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Betty petite fille/14

La bibliothèque libre.
(pseudonyme non identifié)
Librairie artistique et Édition parisienne réunies (p. 173-182).


CHAPITRE XIV


Betty sentait en elle une mélancolie insurmontable ; il semblait que les événements s’étaient conjugués pour l’esseuler. Les amies de l’école l’intéressaient peu, manquant de cet esprit déluré qui était le plus beau fleuron de sa couronne.

Le soir, au logis en attendant Madame Cérisy, elle s’ennuyait dans la solitude du home. Les plaisirs anciens commençaient à la lasser, elle aspirait à autre chose, à de l’imprévu.

Elle se trouvait à ce tournant de la vie, où la formation est à peu près complète, malgré que les grandes personnes, jalouses de leurs prérogatives, ne veulent le reconnaître.

L’affection maternelle, qui la ramenait à l’état de petite fille l’exaspérait. Elle se savait mûrie par les dures nécessités de l’existence et constatait que sa mère se refusait à le remarquer.

Elle revit Morande, mais sa sénilité incapable d’un effort lui pesa, elle ne souhaita plus rien de lui et se détourna de son chemin.

Il ne restait plus que Léontine ou les éphèbes. La première tombée en quelques jours au dernier degré de l’aveulissement lui causait une sorte de dégoût mêlé de mépris. Elle n’admettait point qu’on ne fit de la prostitution avec élégance. Vendre son corps, à son avis, était un art qu’il ne fallait traîner dans la boue du ruisseau.

Elle retourna donc chez les jeunes gens. Ce fut à l’improviste qu’elle arriva un après-midi, le nez fureteur et l’œil allumé.

Elle trouva Max en pyjama rose et Charlotte vêtue d’un peignoir de gaze légère, plus transparente qu’une buée de printemps.

En la voyant, le succube eut un ricanement cynique et l’entraîna vers le divan. Max également se rapprocha. Ils formèrent ainsi un joli trio de puérile dépravation.

Les deux autres lui ressemblaient étrangement, en ce sens, que l’unique souci hantant leur esprit détraqué, était toujours la lubricité. Hors des plaisirs sensuels, rien ne les intéressait plus. Toutes leurs pensées, tous leurs actes, n’avaient que la sensualité pour but.

Leur intimité s’accrut ce jour-là d’une façon considérable, une sorte d’affection pour la fillette ingénue, naquit dans le cœur de Charlotte.

Betty le lui rendait mieux, n’ignorant plus maintenant qu’elle n’était autre que le blondin tant admiré chez Chlod. Et cette fleur virginale, qui pesait tant à son impatience sensuelle, elle espérait encore l’offrir en holocauste à celui qui avait été l’objet d’un premier amour. Malheureusement, celui-ci n’y tenait guère ; mieux, il s’y refusait avec des gestes de dégoût et des grimaces méprisantes. En vérité chez lui, ces sentiments étaient factices, il jouait la comédie innocemment, persuadé sincèrement devoir être ainsi, ayant choisi l’état féminin.

L’été avançait, madame Cérisy dont les appas étaient puissants, commençait à souffrir de la chaleur. Elle sortit moins, en attendant l’heure de gagner une plage mondaine où son séjour serait réglé par les tapissiers en commun.

Pour l’instant, elle se contentait de demeurer au logis, aux heures d’inactivité. Ces nouvelles habitudes déplurent naturellement à Betty, la privant de la sainte liberté, qui lui avait si souvent permis de s’essayer à des extravagances. En outre Madame Cérisy, s’était mis dans la tête de devenir bonne mère. Elle apprit à sa fille, à faire de la « frivolité ».

Betty trépignait de rage et d’exaspération n’ayant plus la possibilité de retrouver les éphèbes.

Mais de l’autre côté de la barricade, c’est-à-dire chez Max et Charlotte, il y eut de l’inquiétude. Avec leur sensiblerie naturelle, les deux amis s’étaient pris d’amitié pour la fillette. Ils la crurent malade et Charlotte jugea de son devoir d’aller prendre de ses nouvelles.

Or un jour, après déjeuner Madame Cérisy avait fait une petite sieste, à cause de sa digestion qui commençait à être laborieuse. Soudain elle fut réveillée par un coup de sonnette brutal.

— Qui peut bien venir me voir à cette heure ? se demanda-t-elle avec angoisse. Et d’une main tremblante elle rajusta les frisons de ses tempes.

Mais Betty qui rageait dans sa chambre, se garda tranquillement d’aller ouvrir. Elle croyait à la visite d’un tapissier et s’en désintéressait avec dédain.

Madame Cérisy fut donc contrainte de se déranger, et la porte ouverte se vit confrontée avec une jeune femme honteusement fardée.

La dame en souriant doucement expliqua :

— Je suis une amie d’une amie d’école de Mademoiselle Betty.

La bonne mère eut une minute de suffocation : comment se pouvait-il que son innocente enfant, eut parmi ses relations des hétaïres peintes à la brosse.

Cependant elle crut devoir faire entrer l’intruse en son boudoir et appela Betty.

La fillette accourut, la mine sournoise, l’œil terne, mais en apercevant Charlotte, elle eut un vertige.

Comme elle conservait dans les occasions les plus périlleuses un sang-froid imperturbable, elle obtint aussitôt l’explication de cet incident.

Charlotte avait cru éviter tous les soupçons en se présentant sous son déguisement. Mais en cela elle avait commis une erreur de jugement. Elle pouvait tromper de prime abord, une gamine de quatorze ans, il lui était impossible de duper une femme.

À ses mains, à ses gestes qui manquaient de naturel, Madame Cérisy reconnut l’homme. Une épouvante s’empara de son cœur ; elle n’osait comprendre, supposant déjà le pire.

Toutefois, durant la visite qui fut brève, elle sut se contenir ; mais une fois débarrassée de la visiteuse, elle interrogea sa fille.

Celle-ci avec son air tranquille, jura froidement que Charlotte appartenait au beau sexe.

La bonne mère fut rassérénée :

— Cette pauvre petite comme elle est naïve !

Elle ajouta à l’égard de l’autre fillette imaginaire, l’amie de l’éphèbe :

— Faut-il qu’il y ait des enfants vicieux !

L’incident en resta là pour l’instant, les craintes de Betty s’apaisèrent et elle ne songea plus qu’aux moyens de revoir les jeunes gens.

Il n’en fut point de même pour Madame Cérisy, qui, arrivée à l’âge des passions, avait été frappée par la beauté de Charlotte.

Seule, elle rêva au bel éphèbe et enfin se dit assez sagement, qu’il y avait assez longtemps qu’elle s’amusait pour de l’argent. Il était temps qu’elle le fit pour le plaisir.

C’est ainsi que naît d’ordinaire le grand amour, celui qui procure le grand frisson.

Elle laissa entendre à sa fille qu’elle ne verrait aucun inconvénient à ce que la belle Charlotte revint la voir.

Betty eut un ricanement sournois, elle s’imaginait que Madame Cérisy dupée par les apparences, commettait la même erreur qu’elle-même au début. Par prudence, néanmoins, elle feignit de ne rien pouvoir promettre, mais elle éprouvait une sorte de joie sauvage à favoriser ces rapprochements anormaux. Lorsque l’éphèbe avait été là, comme une atmosphère de vice la baignait, atmosphère dans laquelle, inconsciemment, elle se complaisait.

Il y avait en elle, de plus en plus un besoin morbide de sentir, de jouir, mais cette nécessité restait surtout nerveuse.

Les caresses de Charlotte, effleurements incomplets ne l’attiraient point, c’était l’homme qu’instinctivement elle cherchait.

Pour le moment cependant, rien ne paraissait se dessiner qui put apaiser ses désirs profonds. Morande ne l’intéressait plus, elle sentait en lui, le compagnon inutile, un peu comme l’éphèbe.

Lentement, elle se mûrissait, les à peu près demeuraient inefficaces et sa santé robuste, la poussait vers la voie naturelle.

Max à l’une de ses tentatives, s’était moqué avec des plaisanteries crues, méprisant le rapprochement des sexes. Il ne la répugnait pas, elle ne comprenait point seulement.

Ainsi malgré toutes ses audaces, ou peut être à cause d’elles, sans être parvenue à perdre le fardeau de la virginité, elle atteignait ses quinze ans.

Madame Cérisy, troublée par la passion naissante en elle, d’autant plus forte que jusqu’à ce jour, elle ne s’était laissée aller à aucune, se détournait plus aisément encore de ses devoirs maternels. Quoiqu’elle demeurât assez souvent au logis, elle négligeait dentelle et « frivolité ».

Pourtant un après-midi, Betty parvint à s’esquiver et d’une traite courut à la rue Roquépine.

Les deux amis, gênés par la chaleur croissante, la reçurent en costume de bain, ce qui ne l’effraya point, sachant par expérience que nul danger ne la menaçait auprès d’eux.

Railleurs, ils lui conseillèrent de les imiter, et elle s’y résolut sans trop de difficulté, gardant toutefois une juste mesure.

Le salon-boudoir des messieurs ou dames, était jonché de fleurs multicolores, des morceaux de rubans traînaient, une houpette de poudre gisait sur une causeuse, un bâton de rouge se morfondait à côté d’un pot de crème. Dans un récipient de cuivre brûlait une pastille du sérail qui rendait l’atmosphère plus lourde, plus voluptueuse encore.

Au milieu de cette bizarrerie, la fillette vivait, se mouvait sans un émoi, sans une répulsion. Tout ce qui servait à satisfaire les sens, lui semblait normalement permis.

Les éphèbes doués d’une égale amoralité, sentaient mieux pourtant, tout ce qu’il y avait de malsain en leur façon d’agir, mais ils s’y acharnaient, avec une joie sadique, heureux de pervertir davantage la gamine inconsciente, qui s’abandonnait à eux.

Charlotte avait des rires bêtes d’idiot, tandis que Betty les yeux exorbités les considérait tous les deux. Elle les enviait presque, se demandant s’ils n’avaient point atteint le maximum du plaisir charnel, par la combinaison bizarre de leurs masculinités.

Mais, bien vite, la nature réagissait en elle, aussitôt elle se détournait pour se replonger dans ses rêves habituels, c’est-à-dire son désir incessant de l’homme, du mâle véritable.

Ce jour-là, elle prévint Charlotte que Madame Cérisy serait heureuse de la voir. L’éphèbe eut un rire, déjà il entrevoyait là une source de profits et vraiment, Max et elle se trouvaient à un tournant de leur histoire où le pécune faisait défaut. Ils avaient besoin de chemises, de caleçons roses et de chaussettes vertes, choses qui ne se payent d’ordinaire avec des sourires. Quand la nécessité l’y poussait, Mademoiselle Charlotte ne dédaignait point de redevenir Monsieur Charles.

Betty avait tellement menti au sujet des tapissiers de sa mère, que les deux amis, se figuraient Madame Cérisy, littéralement doublée d’or pur.

Une visite fut donc fixée pour le courant de la semaine, mais Betty ne pouvant avouer qu’elle s’était esquivée du logis, fut contrainte de garder par devers elle cette confidence.

Le soir auprès de la dame songeuse, elle eut un sourire narquois, supposant que Charlotte retenue par la prudence ne s’abandonnerait point à découvrir sa véritable situation.