Bibliographie critique de Marceline Desbordes-Valmore/11

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XI.

LES PLEURS (1833)



XI.

LES PLEURS 1833 LES || PLEURS || Poésies Nouvelles | par Madame Desbordes-Val- more. | Paris, | chez Charpentier, libraire, Palais Royal. || li MDCCCXXXIII. In-8° de 2 feuillets préliminaires non chiffrés (faux-titre portant au verso : Everat, Imprimeur, rue du Cadran, nº 16, et titre imprimé, orné d’une vignette sur bois de Brevière), VIII-389 pages, et 1 feuillet non chiffré de table, plus 12 pages (Catalogue Charpentier). Frontispice gravé sur acier par Charles Mauduit d’après Alfred Johannot ; il est tiré sur Chine monté et représente deux jeunes filles et un petit garçon qui pleurent sur la grève de- vant un jeune homme mort. Les huit pages qui précèdent le texte, sont occupées par une préface d’Alexandre Dumas. Couverture gris beige imprimée, dans un encadrement de filets et fleurons typographiques ; elle porte en plus : Avec une préface || par || M. Alexandre Dumas. Il a été tiré quelques exemplaires sur papier rose et bleu. 138 LES PLEURS C’est à Rouen, dans le courant de l’année 1832, que Mar- celine termina le manuscrit des Pleurs (1). Elle fit en novem- bre un voyage à Grenoble pour y conduire son fils Hippolyte ; au retour, elle s’arrêta à Paris et se mit en quête d’un éditeur pour son nouveau recueil de vers. Le 2 décembre, elle écrivait à son mari : "Au moment où je sortais avec Arago pour me rendre chez Mme Tastu qui m’attendait, Alibert est entré lui-même. Il nous a embarqués dans sa voiture et nous a conduits rue Vaugirard, chez Mme Tastu qu’il connaît. Cette visite a renoué l’espoir de la vente d’un livre, mais du dernier volume, le reste étant encore chez tous les libraires… Madame Tastu mit Marceline en rapports avec Janet. " M. Janet, le libraire, est venu à l’heure indiquée, écrit Marceline le 4 décembre. J’ai de l’espoir. Il veut tout acheter. Son air m’a plu beaucoup. Je lui ai fait mes conditions, qu’il a paru goûter : c’est le renouvellement du traité de Boulland. Demain il doit m’envoyer ses résolutions. Le 6 décembre, Marceline note : "Hier déjà, j’attendais les propositions écrites de M. Janet. Je n’ai rien reçu aujour- d’hui non plus… C’est déjà long. Arago m’a montré une lettre. d’un autre libraire qui met beaucoup d’empressement à traiter avec moi. Nous allons voir demain. C’est un grand supplice que ce commerce. }} Le 8 décembre : "Nous en sommes aux prises avec le li- braire. Je ne te dirai rien de cette affaire conclue, car elle se hérisse de détails si longs. «  Le 10 décembre : » Et puis rien de fini avec M. Janet. C’est ceci, c’est cela, qui fait perdre un jour. Je n’ai d’espoir solide que 700 francs. Encore faut-il que je livre mon manus- crit pour les recevoir. 1) Les pourparlers n’aboutirent point avec le libraire Janet et Marceline traita avec Charpentier (2) qui mit le volume en (1) Le manuscrit des Pleurs fait partie de la collection Louis Barthou. (2) Marceline dut signer son contrat entre le 10 et le 14, puisqu’elle repartit le 14 pour Rouen. LES PLEURS 139 vente au mois de mai suivant (1). Charpentier avait payé le volume 750 francs. " Il est bien marchand, M. Charpentier ! écrivait cette pauvre Marceline à son ami Gergerès. Pourtant je lui dois cette obligation de m’avoir acheté les Pleurs dont personne ne voulait. 11 Il semble que le titre de ce volume exprime la tristesse et le dégoût que causait à Marceline son séjour à Lyon. Elle y habita lontemps, " rue Clermont, une maison qui faisait angle avec la rue Lafort, et c’était pour elle une torture d’assister de sa fenêtre et, comme malgré elle, à l’exposition publique des insurgés, condamnés aux travaux forcés ou aux exécutions capitales, qui avaient lieu sur la place des Terreaux., , (Eugène Vial, Mme Desbordes Valmore et ses amis lyonnais). Voici d’ail- leurs, cueillies dans la correspondance de Marceline, quelques phrases qui ne permettront plus de douter de la vie de caucheinar que la poétesse dut mener à Lyon : "Nos jours sont pleins de pluie, et les nuits, lourdes del brouillard, jettent sur les êtres délicats et nerveux un poids de tristesse et d’angoisse impossible à soulever… Et je loge vis-à- vis une prison, sur une place où l’on attache des hommes à ce poteau, plus triste que le cercueil…, , (A Lepeytre). "Ah ! Gergerès, que Lyon est sale et bruyant ! On dirait l’Univers qui s’agite dans la boue et dans la soie. Partout des toiles d’araignées et des rubans nouveaux ; une poussière noire et grasse, sur laquelle s’étend de la gaze et des fleurs…… (Lyon, 1829). "Il pleut dans ce moment comme quand vous avez quitté Milan. Jugez de Lyon sous cette avalanche d’eau. Il n’en sera pas plus propre, car on dit que le déluge seul pourra laver cette ville d’où sortent tant de gazes et de rubans délicieux… (Lettre inédite à Mle Mars, Bibliothèque de Douai). "Tu n’as pas idée de la misère, ne l’ayant pas vue à Lyon : elle est plus maigre et plus noire qu’ailleurs et ne se lave qu’avec du sang." (Au sculpteur Bra). 11 (1) Les Pleurs sont enregistrés dans la Bibliographie de la France du 18 mai 1833 sous le N° 2702. Nous y apprenons que ce volume a été mis en vente à 6 francs. 140 LES PLEURS J’ai couru le danger de la vie par une affection déce- vante au larynx. Ma voix s’était comme brisée dans des cris de terreur, à la vue d’un pont qui s’est brisé sous mes yeux et où cinq victimes ont perdu leur vie., , (Lyon, 22 novem- bre 1830). "Bénissez Dieu : vous n’habitez pas Lyon., , (A Mélanie Waldor, 4 mai 1835). "Lyon, ville de toutes les douleurs, marais impraticable aux pieds faibles !, , (A Gergerès, 17 février 1835). "Lyon, ville de pleurs ! Si vous saviez combien elle est incrustée dans ma vie, vous auriez la certitude que tout m’y a consolée et est encore frais à mon souvenir comme la goutte d’eau qui fit reprendre haleine à Celui qui portait sa croix., , (A Sylvain Blot, d’après Madame Desbordes-Valmore à Lyon par A. Bletin). "J’ai trop souffert de Lyon et à Lyon pour ne pas y demeurer attachée par le cœur., , (A Boitel, 23 mai 1838). Je deviendrai folle ou sainte dans cette ville., , (A Mé- lanie Waldor, 9 mars 1837). (1 Quand parurent les Pleurs, Alfred de Vigny demanda à Sainte-Beuve, qui ne connaissait pas encore Mme Desbordes- Valmore, d’écrire un article sur ce volume. L’article parut au mois d’août dans la Revue des Deux Mondes et fit sensation. L’auteur des Lundis devint par la suite, l’un des amis les plus sûrs de la poétesse, et, quand elle mourut, il lui consacra un livre charmant de souvenirs d’où nous extrayons l’anecdote suivante : " Un critique éminent et bienveillant, M. Vinet, en par- lant du recueil des Pleurs de Mme Valmore, n’a pu s’empê- cher de voir, lui chrétien positif, une sorte de sacrilège dans cette confusion d’adorations par laquelle elle mêlait Dieu et les anges à ses divers amours, et même au plus orageux de tous : c’est qu’aucun amour digne de ce nom et sincère n’était profane à ses yeux. » Cet article de Vinet avait paru dans le Semeur, journal protestant, Marceline en fut vivement attristée, et, le 8 décem- bre 1833, elle écrivit à ce sujet à l’instituteur Froussard, chez LES PLEURS 141 qui son fils était en pension à Grenoble : "J’ai lu l’article lit- téraire que vous m’avez signalé. Je le trouve grave et juste. Il m’a fait beaucoup pleurer. L’amour de mes enfants comme je l’éprouve, ardent et dévoué, me fera peut-être pardonner l’autre. Si une punition, triste et éternelle, suivait une vie si orageuse et si amère, mon âme éclaterait de douleur…, , (Let- tre inédite de la Bibliothèque de Douai). Son âme aimante, encore plus que son bon sens, se refusait à croire à l’éternité des peines… Au mois de juin 1835, Marceline fit hommage à l’Acadé- mie de Lyon des Pleurs et de quelques autres de ses livres. "Ces ouvrages précieux, dit en la remerciant le secrétaire de l’Académie, ont été placés au premier rang de la Bibliothèque publique de l’Académie. Chacun viendra y puiser des jouis- sances délicates et pures, chacun y trouvera des modèles de sensibilité et de grâce. Aux remerciements de l’Académie, per- mettez-moi d’ajouter le tribut de respects avec lequel, je suis, Madame…… " Le procès-verbal des élections à l’Académie de Lyon, du premier décembre suivant, est ainsi conçu : " Au premier tour de scrutin pour les associés Mme Desbordes-Valmore a été nommée à l’unanimité des suffrages.. Alexandre Dumas a écrit pour les Pleurs la belle préface que l’on va lire : PRÉFACE "Si vous avez voyagé en Écosse, il a dû vous arriver ceci : "Après une journée longue et fatigante, comme l’est une journée dans les montagnes, vous êtes sorti au soleil couchant de quelque gorge sombre, et les derniers rayons du jour vous ont permis d’embrasser de la vue la longue plaine de bruyères arides qui s’étendait devant vous et au-delà de laquelle vous attendait votre gîte. A peine, en jetant les yeux à droite et à gauche, avez-vous remarqué vers l’horizon, situé à un quart de lieue à peu près du chemin, un de ces châteaux écossais 142 LES PLEURS perdus dans un massif de sapins et de mélèzes et dont les cheminées seules, dépassant la cime des arbres, se découpent sur le fond rougeâtre du ciel ; vous ne l’avez pas remarqué, car ce n’était point là que tendait votre course, et, fatigué que vous étiez du paysage monotone, brisé par le trot court et saccadé de votre petit cheval de montagne, menacé peut-être par un orage qui s’amoncelait, vous n’aviez qu’un désir, celui d’arriver vite où vous attendait le repos. Bientôt alors vous êtes tombé dans cette disposition où l’esprit, fixé sur une seule pensée, ne permet aux yeux de s’arrêter que sur un seul objet : vous voyiez se dérouler devant vous la route étroite, tortueuse et sans fin, qui semblait se prolonger à percer cet horizon où vous la suiviez s’amincissant toujours et peu à peu toute la partie animiste de votre organisme, tout ce qui pensait en- fin en vous, cédant à la fatigue, s’engourdissait, vaincu par la partie matérielle. Vous n’aviez plus une pensée distincte de vos autres pensées ; vos yeux continuaient de voir, mais ne distinguaient plus ; vous n’auriez pu dire si le mouvement de votre monture était le trot d’un cheval ou le balancement d’un bateau, et si ce sable dans lequel il s’enfonçait jusqu’aux ge- noux et qu’il faisait voler à chaque pas en poussière, n’était pas une vague et son écume ; les arbustes amaigris et tortueux qui garnissaient la route vous semblaient des figures fantas- tiques qui vous regardaient passer dans différentes postures, les unes debout, les autres accroupies, celles-ci vous menaçant et semblant vous poursuivre, celles-là immobiles et se raillant de vous ; c’était un songe sans sommeil, un engordissement qui eût été la mort, s’il se fût étendu jusqu’au cœeur, une atonie dont un coup de tonnerre ou une blessure ne vous eussent pas tiré. Et cependant vous avez tressailli tout à coup, et tout à coup vous avez retrouvé vos facultés les plus ardentes pour écouter. "Un son venait de traverser l’espace. "Ce son était si faible qu’il sembla se perdre à quelques pas du chemin ; mais il était en même temps si pur, si suave, qu’il avait été chercher tout ce qui restait de vivant en vous, et qu’au fond du corps engourdi il avait trouvé l’âme. LES PLEURS ange ; 143 "A Kachemyr ou à Bagdad, vous aussiez cru entendre le chant d’une péri ; "Aux pieds du Carmel ou du Gelboé, les plaintes d’un "Dans les forêts d’Underwald ou de Glaris les soupirs d’une fée. "Alors tout a disparu pour vous, faim, fatigue et som- meil ; vous vous êtes arrêté la tête inclinée, la bouche entr’ou- verte, l’œeil fixé sur ce massif noir, duquel semblaient sortir ces souffles d’harmonie qui se mêlaient à l’air du soir et venaient à vous dans l’ombre ; et pendant que vous étiez là immobile et en extase, les sons se sont succédé ; vous avez pu les suivre, les analyser et bientôt désenchanté comme d’un premier amour, vous vous êtes dit, en piquant des deux votre cheval et en reprenant votre route : "-Ce n’est que la vibration d’une harpe dans laquelle passe le vent. "Cependant dédaigneux que vous fûtes alors, combien de fois, depuis, soit dans un bal, soit au théâtre, dans votre veille ou dans votre sommeil, combien de fois, dites, quoique votre esprit fût alors tout entier attaché aux choses qui en étaient les plus éloignées, combien de fois n’avez-vous pas tressailli tout à coup, croyant entendre encore ces sons éoliens qui vous avaient frappé au soir sur une route d’Edimbourg ou de Dum- fries, et dont votre âme avait gardé le souvenir ! "Ce n’était cependant que la vibration d’une harpe dans laquelle passait le vent. "Mais cette harpe, c’était celle d’Ossian, ce vent, c’était le vent d’Ecosse. "Eh bien, moi aussi, comme ce voyageur, j’ai ma harpe éolienne ; j’ai des sons qui, quelque part que je sois, quelque pensée qui préoccupe mon esprit, quelque amour qui me tienne le cœur, retentissent tout à coup au fond de mon âme ; j’ai une voix qui me parle dans le tumulte ou dans le silence, dans le jour ou dans l’ombre, et me fait frissonner, comme lorsque les cheveux d’une femme que j’aime me passent sur le visage. Harpe inconnue, sons mystérieux, voix divine !… 144 LES PLEURS "La première fois qu’elle me parla, j’étais enfant ; la voix était douce et naïve : je la pris presque pour celle de ma mère. Elle me dit : Quoi ! Daniel, à six ans vous faites le faux brave "Plus tard, à l’âge où l’homme commence à se sentir vivre, où des souffle brûlants lui passent sur le cœur à l’aspect d’une femme, où tout le langage mystérieux de la créa- tion ne murmure à son oreille qu’un mot:Amour ! et où son cœur le répète comme un écho à chacun de ses battements, j’entendis de nouveau cette voix éolienne, tendre et mélanco- lique, tendre comme celle d’une amante; cette voix qui disait : LE PRINTEMPS. Le printemps est si beau ! sa chaleur embaumée "Et maintenant que plus avant dans la vie, après avoir laissé à chaque pas de cette rude montagne que nous gravis- sons, une espérance, une illusion, un bonheur ; maintenant qu’arrivé haletant et fatigué au sommet de la jeunesse, je dé- tourne les yeux des débris qui jonchent ma route pour étendre ma vue vers le côté grave de l’existence ; maintenant qu’il me faut dire adieu aux folles joies et aux jeunes amours, aux lon- gues rêveries, avant que je ne m’engage dans le sentier aride, ô ma harpe éolienne ! un dernier son ; ô ma voix inconnue ! un dernier chant, un son mélancolique, un chant de souvenir. J’écoute. Ondine, enfant joyeux qui bondis sur la terre "O ma voix amie ! merci ; car votre dernier chant est le plus doux de vos chants. ALEX. DUMAS. " LES PLEURS DÉPOUILLEMENT DES "PLEURS „. Le volume que nous avons décrit au début du chapitre XI, constitue l’ÉDITION ORIGINALE des Pleurs. Il contient 67 pièces nouvelles dont voici le détail : 145 1. Vois-tu, d’un cœur de femme il faut avoir pitié (RÉVÉLATION). Les pièces qui composent le volume des Pleurs, ont été écrites entre 1829 et 1832, à une période où les Valmore ont souffert de tous les déboires, de toutes les inquiétudes : maladies, fermeture des théâtres et la misère qui devait s’ensuivre… " C’est sur ma figure, écrit Marceline, que mes chers enfants regardaient s’ils pouvaient être tranquilles., , Elle les soignait avec amour ; elle veillait aussi avec tendresse sur son mari dont le caractère s’aigrissait. Il manifestait une irritation très vive, et il était faible à l’excès., , Ses " grincements de dents envers la destinée, , et, sans doute aussi, ses reproches injustes, ont inspiré à la pauvre Marceline ces poésies débordantes d’amour et de lar- mes. Lucien Descaves a écrit un jour : "Comme il y a les re- ligieuses, il y a les épouses de l’Adoration ; Marceline en est une., (La vie amoureuse de Mme Desbordes-Valmore). Il n’est que de feuilleter au hasard les lettres qu’elle adressa à Prosper Valmore, pour retrouver à chaque page le même sentiment de renoncement et de tendresse : Paris, 12 février 1834. Comment peux-tu m’aimer comme tu m’aimes et me dire et avoir le courage de me dire que j’ai mal choisi ? D’abord tu as en toi tout ce qui m’honore, et de plus, tu connais bien peu la femme de mon caractère, si tu es à savoir que l’idée d’une affection profonde ne tient pas la place, avec un im- G. Cavallucci — Bibliographie de Marceline Desbordes-Valmore 10 146 mense avantage, à toutes les gloires et à tous les luxes de ce monde. Je ne te comprendrai jamais en cela. Ne pouvant résoudre selon mon cœeur une opinion si constante en toi, je pleure. Si tu pouvais te pénétrer une bonne fois de la sim- plicité de mon cœur ! il me semble que le tien serait dilaté de tous les vains scrupules et de tous les préjugés qui l’ob- sèdent. „ Paris, le 8 novembre 1832. Mon cher Valmore, tu es inquiet quand même ; ce n’est pas ma faute, j’en suis contrariée et attristée. Toi, ne le sois pas ! Qu’importe qu’on ne se soit pas entendu, quand on finit par s’entendre ; et, à présent, il me semble que tu me comprends bien ! Merci, cher Prosper, c’est tout ce que je demande à Dieu ; car je suis sûre alors que tu m’aime, et que tu es content de ma tendresse, à l’épreuve de tout., , (1 LES PLEURS … 11 Paris, 10 avril 1837. Je te quitte pour ce soir, mon bon Prosper, triste en moi du désert où tu es resté sans moi. Mais cet intervalle froid va être comblé, et nous serons deux au moins, nuit et jour, pour causer de la vie et y trouver de bien doux mo- ments. Tu es injuste, quand tu te soulèves de m’avoir fait ce sort. Je te proteste que je n’en envie aucun, que je n’en vou- drais point d’autre et que, si nous sommes éprouvés, j’y trouve au contraire une source d’immense consolation, puisque nous le sommes ensemble. Oh ! bonsoir. Paris, 21 avril 1839. (1 … N’as-tu pas été malade de cette torture ? Cette idée, ajoutée à la mienne, je suis comme ivre… Je crois t’avoir dit, hier, que je pensais à chaque instant au Dernier jour d’un condamné. cond "Je demande à Dieu du soleil pour toi, de la santé pour toi, et s’il a presque épuisé nos forces, il éveillera peut-être sa bonté. Mon cher ami, mon bon mari, que je t’aime et qu’il me semble te l’avoir prouvé jusque dans les efforts que je viens de faire pour te cacher les souffrances infinies de ce LES PLEURS 147 sacrifice, commencé depuis trois mois ! Nous l’accomplissons à deux, mon cher enfant ! Que cette pensée au moins te sou- tienne ! Tu as besoin de tes forces physiques, pauvre ouvrier à la journée ; moi, j’en aurai aussi par l’idée d’avoir rempli un devoir… Tu as l’âme, et tu sais à peu près ce que je suis devenue, brisée de larmes. Nous nous sommes tous couchés à neuf heures, nos pauvres enfants étaient sauvages de tristesse…." (1 Orléans, 14 Mai 1839. … Tu réveilles un sentiment d’une douleur profonde en me demandant si je ne suis pas fâchée d’être mariée à toi !… Tiens, Valmore, tu me fais bondir hors de moi-même, en me supposant une si petite et si vaine et si basse créa- ture. Me supposer une idée ambitieuse, un regret d’avarice ou d’envie pour les plaisirs du monde, c’est me déchirer le cœur qui n’est rempli que de toi et du désir de te rendre heureux. Je te suivrais avec joie au fond d’une prison ou d’une nation étrangère, tu le sais, et ces pensées, pour mon malheur, ne t’assaillent jamais qu’après la lecture de mauvais barbouillages dont j’ai honte, en les comparant aux belles choses écrites que tu m’as donné le goût de lire. Après quoi je te dirai sim- plement, vraiment et devant Dieu, qu’il n’existe pas un homme sur terre auquel je voulusse appartenir par le lien qui nous unit. Tous leurs caractères ne m’inspiraient que de l’effroi. Ne te l’ai-je pas dit assez pour t’en convaincre ? Mais, hélas ! c’est donc vrai : « On ne voit pas les cœurs. » 2. De la colombe au bois, c’est le ramier fidèle (LA VIE ET LA MORT DU RAMIER). Publiée dans le Mémorial de la Scarpe, 1829, dans la Guir- lande des Roses, 1830 et dans les Annales romantiques de 1831. Dans le catalogue de vente de Sarah Bernhardt le ma- nuscrit de cette poésie était annoncé sous le nº 304 avec une lettre d’envoi : "A Monsieur l’Editeur du Mercure du 19e siècle. Je vous prie de recevoir un bien pauvre tribut de ma reconnaissance. Je ne mérite pas le don que vous me faites avec tant de constance du journal qui m’attache le plus, mais 148 LES PLEURS dans l’impossibilité de reconnaître ce bon procédé, j’éprouve le besoin de vous dire au moins combien je suis sensible, etc… Cet autographe avait été offert à Sarah Bernhardt pour la remercier d’avoir dit des vers à Douai, lors de l’inauguration du monument de Marceline (13 juillet 1896). Le comte Jules de Rességuier, auquel est empruntée l’épigraphe de ce poème, était l’auteur de Tableaux poétiques publiés en 1828. Marceline avait donné des vers à la Muse française, qu’il fonda en 1823 et qui eut pour collaborateurs Victor Hugo, Charles Nodier et Alfred de Vigny ; mais elle ne connut Rességuier qu’en 1835, lors d’un voyage à Lyon. 3. Quand je ne te vois pas, le temps m’accable, et l’heure (L’ATTENTE). Publiée d’abord dans la Gironde, juin 1833. 4. Et toi ! dors-tu quand la nuit est si belle (DORS-TU). Marceline associait son mari à toutes ses impressions, même les plus fugitives. Bien des années après avoir écrit ces vers, elle mandait à Valmore : " Que faisais-tu pendant l’im- mense orage d’avant-hier, mon cher ami ?, , (Paris, 7 août 1846). 5. Ce que j’ai dans le cœur, brûlant comme notre âge (AMOUR). Latouche avait donné en 1819 la première édition des Œuvres complètes d’André Chénier auxquelles est empruntée l’épigraphe de cette pièce. En 1833 (l’année des Pleurs), il publiait chez Charpentier (l’éditeur des Pleurs) les " Poésies posthumes et inédites d’André Chénier, nouvelle et seule édi- tion complète., 6. Petit ange, dernier venu (LE JUMEAU PLEURÉ. A sa mère, Madame Henriette Duthilloul). Publiée dans le Mémorial de la Scarpe du 24 juillet 1832, sous le titre : " L’enfant pleuré, inédit et avec la dédicace : "A Félicie D. LES PLEURS Marceline avait une affection profonde pour Duthilloul, ancien juge de paix, puis bibliothécaire de la ville de Douai et directeur du Mémorial de la Scarpe, où parurent de nom- breuses pièces de la poétesse à partir de l’année 1824. Madame Duthilloul avait eu trois enfants : l’aîné Oscar, né en 1830 et deux jumeaux, Paul et Félicie ; cette dernière mourut en 1832 à l’âge de deux mois, et c’est en son souvenir que furent écrits ces vers. Marceline composa des contes et de petits poèmes pour Paul et pour Oscar. 7. Souvent toute plongée au fond de ma tendresse (LES MOTS TRISTES). 149 Nous lisons dans la Vie amoureuse de Marceline Desbor- des Valmore par M. Lucien Descaves : "La plupart de ces beaux vers sont en germe dans sa correspondance. Il vinrent naturellement à l’esprit et sous la plume de Marceline, lors- qu’elle en eut besoin pour consoler son cœur. " Cette pièce si belle nous fournit de multiples exemples de la remarque précédente ; on y lit : Ah ! ne t’étonne pas. J’aime ! je suis crédule……. Marceline écrira aussi dans une lettre à Caroline Branchu : " Crédule comme ta pauvre Marceline, qui ne croit jamais avoir été blessée que quand elle voit du sang…., (Lyon, 7 juin 1835). Sainte-Beuve traduisit, d’ailleurs, sa "devise, , Credo par : Je suis crédule. Là, jamais un fil noir ne traverse la joie…. Le 26 mars 1832, Mme Desbordes— Valmore écrivait en- core à son amie Caroline : " Adieu, au revoir, un fil de plus et bien fort nous attache à présent pour nous réunir, ce fil noir du malheur roulé à l’entour de moi. Est-ce ton âme en peine, en quête de mon sort, Sous une aile traînante et paresseuse encor, Dont le doux bruit de plume et m’effleure et m’appelle ? "Heureux qui s’abandonne, , oh ! tu l’as dit souvent, "Et qui s’envole à Dieu comme la plume au vent. 12 150 LES PLEURS Les ailes et les plumes constituent une image obsédante sous la plume de Marceline. Le 24 juillet 1837, elle écrit à Caroline : "Après quoi nous irons te visiter en masse, si les projets de cœur peuvent quelquefois arriver à leur but, sans être éffeuillés en route par les grandes ailes du Destin ; j’ai une horrible expérience de ces vilaines ailes-là., , Elle mande à la même : "J’irai donc à Orléans sous peu de jours et je descendrai chez toi comme un pigeon voyageur, que tu re- connaîtras à ses plumes absentes et à la fidélité de son instinct. „ Le 22 avril 1837, elle avait déjà écrit à Mélanie Waldor:Je suis, moi, comme une plume dans l’air; je tourne à bien des vents contraires et je me meurs de fatigue inutile., , (Lettre inédite de la Bibliothèque de Douai). (1 L’épigraphe des Mots tristes est de Madame Amable Tastu. Sabine-Casimire Amable Voïart, née à Metz le 31 août 1798, avait épousé en 1816 Joseph Tastu, imprimeur à Perpignan. Elle s’installa à Paris, avec Tastu peu après son mariage, et publia en 1826 son premier recueil de Poésies. Un second recueil, paru en 1829 sous le titre Chronique de France, ne rencontra aucun succès auprès du public. Joseph Tastu, durement éprouvé par la crise économique qui suivit la révolu- tion de 1830, dut vendre son imprimerie et solliciter une place. de bibliothécaire. Sa femme vécut dès lors très retirée et n’écrivit plus que des livres pour les enfants. Sainte-Beuve a dit de sa poésie : "Mme Tastu se rattache à l’école nouvelle par un grand sentiment de l’art dans l’exécution. Cette pensée rê- veuse et tendre aime à revêtir le rythme le plus exact, à la façon de Béranger que par endroits elle imite un peu. (Por- traits Contemporains). Et Marceline qui lui avait voué une tendre amitié écrivait d’elle : "Mme Tastu, modèle des femmes C’est une âme pure et distinguée qui lutte avec une tristesse paisible contre sa laborieuse destinée. Son talent est, comme sa vertu, sans tache. Je l’aime ; je la trouve souffrante et jamais moins courageuse. Douce femme, que je voudrais oser nommer sœur., , (Bertrand Guégan, ouvrage cité, p. 390). LES PLEURS 151 8. Quand tu souris en homme à ces tendres orages (TOI ME HAIS-TU ?) Publiée d’abord dans le Talisman, 1832, sous le titre : Laisse-moi t’aimer. "Les années 1831-1834, écrit M. Bertrand Guégan, sont parmi les plus tragiques que les Valmore aient eues à vivre. Le théâtre de Lyon avait fermé ses portes à cause des émeu- tes. Engagé à Rouen, Prosper Valmore avait été sifflé (Voir au tome I, le Calendrier Valmorien. Après des démarches sans nombre, Marceline réussit à le faire entrer à la Porte- Saint Martin. Un nouvel insuccès lui était réservé à Paris. Valmore finit par retourner à Lyon, et la famille fut de nouveau séparée. Cette série de déboires avait terriblement déprimé Valmore, qui pensa même un moment à se suicider pour ne plus être à charge à sa femme. Plusieurs poésies des Pleurs reflètent cet état de nervosité et de découragement dans lequel ont vécu les époux, les orages et les dissentiments pas- sagers qui ont pu les séparer, mais aussi l’amour profond qui les unissait à travers toutes ces épreuves. Les pièces qui ont pour titre:Toi me hais-tu, Minuit, Malheur à moi, Ne viens pas trop tard, L’attente, etc. ont certainement été inspirées par Prosper Valmore. D’autres, nous ne le nions pas, ont été inspirées par l’amant, dont le souvenir était encore vivace ; mais le mari tient dans les Pleurs une bien plus grande place que dans les recueils précédents. Voici, d’ailleurs, quelques frag- ments de lettres de Marceline adressées à son mari à l’époque où elle écrivait les Pleurs; rien ne pourrait mieux expliquer son état d’âme: $6 Paris, le 7 novembre 1832. … Il est dix heures et je me délasse dans le plaisir de causer avec toi; car, je le répète, le bonheur de te voir me man- que cruellement. Des longues rues de Paris, au bout desquelles je ne dois pas me retrouver avec toi, me sont d’une tristesse insupportable…., 152 LES PLEURS Paris, le 11 novembre 1832. Tu sais bien aussi qu’il n’y a rien de calme dans mon affection pour toi. J’ai souvent renfermé des orages qui auraient trouble ta vie, déjà fort agitée par ton caractère qui ne te pardonne rien. A ce titre seulement, je mérite de toi une amitié, un sentiment indestructible, et tu me le garderas. Sois toujours sûr d’une vérité : c’est que tu peux en toute confiance me céder, quand je te demande quoi que ce soit avec insi- stance et chaleur ; car, je te le proteste, ta dignité d’homme m’est aussi sacrée qu’à toi. C’est pour qu’elle ne fût jamais compromise que j’ai toujours évité d’exalter ton cœur déjà si sévère contre tes étourderies. Le mien pleurait souvent, mais tu n’en savais rien ; car tu aurais été trop irrité contre toi- même et les autres à qui je pardonne devant Dieu tout ce qui peut t’attrister dans le passé… Nous pouvons être infini- ment heureux l’un à l’autre, en ce qui concerne au moins la douceur d’un ménage bien uni, et c’est le premier bien de ce monde. „ Grenoble, 18 novembre 1832. Ta lettre que j’ai reçue hier au moment de quitter Lyon, m’a fait beaucoup pleurer. Elle m’a reportée à des temps de torture et de malheur qu’il ne faut pas réveiller, puisque j’ai pu y survivre. — Quoi ! j’impose moi ! Moi si écrasée alors dans le sentiment du dédain que je croyais t’inspirer, c’est de moi que tu parles ! Tiens, je te le dis, on vit en aveugle dans ce monde, et, à côté l’un de l’autre, on ne s’en- tend pas. La pensée est donc bien voilée chez moi, mon ami ! Moi si vraie, j’ose dire si naïve pour tous les autres, c’est toi qui me redoutais ! Quand j’avais le cœur martyrisé de ta froideur et de ta lassitude de me voir… Ah Prosper ! qu’il y a de tristesses dans la découverte des causes qui nous ont fait verser tant de larmes ! N’en doute pas, mon ami, c’est à ces premières sources que tu as puisé, à ton insu, mille va- gues préjugés contre moi. Tu m’as vue souvent à travers les jugements bien troublés de ta maman.

        • (1

Lyon, 23 novembre 1832. Et puis écoute, tu m’as parlé de mots détournés et qui t’avaient fait du mal. Du mal à toi ! quand je te donne- rais mon sang, quand je te suivrais au bout du monde et partout à tout prix. Oh ! bien, reçois le serment vrai que jamais une parole volontaire ne te réveillera du passé, qu’il est anéanti pour moi et que je te conjure de l’oublier de même. Mais aussi, prends bien les choses. A force d’être rigide avec toi-même, tu ne crois pas assez que les autres t’aiment, t’ai- ment et t’aiment. Sois liant, sois sans crainte ; je n’ai de ran- cune contre quoi que ce soit, et juge avec toi. LES PLEURS …. (1 153 11 Paris, 4 décembre 1832. … Non, Valmore, je ne serai jamais heureuse que de ton bonheur, et l’idé : que tu me le devras, est la plus péné. trante pour mon cœur où tu es aussi incrusté pour la vie.,

Paris, le 26 mai 1833 (après l’aventure de Rouen). Je souffre de ne pouvoir t’envoyer que des paroles vides, cet espoir effrayé qui est à chaque heure prêt à fuir. Et puis malgré l’accueil reçu partout, bon, tendre même, si tu savais quelle douleur d’être en ce moment loin de toi, de te savoir sans moi dans tout cela, et l’impatience où tu dois brûler ton pauvre cœeur que je voudrais savoir rendre si heu- reux !, Rouen, 16 juin 1833. "Ta lettre me traverse le cœeur, comme un couteau. Mon énergie ne tient qu’à la tienne, mon cher Valmore, et quand tu t’abats, la terre me manque… Ah ! Prosper, s’il ne fallait que tout mon sang pour assurer ta vie, comme tu serais heu- reux ! De quoi parles-tu, de fléau ? Mais perds-tu le sens ? et oublies-tu le mal profond que tu me fais en cherchant à te rabaisser devant un malheur, à moi, qui ne te demande pour- tant jamais pardon de t’avoir associé à ma bizarre étoile ? Va ! ce n’est pas toi qui l’as faite, c’est un ordre d’en haut., Voici trois fragments significatifs extraits des lettres de 1827 et 1834. 154 LES PLEURS Paris, 14 avril 1827. Tu ne sais donc pas comme tu es moi, comme j’existe à présent de toi seul, du besoin d’être là, de sentir tes mains, tes yeux sur moi ; cet amour, cette âme sincère et pure qui tourne autour de ma vie qui, sans toi, ne me serait plus supportable. Va ! tu peux me donner, j’ai de quoi te rendre, et si tu as le bonheur d’aimer ta femme, j’ai celui de te pré- férer à tout l’univers. Je ne veux que toi, je n’aime que toi. Je t’en prie, ne me parle pas de couronnes, de talent, de rien du tout. La vanité ne tient pas de place dans mon cœur plein de tendresse, de larmes ; car je pleure souvent, tu sais, en cachette, et ce n’est pas toujours de tristesse. " Paris, 2 février 1834. … Cet enrouement, le croirais-tu, m’en a donné un sym- pathique ; car il porte à tel point sur mes nerfs tendus vers toi, que je souffre comme toi de l’altération si douloureuse de cette voix dont tu as tant besoin. Paris, 12 février 1834. "Ne me plains-tu pas dans cette position vide où je flotte sans toi, qui me casse tout courage et fait que je m’assieds des heures entières devant mon petit feu solitaire, sans avoir la force de combattre ma maladie nerveuse à laquelle est venu se joindre ton enrouement ? Car il a eu sur moi une telle puis- sance magnétique, par ce qu’il m’a fait ressentir d’impatience et d’inquiétude pour toi, que j’ai la voix éteinte., , 9. Quand je sens entre nous la cité tout entière (MINUIT). Cette pièce figure dans l’Album n° 14 de la Bibliothèque de Douai. Une branche sèche de rosier est collée en travers sur la poésie, au-dessous de laquelle se lisent ces mots : "Lyon, Saint-Clair. „ Dans l’Atelier d’un peintre, que Marceline fit paraître la même année que les Pleurs, on trouve la phrase suivante : "Le cri lamentable d’un chien perdu jeta dans l’air une ter- reur qui l’atteignit dans l’âme, , et quelques pages plus loin : LES PLEURS 155 "J’avais les yeux fixés sur ma lumière vacillante, et j’y lisais dans un flocon de la mèche fortement enflammé : Nouvelle superstition de nos pays !, Les vers de Charles Nodier, qui servent d’épigraphes aux Pleurs, sont extraits des " Poésies diverses de Charles Nodier, recueillies et publiées par M. Delangle., , (Paris, Delangle, 1827). 10. Partir ! tu veux partir ! ta voix chère et cruelle (ADIEU). Dans Sa Vie amoureuse de Marceline Desbordes-Valmore, M. Lucien Descaves a donné une interprétation tres vraisem- blable de cette poésie : " Olivier était las de Marceline et le jour vint où ses parents invoqués lui fournirent le moyen et les moyens de se séparer d’elle sans éclat, sans même qu’elle s’affolât d’une rupture définitive. L’âge et la dépendance d’Olivier rendaient plausible l’impossibilité de désobéir. Il feignit d’être envoyé sous un prétexte quelconque à l’étranger. Le voyage sauvait les apparences. Marceline se laissa prendre au piège d’autant plus qu’il l’avait enguirlandée de fleurs. Il al- lait profiter de l’occasion pour fléchir une famille ombrageuse, incapable d’admettre qu’on pût épouser une petite actrice. Mais l’éloquence d’Olivier vaincrait cette résistance. Les trois vers de "Joseph de Lorme, que Marceline a inscrits en tête d’Adieu sont empruntés au livre que Sainte- Beuve fit paraître en 1829, sous le titre : "Vie, Poésies et Pensées de Joseph Delorme. „ 11. Malheur à moi ! je ne sais plus lui plaire (MALHEUR A MOI !) Publiée d’abord dans le Mémorial de la Scarpe, 1829, sous le titre : Le mal d’aimer, et dans le Chansonnier des Grâces de 1830. Cette pièce a été mise en musique par Pauline Duchambge. 12. Sans signer ma tristesse, un jour, au seul que j’aime (LA JALOUSE). 156 LES PLEURS 13. C’était un songe : il me parlait (LE SONGE). Publiée d’abord dans l’Almanach des Dames de 1831 (C’était un rêve…) Les vers de Latouche n’avaient pas encore été publiés en volume, quand parurent les Pleurs. 14. Sais-tu qu’une part de ma vie (NE VIENS PAS TROP TARD). 15. Oh ! si j’avais de grandes ailes (SERAIS-TU SEUL ?) Pauline Duchambge a mis cette pièce en musique sous le titre : T’enfuiras-tu ? 16. Et toi, crois-tu comme eux le ciel inexorable ? (PARDON). On se rappelle la lettre à Froussard que nous avons publiée au début de ce chapitre : L’amour de mes enfants comme je l’éprouve, ardent, dévoué, me fera peut-être par- donner l’autre. Si une punition triste et éternelle suivait une vie si orageuse et si amère, mon âme éclaterait de douleur., (Lettre inédite conservée à la Bibliothèque de Douai). Dans une lettre à Gergerès, Marceline citant les derniers vers de ce poème (Dieu n’a pas dit : Brisez son facile cou- rage, etc…), ajoute : "Voilà mon portrait., , (Lyon, 16 mai 1829). 17. Vous aussi, vous m’avez trompée (LES AILES D’ANGE). Publiée d’abord dans les Annales romantiques de 1832 et, l’année précédente, dans le Mémorial de la Scarpe, avec la note suivante de la Rédaction : "Cette romance, qui vient d’être mise en musique par notre compatriote M. Colin, se trouve sur tous les pupitres de Paris. Voir la lettre de Marceline à Duthilloul (Lyon, 21 janvier 1831) que nous avons publiée au cours de notre notice sur Le Bouquet sous la croix. }} 18. O menteur ! qui disait sa vie (SEULE AU RENDEZ- VOUS). LES PLEURS 157 Publiée dans le Mémorial de la Scarpe, 1832, sous le titre : Le menteur d’amour. Jean Polonius (1790-1855), qui a fourni l’épigraphe de ce poème, s’appelait de son vrai nom François-Xavier Labinsky. Il avait publié des Poésies en 1827. 19. Autant que moi-même (L’ADIEU TOUT BAS). Publiée d’abord dans le Chansonnier des Grâces de 1833. 20. Sois libre, je t’oublie (NE ME PLAINS PAS). En 1803, écrit M. Bertrand Guégan, parurent pour la première fois les " Poésies de Marguerite-Eléonore-Clotilde de Vallon-Chalys, depuis Madame de Surville, poète françois du XVe siècle, publiées par Ch. Vanderbourg., , (Paris, chez Henrichs). Une 2e édition de ces poésies vit le jour en 1804, une 3e en 1824 chez Nepveu, une 4e et une 5e en 1826 chez le même libraire. Enfin de Roujoux et Nodier publiaient en 1827 des Poésies inédites de Clotilde de Surville. On a longtemps cru que le véritable auteur de ces Poésies qui firent les délices d’une époque, était un certain marquis de Surville, ami de Vander- bourg, qui fut emprisonné comme émissaire royaliste et fusillé au Puy-en-Velay, le 8 octobre 1798 ; mais les poésies avouées du marquis de Surville sont si mauvaises que bien des lettrés se sont refusés à lui attribuer celles de Clotilde. De même on a prétendu que les poésies de 1827, "pastiche d’un pastiche, seraient l’œuvre de Charles Nodier. Cependant, un article de Nodier, qui a toutes les appa- rences de la sincérité (Description raisonnée d’une jolie col- lection de livres, Paris, Techener, 1844, p. 125), restitue au marquis de Surville la paternité des deux pastiches de 1803 et 1827. On n’en a pas fait état jusqu’ici, à notre connaissance du moins, et nous croyons devoir y renvoyer le lecteur curieux. 21. Allez, pensers d’amour, vers de nouvelles âmes (JE NE CROIS PLUS). 158 LES PLEURS 22. La vois-tu comme moi cette étoile brillante ? (SOLITUDE). Les deux vers de Lamartine qui servent d’épigraphe à cette pièce sont empruntés à la 16e strophe d’Ischia (Nouvel- les Méditations poétiques, Paris, Cassel, 1823). 23. C’est qu’ils parlaient de toi quand, loin du cercle as- sise (RÉVEIL) On lisait encore beaucoup en 1830 les œuvres d’Évariste Parny (1753-1814). 24. Eh ! pourquoi ces clameurs, cet effroi, ces prières ? (PITIÉ). 25. Il est des maux sans nom, dont la morne amertume (DÉTACHEMENT). Voici encore une illustration frappante de la "poésie vécue de Marceline (l’expression est de M. Jacques Bou- lenger). Au temps où elle composait Détachement, Marceline écrivait à Caroline Branchu : "… Je te souhaite à présent l’espèce d’engourdissement où je me crois tombée pour mes peines. Il vient une heure, vois-tu, où l’on n’a plus la force de souffrir. On reste immobile devant le passé. On regarde l’incendie qui a tout dévoré et le désespoir finit par s’amortir comme toutes ces flammes éteintes. Ce n’est qu’en voyant le ciel qu’on peut achever cette vie. Je veux le ciel et j’y crois., , (23 mai 1832). 26. N’irai-je plus courir dans l’enclos de ma mère (TRISTESSE). Publiée d’abord dans le Mémorial de la Scarpe, 1832, puis dans les Soirées littéraires de Paris, sans date (1833). Un fragment de cette pièce a reparu en 1837 dans la Couronne de Flore, sous le titre : l’Iris d’eau. Au milieu des souvenirs d’enfance que Marceline égrène (1), (1) Voir les notes que nous avons consacrées à La fleur du sol natal, au Berceau d’Hélène et à La maison de ma mère. LES PLEURS Notre-Dame de Douai surgit, qu’avait dévastée la révolution. et où le " timbre pur de l’enfant remplaçait l’orgue absente D’une voix frêle mais jolie, Marceline chantait, toute jeune, des romances dont elle imaginait le texte, et c’est en l’enten- dant un jour que sa mère eut l’idée de lui faire enseigner le chant. Mais laissons la parole à Marceline, qui a conté elle- même cette histoire dans les Petits Flamands où elle se met en scène sous le nom d’Agnès (Scènes et Contes, p. 261) : Agnès, encouragée par le silence profond qui ré- gnait dans la chambre, essayait le premier souffle de son go- sier mélodieux, composant le chant et les paroles, et racon- tait le tout à son oiseau qui l’écoutait à son tour : "Je suis Agnès, je suis Agnès, ah ! ah ! Et j’ai deux mères, et j’ai deux mères, ah ah ! Et toi oiseau, tu es oiseau, ah ah ! Et moi je t’aime, et moi je t’aime, ah ah ! Je grandirai, je grandirai, ah ! ah ! J’aurai des ailes, j’aurai des ailes, ah ah ! Mon père est bon, mon père est bon, ah ! ah ! Et je l’embrasse, et je l’embrasse, ah ah ! 159 Et toi qui chantes, et toi qui chantes, ah ah ! Je te dis tout, je te dis tout, ah ! ah ! "Ce petit poème était entremêlé de roulades impossibles, mais d’une telle douceur pour l’oreille des femmes qui l’écou- taient, que leur cœur en était fondu de tendresse. "Il faut absolument, dit tout bas madame Catherine à sa belle-mère en l’emmenant au fond de l’allée, faire venir M. Mouton, l’organiste de Notre-Dame, pour qu’il entende la voix d’Agnès et lui apprenne les notes en musique. Mon Dieu ! que cette enfant chantera bien ! oui, et qu’elle aura de feu ! Qu’en pensez-vous ma mère ? "Je le crois comme vous, répondit la mère de Félix, et je prédis qu’elle aura cette voix de famille dont il m’est bien permis d’être fière., 160 LES PLEURS T Marceline, dont la voix était agréable bien que frêle, ainsi que nous l’avons dit, dut abandonner le chant après la nais- Isance de sa fille Ondine ; car sa voix "la faisait pleurer "Telle une jeune femme, écrit-elle dans l’Atelier d’un peintre, dont le nom pouvait devenir cher aux arts, fut condamnée à se taire, dans l’impossibilité d’entendre et de supporter ses propres chants d’une mélancolie enivrante, réagissant avec tant d’empire et de force sur son cœur, qu’elle pâlissait, fondait en larmes, et souvent finissait par perdre connaissance., , Toute la famille Desbordes chantait ; Marceline le rappelle dans le même roman avec mélancolie. "Elle revoyait, dit-elle, une rue flamande, calme, silencieuse, animée seulement en été par leurs concerts de famille, où, le soir, autour de l’humble porte verte, on était assis sur la fraîcheur du seuil, formé d’une vaste pierre unie et bleue… » Plus loin elle évoquera la voix de son père : " M. Léo- nard (l’oncle Constant) avait la voix de son frère. Il ne savait pas quel triste et pieux souvenir il éveillait en elle, (elle, c’est Marceline) ; il ne savait pas qu’autrefois, quand elle était sur les genoux de son père, où on la croyait endormie, elle sen- tait son cœur se fondre et ses joues se couvrir de larmes à ce timbre sensible et sonore qui tremblait dans son oreille. La voix de Dieu sera comme cela, pensait la petite fille qui savait ses prières. Et sous le voile de ses cheveux blonds elle se pressait sur la poitrine puissante de son père, comme si elle eût dit : " Mon père, priez pour moi. En 1847, Marceline offrit au Musée de Douai le portrait de son père, peint par Constant Desbordes. Voici la lettre qu’elle écrivait à Duthilloul en le priant de remettre cette peinture au Musée : "Paris, 19 mars. Monsieur et cher compatriote. "Votre âme vous dira ce qui vient de se passer dans la mienne. Mon pieux hommage est présentement dans vos mains. C’est vous qui l’offrirez à la ville natale de votre peintre, et c’est honorer le peintre et la ville qui n’avait aucune preuve parlante de son amour. Je me suis arrachée avec larmes au LES PLEURS portrait de mon père. Si l’on vivait toujours, je sens que vous ne l’auriez pas reçu ; mais de douces et tristes arrière-pensées m’ont aidée à cet adieu précoce. Il est présentement dans un sanctuaire, à l’abri des mutations du sort. Avant de l’avoir retrouvé ailleurs, mon âme ira le saluer là, au milieu de tout ce qu’il a aimé. Ne me plaignez donc pas, cher Monsieur, j’ai en moi de quoi me consoler ; car j’ai accompli cette action comme un devoir envers les deux frères, et jamais frères ne se sont plus aimés. 161 "Ce portrait a eu l’honneur du salon en 1819, je crois, et la Médaille d’or qui n’a pas rendu le peintre plus fier. Sinon la vie, jamais portrait n’a été plus ressemblant. "Vous aurez la bonté de me rassurer et de me dire si cet envoi vous est bien arrivé. Vous aurez compris, j’en suis sûre, le sentiment particulier d’estime qui m’a fait vous l’en- voyer directement, afin que ce soit par vous que ma chère ville natale en reçut l’offrande au nom de Marceline Desbor- des-Valmore (1). „ Le 2 janvier 1848, Marceline écrivait, au sujet de ce portrait, à son frère Félix, alors hospitalisé à Douai : "Tu ne m’as jamais répondu relativement au portrait de notre bon père peint par mon oncle et que j’ai envoyé au Musée de Douai. Ce portrait y est certainement, et j’ai cru que ce se- rait un bonheur pour toi d’aller l’y voir. Bonheur doulou- reux, je le sais, comme tous ceux qui nous restent ! J’ai dans le temps beaucoup pleuré de cet hommage au pays de mon père ; mais je l’ai courageusement fait dans l’idée secrète que son âme en serait contente, que le talent de notre pauvre oncle serait ainsi en souvenir à la ville natale, et que ce portrait fort beau, qui a valu à Paris la médaille d’or à son peintre, ne courrait plus ainsi le risque d’être perdu ou gâté durant les absences forcées dont nous étions alors menacés à chaque instant. Ne vas-tu pas au Musée ? Est-ce un obstacle ou un chagrin pour toi ?… Je t’aime bien et te remercie de planter (1) Lettre inédite conservée à la Bibliothèque de Douai. G. Cavallucci Bibliographie de Marceline Desbordes-Valmore 162 LES PLEURS ton nom, comme tu fais, dans l’estime de qui t’entoure. Grain à grain, c’est une moisson qui ne trompe pas., , 27. Si solitaire, hélas ! et puis si peu bruyante (ABNÉGA- TION). propos. La pauvre Marceline était persécutée, à cette époque, par l’idée de la mort ; et ce mot revenait constamment sous sa plume. Elle écrivait à Gergerès : "Me croyez-vous morte, que vous ne m’adressiez pas même quelque doux reproche ou quel- ques mots inquiets sur mon silence ? Hélas ! Gergerès, vous savez bien qu’on meurt rarement et jamais à (Lyon, 14 janvier 1830. Lettre recueillie par H. Valmore). Et à Caroline : "… C’est fatal, c’est affreux de dire : il n’y a que le temps ou la mort pour guérir. La mort qui n’arrive que bien rarement à propos et le temps qui se traîne sur nous avec une pitié bien froide…, , (Lettre inédite de Lyon, 26 mars 1832, conservée à la Bibliothèque de Douai). 28. Je veux aller mourir aux lieux où je suis née (LE MAL DU PAYS). Marceline écrivait dans l’Atelier d’un peintre (1833), ce roman autobiographique que nous avons cité tant de fois : "Je lui racontai en peu de mots, ma vie errante et ce mal impérieux, ce mal du pays, frénésie filiale et tendre, qui enfièle tout l’air étranger que l’on respire, jusqu’à ce qu’on revienne désaltérer son cœur à celui de sa naissance. Arthur Pougin a retrouvé une note très curieuse, écrite de la main de Marceline et datée du 21 mai 1831. C’est le récit d’un rêve dont Albertine était le sujet : "Je sors d’un rêve étrange. Je ne puis me refuser à l’écrire pour me convaincre qu’il n’y faut pas croire… ou pour qu’il étonne de tristesse quelqu’un qui m’aura aimée, s’il se réalise dans un an. 41 Je traversais vers la nuit une longue allée d’arbres. J’étais seule, sans mélancolie et sans frayeur. J’allais vite et je ne sais où. Tout à coup au milieu de deux arbres, Albertine LES PLEURS - s’est montrée vêtue de noir, mais sous les traits de ma bonne Ruissel (une couturière, voisine et amie tout à la fois de Mme Desbordes-Valmore). Cette différence ne dérangea pas mon idée que c’était bien Albertine, et je lui dis sans trop de sur- prise, en lui tendant les bras avec promptitude, presque en riant : "Ah ! viens-tu me chercher ? Pas encore, me dit-elle, ce n’est pas le temps. Je ne viendrai que dans un an. Mais dans un an il faut te tenir prête, et je t’emmènerai. Oh ! que tu seras bien alors ! — Dans un an, repétai-je avec quelque plai- sir, bien vrai, bien sûr ? Oui, tu peux y compter et m’at- tendre. Jusque-là tu dois souffrir., , Ses yeux, où je regardais alors, curieuse et avec émotion, brillaient d’une clarté singulière et s’agitaient comme pour parler. Elle me conduisit pour me faire panser le cou, où j’avais une blessure ouverte, mais ce qu’on me donna et que j’y appliquai avec indolence, bien que je sentisse des douleurs et des élancements cruels, ne faisait qu’ouvrir cette blessure, à travers laquelle je voyais jusqu’au fond de mon cœur. Qu’il y faisait triste ! Tout est confus de ce qui me reste de ce rêve. Ces deux scènes sont là comme arrivées ou bien montrées d’avance. "Et j’ai senti les lèvres d’Albertine s’attacher longtemps avec une pitié passionnée sur les miennes. Alors j’ai eu un peu de frayeur, mais je ne bougeais pas, dans la crainte d’af- fliger cette chère ombre., 163 L’épigraphe signée " Madame de Balzac, , ne peut être de Mme Hanska que Balzac n’épousa qu’en 1850. M. Bertrand Guégan l’a attribuée à Laure de Balzac, dame de Surville, la sæœur du grand romancier (1800-1871). Le bibliophile Parran possédait l’exemplaire des Pleurs que Marceline avait offert à Balzac. Il portait la dédicace suivante : "A Monsieur de Balzac vir nobilis Par vous et pour vous j’ai appris deux mots latins Marceline Valmore Ier Octobre 1833., , 164 LES PLEURS 29. Ouvre-toi, cœur malade ! et vous, lèvres amères (LA CRAINTE). 30. Ni du furtif oiseau la voix mélodieuse (SOUS UNE CROIX BELGE). Cette pièce a été inspirée à Marceline par la révolution. belge de 1830. Le poète Auguste Barbier, aux ceuvres de qui est emprun- tée l’épigraphe de cette pièce, était allé voir Marceline à Lyon, au mois de décembre 1831 en compagnie de Brizeux (Souvenirs de Barbier, p. 336 et suiv.). 31. D’où sait-il que je l’aime encore ? (L’ÉTONNEMENT). (1) Imprimée pour la première fois dans le Mémorial de la Scarpe, 1830, puis dans le Chansonnier de Grâces de 1831. Frédéric Ancillon (1766-1837), auteur de l’épigraphe, a écrit de nombreux essais de philosophie, de littérature et d’histoire. 32. Veux-tu l’acheter (LA SINCÈRE). Publiée d’abord dans le Mémorial de la Scarpe, 1831 ; dans les Annales romantiques de 1832 et dans le Chansonnier des Grâces de 1833. Cette pièce a été mise en musique par Pauline Duchambge. 33. Elle était belle encor ! Tu me l’avais donnée (UNE FLEUR). Repris en 1837 dans la Couronne de Flore, sous le titre : La Violette. Marceline a traité le même sujet dans l’Atelier d’un peintre (tome II, ch. 13) : Yorick est venu voir Ondine en tenant une fleur à la main. Ondine ne pense pas que cette fleur se trouve par hasard dans les mains d’Yorick, et elle la consi- dère comme un aveu "devant tous, lisible pour elle seule… Que dut-elle donc ressentir, lorsqu’elle le vit ramené par le hasard auprès de la table, y retrouver, y reprendre et froisser (1) Nous ne manquerons pas de reproduire en entier cette pièce, lorsqu’il sera question de l’amour de Marceline pour Latouche. avec colère l’aveu qu’elle croyait avoir compris si bien, le broyer, le tordre dans ses doigts contractés d’une sourde irritation, et comme s’il s’amusait à la manière des enfants qui détruisent pour observer, suspendre la fleur fanée au-dessus de la lampe, comme au dessus d’un bûcher, l’y consumer patient et curieux ; suivre les convulsions de chaque feuille refoulée sur elle-même, par l’action corrosive du feu, en recueillir la cendre au creux de sa main, et la disperser ensuite au souffle de son haleine puissante, aussi content de lui que s’il avait fait la plus belle chose du monde. »

Clément XIV et Bertinazzi est un roman de Latouche, publié en 1827, que Marceline trouvait « d’un charme indéfinissable ». Ramond, auteur de la première épigraphe, est le charmant Ramond de Carbonnières (1755-1827) auteur d’ouvrages de botanique et d’un célèbre Voyage au Pic du Midi et au Mont Perdu.

34. Elle est aux cieux, la douce fleur des neiges (NADÈGE).

Cette poésie est datée « Rouen 1832 » dans l’Album n° 11 de la Bibliothèque de Douai.

Le Dictionnaire des Comédiens français de M. Henry Lyonnet contient une notice fort intéressante sur Nadège : « Mme Fusil raconte dans ses Souvenirs que, auprès de Vilna, pendant la retraite de Russie, elle trouva un enfant dans la neige à côté de cadavres. Elle la recueillit et la fit élever à Luxembourg chez des parents. La légende était créée. Dès qu’elle le put, elle fit de l’enfant un petit prodige, la produisit sur toutes le scènes bien avant l’âge de raison. Nadège joua la comédie à Potsdam, devant Frédéric Guillaume. À quatorze ans, elle débutait à l’Odéon (22 février 1824) dans Lisinska, rôle d’une bohémienne ; chanson et danse russe. Trois ans après, elle débutait au Théâtre Français, et la presse accueillit la nouvelle ingénue avec bienveillance. Mais Nadège à qui l’on reconnaissait de l’intelligence, du goût, de la tenue, ne reste pas à la Comédie Française ; elle voyage beaucoup. Enfin, la voici engagée à Rouen, 1830-1832… La santé de la pauvre enfant n’avait été toujours que bien fragile et elle s’éteignait le 9 août 1832 à Rouen, emportée par une maladie de poitrine. Le Courrier des théâtres du 14 août reproduisit le bel article nécrologique de l’Écho de Rouen. Mme Desbordes-Valmore qui avait connu Nadège à Rouen, écrivit une épitaphe poétique pour la tombe de cette malheureuse jeune fille (Histoire du théâtre de Rouen).

« On s’est demandé quels liens véritables attachaient Louise Fusil à Nadège. Et M. Paul Ginisty nous a rapporté la version de Régnier. Quand Fusil fut à son lit de mort, sa femme, qui était toujours restée en bons termes avec lui, alla le voir. Elle avait une confession à lui faire et venait chercher son pardon. Nadège n’était pas une orpheline, mais sa propre fille à elle, née de sa liaison avec un officier russe. Le moribond, à cette révélation, tenta de se soulever, et rassemblant ce qui lui restait de forces : « Fiche-moi la paix ! » s’écria-t-il. Se non è vero… »

35. Pauvre exilé de l’air, sans ailes sans lumière (LE ROSSIGNOL AVEUGLE. À Madame Caroline Branchu).

Publiée d’abord dans l’Almanach des Muses de 1832.

« Caroline de Lavit, née à Saint-Domingue en 1780, était fille d’un mulâtre. Sa famille étant venue en France, Caroline apprit le chant au Conservatoire et remporta deux prix. Elle joua quelque temps salle Feydeau, puis elle débuta à l’Opéra dans Œdipe à Colone de Sacchini (1801) ; elle y créa triomphalement la Vestale (15 déc. 1807) et Fernand Cortez (1809). Caroline avait épousé en 1804 le danseur Branchu qui mourut fou ; elle n’en continua pas moins d’être la maîtresse de Garat, son professeur de chant, d’avoir des faiblesses pour le violoniste Kreutzer et d’agréer les « hommages prolongés » de Napoléon. En 1826, elle quitta le théâtre et se retira à Orléans. Il semble que Madame Desbordes-Valmore ait connu Caroline Branchu en 1807 (lettre publiée par J. Boulenger) ; il est possible, cependant, qu’elle l’ait rencontrée plus tôt à Rouen, en 1803 ou en 1806. En tous cas, une véritable intimité ne s’établit entre les deux femmes que dans les derniers mois de 1831. Caroline venait d’être abandonnée par un amant, plus jeune qu’elle de dix-huit ans, le docteur Pierquin de Gembloux qui « par intérêt allait épouser une bête ». À l’exemple de Marceline et de LES PLEURS 167 Pauline Duchambge, la légère Branchu se convertit à la reli- gion du souvenir ; et peut-être est-ce l’amour qu’elle garda à l’infedèle Pierquin qui lui conquit l’amitié de Marceline. Celle- ci reçut souvent à Paris la pauvre chanteuse ; elle vint la voir plusieurs fois à Orléans avec ses enfants, enfin elle ne cessa jusqu’à sa mort de lui adresser des lettres affectueuses qui témoignent que jamais "un nuage ne passa entre leurs deux cœurs, (Bertrand Guégan). Dans ces lettres de Mme Desbords — Valmore à Caroline Branchu nous avons cueilli quelques phrases émouvantes où la poétesse soutient et console sa vieille amie désespérée, mais toujours ardente : "… Je vous admirais avec tant de joie, ma bonne Caro- line ! de cette joie sérieuse que donne un grand talent. Je ne savais pas trop vous le dire ; car vous n’etiez pas là quand je pleurais de vous entendre. Mais vous avez bien vu sur ma pen- sive personne quelques traces de ces émotions profondes qui ne se révèlent bien qu’à ceux qui les inspirent. Je vous jure que c’est toujours à cause de vous que je n’entends jamais prononcer le nom d’Alceste et de Didon (les meilleures créa- tions de Mme Branchu) sans tressaillir comme si je vous voyais ; il ne m’est pas possible de leur prêter une autre voix et d’autres traits que les vôtres., (Lyon 4 mars 1830). "Tu as un cœur de reine et d’enfant, Caroline, et je t’apprends si tu l’ignores que tu es la meilleure des femmes. (3 novembre 1837). A propos d’un concert que Caroline avait organisé dans un village, Marceline lui écrit : 11 "6… Ton charmant sabbat m’a forcée de rire. Comment as-tu incrusté toi et Martini dans ces gosiers de village ? Je te vois d’ici avec ton étonnement sublime. Ah ! ta place était au conservatoire où l’empereur t’aurait sacrée reine de l’harmonie, ,. (1 janvier 1841). … Oui ! Caroline, écrit encore Mme Desbordes-Valmore, le 12 avril 1843, tu aurais bien fait de venir, si tu l’avais pu, relever tes idées abattues à force d’être tendres. Il te fallait une vie d’amour, parce que ton âme en est faite. Trop de recueil168 LES PLEURS lement te dévore, et tu ne pourrais jamais végéter, mais te dévorer au bûcher de ta mémoire. Femme, fille, mère et am : e, tu as été complète partout. Je ne dis rien de l’artiste : l’étais-tu autrement qu’avec tes passions sublimes ? Va, je t’ai comprise aussi. Moi, fourmi dans l’herbe, je t’éprouvais jusqu’au fond de mon intelligence voilée alors, et je savais pourquoi Garat qui t’écoutait l’oreille béante, et les mains tendues, pleurait com- me on doit pleurer en écoutant à la porte du ciel… "(Lettre inédite conservée à la Bibliothèque de Douai). Le député Kératry (1759-1869), qui fournit l’épigraphe de ce poème, est l’auteur de nombreux ouvrages de philosophie et de quelques romans. 36. Que ton cœur prenne ma défense (LA DERNIÈRE FLEUR). Un fragment de cette pièce a été repris dans la Couronne de Flore, 1837, sous le titre:La cloche bleue. 37. Triste et morne sur le rivage (A M. A. de LAMARTINE). Publiée dans le Mémorial de la Scarpe, 1832; reprise dans la France littéraire, 1834. Cette pièce est suivie dans les Pleurs de la poésie de Lamartine : Souvent sur les mers où se joue (A MADAME DESBORDES-VALMORE), qui avait paru dans le Mémo- rial de la Scarpe, 1831. Dans le livre qui a pour titre : Madame Desbordes-Valmore, Sa vie et sa correspondance (Michel Lévy, 1870), Sainte-Beuve a raconté (pp. 221-232) à quel quiproquo l’on doit les deux beaux poèmes de Lamartine et de Marceline Desbordes. "Il faut bien pourtant en venir aux hommages littéraires, à commencer par le plus magnifique et le plus royal de tous, celui de Lamartine. Lui seul en eut l’initiative, et un quiproquo y aida. Il y avait dans les dernières années de la Restauration un poète errant et des plus bohèmes, Franc-Comtois d’origine ou à peu près, resté de tout temps provincial, voué à l’Épître laudative et à l’Élégie, d’une verve facile et un peu banale dans son harmonie coulante, Aimé de Loy. Il avait poussé son odyssée LES PLEURS 169 jusqu’au Brésil et en était revenu pour mourir pauvre en 1834. C’est à ce poète, de plus d’infortune et de malchance que de talent, qu’un jour Mme Valmore adressa des vers insérés dans un Keepsake avec ces seules initiales : A. M. A. D. L.……… Mais A. D. L., que pouvaient signifier de telles initiales à cette date, sinon le grand poète régnant, Alphonse de Lamartine ? Le Keep- sake lui étant tombé sous les yeux, Lamartine, en effet, prit ces vers pour lui, et, à l’instant, il s’échappa de son sein une nuée de strophes ailées, un admirable chant et vraiment su- blime, à la louange de son humble sœur en poésie. Il y avait des années déjà qu’il avait noté et distingué entre tous l’accent particulier à Mme Valmore. Un jour (vers 1828) qu’il s’entre- tenait avec M. de Latour, comme celui-ci avait amené dans la conversation quelques noms contemporains de femmes poètes, Lamartine s’était écrié : "Mais il y a bien autre chose au dessus, bien au-dessus de tout cela. Cette pauvre petite comé- dienne de Lyon… comment l’appelez-vous ?, , Et lui-même avait aussitôt retrouvé le nom. Il fit donc cette admirable pièce qui commence avec grandeur, et où il montre le vaisseau de haut bord qui, dans l’orgueil du départ, se rit des flots et se joue même de la tempête ; puis, en regard, la pauvre barque comme il en avait tant vu dans le golfe de Naples, une barque de pêcheur dans laquelle habite toute une famille, et qui, jour et nuit, lui sert d’unique asile et de foyer:le père et le fils à la manœuvre, la mère et les filles aux plus humbles soins. Mais il faut citer ces stances qui, pour nous désormais, ont tout leur sens et toute leur vérité. Remarquez que Lamartine ne connaissait qu’à peine et de loin seulement Mme Valmore; mais la divination du génie est comme une seconde vue, et du premier coup d’œil il avait tout compris de cette existence, il avait tout exprimé en images vivantes et dans un tableau immortel : Souvent sur les mers où se joue… etc. "Qu’ajouter à de tels accents ? et combient aux années heureuses et innocentes, avant la politique, il lui a été donné de verser de semblables chants dans les âmes souffrantes, lui, le 170 LES PLEURS grand consolateur à qui il doit être tant pardonné. En même temps que cette pièce de vers, Mme Valmore recevait la lettre que voici : © 25 janvier 1831 " Madame, "J’ai lu dans le Keepsake des vers de vous que j’ai voulu croire adressés à l’auteur des Harmonies poétiques. C’était un motif ou un prétexte que je ne voulais pas laisser échapper d’adresser moi-même un bien faible hommage à la femme dont l’admirable et touchant génie poétique m’a causé le plus d’émotion. Agreéz donc, Madame, ces stances trop imparfaites où j’ai essayé d’exprimer ce qu’une situation si indigne de vous et du sort m’a si souvent inspiré en pensant à vous ou en par- lant de vous. Voyez-y, je vous prie, seulement, Madame, un témoignage de profonde sympathie, d’admiration et de respect. "AL. DE LAMARTINE, " Ainsi touchée au fond de l’âme et aussi prompte que l’écho, Mme Valmore répondait à l’instant dans la même mesure et sur le même rythme. Je ne mettrai de sa réponse que deux ou trois strophes dans lesquelles elle réclamait avec confusion contre le mot de gloire que lui avait jeté magnifiquement le grand poète. Mais dans ces chants que ma mémoire… etc. Envoyant à M. Duthilloul, de Douai, qui lui en avait demandé copie, la pièce de vers de Lamartine, elle ajoutait ces lignes qui sont dictées par le même sentiment : "L’attendrissement l’a emporté sur la modestie, monsieur, et j’ai transcrit ces beaux vers à travers mes larmes, oubliant qu’ils sont faits pour un être si obscur que moi. Mais non, ils sont faits pour la gloire du poète, pour montrer son âme dans ce qu’elle a de sublime et de gracieuse pitié. Je vous les donne, ,. "Quant à Lamartine, il remerciait Mme Valmore de sa ré- ponse émue et palpitante, par une lettre que je donnerai en- core et qui clôt dignement cet échange harmonieux, ce cartel de haute et tendre poésie : LES PLEURS 171 " Madame, "Je suis payé au centuple, et je rougis en lisant vos vers des éloges que vous donnez aux miens. Une de vos strophes vaut toutes les miennes. Je les sais par cœur. "J’espère que la fortune rougira aussi de son injustice, et vous accordera un sort indépendant et digne de vous. Il ne faut jamais désespérer de la Providence quand elle nous a marqué au berceau pour un de ses dons les plus signalés, et quand on sait comme vous l’adjurer dans une langue divine. "Je compte aller bientôt passer deux jours à Lyon. Je m’estimerais bien heureux de joindre le plaisir de vous con- naître à celui de vous admirer et de vous remercier. "AL. DE LAMARTINE. 12 38. Ondine ! enfant joyeux qui bondis sur la terre (MA FILLE). Cette pièce a été réimprimée dans le Livre de jeunesse et de beauté, 1834, dans La Mosaïque poétique, 1834, sous le titre : A ma fille et dans la Fauvette, 1842, sous le titre : Ondine. Hyacinthe-Marceline Valmore, que l’on appelait Ondine, était née à Lyon le 1 novembre 1821. Dans une lettre qu’elle adressait à Ondine le 1 mars 1842, Marceline dit à sa fille de cette poésie qu’elle aimait particu- lièrement : " Tu verras le volume de Charpentier (Il s’agit du choix de poésies de Marceline publié chez Charpentier par Sainte-Beuve). Ils n’ont pas mis Ondine ! enfant joyeux qui bondis sur la terre, sûrement parce qu’il y en a un fragment cité par M. Sainte-Beuve, mais cela m’a fait de la peine., Le poète écossais Robert Burns, auquel est empruntée l’épigraphe de cette pièce, était mort en 1796. 39. Nacelle abandonnée (A MONSIEUR A. DE L.) Publiée d’abord dans le Mercure du 19e siècle, 1830 ; le Mémorial de la Scarpe, 1831 ; le Keepsake français, 1831, sous le titre : A l’auteur des Harmonies et dans l’Almanach des Muses de 1832, sous le titre : Nacelle, dédiée à M. A. de Loy. 172 LES PLEURS Aimé de Loy, encore une victime du romantisme ! L’exis- tence la plus aventureuse et la plus tourmentée. Docteur ès lettres et en droit, il semblait fait pourtant pour une vie régulière. Il était né en Franche-Comté, il avait là-bas une famille, une femme, des enfants… Mais une sorte de fatalité lui faisait tout oublier. Il allait de ville en ville, frappant aux portes, troubadour attardé, bien accueilli parfois, chassé plus souvent. Il voyage ainsi à travers la France, la Suisse, l’Alle- magne, le Portugal, le Brésil, fantasque et enthousiaste, avec des élans de gaîté et de mornes découragements, passionné de poésie, d’ailleurs, et vraiment poète. En 1827, un éditeur lyonnais avait publié de lui des Préludes poétiques. Mais il ne pouvait faire autre chose que préluder. Sa folie le reprit. Au lendemain de sa mort, quelques amis réunirent ses poé- sies éparses, Feuilles au vent (Jules Marsan. Marceline Des- bordes-Valmore et G. Charpentier. Mercure de France, 15 avril 1921). Dans son ouvrage sur Mme Desbordes-Valmore, M. Eugène Vial nous apprend, en outre, qu’Aimé de Loy "ouvrit un cours de droit à Douai, rédigea le Mercure Ségusien à St Etienne, le Mémorial de la Scarpe à Douai, et la Revue de St Etienne., , M. Fernand Vandérem croit aussi que ce poète aima Mme Desbordes-Valmore d’un amour qui ne fut payé que d’affection. (Bull. du Bibliophile, 1930). C’est aux recommandations de Marceline qu’Aimé de Loy dut d’être reçu à Douai. Marceline ne tarda point, d’ailleurs, à s’en repentir ; car là comme partout, le poète ambulant com- mit de graves indélicatesses. Nous avons retrouvé dans le fonds de Douai une lettre inédite adressée à Duthilloul où Marce- line s’excuse d’être la cause indirecte de l’un de ces manque- ments à l’honneur : "Votre lettre, Monsieur, m’a jetée dans une consternation que je ne peux vous peindre. Au milieu du tumulte et de la fatigue de notre effrayant voyage, je vous avoue que j’ai été frappée du plus triste étonnement à cette nouvelle découverte de la perversité humaine. Valmore en a perdu la parole, et le regret que ce soit sur vous que tombe une telle indignité, LES PLEURS 173 nous la rend doublement odieuse. Monsieur de Sigoyer, dans un de ses derniers voyages à Lyon m’avait bien confié qu’au plus beau talent, et au caractère le plus inoffensif, Monsieur de Loy joignait le malheur de s’appuyer trop sur ses amis et d’avoir les pieds légers pour les fuir ; mais rien de bas ni de gravement coupable n’entrait alors dans notre pensée. Que l’expérience est amère, Monsieur ! et que je suis désolée d’avoir innocemment aidé ce malheureux à vous être ingrat ! J’en ai pleuré dans la vénération que je vous porte. J’ai reçu tant de blessures de ce genre que j’en pèse toute la douleur pour les autres. Je vais écrire à St Chamand, dans le vague espoir de découvrir la marche de M. Loy. Monsieur Coignet, dans une extrémité pareille à celle dont vous l’avez tiré, sera bien confondu de cette nouvelle. C’est un candide de notre nature, qui voit et juge les autres à travers son cœur. {{

J’avais lu avec tendre joie, dans votre journal, l’heu- reuse et double délivrance de votre charmante femme que Dieu bénisse la mère et les deux berceaux !, , (Rouen, 3 mai 1832. Lettre inédite conservée à la Bibliothèque de Douai). Nous avons déjà parlé de l’épigraphe de cette pièce dans la note que nous avons consacrée au Bouquet sous la croix. 40. Tais-toi, ma sœeur ! le passé brûle (LA MÉMOIRE). Byron, dont Marceline cite un vers en épigraphe, était mort à Missolonghi en 1824. 41. Quoi ! c’est là ton berceau, poétique Louise (LOUISE LABÉ). Marceline donne en épigraphe le sonnet XIV et les sept premiers vers de la troisième élégie de Louise Labé. Elle avait lu, sans doute, les ouvres de la poétesse lyonnaise dans la réimpression qu’en avait donnée le lyonnais Bréghot du Lut en 1824 (Lyon, Durand et Perrin). Le 18 vers de cette pièce "Ressemble au papillon sur l’épine arrêté „ manque à l’édition originale des Pleurs. Il a été rétabli au crayon par Marceline sur l’exemplaire que pos- sède M. Lucien Descaves. 174 LES PLEURS 42. Quelle mère un moment ne fut ambitieuse ? (AGAR). Cette pièce a été reproduite dans Consolation et Espé- rance, 1836. Dix ans après la publication des Pleurs, Marceline écri- vait à son ami Gergerès : "… Nous aurons donc, provisoire- ment du moins, un répit contre la famine : c’est l’ange descendu aux pleurs d’Agar dans le désert. Mon fils, notre cher Ismaïl, aura un peu d’eau : par combien de sueurs son pauvre et ado- rable père l’achète-t-il ?, , (5 mai 1843). 43. Muse à la voix d’enfant ! Quelle route épineuse (LUCRETIA DAVIDSON). Publiée dans le Mémorial de la Scarpe, 1832, et dans le Talisman, 1832, sous le titre : A Lucretia Davidson, jeune américaine morte à 17 ans. La jeune poétesse américaine était morte en 1825. 44. Pour Dieu ! mon amie (ÉCRIVEZ-MOI). 45. Comme tout change vite ! arbres de Belle-Allée (AUX MANES D’EDMOND GÉRAUD). Edmond Géraud, critique dramatique du Mémorial borde- lais et fondateur de la Ruche d’Aquitaine, avait publié deux volumes de vers en 1818 et 1822. Marceline était liée avec sa famille presque autant qu’avec les Nairac, et la nouvelle sa mort lui causa une peine profonde. Peu après la mort du poète, survenue le 21 mars 1831, elle répondit à Gergerès qui lui avait demandé des vers en souvenir d’Edmond Géraud : "L’événement qui vous frappe, bon Gergerès, dans votre plus intime amitié, m’a troublée de surprise et de douleur. Tous vos souvenirs se sont réveillés en moi, comme si je vous voyais moi-même, et vos larmes, votre pâleur, ce triste silence qui suit la perte irréparable de ce qu’on aime, tout m’est entré dans l’âme avec le regret personnel que j’éprouve de ne plus chérir, dans M. Géraud, qu’un ami pour toujours absent. Je vous as- sure que le serrement de cœur que j’en éprouve me rapproLES PLEURS 175 che bien tristement, depuis cette triste nouvelle, de vous, Ger- gerès, que je sens bien malheureux, et de la charmante femme qu’il avait tant de peine à quitter. Comme elle reste à plaindre ! pauvre petite mère d’Elodie ! Personne ne la regarde dans le présent et dans l’avenir, avec plus d’attendrissement que moi, croyez-le. J’ai déjà connu tant de chagrins, que je les devine tous. Aussi, je ne consolerais pas Mme Géraud, mais je l’entendrais si j’étais auprès d’elle. "Je ne pourrais, dans ce moment, mettre assez d’ordre dans mes idées pour vous envoyer rien qui fût digne d’être jeté sur la tombe d’un poète. J’aimais M. Géraud pour quelque chose de pareil qui se trouvait dans nos âmes, une mélancolie qu’il cachait mieux que moi, et une ardeur vraie et profonde qui brûlait, qui charmait ou qui consolait sa vie, et je crois le voir devant moi qui me dit : "Oui, vous ne vous trompez pas !, , Mais il me le dit avec le calme du ciel, à présent ; et nous sommes tous, cher ami, plus troublés, plus malheureux que lui. Quel dommage de s’en aller ainsi un à un ! Que je plains surtout sa femme, elle qui était aimée ! "Vous aurez plus tard l’hommage bien dur de mes regrets. Il s’y mêlera toujours un doux sentiment, celui de la recon- naissance ; car il m’a conduite et menée lui-même à la Belle- Allée, moi pauvre étrangère. Croyez bien aussi que le souvenir de Bordeaux m’est ineffaçable., (Lyon, 3 juin 1831). 46. Oh ! de l’air ! des parfums ! des fleurs pour me nourrir ! (LES FLEURS). Cette poésie a été reimprimée en 1837 dans la Couronne de Flore. 47. Qui me rendra ce jour où la vie a des ailes (L’IMPOSSIBLE). 48. Oui, d’une flamme à part cette âme fut formée (L’ÂME DE PAGANINI). Paru d’abord dans l’Echo de Rouen et de la Seine- Inférieure, 16 octobre 1832 (titre:Le nom de Paganini); le 176 LES PLEURS Papillon, 23 octobre 1832 (titre : A Paganini) ; et l’Almanach des Muses de 1833. Cette poésie a été reprise dans la Mosaïque poétique de 1834 (titre : Le nom de Paganini) et dans les Annales romantiques de 1835 (titre : Paganini). Voici les lignes que M. Bertrand Guégan consacre à cette pièce dans ses précieuses notes sur les poésies de Marceline : "Cette poésie n’avait que trente vers dans sa première rédaction:seize vers en ont été conservés par Marceline pour sa pièce des Pleurs; huit autres vers, ceux par quoi débute la première version, on été repris dans Une halte sur le Simplon. Un journaliste qui signe V. V. présente ainsi la poésie de Marceline dans l’Écho de Rouen du 16 octobre 1832 : "Théâtre des Arts, Deuxième concert de M. Paganini… Quant à Paganini, dont il faut bien enfin parler, il a été comme la première fois sublime, inconcevable ; et, comme la première fois, hier en sortant du théâtre, nous ne savions que dire, nous nous mettions à la torture pour inventer des mots qui pussent donner quelque idée de cet homme surnaturel, de ce violon-orchestre, vaste épopée qui sait tout chanter, lorsque nous sont tombés comme du ciel les vers qu’on va lire ; ils peignent avec une grâce facile, qui n’appartient qu’à leur auteur, les sentiments d’admiration que chacun éprouve pour le mer- veilleux artiste. Nos lecteurs en remercieront autant que nous l’honorable et obligeante amitié de Mlle Valmore à qui nous les devons,. "Rendant compte, le jeudi 18 octobre, du concert d’adieu de Paganini, le même V. V. écrit dans l’Echo de Rouen : "On avait déjà battu des mains, crié, trépigné, Paganini jouait son troisième morceau. Il était là sur la scène, paraissant lutter con- tre son violon et user ses forces à le vaincre, tant il était pâle, tant ses yeux étincelaient. La foule enchantée l’écoutait silen- cieuse comme un seul homme ; les musiciens, rangés autour de lui, respiraient à peine. Muets d’admiration, ils attachaient leurs regards sur cet homme, sur cet instrument dont eux-mêmes ne peuvent comprendre les prodiges, lorsque des couronnes de lauriers, de roses, d’immortelles, sont tombées sur le théâtre LES PLEURS aux applaudissements de tous les spectateurs. Ce fut, je vous assure, un beau moment. "A ces couronnes étaient attachés des billets, dont on a demandé lecture. L’inexorable règlement de police, pour cette fois, a bien voulu se taire et Valmore est venu faire confidence au public des hommages poétiques adressés à Paganini. Des trois pièces qu’il a lues, nous n’avons pu nous en procurer que deux ; les voici : A PAGANINI (L’auteur de ces vers est M. Valmore) D’où s’échappe la voix frémissante et cachée Qui vibre dans tes doigts ? Est-ce une voix de fée ? Dis-nous ? Est-ce un caur d’homme aux pleurs harmonieux, Un sourire de femme égaré dans les cieux ? Ce coloris des sons, fascinante merveille, Semble créer pour nous le prisme de l’oreille. Le cœur bat, l’âme écoute et meurt de tes accens, L’ivresse à flots pressés ruisselle dans nos sens : Si ton rapide archet de ses ailes de flammes Vole comme l’éclair sur tes brillantes gammes, Jetant des notes d’or dans un sillon de feu, N’est-ce pas qu’en ton sein vient s’agiter un dieu ? De la divinité, toi vivante étincelle, Toi seul prouverais l’âme et sa source immortelle ; Quand ton génie altier sait d’un sublime écart Renverser à tes pieds les barrières de l’art, 177 On dirait sous ta corde et sans frein et sans règle Un nid de rossignols couvés par des yeux d’aigle ! "L’épigraphe de la page 310 reproduit les deux derniers vers de l’hommage de Prosper Valmore., , (Bertrand Guégan, II, pp. 406-407). Le 21 novembre 1832, Marceline écrit à son ami Lepeytre pour lui annoncer le passage à Marseille de la cantatrice Mazi et du merveilleux Paganini qu’elle avait entendus à Rouen, le G. Cavallucci — Bibliographie de Marceline Desbordes-Valmore 12 178 (1 mois précédent : J’ai eu la consolation que porte partout le talent de grands artistes. Vous jugerez en les entendant que c’est, en effet, comme une faveur du ciel de rencontrer sur son chemin si triste deux voyageurs qui ont après eux tant de charmes. L’un par une de ces voix qui enchantent ; l’autre par des mains puissantes et pleines d’un génie saisis- sant. Vous allez voir. J’ose me mettre entre eux et vous, pour leur assurer à Marseille un accueil de plus. Votre âme ira au devant d’eux, et ce sera presque rencontrer la mienne qui les suit de vœux et de regrets., , (Grenoble, 21 novembre 1832). Voici, pour clore cette si longue note, en quels termes le sculpteur David d’Angers remercie Marceline de lui avoir en- voyé une copie de son poème :.. Je suis bien touché du précieux cadeau que vous m’avez fait de vos vers sur Paga- nini. Cette sublime poésie est faite pour remuer jusqu’au fond de l’âme. Vous lui avez élevé une statue impérissable : c’est lui tout entier., , (Paris, 23 mars 1833).

LES PLEURS 49. Ne t’en va pas, reste au rivage (JAMAIS ADIEU). Paru d’abord dans le Chansonnier des Grâces de 1829, avec de la musique de Pauline Duchambge. Peu après la mort du docteur Alibert, Marceline écrivait à son ami Gergerès (Paris, 25 novembre 1837) : "Je ne com- prends pas la mort. Si c’est au revoir, pourquoi cette immense douleur ? Si c’était mon Dieu, pardon ! — si c’était adieu, pourquoi cette révolte ardente contre la loi, qui doit être belle encore puisqu’elle vient de la source de toute justice ?, , - 50. Petits enfants, vos jeunes yeux (LE RETOUR DU MARIN). Publiée d’abord dans le Mémorial de la Scarpe, 1830, puis dans l’Almanach des Dames de 1831, cette pièce a été réim- primée dans le Chansonnier des Grâces de 1834. 51. Prends ce rameau, jeune fille (L’ENFANT AU RA- MEAU). LES PLEURS 179 Publiée d’abord dans le Mémorial de la Scarpe, 1832, sous le titre : La jeune fille au rameau. Cette pièce a été mise en musique par Pauline Duchambge. 52. Ouvrez ! Qui frappe à l’heure (LA FIANCÉE POLO- NAISE). Publiée d’abord dans le Mémorial de la Scarpe, 1831. En 1833, au moment où la cabale chassait Prosper Val- more du théâtre de Rouen, la famille Valmore dut engager tout ce qu’elle possédait pour quitter cette ville ; Marceline dut même sacrifier ce qui lui était le plus précieux, son an- neau de mariage. Voici un fragment de lettre à son mari où elle rappelle cette aventure navrante ; il montre combien fut grande sa misère : … Si ma lettre te parvient encore, écoute bien l’unique chose que je te conjure de m’apporter de Bruxelles. Tu de- manderas à Sophie l’adresse de Willem, celui ou le fils de celui qui nous a fait nos anneaux de mariage, et tu lui en achèteras un petit pour moi, que tu feras bénir par le bon curé des Finistères. Tu peux faire venir Willem chez toi, par la bonne Sophie. Tu ignores que mon cher anneau a été vendu à Rouen avec ce que nous y avions laissé en gage. Ma sœur n’a plus eu enfin de quoi renouveler les frais. Jamais elle ne m’a répondu à ce sujet, mais je le devine trop et je te rede- mande un anneau, comme un présent nécessaire à mon bonheur. Je sens que le moment n’est pas opulent pour toi, mais il m’en sera plus précieux et mieux béni., , (Paris, 25 décem- bre 1840). Le 16 août, Marceline remerciait en ces termes Dutilleul d’avoir publié la Fiancée polonaise dans le Mémorial de la Scarpe : Votre cœur, à ce compte, me défendra mieux que moi-même ; car je le reconnais partout, Monsieur, et encore dans les lignes bienveillantes qui soutiennent la Fiancée polo- naise. Un parrain comme vous lui portera bonheur, et jamais on n’a prié plus ardemment, jamais on ne s’est trouvé plus d’accord sur une grande question politique, parce qu’elle est 180 LES PLEURS toute d’humanité. Jamais, comme vous le dites, sympathie n’a été plus générale, et sans rien comprendre aux profondeurs de cette fatale science, je suis stupéfaite de douleur et d’admiration quand je songe aux blessures de la Pologne., , (Lyon, 16 août 1831. Lettre inédite conservée à la Bibliothèque de Douai). 53. O mes enfants ! ne dansez pas (LE VIEUX PÂTRE). Publiée d’abord dans le Mémorial de la Scarpe, et dans le Nouveau Keepsake français, 1833. Cette pièce a été inspirée à Marceline par la révolution de juillet. Le 25 novembre 1830, la poétesse écrivait de Lyon à son ami Frédéric Lepeytre : "Cette avalanche glorieuse a pensé m’entraîner, moi, pauvre roseau, comme elle a déraciné des chênes. Heureux morts de juillet ! Quel mouvement, Mon- sieur, leur chute a donné à la terre ! Ne la sentez-vous pas bouger ? Vous me parlez de chanter à travers tant d’émotions. Ah ! Monsieur ! Quelle voix en ce moment vaut la voix du peuple ! Qu’elle est touchante, noble, poétique… et simple ! Béranger, lui-même, regarde et se tait. Que voulez-vous qu’une femme si frêle que moi murmure dans le tumulte de gloire et de grandes espérances ? J’ai pleuré comme toutes les fem- mes. Les hommes sont les poètes de pareilles époques… » (Lettre recueillie par Hippolyte Valmore). Le 3 août de la même année, elle avait écrit à Duthilloul : "Lyon est plein de courage, d’harmonie et de joie. Tout s’est levé, tout a pris les armes. Le peuple ouvrier, le bourgeois, le riche marchand, les théâtres, les voisins des faubourgs, tout est garde national. Pas une tache de sang, pas un malheur à déplorer. La même pensée anime cent mille âmes. La même voix a crié vers le ciel, et tout est selon sa justice… Les couleurs libres flottent partout. (Publié par Arthur Pougin). Le lendemain, Marceline envoyait Le vieux pâtre à Duthil- loul en l’accompagnant du billet que voici : " Les femmes viennent de mourir pour leur patrie. Heu- reuses femmes ! Il peut donc être permis d’oser la chanter cette chère et glorieuse patrie. LES PLEURS 181 "Faites ce qu’il vous plaira des vers que je vous envoie, Monsieur. C’est l’élan d’un cœur pur que le vôtre peut ap- précier. Je vous salue de toute ma joie., , (Lettre inédite du 4 août 1830, conservée à la Bibliothèque de Douai). On ne saurait trop répéter que Marceline n’a jamais eu d’opinions politiques ; mais elle était d’une générosité rare et désirait passionnément la liberté, tant pour les peuples que pour les individus. C’est cet ardent amour de la liberté qui la faisait saluer avec joie la révolution de 1830. 54. Ange ou prophète ! oh ! que je te revoie (BÉRANGER). Vivement touché de l’admiration que Marceline lui témoigne une fois de plus, Béranger la remercia de ses vers par le délicieux billet que voici : " Ne pas me souvenir de votre ami- tié. Voilà, madame, une bien vilaine phrase, sortie d’une plume qui n’a l’habitude d’en écrire que de charmantes. Il ne fallait rien moins, pour vous faire pardonner, que les strophes que vous m’adressez. Elles m’ont ému parce qu’elles partent du cœur, comme tout ce que vous faites ; mais si votre talent est si vrai, si touchant, c’est grâce sans doute aux illusions que vous vous faites quelquefois, et je suis heureux que ma Muse y trouve si bien son compte. Vous la voyez toute brillante des qualités que votre belle et tendre imagination lui prête. Vos vers m’en sont la preuve. Tant mieux, puisque en voyant ainsi vous avez produit des vers si charmants… (Passy, 11 février 1833). 55. Éveillez-vous, gens qui dormez (LE CRIEUR DE NUIT). Cette poésie, imprimée pour la première fois dans le Mé morial de la Scarpe, 1831, a été réimprimée dans l’Hommage aux Dames de 1834. Dans le Mémorial de la Scarpe, le Crieur de nuit, qua- lifié de "ballade inédite est suivi d’une note de la rédaction : "Depuis 1616, y est-il dit, des crieurs de nuit étaient établis à Douai dans chacune des six paroisses. Ils commençaient leur tournée à onze heures du soir et annonçaient d’abord leur 182 1 LES PLEURS passage par la sonnerie d’une cloche qu’ils portaient et ensuite par ce cri : Éveillez-vous, gens qui dormez, Priez Dieu pour les trépassés ! "Le 21 septembre 1792, sur l’invitation de la Société Po- pulaire, la municipalité mit fin à cet usage incommode. La ballade de notre célèbre compatriote est une allusion à cette ancienne coutume. Au chapitre XVI de l’Atelier d’un Peintre, écrit M. Ber- trand Guégan (II, p. 408), l’oncle Constant raconte comment la famille Desbordes célébra la fête des Rois le 6 janvier 1796. Constant était arrivé de Paris en compagnie de deux cama- rades douaisiens, et la petite Marceline, revêtue de la robe noire de son aïeule, avait élu pour roi le joyeux et "infati- gable, Martin. Tous buvaient et riaient quand "le crieur de nuit, Bisian, de lugubre mémoire, dont le ministère avait été aboli à l’aube de la Révolution, rentrant chez lui fort tard, transfuge de quelque cabaret, trouva plaisant de nous glacer d’effroi ou peut-être de se faire jeter une part de notre gâ- teau, pour le prix de sa lamentable sérénade. Il courut, en toute hâte, au pied du rempart où logeaient sa misère et sa cloche, dont le son terrible nous fit bientôt, et tout à coup bondir d’étonnement et de souvenir. Planté devant la maison de votre père, si bien connue des pauvres, il ressaisit dans le passé toute la splendeur de ses poumons, pour hurler en dépit des Ordonnances: Éveillez-vous, gens qui dormez, Priez Dieu pour les trépassés !….. Le fou, qu’avait élu Marceline, fut frappé de stupeur. Il regarda l’assistance d’un air hagard, marmonna la complainte du crieur de nuit, puis il tomba à terre et fut saisi de con- vulsions. L’oncle Constant courut réveiller le curé; mais quand celui-ci arriva, il ne bénit qu’un cadavre. 56. La rivière est amoureuse (UNE ONDINE). LES PLEURS 183 Publiée d’abord dans le Chansonnier des Grâces de 1833. Le Pêcheur de Goethe, auquel est empruntée cette épi- graphe, ne fait point partie des Poésies allemandes traduites par Gérard de Nerval en 1830. 57. Entends-tu les gondoles (TROIS NOCTURNES. Imita- tion de Moore). 58. Quand le soleil couchant sur les flots se balance (id.). 59. Sur l’eau qui nous balance (id.). Le premier nocturne avait déjà paru dans le Kaleïdoscope de 1826, dans le Chansonnier des Dames de 1827, dans le Souvenir des Ménestrels de 1827, sous le titre : Belle, viens à moi (musique de A. Panseron), et dans la Guirlande des Da- mes de 1829. Le second nocturne avait été publié dans le Kaleidoscope, 18.5, dans la Psyché, 1826, dans l’Hommage aux Dames de 1827, et dans la Guirlande des Dames de 1829. Le troisième nocturne a été imprimé dans la Psyché, 1826, sous le titre : Barcarolle, et dans l’Almanach des Dames de 1828. 60. Sur les bords d’une source où fermente la vie (LES TROIS BARQUES DE MOORE). 61. Mon cœeur battait à peine et vous l’avez formé (ADIEU D’UNE PETITE FILLE À L’ÉCOLE). Voici la notice que M. Bertrand Guégan a consacrée à Madeleine Desroches, dont quelques vers s’inscrivent en tête de cette pièce et du Premier chagrin d’un enfant : "Madeleine Desroches, née à Poitiers vers 1530, jouit d’une réputation assez étendue pour son esprit et sa beauté. De son mariage avec André Fredonnet, sieur des Roches, elle eut une fille, nommée Catherine, dont elle soigna elle-même l’éducation, et qui eut plus de talent que sa mère. L’illustre 184 LES PLEURS com- Pasquier, ayant un jour aperçu une puce sur le sein de la jeune Catherine, donna à ses amis l’idée de faire l’éloge de cette puce, et vingt poètes et plusieurs " doctes personnages, posèrent un recueil de poèmes grecs, latins et français intitulés La Puce de Madame Desroches (Paris, Langelier, 1583). La mère et la fille moururent, le même jour, de la peste qui dé- solait Poitiers en 1587… Le libraire Langelier avait publié en 1578 les Œuvres de Mesdames Desroches, mère et fille (2e édi- tion en 1579) et, en 1586, les Missives de Mesdames Desroches de Poitiers. Enfin des Secondes Œuvres des dames des Roches parurent à Poitiers, chez N. Courtoys, en 1585. 62. Laissez entrer ce chien qui soupire à la porte (LE PETIT RIEUR). Au mois de novembre 1832, Marceline se rendit de Rouen à Grenoble pour mettre son fils en pension chez l’instituteur Froussard. Elle s’arrêta à Paris pour chercher un libraire qui imprimât les Pleurs, et placer dans des journaux des poésies et des contes. C’est de cette époque que date la lettre suivante adressée à son mari, qui jouait à Rouen au théâtre des Arts : "Envoie à Arago, copié de ta main, dans mon livre vert qui contient les poésies inédites, le Petit Railleur. Il l’a vendu, on l’attend. Mets-y tout le soin possible. Je n’ai pu m’en res- souvenir., , (11 novembre 1832). Quelques jours après, Marceline annonçait à Prosper Val- more l’échec des négociations : "J’attendais Arago, et, je te l’avoue, avec l’espoir qu’il allait me remettre le prix de ce qu’on m’avait demandé pour le Journal des Enfants. L’étoile était là ! toujours inclémente ! On a trouvé le Petit Railleur trop scien- tifique pour le premier âge, et le Petit Oreiller trop court…… J’ai gardé un pénible silence, et j’ai reconnu mon sort. (Lettre non datée). Marceline avait longtemps hésité à intituler cette pièce Le Petit Railleur ou Le petit rieur. Dans l’Album n° 11 de Douai, où ces vers figurent, elle a biffé le mot railleur pour le rem- placer résolument par rieur. LES PLEURS 185 63. Le chagrin t’a touché, mon beau garçon. Tu pleures (LE PREMIER CHAGRIN D’UN ENFANT). Cette pièce fut imprimée d’abord dans le Papillon du 19 fé- vrier 1833, puis dans la Mosaïque lyonnaise du 29 février 1833. Marceline écrivait à Boitel, le gérant de la Mosaïque lyon- naise, qui allait publier cette pièce : "Je ne veux de mal à personne ; jugez quand je me mets à vouloir du bien. Je vous remercie de celui que vous avez fait au Premier chagrin d’un enfant par vos observations très justes. J’ai revu tout ce qui vous a paru embarrassé et je l’ai effacé sans hésitation, n’en mettez jamais à me dire votre avis sur ce qui vous passe de moi sous les yeux. Je n’ai que moi pour juger, et je suis trop près pour bien voir. (9 mars. Extrait du Dossier Mariéton). 64. Couchez-vous, petit Paul ! Il pleut. C’est nuit. C’est l’heure. (LE COUCHER D’UN PETIT GARÇON). Publiée dans le Mémorial de la Scarpe, 1830, sous le titre: Le petit Oscar au petit Paul D ; dans la Françe Littéraire, 1832; La Revue provinciale de Lyon, sous le titre:Le coucher d’un enfant; dans les Annales romantiques de 1833 (signée : Mme Desbordes Marceline). On a noté que les deux fils de Duthilloul sont nommés dans le titre que cette poésie porte dans le Mémorial de la Scarpe. En envoyant ces vers encore inédits à leur père, Mar- celine les accompagna du billet que voici : "Vous trouverez ici un enfantillage que vous ferez appren- dre un jour à notre petit ami. Vous savez présentement par vous-même combien les enfants remplissent l’esprit et le cœur de leurs parents, et j’aime tant ces aimables créatures inno- centes, que je me plais à les entendre bégayer ce que j’écris pour eux dans les intervalles des pensées plus graves et plus tristes. (Lyon, 30 juin 1830. Lettre inédite conservée à la Bi- bliothèque de Douai.) 65. Cher petit oreiller doux et chaud sous ma tête (L’OREILLER D’UNE PETITE FILLE). 186 LES PLEURS Publiée d’abord dans le Mémorial de la Scarpe, 1830, sous le titre : "Le coucher de l’enfant, au jeune Oscar D., ; dans la Revue provinciale de Lyon, 1831, sous le titre:L’oreiller d’un enfant ; dans le Chansonnier des Grâces de 1832 ; dans la France littéraire, 1832; dans les Soirées littéraires de Paris, 1833. Cette pièce a été réimprimée dans l’Almanach des Da- mes de 1835. Vers 1840, le libraire Auguste Boyer mit en vente un petit volume, dont voici la description : ARLEQUIN || Pièce à tiroirs pour demoiselles || par Mmes Desbordes-Valmore, Elise Moreau, || M. de Jussieu, etc. || Pa- ris | Aug. Boyer et Cie, Libraires-éditeurs || 49, rue Saint-André des Arts, 49. (s. d.) In-16 de 36 pages. Au bas de la dernière page : Coulom- miers. Typog. Albert Ponsot et P. Brodard. Couverture bleue imprimée (par Larousse). Le verso du premier plat et les deux pages du second plat sont occupées par le catalogue du nouveau théâtre d’éducation, d’une nouvelle série de pièces et de dialogues, de monologues et de chanson- nettes publiées chez Larousse. - On retrouve dans cette "pièce à tiroirs, l’Oreiller d’un enfant de Mme Desbordes-Valmore. Nous pensons que la col- laboration de la poétesse à cet Arlequin se borne à avoir prêté sa célèbre poésie ; encore n’est-il pas certain qu’on lui ait de- mandé son autorisation. 66. Frêle création de la fuyante aurore (L’ÉPHEMÈRE). Cette pièce se retrouve dans la Mosaïque poétique, 1834, et dans le Keepsake-Hommage aux Dames, s. d. (1836) avec la signature:Mme Marceline Valmore. Nous inclinons à penser que cette poésie, publiée pour la première fois en 1833 dans les Pleurs, a été écrite au cours de l’année 1830 et que Marceline l’a conservée en portefeuille; car nous connaissons une lettre adressée à L. Boitel en septembre 1830, où se reflète l’état d’âme exprimé par ces vers : " Je suis LES PLEURS 187 toute triste de vivre, à présent que je vois comme la vie est faite. De quelque côté que je la retourne, j’y vois des choses… Mais j’oublie que vous avez un gros bagage d’illusions, et me préserve le Ciel d’en ravir jamais à personne. Je les aime bien mieux que les diamants, qui ne me paraissent beaux que changés en pain, en feu, en vin, pour les pauvres comme no- tre bonne Ruissel qui se dessèche lentement dans sa lutte avec la misère., , (Bossier Mariéton). Et ceci nous remet en mémoire les phrases d’Arthur Pougin dans La jeunesse de Marceline : "Madame Desbordes-Valmore ne chantait pas pour chanter, et chacune de ses poésies lui était inspirée par un sentiment, un souvenir. C’était, si l’on peut dire en parlant le jargon à la mode, de la poésie vécue, partant de l’âme et faite pour toucher les âmes., , 67. Mon Dieu ! ce que j’entends si suave en moi-même (LE CONVOI D’UN ANGE, A ma mère qui n’est plus). Constant Desbordes, l’oncle de Marceline, était l’auteur d’une toile qu’il avait appelée : Le convoi d’un enfant. Marceline en parle dans l’Atelier d’un Peintre. Nous empruntons à l’ouvrage si précieux de M. Bertrand Guégan les renseignements que nous allons donner sur Catherine Desbordes, la mère de Marceline : Catherine-Josèphe Lucas, la mère de Marceline, "était belle comme une vierge, (lettre à Sainte-Beuve). Elle avait des yeux bleus et une longue chevelure d’or, ,. Elle était "si belle, si brillante, toujours si rose, écrit Marceline dans l’Atelier d’un Peintre (chap. VI), "sous la forêt de cheveux blonds dont le poids adorable s’échappait souvent des fines dentelles qui la paraient. Que j’aimais ma mère !… Ma sœur, où est ma mère ? (Elle s’adresse à sa sceur Eugénie)… Je me sens à genoux devant son souvenir. Quelle suite et quelle liaison d’idées fondues ensemble ont, depuis, incrusté fortement son image dans cette scene d’hirondelles et d’orage. (Une hirondelle avait quitté le nid, laissant au mâle le soin d’élever ses quatre petits)… J’en ai froid. Et vous ? Surtout en me rappelant le père qui l’aimait 188 LES PLEURS avec une passion si grave, si sainte et si fidèle. Surtout en me rappelant ce nid où le mâle abandonné se livra tout à coup à une douleur si frénétique, et si puissante !. En 1799, lasse de la vie de privations qu’elle menait à Douai, Catherine Desbordes décida de se rendre à la Guadeloupe, afin de retrouver le mari d’une cousine devenu riche, "qui plusieurs fois avait appelé quelqu’un des siens pour lui rendre quelque chose de la patrie perdue., , (Note manuscrite de Mme Desbordes-Valmore). Elle emmenait la plus jeune de ses quatre enfants, la pauvre Marceline qui n’avait pas plus de treize ans. Quand elles arrivèrent en Amérique (fin de 1801), elles trouvè- rent la cousine veuve, chassée par les nègres de son habitation, "la colonie révoltée, la fièvre jaune dans toute son horreur… Ma mère ne para pas ce coup, écrit Marceline. Son réveil, ce fut de mourir à 41 ans. " Les sept dernières pièces (61-67) sont réunies à la fin des Pleurs sous le titre : AUX PETITS ENFANTS. XII à XV CONTREFAÇONS BELGES