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Bergounioux, un curé réfractaire (Mozac, France - 63)

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Archives communales de Mozac, registre des délibérations du Conseil municipal de 1790
Bergounioux, un curé réfractaire
Matthieu Perona


Lors de la formation de la commune de Mozac en 1790, on garde l’organisation cultuelle en deux paroisses, Saint-Martin (au sud de l’abbaye) et Saint-Paul (au nord). Le curé de l’église Saint-Paul est François Bergounioux. Nous ne savons rien sur son âge, ses qualités, etc., seulement qu’il entre souvent en conflit avec la première municipalité et surtout avec son Procureur général (équivalent au premier Adjoint), Jean-Baptiste Rougier.

François Bergounioux est en effet ce que l’on peut nommer un « curé réfractaire », c’est-à-dire qui « refuse de prêter serment à la constitution civile du clergé en 1790. » De plus, il dédaigne les lois révolutionnaires, et s’oppose toujours à leur exécution.

Nous retrouvons ce portrait d’un curé « incivique » dans le premier registre des délibérations du conseil municipal puisque le Conseil général de la commune (comme on l’appelait à l’époque) se plaint à plusieurs reprises publiquement et avec force de François Bergounioux.

Dès la création de la commune de Mozac, il ne montre pas l’exemple. On attend effectivement des plus hauts dignitaires (le maire, les deux curés, les derniers moines, le conseil général de la commune) le « don patriotique » en premier, pour que la population suive. Ce don patriotique devait permettre de remplir en partie les caisses de l’État et de former le premier budget communal. Bergounioux est le seul à ne pas donner : « Je déclare que mes revenus sont insuffisants pour faire don patriotique, je désirerais avoir pour donner. Le 13 avril 1790. Bergounioux, curé de Saint-Paul de Mozat. » Pourtant deux semaines plus tard, ses revenus deviennent « suffisants », peut-être après avoir subi quelques pressions : « Ne consultant que la générosité de la nation fruit de sa haute sagesse, excité par la libéralité de Monsieur le Maire [Gabriel Mercier], je donne la somme de cent livres. Le 26 avril 1790. Bergounioux, curé de Saint-Paul. » En revanche, le curé de Saint-Martin, Henri Ferrier, n’a pas de mal à faire don patriotique ; le quart de son revenu est même évalué à 40 écus ! Il est étrange que le curé de Saint-Martin soit mieux rémunéré que celui de Saint-Paul alors que sa paroisse devrait comporter moins de fidèles. Il semblerait que François Bergounioux ait tout simplement menti et caché la valeur de sa rétribution.

Au départ, il prétend être de bonne foi. Mais on remarque qu’il souhaite gêner les institutions en place quand il placarde une affiche sur son église en faveur de la commune de Riom alors que Riom dispute la légitimité de Mozac à former une commune distincte et indépendante : « Aujourd’hui cinq juillet mil sept cent quatre vingt dix l’assemblée générale de la commune du bourg de Mozat tenue à l’hôtel de Monsieur le Maire, […] Monsieur le Maire présidant le séance a dit que le Sieur Bergounioux curé de Saint-Paul dudit lieu avait, hier dimanche quatre du présent mois de juillet, affiché de sa propre autorité et mal à propos, à la porte de son église, une proclamation de l’hôtel de ville de Riom, par laquelle les officiers municipaux de ladite ville prétendent convoquer les habitants dudit bourg de Mozat pour concourir à la nomination du substitut du procureur de leur commune, sur quoi Monsieur Jean-Baptiste Rougier, procureur de la commune [de Mozac] a exposé qu’il a arraché ladite affiche en protestant en public contre son contenu et a requis le Conseil général de la commune de faire la même protestation, et en effet le Conseil général blâmant la conduite dudit Bergounioux a protesté contre l’entreprise de la ville de Riom […]. »

Il continue l’année suivante dans son hypocrisie prétendant servir la constitution tout en l’insultant dans le refus de lever la main pour jurer : « Aujourd’hui dimanche seize janvier mil sept cent quatre vingt onze entour onze heures du matin, en une des églises de la commune de Mozac et paroisse de Saint-Paul à l’issue de la messe, et en présence du Conseil général de la commune dudit Mozat et des fidèles assemblés, Monsieur François Bergounioux, curé de ladite paroisse, s’est présenté, et a dit, qu’en exécution du décret de l’Assemblée nationale du 27 novembre dernier, sanctionné par le roi le 26 décembre suivant et publié en cette municipalité le 9 de ce mois, il venait prêter le serment prescrit par ledit décret, et de fait, ledit sieur curé, après un discours sur la nouvelle constitution a prononcé le serment de veiller avec soin sur les fidèles de la paroisse confiée à ses soins, d’être fidèle à la nation, à la loi et au Roi, et de maintenir de tout son pouvoir la constitution décrétée par l’Assemblée nationale et acceptée par le Roi. Sur quoi Monsieur le procureur de la commune [Jean-Baptiste Rougier] lui a dit qu’il croit devoir lui observer qu’il n’avait pas levé la main. Monsieur le Curé lui a répondu qu’il ne devait pas la lever et qu’on l’interrompait dans ses fonctions. Le Conseil général s’étant retiré en a dressé le présent procès-verbal et arrêté qu’une expédition serait envoyée à Messieurs du Directoire du District de Riom, pour les instruire du refus qu’a fait Monsieur le Curé de Saint-Paul de lever la main conformément aux décrets des 29 décembre 1789 et 2 février 1790 sur le serment, qui ordonnent que tous [les] citoyens prêteront le serment en levant la main. » Le même jour, à onze heures et trois quarts, en l’église de Saint-Martin, le curé Henri Ferrier prête serment « à haute et intelligible voix et la main levée. »

L’affrontement se renouvelle entre Rougier et Bergounioux, dans le même lieu, toujours publiquement, pour à peu près les mêmes motifs : « Aujourd’hui cinq juin mil sept cent quatre vingt onze, l’assemblée du Conseil municipal de la commune de Mozac, convoquée par Monsieur le Maire en la manière accoutumée a été tenue. Le procureur de la commune [Jean-Baptiste Rougier] a exposé qu’ayant assisté à la messe paroissiale a été témoin que François Bergounioux curé de Saint-Paul, après sa messe finie, a invité le peuple d’attendre un moment pour leur tenir des propos incendiaires contre la constitution qui régénère la France, en disant qu’elle était si mal faite qu’elle tomberait bien d’elle-même, qu’on voulait leur donner d’autres pasteurs, mais qu’il ne fallait pas les accepter ni les reconnaître, que ce n’étaient que des monstres et des loups ravissants, qu’il n’y avait de vrais pasteurs que Monseigneur Bonal [évêque réfractaire] et lui, et pourvu que ses paroissiens le soutinssent et suivissent de ses conseils, qu’il resterait leur pasteur, que pour cet effet il fallait prier le Bon Dieu, faire des jeunes pour lui et Bonal, et qu’ils seraient damnés s’ils avaient le malheur de penser et de faire autrement. Ledit procureur de la commune lui ayant remontré qu’il s’écartait de son devoir, qu’il n’y avait que des gens de mauvaise foi ou des ignorants qui puissent penser et parler ainsi, qu’il induisait le peuple en erreur et par ce moyen les exposait à de grands maux, que la place qu’il occupait, son patriotisme pour le bien public, lui imposaient le devoir de lui dire que s’il continuait dans ses propos déplacés, il le dénoncerait à l’accusateur public, comme un homme qui enfreignait la loi ; à qui ledit curé lui a répondu qu’il était maître de dire tout ce qu’il voulait dans son église sans que personne [ne] pût l’interrompre et que ledit procureur de la commune soutenait l’intérêt des démons et des hérétiques. Ledit curé ayant tenu plusieurs autres propos déplacés, le procureur de la commune a terminé par dire au peuple : Vous voyez qu’il ne cherche qu’à vous tromper, ainsi retirons-nous. »

Le 14 juillet 1791, seul le curé de Saint-Martin, Henri Ferrier, dit la messe pour la fête de la fédération. Après des propos anti-révolutionnaires, on voyait mal Bergounioux fêter le premier anniversaire de la prise de la Bastille. On en connaît la principale cause : ce sont les instances publiques qui régissaient le culte et son administration ; la commune de Mozac préfère Henri Ferrier, à qui l’on délivrera d’ailleurs le 20 brumaire 1793 le « certificat de civisme. »

Suite à la suppression des deux paroisses pour n’en constituer plus qu’une seule, le 19 juin 1791, le curé de Saint-Martin, Henri Ferrier est nommé curé de la nouvelle paroisse dite de Saint-Austremoine en l’ancienne église des bénédictins (13 novembre 1791). La municipalité a avant tout retenu qu’il avait manifesté « ses sentiments d’attachement à la nouvelle constitution », contrairement au « Sieur François Bergounioux [qui] avait refusé de prêter le serment ordonné le 27 novembre dernier. »

Auparavant, il a fallu le prévenir de la suppression de sa paroisse de Saint-Paul. La tâche n’était pas aisée vu son caractère. On a pris toutes les précautions juridiques : « Aujourd’hui six novembre mil sept cent quatre vingt onze entour quatre heures du soir, nous Jean-Baptiste Rougier procureur de la commune de Mozac, assisté d’Antoine Montmailler secrétaire greffier de cette commune, sommes transportés chez le Sieur François Bergounioux Curé de Saint-Paul, en parlant à sa personne, lui avons notifié un extrait de la loi relative à la circonscription de différentes paroisses des départements de Rhône et Loire, de la Haute-Loire, de l’Oise, du Puy-de-Dôme, et ensemble l’ordonnance de Monseigneur l’Évêque du département du Puy-de-Dôme. Nous lui en avons laissé copie et l’avons sommé au nom de la loi de s’y conformer sous peine d’être poursuivi comme perturbateur du repos public. »

Comme on pouvait s’y attendre, il ne s’est pas conformé à la précédente notification. On dut employer la force : « Aujourd’hui douze novembre mil sept cent quatre vingt onze entour neuf heures du matin […] en exécution de l’arrêté du département du Puy-de-Dôme en date du 1er juin 1791 ainsi que la lettre dudit département du 12 mai 1791, lesquels arrêté et lettre ordonnent que les officiers municipaux feront notifier aux curés supprimés qu’ils ont à leur remettre les clefs tant des bâtiments et jardins que des églises, sacristies et armoires, les ornements, linges, vases sacrés appartenant à leur église, registre des actes baptême, mariage et sépulture ainsi que les livres nécessaires audites églises, et en exécution du décret du 15 juin 1791 sanctionné par le roi le 19 du même mois concernant la circonscription desdites paroisses et de l’arrêté du département du Puy-de-Dôme et aussi en exécution de l’ordonnance de Monsieur Perrier Évêque dudit département, laquelle ordonnance enjoint et nomme Commissaire Monsieur Antoine Chassaing prêtre du diocèse habitant de la ville de Riom, à l’effet de se transporter dans le courant de la vingt-huitième semaine d’après la Pentecôte pour y exécuter et faire exécuter tout le contenu de la présente ordonnance. Lesdits décrets et ordonnances ont été notifiés audit Sieur Bergounioux Curé de la paroisse de Saint-Paul […] par Jean-Baptiste Rougier procureur de la commune assisté d’Antoine Montmailler notre secrétaire greffier. Nous officiers municipaux et procureur de la commune, nous nous sommes transportés dans l’église de Saint-Paul avec Monsieur Chassaing Commissaire à cet effet accompagnés de la garde nationale de cette commune et de la brigade de la gendarmerie nationale de la ville de Riom, avons envoyé notre secrétaire greffier pendant trois fois chez le Sieur François Bergounioux curé de ladite paroisse de Saint-Paul pour le sommer au nom de la loi et de l’arrêté du département de remettre les clefs tant de l’église que de la sacristie ainsi que des vases sacrés, registres des actes de baptême, mariage et sépulture. Ledit Sieur Bergounioux s’est toujours refusé de remettre aucune clef ni lesdits actes ci-dessus. D’après son refus, il a été ordonné, ouï sur le procureur de la commune, de lever la serrure de la sacristie. Ladite serrure étant levée, Monsieur Antoine Chassaing a rempli sa mission […]. »

Nous n’avons ensuite plus de traces de Bergounioux. A-t-il été exclu pour faute grave, en somme pour avoir été réfractaire ? Dans quelles circonstances et quand quitte-t-il Mozac ? Nous ne le savons pas pour l’instant. Les comptes-rendus municipaux l’oublient au détriment d’Henri Ferrier, curé coopérant et « civique ».