Berthe aux grands pieds/II

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Alphonse Lemerre, éditeur (p. 15-17).

II

LE BON ROI PÉPIN

Or, dans les temps que Berthe espérait en Hongrie,
Autour de la Saint-Jean, quand la rose est fleurie,
Et que la mousse abonde aux flancs verts du coteau,
Le roi Pépin le Bref, fils de Charles Marteau,
Un soir qu’il était seul assis devant sa porte,
Songeait, bien tristement, que sa femme était morte.

Il fit mander à lui ses comtes, ses barons,
Qui vinrent casqués d’or, étoiles d’éperons,
Et leur dit : « Donne-moi ta main, que je la serre !…
Ensuite, j’ai besoin d’un avis très sincère.
Je suis presque très jeune encore, et suis très seul.
Je me couche, le soir, comme un mort au linceul,
Et mon alcôve auguste est vide de caresses ;
Mon baiser tout-puissant s’écarte des maîtresses :
Car, si j’avais un fils, j’entends qu’il fût de moi,
Ou du moins tel selon l’Église et par la loi.
Voyez, réfléchissez et décidez ; que faire ?
— Sire, Berthe aux grands pieds serait bien votre affaire,
Dit quelqu’un (or, c’était Enguerrand de Montcler) :
Elle est fille de roi comme il convient, c’est clair !
— Berthe aux grands pieds, dit l’autre en frisant ses moustaches,
Ce nom nous garantit de solides attaches.
Mais c’est perdre du temps que de parler pour rien.
Qu’on demande sa main à son père. C’est bien.
Je fais duc le premier de vous qui me l’amène.
J’attendrai, s’il le faut, la fin de la semaine,
Mais pas plus. Par les monts, par les bois, par les vaux,
Courez, volez, crevez chacun quatre chevaux.

Sachez-le tous avant de vous mettre en campagne,
J’aurai d’elle un enfant qui sera Charlemagne.
Nous serons gouvernés, messieurs, soyez contents.
Dispersez-vous. J’ai dit. Je suis veuf, et j’attends. »