Biographie nationale de Belgique/Tome 2/BÉATRICE DE COURTRAI
BÉATRICE DE COURTRAI, princesse, née en Brabant, dans la première moitié du xiiie siècle, morte le 11 novembre 1288. Aussi distinguée par le rang et la naissance que par les charmes d’un esprit cultivé, Béatrice reçut son nom de la châtellenie de Courtrai où elle résidait habituellement, et qui lui avait été constituée en dot par sa belle-mère, la comtesse Marguerite. Elle était fille de Henri III, duc de Brabant, et tante de Jean Ier, le vainqueur de Woeringen, et de la célèbre Marie de Brabant, femme de Philippe le Hardi, roi de France ; elle avait épousé en premières noces le landgrave Henri de Thuringe, compétiteur de Frédéric II à l’empire. En 1248, elle convola en secondes noces avec Guillaume de Dampierre, héritier du comté de Flandre. Nous la trouvons ainsi en relation de parenté avec les familles les plus puissantes de l’Europe même. Cette dernière alliance lui eût assuré la couronne comtale, si ce prince n’eût été ravi prématurément à son amour, par une mort violente, au tournoi de Trazegnies, en 1251, peu de temps après son retour de Palestine, où il avait eu une part glorieuse à la croisade dirigée par saint Louis. Béatrice avait pris la croix avec son mari ; mais relevée de son vœu, moyennant une indemnité pécuniaire, par Simon de Sully, légat du saint siége, elle ne quitta toutefois pas la Flandre. Le comte Robert d’Artois qui avait épousé sa sœur, Mathilde de Brabant, périt également dans cette expédition ; son fils, nommé aussi Robert et qui, cinquante ans après, fut tué à la bataille des Éperons d’or (1302), fut confié aux soins de Béatrice et élevé par elle.
Restée veuve fort jeune, elle se condamna à la retraite dans son château de Courtrai. Mais cette retraite ne fut pas absolue, et Béatrice exerça, tout le temps qu’elle dura, une influence non contestable sur les princes qui étaient en rapport avec le comté de Flandre. « En même temps qu’elle retraçait, par sa piété, les exemples qu’elle avait reçus de Sophie de Thuringe, fille de sainte Élisabeth de Hongrie, dit M. Kervyn de Lettenhove, elle savait encourager les lettres, et il n’était point de princes qui n’eussent recours à ses conseils. »
Elle était en relations suivies avec sa nièce, la reine de France ; avec Jean Ier, duc de Brabant, à la fois prince valeureux et poëte distingué, à qui elle prêta des sommes considérables pour favoriser ses emprises guerrières, lesquelles eurent pour principal résultat la mémorable bataille de Woeringen ; avec Charles d’Anjou, roi de Sicile et de Jérusalem, qui en 1284, fut désigné comme arbitre des débats d’intérêt privé soulevés entre elle et Guy, comte de Flandre ; avec Blanche de Bretagne, femme de Philippe d’Artois ; avec Jean d’Avesnes, comte de Hainaut ; avec Jean de Vassogne, évèque de Tournai et chancelier de France, et enfin, avec une foule d’autres personnages considérables de l’époque ; sa correspondance, conservée en partie aux archives de la Flandre orientale, atteste qu’elle fut mêlée pendant de longues années aux affaires et aux négociations politiques qui eurent lieu dans la seconde moitié du xiiie siècle. Fidèle aux habitudes littéraires de sa famille, Béatrice de Courtrai passe pour avoir, comme son neveu Jean Ier, accordé une généreuse protection aux arts et aux lettres. Son château de Courtrai, rempli des statues des comtes de Flandre, donna plus d’une fois asile aux trouvères les plus vantés tels que Gilbert de Berneville, Gilles de Neuville, Michel d’Auchy, Mahieu de Gand, Josselin de Bruges. On a conservé l’inventaire de ses joyaux, hanaps, aiguières, etc., trouvés après sa mort à l’abbaye de Groeninghe, et ce document témoigne tout à la fois de l’opulence de sa maison et de ses goûts artistiques.
Les dernières années de cette femme, déjà si cruellement éprouvée dans sa jeunesse, furent troublées par de longs démêlés avec Guy, comte de Flandre, au sujet de la possession des biens qui lui avaient été assignés à titre de douaire à l’époque de son mariage avec Guillaume de Dampierre. Le pape lui-même dut intervenir dans ces débats, qui ne furent terminés qu’en 1284, par Charles d’Aujou. C’est sans doute vers cette époque que, tout occupée d’œuvres de piété, elle voulut avant de mourir faire un pèlerinage au tombeau des Apôtres et visiter Rome. Elle y obtint du souverain pontife plusieurs priviléges en faveur de l’abbaye de Groeninghe, transférée, par elle, du village de Marcke aux portes de Courtrai vers 1380 et qu’elle avait entièrement construite à ses frais et dotée largement. Elle quitta alors entièrement le monde, pour se consacrer à des actes de bienfaisance, à des exercices religieux et au développement du célèbre monastère dont elle peut être regardée comme la seconde fondatrice. Aussi ses dépouilles mortelles y furent-elles inhumées et sa mémoire honorée jusqu’à la destruction de cette maison.
Baron Kervyn de Lettenhove, [Béatrice de Courtrai (Bulletin de l’Académie royale de Belgique, t. XXI et XXII). — Id. Histoire de Flandre, t. II, p. 408. — Baron de Saint-Genois, Inventaire des Chartes des comtes de Flandres. (V. Table, au mot : Béatrice de Courtrai.) — Messager des Sciences historiques, 1843, pp. 222-223. — Tableau historique et pittoresque de Courtrai, pp. 76-79.