Bigot et sa bande/73

La bibliothèque libre.

Joseph Perthuis de La Salle


Autres temps, autres mœurs ! Que dirait l’opinion publique de nos jours d’un Juge de la Cour Suprême ou même de toute autre de la province de Québec qui ferait commerce comme négociant ordinaire ? C’est, pourtant, ce qui se faisait sous le régime français. Quelques-uns des membres du Conseil Souverain de la Nouvelle-France étaient marchands et on les voyait laisser leur comptoir pour aller siéger au plus haut tribunal de la colonie. Leurs intérêts personnels devaient de temps en temps venir en conflit avec ceux des négociants qu’ils étaient appelés à juger. Et, pourtant, nous voyons peu souvent des membres du Conseil Souverain se récuser pour ne pas entendre des causes, où ils auraient pu avoir des intérêts.

C’est Bigot qui, dans un de ses Mémoires, parle du sieur Perthuis, membre du Conseil Souverain. Répondant à un argument du Châtelet qui l’accusait d’avoir favorisé indûment le sieur Perthuis, Bigot faisait dire à ses avocats :

« Le sieur Perthuis, conseiller au Conseil Supérieur de Québec, a acheté, à ce qu’on prétend, du s. Menardy, le 7 septembre 1755, une partie de marchandises de 63337,3 f. au bénéfice de 30 pour cent et 5 pour cent de commission. Le registre du s. Menardy porte que cette partie était « pour les magasins du Roi ou pour M. Bigot, et qu’il l’a placée au magasin ou à M. Bigot, à 35 pour cent, parce que le s. Perthuis lui a accordé 5 pour cent de commission de la vente qu’il lui avait fait faire au s. Bigot. »

« Mais outre que le registre de Menardy ne fait point preuve contre le sieur Bigot, qui n’offre point d’y ajouter foi, le registre laisse incertain si la vente a été faite pour le magasin ou pour le sieur Bigot ! Or, on va voir dans un moment que les marchandises étaient pour le magasin et non pour le sieur Bigot.

« On a excipé de ce que le sieur Perthuis était conseiller au Conseil Supérieur. Cette qualité s’opposait, a-t-on dit, à ce qu’il achetât pour son compte. D’ailleurs, il a pris 5 pour cent de commission. Il achetait donc pour autrui.

« Si cette dernière circonstance était véritable, si le s. Perthuis avait pris des frais de commission, elle serait une preuve que la qualité de conseiller ne l’empêchait donc pas de faire le commerce. Aussi tous les conseillers le faisaient. Mais, dans la vérité, le registre ne porte pas qu’il a pris 5 pour cent de commission. Il porte qu’il les a accordés à Menardy… »[1]

Joseph Perthuis, conseiller au Conseil Supérieur, qui faisait ainsi un bénéfice de trente-cinq pour cent pour des marchandises vendues au Roi, était né à Québec le 30 août 1714, du mariage de Charles Perthuis, marchand, et de Madeleine Roberge. Il se livra d’abord au commerce puis MM. de Beauharnois et Hocquart, ayant découvert dans le jeune commerçant des talents pour la judicature, le firent nommer conseiller assesseur au Conseil Supérieur (26 janvier 1743). Quatre ans plus tard, le 1er  janvier 1747, il devenait conseiller en titre, remplaçant M. Rouer d’Artigny, décédé.

Mais ses dispositions pour le commerce et l’industrie ne l’avaient pas abandonné et, l’année même de sa nomination au Conseil Supérieur, M. Perthuis était chargé par l’intendant Hocquart d’établir une espèce d’usine pour fabriquer le sel, à Kamouraska. L’essai fut plus ou moins heureux.

Après la mort du procureur général Verrier, en 1758, c’est M. Perthuis qui fit provisoirement les fonctions de procureur général jusqu’à 1760.

En 1763, M. Perthuis décida d’aller s’établir en France. Il vendit sa seigneurie et ses propriétés de Québec et vécut ensuite en Haut-Poitou.

Plus tard, en 1774, il acheta une charge de conseiller secrétaire du Roi en la chancellerie de Poitiers, qu’il conserva jusqu’à sa mort arrivée à Poitiers le 19 mars 1782.

Dans la Nouvelle-France, M. Perthuis signait Perthuis tout court. Là-bas, pour suivre la mode, il prit le nom de Perthuis de La Salle.[2]

  1. Mémoire pour messire François Bigot, 2e  partie, p. 491.
  2. P.-G. Roy, Fils de Québec, vol. I, p. 183.