Betzi/1/07
Séligni fut assez long-temps en
possession de tout ce qui peut enchanter la vie ; ses sens étaient réveillés sans cesse par les plus douces
jouissances, son imagination se sentait entraînée par le plus vif intérêt,
et son cœur n’éprouvait aucun trouble.
Il avait une maîtresse et n’avait point
de liens, du moins ne pouvait-il
encore les appercevoir ; il ne voyait
l’aimable Betzi que pour lui porter
du bonheur ou pour le retrouver
chez elle ; aucun engagement ne les
liait l’un à l’autre ; ce n’était, pour
ainsi dire, que le nœud de la veille
qui semblait en former un nouveau pour le lendemain. Il devait lui supposer d’autres liaisons que la sienne,
mais il ne s’en occupait guère, car
elles ne nuisaient jamais à son plaisir ;
et cette idée, dont l’impression
n’était encore que très-fugitive, ne
servait qu’à le rassurer contre le danger
d’une passion trop sérieuse. Lui-même
se permettait assez souvent
de légères infidélités, mais dont le
souvenir ou le regret devenaient
toujours un nouvel hommage à la
préférence que méritait Betzi. Distrait
par ses études ; rappelé quelquefois
aux sublimes rêveries de son
premier roman, quelquefois même
inquiet des suites de ses nouvelles
habitudes, il arrivait chez elle triste
et mécontent, mais n’en sortait jamais sans avoir l’esprit plus serein,
le cœur plus léger, l’humeur plus
douce et plus gaie. La voir, l’aimer lui semblait chaque fois une jouissance nouvelle, et d’autant plus piquante, qu’elle n’en était pas moins
la même. Je n’ai jamais vu personne,
me disait-il, alors dans les épanchemens de sa confiance, je n’ai jamais
vu personne se donner avec plus
d’abandon et conserver plus de prix
à ses moindres faveurs. Je n’ai jamais
vu personne d’une humeur plus égale,
varier davantage l’effet et le pouvoir
de ses charmes, les varier d’une manière plus facile et plus sûre avec
un sentiment plus naïf, avec une
ingénuité plus touchante, plus éloignée de toute fausse coquetterie. En
s’occupant de tout ce qui peut exalter votre ivresse, elle a l’air de ne
songer qu’à soi, de ne vouloir jouir
que du bonheur d’être mieux aimée
et de vous aimer davantage à son
tour ; ses bouderies ne sont jamais longues, n’ont jamais rien d’amer
ni d’indiscret ; ses caprices même,
si l’on peut les appeler ainsi, ne
servent guère qu’à couvrir, ou plutôt à réparer les torrs dont l’amour
le plus passionné, le plus fidèle
n’a jamais été, dit-on, tout-à-fait
exempt.