Bibliothèque de la ville

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BIBLIOTHÈQUE DE LA VILLE




On sait que la Bibliothèque de Toulouse fut fondée par Loménie de Brienne en 1786. Cette date la place au nombre des plus anciennes bibliothèques de province, ainsi qu’on peut le voir sur le tableau chronologique de ces établissements dressé par M. Maire[1]. M. A. Molinier en fait remonter l’origine à 1762[2]. La bibliothèque dont parle M. Molinier est celle du Collège-Royal, ancienne bibliothèque des Jésuites, qui forma le premier groupe autour duquel se développa la bibliothèque municipale, si bien que celle-ci est encore quelquefois appelée Bibliothèque du Collège, surtout par des étrangers qui s’en rapportent au témoignage des Guides ou des Annuaires périmés.

M. Pont, qui administra la Bibliothèque pendant plus de cinquante-trois ans, en à écrit l’histoire jusqu’en 1879[3].

M. Lapierre, son érudit successeur, l’a plus amplement fait connaître dans une série d’études très documentées et qui ont définitivement mis en pleine évidence l’importance de ce dépôt[4]. On en trouvera le résumé dans le volume qui fut publié à l’occasion du Congrès tenu à Toulouse en 1887[5].

On pourrait supposer que cette ancienne Bibliothèque ne renferme que des collections archéologiques dignes de tous nos respects par leurs nobles origines, mais utiles seulement aux amateurs de recherches rétrospectives. « Notre Bibliothèque ne vieillit pas, écrivait M. Pont il y a trente ans : je me flatte d’y avoir entretenu la verdeur de la jeunesse. » C’est en admettant à côte des vieux fonds les publications nouvelles, comme on n’a cessé de le faire, que ce rajeunissement se perpétue.

Les fonds anciens présentent un ensemble d’environ quatre-vingt mille volumes, ensemble des plus intéressants, non pas tant parce qu’il est le miroir d’une vie intellectuelle qui s’éloigne que par mille curieux détails touchant la condition du livre : éditions rares, ex-libris autographes, hommages précieux, provenances originales, notes marginales, chiffres et monogrammes, reliures armoriées et de grand luxe, toutes choses dont le livre moderne, d’éphémère durée, néglige de se parer.

Pour décrire nos 700 volumes armoriés, dont un certain nombre pourrait s’ajouter à une prochaine édition de Joannis Guigard ; nos 1 612 volumes des textes de la sainte Écriture en diverses langues ; la série de nos grands classiques des seizième et dix-septième siècles, sous la signature des Alde, des Plantin, des Estienne et des Elzéviers ; celle de nos belles et curieuses éditions d’origine orientale réduites à attendre le spécialiste qui les mettra en valeur ; nos 300 catalogues de cabinets d’amateurs des dix-septième et dix-huitième siècles[6], luxueux décors de livres rares qui évoquent le mot de Mme de Sévigné : « Quand j’entre dans ce cabinet, je ne comprends pas pourquoi j’en sors » ; pour décrire ces riches épaves de la librairie florissante de jadis, il faudrait plusieurs volumes et plusieurs bibliothécaires et nous n’avons même pas ici l’espace que les vieux éditeurs, jaloux de l’honneur du texte, accordaient au præloquium du préfacier[7].

Les fonds nouveaux offrent au grand public plus de cent mille volumes. Les envois du ministère, les achats et les dons sont les affluents de ce fleuve dont le courant s’élargit tous les jours. On peut diviser les dons en trois catégories. Les dons d’unités, expression de la reconnaissance des auteurs envers la Bibliothèque qui leur prêta son concours ; les dons de collections, dont l’énumération trop étendue ne peut trouver place dans les limites de cette notice[8] ; enfin, les dons plus rares, mais plus importants, de bibliothèques particulières. Quelle que soit l’importance du don, il en est toujours fait mention, ad perpetuam rei memoriam, sur la feuille de garde ; c’est le témoignage de la reconnaissance de la Bibliothèque et le gage de la conservation du souvenir. Les dons forment un apport annuel d’environ six à huit cents volumes, sauf les cas où une bibliothèque privée vient augmenter ce nombre. Qu’on nous permette d’en signaler deux particulièrement intéressants.

En 1901, M. Barutel, conseiller de préfecture, nous donna près de quinze cents volumes ou brochures qui comprennent toutes les œuvres poétiques dues à des femmes françaises, depuis la légendaire Clotilde de Surville jusqu’à la plus jeune de nos muses contemporaines. Toutefois, on ne peut s’empêcher, au moins à Toulouse, de souligner une lacune dans cette vaste anthologie, celle de l’Ode au Printemps, que l’on trouve dans la plupart des recueils de ce genre jusqu’en 1852 et qui plaçait Clémence Isaure à la tête de la poétique phalange. C’est dire que cette collection a été formée à la lumière de la critique historique et que nos meilleures anthologies, celle que vient de publier M. A. Séché[9] par exemple, pourraient s’enrichir encore au contact de celle-ci, la plus complète que nous connaissions.

La bibliothèque du barron Larrey, que nous devons à la générosité de Mlle Juliette Dodu, ajoute à l’intérêt du livre celui d’une page d’histoire locale. Ce fut à Toulouse, en effet, que l’illustre chirurgien commença ses études auprès de son oncle, chirurgien en chef de l’hôpital. En donnant à la rue de l’Hôpital-Militaire le nom de celui qui fut appelé pendant si longtemps « la providence du soldat », le Conseil municipal acquitta une double dette, celle qu’il devait à Mlle Dodu et celle à laquelle avait droit depuis plus de soixante ans Jean-Dominique Larrey, moins parce qu’il fut l’un des fondateurs de la Société de médecine de Toulouse et directeur de l’École de cette ville qu’à raison de son intervention en 1833 pour l’érection du monument élevé à la mémoire de notre compatriote et son ami le général Dupuy. C’est ainsi que se mêlent à ce don trois noms que le patriotisme illustra[10]. Ajoutons que, par une méprise singulière, le lot qui nous fut attribué ne comprend que quelques ouvrages ayant appartenu à Jean Dominique ; la plupart, ainsi qu’on en peut juger par les envois d’auteurs, proviennent de la bibliothèque du baron Hippolyte Larrey, son fils, ancien député et membre de l’Institut.

Pour faire face aujourd’hui à l’inépuisable production du livre, il faudrait d’inépuisables crédits. Forcément limités, ils semblent, de prime abord, ne pouvoir répondre à tous les besoins, et cependant on arrive, par un scrupuleux discernement dans le choix des nouveautés, à n’en exclure aucune. L’actualité scientifique se trouve ainsi représentée par ce qu’elle a de meilleur, augmenté annuellement par les importants dépôts du Ministère et par l’apport très varié de 150 publications périodiques. Ainsi, hospitalière à toutes les sciences, la Bibliothèque a vu, en moins de dix ans, s élever de 9 000 à plus de 16 000 le nombre de ses lecteurs, et l’ensemble de la demande se répartir en 1909 sur 31 692 articles.

Ces statistiques supposent l’existence de plusieurs catalogues. On a dit cependant pendant longtemps que notre Bibliothèque en était dépourvue[11]. La réalité a donné et donne plus que jamais le démenti à ces suppositions. Le catalogue alphabétique complet et constamment tenu à jour sur fiches et sur registres est journellement à la disposition du public. Ceux qui déplorent l’absence du catalogue méthodique ne sont pas mieux renseignés ; tout au plus seraient-ils autorisés à dire que ce catalogue n’est pas en harmonie avec certaines méthodes de classification, encore faudrait-il laisser le temps de le rédiger avec la perfection désirée dans le plan indiqué. Notre fonds bibliographique, qui ne comprend pas moins de 3 000 volumes, supplée heureusement dans tous les sens à la prétendue imperfection du méthodique[12].

Les catalogues spéciaux sont aussi nombreux qu’on le peut souhaiter et ne sont pas moins accessibles que le catalogue général. Celui des manuscrits a été imprimé en 1885 ; il comprend 887 numéros. Le supplément publié en 1904 porte ce nombre à 1 520[13]. Un deuxième supplément est en préparation. Le Catalogue des Incunables remonte à 1878 ; il comprend 281 numéros, dont 67 ne figurent pas au Répertoire de Haïn[14]. La suite se continue au Catalogue Pellechet, dont M. L. Polain a publié le tome iii en 1909[15]. Ceux qui ne sont pas encore catalogués sont répertoriés à leur date. Les uns et les autres forment un total de 859 articles. Quoique les ouvrages qui font partie des fonds spéciaux, tels que le fonds Régional et Pyrénéen, le fonds Toulousain, celui des Langues romanes, soient inscrits au Catalogue général, ils font l’objet d’une catégorie de répertoires qui permettent de donner prompte satisfaction à la demande. Il n’est pas jusqu’aux amateurs d’élégantes recherches parmi les livres rares et curieux qui ne trouvent leur profit en feuilletant divers catalogues rédigés à leur intention.

Il ne manque qu’une chose à cette importante Bibliothèque, mais une chose essentielle : l’espace. On écrivait déjà en 1849 : « La seule inspection du local suffit pour se convaincre de son insuffisance, à moins que, par le transport de la Faculté des sciences dans le nouvel établissement que l’on a en vue, on ne parvienne à l’agrandir…[16] » La Faculté a bien été transférée ailleurs en 1892 et la Bibliothèque s’est agrandie : mais elle avait reçu, en 1866, les 25 000 volumes de la Bibliothèque du clergé[17], de telle sorte que sa situation est pire aujourd’hui qu’en 1849. On a proposé de bâtir d’après quelques-uns des bons modèles de Graesel[18], mais bâtir est un idéal interdit aux finances municipales. Il ne reste qu à choisir un des vastes bâtiments actuellement disponibles.

L’ancien séminaire de l’Esquile, au centre du quartier des études, paraît devoir remplir mieux que tout autre les conditions requises. Dire qu’il est trop grand, ce n’est pas connaître l’étendue des besoins de la Bibliothèque, qui occupe actuellement 10 000 mètres de rayons, et ne pas comprendre les exigences croissantes de son fonctionnement. Malheureusement, l’Esquile, qui fut bâtie en 1551 aux frais de la ville et par les soins des capitouls, appartient aujourd’hui à l’État et un accord devient nécessaire. Il serait avantageux à l’un et à l’autre. Il assurerait l’avenir, conviendrait au présent et rendrait à ces vieux murs imprégnés de scolarité la dignité qu’ils ont perdue. Ce serait le retour aux ayants-droit de l’héritage dont ils furent frustrés par erreur en 1792, ce serait le relèvement d’un des plus importants dépôts scientifiques et littéraires de la province, dans un milieu intellectuel d’une activité qui ne se lasse pas ; ce serait le meilleur gage d’encouragement donné au public ; c’est le vœu du bibliothécaire.

M. Massip,
Bibliothécaire de la Ville.


La ville de Toulouse possède une Bibliothèque populaire municipale riche et très fréquentée, — une Bibliothèque des bons livres dirigée par un Comité et assez importante.

Une notice spéciale est consacrée plus loin aux bibliothèques universitaires.



  1. Albert Maire, Manuel pratique du bibliothécaire, Paris, Picard, 1896. Notice historique, p. 16 ; tableau, pp. 13-14.
  2. Catal. gén. des mss., in-4o, vii, pp. 1-528, par A. Molinier. Introduction.
  3. Notice sur la bibliothèque publique de Toulouse, par H. Pont. Toulouse, P. Privat, 1879.
  4. Bibl. publ. de la ville de Toulouse, par Eug. Lapierre, 1887, in-8o. — La bibl. de Toulouse et le bibliothécaire Castilhon, dans Mém. de l’Acad. des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse, 9e série, i, p. 213. — Les anciennes bibl. de Toulouse, ibid., 9e série, ii, p. 200. — Formation et organisation de la bibl. publ. de Toulouse, ibid., 9e série, iii p. 108.
  5. Association française pour l’avancement des sciences, 16e session, à Toulouse, en 1887. Toulouse, Ed. Privat, p. 623.
  6. « Bibliothèques et cabinets de plusieurs émigrés, qu’il convient de réclamer. » Lettre de Castilhon aux administrations du district, an iii,  v. Cat. gén. des mss., suppl. xliii, pp. 367-423, par Massip, no 1012, 10.
  7. Il n’en fut pas toujours ainsi : « Si l’on tire de beaucoup d’ouvrages de morale, écrivait La Bruyère, l’avertissement au lecteur, l’épître dédicatoire, la préface, la table, les approbations, il reste à peine assez de place pour mettre le nom du livre. » Ouvrages de morale et tant d’autres !
  8. Citons néanmoins, parmi les principaux donateurs : MM. Eugène Lapierre, bibliothécaire honoraire ; Henri Béraldi ; Léopold Delisle ; Louis-Ariste Passerieu, conservateur-adjoint ; P. Dognon, professeur à la Faculté des lettres ; De Rey-Pailhade ; J. Chalande ; Advielle ; P. Vibert ; Raoul de La Grasserie, de Mauvezin ; Mme Godin ; M. Anderson, bibliothécaire de l’Université d’Upsal, etc.
  9. A. Séché, Les Muses françaises. Anthologie des femmes poètes de 1200 à nos jours. 2 vol. ; 85 portraits. Paris, 1820.
  10. On sait que Dupuy mourut au Caire, dans les bras du baron Larrey. Il existe, aux Archives de la ville, un dossier relatif à l’érection de la colonne Dupuy ; on y trouve la belle lettre que Larrey écrivit à ce sujet. — La conduite héroïque de Mlle Juliette Dodu, en 1870, a été évoquée naguère en d’éloquentes nécrologies. Un comité a pris l’initiative, sous les plus hauts patronages, de lui élever un monument dont l’exécution serait confiée à Mme la duchesse d’Uzès.
  11. Bulletin du Bibliophile, 1884. — Eug. Lapierre, Sur les Catalogues de la Bibl. de Toulouse, pp. 553-555. — Réponse à une note parue au Bulletin, juillet, même année, p. 287.
  12. Rapport de M. G. Picot à M. le Ministre de l’instruction publique, au nom de la Commission des Bibliothèques Nationale et municipales, 1894. — Sur la distinction à faire entre un catalogue alphabétique et un catalogue méthodique, « une bibliographie », voir l’Introduction au Cat. général des livres imprimés de la Bibliothèque Nationale, par M. Léopold Delisle, t. i, 1897 ; xv, p. lxv. — Sur la classification décimale, voir Journal des Savants, mars 1896, note L. Delisle.
  13. Cat. gén. des manuscrits des Bibliothèques publiques, t. VII, par A. Molinier, 1885, in-4o ; t. xliii. — Suppl., t. l, par M. Massip, pp. 367-423.
  14. Cat. des Incunables de la Bibl. de Toulouse, par le Dr Dubarreaux-Bernard ; P. Privat, 1878.
  15. Cat. général des Incunables des Bibl. publiques, par Marie Pellichet, 1897, continué par M. Polain, t. iii ; Paris. Picard, 1909.
  16. Rapport fait à M. le Maire de Toulouse par la Commission des Bibliothèques ; Chauvin, 1849.
  17. Rapport sur les difficultés relatives à la Bibliothèque du clergé, par M. Gastambide, procureur général, 16 février 1861. L’affaire fut conclue en 1866. Cette Bibliothèque avait été fondée par l’abbé d’Héliot, en 1772.
  18. Manuel de Bibliothéconomie, par le Dr Arnim Graesel ; Paris, Walter, 1877.