données positives fournies par la critique interne du “Beowulf”.


Il est peut-être temps de revenir de cette excursion dans le domaine de l'hypothèse à des faits précis, tels que les donne le texte lui-même. Ces faits sont de deux sortes. Ils fournissent une date inférieure avant laquelle le poème actuel n’a pas pu être composé et une date supérieure après laquelle on ne saurait en placer la conception. L’on trouve chez Grégoire de Tours, au chapitre III du livre III de son Histoire des Francs, la mention d’une incursion par mer du souverain danois[12] Chocilaicus sur le territoire des Attuarii fixés près de l’embouchure du Rhin. Le chef franc Theuderic envoie son fils Theudebert contre les envahisseurs qui sont repoussés, et dont le roi périt sur le champ de bataille. Cet événement se passe entre l’an 515 et l’an 520 après J.-C. Or il est certain, au point de vue de la linguistique, que les Attuarii correspondent aux Hetware et Chocilaicus à l’Hygelac de l’épopée, et qu’il s’agit de l’incident sur lequel le Beowulf insiste à trois reprises différentes (v. 1202-1211, 2354-2366 et 2913-2920). Si l’on considère que le héros géate, au dire du scop, survit à cette expédition désastreuse, qu’il succède éventuellement à son oncle et qu’il règne ensuite pendant cinquante ans, il est évident que l’année 570, et plus exactement sans doute le début du 7e siècle, marque l’époque au-delà de laquelle il est impossible de reculer l’idée première de notre récit épique en tant qu’œuvre littéraire. Et si l’on veut que la légende se forme autour des personnages historiques dont il est question, il faudra sans doute laisser s’écouler au moins un demi-siècle encore. D’autre part, le vers 2921 contient le nom des Merewioingas, c’est-à-dire, comme l’a montré l’érudit danois Grundtvig, celui des Mérovingiens, dont le dernier représentant fut détrôné en 752, et cette mention doit être antérieure à la chute de leur dynastie. Ajoutons que la Chronique Anglo-Saxonne signale dès 787 l’apparition des pirates danois sur les côtes de l’Angleterre, et qu’un chant héroïque destiné à un auditoire anglais et renfermant l’éloge voulu et développé à plaisir de la maison princière du Danemark serait inconcevable à partir de ce moment. La date approximative de composition des cantilènes du Beowulf doit donc être ramenée à la période entre 650 et 750 et vraisemblablement à la première moitié du 8e siècle de notre ère. La langue du poème confirme les données précédentes, s’il est permis de supposer que certains caractères de l’œuvre anglienne primitive se sont conservés dans la transcription en dialecte saxon occidental. Et l’on est en droit de l’admettre quand on constate à quel point la grammaire du Beowulf et son vocabulaire sont demeurés archaïques. Ici, en effet, comme dans le Widsith, qui remonte plus haut encore par la date, certaines particularités grammaticales frappent aussitôt le lecteur. Dans tous les deux, l’article se confond avec le pronom démonstratif dont il dérive et ne paraît guère avoir une existence distincte. Le duel des pronoms personnels reste d’un usage assez fréquent, alors que par la suite il est uniformément écarté en faveur du pluriel, et la déclinaison faible de l’adjectif n’exige pas que celui-ci soit accompagné de l’article défini, comme ce sera le cas dans les pièces de vers ultérieures. En ce qui concerne le verbe, les temps se ramènent surtout à deux formes : le présent et le passé simple. L'auxiliaire avoir commence seulement à donner naissance à des temps composés, le passif construit avec wedrthan ou beon est rare et les auxiliaires du futur ajoutent encore un sens spécial à la phrase. Le vocabulaire également revêt un aspect d’antan, abstraction faite d’ailleurs des emprunts étrangers possibles. L’on observe, par exemple, que bon nombre de termes n’ont pas l’acception figurée qui s’y attachera plus tard. C’est ainsi que dreorig, prototype du dreary moderne, signifie toujours « ensanglanté » (Beowulf, v. 1417, 2789 et cf. v. 935, 1780 et 2720), alors qu’avec le temps et dans les œuvres postérieures il prend la nuance métaphorique de « fâcheux » et « attristé » (p. ex. : The Wanderer, v. 17, dreorigne [hygan], et dreorige on mode dans un sermon d’Aelfric). Et il est curieux de noter que le mot sawol (aujourd’hui soul), où l’idée d’« Âme » perce déjà (voyez Beowulf, v. 184, 1742, 2820), conserve le plus souvent le sens primordial de « vie » (p. ex. : id., v. 801, 852, 2422, et cf. v. 1406, 3033 et surtout v. 2693). La grammaire et la langue témoignent ainsi de l’antiquité relative de la vieille épopée.

La même conclusion ressort d’une étude attentive de la versification du poème. L’unité métrique s’y ramène à un vers long que la césure partage en deux hemistiches reliés entre eux au moyen de l’allitération. Dans chaque hémistiche l’on trouve deux syllabes fortement accentuées dont une au moins allitère avec une syllabe semblable dans l’autre et c’est la première tonique forte du second hémistiche qui détermine l’allitération dans chaque cas particulier. Peuvent allitérer ensemble toutes les voyelles indifféremment et les consonnes identiques, en tenant compte du fait que sc, sp et st constituent des groupes à part dont les deux lettres doivent toujours se répéter. Quant à la disposition dans le mètre des accents forts en question, on peut la résumer comme suit, d’après les lois de Sievers légèrement modifiées par Kaluza. Il y a cinq types principaux d’hémistiches métriques :

1) A D A D[13] : éthel sínne (Beowulf, v. 1960) ;

2) D A D A : this éllen-wéorc (id., v. 2643), qui comporte souvent une ou deux atones initiales non comptées dans la mesure, p. ex. : on swa hwáethere hónd (id., v. 686) ;

3) D A C D : on stéfn stígon (id., v. 212) ;

4) A A C D : gód gúthcyning (id., v. 2563) ;

5) A B D A : wéallinde wáeg (id., v. 2464).

C’est dire que pour l’oreille moderne le rythme descendant du trochée ou du dactyle accentuel prévaut dans le vers anglo-saxon. Mais au point de vue de la date de l’épopée, il importe surtout de remarquer la régularité du mètre qui a fait du Beowulf pour les théoriciens, le modèle et la norme du système allitératif. Car cette régularité même est archaïque, puisqu’une mesure populaire ne s’écarte de sa loi fondamentale qu’après un certain laps de temps. En outre, Sievers a établi que des considérations de métrique exigent en maint endroit le rétablissement dans le texte actuel de formes grammaticales non contractées, telles que doan pour don, doith pour deth, sendeth pour sendth, ce qui nous ramène encore aux origines de la langue. Ainsi l’existence d’une versification autochthone (attendu que ce mètre épique diffère sous plusieurs rapports du vers nordique dont on a voulu le rapprocher) et la correction de son emploi confirment les nombreux témoignages qui nous obligent à reculer fort loin dans le passé l'apparition de la première chanson de geste anglaise.

Une autre caractéristique du Beowulf a frappé les érudits qui se sont occupés de la critique du texte. C’est le fait de l’unité fondamentale que l’on note à travers toute l’étendue du poème. Sarrazin observe que dans les deux principales divisions (du vers 1 à 2200 et du vers 2200 à la fin) les termes essentiels du vocabulaire et les usages grammaticaux demeurent les mêmes et suivent les mêmes lois. Il y a homogénéité parfaite, que l’on étudie les discours prêtés aux personnages de marque, le corps de la narration ou les épisodes qui l’agrémentent. M. Clark Hall[14] a montré également que beaucoup de mots étrangers au reste de la littérature poétique du vieil anglais, mais fréquents dans le Beowulf, se retrouvent dans l’une comme dans l’autre moitié. Il relève par exemple des substantifs tels que hringnet, la cotte de mailles (v. 1889 et 2754), waelraes, l’assaut mortel (v. 824, 2101, 2531, 2947), fethecempa, le fantassin (v. 1544 et 2853), des adjectifs comme eotonisc, gigantesque (v. 1558, 2616, 2979), hindema, dernier (v. 2049 et 2517), fuslic, prêt (v. 232, 1424, 2618), unfaege, non voué à mort (v. 573 et 2291) ou des composés faisant image tels que handgemot, la mêlée (v. 1526 et 2355), leodhryre, la chute d’un prince (v. 2030 et 2391) et guthwine, l’épée ou l’ami de combat (v. 1810 et 2735). Les particularités de grammaire signalées dans un paragraphe précédent, le style disjonctif et saccadé, la tendance à se servir de la litote ou atténuation voulue de la pensée, en disant p. ex. : « Ce ne fut pas un bon échange » (v. 1304) pour « Ce fut un troc funeste » et « Ce ne fut pas un voyage aisé » (v. 2586) pour « Ce voyage fut difficile », ou à écrire sous forme de périphrases courantes « geceas ecne raed (v. 1201), il choisit un gain éternel », et « Godes leoht geceas (v. 2469), il choisit la lumière divine » pour « il mourut » sont communs à l’une et l’autre partie. Et l’allure du mètre épique qui se maintient identique jusqu’en ses moindres variations d’un bout à l’autre de la geste renforce aussi l’impression d’uniformité réelle qui se dégage d’un examen attentif de l’épopée anglo-saxonne.

Mais s’il faut se rendre à l’évidence et reconnaître l’unité profonde manifeste pour qui aborde le Beowulf sans prévention, il est permis de noter un progrès incontestable quand on passe de la première à la seconde partie. Sarrazin avait jadis appelé l’attention sur la différence de ton qui sépare le récit de la lutte contre Grendel de celui du combat livré au dragon, et l’expliquait par la différence qu’il y a entre un chant de victoire et le récit des derniers moments du héros blessé à mort, ou bien entre un écrivain jeune et ardent et ce même écrivain aux approches de la vieillesse. Toutefois, aucun critique ne semble avoir remarqué à quel point ce changement correspond à des modifications réelles et à un sensible perfectionnement du vocabulaire et du style vers la fin du vieux poème épique. Il ne s’agit pas seulement de l’emploi de termes nouveaux ou de απαξ λεγόμευα, dont il existe aussi des exemples dans la première moitié de l’œuvre et que justifierait la diversité des incidents introduits après le vers 2200, mais plutôt de mots appliqués à des objets ou à des concepts déjà exprimés à maintes reprises. Tels sont entre autres des verbes comme bywan, orner (Beowulf, v. 2257) ; behofian, avoir besoin (id., v. 2647) ; gestrienan, acquérir (id., v. 2798) ; abredwian, tuer (id., v. 2619) ; friclan, chercher (id., v. 2556) et swelan, brûler (id., v. 2713), auxquels jusque-là le poète n’avait pas eu recours, des adjectifs d’un usage familier comme dyrstig, audacieux (id., v. 2838) ; thrist-hydig, hardi (id., v. 2810) ; earg, couard (id., v. 2541) ; thyslicu, tel (id., v. 2637) ; getenge, posé (id., v. 2758) ; unfrod, jeune (id., v. 2821) ; welig, riche (id., v. 2607) ; et certains composés originaux comme aerfaeder, ancêtre (id., v. 2622) ; londwara, les gens du pays (id., v. 2321) ; ealond, le littoral (id., v. 2334) ; maegburg, un clan (id., v. 2887) ; hrethsigora, la victoire (id., v. 2583) ; stearc-heort, téméraire (id., v. 2288, 2552) ; windbland, un tourbillon de vent (id., v. 3146) et wollentear, baigné de larmes (id., v. 3032). Il surgit des vocables que l’on dirait d’invention récente, tels que byme, la trompette (id., v. 2943) ; daroth, le javelot (id., v. 2848), auquel Sarrazin attribue une affinité scandinave ; brenting, le vaisseau de haut bord (id., v. 2807), dérivant de brant, haut ; bune, la coupe (id., v. 2775, 3047) ; benn, la blessure (id., v. 2724, et cf., v. 2740 et 2904) ; gaedeling, le parent (id., v. 2617, 2949) ; stefn, la voix (id., v. 2552) ; sioletha, les eaux (id., v. 2367) et strengel, le chef (id., v. 3115). L’on peut apercevoir le développement de la langue au seul fait que les termes abstraits deviennent plus nombreux, p. ex. : cenlhu, la hardiesse (id., v. 2696) ; giohtho, le chagrin (id., v. 2267, 2793, 3095) ; milts, la bonté (id., v. 2921) ; onmedla, l’orgueil (id., v. 2926), que certains termes concrets prennent une acception figurée, comme gealdor, son et enchantement (id., v. 2944, 3052) ; gewitt, intérieur et conscience (id., v. 2703, 2882) ; hothma, obscurité et tombe (id., v. 2458), et que la dérivation multiplie ses produits au moyen des terminaisons ig et lic pour l’adjectif, p. ex. : gewiltig, conscient (id., v. 3094) ; grimlic, farouche (id., v. 3041, à côté de grim, v. 555, 1499, terrible) ; geomorlic, triste (id., v. 2444, auprès de geomor, affligé, v. 49, 1075), dom et end (sur le modèle de Demend, le Juge) pour les substantifs, p. ex. : cynedom, royaume (id., v. 2376) ; feormend, polisseur (id., v. 2256) et wergend, défenseur (id., v. 2882), et ian pour les verbes, comme dans blodgian, tacher de sang (id., v. 2692) ; fandian, découvrir (id., v. 2301 et 2454 à côté de findan, trouver, id., v. 1156, 2294) ; openian, ouvrir (id., v. 3056) et syngian, pécher (id., v. 2441) et fait naître des doublets tels que gen et gena, encore (id., v. 2859 et 2800), ou setl et sess, siège (id., v. 2019 et 2717). Enfin, il est curieux de constater, en vue des influences possibles venues du dehors, que les mots aeled, feu (id., v. 3015) ; elland, terre étrangère (id., v. 3019) et greot, sable (id., v. 3167) trouvent leurs analogues en vieux saxon qui, on le sait, a si fortement marqué de son empreinte la Genèse de l'école caedmonienne. La grammaire de la seconde partie admet des constructions plus variées et, outre le présent et le passé simple, maint exemple de temps composés formés avec les auxiliaires être, avoir et devenir (weorthan), p. ex. : id., v. 2283, 2450 ; v. 2266, 2301, 2321, 2381, 2397 ; v. 2692, 2843, 2962, 2983. Quant au style, il coule mieux dans cette moitié du Beowulf et ne semble plus aussi saccadé. La pensée suit son cours avec moins de heurts et le nombre beaucoup plus restreint des « lors » (tha) indique que le poète sait désormais exposer son sujet d’une façon plus régulière et plus logique. Il y a donc sous tous ces rapports une évolution heureuse et très apparente, dans la vieille épopée, de ses débuts à son dénouement.

Conclusion.


De ces diverses constatations un premier fait ressort clairement, c’est que, pour le fond même du récit, le Beowulf est de provenance nordique. Il tire son origine de ces pays scandinaves qui, à l’aube du moyen-âge, reçurent le dépôt du patrimoine traditionnel de la race, qui transmirent aux tribus germaniques d’alentour leurs légendes nationales et qui commencèrent à les répartir en cycles épiques variés. On le reconnaît, dans le cas du vieux poème anglais, à la forme que revêt l’histoire de Sigemund et du dragon, à l’importance que prennent les souverains danois et les chefs géates, à maint détail relatif aux anciennes croyances de la péninsule suédoise et aux luttes entre les peuples qui l’habitent. Chose singulière ! pas une allusion à l’Angleterre ne rappelle aux auditeurs du scop l’île hospitalière où ils se trouvent fixés à demeure. C’est à force de recherches érudites que l’on a découvert dans l’épisode du roi Offa et de sa redoutable épouse un lien fragile entre le Danemark, où se passe une importante partie de l’action, et les royaumes maritimes fondés sur la côte Est de la Grande-Bretagne par les corsaires venus des rivages du continent voisin. Preuve en soi que la trame intime de l’épopée est empruntée au dehors. Et par les noms qu’elle chante, par l’empreinte caractéristique qu’elle impose aux mythes du passé, par les sites où elle laisse surgir les principaux incidents de la narration, cette épopée proclame hautement qu’elle prend sa matière à l’étranger, dans l’ensemble des cantilènes héroïques qui serviront plus tard de base aux différents recueils des Eddas islandaises.

Il est non moins évident par contre que la forme dernière du Beowulf lui est venue, en Anglie ou en Mercie, de la main d’un poète né dans la grande île. Sans parler des traces incontestables de christianisme qu’un Suédois ou un Danois n’aurait pas pu y introduire à pareille époque, la civilisation que l’on y trouve décrite appartient à un type trop avancé pour être, à cette date reculée, la civilisation du Nord germanique. La construction des routes, l’emploi de l’acier, la connaissance de nouveaux instruments de musique, l’usage de tapisseries pour le décor d’une salle de festin, l’apparition du vin à côté de la bière et de l’hydromel témoignent d’un raffinement auquel n’atteignent pas encore les roitelets barbares antérieurs à l’ère des Vikings. La douceur croissante des mœurs publiques, sous l’influence pacificatrice de la femme, le cérémonial déjà compliqué de la cour de Hrothgar ou d’Hygelac, l’énumération, parmi les vertus attribuées aux héros, de l’affabilité, de la mansuétude et de la générosité, s’opposent à ce que l’on sait des anciens Scandinaves, tandis que ces mêmes traits conviennent parfaitement au Mercien Ethelbald, le Bretwalda ou chef suzerain qui régna de 716 à 755 et réunit le Kent, l’Anglie orientale, l’Essex et le Wessex sous son hégémonie, ainsi qu’à ses successeurs. Et la chanson de geste médiévale porte ainsi la marque certaine de la culture anglo-saxonne.

Ce qui, au point de vue du fond, frappe aussi tout lecteur attentif du Beowulf, c’est l’unité réelle qui le distingue. Il est un par son sujet, puisqu'il décrit trois victoires d’un chef géate sur des monstres dévastateurs et apparemment invincibles. Il est un par le caractère du héros principal auquel il doit son nom et qui se maintient sans défaillance semblable à lui-même, conformément au précepte d’Horace : « Servetur ad imum Qualis ab incepto processerit. » Il est un par le style sérieux et plein de dignité qui dédaigne les personnages roturiers et qui ne s’abaisse jamais à la trivialité ou à la plaisanterie. Il est un enfin par la langue et le vers. Celui-ci, d’un bout à l’autre, reste homogène et régulier ; celle-là, jusque dans ses divergences avec la langue des scops ultérieurs, demeure fidèle à son vocabulaire propre et à ses tournures préférées et souvent archaïques. Toutefois cette unité profonde qui se révèle dans la composition de l’œuvre n’exclut pas la diversité de la matière épique prise, comme on l’a vu, tantôt au folk-lore primitif, tantôt à la mythologie des Germains, tantôt à leurs légendes héroïques, tantôt aux usages d'une civilisation nettement anglaise et récente. Et quand elle s’impose ainsi à des apports de provenance variée pour les fondre en un ensemble solidement construit et d’une haute inspiration, elle fournit un argument de grand poids à la théorie d’un diascévaste unique et définitif.

Peut on aller plus loin et fixer le caractère propre de ce dernier reviseur ? Il semble bien que ce soit possible. D'après maints détails de son récit, d’après sa prédilection visible pour des tableaux de fêtes agrémentées de musique et de chant et d’après les descriptions, où il se complaît, de riches trésors et d’objets précieux offerts en cadeau, l’on est en droit de conclure qu’il s’agit d’un ménestrel de profession analogue au Deor d’une des plus anciennes poésies anglaises[15]. Et cette origine expliquerait à son tour ce qu’il y a d'artificiel dans l’œuvre épique. Car le Beowulf sous plus d’un rapport, parait s'adresser à des lecteurs instruits et témoigne d’une rédaction assez soignée. Sa composition trahit une certaine recherche de l’effet et l’on note dans sa langue des phrases de pure convention. C’est ainsi que les Danois sont appelés « Scyldings Victorieux » (Beowulf, v. 597, 2004), lorsqu’ils sont incapables de se défendre contre Grendel et sa mère, et que, suivant la remarque du professeur Ker[16], le dragon et son vainqueur, en vertu d’un lieu commun, quittent tous deux cette « vie éphémère » (id, v. 2845). Parmi les procédés littéraires dont use le poète pour grandir ses personnages, il faut signaler le contraste formel ou implicite entre eux et les types opposés, par exemple entre le noble Beowulf et le farouche Heremod (id., v. 1709-1722), la douce Hygd et l’altière Thrytho (id., v. 1926-1957), le vaillant Wiglaf et les douze poltrons qui s’enfuient à l’heure du danger (id., v. 2596-2629). D’une manière générale, l’auteur met volontiers des monstres toujours muets en face d’hommes souvent très loquaces, de jeunes preux à côté de vieillards, tels Wiglaf et son suzerain octogénaire, Ingeld et le guerrier vétéran, le neveu d’Hygelac et le roi Hrothgar qu’il vient secourir. C’est d’ailleurs avec un art véritable qu’il insiste sur les traits saillants du héros qu’il dépeint et sait en quelques mots brefs et lapidaires tirer la leçon morale d’une situation tragique. Dès lors, quoi d’étonnant si d’aucuns lui prêtent une éducation monastique et la connaissance des chefs-d’œuvre de la littérature romaine ? Le professeur Earle le soupçonne même d’avoir imité, aux vers 1385-1389, l’Enéide, liv. X., v. 467-69, et le De Consolatione, IV, 6, etc., de Boèce aux vers 1056-62, quand il soumet le destin à la sagesse divine et recommande aux humains une clairvoyance avisée. Mais c’est faire trop d’honneur au vieux scop que de transformer une rencontre d’idées sans doute fortuite en preuve d’érudition, et le critique d’Oxford détruit lui-même la portée de son observation, lorsqu’un peu plus tard, à propos du vers 2492, il constate avec surprise combien les épées étincellent peu souvent dans notre poème, alors qu’elles flamboient sans cesse chez Virgile. Ce qui rappellerait plutôt ici les classiques de l’antiquité, ce serait l’emploi de quelques expressions savantes avec leur sens originel, par exemple au vers 1600, non pour la neuvième heure du jour, mil-gemearc (id., v. 1362) pour une mesure d’un mille, et frum-gar (id., v. 2856) pour le chef (ou premier javelot), qui traduirait le primipilus des anciens, ou bien encore les tournures, Wa bith thaem et Wel bith thaem (id., v. 183 et 186), « Malheur à qui », « Bonheur à qui », s’opposant l’une à l’autre comme Male est illi à Bene est illi, ou ealgian under segne (id., v. 1204, et cf. sub signis ire dans César), « défendre sous les drapeaux ». De pareilles coïncidences sont curieuses ; elles sont cependant trop rares et trop peu probantes pour permettre de parler d’une influence latine sur le dernier rédacteur du Beowulf.

On comprend toutefois que cette tentative heureuse dans le domaine épique ait eu une importance considérable pour le futur développement de l’épopée anglo-saxonne. Grâce aux particularités du vocabulaire et à la ressemblance des situations, l’on peut suivre la trace du Beowulf dans l’ensemble des poèmes plus récents. Ce qui leur est commun ainsi qu’à lui, c’est le long vers allitératif soumis aux mêmes règles depuis les débuts lointains jusqu’à la conquête normande, et c’est l’emploi de composés ou de formules honorifiques empruntés à son riche répertoire. Mais outre ces traits généraux, apparents partout ou règne l’inspiration héroïque, il y a lieu de noter une action plus directe et plus forte. Si parmi les chants de l’école caedmonienne, la Genèse ne la montre guère, l’Exode, par contre, est pénétré d’un esprit belliqueux et rappelle à maintes reprises l’ancienne chanson de geste. Entre les compositions dues ou attribuées à Cynewulf, l’Andréas a certainement subi l’influence de son grand prédécesseur en ce qui touche à l’amour de la mer, à l’ardeur martiale et au goût des aventures, et le Guthlac, comme l’Elene, s’en ressent aussi. L’on peut en dire autant plus tard du magnifique fragment de Judith, qui fait suite au Beowulf dans le manuscrit Vitellius Axv du Musée Britannique. Et quand s’achève le 10e siècle de l’ère chrétienne, le beau récit de la Bataille de Maldon[17] qui clôt le cycle parcouru par le genre littéraire dont on a vu l’évolution sommaire, reproduit avec une fidélité étrange certains aspects de la vieille épopée. L’une et l’autre en effet racontent le trépas glorieux d’un chef aimé entre tous, sur le lieu du suprême combat, succombant, là, sans espoir de triompher du destin, écrasé sous le nombre, ici, vainqueur de l’ennemi, mais mortellement blessé. L’une et l’autre décrivent des traîtres qui lâchement abandonnent la lutte, alors que les vassaux restés fidèles au maître se pressent autour de lui et se sacrifient à ses côtés. Et l’un de ceux-ci, Leofsunu, qui reprend à deux cents ans d’intervalle, pour son propre compte, le mot du chef géate refusant de fuir l’espace d’un pied devant le dragon, Nelle ic… oferfleon fotes trem (Beowulf, v. 2525), promet avec une superbe vaillance : « ic heonon nelle Fleon fotes trym (Bataille de Maldon, v. 246-47), je ne veux pas d’ici reculer d’un seul pas ». Ainsi le dernier spécimen d’un chant épique conservé en langue anglo-saxonne et son premier chef-d’œuvre se consacrent chacun à la glorification d’un héros sans peur et sans reproche qui meurt noblement pour défendre sa patrie. Tous deux exaltent la notion du devoir accompli sans hésiter au prix de la vie elle-même, notion qui se retrouve comme le ressort caché des caractères généreux dans les plus sublimes productions de la muse anglaise.

W. Thomas.
  1. Ou plutôt Geraldus de Toul, comme l’ont montré MM. J. Flach et M. Wilmotte dans leurs études récentes de la Revue des Études Historiques et de la Revue Historique.
  2. Gr. Sarrazin, Beowulfstudien, Berlin, 1888.
  3. Voir F. Panzer, Studien zur germanischen Sagengeschichte, I. Beowulf, Munich, 1910.
  4. À moins que l’argent ne soit inclus dans le terme générique de sinc (id., v. 81, 622, 1226) avec d’autres objets de prix.
  5. Toutefois, le poème ne présente aucun exemple d’obsèques danoises, sauf celles du Scyld légendaire.
  6. Il est vrai que cette idée se retrouve surtout dans les Évangiles.
  7. Kiel, 1883.
  8. G. Sarrazin, Beowulfstudien, 1888, p. 91.
  9. Id., p. 107.
  10. Th. Arnold, Notes on Beowulf, London, 1898.
  11. J. Earle, The Deeds of Beowulf, Oxford, 1892.
  12. On comprenait alors volontiers sous le nom de Danois tous les pirates scandinaves.
  13. Une tonique forte et longue est marquée A, une tonique plus faible B, une syllabe douteuse C et une atone brève D.
  14. Beowulf and the Finnsburg Fragment by J. R. Clark Hall, London, 1911.
  15. Voir cette pièce de vers traduite après le Beowulf.
  16. W. P. Ker, The Dark Ages, London, 1904.
  17. Appelée aussi La Mort de Byrhtnoth.