Bible Sacy 1667/Préface
du Nouveau Testament
de Nostre Seigneur Jésus Christ,
traduit en François
selon l’édition Vulgate, avec les différences du Grec.
l eſt tellement propre & eſſentiel à tous les Chreſtiens d’avoir de l’amour & de la veneration pour le Nouveau Teſtament, qu’on peut dire qu’ils ne ſçauroient laiſſer éteindre ces ſentimens en eux amoins que d’oublier le nom qu’ils portent, & de renoncer à ce qu’ils ſont. Nous ſommes les enfans & les diſciples de JESUS CHRIST, puiſqu’il nous a rendu de nouvelles créatures en nous regenerant par ſon ſang, & qu’il est venu nous enſeigner la doctrine toute celeſte qu’il a appriſe de ſon Pere. Si nous aimons donc veritablement ces deux admirables qualitez & que nous les regardions comme faiſant toute noſtre dignite & noſtre gloire, combien ce Livre ſacré nous doit-il eſtre precieux, puiſqu’il eſt tout enſemble le recœüil des divins enſeignemens de noſtre Maiſtre, & le Teſtament qui nous aſſeure l’heritage de noſtre Pere.
Il eſt vray que la Loy nouvelle, que S. Paul appelle la Loy de l’Eſprit de vie & qu’il oppoſe toujours à la loy ancienne comme à un miniſtere de mort, n’est pas la ſimple lettre du Nouveau Testament, mais l’amour de Dieu que le S. Esprit écrit dans le cœur des Chreſtiens comme une loy vivante & intérieure qui les rend proprement enfans de la nouvelle alliance, ainſy que les appelle S. Auguſtin. Mais il est certain aussy que cette loy interieure a une telle liaison avec la loy extérieure contenüe dans le livre du Nouveau Testament, que tous les Saints en ont toujours consideré les paroles comme le principal instrument dont Dieu se sert pour écrire dans les cœurs cette loy d’amour & de grace, & que c’est pour cette raison qu’ils ont toujours fait consister un des principaux devoirs de la pieté chrestienne à méditer sans cesse les veritez que Dieu nous enseigne par ce divin livre ; Car ils n’en ont pas considéré les paroles comme séparées du S. Esprit, mais comme estant toutes remplies de son feu, de son onction & de sa force, ce qui les rend capables de produire dans les âmes bien disposées les mêmes effets de grâce qu’elles ont produits dans toute la terre par !a conversion de tous les peuples.
Il ne faut donc pas s’étonner que les saints Pères se plaignent si souvent du peu de soin qu’avoient les fidelles de s’acquitter d’un devoir si important. L’Evangile, disent ces Saints, est la bouche de JESUS CHRIST. Il est assis dans le ciel ; mais il parle continuellement sur la terre. Comment donc celuy-là ose-t’il se dire serviteur de JESUS CHRIST qui ne se met point en peine de sçavoir ce qu’il luy ordonne ? Et comment sera-t’il prest de luy obeïr s’il neglige de l’écouter ? Les preceptes de l’Evangile, dit S. Cyprien, sont le fondement de nostre confiance & la nourriture de nostre cœur. C’est dans cette lecture que nous trouvons la lumiere qui nous conduit, la force qui nous soutient, & les remèdes qui nous guerissent.
Ce Saint fait voir ensuite, & les autres Pères après luy, le grand avantage que l'Evngile a sur tous les livres de l'Ancien Testament. Car encore que JESUS CHRIST soit la fin de la loy, & qu'il y ait esté figuré en une infinité de manières, néanmoins il y est tellement caché qu’il se trouve peu de personnes, principalement dans ces derniers temps où l’Ecriture est si peu luë, qui ayent assez de lumière pour l’y découvrir : Mais dans l’Evangile celuy que predisoient les Prophètes se présente luy-même à nous. Dieu descend du ciel pour nous y conduire, dit S. Cyprien ; & nous ne recevons plus comme autrefois les oracles de Dieu dans les paroles de ses Saints, mais nous adorons la vérité de Dieu dans la bouche de Dieu même.
La vie de JESUS CHRIST qui y est décritte, dit S. Augustin, est une instruction continuelle pour le règlement de la nostre. Nous y voyons dans les malades & les possedez qu’il guérit tout ce qui se passe dans les maladies & dans la guérison de nos ames. Et il suffit pour ne pécher plus & pour vivre saintement, ajoûte ce même Pere, de considerer les biens qu’il a rejettez & sa mort qu’il a soufferts. Car on ne pèche qu’en deux manières ; ou en souhaittant ce qu’il a méprisé, ou en fuyant ce qu’il a bien voulu souffrir. NON enim ullum peccatum committi potest, nisi dum appetuntur ea qua illa contempsit, aut fugiuntur qua ille sustinuit.
Que si Dieu avoit commandé autrefois à son peuple de lire sans cesse la loy qu’il luy avoit donnée & de la mediter jour & nuit ; & si les Religieux se croient obligez de lire tous les jours la Regle, qu’ils ont reçue de leur Instituteur, comment pouvons-nous negliger de lire la loy de JESUS-CHRIST, dont les paroles sont esprit & vie ; puisqu’estant entrez par le baptême dans la Religion catholique & universelle dont JESUS CHRIST est le fondateur, nous devons regarder l’Evangile comme nostre Regle, qui nous fait connoistre sa volonté ; qui nous assure de ses promesses ; qui est nostre lumiere en ce monde, & qui nous doit un jour juger dans l’autre. Sermo quem locutus sum, ipse vos judicabit in novissimo die.
C’est ce qui a fait dire à S. Cesaire Evêque d’Arles, que ceux mêmes qui ne sçavent pas lire ne sont pas excusables pour cela d’ignorer ce que l’on apprend par la lecture de l’Evangile. Car si les personnes les plus simples & les plus grossieres non seulement des villes mais des villages, trouvent bien moyen, dit ce Saint, de se faire lire & d’apprendre des chansons profanes & mondaines ; comment pretendront-ils aprés cela s’excuser sur leur ignorance de ce qu’ils n’ont jamais rien appris de l’Evangile ? Vous avez, assez, d’inventions, ajoûte-t’il, pour apprendre sans sçavoir lire ce que le demon vous enseigne pour vous perdre ; & vous n’en avez, point pour apprendre de la bouche de JESUS CHRIST la vérité qui vous doit sauver.
Ce seroit une chose infinie que de rapporter tout ce qu’ont dit les S S. Peres de l’excellence de l’Evangile. Tous leurs ouvrages sont pleins des marques du respect qu’ils avoient non seulement pour cette histoire sacrée de la vie de JESUS CHRIST, mais aussi pour tous les autres livres qui composent le Nouveau Testament. Nous pourrions faire voir de quelle manière ils en parlent ; mais comme nous en avons marqué quelque chose au commencement de ces livres, nous dirons seulement icy ; que les Actes sont l’accomplissement de l’Evangile, puisqu’on y voit la descente du S. Esprit que JESUS CHRIST avoit promis ; la formation de l’Eglise, & la charité, la patience, & la parfaitte union des premiers fidelles ; que S. Paul est le premier interprète de l’Evangile, qu’il explique tous les mysteres de JESUS CHRIST, & qu’il nous instruit de toutes les regles de la morale & de la vertu chrestienne ; que les Epistres de S. Pierre & des autres Apostres sont remplies du feu & de l’onction du S. Esprit, & que l’Apocalypse dans son obscurité prophetique & divine a des étincelles de lumiere qui frappent le cœur & qui impriment un profond respect de la grandeur de Dieu dans les ames humbles.
C’a esté sans doute dans cet esprit que la Faculté de theologie de Louvain entreprit dans le siècle passé de donner à l’Eglise une traduction françoise de toute la Bible, dans laquelle les fidelles pussent s’instruire sans tomber dans les pieges de Calvin & de ses premiers disciples, qui en avoient alteré & falsifié quelques endroits pour seduire les peuples en mêlant le poison de leurs erreurs avec le pain des enfans de Dieu. On ne sçauroit assez louer le zele & le travail de ces sçavans Docteurs, dont la suffisance extraordinaire s’est encore signalée dans la revüe tres-exacte qu’ils ont faitte de tous les ouvrages de S. Augustin ; mais il faut aussy reconnoistre, que les changemens qui sont arrivez dans nostre langue depuis leur temps, & qui sont ordinaires à toutes les langues vivantes avant qu’elles ayent esté portées jusqu’à un point de perfection où elles s’arrestent, ont tellement defiguré leur ouvrage qu’encore que de temps en temps on ait retranché de leur version certaines expressions qui n’estoient plus intelligibles, elle estoit néanmoins devenüe si étrangement éloignée de nostre usage que si elle subsistoit encore ce n’estoit plus que par l’impuissance où l’on estoit de s’en passer, jusqu’à ce qu’on en eust donné une autre.
C’est un effet qu’on ne sçauroit attribuer qu’au seul changement de la langue, & qui ne diminue rien de l’obligation qu’on a à ceux qui ont fait cette version. Ils ont servi l’Eglise de la meilleure manière qu’ils le pouvoient, & ils n’ont pu écrire que comme ils ont fait. Si nous avions esté de leur temps, nous aurions parlé comme eux ; & s’ils estoient du nostre, ils parleroient comme nous. Mais le fruit qu’on a reccüilli longtemps de cette traduction & qu’on en auroit pu espérer encore estant cessé par la peine qu’on a à s’accoûtumer au langage de ce temps-là, des personnes de pieté & des Evêques célèbres dont la vertu est révérée de tout le monde ont souhaitté avec raison que l’on s’employast à un ouvrage qu’ils jugeoient non seulement utile, mais necessaire à l’Eglise de France. Ils ont cru, que c’estoit un respect qu’on devoit à l’Evangile de ne le pas laisser dans un langage qui produit dans l’esprit de la pluspart du monde des impressions contraires à la veneration que l’on doit avoir pour un Livre si divin ; & que même c’estoit suivre l’esprit que l’Eglise fait paroistre dans toutes les autres choses qui appartiennent au culte de Dieu. On voit qu’elle a soin, que toutes les cérémonies qu’elle expose aux yeux des fidelles ayent quelque chose qui imprime du respect ; qu’elle desire que les vases qui servent au sacrifice, soient d’une matière precieuse ; qu’elle croit que c’est honorer Dieu que d’employer ce qu’il y a de plus riche aux ciboires & aux calices qui enferment le corps & le sang du Sauveur. Puis donc qu’on a tant de soin que tout ce qui approche du corps de JESUS CHRIST contribue à le faire respecter, il estoit juste de ne pas laisser sa parole dans un langage, qui n’estant gueres propre à la faire révérer par la pluspart de ceux qui la lisent, pouvoit nuire à l’edification des fidelles. Car la disposition la plus nécessaire pour profiter de la lecture de l’Ecriture sainte estant de la regarder avec un profond respect & une adoration intérieure de toutes les veritez qu’elle enferme, il n’y a rien de plus contraire au bien des ames que ce qui peut diminuer ce respect, ny rien qui soit plus capable de l’affoiblir que de voir dans ces sortes de versions une si grande disproportion entre la Majesté de Dieu qui parle, & la bassesse surprenante des paroles qu’on luy attribue.
Il est vray que c’est une foiblesse aux hommes d’estre choquez des mots & des expressions qui ne sont plus en usage. Mais il faut avoüer qu’il y en a peu qui en soient exempts, & qui ne soient au moins détournez de l’application qu’ils devroient avoir aux choses les plus divines par ces façons de parler qui ne laissent pas de les surprendre, quand même ils n’en seroient pas blessez.
Ce sont là les raisons qui ont fait souhaitter qu’on entreprist la traduction du Nouveau Testament ; & il y a prés de trente ans que ceux qui y ont travaillé ont eu ces vües dans l’esprit sans qu’elles les déterminassent à rien ; parce que cette entreprise leur paroissoit aussy difficile dans l’execution, qu’elle estoit utile & avantageuse en elle-même. Enfin ayant différé environ vint ans, il y en a prés de dix qu’ils commencerent à y travailler. On fera voir dans la seconde partie de cette Preface de quelle sorte ils l’ont fait, & comment ils ont tâché de remédier aux principales diffìcultez qui les avoient arrestez. Mais pour marquer icy d’abord ce qui est le plus proportionné au desir & à l’intelligence de tout le monde, & qui appartient plus à la pieté qu’à la science, on croit devoir avertir ceux qui liront cette traduction & le peu de notes qu’on y a ajoutées, que l’on n’a point eu dessein d’y expliquer le fond des choses, mais seulement de faire entendre le sens du texte & la force des paroles. Ce n’est pas que ce ne fust un travail tres-utile que de recceüillir des écrits des SS. Pères, qui sont les vrais interprètes de ce saint Livre, des éclaircissemens & des notes qui nous aideroient extremement à en comprendre les veritez divines & les saintes instructions : mais on a considéré cela comme un ouvrage tout différent & tout séparé de celuy-cy, & qui pouvant estre tres-utile en soy n’empesche pas qu’une traduction toute simple comme celle-cy ne puisse aussy estre tres-avantageuse aux fidelles. Car on espère que non seulement les ames les plus éclairées, mais même les plus simples y pourront trouver ce qui sera nécessaire pour leur instruction, pourvu qu’ils la lisent dans une entière simplicité de cœur, & qu’ils s’approchent humblement du Fils de Dieu en luy disant avec S. Pierre : Seigneur, à qui irons-nous ? C’est vous qui avez les paroles de la vie eternelle, & c’est vous seul qui nous les pouvez apprendre. Il faut venir à luy comme ceux dont il est dit dans l’Evangile qui venoient pour l’entendre & pour estre gueris de leurs maladies ; Ut audirent eum & sanarentur à languoribus suis. Car la curiosité, selon S. Augustin, est une des plaies de l’ame d’autant plus dangereuse qu’elle est plus cachée, & si nous ne pensions qu’à la satisfaire en lisant la parole du Sauveur ce seroit entretenir nos maladies par le remede même qui les doit guérir. Celuy qui ne cherche dans l’Ecriture que son salut l’y trouvera, & la science même qu’il n’y cherchoit pas : Et celuy qui n’y cherche qu’à satisfaire un vain desir de sçavoir est en danger de devenir plus ignorant & plus aveugle en devenant plus presomtueux ; puisque scion la parole d’un grand Saint, l’orgueil ferme les yeux de l’ame, comme l’humilité les ouvre.
Ce seroir aussy une disposition capable de nous faire perdre tout le fruit que nous pourrions attendre d’une lecture si sainte, que d’avoir de la peine à nous y appliquer parce qu’elle est obscure en beaucoup d’endroits. S. Augustin le plus éclairé de tous les SS. Pères ne laisse pas de reconnoistre que l’Ecriture est pleine d’une si haute & si profonde sagesse, qu’il y a beaucoup plus de choses qu’il ne peut comprendre qu’il n’y en a qu’il entend. Et aprés cela nous étonnerons-nous que ce qui est arrivé aux Saints nous arrive, &que nous ne puissions pénétrer ce qui est demeuré caché lux plus éclairez :
L’Ecriture sainte est comme un grand fleuve, dit S. Grégoire, qui a toujours coulé & qui coulera jusques à la fin des siecles. Les grands & les petits ; les forts & les foibles y trouvent cette eau vivante qui rejaillit jusques dans le ciel : elle s’offre à tous, & elle se proportionne à tous ; elle a une simplicité qui s’abbaisse jusques aux ames les plus simples, & une hauteur qui exerce & qui eleve les plus élevez. Tous y puisent indifféremment ; mais bien loin de la pouvoir épuiser en nous en remplissant, nous y laissons toujours des abysmes de science & de sagesse que nous adorons sans les comprendre.
Mais ce qui nous doit consoler dans cette obscurité, c’est que selon S. Augustin l’Ecriture sainte nous propose d’une maniere aisée & intelligible tout ce qui est nécessaire pour la conduite de nostre vie ; qu’elle s’explique & s’éclaircit elle-même en disant clairement en quelques endroits ce qu’elle dit obscurément en d’autres ; & que cette obscurité même qui s’y trouve nous est tres-utile, si nous la considérons avec l’œil de la foy & de la pieté. Car comme les perles & les pierres precieuses sont d’autant plus estimées qu’elles sont plus rares & qu’elles ne se trouvent qu’avec une peine extrême, & que par cette même raison l’argent au temps de Salomon estoit aussy méprisé que les pierres, comme dit l’Ecriture, parce qu’il estoit devenu commun : Aussy est-il utile, selon S. Denys & S. Augustin, que la Majesté de Dieu & l’eminence de sa sagesse soient comme environnées d’un nuage & cachées sous des ombres & des figures qu’on ne puisse pénétrer qu’avec beaucoup de méditation & de travail, afin qu’elle imprime plus vivement dans nos esprits cette crainte religieuse, & cette profonde révérence qui luy est düe.
Il estoit même necessaire à l’homme dans l’estat où le péché l’a réduit, que Dieu luy proposast sa verité de cette sorte pour humilier son orgœüil par la peine qu’il auroit à en penetrer les mysteres & les secrets ; pour réveiller sa paresse, pour l’obliger à demander afin qu’il reçoive ; à chercher afin qu’il trouve, & à frapper longtemps à la porte afin qu’elle luy soit ouverte ; pour luy faire voir qu’il n’y a que l’Esprit de Dieu qui sçache ce qui se passe en Dieu, & que c’est par cet Esprit & non par le sien propre qu’il doit apprendre ce que Dieu nous enseigne ; pour le guerir de cette langueur qui fait qu’il méprise aisément ce qu’il n’a point de peine à comprendre ; & pour luy renouveller toujours l’admiration & l’amour de la sagesse de Dieu en la luy faisant envisager sous des idées différentes & par des images & des representations toujours nouvelles ; & enfin pour luy faire goûter une joie d’autant plus grande, lorsqu’il aura compris quelqu’une de ces veritez cachées que le Prophete appelle des diamant, qu’elle luy avoit paru d’abord plus obscure, & qu’il aura eu plus de peine à la découvrir. Car S. Augustin nous assure, que cette joie est si vive & si pure dans une ame qui craint Dieu & qui ne cherche à le connoistre dans son Ecriture qu’afin de luy obeïr & de l’aimer, qu’il n’y en a point sur la terre qui en approche, & qu’elle est la plus grande consolation de ceux qui vivent encore dans cet exil. C’est ce que ce S. Docteur a renfermé dans ces excellentes paroles qui méritent d’estre bien considerées. Il y a, dit-il, dans l’Ecriture sainte de profonds mystères que Dieu tient cachez, afin de les rendre plus estimables ; qu’il nous laisse chercher longtemps, afin de nous exercer & de nous humilier par ce travail ; & qu’il nous decouvre quand il luy plaist, afin qu’ils soient la joie & la nourriture de nostre cœur. Sunt in Scripturis sacris profunda mysteriæ, qua ad hoc absconduntur ne vilescant ; ad hoc quaruntur ut exerceant ; ad hoc aperiuntur ut pascant.
Ce même Saint, dont l’esprir aussy humble qu’élevé a penetré avec plus de lumiere qu’aucun autre dans l’esprit & le cœur de l’Ecriture, que S. Grégoire appelle le cœur de Dieu, ajoute à ce que nous venons de dire une autre vérité tres-importante, & qui peut extremement consoler les ames moins éclairées. C’est que cette multiplicité de preceptes & de mysteres qui est répanduë en tant de differentes manieres dans les livres Saints se rapporte toute à cet unique commandement d’aimer Dieu de tout son cœur & son prochain comme soymême. Car l’Ecriture, dit ce grand Docteur, ne deffend qu’une seule chose, qui est la cupidité & l’amour des créatures ; elle ne commande qu’une seule chose, qui est la charité & l’amour de Dieu. C’est sur ce double précepte qu’elle établit toute la morale chrestienne. Non enim pracipit Scriptura nisi charitatem, nec culpat nisì cupiditatem ; & eo modo informat mores hominum. C’est à quoy se rapporte selon la parole de JESUS CHRIST toute la Loy ancienne & tous les prophètes ; & l’on peut ajouter, tous les mysteres & toutes les instructions de la loy nouvelle : car l’amour, comme dit S. Paul, est la plenitude & l’abregé de toute la loy. C’est cet amour, ajoute S. Augustin, qui est la racine, & toutes les veritez en sont comme les branches & les fruits. Si vous ne pouvez comprendre, dit-il, toutes ces branches qui ont une si grande étendue, contentez-vous de la racine qui les contient toutes. Celuy qui aime sçait tout ; parce qu’il possede la fin à laquelle tout se rapporte. Ne dites donc pas que vous ne pouvez comprendre l’Ecriture ; aimez Dieu, & il n’y aura rien que vous n’entendiez. Quand l’Ecriture est claire, elle marque clairement l’amour de Dieu ; & quand elle est obscure, elle le marque obscurément. Celuylà donc scait et qui est clair & et qui est obscur dans l’Ecriture, qui scait aimer Dieu, & qui regle sa vie par cet amour. Ille tenet & quod patet & quod latet in divinis sermonibus, qui charitatem tenet in moribus.
C’est avec cette disposition que nous devons lire la parole de JESUS CHRIST & c’est cet amour qui purifiant nostre cœur dissipera peu à peu toutes les obscuritez que nous y avons trouvées, & nous fera croistre cri lumieres de plus en plus selon que nous l’assure le même Pere lors qu’il dit : C’est l’amour qui demande ; c’est l’amour qui cherche ; c’est l’amour qui frappe à la porte & se fait ouvrir : & c’est par l'amour que nous demeurons fermes dans la veritez. Que l’Esprit de Dieu nous a révélées. Amore petitur, amore quaritur, amore pulsatur, amore revelatur ; amore denique in eo quod revelatum fuerit permanetur.
Mais comme nous ne sommes gueres accoutumez aujourd’huy à nous nourrir de la parole de Dieu avec cette affection pleine de respect ; pour mieux comprendre ce que nous devons à JESUS CHRIST dans la lecture de l’Evangile, nous n’avons qu’à considérer ce que nous luy rendons dans le Sacrement de l’Eucharistie. Car comme il y a selon les SS. Docteurs un tres-grand rapport entre la parole du Fils de Dieu & son Corps, nous devons apprendre à révérer l’une par la vénération que la pieté nous fait rendre à l’autre.
I. Nous adorons le Corps de JESUS CHRIST avant que de le recevoir, selon ce que dit S. Augustin, que nul ne mange cette viande sainte sans l’avoir auparavant adorée. Adorons de même la parole de JESUS CHRIST avant que de la lire & en la lisant, selon que nous l’ordonnent les Conciles, qui appellent les paroles de l’Ecriture des paroles saintes & adorables : Sancta & adoranda verba Scripturarum. C’est ce que S. Charles en ces derniers temps nous a appris par íbn exemple, en ne lisant jamais l’Ecriture qu’à genoux pour y écouter Dieu dans une adoration continuelle.
II. Nous sommes tres persuadez, qu’encore que nos yeux ne voient dans ce mystere que les especes & les apparences exterieures du pain & du vin, JESUS CHRIST neanmoins y est tout entier, & qu’il se communique tres-réellement à nous sous ces voiles dont il se couvre. Croyons demême que l’Evangile sous des paroles tres-simples & sous les voiles mysterieux de ses paraboles, où il ne paroist rien de grand & d’extraordinaire, enferme néanmoins tous les thresors de la sagesse & de la science de Dieu.
III. En recevant la sainte Hostie nous ne nous arrestons en aucune sorte au goust qui demeure dans les especes, & nous ne pensons qu’à nous nourrir de la substance & de la grace de JESUS CHRIST qui se donne à nous. Ainsi ne recherchons jamais les gousts & les satisfactions humaines en lisant l’Evangile ; mais ne pensons qu’à nourrir nostre cœur de la vérité du Fils de Dieu, sçachant que sa parole n’est pas moins un pain de vie & une manne cachée que son saint Corps.
IV. Nous avons appris de JESUS CHRIST même que nous ne devons jamais considérer la chair sacrée comme séparée de son Esprit, & qu’en cette manière elle ne nous serviroit de rien, parce que c’est l’Esprit qui vivifie. Ainsy ne separons jamais la parole de JESUS CHRIST de l’esprit de JESUS CHRIST. Invoquons son Esprit en lisant sa parole ; afín qu’elle ne soit pas en nous une parole morte & sterile ; mais vivante & efficace, estant accompagnée de l’onction & de la vertu de la grâce.
V. Mais ce qui est d’une grande consolation pour nous, & qui nous doit donner une affection toute particulière pour la parole de JESUS CHRIST ; c’est qu’en quelque etat que nous soyons elle nous peut toujours estre salutaire, & nous en pouvons toujours tirer du profit. Elle est en cela différente du Corps de JESUS CHRIST, qui estant le pain solide de l’ame, il faut estre gueri, comme dit S. Ambroise, pour le recevoir : Nemo cibum accipit Christi, nisi fuerit ante sanatut. Mais la parole de JESUS CHRIST peut estre luë tres-utilement par ceux mêmes qui sont encore dans le peché, pourvu qu’ils s’en servent à découvrir leurs plaies ; à concevoir de la crainte des jugemens de Dieu ; à espérer en sa miséricorde, & à se jetter entre les bras de celuy qui les doit guerir. Ainsy elle n’est pas seulement la nourriture des ames saines & établies en grâce, comme le Corps du Fils de Dieu ; mais elle est encore la consolation des pecheurs, la lumiere des aveugles, le remede des malades, & la vie des morts.
VI. ENFIN cette sainte parole non seulement peut estre appellée aussibien que l’Eucharistie les delices des vrais Rois, c’est-a-dire des ames saintes, comme S. Augustin le témoigne par cette demande qu’il fait à Dieu avec tant d’ardeur : Sint casta delicia mea Scriptura tua. ; Que vos Ecritures soient mes chastes delices. Mais elle sert encore d’une excellente preparation pour se rendre digne de manger le pain du ciel, parce que c’est elle qui nous donne lieu de nous éprouver comme S. Paul l’ordonne ; qui nous fait entrer dans le fond de nostre cœur pour en découvrir les moindres tasches, & nous en purifier ; & qui nous entretenant dans la meditation de la loy de Dieu excite & allume dans nous son amour de plus en plus selon cette parole du Prophete : In meditatione mea exardestet ignis. C’est ce que le Fils de Dieu nous enseigne dans l’Evangile, lors que voulant donner pour la première fois son Corps immortel & ressuscité à ses Disciples il les y dispose auparavant en les embrasant de son amour par sa parole. Nostre cœur, s’écrient-ils, n’estoit-il pas tout brûlant dans nom, lors qu’il nous parloit & qu’il nous découvroit les secrets de l’Ecriture ? Et lorsqu’il est dit dans les Actes que les premiers Chrestiens perseveroient dans la fraction du pain, c’est-à-dire dans la sainte Communion, il est marqué aussy auparavant qu’ils perseveroient dans la doctrine des Apostres ; comme pour monstrer, que la méditation & la pratique des veritez saintes qu’ils apprenoient des Apostres estoit la préparation continuelle qu’ils apportoient pour communier au Corps du Fils de Dieu.
VII. Ce qui est dit en cet endroit, que les fidelles perseveroient dans la doctrine Apostolique, nous découvre encore une consolation particulière que nous pouvons tirer de la parole de JESUS CHRIST, qui ne se trouve pas demême dans l’Eucharistie. Car le S. Sacrement auquel nous participons en communiant ne peut s’offrir qu’en certains temps & à certaines & quelque saint que l’on soit on ne peut s’approcher de cette table sacrée qu’une fois le jour. Il arrive même souvent que les indispositions & les maladies de l’ame ou du corps, & divers autres obstacles qui ne dependent pas de nous nous peuvent empêcher de joüir d’un si grand bien. Mais la meditation des verités Evangeliques & Apostoliques peut estre continuelle. En quelque temps, en quelque état, en quelque impuissance que l’on se trouve on peut se nourrir de ce pain de la vérité, qui est la nourriture des bienheureux, comme dit S. Augustin : on peut avoir la loy de Dieu dans le cœur, dans l’esprit & dans la bouche, & tirer de son Ecriture, comme dit S. Paul, une consolation qui nous affermisse dans la patience & dans l’esperance des biens à venir.
Une ame qui s’occupe ainsy de cette meditation de la parole du Sauveur par laquelle son Corps est formé sur nos autels ; qui se tient unie en esprit à sa Croix qui est la source de tous les Sacremens, & au corps de son Eglise universelle qui offre à Dieu cette sainte hostie dans toute l’étenduë de la terre, persevere dans la communion du Corps du Sauveur en perseverant dans l’observation de sa doctrine, & elle verifie en elle cette parole du Sage ; Que celuy qui garde la loy multiplie ses oblations, & que c’est un sacrifice de grace & de salut que de se rendre attentif à ce que Dieu nous commande. Qui conservat legem multiplicat oblationem ; sacrificium salutare est attendere mandatis.
Ainsy le Corps du Fils de Dieu est le pain de l’ame, que l’on ne peut recevoir que dans une certaine disposition & en un certain temps ; au lieu que sa parole est comme l’air spirituel & divin dont l’ame a besoin, & dont elle peut se nourrir à tout moment, comme nostre corps a toujours besoin de cet air sensible & exterieur qu’il respire sans cesse & sans lequel il ne sçaurait vivre. Nous voyons aussi que ces anciens Solitaires dont parle S. Chrysostome ne communioient qu’une fois l’année, mais qu’en même temps ils s’appliquoient sans cesse à mediter l’Ecriture & à pratiquer ce qu’ils y lisoient, suppléant ainsy à la nourriture qu’ils auroient reçue du Corps du Fils de Dieu, par celle de sa verité & de sa parole.
cette Traduction.
Lorsque ceux qui ont fait cette Traduction commencèrent à s’y appliquer entièrement, ils trouvèrent d’abord une difficulté presque insurmontable dans la manière dont elle devoit estre faite. Ils sçavoient d’une part, que la parole de Dieu est semblable à Dieu même ; qu’elle est toute pleine de sagesse, de mystères & de sens, & qu’on ne la doit pas mesurer, comme dit Saint Grégoire, par la petitesse de nostre esprit qui n’y découvre que ce qu’il est capable de comprendre ; mais par l’étenduë de l’Esprit de Dieu qui n’a point de bornes. Et ils concluoient de cette vérité, que dans la traduction de l’Ecriture sainte il ne suffisoit pas de suivre cette règle que Saint Jérôme a établie pour la traduction des ouvrages des SS. Pères, qui est de rendre sens pour sens ; mais qu’il falloit en conserver même les expressions, en marquer les propres mots, & en représenter autant qu’il estoit possible la force, l’étenduë, l’ordre, la structure & les liaisons.
Mais ils consideroient aussy d’autre part, qu’en s’attachant de cette sorte à la lettre, le sens en estoit quelquefois tellement étouffé qu’il paroissoit inintelligible, & que pour vouloir donner un sens indeterminé & suspendu, on laissoit souvent les lecteurs vuides de tout sens & de toute intelligence ; qu’on rabaissoit infiniment par cette manière la majesté de l’Escriture, en ne gardant rien de cet air vénérable & tout divin qu’elle a dans les langues originales, le génie de la nostre estant entièrement différent de celuy de la Grecque & de la Latine, & portant à regarder comme bas ce qui peut passer dans ces autres langues pour grand & majestueux. On voioit même par expérience qu’en voulant ne s’écarter en rien de la lettre sous pretexte de fidélité, on estoit effectivement moins fidelle ; parce qu’on perdoit beaucoup du sens, n’estant pas possible de le faire bien entendre, qu’en prenant un tour un peu plus libre & plus étendu.
Enfin en faisant réflexion sur Saint Jérôme, qui est comme le modelle des traducteurs de l’Ecriture, puisque l’Eglise a si solemnellement approuvé sa version, on reconnoissoit qu’il n’avoit point cru estre obligé de s’attacher servilement à la lettre, puisque l’on voit par la manière dont il a traduit Job & les Prophetes, que bien loin de n’en faire qu’une glose, il a tellement éclairci ces Ecrits divins qui estoient beaucoup plus obscurs dans les Septante, & il leur donné dans sa traduction tant de force & tant de vigueur, que Saint Augustin en cite les paroles, lors même qu’elle n’estoit pas encore en usage dans l’Eglise, pour faire voir l’éclat & la majesté de l’Ecriture.
Il n’y a que ceux qui ont fait quelque essai de cette sorte de travail qui puissent bien juger de la peine & de l’incertitude où l’on se trouve, aiyant ainsi l’esprit partagé par ces differentes vües. Si l’on s’éloigne de la lettre, on condamne soymême son ouvrage comme trop libre ; & quand l’on veut s’y attacher, la bassesse & l’obscurité, qui est jointe par nécessité aux traductions litterales, fait qu’elles deviennent insupportables. On change donc souvent de resolution & de sentiment, & celuy où l’on s’arreste en un temps, paroist peu de temps après le moins bon ; parce qu’y ayant inconvénient de part & d’autre on commence à sentir davantage ceux qui sont attachez au parti qu’on a choisi.
Il est vrai néanmoins qu’à l’égard de l’Evangile & des Actes, on ne jugeoit pas qu’il fust impossible de conserver cette exactitude littérale sans obscurcir le sens, parce que le discours en est pour l’ordinaire clair & simple ; mais on ne voyoit pas qu’on la pust garder dans la traduction de Saint Paul, sans la rendre si obscure en plusieurs endroits que l’on n’auroit pu y rien comprendre.
Cette difficulté auroit donc contraint sans doute d’abandonner entierement cette entreprise, si quelques pensées tres-judicieuses de S. Augustin n’avoient donné lieu de trouver un tempérament entre ces deux maux ; l’un de ne s’attacher qu’au sens de l’Ecriture en négligeant la lettre, l’autre de ne s’attacher qu’à la lettre en négligeant le sens.
Ce S. Docteur, voulant apprendre à ceux qui pourroient se rendre capables de servir l’Eglise, la maniere dont ils devoient lire l’Ecriture sainte, qu’il considère comme le thresor de la theologie, & comme la source de toutes les veritez qu’on doit sçavoir pour s’édifier soymême, ou pour instruire les autres, parle de plusieurs interprètes qui l’avoient traduite. Il dit que le nombre en estoit infini ; mais que si on s’en servoit en la manière qu’il le conseille, cette multitude de versions pouvoit plus servir que nuire à l’intelligence de l’Ecriture. Car il dit que les uns se sont fort attachez à la lettre, & que les autres ont este un peu plus libres pour suivre le sens ; que les uns ni les autres ne suffisent pas séparément, mais qu’ils peuvent s’entr’aider & s’entr’éclaircir, parce que lorsqu’on trouve quelques paroles obscures dans ceux qui expriment exactement la lettre, il faut avoir recours à ceux qui ont eu plus de soin de rendre le sens ; & lorsqu’on a peur que ces derniers ne soient un peu trop libres, ou ne se méprennent, il faut consulter ceux qui se sont trop attachez à la seule lettre, qui se verbis niminum obstrinxerunt. C’est pourquoy il conclut, que la version Romaine est la meilleure de toutes, parce que ceux qui l’ont faitte se sont tellement attachez aux paroles, qu’ils ont eu soin en même temps d’estre clairs & intelligibles dans le sens. Est enim verborum tenacior cum perspicuit ate sententia.
Ce furent ces sentimens si justes & si équitables de ce Saint, qui donnèrent ouverture à se tirer de l’embarras où l’on estoit. Car on commença de penser qu’on satisferoit à toutes les difficultez en unifiant les avantages que S. Augustin trouvoit dans ces traductions differentes ; & la chose ne parut pas impossible en observant certaines regles qu’on se prescrivit, par lesquelles on crut pouvoir rendre en quelque sorte cette traduction libre & littérale tout ensemble. Et comme ce sont celles qu’on y a suivies, il est important de les expliquer, en y ajoutant quelques autres observations qui regardent les difficultez particulières qu’on a rencontrées dans cette traduction.
I. En plusieurs endroits,en marquant dans le caractère ordinaire qui est le Romain les paroles qui se trouvent dans l’Ecriture, on y en a inséré d’autres en Italique, qui servent ou à en exprimer plus clairement le sens, ou à en rendre la traduction plus conforme à l’usage de nostre langue. Et par ce moyen sans rien diminuer de l’exactitude, puisqu’on y représente la lettre toute entière, on n’a pas laissé de procurer cet autre avantage, que Saint Augustin remarque dans les traductions libres, qui consiste à exprimer le sens avec plus de force & de netteté.
II. On a porté cette exactitude jusques à marquer en Italique le mot de Jesus toutes les fois que Saint Paul ne se sert dans ses Epîtres que du nom de CHRIST ; parce qu’on n’est pas accoutumé en nostre langue à ne luy donner que ce nom, & que néanmoins l’on a esté bien-aise de représenter exactement le langage de Saint Paul.
III. Mais il est bon d’avertir, que quand on dit qu’on a eu dessein de représenter les paroles de l’Ecriture, on ne prétend pas neanmoins les avoir toujours rendues mot pour mot, y ayant plusieurs termes Latins & Grecs qui comprennent & qui donnent diverses idées qui ne se peuvent exprimer en François que par divers mots, & ces idées différentes y estant réellement contenuës, & faisant leur impression sur l’esprit de ceux qui les lisent, ce ne seroit pas estre fidelle que de ne les vouloir pas exprimer en plusieurs paroles, & de retrancher ainsi une partie du sens sous prétexte que l’Ecriture n’y emploie qu’un seul mot. Par exemple dans le premier chapitre de Saint Luc on a rendu ces paroles : Fuit in diebus Herodis Regis Judae Sacerdos quidam nomine Zacharias de vice Abia, par celles-ci ; [ Au temps de Herode Roy de Judée, il y avoit un Prestre nommé Zacharie de la famille d’Abia, l’une des familles sacerdotales, qui servoient dans le temple chacune en leur rang ] ou l’on voit que ces seuls mots de vice Abia sont exprimez par tous ceux-cy : de la famille d’Abia l’une des familles sacerdotales, qui servoient dans le temple chacune en leur rang.
On pourroit donc croire d’abord que l’on a beaucoup ajoûté à l’Ecriture en cet endroit, puisqu’il semble qu’on ne voit rien de tout cela dans le Latin. Mais si l’on considère la chose de plus prés on trouvera que l’on n’y a ajouté en effet que les mots de sacerdotales & dans le temple, qui sont aussi marquez en Italique pour montrer qu’ils ne sont pas dans le texte, & que tous les autres y sont compris en effet. Car les mots de vice Abia ne marquent pas seulement que Zacharie estait de la famille d’Abia ; mais ils marquent aussi que cette famille servoit en son rang & successivement vice, & par conséquent qu’il y en avoit plusieurs qui se succedoient les unes aux autres dans le service du temple. Ils donnent donc en même temps l’idée de plusieurs familles, & de familles qui se succedoient les unes aux autres, entre lesquelles celle d’Abia venoit en son rang. Et ainsi quand on a traduit, de la famille d’Abia l’une des familles sacerdotales qui servoient dans le temple chacune en leur rang, on n’a fait que développer les idées qui estoient réellement enfermées dans les paroles du texte ; & si l’on avoit traduit simplement de la famille d’Abia, on auroit commis une espèce d’infidélité, en retrenchant une grande partie du sens que la version Latine & le texte Grec contiennent & présentent à l’esprit.
IV. Ce n’est donc point s’éloigner de la lettre que d’employer ainsi plusieurs mots pour en exprimer un seul, lorsqu’il les contient en effet. Et néanmoins pour estre encore plus exact on a trouvé moyen d’en avertir le lecteur en plusieurs rencontres. Car lorsqu’il arrive qu’on substituë précisement deux mots au lieu d’un, parce qu’un des deux ne l’exprime pas suffisamment ; on joint ces deux mots par un & en Italique pour faire entendre qu’il n’y a qu’un mot dans l’original, mais qu’on en a eu besoin de deux pour en bien marquer le sens. Ainsy, en Saint Matth. chap. 5. v. 29. Si oculus tuus dexter scandalisat te, est traduit ; [ Si vostre œil droit vous est un sujet de scandale & de chute. ] Car le mot de scandale tout seul donne d’ordinaire une autre idée, & se prend pour ce qui nous choque, & non pas pour ce qui nous fait tomber.
V. Un autre moyen dont on s’est servi pour faire cette union du sens & de la lettre est encore plus simple. C’est que lorsqu’on a vu qu’une traduction toute littérale affoiblissoit trop la force, ou obscurcissoit trop le sens de l’Ecriture, on a tasché de marquer le sens dans le texte par une expression claire, & en même temps la plus liée aux paroles qu’on a pu trouver. Mais parce qu’on ne pouvoir pas dire qu’elle fust entièrement littérale, on a mis en même temps la lettre à la marge, afin qu’on ne fust pas privé de la traduction simple de la lettre, & que l’on jugeait, comme dit S. Augustin, de la liberté avec laquelle on s’estoit alors dispensé de la suivre. Cette exactitude parut nécessaire pour témoigner le respect que l’on doit avoir pour la lettre de l’Ecriture, & pour faire mieux comprendre l’expression dont on a cru se devoir servir pour marquer le sens en la comparant avec l’obscurité des termes qu’on avoit représentez par d’autres plus clairs. On crut aussi qu’elle seroit utile en ce qu’elle donne moyen à ceux qui désirent de bien entendre la parole de Dieu, ce qu’il n’y a point de Chrestien qui ne doive désirer, de remarquer les termes extraordinaires qui sont propres à l’Ecriture pour s’accoutumer à ses expressions & à son langage, & se rendre ainsi plus capable d’entendre & de goûter ces instructions divines.
VI. Mais comme il y a peu de choses qui ne soient mêlées d’inconveniens, on reconnut par expérience que voulant suivre exactement cette règle de marquer la lettre sitost qu’on s’en éloignoit le moins du monde, comme l’on en avoit d’abord pris le dessein par la profonde vénération que l’en a pour les moindres paroles de l’Ecriture, on détruisoit entierement le fruit qu’on en pretendoit tirer. Car il arrivoit delà que les marges estoient tellement chargées de paroles qui paroissoient entièrement inutiles, comme de liaisons & de particules, que lorsqu’il y avoit quelque difference remarquable entre la traduction & la lettre, elle estoit comme étouffée parmi cette foule de mots où l’on ne pouvoit rien apprendre ; de sorte qu’on se seroit accoûtumé à negliger généralement tout ce qui estoit à la marge. On fut donc obligé de prendre un temperament dans l’observation de cette regle, & à se reduire à marquer seulement la lettre lorsqu’elle pouvoit avoir quelque chose de considerable & qu’elle pouvoit donner une idée un peu différente de celle que la traduction donne, afin que ceux qui prendroient la peine de lire les marges ne crussent pas leur temps toutafait mal employé, comme ils auroient fait sans doute si on avoit voulu continuer dans cette ennuyeuse exactitude. Par ce moyen on croit avoir remédié apeuprés à tous les inconveniens. Car on trouvera la lettre marquée dans tous les endroits, où il peut estre tant soit peu utile de sçavoir ce qu’elle porte : & quand elle n’est point marquée on peut s’assurer ou que la traduction est littérale, ou qu’elle est si peu différente de la lettre, que la diversité n’en est nullement considérable, ne consistant qu’en quelques particules, qui dépendent du genie de chaque langue.
VII. Suivant cette maniere c’est l’expression la plus claire qui se trouve dans le texte, & l’expression littérale ne demeure qu’à la marge. Mail on a suivi en d’autres rencontres une conduite toute contraire ; & lorsque le désir d’éclaircir le sens auroit obligé de s’écarter trop des paroles de l’Ecriture, & qu’on a appréhendé que cela ne ressentist la paraphrase on s’est contenté de mettre dans le texte une expression conforme à la lettre, qui n’est pas néanmoins tout-à-fait obscure ; & l’on a mis à la marge l’explication du sens qui en oste la difficulté.
VIII. On trouve encore dans les marges une autre sorte de notes qui ne marquent proprement ni la lettre ni l’explication du sens, mais seulement ou une autre maniere de traduire les mêmes paroles, dont on laisse les lecteurs juges, pour choisir celle qui leur plaira davantage ; ou un autre sens qu’elles renferment, ce qui est beaucoup plus considerable. Car il est certain en général qu’une des plus grandes difficultez qui se rencontrent dans la traduction de l’Ecriture est que la parole de Dieu est en cela même beaucoup au dessus de celle des hommes qu’elle enferme divers sens dans sa profondeur & dans son obscurité ; & qu’ainsi lorsqu’on la traduit dans une langue comme la nostre, qui ne souffre pas ces expressions suspenduës, il arrive par nécessite qu’en la déterminant à un sens particulier, on en exclut d’autres, dont elle estoit susceptible dans le latin ou dans le grec. Mais il est certain aussi que l’Eglise n’a pas cru qu’on se dust entierement arrester à cette difficulté, puisqu’elle iroit à interdire généralement toute sorte de versions : estant visible que les versions Grecques & Latines du vieux Testament determinent & retranchent plusieurs sens de l'original hébreu ; & que la version latine du nouveau en retranche de même, plusieurs autres, dont l’original grec est susceptible. Et il est d’autant moins nécessaire de laisser tous ces sens indeterminez dans une version françoise de l’Ecriture, que le latin demeure entre les mains de tout le monde qui y peuvent voir tous les sens qu’il enferme ; au lieu que peu de personnes sçachant le grec & l’hebreu, on est privé en quelque sorte de tous les sens que la version latine en a retranchez.
On ne peut donc trouver à redire avec justice, qu’en suivant le génie de nostre langue, on ait déterminé quelques endroits qui ont un sens suspendu & indéterminé dans le latin ou dans le grec ; puisqu’il est sans doute plus avantageux aux simples, pour qui ces versions sont particulièrement destinées, d’y trouver un sens qu’ils entendent, que de n’y voir qu’une expression confuse où ils ne comprennent rien du tout. Mais comme il est néanmoins fâcheux d’estre privé de quelque sens considérable qui peut estre enfermé dans les paroles de l’original, on a tâché de remédier à cet inconvénient, ou en marquant expressément ces paroles suspendues & indéterminées de la lettre, ou en marquant à la marge ces divers sens dans lesquels les SS. Peres les ont expliquées : ce qui oste tout sujet de se plaindre qu’on retranche les sens de l’Ecriture, puisque ce qui ne se trouve pas dans le texte se trouve à la marge dans les endroits les plus importans.
IX. On a pu se tromper dans ce choix des divers sens, & on ne sera point étonné que des personnes habiles trouvent qu’on n’a pas toujours choisi le meilleur, sur tout dans S. Paul. On les supplie néanmoins de ne pas précipiter leur jugement, & de bien considérer auparavant ce qu’ont dit les Saints & les plus excellens Commentateurs sur ces endroits obscurs, & peutestre qu’ils abandonneront ensuite leur première pensée & qu’ils reviendront à celle des Traducteurs : car il leur est arrivé à euxmêmes qu’ayant esté cinq ans sans lire leur traduction, & l’ayant reprise ensuite pour l’examiner comme l’ouvrage d’un autre, lorsqu’ils sont tombez sur quelquesunes de ces expressions de S. Paul fort embarassées dans les paroles & obscures dans le sens, ils ont esté choquez d’abord de la manière dont ils les avoient traduites ; mais ayant consumé ensuite les Commentateurs les plus considérables anciens & nouveaux, & ayant bien examiné les paroles & toute la suite de Saint Paul, ils ont reconnu que ce qui les avoit frappez d’abord n’avoit rien de solide, & que le sens qui paroissoit vrai estant faux, celuy qui paroissoit faux estoit véritable. Il est donc nécessaire dans ces rencontres de ne se point prévenir, & de peser tout avec une exacte circonspection ; ce qui n’empêche pas qu’on ne croie que des personnes sçavantes & éclairées pourront avoir des vües que l’on n’a point euës, & qui pourroient contribuer beaucoup à l’éclaircissement de ces lieux obscurs. Car encore qu’en traduisant Saint Paul on ait eu grand soin de consulter tout ce qu’en ont dit les SS. Peres qui l’ont expliqué, & les plus excellens Interprètes d’entre les auteurs nouveaux, & qu’on ait esté quelquefois plusieurs heures pour déterminer comment on exprimeroit une seule ligne, néanmoins on est persuadé qu’on auroit besoin d’une multitude d’esprits, de jugemens & de lumieres, pour achever en quelque sorte la traduction d’un Livre qui est si divin dans ses moindres paroles, si profond dans ses sens, & si élevé au dessus des pensées & de l’intelligence de tous les hommes.
X. On n’a pas eu aussi peu de difficulté à se déterminer, si l’on suivroit dans cette traduction ou la Version Vulgate, ou le Texte Grec. Ce n’est pas que l’on ignore l’autorité que le Concile de Trente a donné à la Version Latine en la déclarant autentique, & que l’on ne sçache bien que dans la pluspart des lieux, où elle paroist différente du Texte Grec ordinaire, elle est autorisée par des Manuscrits Grecs fort anciens. Mais l’on sçait aussi que le Texte Grec, tel que nous savons dans les editions communes, est autorisé souvent dans les lieux où il est différent de la Version Latine, & par le consentement de plusieurs Peres qui s’en sont servis, & par un grand nombre de theologiens catholiques, qui soutiennent, comme l’avouë même le Cardinal Pallavicin, que le Concile de Trente en declarant la Version Latine autentique n’a voulu dire autre chose, sinon qu’elle ne contenoit rien contre la foy ; mais qu’il n’a nullement prétendu obliger à la préférer au Texte Grec, ni empêcher qu’on n’y pust avoir retours en plusieurs rencontres.
Pour ne s’embarrasser donc point dans cette difficulté on a cru devoir user d’un tempérament, qui unist en quelque sorte la Version Vulgate & le texte grec, & qui fist que l’on pust trouver l’un & l’autre dans cette traduction. Selon ce dessein on a traduit dans le texte la Version Vulgate, parce qu’elle est plus en usage dans l’Eglise. Mais s’il arrive qu’elle contienne quelque chose qui ne soit point dans le grec, on le marque en l’enfermant entre deux crochets avec la lettre V. [v.], qui signifie que ces mots ne se trouvent que dans la Vulgate. S’il arrive au contraire qu’il y ait quelque chose dans le grec qui ne soit point dans la Version Vulgate, on l’ajoûte dans le texte même avec cette marque [g.], qui signifie que les mots enfermez entre ces deux crochets ne se trouvent que dans le grec. Et dans les lieux où le texte grec est différent de la version vulgate, on met la traduction du grec à la marge, & celle de la vulgate dans le texte, excepté seulement en quelques endroits assez rares, où tous les habiles gens avouent que le grec est preferable au latin ; & alors on met la traduction du grec dans le texte, & celle de la vulgate à la marge.
XI. Pour le stile de cette traduction, on a tasché d’y conserver autant qu’on a pu l’air & le caractère de celuy de l’Ecriture. C’est pourquoy comme le stile de l’Evangile est extraordinairement simple, on s’est efforcé de representer dans la version cette admirable simplicité, en évitant les tours & les manières de parler, qui pouvoient ressentir l’éloquence humaine. La traduction de S. Paul a esté sans comparaison la plus difficile de toutes ; & l’on n’a pas cru s’y pouvoir mieux conduire, qu’en suivant l’idée que S. Augustin donne des Ecrits de ce S. Apôtre dans son quatrième livre de la Doctrine Chrestienne. Car il fait voir par des endroits entiers qu’il en cite & dont il examine toutes les parties, que Saint Paul a esté eloquent non en la manière que le sont les hommes à qui on donne ce nom, mais d’une eloquence toute Apostolique & toute divine. Il assure que Dieu a parlé par sa bouche tres-sagement & tres-eloquemment tout ensemble ; non que la sagesse ait recherché l’eloquence, mais parce que l’eloquence a accompagné naturellement la sagesse. Ainsi au lieu que dans les eloquens du monde les paroles ornent les choses ; dans S. Paul c’est l’éclat des choses mêmes qui rejaillit sur les paroles ; & comme elles sortent de sa bouche estant pleines du feu de son cœur, elles touchent aussi & embrasent le cœur de ceux qui le lisent. C’est pourquoy ce S. Docteur dit excellemment, que les Payens ont suivi l’eloquence, mais que l’eloquence a suivi les Chrestiens. On s’est donc efforcé de s’attacher de telle sorte à la lettre & aux paroles de ce S. Apostre, qu’on n’étouffast pas tout ce feu & cette vigueur que S. Augustin remarque & admire en luy ; & qu’estant vif & animé dans sa langue naturelle, il ne parust pas languissant & comme mort dans la nostre. Mais on a considéré en même temps cette règle excellente du même Pere, qu’un discours n’est eloquent que lorsqu’il est proportionné à celuy qui parle : Non est enim eloquentia, qua persona non congruit eloquentis ; & que si le discours d’un Roy pour estre éloquent doit estre différent de celuy d’un particulier, à plus forte raison celuy de Dieu même, & de ceux qui ont parlé par son Esprit, doit estre différent de celuy des hommes. Ainsy on a tasché d’éviter avec un extrême soin toutes les paroles qui pouvoient paroistre avoir quelque chose d’humain & de recherché ; & on a eu soin d’employer partout les expressions les plus simples & les plus naturelles. Car on se seroit servi beaucoup plustost de quelque terme moins en usage, mais qui auroit esté sort propre à rendre le sens que d’en employer un fort élégant, mais qui eust paru avoir quelque chose qui ne fust pas assez digne de la simplicité d’un Apostre, & de la gravité de la parole de Dieu. C’est pourquoy on n’a pas fait de difficulté de se servir de quelques termes & de quelques liaisons qui pourront paroistre moins elegantes sans crainte de déplaire à quelques-uns, qui s’imagineront peutestre qu’on a dû rechercher en cela un agrément qu’on a méprisé à dessein, & & qu’ils mepriseroient eux-mêmes, s’ils considéraient que des livres si saints ne doivent pas tant s’examiner par les règles de l’éloquence du monde que par celles de la pieté & de la foy.
XII. On a cru de même que, pour ce qui regarde l’arrangement des mots & le nombre, on ne le devoir jamais rechercher lorsqu’il ne se trouvoit pas naturellement dans la suite de l’Ecriture, & que l’on perdoit quelque chose de sa simplicité pour l’y vouloir mettre. C’est pourquoy, quand on n’a pû éviter qu’il s’y trouvast un vers entier, amoins de forcer un peu la suite des mots, on l’a laissé sans aucune peine ; estant bien juste que l’oreille en ces rencontres soit moins satisfaite, afin que le cœur & la raison le soient davantage. On a suivi en cela cette parole très-sage du même S. Augustin, qui dit qu’ajoutant le nombre aux plus beaux endroits de l’Ecriture on pourroit y trouver tout ce que les hommes estiment tant dans les eloquens du monde. Mais il faut prendre garde, dit-il, qu’en voulant donner un agrément humain à des paroles toutes divines, lorsqu’on tâche d’y ajoûter du nombre on ne leur fasse perdre beaucoup de ce poids & de cette gravité qui les rend si vénérables : Sed cavendum ne divinis gravibusque sententiis, dum additur numerus, pondum detrabatur.
XIII. On n’a pas jugé devoir mettre des argumens au commencement des chapitres, parce que s’ils sont courts il arrive souvent qu’ils n’en marquent pas assez ce qui y est contenu, & qu'estant longs on ne les lit point. Mais on a pris garde de diviser chaque chapitre selon la diversité des choses qui y sont traitées, sans néanmoins rien changer dans la suite des versets. Ainsi y ayant quelquefois six ou sept histoires dans un même chapitre de l’Evangile, on met une petite distinction à chacune, avec quelques mots les plus courts qu’on a pu, qui font connoistre tout d’un coup ce qu’elle contient. On a fait la même chose non seulement dans les Actes, mais aussi dans Saint Paul & dans le reste du Nouveau Testament, quoy qu’avec plus de difficulté, & on a partagé les chapitres selon les matières & les points qui s’y traitent, en marquant dans ces petits titres ce qui a paru de plus important, de plus clair & de plus edifiant.
XIV. Voila ce qui regarde le géneral de la traduction. Mais on a cru devoir encore rendre ìcy raison de quelques mots, qui sont souvent repetez, & qu’on a traduits d’une manière qui paroistra peut-estre extraordinaire.
Gehenna, (grec gehenna) a esté traduit Enfer & non pas Geenne ou Gêne ; parce que le mot de Gêne signifie présentement autre chose en nostre langue que le mot de gehenna dans l’Evangile, qui y est mis certainement pour le lieu où les damnez sont brûslez, que nous appellons enfer : & gehenna ignis est un renversement Hébraïque pour ignis gehenna ; & ainsi c’est le feu d’enfer. Car quoiqu’il soit vrai qu’originairement gehenna ou ge hinnom, vallìs hinnom, ou gehen hinnom, vallis filii hinnom, fust un lieu de Jérusalem, où estoit une chapelle de Moloch appellée Tophet, où des Juifs par une superstition détestable brûloient leurs enfans, ou les faisoient passer par le feu en l’honneur de Moloch, qui estoit le Dieu des Ammonites, néanmoins le saint Roy Josias, ayant fait brûler des corps morts & toutes sortes d’immondices en ce lieu-là pour le rendre abominable, & détourner ainsy les Juifs de cette idolatrie, il est arrivé delà que ce nom a esté pris par les Juifs même, comme le remarque Origene contre Celse, pour signifier le lieu des damnez, c’est-à-dire l’enfer.
Scribæ, (grec grammateis) a esté traduit les Docteurs de la Loy & non pas les Scribes ; car le mot de Scribe en nostre langue a tout une autre notion que le mot de Scriba dans l’Evangile, signifiant seulement un écrivain ou un copiste, au lieu qu’il est certain que ceux qui estoient appeliez de ce nom dans l’Evangile estoient les Docteurs & les interprètes de la loy, qui estoient devenus en tres-grande autorite parmi les Juifs, depuis qu’ils n’avoient plus de prophetes.
Seniores Populi, ou Seniores simplement, (grec presbuteroi) est traduit ordinairement dans l’Evangile par le mot de Senateurs, & non pas d’Anciens ; parce qu’il est certain, selon les plus habiles interpretes, que les Evangelistes ont voulu marquer par là, non simplement des Vieillards, ou des Prestres, mais les 72 Senateurs, qui composoient le Sanedrin, qui estoit comme le Conseil d’Estat des Juifs, où JESUS CHRIST fut condamné ; ou les 23 du Senat particulier de Jerusalem. Ce sont les mêmes, qui sont aussi appellez en d’autres endroits (grec archontes), Principes, comme il est dit de Nicodeme. Néanmoins en S. Matthieu XV. 2. ces mots traditionem seniorum (grec paredoxin presbuterôn) sont traduits par la tradition des anciens ; parce qu’il est visible qu’en cet endroit-là ceux qui y sont appellez (grec presbuteroi) ne sont pas les mêmes à qui les Evangélistes donnent ce nom en d’autres endroits, mais que ce sont ceux qui sont appellez (grec dechaioi) dans le Chapitre, c’est-à-dire, leurs anciens docteurs, comme qui diroit presentement les anciens Peres, qu’ils appelloient aussi Viros Synagoga magna, entre lesquels ils contoient Esdras, Nehemie, Mardochée, qu’ils pretendoienc estre les auteurs de toutes leurs traditions.
Præeses (grec numiôn), qui est le titre que les Evangelistes donnent à Pilate, a esté traduit par le mot de Gouverneur, & non pas de President. Le mot de President en François ne signifie nullement ce que signifie le mot de Præses, quand il se donne à ceux qu’on envoyoit dans les Provinces avec commandement, ce qui estoit absolument la même chose que ce que nous appellons Gouverneurs. Et ce qui fait plus voir qu’il se prend là pour celuy qui a l’autorité d’un Gouverneur de Province, est que ce n’estoit pas le titre particulier de Pilate, qui n’estoit que Procureur de Judée (grec epitropos); mais il est appellé Praeses, qui marque généralement en cet endroit la qualité de Gouverneur, parce qu’à la charge de Procureur, qui n’estoit de soymême qu’une commission pour avoir soin des revenus de l’Empereur, on y avoit joint, dans les petites Provinces comme la Judée, le même pouvoir de juger de toutes sortes de causes & de condamner à mort, qu’avoient les Gouverneurs en d’autres Provinces. D’où vient que dans la Loy 2. Cod. de Pœnis. Tales procuratores dicuntur vice praesidis fungi.
Selon que les villes sont situées en des lieux hauts, ou en des lieux bas, les Orientaux disent qu’on monte à une telle ville comme à Jerusalem, ou qu’on y descend comme à Jericho, à Cesarée. Mais parce que ces manières de parler ne sont pas ordinaires à nostre langue, on a traduit simplement les mots de monter ou descendre par aller. Neanmoins si on croit qu'il auroit mieux vallu conserver les mots de monter & de descendre, on n’aura pas de peine à les remettre aussitost que l’on pourra estre averti que des personnes habiles & judicieuses sont de ce sentiment.
On n’a pas jugé aussy qu’il y eust aucune différence entre ciel & cieux ; & ainsi le mot de ciel estant un peu plus en usage en nostre langue on s’en est presque toujours servi, lors même qu’il y avoit cieux dans le Latin.
On espère que ceux qui pourront lire cette traduction, considérant combien c’est une chose qui demande d’application, de capacité & de travail, & qui enferme d’extrêmes difficultez, auront assez de charité pour en excuser les fautes & les manquements. On supplie même les personnes intelligentes & éclairées qui les reconnoistront plus aisément que les autres, de la regarder plustost comme un projet & comme un essay que comme un ouvrage achevé, & de ne pas refuser leurs lumieres à ceux qui y ont eu quelque part, pour y faire les changemens qui la pourroient rendre meilleure. Il est certain qu’aprés avoir tant différé on ne l’avoit entreprise qu’avec dessein de la tenir long-temps supprimée, afin d’y pouvoir toujours changer. Mais dans la nécessite où l’on s’est vu de la donner au public, parce que quelques-uns pensoient à la publier sur des copies tres-defectueuses & pleines de fautes, on aura au moins cet avantage qu’estant vüe plus souvent & plus commodément de ceux mêmes qui y ont part, & généralement de ceux qui ont de la piété & de la suffisance, & qui sont capables d’en juger, on pourra comparer ensemble tous les jugemens qu’ils en feront pour s’arrester à ce qui paroistra de plus indubitable & de plus autorisé, afin d’en oster ensuite, ou d’y ajouter tout ce qui pourra contribuer à la mettre dans l’estat où elle doit estre.
Quoyque l’on considère principalement dans cette revüe les personnes habiles & éclairées dans l’intelligence de l’Ecriture, pour lesquels on a une estime & une deference particuliere, on n’exclut pas néanmoins de ce rang les ames, qui ont appris de Dieu même à le connoistre, & qui sont instruites par la lumiere de la pieté & de la bonne vie, que l’Escriture appelle, la science des Saints comme pouvant faire des réflexions & donner des vües sur cet ouvrage qui auront peut-estre échappé à toute l’exactitude de ceux qui l’avoient ou composé ou revu. Car le sentiment qu’elles ont de Dieu, & le goust qu’elles prennent à ses divines instructions, leur pourra faire discerner qu’une expression qui sera même fidelle dans le sens & exacte dans les paroles, devroit néanmoins estre changée, si on en juge par le cœur plus que par l’esprit ; parce qu’elle ne sera pas assez vive & assez edifiante, & qu’elle ne conservera pas assez cette onction de grace que Dieu a répandue dans sa parole, par l’impression de son Esprit.
Le Nouveau Testament est le thresor de l’Eglise ; & ainsi la traduction qu’on en peut faire, si elle estoit comme il seroit à desirer, est un bien commun. C’est pourquoy il y a lieu d’esperer que tous prendront part à ce qui pourroit estre utile à tous, & qu’il se trouvera des ames humbles qui ne cherchant que leur edification dans cet ouvrage demanderont à Dieu pour ceux qui y ont eu quelque part, qu’il ne leur impute pas à témérité ce service qu’ils ont tâché de rendre à l’Eglise, sans considérer assez qu’il estoit au dessus de leur force ; qu’il couvre & qu’il repare les fautes qu’ils ont pu faire dans la suite, en n’y ayant pas travaillé avec tout le respect, toute l’attention & toute la pieté qu’ils auroient du ; qu’il l’accompagne de sa benediction & de son Esprit, & qu’il ne permette pas qu’il s’y mesle rien d’etranger & d’humain, qui puisse détourner ou alterer en quelque sorte l’impression que doivent faire dans les ames ces paroles de grace, de verité & de vie.