Biographie des célébrités militaires de 1789 à 1850/Index - B

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Bachelu (Gilbert-Désiré-Joseph, baron)[modifier]

général de division, né à Salins, en Franche-Comté, le 9 février 1777, fils d’un conseiller-maître à la Cour des comptes de Dôle ; il fut reçu en 1794 à l’école du génie de Metz, en qualité d’élève sous-lieutenant. Capitaine en l790, il fit la campagne du Rhin et suivit Moreau dans sa retraite en Égypte ; Kléber le fit chef de bataillon au siège du Caire en 1800 ; en 1801, il fit, comme colonel du génie, la campagne de Saint-Domingue, sous les ordres du général en chef Leclerc qui en fit son aide-de-camp. Il assista au combat de la Crète-à-Pierrot où il dirigea le placement des troupes dans les lignes de circonvallation établies sur la droite de l’Artibouille. Le colonel Bachelu revint de cette malheureuse expédition avec la veuve de son général.

On le vit depuis chef d’état-major, de 1803 à 1805, au camp de Boulogne où il reçut la décoration de légionnaire ; colonel du 12e de ligne en 1805, sous les ordres du général Marmont qui commandait l’armée de Hollande, il passa, en 1807, en Dalmatie et attaqua, le 30 mai, à Castel-Nuovo, 5,000 Monténégrins, soutenus par deux bataillons russes, et les culbuta à la baïonnette. Général de brigade le 5 juin 1809 ; après Essling, il se distingua pendant la première campagne de Cologne et principalement au siège de Dantzig. En 1812, il fit la campagne de Russie, et commanda l’arrière-garde pendant la retraite de Tilsilt, à Dantzig où il fut employé jusqu’au 1er janvier 1814. Le 12 janvier 1813, Bachelu avait chassé les Russes de la position formidable de Stublau, et le 3 mars.il avait repoussé l’attaque générale dirigée par Platow sur les faubourgs de la place. Le 26 juin 1813, il fut nommé général de division ; pendant les Cent-Jours, le général Bachelu commanda la première division du deuxième corps d’armée et se distingua dans la courte campagne de juin. De retour à Paris, après le désastre de Waterloo, où il tomba blessé en attaquant le bois d’Hougoumont, il fut emprisonné deux fois comme suspect, exilé de Paris, puis de la France, où il ne rentra qu’en 1817.

Après la révolution de juillet, le général Bachelu fut envoyé à la chambre des députés par les électeurs du Jura ; il venait d’obtenir la croix de commandeur de la Légion d’honneur.

Il est mort à Paris le 16 juin 1847, âgé de 72 ans.

Son nom est inscrit sur l’arc de triomphe de l’Etoile, côté sud.

Bacler d’Albe (Louis-Albert-Guislain, baron)[modifier]

né le 21 octobre 1781, à Saint-Pol (Pas-de-Calais), d’un ancien trésorier du régiment de Toul.

Peintre et ingénieur géographe, il s’occupait de l’étude des arts lorsque la révolution éclata ; il en accepta les principes. Il s’enrôla et devint bientôt capitaine d’artillerie pendant le siège de Toulon. Bonaparte, durant les campagnes d’Italie, l’attacha à son état-major en qualité de directeur du bureau topographique, puis de chef des ingénieurs-géographes ; il fut chargé, après la paix, de former, de dresser la carte de l’Italie en cinquante-quatre feuilles. Devenu général de brigade, il fut nommé, en 1815, chef du dépôt général de la guerre ; mais la Restauration lui enleva cette place, et Bacler se retira à Sèvres, où il se livra de nouveau à la culture des arts ; il s’occupa de la lithographie et fit plusieurs publications qui popularisèrent cette précieuse découverte.

Bâcler mourut à Sèvres, le 12 septembre 1824, âgé de 43 ans.

Parmi ses œuvres d’art, on doit citer plusieurs ouvrages lithographiques sur la Suisse, l’Espagne, et surtout deux tableaux, la bataille d’Arcole et la veille d’Austerlitz auxquelles il avait assisté. Le premier de ces tableaux se voyait à Trianon et le second dans la galerie de Diane à Paris. Comme cartographe, Bacler d’Albe est au premier rang ; il a publié, dans le Mémorial topographique, plusieurs dissertations sur la gravure des cartes ; il a formé les artistes du dépôt de la guerre qui ont gravé de si admirables cartes. C’est lui qui a fait prévaloir la projection horizontale sur l’ancienne méthode-perspective.

A tant de titres, on doit ajouter le service que Bâcler a rendu à la France, en empêchant les alliés de s’emparer des cuivres de la grande carte de Cassini.

Baillod (Jean-Pierre, baron)[modifier]

né à Songieu, département de l’Ain, le 20 août 1771. Il entra au service dans le 11e bataillon de l’Ain (22e demi-brigade d’infanterie légère) le 22 septembre 1793 ; y fut nommé capitaine le 27 du même mois, servit à l’armée des Alpes, et en décembre 1794 à l’armée d’Italie.

En 1796, il fut nommé commissionné-adjoint aux adjudants-généraux.

Le 1er février 1800, il fut promu au grade de chef de bataillon, fut employé au camp de Boulogne en 1804 et créé chevalier de la Légion d’honneur.

A la grande armée, il servit de 1805 à 1810, sous les ordres du général Saint-Hilàire, puis du général Grandjean.

Adjudant commandant en 1807 ; officier de la Légion d’honneur dans la même année ; commandant en 1809, il avait été blessé à la bataille d’Essling, il eut un cheval tué sous lui à Austerlilz et au combat d’Heislberg.

Rentré en France en février 1810, il fut nommé chef d’état-major de la quatorzième division militaire.

Le 6 août 1811, il fut nommé général de brigade et commanda le département de la Manche.

En 1812, on l’envoya de nouveau au camp de Boulogne, et, en 1813 (janvier) il était sous les ordres de Lauriston, chef d’état-major au corps d’observation de l’Elbe (3e corps). Blessé grièvement à la bataille de Leipzig, il obtint un congé pour se rétablir de ses blessures.

En décembre, il fut désigné comme chef d’état-major, au 2e corps commandé par le duc de Bellune ; en avril sa blessure le retenant, il fut renvoyé dans le département de la Manche.

Chevalier de l’ordre de la Couronne de Fer en septembre 1813, il fut créé chevalier de Saint-Louis en janvier 1815, et employé comme chef d’état-major du général Lemarois.

Il fut nommé lieutenant-général le ler novembre 1826.

Candidat aux élections de 1827, il fut envoyé à la chambre des députés en 1830 et 1831, et devint ensuite membre du conseil général de la Manche.

Le général Baillod, commandeur de la Légion d’honneur, a été admis à la retraite le S octobre 1833, conformément à l’ordonnance du a avril 1832.

Bailly (Carles-Gaspaud-Elisabeth-Joseph de)[modifier]

né en 1765 ; à Bourneuf-la-Forêt (Mayenne), entra comme sous-lieutenant au régiment d’infanterie du roi, en 1780, et se trouva, le 28 août 1790, à l’affaire de Nancy, où il fut blessé.

Attaché au parti de l’émigration, il commanda le régiment des hussards de Salm, à l’armée de Condé, passa en 1800 au service du Portugal, avec le grade de brigadier, et rentra en France en 1808. Nommé maréchal-de-camp le 18 avril 1816, et commandeur de Saint-Louis, le 23 mai 1825, il est mort au château de Fresnay, dans la Mayenne, le 14 janvier 1850.

Bailly de Monthyon (Francois-Gédéon, comte)[modifier]

né à l’Ile-Bourbon, le 7 janvier 1776, entra comme sous-lieutenant dans le 74e de ligne, le 24 février 1793 ; servit aux armées de la Moselle et du Nord ; quitta le service comme officier noble, y rentra bientôt en qualité d’aide-de-camp dugénéral en chef de l’armée des Pyrénées-Orientales, etfit ensuite partie des armées de l’Ouest, de Sambre-et-Meuse, deMayenneetd’Italie ; ily gagna tous ses grades, jusqu’ à celui de chef d’escadron au 9e chasseurs à cheval.

Après la bataille de Marengo, il fut attaché, avec ce grade, à l’état-major du maréchal Berthier, il reçut à Austerlitz le’grade de colonel, la croix d’officier et celle du mérite de Bavière ; il remplit ensuite des missions diplomatiques près des cours de Bade, de Hesse et de Wurtemberg.

En 1806, et pendant les campagnes de Prusse et de Pologne, il remplit les fonctions d’aide-major-général.

Gouverneur deTilsitt en 1807, général de brigade enc 1808, à la campagne dé Portugal, il fut rappelé à la grande armée comme chef d’état-major ; puis nommé au commandement de l’aile gauche à la première affaire de Rohr par Napoléon. M. de Monthyon reçut, après les journées d’Eckmùhl, d’Essling et de Wagram, où il eut trois chevaux tués sous lui, le titre de comte, avec dotation de 10,000 fr. de rente, la Grand-Croix de Hesse, et celle de commandeur de l’ordre du mérite militaire de Wurtemberg. En 1810, il inspecta les divisions destinées pour l’armée d’Espagne ; en 1811, il commanda sous Bayonne une division d’infanterie s’élevarit à 20,000 hommes ; en 1812, il était à Berlin, chef d’état-major de la grande armée. Après les batailles de Smolensk, deBorodino, de Malojaros-lawitz et le passage de la Bérésina auxquels il assista, il fut nommé,le 4 décembre, généraldedivision, et remplaça Berthier comme major-général, après le départ de Napoléon. Le comte de Monthyon se trouva, en 1813, à Lutzen, à Bautzen et à Wurtchen, remplaça de nouveau le major-général depuis le 24 août jusqu’à la fin d’octobre, et fut nommé grand officier de la Légion d’honneur en novembre. En 1814, il fit la campagne de France, reçut la croix de Saint-Louis à la première restauration, fit la campagne de 1813 en Belgique, comme, chef de l’état-major général, fut blessé à Mont-Saint-Jean, et, pendant la seconde Restauration, fut employé dans le corps royal d’état-major.

Louis-Philippe le fit pair de France, il est grand cordon de la Légion d’honneur. La république le mit à la retraite.

Son nom figure sur le côté ouest de l’arc de triomphe de l’Étoile.

Baraguay D’Hilliers (A.)[modifier]

général de division, né à Paris le 6 septembre 1795 ; il est le fils du général sénateur Baraguay-d’Hilliers, qui fut chef d’état-major de Custine, commanda la force armée contre les insurgés du faubourg Saint-Antoine, et se distingua, depuis, dans toutes les grandes batailles de l’Empire.

Napoléon finissait donc lorsque M. Baraguay-d’Hilliers arrivait à l’âge de servir la patrie, mais il avait été à’ bonne école, et le fils devait marcher glorieusement sur les traces de son père.

En 1832, il fut nommé gouverneur de l’école deSaint-Cyr. Il eut à réprimer, en cette qualité, un complot républicain qui avait pris naissance dans l’école, à l’instigation du citoyen Guinard. Ceux qui lui en font un reproche sont très injustes, à notre avis. Il ne fit en cela que ce que l’honneur, d’accord avec le devoir, lui commandait impérieusement.

Il s’est aussi distingué dans les combats de l’occupation d’Afrique. Les succès n’y ont pas toujours répondu à sa bravoure.

Il a été promu au grade de général de division, le 6 août 1843.

A l’époque de la révolution de février, il commandait la place de Besançon, et, en cette qualité, il s’opposa énergique-mentàl’invasion de la République rouge en la personne des commissaires de M. Ledru-Rollin. Les Francs-Comtois lui en conservèrent de la reconnaissance, et le nommèrent plus tard représentant du peuple à l’Assemblée nationale, et depuis à l’Assemblée législative. Il est grand officier de la Légion d’honneur.

Le prince Louis-Bonaparte, président de la République, l’envoya à Rome en qualité de général en chef de l’armée d’occupation et d’ambassadeur extraordinaire. C’était à lui qu’était réservé l’honneur de réinstaller dans la capitale du monde chrétien le souverain Pontife, que les révolutionnaires en avaient chassé ; il s’est acquitté dignement de cette tâche honorable.

Son administration à Rome a été tout à la fois.ferme et prudente. Cette ville pourra dire de lui ce que Venise a dit du général Louis Baraguay-d’Hilliers, père du gouverneur de Rome actuel. Chargé par le général Bonaparte de former le blocus de Venise, il agit avec tant d’habileté que la ville ne tarda pas à ouvrir ses portes, et à lui donner le nom flatteur de Buono Générale, pour la modération avec laquelle il exerça le pouvoir pendant cinq mois que Venise fut sous sa domination.

Le général Baraguay d’Hilliers de retour en France, a repris sa place à l’Assemblée législative.

Barbanégre (Joseph,baron)[modifier]

né le 22 août 1772, àPontacq (Béarn). D’abord marin, puis capitaine dans le 5e bataillon des Basses-Pyrénées. ; chef de bataillon dans la garde consulaire, colonel du 48e, avec lequel il se battit en héros à Austerlitz, à Iéna, à Eylau ; général de brigade après la paix de Tilsitt, il contribua puissamment au gain des batailles d’Eckmùhl, de Ratisbonne,et de Wagram, se couvrit de gloire à Krasnoé et au passage du Niémen, défendit vaillamment Stetin en 1813, etHuningue en 1815. Il n’avait dans cette dernière place qu’une centaine d’artilleurs, cinq gendarmes, une quarantaine de soldats de différents régiments, une vingtaine de douaniers, quelques militaires retraités et environ 150 gardes nationaux. Il résista deux mois, du 27 juin au 27 août, aux efforts de 30,000 Autrichiens, soutenus par les Suisses, qu’il châtia en, bombardant deux fois la ville de Bâle ; lorsqu’il sortit de la ville, après une capitulation honorable, il n’avait pas avec lui 50 hommes valides. L’ennemi était stupéfait.

« Que de belles actions, a dit Napoléon,-ont été « e perdre dans la confusion de nos désastres ou même dans la multiplicité de celles que nous avons produites ! » et il mettait au premier rang l’extraordinaire et singulière défense d’Huningue par l’intrépide Barbanègre.

Barbot (Marie-Étienne, baron, puis vicomte de)[modifier]

né à Toulouse en 1770, fit en 1792 la campagne de Savoie, comme chef des volontaires de la Haute-Garonne. En 1793, il assista au siége de Toulon. ïïfiteri-suite la campagne d’Espagne et prit part à-l’affaire du Boulon, au siège de Saint-Elme, aux batailles de la montagne Noire et au siège de Rosés. Les talents et la bravoure qu’il déploya dans ces différentes affaires lui valurent le grade de chef de brigade. De retour en France, il servit quelque temps dans la "Vendée. Bientôt il partit pour les Antilles en qualité de chef d’état-major du général Lagarde, "’et se signala par la prise du Roseau, capitale delà Dominique. [En 1807, Napoléon, irrité contre la ville de Hersfeld, dont le peuple était accusé d’avoir assassiné un détachement français, ordonna que trente des habitants seraient fusillés, et chargea Barbot de cette exécution. Celui-ci s’étant convaincu de l’innocence des habitants de Hersfeld, crut devoir désobéir aux ordres de l’Empereur ; et pour mieux assurer le succès de sa légitime et généreuse désobéissance, il rédigea son rapport comme si les trente victimes désignées avaient été exécutées. En 1808, le baron Barbot retourna en Espagne, prit part aux affaires de Rio-Seco, de Burgos, de la Corogne, de Braga, d’Oporto, de Busaco, de Sabuyal, d’Alméida, à la suite desquelles il fut promu au grade de général de brigade. Il rentra en France avec le maréchal Soult, se trouva à tous | les engagements qui eurent lieu près.des Pyrénées, et se signala à la bataille de Toulouse.

Quand on apprit le débarquement de Napoléon au golfe Juan, il reçut le commandement supérieur de Bordeaux. A la rentrée du roi, il fut nommé lieutenant-général, chevalier de Saint-Louis et commandeur de la Légion d’honneur.

Admis à la retraite en 1835, il est mort à Toulouse le 16 février 1839.

Barbou de Courrieres (Gabriel)[modifier]

né à Abbeville (Somme), le 21 novembre 1761, était de la famille des imprimeurs de ce nom. Engagé comme soldat en 1779, il était lieutenant en 1782. En 1791 il passa avec son régiment à Saint-Domingue, y séjourna seize mois, et à son retour en France, fut employé, avec le grade d’adjudant général aux armées des Arden-nes et de Sambre-et-Meuse ; il se trouva à la bataille de Fleurus, au blocus du Ques-noy, deLandrecies, de Vâlenciennes et de Condé, et il s’y distingua par ses talents et son courage. Nommé en 1794. général de brigade, il servit dans la division du général Bernadotte, et fit les deux campagnes de 1795 et 1796.

L’année suivante, Barbou, nommé chef d’état-major de l’armée de Sambre-et-Meuse, eut, au combat d’Éttersdorf, son cheval tué sous lui. En 1798 il fut chargé de faire, cesser les troubles que la conscription avait occasionnés dans le Brabant. Sa fermeté et • sa modération rétablirent l’ordre dans ce pays et lui concilièrent l’estime générale. En 1799, il combattit dans la Nord-Hollande, sous les ordres du général Brune, et se signala aux batailles de Berghem et de Kastricum, gagnées sur les Russes et sur les Anglais. H obtint le grade de général de division que lui avaient mérité ’ses services et ses talents. Il fit la campagne de 1801 sous les ordres du général Au-gereau, dont l’armée occupait la Franco-nie. Appelé, à la fin de cette année, au commandement de la 17° division militaire, il parvint ù rétablir l’ordre dans les départements du Midi. Plus tard, le général Barbou remplaça en Suisse le maréchal Ney ; ensuite il commanda une division au camp de Boulogne,, et succéda, en octobre 1805, à Bernadotte dansle commandement de l’armée de Hanovre. Les Russes et les Suédois s’étant portés dans ce pays avec des forces imposantes, Barbou se retira dans la forteresse de Hameln, et s’y maintint jusqu’à la paix de Presbourg. Il remplit à cette époque les fonctions de commissaire de l’Empereur près le gouvernement hano-vrien. Revenu en France, il passa à l’armée d’Espagne, et y commanda une division sous les ordres de Dupont. Il eut une grande part aux affaires du pont de l’Alcala et à la prise de Cordoue ; mais il partagea aussi la honte de la capitulation de Baylen. Il revint en France après une courte captivité, et fut envoyé en Italie, où il se trouva sous les ordres du prince Eugène à la malheureuse affaire de Sacile. Chargé alors de défendre Venise contre l’archiduc Jean, il parvint à s’y maintenir, malgré les efforts des Autrichiens victorieux. Il fut ensuite envoyé dans le Tyrol, pour y comprimer un soulèvement. ( Enfin en 1810, il fut appelé au commandement de la’place d’Ancône et occupa ce poste jusqu’en 1812. Au 20 mars 1815, il commandait la 13e division militaire et fut admis à la retraite le 8 février 1816. Il est mort à Paris le 6 décembre 1817, Son nom est inscrit sur le monument de la barrière de l’Etoile (côté nord).

Barclay de Tolly.[modifier]

Feld-maréchal des armées russes, fils d’un pasteur. de la Livonie. Il embrassa, à 14 ans, la carrière militaire et obtint un avancement rapide. Sa réputation militaire date de 1807. Général d’infanterie en 1809 ; ministre de la guerre en 1810 ; il comr manda, en 1812, la première armée d’Occident, lors de sa belle retraite’ et de sa jonction avec la seconde armée d’Occident, commandée par Kutusoff. Barclay de Tolly fut chargé, en 1813, du commandement en chef des armées combinées de la Russie et de la Prusse. Il dénonça le 27 juillet la cessation de l’amnistie. Après la bataille de Leipzig, l’empereur Alexandre lui accorda le titre de comte. Ce général dirigea les opérations de l’armée russe pendant l’invasion et y maintint une grande discipline ; après son entrée à Paris, le 21 mars, il fut créé feld-ma-réchal, se rendit, en juillet, à Varsovie, d’où il se porta sur le Rhin après le 20

mars. Pendant la seconde invasion, il établit son quartier général à Châlons-sur-Marne. Ce fut alors qu’il reçut le titre de Prince. — Mort le 2o mai 1818, à Interbourg, en se rendant auxeaux deCalsbad, en Bohême.

Babdelin (le général Auguste de)[modifier]

né à Aix en Provence, d’une famille qui doit ses lettres de noblesse au roi René, en i 472 ; en 1782 il entra dans les gardes dû corps, compagnie de Villeroy, depuis compagnie de Grammont. Au licenciement de ce corps, il se rendit à Turin auprès des ducs d’Angoulême et de Berry. Il revint peu après en France et fut sur le point d’accompagner le ’roi àVarennes. Il quitta de nouveau la France et.fit avec l’armée de Condé la campagne de 1792. Après le licenciement de" cette armée, il alla en-Hollande, puis en Angleterre où il s’occupa d’agriculture pendant plusieurs années. Louis XVIII ayant formé une petite cour, M. de Bar-delin y reprit son service de garde du corps, sous les ordres du duc de Grammont. Enl814, ilaccompagnaLouisXVIII à Paris, fut nommé porte-étendard avec’ grade de lieutenant-colonel, escorta le roi dans sa fuite sur- Lille et Gand, et continua son service auprès de lui jusqu’au 18 juin ; il fut alors nommé sous-lieutenant, et après la campagne d’Espagne, lieutenant des gardes du corps aveclerang de colonel de cavalerie. Ayant demandé sa retraite quelques années après, il l’obtint comme.officier général.

Bardet de Maison-Rouge (Martial, baron)[modifier]

né le 27 mai 1764, à la Maison - Rouge, à Périlhac (Haute-Vienne), soldat au 70e régiment d’infanterie, le S juin 1781 ; volontaire au pre-^ mier bataillon de la Haute-Vienne, le 22 septembre 1794 ; capitaine à l’élection, le 3 octobre suivant, il fit avec-ce grade les campagnes de 1792, 1793 et de

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BAR


rani^aux armées des Ardennes et du Nord.

Il se signala sous les ordres de Du-mouriez, de Custinc et de Bouchard ; il fut nommé, le 1" frimaire an H, chef de bataillon dans la 49e demi-brigade de ligne. Il fit avec ce corps les campagnes de l’an m à l’an iv à l’armée de Sambre-et-Meùse, contribua au succès de l’affaire de Sprimont, où il passa la Roër au gué, gravit sous le feu de l’ennemi la montagne qu’il occupait et lui fit un grand nombre dé prisonniers.

Le 12 fructidor an iv, chargé près de Berg-Ëberach, d ! ar’r'êter là marche des colonnes autrichiennes, qui poursuivaient dans sa retraite la division Berna-dotte, il exécuta, avec un bataillon de grenadiers plusieurs charges à la baïonnette et facilita la marche rétrograde qui s’opérait en bon ordre.

Bardet fit avec la même distinction les guerres des ans vu, vin et ix, à l’armée gallo-batave, et fut nommé chef de ■ sa demi-brigade, le 24 fructidor an vu.

Cette même année, le général Aùge-reau lui confia le soin de s’opposer, avec deux bataillons, àù progrès d’une colonne russe qui allait déboucher du village de Berghem (Nord-Hollande). Le brave colonel charge aussitôt l’ennemi avec impétuosité, le renverse et le met en déroute. Le général russe, Herrrianh, et son état-major, la colonne entière, sept pièces de canon et six drapeaux tombèrent en son pouvoir.

A l’organisation du 12 vendémiaire an xu, la 49e demi-brigade de ligne ayant été incorporée dans le 24e régiment de la même arme, le colonel Bardet alla prendre le commandement du 27°, avec lequel il fit les campagnes des côtes de l’Océan, pendant les années xu et xm. Membre de la Légion d’honneur, le 49 frimaire an xn, et officier de cet ordre Ie2o prairial, même année, il suivit son régiment à la grande armée de

l’ail xiv à 1807 et se couvrit de gloire Ji la.bataille d’Austerlitz. L’Empereur, satisfait de sa conduite, le nomma commandeur et général de brigade en 1807.

Attaché peu de jours après au 6° corps, il passa avec lui, Vannée suivante à l’armée de Portugal, servit sous les ordres de Ney, et se fit remarquer à la prise d’O-viédo. Mis en disponibilité en 1811, il fut employé, le 2 mai 1812, au camp de Boulogne, d’où il passa au 24e corps de la grande armée, fit les campagnes de Russie et d’Allemagne, et se signala à l’affaire d’Interbock, le 6 septembre 1813, où il fut blessé.

Employé en 1814 à l’armée de Lyon, il fut nommé général de division le 3 mars de cette même année, et commandant temporaire de Strasbourg, le 3 mail815.

Le général Bardet a été mis à la retraite, le 24 septembre 1810 ; il est mort le 3 mai 1838,. Son nom figure sur l’arc de triomphe de l’Etoile ; côté nord.

BARDIN (ETIENNE-ALEXANDRE)[modifier]

né à Paris en 1774, fut soldat volontaire au commencement de la révolution de 1789. Nommé adjudant-major le 12 septembre 1792, dans le 8e bataillon des volontaires nationaux, il assista à la défense de Bergues, à la bataille de Honds-coote, ’ au déblocus de Dunkerqite, au siège d’Ypres. Il fit partie de l’armée de Sambre-et-Meuse, comme commandant une compagnie de la

8cdemi-brigaded’in-fanterie légère. En l’anvi,il étaiten Italie au siège d’Ancône. En l’an vin, il était second aide-de-camp de Junot ; commandant de Paris, chef de bataillon en l’an xi, et major en 1804 ; il commandait là cohorte d’Eure-et-Loir dans la campagne de Flessingue contre les Anglais. Après cette expédition, il fut qulque temps attaché au ministère de la guerre, et en •1811, il obtint le grade de colonel dans les pupilles de la garde avec rang de major de la vieille garde impériale. Cette même année il reçut la décoration d’officier de la Légion d’honneur et fut nommé colonel du 9° régiment des tirailleurs de la jeune garde, à la tête duquel il fit la campagne de Saxe. Après la bataille de Dresde où il commandait une brigade, il fut promu au rang de commandeur de la Légion d’honneur, et peu avant celle de Leipzig, il fut nommé baron.

Après le licenciement de l’armée, le duc de Feltre l’attacha au dépôt de la guerre ; en 1818, le colonel Bardin fut nommé maréchal-de-camp et mis à la retraite. On lui doit le Manuel d’infanterie et plusieurs ouvrages militaires. De plus, il a publié sur la même matière un grand nombre d’articles fort bien traités^

BARRA (JOSEPH)[modifier]

Barra était un enfant de la commune de Palaiseau,’ près Versailles. En 92, saisi d’une exaltation précoce, il demanda à entrer dans la division de Bressuire, commandée par Desmares. Il n’avait pas douze ans. Il partagea toutes les fatigues : et tous les dangers de la guerre ; une fois il lutta seul contre deux ennemis et les fit prisonniers. Au mois de frimaire an n, frappé au front d’un coup de sabre dans la mêlée, il tomba et mourut en pressant la cocarde tricolore sur son cœur. Cette mort qui eût été glorieuse pour tout soldat, parut héroïque dans un enfant qui, à un âge ordinairement insouciant et consacré aux jeux et au honneur, avait compris et consommé entièrement un si grand sacrifice. Le commandant Desmare.s-en donna avis à la Convention ; il terminait ainsi son rapport : a Aussi vertueux que courageux, se bornant à sa nourriture et à son habillement, il faisait passer à sa mère tout ce qu’il pouvait se procurer ; il la laisse, avec plusieurs filles et son jeune frère

infirme, sans aucune espèce de secours. Je supplie la Convention de ne pas laisser cette malheureuse mère dans l’horreur de l’indigence. »

La Convention décida que la patrie adoptait la mère de Barra. Le 40 prairial an n, cette pauvre femme fut admise avec deux de ses enfants dans l’enceinte de l’Assemblée et prit place quelques instants à côté du président, qui était Prieur (de la Côte-d’Or), Des applaudissements unanimes s’élevèrent et se prolongèrent dans toutes les parties de la salle. Un orateur lui adressa quelques paroles de consolation : « Non, tu n’as rien perdu, lui dit-il, ’ton fils n’est pas mort ; il a reçu une nouvelle existence, et il est né à l’immortalité. »

Grétry fit un opéra sur ce sujet ; le Théâtre-Français donna aussi l’Apothéose du jeune Barra. Le 8 nivôse suivant, on rendit le décret suivant :

« La Convention nationale décerne les honneurs du Panthéon au jeune Barra. Louis David est chargé de donner ses soins à l’embellissement de cette fête nationale. La gravure qui représentera l’action héroïque de Joseph Barra sera faite aux frais de la République, d’après un tableau de David ; un exemplaire, envoyé par la Convention nationale, sera placé dans chaque école primaire. » 1 Le tableau n’a pas été exécuté ; Barra n’a pas eu les honneurs du Panthéon ; mais David d’Angers a donné,une statue de Joseph Barra k l’exposition de 1839.

BARROJS (PIERRE, comte)[modifier]

lieutenant-général, né à.Ligny (Meuse), le 30 octobre 1774. Son père était boulanger. Entré au service le 12 août 1793 dans le bataillon des, éclaireurs de la Meuse ; lieutenant le 12 septembre, même année ; .commandant le même corps à la bataille de Watignies. Le bataillon de la Meuse, amalgamé avec les chasseurs des Cévennes, étant devenu le 9° régiment d’infanterie légère, Barrois se trouva aux batailles de Fleurus, de la Roër, etc. Il avait été nommé capitaine adjudant-major pendant le second blocus de Mayence. Son régiment s’étant distingué à Ma-rengo, reçut le nom à ! incomparable, que le premier consul lit inscrire sur son drapeau. Le jeune Barrois, nommé colonel du 96e de ligne, se rendit au camp de Mont-Cenis, sous les ordres de Ney. Il y fut nommé officier de la Légion d’honneur et eut la croix de commandeur après la campagne d’Austerlitz. Le 14 février 1807, le colonel Barrois fut promu au grade de général de brigade. Ses actions d’éclat se succédèrent, et après la bataille de Friedland, l’Empereur nomma les généraux de Barrois et Labruyère grands officiers de la Légion d’honneur. Un an après la paix de Til-sitt, sa division se rendit en Espagne. Le général Barrois se couvrit de gloire aux affaires d’Espinosa, du Sommo-Sierra, d’Ucler, de Medellin, de Talavera, de Chiclana, etc., et fut nommé général de division le 27 juin 4811. Il quitta le commandement de cette division pour se rendre à Wilna, où il arriva après la campagne ; on lui confia alors une division de la jeune garde, avec laquelle il se trouva à la bataille de Bautzen, au combat de Reichenbach et de Gorlitz, et-à. la bataille de Dresde. Après s’être battu avec courage à Wachau (16 octobre) et à Leipzig, il fut chargé, avec la division Roguet, de faire l’arrière-garde de l’armée jusqu’au Rhin. Lorsque sa division repassa le Rhin, elle était réduite à 2,500 hommes. Il continua la campagne de Belgique avec le comte Maison, et eut une part active à l’affaire deCourtrai, le 31 mars 1814. Après l’abdication, le général Barrois se retira à la campagne. En mars 1815 il fut mis à la tête d’une division de six régiments. A Fleurus et à Waterloo, il commandait une division de la jeune garde, et fut mis à la retraite, le 1" janvier 1825.

Le général Barrois, remis en activité en 1830, fut successivement commandant de la 3e division et inspecteur général d’infanterie. Au mois d’août 1831 il entra en Belgique avec l’armée du Nord, et reprit le service de l’inspection générale des troupes, après la campagne. Il est grand-croix de la Légion d’honneur depuis 1836.

Son nom est inscrit sur l’arc de triomphe de l’Etoile (côté ouest).

BAUDIN (CHARLES)[modifier]

né à Sedan.C’est le fils du représentant Baudin (des Ar-dennes).

Enseigne à bord de la frégate la Pié-rhontaise, il assista en 1808 à un combat contre les Anglais dans la.mer des Indes, et il eut le bras droit emporté par un boulet. Ainsi mutilé, le jeune enseigne ne crut pas devoir abandonner la carrière.

Lieutenant de vaisseau en 1812, il commandait le brick le Renard ; il reçut l’ordre d’escorter, avec une petite goëlette pour conserve, un convoi de quatorze bâtiments chargés de munitions navales, en destination pour Toulon. Parti de Gênes le 11 juin, le convoi fut constamment harcelé par les nombreux croiseurs ennemis qui infestaient la Méditerranée.

Le 16, se trouvant à la hauteur de Saint-Tropez, poursuivi par un vaisseau de ligne, une frégate et un brick anglais, le commandant du Renard manœuvre de façon à assurer le sort de son convoi, qu’il fait entrer dans le port de Saint-Tropez ; puis, il vient hardiment offrir le combat au brick ennemi,~trop éloigné en ce moment du vaisseau et de la frégate, pour espérer un secours immédiat : arrivé bord à bord, il fait ouvrir le feu, et BAU {’ un combat terrible s’engage entre le Renard et l’ennemi qui compte un équipage nombreux, et foudroie nos braves marins du feu de ses vingt-deux’caronades.

Pendant trois quarts d’heure le Renard fit pleuvoir sur le pont ennemi une grêle de projectiles ; on se battait vergue contre vergue ; les deux navires étaient littéralement hachés par les boulets ; l’avantage était à nous et l’ennemi ne pouvait nous échapper sans l’arrivée de la frégate sous la protection de laquelle il se réfugia et qui le remorqua au. large, l’arrachant ainsi à la colère de nos braves.

Sur 94 hommes composant l’équipage du Renard, 14 furent tués et 28 blessés dans l’action. Au nombre des derniers ; se trouvait le lieutenant Baudin à qui ce combat valut le grade de capitaine de frégate.

La Restauration le mit en non-activité, mais le repos lui pesait ; il entra dans’ la marine marchande, ce fut alors, assure-t-on, qu’avec quelques camarades, il forma le projet abandonné d’alier à Sainte-Hélène délivrer Napoléon.

1830 rendit ses épaulettes au capitaine au long cours. A la fin de 1833, il fut enfin nommé capitaine de vaisseau, et en 1838, trente ans après le jour où il avait perdu un bras au service de son pays, il fut promu au grade de. contre-amiral.

A cette époque fut résolue l’expédition contre le Mexique. L’amiral Baudin fut chargé du commandement de l’escadre. Arrivé devant les côtes de la Nouvelle-Espagne avec vingt-trois bâtiments, l’amiral épuisa, pendant un mois, toutes les voies de conciliation. Il fallut recourir à la force, et le 27 novembre 1838, la frégate amirale la Néréide, la Gloire et riphigénie, et les bombardes le Cyclope et le Vulcain, ouvrirent un feu terrible contre Saint-Jean-d’Ulloa, forteresse regardée imprenable par les Mexicains, et qui commande le port et la ville de

•) BAU la Véra-pruz. Quelques heures suffirent pour éteindre le feu des Mexicains, et le lendemain matin, la garnison de Saint-Jean-d’Ulloa, qui n’était plus qu’un monceau de ruines, nous livrait cette forteresse et la ville de la Véra-Cruz. L’amiral Baudin permit aux Mexicains de laisser dans cette ville 1,000 hommes de troupes pour y maintenir l’ordre.

Pendant le combat, un boulet tombé sur la dunette où se trouvait l’amiral, avait failli l’emporter ainsi que tout son état-major.

On sait la part brillante que prit à cette expédition le prince de Joinville, commandant la corvette la Créole. Le jeune prince y montra un rare courage et le sang-froid d’un vieux marin. Cependant le gouvernement mexicain, loin d’être suffisamment averti par cette rude leçon, se refusa de nouveau à céder. L’amiral et les troupes sous ses ordres eurent à combattre de nouveau, et ce fut toujours victorieusement. Le canot monté par M. Baudin, fut criblé de balles dans le combat du 5 décembre, et plusieurs marins" furent tués. Le résultat de cette affaire fut le désarmement de la Véra-Cruz, la déroute complète des Mexicains, dont le général Santa-Anna eut une jambe emportée, et enfin une paix par laquelle la France obtint satisfaction.

M. Baudin fut nommé vice-amiral le 22 janvier 1839. En 1840, il reçut le cordon de commandeur et fut investi d’une mission militaire et diplomatique près de la République de Buenos-Ayres, ainsi que du commandement en chef des forces navales dans les mers de l’Amérique du Sud. •.

Depuis lors, M. Baudin a eu, pendant quelque temps, le portefeuille de la marine.

BAUDRAND (MARIE-ETIENNE-FRANÇOIS-HENRI)[modifier]

né le 21 août 1774 à Besançon ( Doubs), fils d’un avocat au parlement de Besançon, était destiné à la carrière du barreau : il préféra.celle des armes., entra comme soldat dans le 12e bataillon du Doubs, et servit à l’armée du Haut-Rhin depuis le mois d’août 1793 jusqu’au 22 ventôse an n. Admis alors à l’école de Metz en qualité d’élève sous-lieutenant de génie, il obtint le grade de lieutenant à sa sortie de l’école, le 1" germinal an m, et fut employé en sous ordre à Valenciennes. Nommé capitaine le 1" thermidor suivant, il devint chef du service du génie dans la place de Condé le 1" nivôse an iv ; désigne pour faire partie de.l’armée d’Angleterre le 1er pluviôse an vi, et attaché peu après à l’état-major de celle de Mayence, où il exerça les mêmes fonctions. Employé à l’état-major général de l’armée de Naples, le 1" vendémiaire an vu, il prit part aux différents combats livrés à cette époque et par cette armée. Du 26 floréal au 15 thermidor, il resta dans Gaëte et se trouva à toutes les sorties faites par la garnison. Transporté en France après capitulation de la place, il servit à Toulon pendant l’hiver de l’an vin, et passa à l’armée d’Italie le 16 ventôse de cette année.

Blessé de deux coups de feu le 3 prairial à la défense de la tête du pont du Var (1), il marcha avec le corps du général, Suchet lors de l’occupation de Gênes, se trouva au blocus de Savone du 4" thermidor an xin au 26 frimaire an is, et fut chargé de la construction des retranchements du ûaut Adda jusqu’à Lecco et de la tête de pont et du camp retranché de Brivio. Il assista au siège de Peschiéra, et eut en chef le service de cette place, après sa reddition, le 1" frimaire an îx.

(1) Le Ministre de la guerre adressa ! à M. Baudrand ; le 9 germinal an ix une lettre de félicitntion à l’occasion de sa brillante conduite à la défense du port du Var.

Chargé Je J5, \îcndémiaire an xi d’une reconnaissance militaire de la place de Plaisance et des têtes de pont du Pô, il s’acquitta avec succès de cette mission, et au mois de nivôse suivant il passa à la direction de Besançon. Nommé chef du génie à Schelestadt le 20 floréal, il y reçut la décoration de la Légion d’honneur le 25 prairial-an xn.

Désigné pour faire partie de la grande armée, et employé à l’état-major du prince Murât, commandant en chef la réserve de cavalerie, il fit en cette qualité ,1a campagne de l’an xiv, et prit part aux combats de Wertingen et de Langeneaa. Le 17 janvier 1806, il retourna à l’armée de Naples. Au siège de Gaëte, depuis le 15 avril jusqu’au 18 juillet, jour de la reddition de cette place ; on lui confia plusieurs opérations importantes.

Nommé chef de bataillon le 5 septembre suivant, il reçut le 15 juillet 1807 des lettres de service pour le corps d’armée destinée à l’occupation des îles Ioniennes. Embarqué à Tarente quelques jours après en qualité de commandant du génie de ce corps, il remplit les fonctions de directeur des fortifications à Corfou depuis le 15 octobre 1808 jusqu’au mois de juin 1813. Il fut chargé en cette qualité de reconnaître, créer, entretenir, augmenter ou restreindre les moyens de défense, spécialement à Sainte-Maure, à Paxo, à Parga, sur le continent, aux écueils de Fano, Merlère et Salmatrachi. Cet officier supérieur ne pouvait se rendre dans ces différents postes qu’en passant, à la faveur de la nuit, sous le canon de l’ennemi. Lors du siège de la citadelle de Sainte-Maure par les Anglais, il se rendit d : après les ordres du gouverneur général des îles Ioniennes près du pacha de Janina, et de là, déguisé en Turc et sous l’escorte de quatre cavaliers de cette nation, dans la citadelle de Sainte-Maure. Il traversa à la nage, sous le feu des canonnières des assiégeants, le bras de mer qui sépare l’île de Leucade de l’ancienne Arcananie, entra dans la place assiégée, y remplit sa mission, et retourna par le même chemin à Corfou en traversant, sans escorte, des lieux infestés de brigands.

Nommé major le 8 décembre 1810, et colonel le 31 mars 1812, il fut fait prisonnier par. les Anglais le 11 juin 1813 à son retour de Parga et dePaxo, et alors, que les’hommes de l’équipage de la chaloupe qu’il montait avaient été tués ou mis hors de combat. Conduit en Sicile, puis à Malte, il fut renvoyé sur parole par le général Maitland le 8 juin 1814.

A sa rentrée en France, une ordonnance royale du 29 juillet le créa officier de la Légion d’honneur, et une’ autre du 5 octobre chevalier de Saint-Louis. . . A son retour de l’île d’Elbe, l’Empereur, par décision du 5 avril 1815, l’attacha au 3e corps d’observation de l’armée du Nord, et lui confia ensuite les fonc-de chef de l’état-major général du génie de la même arme. Il assista à la bataille du mont Saint-Jean, suivit l’armée sur la Loirej et ne s’en sépara qu’après le licenciement. Chargé le 16 décembre ’de la même année d’une mission relative au cantonnement des troupes anglaises, il reçut l’ordre, le 26 mars 1816, d’établir sa résidence au quartier général du duc de Wellington, où il resta.jusqu’à l’époque de l’évacuation du territoire français par les armées étrangères.

Le 5 décembre 1818, le roi de Saxe lui envoya l’ordre de chevalier de Saint-Henri, et le 18 du même mois il reçut celle de chevalier de l’ordre hauovrien des Guelfes. Il exerça ensuite les fonctions de directeur des fortifications de la place de Cambrai jusqu’au 29 avril 1821, époque de sa nomination au grade de tna-réchaï-de-camp ; et chaque année, depuis lors, il fit partie du comité du génie, de

la commission mixte des travaux publics, du jury d’examen de sortie des élèves de. l’école de Metz et.de la commission créée pour le perfectionnement des cours de.l’École polytechnique.

En 1822, il accompagna le ministre de, la marine dans l’inspection des ports de l’Océan, pour discuter sur les observations qui intéressaient ce département et celui de la guerre. Le 30 novembre suivant, le gouvernement le chargea de l’inspection des places de Cadix et de Barcelonne. Employé au mois de janvier 1825 comme chef de bureau et de la division du génie au ministère de la guerre, il reçut, le 23 mai, la décoration de commandeur de la Légion d’honneur, et fut désigné, au mois de décembre, pour inspecter le service du génie à Cayenne, à la Martinique et à la Guadeloupe.

Embarqué pour, la Guyane française, dans les premiers mois de 1826, il fut nommé commandeur de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, le 29 octobre de cette même année. Il revint en France, au mois de juin 1827.

Nommé aide-de-camp du duc de Chartres, le 24 août 1828, il accompagna ce jeune prince dans un voyage qu’il fit, en 1829, en Angleterre^ en Ecosse et en Irlande. .

Lors de la révolution de Juillet 1830,/ le général Baudrand était à Joigny, où le 1er régiment de hussards, dont le prince était colonel, tenait alors garnison. Il marcha avec lui surPariset y arriva le 4 août. Le 17’ du même mois il quittait Paris pour aller notifier à Georges IV l’avéiie^ ment de Louis-Philippe au • trône dès Français, et le 30 août Û était de retour^ Grand officier de la Légion d’honneur-, le 18 octobre, lieutenant-général le 41 décembre- de la même année, il prit part, en septembre 1831, à l’expédition de Belgique, où il accompagna le prince royal, et partit de nouveau pour Londres, au mois d’octobre suivant, chargé d’une mission particulière. Lors du mouvement insurrectionnel qui éclata à Lyon, au mois de. novembre de la même année, le général Baudrànd se rendit dans cette ville avec le prince royal et le suivit également dans le Midi, en mai et juin 1832.

Le roi l’éleva à la pairie, le 11 octobre suivant. Il assista comme aide-de-camp du duc d’Orléans au siège et à la prise d’Anvers, au mois de décembre de la même année, et accompagna le prince dans un voyage qu’il fit à Londres, en 1833.

Nommé grand-croix de la Légion d’honneur, le 30 mai 1837, il a été admis à la 2e section (réserve) du cadre de l’état-major, conformément aux dispositions de la loi du 4 août 1839. Il fut nommé depuis gouverneur de M. le comte de Paris.

On a donné à M. le général Baudrànd le titre de chevalier dans YAnnuaire militaire, et celui de comte dans YAlma-nach royal et dans tous les actes relatifs à la Chambre des pairs ; d’un autre côté, quelques personnes affirment qu’il à obtenu du roi Charles X des lettres patentes de baron ; il y a erreur ou courtoisie de toutes parts ; M. le général Baudrànd n’a jamais été chevalier, baron, ni comte.

BAUDUIN (PIERRE-FRANÇOIS, baron)[modifier]

né le 2o janvier 1768, à Liancourt (Somme), entra’au service le 11 septembre 1792, en qualité de lieutenant dans la 118e demi-brigade, devenue 32e demi-brigade en l’an îv. Quartier-maître le 11 fructidor, ann, lieutenant le 4 ventôse an m, adjoint aux adjudants-généraux le 5 du même mois, et capitaine adjoint le 14 vendémiaire an y, il fit les campagnes de 1792 à l’an n, aux ar-méesdesAlpesetd’Italie, etcelledel’aniu

) BAU sur la frégate la Courageuse, et celle de l’an îv à l’an vu aux armées des Alpes et d’Italie. Désigné pour faire partie de la deuxième armée de réserve d’Italie en l’an vin, il fut appelé comme aide-de-camp auprès du général Herbin, le 15 germinal.

Le 20 prairial, à l’affaire deMontebello, il pénétra un des premiers dans le village de Casteggio, à la tête d’un détachement de la 24° demi-brigade légère, et força l’ennemi à abandonner cette position.

Il rendit d’importants services à la bataille de Marengo, quoique blessé d’un coup de feu à la cuisse dès le commencement de la journée. Une partie de la division Gardanne ayant été forcée et mise en déroute sur la ligne de Grosse-Cassini, Bauduin rallia les grenadiers et Tes carabiniers et manœuvra avec eux de manière à protéger le flanc de la colonne que commandait le général Herbin. Sur la ligne du village de Marengo, où la brigade de ce général combattit jusqu’à trois heures après midi. Il traversa trois fois le ruisseau qui le séparait de l’ennemi pour le charger, et dans la dernière tentative entraîna à sa suite un bataillon qui hésitait à passer, en jetant son chapeau de l’autre côté du ruisseau et en s’y. précipitant le premier.

Promu chef de bataillon sur le champ de bataille en récompense de sa ’.belle action, il passa en cette qualité à la 16" demi-brigade de ligne le 16 pluviôse an xi, fut nommé membre de la Légion d’honneur le 25 prairial an xn, et suivit les opérations de son nouveau corps pendant les ans xm et xiv, sur mer, avec l’amiral Villeneuve, et en 1807 et 1808 à la grande armée.

Il fit la campagne de 1809 en Allemagne, se distingua à Essling et à Pres-bourg, fut promu colonel du 93e régiment de ligne, le 2 juillet, et créé officier de de la Légion d’honneur et

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baron de l’Empire, les 13 et lo août de la même année.

Envoyé en 1810 au corps d’observation de Hollande, et en 1812 à la grande armée de Russie, il fut grièvement blessé au bras droit pendant la campagne, et reçut la croix de commandeur de la Légion d’honneur le 26 août.

Elevé au grade de général de brigade, le 9. mars 1 813,- il acquit une nouvelle gloire aux batailles de Lutzen, de Wurt-schen et de Bautzen, en Saxe. Il prit le commandement du département des Pyrénées-Orientales, le 11 août de la même année.

Attaché à la 7e division provisoire d’infanterie de jeune garde, le 24 janvier 1814, il fit avec elle la campagne de France.

Mis en non-activité, après l’abdication de l’Empereur, nommé chevalier de Saint-Louis, le 11 septembre, il fut appelé pendant les Cent-Jours au commandement d’une brigade à l’armée du.Nord et périt glorieusement à la bataille du mont Saint-Jean.

Son nom est gravé sur les tables de bronze du Musée de Versailles.

BAUX, dit Lebeau (JEAN-LOUIS)[modifier]

Le général Lebeau, né à Carcassonne, en 1780, était entré, comme réquisition-naire, en 1798, dans la 4° demi-brigade de ligne, et y avait fait ses premières armes sur le Rhin. A la prise de Biberach, le 27 avril 1800, il avait, avec une escouade de tirailleurs, pénétré, la baïonnette en avant, dans’ le village qui domine la ville, et y avait’fait un grand nombre de prisonniers. L’année suivante, à la formation de la garde consulaire, il fut désigné pour faire partie des chasseurs à pied, où il ne tarda pas à être nommé sergent-major. Sous-lieutenant en février 1803, et légionnaire le 1" août en récompense de son fait d’armes de

Biberach, il était capitaine aux voltigeurs de la jeune garde à Wagram.

Passé en Espagne avec la division Dorsenne, en 1810, il commandait, le 13 février 1811, une avant-garde de 75 hommes,quifranchit, aupasdecourse, le pont du village d’Amonelez, défendu, à l’extrémité, par. 700 Espagnols qu’il mit en fuite. Le 10 octobre de la même année, il revenait d’escorter le général Bonet, avec un détachement de 200 voltigeurs, lorsqu’il apprit qu’un parti de 400 guérillas faisait un mouvement pour l’envelopper ; aussitôt il marche sur eux, les atteint à trois heures du matin au village de Matensa, les combat jusqu’au jour et enlève à la baïonnette le village, où il fait trente-cinq prisonniers.

Au retour de la campagne de Russie qu’il fit avec les fusiliers-chasseurs, il prit comme major le commandement du 5e bataillon du 4e régiment de ligne, et reçut la croix d’officier de là Légion d’honneur le 6 avril 1813.

A la suite de la convention du 30 mars 1814, une grande partie des troupes, ayant reçu l’ordre de s’éloigner de la capitale, le major Baux escortait, avec ’ 1,200 hommes de son dépôt, un’parc d’artillerie de la garde composé de 80 pièces de canon, dirigé sur Orléans, lorsque le 4 avril, aux environs de Pilhi-viers, il se vit attaqué en queue par un parti de 3,000 cosaques irréguliers ; en peu d’instants, toute sa troupe fut réunie à l’arrière garde, dans un carré formé par les voitures de bagages, et durant un combat de quatre heures, où il reçut deux coups de sabre sur la tête et un coup de lance au côté ; il donna le temps à son convoi de dépasser Neuville et d’atteindre tranquillement Orléans.

Le major Baux commanda le 1w de ligne à mont Saint-Jean, où un coup de feu lui fracassa le bras gauche ; il prit sa retraite à la seconde Restauration.

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(

Rappelé à l’activité après la révolution de Juillet, il fut nommé colonel du 57e régiment de ligne en 1831 ; commandeur de la Légion d’honneur le 30 avril 1835, et maréchal-de-camp le 12 avril 1839. Il avait commandé le département de Vaucluse jusqu’en septembre 1842, époque de son passage dans la section de réserve, et avait été mis à la retraite en avril 1848. Cet officier général est mort à Paris, le 28 mars 1849, âgé de 69 ans.

BEAUHARNAIS (EUGÈNE de)[modifier]

Fils adoptif de l’Empereur et vice-roi d’Italie, naquit à Paris, le 3 septembre 1781, du général Alexandre de Beauharnais et de Joséphine Tascher de la Pagerie.

En 1794, après la mort de son père sur l’échafaud révolutionnaire, Joséphine étant en prison, ses deux enfants Eugène et Hortense avaient été livrés à des mains étrangères par les comités des sections ; une vieille gouvernante prit soin de la jeune Hortense ; Eugène fut mis en service et en apprentissage chez un menuisier. Lorsque sa mère eut épousé le général Bonaparte, il entra dans la carrière militaire en qualité d’aide-de-camp de son beau-père ; mais avant de partir pour l’Italie, il compléta son éducation imparfaite. — Il fit partie de l’expédition d’Égypte et se trouva aux actions les plus meurtrières : à l’attaque de Suez, où il entra le premier, à la tête de l’avant-garde, le 8 novembre 1798, et mérita le grade de lieutenant. De retour en France, il fut fait chef d’escadron sur le champ de bataille deMarengo. En 1802, il fut fait colonel ; il devint général de brigade au commencement de 1804, et le 4 juin de la même année, jour anniversaire de Marengo, Napoléon, empereur, donna à son beau-fils le titre de Prince français, et l’année suivante celui d’archichancelier d’État et de grand officier de la Légion d’honneur ; il n’avait encore que 24 ans. Bientôt après, Eugène fut chargé, en qualité de vice-roi, de l’administration du royaume d’Italie (7 juin 1805). Il se tira avec honneur de cette tâche si difficile.

Après la campagne de 1805, il épousa la princesse Auguste Amélie de Bavière, et Napoléon l’investit du titre de Prince de Venise, le déclara son fils adoptif et l’héritier présomptif de la couronne d’Italie.

En 1809, 100,000 Autrichiens attaquèrent l’Italie. Eugène perdit d’abord la bataille de Sacile, inais il prit sa revanche dans vingt combats brillants qui le-conduisirent aux portes de Vienne, et cette marche glorieuse fut couronnée par la bataille de Raab, que Napoléon appelait une petite fille de Marengo.

Ce fut pendant la campagne de 1809 qu’Eugène commanda en chef pour la première fois. Parti de Milan le 5 avril, il alla à la rencontre de l’archiduc Jean, qui s’avançait sur l’Isonzo avec des forces considérables, éprouva un échec sur la Piave qui ne le découragea pas. Aidé des généraux Macdonald, Baraguay d’Hilliers, Barbou, Grenier, Broussier, il repoussa bientôt l’ennemi, s’empara de Vicence et de Bassano, battit complètement l’archiduc à la bataille de la Piave, et s’empara de toutes les positions sur le revers des montagnes de la Carinthie.

Pendant qu’il poursuivait sa marche victorieuse vers les frontières de la Hongrie, il apprit que le général autrichien, Jellachich, cherchait à se réunir à l’archiduc Jean. Eugène l’attaque et l’oblige a mettre bas les armes avec la totalité des troupes qu’il commandait. Le succès de cette journée décisive lui permit d’opérer sa jonction avec la grande armée sur les hauteurs de Somering.

On remarqua avec étonnement que le vice-roi, depuis le passage de la Piave jusqu’à Somering, fit aux ennemis un plus grand nombre de prisonniers qu’il n’avait de soldats sous les drapeaux. Quand Napoléon le revit, il le tint longtemps pressé sur son cœur, puis le présentant aux maréchaux et à : son état-major, il s’écria : « Ce n’est pas seulement le courage qui aurait amené ici Eugène ; il n’y a que le cœur qui puisse opérer de pareils prodiges ! »

Ce fut à l’occasion de cette marche d’Eugène, si remarquable sous le rap port stratégique, que l’Empereur adressa aux soldats du vice-roi ces paroles célè bres : « Soldats de l’armée d’Italie, vous avez glorieusement atteint le but que je vous avais marqué Soyez les bien venus ! Je suis content de vous. »

A l’époque de la répudiation de Joséphine, il vint à Paris, mandé par l’Empereur, et pria| Napoléon de lui accorder une explication en présence de l’Impératrice* Dans cette circonstance, oïi Napoléon ne pouvait motiver sa résolution qu’en faisant valoir l’intérêt de la France, Joséphine sut se taire et se résigner ; mais,’tremblant de voir l’avenir de son fils compromis, et portant ses yeux remplis de larmes sur Eugène, elle dit à l’Empereur : « Une fois séparés’, mes enfants ne seront plus rien pour vous. Faites Eugène roi d’Italie, et votre politique, j’ose le croire, sera approuvée par toutes les puissances de l’Europe. » — Le prince dit alors vivement : « Ma bonne mère, qu’il ne soit nullement question de moi dans cette triste occurrence. Votre fils ne voudrait pas d’une couronne qui semblerait être le prix de votre séparation. »

Napoléon, que la noblesse de ce discours émut profondément, tendit la main au vice-roi, la serra avec force et répondit avec gravité : « Je reconnais Eugène dans ces paroles ; il a raison de s’en rapporter à ma tendresse. » Après le divorce de sa mère, qui le navra, il voulut renoncer aux affaires, mais vaincu par les instances de Joséphine et de Napoléon lui-même, il sacrifia ses ressentiments personnels, mais dès lors refusa toute faveur nouvelle qui n’aurait été pour lui que le prix du divorce de sa mère.

On sait la part brillante qu’il prit à> la campagne- et surtout à la retraite de Russie. Il commandait le 4e corps, qui fut entièrement détruit. A la tête de 12,000 hommes dénués de tout, attaqué tous les jours par les armées russes et prussiennes, tous les jours risquant d’être débordé, le prince arriva à Leipzig le 9 mars, et son armée, grossie pendant la marche, comptait alors 50,000 hommes, avec lesquels il put tenir la ligne de l’Elbe, menacée par 150,000 alliés. Cette campagne de 50 jours, depuis Posnau jusqu’à Leipzig, est peut-être l’épisode le plus étonnant de l’expédition de Russie, et tous les militaires s’accordent à le regarder comme un chef-d’œuvre de stratégie qui, seul, place le prince Eugène au rang des plus grands capitaines. « Nous avons tous commis des fautes, dit Napoléon, Eugène est le seul qui n’en ait pas fait. J>

En 1813, le vice-roi dut retourner en Italie pour la défendre de l’invasion de 65,000 Autrichiens et de l’armée napolitaine commandée par Murat. Il paralysa leurs efforts pendant cette campagne, l’une des plus remarquables de l’histoire des guerres modernes.

Mais la gloire^ militaire d’Eugène le recommande moins que son héroïque dévouement à Napoléon. Les alliés lui offrirent la couronne d’Italie, il refusa et se retira en Bavière, auprès du roi son beau-père,’ qui le nomma prince d’Eichstadt, duc de Leuchtemberg et premier pair du royaume. — Au retour de Napoléon, en 1815, il se trouvait à Vienne et ne prit aucune part à la guerre. Il avait été obligé, pour ne pas être arrêté, 48)

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de s’engager sur parole à ne pas quitter la Bavière.

Il mourut le 22 février 1824, frappé d’une attaque d’apoplexie, âgé de 44 ans ; il a laissé cinq enfants. L’aînée des filles est reine de Suède, la seconde est veuve de l’empereur don Pedro ; la dernière a épousé le prince deHohenzollern. Son fils aîné, le prince Auguste de Leuchtemberg, mort fort jeune, avait épousé la reine de Portugal.

BEAULIEU (JEAN-PIERRE, baron de)[modifier]

général autrichien, né le 26 octobre i 725, à Lathuy, province du Brabant, et mort à Lintz, le 22 décembre 1819. Ce nom appartient à une famille de gentilshommes brabançons, pauvre et sans autre éclat que celui que reflète sur elle la gloire militaire de l’homme de guerre qui fait l’objet de cette notice. Voué aux études mathématiques, Beaulieu embrassa très-jeune la carrière des armes, et servit avec distinction dans la guerre de Sept-Ans, comme aide-de-carnp du maréchal autrichien Daun. La croix de Marie-Thérèse et un titre de baron furent la récompense de sa conduite aux batailles de Colin, de Breslau, de Leuthen et de Hochkirchen. Depuis 1763 jusqu’en 1789 Beaulieu, quoique revfîtu du titre de colonel d’état-major, se consacra presque exclusivement aux arts, auxscien-ces, et à l’éducation de son fils. A cette dernière époque, il reçut le grade de général-major, et le commandement de quelques trqupes destinées à étouffer la révolution brabançonne. C’est dans un combat livré aux insurgés, que, voyant son fils tomber mortellement blessé à ses côtés, et s’adressant à ses soldats : « Mes amis, leur dit-il, ce n’est pas le moment de pleurer, mais de vaincre ! » Devenu lieutenant-général et placé, en 1792, sur la frontière des Pays-Bas, Beaulieu se défendit bravement contre les attaques

du général Biron, et refoula les Français jusque sous les murs de. Yalenciennes. Ce fait d’armes, le premier des guerres de la Révolution, fut suivi de divers succès en Flandre et dans la province du Luxembourg, où avec d,500 hommes, il soutint un jour les efforts de l’armée de la Moselle, guidée par Jourdan.

En 1796, la renommée militaire de Beaulieu lui valut le commandement en chef de l’armée d’Italie. Mais cette faveur fut fatale à sa gloire. Le soldat intrépide, le général consommé, fut constamment battu par le jeune vainqueur de Monte-notte. Poursuivi à outrance sur le Pô, sur l’Adda, au pont de Lodi, sur le Min-cio, l’expérience et l’audace de Beaulieu ne purent résister nulle part à l’impétuosité de Bonaparte, et il dut céder le commandement à Wurmser, que la fortune traita plus impitoyablement encore. Alors Beaulieu quitta le service, pour vivre dans la solitude où l’accompagnèrent l’estime et les regrets de son armée. Retiré, près de Lintz, dans un château qu’il avait acheté du produit de ses économies et des largesses de LéopoW ’ s’y livra à son goût favori pour l’étude et les soins agricoles, mais touj ours poursuivi, écrasé, sous le poids des souvenirs de la campagne de 1796.

Il est peu de soldats dont la vie ait été éprouvée par de plus cruels malheurs : son fils tué sous ses yeux, son gendre mortellement frappé à la bataille d’Oste-rach, ses trois frères aussi morts les armes à la main ; sa fortune, sa bibliothèque, son cabinet de médailles et d’antiquités, anéantis par les désastres de la guerre ; enfin,.cinquante années de glorieux services effacés par deux mois de revers, telles furent les douleurs qui attristèrent la vie d’un général estimable sous tous les rapports. Beaulieu a laissé, dit-on, sur ses campagnes, des mémoires qui sont encore inédits.

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BEAUMONT DE LA BONNIN1ÈRE (MARC-ANTOINE, comte de)[modifier]

issu d’une ancienne famille de la Touraine, né à Beaumpnt (Indre-et-Loire), le 23 septembre 1763, il entra dans les pages de Louis XVI, le 31 décembre 1777. Il était premier page lorsque, le 2 juin 1784, on le nomma capitaine au 9e régiment de dragons. Pourvu d’une compagnie le o mars 1788, il reçut le brevet de lieutenant-colonel lé 22 juillet 1792, et celui de colonel le 7 août suivant. Il se trouvait à Lyon, avec son régiment, à l’époque où la terreur pesait de tout son poids sur cette ville, fit des représentations hardies, devint suspect, fut arrêté et condamné à mort. On le conduisait au supplice, quand ses dragons, réunis et en armes, déclarèrent qu’ils useraient de violence pour l’arracher à la mort, lés représentants du peuple le leur rendirent, et il les conduisit en Italie, où il servit sous Masséna, sous Schérer et sous Bonaparte.

Fait général de brigade, le 5 germinal an m, il se trouva, en l’an iv, à Lodi, soumit CréiX,lfé, concourut à l’enlèvement de ; la redoute de Medolano, et poursuivit vivement Wurmser pendant sa retraite sur le Mincio. Il partagea les fatigues et les dangers de l’armée en l’an v et en l’an vi. Au mois de germinal an vu, à la bataille de Magnano, vprès de Vérone, il fut frappé d’une balle qui lui traversa l’épaule droite. En l’an vin, il se fit remarquer à Marengo, et en l’an x, au combat de Valeggio, il eut un cheval tué sous lui.

Il fut élevé au grade de général de division en l’an xi, et en l’an xn le premier Consul le nomma membre de la Légion d’honneur le 19 frimaire, puis commandant de l’ordre le 2b prairial.suivant.

Il fit, à la grande armée, les campagnes de l’an xiv, de 1806 à 1807, à la

tête d’une division de dragons, et se distingua au passage du Rhin près de Kehl,.aux combats de Wertingen, d’Ulm, de Ried, de Lambach, à la prise de Steger, aux batailles d’Austerlitz, d’iéna, d’Eylau, à Zehdenich, à Prentzlow, sur la Bjura et à Cznarnowo.

L’Empereur reconnut ses services : il le nomma grand officier de la Légion d’honneur le 10 février 1806, premier chambellan de Madame-Mère, sénateur le 14 août 1807, et comte de l’Empire au mois de mars 1808 ; à Wagram, en 1809, il commandait une division de cavalerie.

Cet officier général adhéra, en 1814, aux actes du sénat qui prononçait la déchéance de Napoléon et le rappel des Bourbons. Louis XVIII, â son arrivée à Paris, le fit pair de France le 4 juin, et chevalier de Saint-Louis le 27 du même mois. Il ne servit point pendant les Cent-Jours et reprit son siège au Luxembourg après la seconde rentrée du roi ; il commandait alors une division de l’armée de Paris.

Comme général, le comte deBeaumont a donné souvent des preuves de bravoure et d’intelligence ; comme pair, et au milieu des excès qui suivirent la Restauration, il ne cessa point de montrer un esprit plein de sagesse et de modération.

Il est mort le 4 février 1830, et a été inhumé dans la même tombe que le prince d’Eckmùhl, dont il avait épousé la sœur, et avec lequel il était lié depuis longtemps de la plus étroite amitié.

Son nom est inscrit sur le monument de la barrière de l’Étoile, côté est.

BEAUMONT (Louis-Chrétien Carrière, baron de)[modifier]

naquit le 24 avril 1771, à Malplaquet (Somme). Soldat au régiment de dragons de la Reine (6e) le 1er avril 1788, il devint sous-lieutenant au 6e hussards le 23 novembre. 1792, lieutenant et aide-de-camp du général Dumas les 20 avril et 23 septembre 1793, et servit aux armées du Nord et de la Vendée de 1792 à l’an IV; il avait gagné son premier grade à l’attaque du camp de Maulde. Nommé adjoint à l’état-major général de l’armée d’Italie le 1er vendémiaire an V, et capitaine le 14 du même mois, il fit partie de l’expédition d’Irlande et de celle d’Égypte. A la bataille d’Aboukir, il mérita par sa belle conduite le grade de chef d’escadron provisoire, qui lui fut conféré le 27 thermidor an VII, et il devint le même jour aide-de-camp du général Murât, suivit néanmoins le général Dumas dans la province de Gizeh, et concourut à en chasser les Arabes qu’il poursuivit fort avant dans le désert.

De retour en France, un arrêté du premier consul, du 1er floréal an VIII, le confirma dans le grade de chef d’escadron. Après avoir pris une part glorieuse à la bataille de Marengo, il fut élevé au grade de chef de brigade le 27 germinal an IX. Il obtint la croix d’officier de la Légion d’honneur, et, le 12 pluviôse an XIII, le commandement du 10e régiment de hussards. Il se fit remarquer à la tête de ce corps pendant la campagne de l’an XIV aux combats de Wertingen et d’Amstetten, aux batailles d’Ulm et d’Austerlitz. L’Empereur le nomma général de brigade le 1er nivôse suivant.

A Wertingen, son cheval s’étant élancé au moment d’une charge de cavalerie au milieu d’un régiment de cuirassiers autrichiens, il prit de sa main un capitaine de ce corps et tua plusieurs cavaliers qui cherchaient à dégager leur chef.

Il se trouva aux batailles d’Iéna et d’Eylau. Chargé par Napoléon, le 14 mai 1806, d’arrêter la marche d’un corps ennemi fort de 10,000 hommes qui marchait de Pillau sur Dantzig, il attaqua ce corps, le culbuta, lui enleva son artillerie et lui fit un grand nombre de prisonniers. Le même jour, il reçut sur le champ de bataille la décoration de commandant de la Légion d’honneur. Il commanda à Friedland la cavalerie de réserve du ler corps et contribua au succès de cette journée.

Envoyé en Espagne en novembre 1808, il prit part à la bataille d’Uclès et à celle de Medelin où il enfonça avec sa brigade la droite de l’ennemi et lui prit 6,000 hommes.

Le 26 juillet 1809, en avant d’Alcabon, il tailla en pièces les dragons de Villa-Viciosa; le lendemain il poursuivit la colonne anglo-espagnole jusqu’à Tavaleira, et à Ocana il fit 4,000 prisonniers. A Santi-Petri, le 5 mars 1811, il arrêta avec 150 chevaux du 1er régiment de dragons la marche de 2 escadrons anglais.

Rappelé à la grande armée, l’Empereur l’attacha au 2e corps de réserve de cavalerie, avec lequel il combattit à Smolensk et à la Moskowa. Il se signala, le 4 octobre, dans en engagement en avant de Moscou sur la route de cette ville à Kalouga, à l’attaque du 17 du même mois et pendant toute la durée de la retraite jusqu’à Wilna. Général de division le 4 novembre 1812, il commanda, dans la campagne de 1813, une division de cavalerie légère du 3e, puis du 6e corps, et se distingua aux batailles de Lutzen, de Dresde, de Leipzig et de Hanau.

Il est mort à Metz le 16 décembre 1813. Il était baron de l’Empire ; son nom est inscrit sur la partie est de l’arc de triomphe de l’Étoile.

BECKER (Léonard-Nicolas)[modifier]

comte de Mons, né à Obernai ou Oberchnhein (Bas-Rhin) le 18 janvier 1770. Il servait dans un régiment de dragons lorsque la révolution arrivant, lui fit franchir rapidement tous les grades inférieurs.

Successivement adjudant-général et général de brigade, le général Becker a épousé la sœur de Desaix. Il fut promu au grade de général de division sur le champ de ’bataille d’Austerlitz. Membre de la chambré des représentants dans les Cent-Jours, pair de France en 1819. Fouché savait que le [général Becker avait personnellement à se plaindre de l’Empereur : il lui fit donner la commission, par le gouvernement provisoire, de garder Napoléon à la Malmaison, et de le surveiller. Fouché ne doutait pas de trouver en Becker un cœur aigri et disposé à la vengeance ; on ne pouvait se tromper plus grossièrement. Ce général ne cessa de montrer un respect et un dévouement qui honorent son caractère. Ce fut par lui. que l’Empereur envoya offrir au gouvernement provisoire de mar,-cher comme simple citoyen à la tête des troupes pour, repousser Blùcher et continuer aussitôt sa route.

Napoléon avait comblé Becker de. ses faveurs. On ne sait pas positivement la cause des disgrâces qui suivirent de près ces faveurs. On a prétendu qu’il avait blâmé publiquement le système militaire suivi par Napoléon. Quoi qu’il en soit, on l’exila pendant plusieurs années dans le commandement de Belle-Isle en mer.

Le général Becker quitta Rochefort après que Napoléon se fut fatalement embarqué sur le Bellérophon. Arrêté à Orléans par les Prussiens et conduit à Paris comme prisonnier de guerre, il fut mis immédiatement en liberté. On lui offrit un commandement qu’il refusa.

Arrêté de nouveau à Poitiers, comme il retournait à son château de Mons, il demeura en surveillance jusqu’à la publication de l’ordonnance du 9 septembre 1816. Nommé grand-croix de la Légion d’honneur le 21 mars 1831, il mourut à son château de Mons en novembre 1840.

Son nom est inscrit sur l’arc de triomphe de l’Etoile, côté sud.

BEDEAU (Marie-Alphonse)[modifier]

né à Verton (Loire-inférieure), le 19 août 1804. Le général Bedeau entra, à l’âge de 16 ans, à l’école spéciale militaire de Saint-Cyr, et en sortit en 1822, en qualité de sous-lieutenant élève, à l’école d’application d’état-major. Il servit successivement dans le 8° de cuirassiers, dans les lanciers de la garde royale, le 2e régiment d’artillerie à cheval et le 13e de ligne. Il était capitaine au 3° régiment d’infanterie légère, lorsqu’il fut déjaché auprès du général Ferrier, dont il devint aide-de-camp. Attaché, en cette qualité, aux généraux Gérard et Schramm, il fit, sous leurs ordres, les campagnes de Belgique de 1831 et 1832. Puis, en 1836, il entra, comme chef de bataillon, dans la légion étrangère, qu’il alla immédiatement rejoindre en Afrique. Là, il ne tarda pas à se distinguer dans toutes les affaires vraiment sérieuses auxquelles son corps prit part. Colonel au 17e léger, il fit partie des deux expéditions de Sétif, 16 et 17 octobre 1838 et mai 1839. Son régiment traversa les Bibans, sous les ordres du duc d’Orléans, et se trouva, un mois après, entre le camp supérieur de Blidah et la Chiffa, au fameux combat à l’arme blanche, contre les réguliers de l’Émir, combat où les caisses des tambours arabes, une pièce de canon, les drapeaux du kalifat d’Abd-el-Kader, quatre cents fusils et trois cents cadavres de fantassins tombèrent en notre pouvoir. Le colonel Bedeau resta momentanément à Cher-chell, dont on venait de s’emparer, et repoussa plusieurs fois avec succès les Arabes qui attaquèrent ses lignes. L’expédition sur le Fondouck, celle de Mé-déah, les combats de l’Affroun,de l’Oued-Ger de l’Oued-Nador et de Mouzaïa, trouvent le jeune colonel toujours plus invincible ; rien ne lasse son courage ni sa patience. Au retour de Médéah, le 20 mai, pendant que nos cavaliers, escortant le convoi, s’engagent dans le bois des Oliviers, Abd-el-Kader fait attaquer avec vigueur le colonel Bedeau, qui attend l’ennemi de sang-froid et marche ensuite sur lui à la baïonnette. Cette arme, si terrible dans les mains.françaises, fait reculer les Arabes, qui jonchent de leurs cadavres le champ de bataille ; et nous laissent en toute liberté traverser le défilé. On voit encore le brave colonel, sous les ordres du général Changarnief, qui dirigeait une expédition dans la vallée du Chélif, commander l’arrière-garde aux combats meurtriers de Gontar et de l’Oued- Adélia, et supporter presque seul le poids de la journée. On le retrouve partout où le danger menace, et le grade de maréchal-de-camp, digne récompense de son infatigable activité, vient encore ranimer son zèle. Fier de cette distinction, il s’efforça de la justifier par de nouveaux et continuels succès qui l’ont fait l’émule des Lamoricière, des Chan-garnier, des Baraguay d’Hilliers, les meilleurs généraux del’arméed’Afrique. Ses razzias adroites et énergiques aux alentours de Tlemcen n’ont,pas peu contribué à ramener le calme dans cette partie de nos possessions. Sa vigilance sut mettre en défaut toutes les ruses des Arabes, et son courage triompha tpu-jours, malgré leur nombre, des ennemis que le fanatisme, la vengeance ou la cupidité lui opposaient. Les dangers qu’il courut àLella-Marghina, dans sa conférence avec les perfides Marocains, et la manière à la fois prudente et digne dont il échappa à cette infâme trahison, peuvent donner une idée du sang-froid qu’il sait déployer dans les grandes circonstances. Assurément, parmi les réputations que nos campagnes d’Afrique ont fait éclore, celle du général Bedeau se distingue comme une des plus solidement fondées et des plus loyalement acquises. La fortune militaire du général Bedeau ne pouvait que s’accroître. Nommé successivement gouverneur de la province de Constantine, puis général de division, il était à Paris en février 1848. Le 24, il se mit à la tête des troupes, et parcourut les rues de Paris, s’efforçant d’y rétablir l’ordre. Les premiers régiments qui défilèrent sur les boulevards, la crosse en l’air, étaient guidés par lui. Il commandait les chasseurs d’Orléans au moment de l’attaque du poste de l’allée Gabrielle. Dangereusement blessé aux fatales journées de Juin, il fut l’objet des plus vives inquiétudes. M. le généralBedeau a été envoyé à l’Assemblée nationale constituante. Il siège aujourd’hui à l’Assemblée législative.

BELLAVÈNE (JACQUES-NICOLAS, baron)[modifier]

né à Verdun (Meuse), le 20 octobre 1770. Entré comme simple soldat dans le 2" régiment de cavalerie, le 24 mars 1791, il devint sous-lieutenant, le 10 mai 1792, et officier d’ordonnance de son régiment à l’état-major de l’armée du Rhin. Il fut fait aide-de-camp, le 19 mai 1793, et le même jour, dans une cjiarge exécutée par le 2° régiment, il enleva à l’ennemi / caissons et ramena prisonnier le colonel, comte Klénau.

On le nomma adjoint à l’état-major général, le 29 vendémiaire an n. Dans la nuit du 12 au 13 frimaire, ayant reconnu, pendant une visite aux avant-postes, que l’armée autrichienne, défaite à Niederbronn, évacuait Haguenau, il marcha sur cette place à la tête de 50 dragons, surprit le poste qui gardait la barrière, entra dans la ville, fit cesser le pillage auquel se livrait l’ennemi et lui fit 400 prisonniers.

Nommé en récompense de cette action, adjudant-général chef de bataillon, le 23 germinal suivant, il fut chargé,- le 4 prairial, avec 2 escadrons de chasseurs, de tourner les positions de Neu-

BEL ( J holfen qu’occupaient 1,500 Bavarois ; il les força à se retirer et leur fit 200 prisonniers. Promu adjudant-général colonel provisoire, le 3 messidor de la même année, il passa au blocus de Mayence. Là, dans la nuit du 25 au 26 brumaire an in, il enleva 600 hommes du corps connu sous le nom de Manteaux-Rouges, qui étaient à Weissenau ; ce poste ayant, été occupé de nouveau le 26, il le surprit pendant la nuit suivante et lui fit 400 prisonniers.

Confirmé dans son grade d’adjudant-général colonel, le 25 prairial an m, il fit partie de la commission c^réée par le général Moreau pour préparer un projet de passage du Rhin. Ce projet, remis au général au mois de prairial an iv, eut son approbation, et le passage s’effectua le 6 messidor. Le même jour, le général en chef, Moreau, le nomma général de brigade.

Le 17, à la bataille de Rastadt, la division du général Sainte-Suzanne se trouvant compromise, Bellavène s’engagea pour la soutenir avec sa demi-brigade de cavalerie, et fut atteint d’un boulet qui lui emporta une jambe et le renversa de cheval. Le gouvernement confirma le 22 sa nomination provisoire au grade de général de brigade.

Employé au cabinet topographique du gouvernement, il reçut, le 5 pluviôse an v, un commandement dans la 3e division militaire, et le conserva jusqu’au lor germinal an vu.

Nommé inspecteur aux revues le 8 pluviôse an vin, il fut rappelé au commandement de la 4e division militaire pendant la tenue du congrès de Lunéville.

Le 19 ventôse an xi, le premier Consul lui confia l’organisation, le commandement et la direction des études de l’école de Saint-Cyr, avec la mission d’in-pecteur du Prytanée militaire ; il le nomma, en l’an xu, membre de la Légion d’honneur, le 19 frimaire, et commandant de l’Ordre le 25 prairial.

L’Empereur le fit général de division, le 4 octobre 1807, lui conféra, en 1808, le titre de baron, et le nomma inspecteur général des écoles militaires, le 1" juillet 1812.

En 1814, le Roi lui donna, le 8 juillet, la croix de Saint-Louis ; mais, le 2 août, il lui enleva son inspection et le mit en demi-solde le 1." janvier 1815. •

Napoléon, à son retour de l’île d’Elbe, le rétablit dans ses fonctions. Bellavène se montra reconnaissant et fit don au gouvernement d’une somme de 4,000 fr. pour servir à l’équipement des gardes nationales. Le Dictionnaire des Généraux français a conservé de lui un trait qui fait honneur à son caractère, et que nous nous empressons de consigner ici :

« Lorsque les troupes alliées arrivèrent dans les environs de Paris, un officier et six soldats prussiens se logèrent à Saint-Cyr ; bientôt une troupe nombreuse de fédérés se présenta devant cet établissement, demandant que les Prussiens lui fussent livrés, et voulant aussi enlever les armes et emmener les élèves. Le général Bellavène, après avoir fait mettre les sept étrangers en lieu de sûreté, se présenta seul aux fédérés, et leur déclara que, devant compte des armes au ministre, des élèves à leurs parents, de ses hôtes à l’honneur, il était résolu à ne livrer ni les uns ni les autres. Cette fermeté imposa aux fédérés, qui renoncèrent à leur entreprise. »

Louis XVIII, revenu à Paris, l’admit à la retraite le 27 septembre 1815. Il se retira à Milly, petite ville. du département de Seine-et-Oise, où il mourut le 8 février 1826.

Son nom est inscrit sur l’arc de triomphe de l’Étoile, côté est.

== BELLEGARDE (FRÉDÉRIC, comte de) == feld-maréchal autrichien, né en 1753, à Chambéry, en Savoie, mort à Vienne le 4 janvier 1830, descendait d’une des plus anciennes familles de là Savoie. Eri-tré de bonne heure auservice d’Autriche, il fit les.campagnes dé 1793 à 1795 avec une telle distinction, qu’en 1796 oh,lûi conféra lé grade de feld-maréchal-iieute-nânt. L’année suivante ; il conclut avec Bonaparte l’armistice de Léobeii, et, en 1799, fut investi du commandement du côrp"s d’armée chargé de maintenir les communicatioris^entre Soiiwaroff et l’archiduc Charles. À l’issue de la campagne d’Italie j en 1800, il fut appelé à une des premières places du conseil aulique de guerre ; qu’il présida en 1805 après le départ de l’archiduc Charles. Au mois de juillet de la même année il fut nommé commandant général des États vénitiens, et-, en 1806, feld-niaréchal et gouverneur civil et militaire de la Gallicie, puis gouverneur de l’archiduc, héritier du trône. Pendant la campagne de 1809, il commanda en Bohême le premier et le second corps, et se sighala par sa bravoure aux batailles d’Asperri et dé Wa-gram. Lors de la paix de Vienne, il fut de ’ nouveau ’ nommé gouverneur de la Gallicie, fonction qu’il remplit jusqu’en 1813, époque à laquelle il fut appelé encore une fois au conseil aulique dé guerre. Peu de temps après, il fut envoyé à l’armée d’Italie, et s’avança jusqu’à Plaisance, où il conclut un armistice, le 16 avril, avec le vice-roi Eugène. Nommé alors gouverneur général des provinces italiennes que le sort des armes avait fait rentrer sous la domination autrichienne, il gagna l’estime des populations par la douceur de son administration. En 1815, il combattit Murât sur les rives du Pô, h Occhiobello et à Ferrare, refusa l’armistice proposé- par le chef d’état-major de l’armée napolitaine ; et après la défaite de Murât, continua d’administrer le Milanais avec la même sagesse. En 1816 l’archiduc Antoine ayant été nommé vice - roi du royaume lonibàrdo - vénitien, et lé comte de Saurau, gouverneur de la Lbmbardie, le maréchal Bellegarde vint peridaiit quelque temps habiter Paris. Rappelé plus tard à la présidence du conseil aulique de guerre ; il continua de’ rehiplirces fonctions jusqu’en 1825 ; mais alors là faiblesse de sa vue l’obligea de donner sa démission.

BELLIARD (AUGUSTIN-DANIEL, comte)[modifier]

Lieuteiiant-géiléral des armées’", pair de France, ambassadëur,etc., lié àFontenay-le-Comte (Vendée), le25 mars 1769.—Ce nom est un de ceux dont l’illustration appartient tout entière à la révolution de 1789". Issu d’une famille obscure, Belliard faisait Ses études dans Une petite ville du Poitou, lorsqu’éclatèrent les grands événements qui allaient changer les destinées de la France. L’enfant du peuple s’élança dés bans de l’école, courut sous les drapeaux et figura magnifiquement pendant vingt ans sur tous les grands théâtres de notre gloire. Jamais carrière ne s’ouvrit sous de plus beaux auspices. Engagé volontaire eh 1791, il s’essaya aux combats dans les grandes journées de Grand-Pré, Sainte - Menehould, Jemmàpes et Nerwinde, où il servit comme aide-de-camp de Dumouriez. Placé, à Jemma-pes, à la tête des hussards de Berchini, il enleva successivement plusieurs redoutes ennemies, et conquit sur le champ de bataille le grade d’adjudant-général. Mais ce début faillit être fatal à sa fortune militaire. Compromis par la défection de Dumouriez, Belliard fut arrêté après le départ de ce général, transféré à Paris et cassé. Sans doute, les sévérités révolutionnaires ne se seraient pas bornées à une destitution, si le jeune adjudant-général n’eût immédiatement de-

BEL ( ! mandé à servir son pays comme volontaire. Il entra j en elïet, dans le 3" régiment dé chasseurs, et fit tout une campagne conime simple soldat. Cet acte d’abnégation patriotique le réhabilita dans l’estime du pouvoir ombrageux qui l’avait frappé pour un crime qui n’était’ pas le sien ; il fut réintégré dans son grade et placé sous lés ordres du pacificateur de la Vendée, le célèbre Hoche, qui le compta bientôt au nombre de ses plus braves et plus habiles officiers. Depuis ce moment, sous la République comme soùs l’Empire, la vie de Belliard ne fut qu’une succession continuelle des plus brillants faits d’armes. Par une faveur providentielle de sa destinée, il prit part à toutes les grandes guerres, combattit sur tous, les champs de bataille, partagea tous les revers et tous les triomphes de là France. En 1776, il fit sous Bonaparte l’immortelle campagne d’Italie, et se couvrit de gloire à Castiglione, à Vérone, à Caldiéro, à Arcole, à Saint-Georges, au passage du Larvis, à New-Marck, à Brixen, à Tramen, etc. A Arcole, il eut deux chevaux tués sous lui et fut nommé général de brigade ; à tramen, il mit en pleine déroute le corps autrichiendeLandon ; partout il déploya une intrépidité et uiie intelligence qui lui méritèrent les applaudissements de l’armée et les suffrages de Bonaparte. En 1798, il contribua, sous Championnet, à la conquête de Naples, de la Sicile et des États de l’Église. — Ici commence la carrière diplomatique de Belliard. Envoyé extraordinaire près du gouvernement napolitain, il sut, par l’autorité de son nom, maintenir les conquêtes de son épée. Lors de la révolte de-Rome contre les troupes françaises, son attitude énergique empêcha Ferdinand de franchir la frontière pour appuyer l’insurrection.— Il accompagna Bonaparte en Égypte, contribua, en passant, à la prise de Malte, décida celle d’Alexandrie, comr battit héroïquement aux Pyramides, où, à la tête d’un carré d’infanterie, il eut la gloire de recevoir la première charge des Mamelucks ; àBanou,’où, avec cinq cents hommes il détruisit cinq mille Mec-quais, Mamelucks ou Arabes ; . à Sapht-Rachin, où soutenu par deux bataillons seulement, il défit plusieurs milliers de révoltés, et contraignit Mourad-Bey à demander la paix. C’est Belliard qui, le premier, franchit les limites de l’empire romain, pénétra en Abyssinie, et porta la gloire de nos armes jusqu’en Calafché. Il remporta avec Desaix la victoire d’Hé-liopolis, et marcha avec douze cents hommes contre l’armée ottomane qu’il chassa de Damiette. — Assiégé dans le Caire par les forces combinées’ des Anglais, des Turcs etdes Mamelucks, assailli par terre et par mer, aux prises avec une population nombreuse et fanatique, il obtint, par son énergie, une capitulation honorable, et ramena en France les troupes placées sous ses ordres. Rentré en Europe, il commanda en Belgique où il laissa une grande réputation de justice et de loyauté. En 1805 et 1806, il prit une large part aux campagnes d’Allemagne et de Prusse, en qualité de chef d’É-tat-major de Murât, contribua puissamment à la victoire d’Ulm, et s’immortalisa à Austerlitz, à Iéna, à Erfurth, à Lu-beck, à Heiberg, à Hoff, à’Ëylau et à ’ Friédlahd. Employé ensuite à l’armée d’Espagne, il fut’nommé gouverneur de Madrid, dont, après la désastreuse bataille de Talavera, il apaisa l’insurrection en se jetant seul au milieu de la population soulevée. Aussi humain que’brave, Belliardeut’lecourage de suspendre, malgré les ordres réitérés de Napoléon, l’exécution du marquis de Saint-Simon, et de laisser àlapiété de sa fille le temps d’obtenir la grâce de son père. Devenu major général du roi Joseph, il dirigea toutes les opérations des divers points de l’armée péninsulaire, et commanda ensuite l’armée du centre. En 1812, il lit la mémorable campagne de Russie, et combattit "Witepsk, à Smolensk, à Mojaïsk,.avec sa valeur accoutumée. C’est lui, qui, après la retraite de Moscou, ralliait réorganisa, en Russie, la cavalerie française. Dangereusement blessé à Leipzig, il continua la lutte, eut deux chevaux tués sous lui à Hanau, et rentra à Mayence avec les glorieux, débris de l’armée. — Grandissant "au milieu des dangers de la patrie, Belliard combattit en héros sur le’ sol envahi de la France. Tour à tour major-général de l’armée, et commandant en.chef de la cavalerie, il disputa pied à pied le terrain aux alliés, et resta jusqu’au dernier moment fidèle à la France et à l’Empereur : il ne quitta Fontainebleau qu’après le départ de Napoléon pour l’île d’Elbe.

La renommée de Belliard était trop éclatante pour que la Restauration ne crût pas devoir la rattacher à sa cause. Louis XVIII le nomma pair de France, chevalier de Saint-Louis, et, après le débarquement de l’île d’Elbe, major général de l’armée que le duc de Berri devait opposer à Napoléon. Fidèle à ses nouveaux devoirs, Belliard accompagna, la famille royale jusqu’à Beauvais, et ne rentra à Paris que sur l’ordre exprès de Louis XVIII.

Affranchi de ses engagements, il accepta de Napoléon une mission auprès de Murât ; mais quand il arriva à Naplcs, la ruine de ce prince était consommée. Rentré à Paris, il prit le commandement de l’armée de la Moselle, et se battit une fois encore pour l’indépendance de son pays. Après la seconde abdication de Napoléon, il fut dépouillé de son titre de pair de France et jeté dans un cachot où il languit six mois, sans pouvoir obtenir des juges. Cependant, en 1822, cet

homme dont.le sang avait coulé dans cent combats fut réintégré dans ses dignités.

Après la révolution de Juillet, le nouveau gouvernement le chargea d’aller notifier au cabinet de "Vienne l’avéne-ment de Louis-Philippe. Il fut ensuite nommé ambassadeur de France en Belgique, et son intervention personnelle sauva Anvers prêt à succomber sous le canon des Hollandais. Le 28 janvier 1832, il tomba frappé d’une attaque d’apoplexie foudroyante, au moment où il sortait du palais de Léopold. Bon, intègre, juste et affable, la mort de Belliard ne fut pas moins un sujet de deuil pour la Belgique que pour la France.

Ses dépouilles mortelles furent transportées à Paris et déposées au cimetière du Père Lachaise, le 1-4 mars de la même année.

Son nom est inscrit à l’arc de triomphe de l’Étoile, côté sud.

BENCKENDORFF (ALEXANDRE, comte de)[modifier]

général en chef de cavalerie russe, aide-de-camp général, de l’Empereur, commandant de son quartier général, sénateur, etc., décoré de tous les ordres.

Issu d’une famille noble et illustre de Livonie, il naquit en 1783, dans l’un des châteaux de la résidence impériale, aux environs de Pétersbourg. Son père, général au service de Russie, et sa mère, née baronne de Schilling, firent sa première éducation. A 45 ans, il entra comme sous-officier dans la garde impé-périale, devint aide-de-camp de l’empereur Paul Ier ; chargé de plusieurs missions, il s’en acquitta avec talent, se battit courageusement contre les Turcs et se distingua aux différentes batailles qui furent livrées aux Français, et notamment à Eylau et à Ostrolenska. Après la paix de Tilsitt, il alla de nouveau se battre contre les Turcs et battit un corps d’armée avec un seul régiment BEL ( 56 )

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de.lanciers. Dans la campagne de 1812, il commandait, le 8 août, l’avant-garde du général Wintzengerode, et fut promu. à cette occasion au grade de général major. Pendant la retraite, il commandait l’arrière-garde.

En 1813, à la tête d’un détachement isolé, entre Francfort-sur-l’Oder et Berlin, il battit un régiment français et lui fit 800 prisonniers dont 48 officiers. Le comte, de Benckendorff déploya, dans toutes les affaires qui suivirent, une brillante intrépidité et un véritable talent ; il se distingua surtout à Grosbern, à Leipzig, dans son expédition, de Hollande, à Epernay, à Craonne et à Laon.

Après la paix de 1815, il fut nommé au commandement de la deuxième division de dragons ; en 1819, chef d’état-major de la garde impériale et aide-de-camp général de l’Empereur ; en 1821, il obtint le grade de lieutenant-général et le commandement de la première division de cuirassiers.

Pendant le.désastre de Pétersbourg,’ en 1824, il montra le plus grand dévouement et une abnégation qui lui méritèrent l’estime de la nation russe. — II se distingua encore lors de l’émeute du 26 décembre 1825 ; et, pendant la campagne contre la Turquie, il^coopéra au siège de la forteresse de Schoùmla et de Varna ; l’année suivante, il fut nommé général en chef de cavalerie, et en 1831 appelé à siéger au conseil des ministres.

En 1832, l’Empereur lui conféra le titre de comte de l’Empire, et, en 1834, de chevalier de l’ordre de Saint-André, premier ordre de l’empire.,

Pendant une cruelle maladie qu’il fit,’ on entendit l’Empereur répéter plusieurs fois, à son chevet, cette parole honorable : « cet homme ne m’a jamais brouillé avec personne et m’a réconcilié avec bien du monde. »

BENNINGSEN (le comte BAUTEIN-LE-VIN-AUGUSTE-THEOPHILE de)[modifier]

est né dans le pays d’Hanovre, en 1745 ; il entra de bonne heure au service russe, y fut nommé commandant du régiment de cavalerie légère d’Isuni, brigadier des armées et général de cavalerie ; il obtint ensuite le gouvernement du grand duché de Lithuanie. Il servit en 1794, dans la guerre de la Russie contre la Pologne, y acquit de la réputation et reçut, en octobre de la même année, l’ordre de Saint-Georges de troisième classe et une épée. 11 fut décoré peu après de l’ordre de Sainte Alexandre de Newski. Tombé dans la disgrâce de Paul I", le comte de Ben-ningsen avait été congédié du service ; ilallaitquitter Saint-Pétersbourg, lorsque la mort de ce prince (1801) et l’avéne-ment d’Alexandre, le décidèrent à rentrer dans la carrière. Appelé au gouvernement de la Lithuanie, il vint se fixer à Wilna et y demeura jusqu’au commencement de la campagne contre les Français (1805) ; ,chargé d’un commandement, il ne put arriver à temps à Au-sterlitz, retourna en Russie, fut employé l’année suivante en Pologne, et, après d’inutiles efforts pour couvrir Varsovie, se vit contraint de l’abandonner.

Le général Kamenskoi ayant été rappelé, Benningsen fut nommé général en chef de l’armée russe et dirigea les opérations de cette armée à Pullusk et à Prussich-Eylau ; après cette seconde affaire, il reçut l’ordre de.Saint-Georges, deuxième classé. Il commandait les troupes russes à la bataille de Friedland, et fut présenté à Napoléon par l’empereur de Russie à la suite de l’entrevue de Tilsitt. Il quitta alors leservice.

En 1813, lorsqu’une coalition plus redoutable se réunit. contre Napoléon, le commandement de l’armée russe fut confié de nouveau à Benningsen. Le mare-, chai prince d’Eckmûlh s’étant renfermé dans Hambourg, avec des forces considérables, le général russe qui dirigeait les opérations de l’aile droite des alliés, s’approcha de Hambourg et en forma le blocus, mais il lui fut impossible de forcer le général français à capituler. Da-voût resta dans Hambourg jusqu’après l’entrée de Louis XVIII à Paris. Benning-sen put alors occuper cette ville et fut décoré de l’ordre de Saint-Georges, première classe, eh récompense de cette occupation.

Nommé général en chef d’une puis-saute armée sûr les frontières de la Turquie, il fut rappelé eh Pologne et à Berlin pendant les Cent-Jours, et retourna ensuite à son gouvernement du sud de la Russie. Il se trouvait â Tulzin, près de Hambourg en mai 1816 et y reçut du roi de France la grand’croix de la Légion d’honneur.

Le comte deBenningsen est mort dans sa terre de Bauteih, en Hanovre, le 3 octobre 1826, âgé de 81 ans :

L’OSTËNDE (GREGOIRE)[modifier]

né le 8 juillet 1786, à fieiguefort, près d’Isle (Haute-Vienne), sortit de l’école militaire de Fontainebleau en mars 1806, pour rejoindre, comme sous-lieutenant ; le 75e de ligne, à l’armée des côtes de l’Océan. Fait prisonnier avec le corps du général Dupont, à la suite de la funeste capitulation de Bàylen ; en juillet 1808, il fut conduit sur les prisons flottantes, en rade de-Cadix.

Dans la nuit du 5 juin 1809, il parvint à s’échapper àla nage du ponton la Vieille-Castille, avec uh de ses compagnons d’infortune, et à gagner, à l’aide d’un canot, la côte de Tanger, où il se mit sous la protection du consul français.

Quelques mois après, à la nouvelle de la marche du duc de Bellune sur Cadix, le-lieutenant Lostende, secondé par quelques Français réfugiés comme lui dans le

Maroc*, arma, un petit bâtiment, traversa en plein jour le détroit de Gibraltar, en ’ vue de la flotte anglaise, débarqua au cap Trafalgar, et alla rejoindre l’armée fran çaise.

Après la campagne de Russie, qu’il fit comme capitaine au régiment d’Illyrie, il reçut la croix de légionnaire des mains de l’Empereur, à Dresde, le 22 juillet 1813jet devint àide-de-camp du général Guilleminot. Grièvement blessé d’un coup de baïonnette dans l’aine, à Ho-cheiijj s’oii’s Mâyehce, pendant la retraite, le 9 novembre, il tomba au pouvoir des Autrichiens, et rie rentra des prisons de Hongrie qu’en juin 1814 A Waterloo, il combattait avec son général dans, les rangs, du 2e corps commandé par Jérôme Bonaparte.

A l’ouverture delà campagne de 1823, en Espagne, il suivit le général Guilleminot major général de l’armée et obtint le gradé de chef de bataillon avec la croix d’officier.

En 182Ï, il accompagna le général Guilleminot dans son ambassade à Cons-tantinople.

En 1828, il prit part, comme volontaire, à l’expédition de Morée et rentra en France avec le général Guilleminot, en septembre 1831.

En 1834, il assista aux manœuvres de l’armée sarde, comme chef d’état-major de la 19e division, et fut envoyé à Londres en 1837, comme membre d’une commission créée pour la révision du Code pénal militaire : il reçût la croix de Commandeur à son retour.

Maréchal de camp de la promotion’ du 27 février 1841, M. de Lostende fut employé depuis lors à Poitiers, au camp de Compiègne, à Mâcon et à Chalon-sur-Saône. Admis à la retraite en septembre 1848, il mourut à Mâcon, le 12 avril 18-49, âgé de 63 ans.

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BERGE (FRANÇOIS-BEAUDIRE, baron)[modifier]

né à Collioure (Pyrénées-Orientales), le 11 mars 1779. Entré à l’École polytechnique le 17 brumaire an III, il passa, le 18 brumaire an V, élève sous-lieutenant à celle d’artillerie de Metz, d’où il sortit, le 13 floréal suivant, avec le grade de lieutenant en second, et alla rejoindre là portion du 1er régiment d’artillerie qui faisait partie de l’armée d’Angleterre.

Détaché à l’état-major de l’armée d’Orient il fit les campagnes d’Égypte et de Syrie, assista à la prise de Malte, à celle d’Alexandrie, au combat de Chebreiss ; aux batailles des Pyramides, d’Abbukir et d’Alexandrie, aux sièges de Jaffa, de Saint-Jean-d’Acre et du Caire.

Capitaine de 3e classe le 4e jour complémentaire an VII, il fut promu le 27 floréal an VIII à la 21 classe de son grade dans le 4e régiment d’artillerie à pied, et remplit les fonctions d’aide-de-camp auprès du général Songis jusqu’au mois de brumaire an X.

Passé dans l’artillerie de la garde consulaire le 15 nivose de cette année, ii continua néanmoins son service d’aide-de-camp auprès de son général, appelé à la même daté au commandement de l’artillerie de cette garde.

Le 6 brumaire an XII, le pretnier Consul le nomma chef de bataillon, sous-directeur d’artillerie à la Guadeloupe ; mais sur les instances du général Songis, alors premier inspecteur d’artillerie, il continua de servir sous ses ordres et fit avec lui les campagnes des ans XII et XIII à l’armée des côtes de l’Océan. Il y reçut, le 25 prairial an XII, la décoration de la Légion d’honneur et celle d’officier de l’ordre.

Il fit avec la grande armée les guerres d’Allemagne, de Prusse et de Pologne, de l’an XIV à 1807, et se trouva aux combats livrés sons les murs d’Ulm les 23, 24 et 25 vendémiaire an XIV, aux batailles d’Austerlitz, d’Iéna et d’Eylau.

Major le 21 mars 1806, et colonel le 30 août 1808, il passa à l’armée d’Espagne le 24 novembre comme chef d’état-major de son armée, et prit, le 28 décembre le commandement du 5e régiment d’artillerie à cheval. Il combattit à Talavera de la Ëeina, où il fut blessé d’un coup de feu au côté droit, à Altrionacid et à Ocafia les 28 juillet, 11 août et 18 novembre 1809, et au passage de la Sierra-Morena le 20 janvier 1810.

Nommé chevalier de l’Empire le 15 août suivant, il eut le bras traversé d’une balle au combat d’Albuféra, le 16 mai 1811, et à celui de Santa-Martha-de Villaiba ; le 15 juin même année ; il mérita la croix de commandant de la Légion d’honneur, qui lui fut décernée le 6 août suivant. Placé à la tête de l’artillerie de l’armée du midi de l’Espagne le 3 avril 1813, il reçut le 26 mai le grade de général de brigade, et prit une part glorieuse à toutes les affaires qui précédèrent et suivirent l’évacuation de la Péninsule. A la fin de cette dernière campagne, il reçut le titre de baron de l’Empire ; mais il ne prit qu’une faible part aux événements politiques et militaires de 1814.

Chevalier de Saint-Louis le 20 août de cette année, et nommé membre de la commission chargée de déterminer le classement des places de guerre, ainsi que les travaux d’amélioration qu’elles pouvaient exiger, il fut attaché dans le mois de mars 1815 à l’état-major du duc d’Angoulême. Après le départ de ce prince, il se rendit dans la capitale, où il reçut le 6 juin le commandement de l’artillerie du corps de cavalerie placé sous les ordres du maréchal Grouchy.

En 1816, il commandait l’École royale d’application à Metz. Nommé le 14 décembre 1822 commandant supérieur des troupes et du matériel de l’artillerie, de la direction de Perpignan et du 4e corps de l’armée des Pyrénées, il fit, en cette qualité, la campagne d’Espagne de 1823. Cette campagne lui valut, le 3 octobre suivant, le brevet de lieutenant-général, et le 23 novembre la plaque de 4e classe de l’ordre de Saint-Ferdinand d’Espagne.

Nommé membre du comité consultatif de son arme le 22 décembre 1824, et grand officier de la Légion d’honneur le 3 novembre 1827, il fut mis en disponibilité le 8 septembre 1830.

Replacé provisoirement sur le cadre du comité d’artillerie le 1er juillet 1831, il est mort à Paris le 18 avril 1832.

Son nom est inscrit sur le côté de l’arc de triomphe de l’Étoile.

BERNADOTTE (JEAN-BAPTISTE-JULES)[modifier]

fils d’un jurisconsulte, naquit à Pau, en Béarn, le 26 janvier 1764. Après avoir reçu une éducation soignée sous les yeux de son père, il embrassa par goût la carrière militaire en 1780. Lorsque la Révolution éclata, il avait le grade de sergent, mais il ne tarda pas à arriver aux plus hautes dignités militaires à une époque où le courage et le talent étaient les seules conditions d’avancement. En 1794, il était général de division, et se couvrit de gloire à la journée de Fleurus. Le passage qu’il opéra sur le Rhin, près de Weuwied, en 1793, les avantages qu’il remporta sur l’ennemi, près de Lahn, en 1796, le blocus de Mayence, le combat de Neuhoff, le passage de la Rednitz, la prise d’Altorf et de Neumark. la défaite du général Cray sur le Mein, établirent d’une manière inébranlable sa réputation militaire.

En quittant l’armée du Rhin, le général Bernadotte conduisit des renforts à l’armée d’Italie, et fut chargé par Bonaparte du siège de Gradiska. Après la victoire de Rivoli, il reçut la mission de porter au Directoire les trophées de cette brillante journée.

Après le 18 fructidor, Bernadotte obtint le commandement de Marseille ; mais les troubles de cette partie de la France et la répugnance qu’il éprouvait pour les mesures violentes, le firent renoncer à ce poste. Il retourna à l’année d’Italie.

A la suite du traité de Campo-Formio, Bernadotte fut envoyé à Vienne, en qualité d’ambassadeur ; une émeute provoquée par l’apparition du drapeau tricolore sur l’hôtel de l’ambassade, le détermina à quitter l’Autriche : il se rendit à Rastadt et de là à Paris.

Chargé du commandement de l’armée d’observation, en 1799, il reçut ordre de passer le Rhin pour bloquer Philisbourg ; mais les revers des Français en Italie et en Allemagne le forcèrent à renoncer à ce projet.

Nommé alors ministre de la guerre, il chercha à ranimer le zèle de nos armées par des mesures vigoureuses ; mais à tort ou à raison, on" lui attribue plusieurs fautes qui excitèrent le mécontentement et le forcèrent à donner sa démission peu de temps avant le 18 brumaire ; il se retira alors à la campagne, se prononça contre le coup d’État de Bonaparte, et le refroidissement qui s’opéra à cette époque entre ces deux généraux alla toujours en augmentant. NéanmoinsBernadotte entra au conseil d’État etacceptale commandement de l’armée de l’Ouest, où il étouffa les derniers germes de la guerre civile.

Après la paix de Lunéville, il fut nommé ambassadeur aux États-Unis ; mais la reprise des hostilités l’empêcha de se rendre à son poste.

En 1804, on l’envoya en Hanovre comme gouverneur général, et il reçut le bâton de maréchal lors de la première création.

En 1805, Bernadotte contribua puissamment à la reddition d’Ulm en tournant l’armée autrichienne. A Austerlitz, il commanda le centre de l’armée française qui résista au choc désespéré des Russes., En 1806, le 5^juin, le maréchal Bernadette fut créé prince de Ponte-Corvo. Cette même année, dans la campagne de Prusse, il commanda le 1er corps ; àléna, sa conduite fut telle que l’Empereur avait signé l’ordre de le faire traduire devant un conseil de guerre ; il avait manqué de faire perdre la bataille. Ce fut lui qui poursuivit Blucher, le força de capituler et s’empara de Lubeck, où le carnage fut horrible malgré les efforts des généraux pour l’arrêter. Bernadotte eut, en cette occasion, les plus grands égards pour ce qui restait d’habitants à Lubeck et surtout pour les prisonniers suédois.

Au commencement de 1807, il livra, le 27 janvier, le sanglant combat de Noh-rungen. Une blessure qu’il reçut à Span-den, le 5 juin, l’empêcha de prendre part à la bataille de Friedland. Après Ja paix de Tilsitt, il commanda, jusqu’en 1809, l’année d’occupation de l’Allemagne septentrionale.

A la rupture entre la France et l’Autriche, il prit le commandement de l’armée saxonne. A Wagram, après avoir défendu pendant plus de deux heures le village de ce nom, dévoré par les flammes, il envoya demander du secours au général Dupas ; celui-ci refusa, se fondant sur des ordres supérieurs ; alorsBer-nàdotte fit tous ses efforts pour sauver le reste de ses braves, et se rendit au quartier général de Napoléon pour se plaindre et donner sa démission. Il se retira à Paris, sortit un instant de son repos pour repousser les Anglais à Wâlcheren, et reçut, en 1810, la nouvelle de son élévation au. rang de prince héréditaire de Suède. La seule condition qu’on lui imposa fut d’abjurer la religion catholique

pour la réformée. Eugène s’y était refusé, sa femme, princesse de Bavière, n’aurait pu s’en consoler. Bernadotte abjura le 20 octobre, il débarqua à Helsingborg, et le 31 suivant, il fut présenté aux États ; le 5 novembre, adopté par le roi Charles XIII, il prit les noms de Charles-Jeari et dès 1811, pendant la maladie de son père adoptif, il commença à diriger les affaires du royaume.. En 1812, il provoqua le décret qui ouvrit les ports de la Suède au commerce de tou tes les nations. Cette même année, il tint un moment en ses mains les destinées du monde : Avant que Napoléon eût atteint Moscou, il pouvait reprendre là Finlande et marcher sur Pétersbourg ; mais il céda à des ressentiments personnels ; il "sacrifia sa nouvelle patrie et l’ancienne, sa propre gloire, la cause des peuples et le sort du monde. En 1813 (juillet), il se joignit à la coalition contre la France,-non sans avoir tenté tous les moyens d’éclairer Napoléon sur les dangers de sa situation ; il prit le commandement de l’armée alliée du nord de l’Allemagne, se signala aux journées de Gros-Beeren et de Dennë-witz, contribua, par une marche savante, à la victoire de Leipzig, puis descendit l’Elbe, s’empara de Lubeck et se dirigea vers le Holstein, où il força le roi de Danemark à signer, le 14 janvier 1814, la-paix de Kiel, en vertu de laquelle la Nor-wège fut cédée à la Suède. Il s’avança. ensuite lentement vers la France à la tète de son armée et gagna assez de temps" pour que la nouvelle de la paix de Paris le dispensât -de passer le Rhin. Il avait protesté hautement contre l’invasion du territoire français, et accusa les alliés de manquer à la foi promise. En 1815, il refusa formellement d’entrer dans la seconde coalition contre Napoléon.

Le 5 février 1818, à la mort de Charles XIII, il monta sur le trône de Suède et gouverna ce pays avec modération et sagesse.

Bernadotte (Charles XIV) est mort le 8 mars 1844.

BERNARD (SIMON, baron)[modifier]

général du génie, né à Dôle, le 28 avril 4779, de ’ parents pauvres ; il fut élevé par des religieux et admis à l’école d’application d’artillerie, à Metz, a l’âge’de 17 ans. Il sortit le secpnd dans la promotion du génie, en 1797. Il fit sesjpremières armes à l’armée du Rhin et y gagna bientôt les épaulettes de capitaine (22 mars 1800).

L’Empereur parle du général Bernard dans le Mémorial de Sainte-Hélène dans les termes suivants : « Dans un des voyages que Napoléon fit pour inspecter les travaux d’Anvers, il se trouva un jour aux prises sur le métier, avec un capitaine du génie qui, modestement et obscurément, concourait aux fortifications de la place. A quelque temps de là, cet officier reçut inopinément une lettre d’avancement, sa nomination d’aide-de-camp. de l’Empereur, et l’ordre de se rendre en service ’aux Tuileries. Le pauvre officier crut rêver ou ne douta pas qu’on ne se fût trompé. Ses mœurs étaient si innocentes et ses relations si restreintes, qu’il alla confier à M. de Las-Casas toute son ignorance de la cour et son extrême embarras d’y paraître. Mais il était facile de le çassurer ; il y entrait par la belle porte et s’y présentait avec un bon fond. Cet officier est le général Bernard, dont cette circonstance mit les talents au grand jour, et qui lors de nos catastrophes, a été recueilli par les États-Unis, qui l’ont placé à la tête de leurs travaux militaires. »

A la nouvelle de la révolution de Juillet, le général Bernard revint en France, devint aide-de7camp du Roi, lieutenant-général du génie (1831). Mi-

nistre de la guerre, du 10 novembre 1834 au 18 décembre de la même année ; il reprit ce portefeuille du 19 septembre 1836 au 31 mars 1839 ; fit paraître les ordonnances des 20 et 25 décembre 1837 sur les services de marche, de la solde et des revues, et du 16 mars 1838 sur l’avancement.

Il mourut en 1839, âgé de 60 ans.

Le gouvernement des États-Unis, en apprenant cette mort, ordonna un deuil de 30 jours à tous les officiers de l’armée.

BERRUYER (JEAN-FRANÇOIS)[modifier]

né à Lyon, le 6 janvier 1737, d’une famille de négociants honorables, s’enrôla comme volontaire dans le régiment d’infanterie d’Aumont, en 1753. Nommé sergent en 1736, il fit la campagne de Minorque, assista au siège de Mahon, et combattit avec distinction en Allemagne pendant la guerre de Sept-Ans. Il se signala d’abord en 1761, à la tête d’un détachement de soixante hommes, en arrêtant une colonne ennemie dans un défilé, où il reçut six coups de sabre et un coup de feu. Ce trait de bravoure lui valut le grade de cornette dans les volontaires de Sou-bise.

L’année suivante, à la retraite de Si-guenème, il soutint un combat corps à corps contre le général Bénevel, commandant l’avant-garde prussienne, reçut quatre blessures de la main de cet officier général, le fit ensuite prisonnier, et mérita par ce nouvel exploit d’être élevé au grade de lieutenant.

Devenu capitaine en 1767, Berruyer fit les campagnes de 1768 et 1769 en Corse, et obtint successivement les grades de major en 1783, lieutenant-colonel en 1787, colonel du régiment de Guienne en 1791, colonel-général des carabiniers, maréchal-de-camp, lieutenant-général et de commandant en chef de l’armée de l’intérieur en 1792.

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Lorsque l’arméeprussienne, victorieuse en Champagne, se disposait à marcher sur Paris, on confia à Berruyer le commandement des troupes rassemhlées sous la capitale. Il se montra digne de cette haute marque de confiance par un patriotisme à toute épreuve, et par la fermeté avec laquelle il réclama du gouvernement l’amélioration du sort de ses compagnons d’armes, qu’on osait laisser dans le plus honteux dénûment.

Appelé, la même année, aux fonctions de commandant en second de Paris, il devint ensuite général en chef de l’ar-méede l’Ouest, et s’empara de Chemillé, où, le 16 août 1793, il remporta une victoire signalée sur les Vendéens.

Malheureusement, le général Ligon-nier, qui, avec une autre division, les avait attaqués à Vezin, battit en retraite » Berruyer, ’ dans une lettre à la Convention, accusa de ce revers la lâcheté de quelques corps de volontaires, l’inexpérience deceux qui les commandaient, la famine et le dénûment absolu d’une armée obligée de. combattre dans les taillis et les marécages. Des députés de Maine-et-Loire l’accusèrent alors d’avoir laissé prendre toute l’artillerie par sa lenteur et son refus de communiquer ses plans aux commissaires du département.

Berruyer reçut l’ordre de se rendre aussitôt à Paris, où,1a Convention le traduisit à sa barre. Une autre accusation vint l’y frapper ; le député Chasles lui reprocha sa tenue militaire, comme incompatible avec la simplicité qui devait distinguer les armes d’un républicain. Goupilleaux prit alors la défense du général en chef de l’armée de l’Ouest, puis Chaudieu, représentant du peuple près de l’armée de réserve qui se trouvait à Angers vers le même temps, adressa à la Convention une lettre dans laquelle il faisait justice de la ridicule attaque dont Berruyer avait été l’objet, attaque qui, fort heureusement, n’eut pas plus de succès que la dénonciation.

« Berruyer, disait-il, en terminant cette lettre, a des formes trop républicaines pour des hommes qui ne sont pas encore nés à la liberté ; il professe des principes trop austères pour des hommes qui ne se doutent pas qu’on puisse aimer et servir la patrie pour elle-même. Celui qui s’est élevé constamment’ contre les désorganisateurs, celui qui poursuit avec sévérité tous les genres de brigandages, celui qui veut que le soldat obéisse et se batte, doit compter autant d’ennemis qu’il y a de traîtres et de lâches : voilà les crimes de Berruyer et des généraux qui sont sous ses ordres ; nous en avons été les témoins ; et, s’ils sont coupables,. nous sommes leurs complices. » Renvoyé à son poste, Berruyer combattit à la prise de Saumur, y fut danger reusement blessé, et revint à Paris, où il. fut nommé inspecteur général des armées des Alpes et d’Italie. Lorsque, le 13 vendémiaire an iv, la Convention appela autour de son enceinte les troupes du camp des Sablons pour réprimer l’insurrection des royalistes qui avaient arboré la bannière des sections, Berruyer eut, le commandement d’un corps formé spontanément en faveur de l’Assemblée, se distingua dans le combat qu’il livra aux : ennemis du gouvernement, y eut un cheval tué sous lui, et mérita les éloges de ceux,pour lesquels il avait combattu.

Après avoir été employé par le gouvernement directorial, Berruyer ’fut nommé, gouverneur des Invalides, et mourut le 7 floréal an XII, dans sa soixante-septième année. Il avait été fait membre de la Légion d’honneur le 19 frimaire de la même année.

Son nom figure sur le monument de l’Étoile, côté-ouest.

BERTHEZÈNE (PIERRE, baron)[modifier]

lieutenant-général, est né à Vcndargues (Hérault) le 24 mars 1775. La révolution le força à partir comme soldat au 5e bataillon de l’Hérault, pour défendre le territoire menacé parlesEspagnols. Au bout d’un an, il était déjà sous-lieutenant quand son corps passa à la division Gar-nier de l’armée d’Italie. Déjà renommé par son courage,Berthezène eut l’insigne honneur d’être nommé capitaine sur le’ ' champ de bataille de Saint^Julien, o messidor an vni. A la suite des combats de Sette-Pani, de Ronclii-di-Moglia et de Pouzzole sur le Mincio, il passa chef de bataillon au 72’ régiment de ligne. Compris en 4804 dans la grande promotion de la Légion d’honneur, au camp de Boulogne, il entra comme major au 65e de ligne et obtint trois ans plus tard le grade de colonel du 10e d’infanterie légère. L’Empereur, après la bataille d’Heilsberg, le fit officier de la~* Légion d’honneur et le créa baron de l’Empire, avec une dotation en Westphalie. A peine remis des graves blessures qu’il avait reçues à Eckmûhl, puis à Wagram, il prit, en qualité d’adjudant-général, le commandement des grenadiers de la garde impériale, qui devaient faire la campagne de Russie, et rendit à l’armée les plus utiles services. Nommé général de division le 4 août 1813, il fut forcé de capituler à Dresde par le manque de vivres et de munitions ; mais les coalisés, violant la capitulation, envoyèrent les Français prisonniers en Bohême et en Hongrie. En 1814Berthezène, rentré en France, fut mis en disponibilité. Cependant le maréchal Soult l’appela au comité de la guerre, et Louis XVIII le dé-corade la croix de Saint -Louis ; mais après le débarquement de Napoléon, il s’attacha de nouveau à la fortune de son ancien souverain et combattit vaillamment à Fleuras, à Vavrès, à Bierges, à Namur et sous les murs de Paris. Au re-

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BER BER ( (M ) tour des Bourbons, il dut se réfugier en Belgique. Le maréchal Gouvion-Saint-Gyr le fit rentrer 3n grâce. On le vit successivement membre du comité d’infanterie et inspecteur général. Lors de l’expédition d’Alger, il commanda la V division d’infanterie et ’ contribua beaucoup au succès de nos armes aux combats de Staoueli et de Bouzareah.

Sa belle conduite décida M. de Bour-mont, puis le général Clause ! , à demander pour lui la pairie, qui lui fut accordée deux ans après. Nommé grand officier de la Légion d’honneur, il remplaça en février 1831, le général Clause ! dans le commandement de l’Algérie. L’armée expéditionnaire étant alors réduite à 9,300 hommes, avec ces faibles ressources, le général Berthezène entreprit l’expédition de Médéah. Soulevées par l’intrigue et encouragées par l’affaiblissement de nos forces, lestribus de la plaine se révoltèrent et vinrent nous attaquer au gué de l’Arrach et à la ferme modèle ; quelques heures suffirent pour les battre.

Le général Berthezène, pendant tout le temps qu’il fut gouverneur de l’Algérie, eut une administration ferme et sage, il restreignit les dépenses au strict nécessaire, et donna lui-même l’exemple de la plus grande économie. Cette probité excessive souleva de toutes parts d’interminables criailleries ; on l’accusa de petitesse, d’avarice ; mais le ministère lui rendit pleine justice. Le duc de Ro-vigo le remplaça en janvier 1840.

BERTHIER (Louis-ALEXANDRE)[modifier]

maréchal de France, né à Versailles le 20 novembre 1753. Destiné à l’état militaire, il reçut une éducation soignée.

Berthier fut d’abord officier dans le corps royal du génie, ensuite capitaine de dragons de Lorraine. Il fit la guerre d’Amérique sous les ordres de Lafayette et en revint colonel. Dès le début de la révolution, il fut nommé major général de la garde nationale de Versailles, puis adjudant-général,, chef d’état-major de Luckner ; général de brigade en Vendée, général de division à l’armée d’Italie en 4796, commandant en chef de l’armée qui s’empara de Rome en 1798 ; chef d’état-major général de l’armée d’Égypte ; général en chef de l’armée de réserve, après le 18 brumaire ; ministre de la guerre ; maréchal d’Empire et grand veneur ; prince de Neufchâtel et de Va-lengin (1806) ; chef de la 1" cohorte de la Légion d’honneur ; marié à la fille du prince Guillaume, beau-frère et cousin du roi de Wurtemberg ; colonel général d’artillerie, prince de Wagram et vice-connétable de l’Empire. Berthier fit toutes les campagnes de Napoléon comme major général de l’armée. Le 11 avril 1814, il adhéra au décret du sénat qui excluait Napoléon du trône.- Pair de France, le 4 juin 1814 ; capitaine de l’une des compagnies des gardes du corps. Il suivit Louis XVIII à. Gand et le quitta pour se rendre en Bavière. Le 1er juin 1815, il se donna la mort en se jetant par la fenêtre du palais de Bamberg, ou plutôt, selon la version la plus probable, il fut précipité dans la rue par six hom mes masqués qui s’étaient introduits dans sa chambre. Il avait persécuté les socié tés secrètes, dans sa petite principauté de Neufchâtel. Elles s’en vengèrent, comme se vengent les sociétés secrètes. « Berthier avait une grande activité et il était d’un caractère indécis, peu propre à commander en chef, mais pos sédant toutes les qualités d’un bon chef d’état-major. Il connaissait bien la carte, était rompu à présenter avec simplicité les mouvements les plus composés d’une armée » (Montholon, iome III.)

Berthier, faible et sans esprit, était en Égypte à la tête de ceux qu’on appelait la faction des amoureux. Quand le général T. I.

en chef fut sur le point d’appareiller de Toulon, Berthier accourut de Paris en poste, jour et nuit, pour lui dire qu’il était malade et qu’il ne pouvait le suivre, bien qu’il fût son chef d’état-major. Le général en chef n’y fit seulement pas attention. Berlhier n’était plus aux pieds de celle qui l’avait dépêché avec excuse : aussi s’embarqua-t-il ; mais, arrivé en Égypte, ses souvenirs lui revinrent. Il demanda et obtint de retourner en France ; il prit congé de Napoléon, lui fit ses- adieux ; mais il revint bientôt après, fondant en larmes, disant qu’il ne voulait pas, après tout, se déshonorer, ni séparer sa vie de celle de son général…

L’Empereur croyait bien lui avoir donné 40 millions dans sa vie ; mais il pensait que la faiblesse de son esprit, son peu d’ordre et sa ridicule passion en avaient gaspillé une grandeparlie…

Berthier n’était pas sans talents, mais ses talents, son mérite, étaient spéciaux et techniques. L’Empereur, dans ses campagnes, avait Berthier dans sa voilure. C’était pendant la route, que l’Empereur, parcourant les livres d’ordres et les états de situation, arrêtait ses plans et ordonnait ses manœuvres. Berthier exécutait les ordres et les différents détails avec une régularité, une précision et uneprompti- ; tude admirables. (Las Cases, tome I°\)

Tel était Berthier : soldat plein de bravoure et sans courage civil ; excellent organisateur et hors d’état de commander 500 hommes.—Comme organisateur, on lui doit : la formation de la-’garde des consuls (décembre 1799) ; l’institution des armes d’honneur (1799) ; la création de la Légion d’honneur (20 mai 1802) ; la réunion à Metz des écoles d’application de l’artillerie et du génie (1802) ; l’école militaire spéciale de Fontainebleau (janvier 1803) ; une loi qui accorde despfoBER priétés territoriales aux vétérans, dans les 20e et 27° divisions militaires (avril 1803) ; la création de dix-huit maréchaux d’Empire (19 mai 1804), etc.

BERTHIER (JOSEPH-ALEXANDRE, vicomte)[modifier]

né à Paris le S mars 1792, était le plus jeune des quatre frères de ce nom, qui figurent avec distinction dans l’histoire de l’Empire, entra à l’école militaire en 1809 et en sortit, en février 1812, sous-lieutenant au 16e régiment de chasseurs à cheval. Lieutenant, le 9 août 1812 et chevalier de la Légion d’honneur après avoir été blessé deux fois grièvement, il combattit à la Moskowa en qualité d’officier d’ordonnance du roi de Naples, et reçut une commission d’aide - de - camp auprès du général Bruyère et un ordre pour1 se rendre auprès du général Rapp, gouverneur de Dàntzig. Cette dernière mission était d’autant plus difficile qu’il lui fallut parcourir seul une vaste étendue de pays ennemi, en pleine révolte contre les Français. De là, il alla à Altona, par Hambourg, porter des dépêches pour le général Carra Saint-Cyr.

M. Berthier, de retour à son corps d’armée, assista aux batailles de Lut-zen, de Bautzen et de Gorlitz, où il se fit remarquer par sa vaillante conduite. Il eut un cheval tué sous lui, pendant que son général avait les deux jambes emportées. Nommé capitaine dans un régiment de hussards, en mai 1813, il fut attaché à son frère, le prince major général, en qualité d’aide-de-camp, et nommé chef d’escadron par l’Empereur, en \ 814, pour sa belle conduite à Mon-tereau.

Le 1er juin, même année, M. Berlhier fut nommé sous-lieutenant, avec grade de major, dans la garde du corps, compagnie de Wagram, puis officier de la Légion d’honneur, puis lieutenant, au

PG ) BER grade de colonel, dans la compagnie de Noailles.

En 1823, il commanda un escadron de guerre des gardes, en Espagne ; il fut fait dans cette campagne chevalier de Saint-Louis et de l’ordre de Charles III. Le -11 août 1830, on le nomma maré-chal-de-carnp, et il fut mis en disponibilité.

En 1836, il rentra en activité et commanda dans les Pyrénées-Orientales et en Corse, puis dans les départements de la Meuse et de Vaucluse ; il fut fait commandeur de la Légion d’honneur, le 21 mai 1843. Commandant à Marseille en l’absence du général d’Hautpoul, au moment de la Révolution de février, il y tint une conduite ferme et conciliante, qui lui valut les félicitations et les remerciements de tout le conseil municipal. Obligé de quitter son commandement, il s’était retiré à Paris, attendant que le pays réclamât de nouveau ses ser^ vices, lorsqu’il mourut presque subitement, le 23 janvier, à peine âgé de 57 ans.

Le général Berthier laisse un fils de 20 ans, officier dans l’armée, héritier d’un beau nom auquel il ne saurait faillir. Noblesse et gloire obligent.

BERTHOIS (AUGUSTE-MARIE, baron de)[modifier]

fils d’Un colonel du génie, victime des fureurs aveugles de la populace de Lille qui le pendit à un réverbère, en 1792, sous prétexte de trahison, naquit à’Calais, en 1787. Il fut reçu, en 1804, à l’École polytechnique, le 13e sur 134. Lieutenant du génie, le 1" août 1809, il rejoignit le grand quartier général de l’Empereur à Vienne, et fut irri-médjatement chargé de reconnaître la vallée de la Drave et quelques positions sur la frontière d’Autriche, vers l’Italie et la Turquie ; en 1810, il rejoignit eh Espagne là brigade de siège, destinée à

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agir en Aragon, fit avec le 3e corps, les sièges de Mequinenza, de Sagonte et de Valence, sous le maréchal Suchet, et fut mis à l’ordre de l’armée pour sa belle conduite ; il le fut encore, en 1812, après la bataille de Gastalla et la reconnaissance d’Alicante.

En 1813, il rejoignit le 6e corps en Allemagne, et plus tard le grand quartier général, et ne quitta plus l’Empereur jusqu’à son abdication. Dans ce court espace de temps, il concourut aux travaux de défense de Dresde et de Mayence et assista à dix-neuf batailles ou combats.

Nommé capitaine en Espagne, le 31 juillet 1811, et chef de bataillon, après la bataille de Leipzig, il était proposé pour la croix d’Officier depuis la bataille de Dresde. Chevalier de Saint-Louis, le 5 septembre 1814, il suivit le duc de Berri jusqu’à la frontière, fut employé aux travaux de défense de Paris sous le général Haxo, en mai 1815 ; mis en disponibilité par les Bourbons, envoyé dans les places fortes du Nord, il y resta onze ans et fut nommé lieutenant-colonel, en 1828, etcolonel en mars 1831. Il fut alors employé de nouveau aux travaux de défense de Paris, assista au siège d’Anvers, où il reçut la croix de Commandeur ; fut promu au grade de maréchal-de-camp, en octobre 1838, et nommé membre du comité des fortifications, et inspecteur général du génie.

Il a siégé plusieurs fois à la Chambre législative.

BERTON (JEAN-BAPTISTE)[modifier]

né à Euilly (Ardennes) près Sedan, en 1774, fut élevé à l’école de Brienne, et en 1793, entra comme sous-lieutenant dans les chasseurs des Ardennes. On lit dans un de ses états de service, délivré à Hanovre le 27 floréal an xu de la République : a… A eu un cheval tué sous lui ù

Nerwinde. Il fit 30 prisonniers dans une escarmouche, à Avesnes, avec un détachement.de 25 hommes ; eut un second cheval tué sous lui, le 28 fructidor an îv, en chargeant sur deux pièces d’artillerie ennemies, sur les hauteurs de Nassau. Le 30 floréal an v, il chargea l’ennemi à la tête d’une compagnie, dans la plaine de Wisbaden, fit 50 prisonniers, prit une pièce de canon et.deux caissons, et fit mettre bas les armes à trois compagnies de Croates. Il a fait toutes les cam-gnes de la Révolution et les campagnes de Hanovre avec zèle, bravoure et distinction. » S^ne’.'le général chef d’état-major< BERTHIEH.

Berton fit, en outre, les campagnes des années vu, vin et ix aux armées du Rhin et du Danube, celles des ans xm, xiv, 1806 et 1807 à la grande armée, celles de 1808 à 1813 en Espagne, celle de 1814 à l’armée du Midi, et en 1815 la campagne de Waterloo.

Attaché à l’état-major du maréchal Bernadotte, il le suivit à Austerlitz, à Iéna, etc. Par sa brillante conduite à Lubeck, où fut traqué et pris le général Blûcher, il enleva le grade de chef d’escadron, le plus difficile de tous à obtenir en 1807. Le maréchal Victor qui eut occasion d’apprécier Berton à la bataille de Friedland et d’Espinosa, le proposa à l’Empereur, dans une revue, pour le grade de colonel. L’Empereur, n’ayant pas de régiment libre, fit Berton adjudant-commandant. Le nouvel adjudant se fit remarquer à la bataille de Tala-vera, à Aknonacid > où il enleva la haute position de ce double piton sur lequel s’élève la ville ; à Osana, où il conduisit à l’ennemi les lanciers polonais avec habileté, sang-froid et intrépidité ; à l’affaire de la Sierra-Morena où, à la tête d’un détachement de mille hommes,

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il se rendit maître de Malaga, vigoureusement défendue par 7 à 8,000 Espagnols. Le maréchal Soult lui donna le gouvernement militaire de l’Andalousie. En 1813, lorsque l’armée dut évacuer l’Andalousie à la suite de la bataille des Arypyles, Berton rendit de grands services par sa valeur et par son sang-froid. Enfin, le 30 mai 1813, Napoléon lui conféra le titre de général de brigade. Dans ce nouveau grade, Berton ne démentit pas la belle conduite qu’il avait tenue jusqu’alors ; il se couvrit de gloire à la bataille de Toulouse.

La première Restauration le mit à la retraite. En 1815 Berton commanda une brigade du corps d’Excelmans et se fit encore remarquer à Waterloo.

Mis une deuxième fois à la demi-solde à la seconde Restauration, il employa ses loisirs à des travaux littéraires.

Le 24 février 1822, trompé par des agents provocateurs, Use mit à la tête de 150 hommes, établit un gouvernement provisoire à Thouars et marcha sur Saumùr ; mais bientôt les insurgés se. débandèrent et Berton se réfugia à Laleu chez un de ses amis, trahi par un nommé Wolfel qui feignait de partager ses projets, il fut arrêté par lui, condamné à mort par la Cour royale de Poitiers et exécuté le 6 octobre 1822.

BERTRAND (HENRI-GATIEN, comte)[modifier]

naquit à Châteauroux (Indre) le 28 mars 1773, il avait étudié pour entrer dans les ponts et chaussées ; il servit d’abord dans la garde nationale de Paris. Le 10 août son bataillon se porta aux,Tuileries pour défendre la royauté constitutionnelle. Sous-lieutenant dans la guerre des Pyrénées en 1795 et 1796 ; l’année suivante il fit partie de l’ambassade envoyée à Conslantinople. Employé dans l’expédition d’Égypte, Bertrand y reçut les brevets de lieutenant-colonel, de colonel et de général de brigade. Aide-de-camp de Napoléon après la campagne d’Austerlitz, et général de division, grand maréchal du Palais, à la mort de Duroc en novembre 1813 ; commandant en chef des glorieux débris de l’armée française, après la bataille d’Hanau ; aide-major général de la garde nationale en 1814. Bertrand accompagna Napoléon à l’île d’Elbe et servit comme Ministre de l’Intérieur et Gouverneur des affaires civiles ; revint en France avec lui le 26 février 1815, et le suivit encore à Sainte-Hélène. Le 7 mai 1816, Bertrand fut condamné à mort par contumace ; à son retour en 1821, Louis XVIII annula le jugement et le réintégra dans tous ses grades. Appelé peu après à la Chambre, il siégea à gauche. Chargé de présider à la translation des cendres de l’Empereur, il alla à Sainte-Hélène avec l’escadre ; précédemment il avait remis au roi les armes léguées par Napoléon à la France, et qui devaient être déposées sur son tombeau aux Invalides.

Bertrand fit preuve de talent et de courage à Austerlitz, et, après la bataille on le vit, à la tête d’un faible corps, ramener un grand nombre de prisonniers et 19 pièces de canon. Il attaqua et prit la forteresse de Spandau, le 25 octobre 1806. Il se conduisit vaillamment a Frjedland, et rendit le service le plus essentiel de la campagne à Essling (1809), par la rapide construction des ponts hardis établis sur le Danube. Sans l’active habileté de Bertrand, l’armée française, renfermée dans Unter-Lobau (ile du Danube), ne pouvait se porter sur le champ de bataille de Wagram.

Il rendit des services non moins importants dans les autres campagnes.

Le général Bertrand est mort le 5 février 1844. Sur la proposition de M. de Briqueville ses cendres reposeront aux Invalides auprès de celles de Napoléon. C’est le 15 mai 1847 que le corps du grand maréchal a été déposé dans cette demeure. Il avait épousé Fanny DILLON, parente de l’impératrice Joséphine.

__PAGESEPARATOR__BERTRAND DE SIVRAY (Louis, baron)

né le 23 août 1766, au Luc (Var). Issu d’une famille noble de la Provence, il entra, le 20 juillet 1782, dans la compagnie des cadets-gentilshornmes établis à Lorient ; passa sous-lieutenant le 18 août 1785 dans le régiment de Charles le Bourbon, et fut nommé lieutenant le 1" avril 1788. Ce corps ayant été réincorporé dans le régiment de Pondichéry, le 3 décembre 1785, le jeune Bertrand fut compris dans lanouvelle organisation. Député à l’Assemblée nationale par les "garnisons de l’Inde, le 21 septembre 1791, il se rendit à Paris, et c’est là qu’il apprit par les officiers de son régiment qui étaient de retour en France, sa nomination au grade de capitaine (1792). Aide-de-camp du général Montredon, le 18 août 1793, il fit avec lui la cam-. pagne de cette année à l’armée des Pyrénées-Orientales, et passa successivement avec les mêmes fonctions auprès des généraux Prévost et Pérignon, pendant les campagnes des ans n et m.

Nommé chef de bataillon des chas-seurs-éclaireurs de cette même armée, le 6 ventôse an m, il s’y fit remarquer dans toutes les rencontres avec l’ennemi.

Le 28 thermidor, an vu, il passa avec son grade dans la 41e demi-brigade de ligne, et servit à l’armée d’Italie sous les ordres de Moreau.

Colonel du 3e régiment d’infanterie légère, le 13 prairial an vin, il fit les deux campagnes suivantes en Italie.

Le premier consul le nomma membre de laLégion d’honneur, le 19frimairean xii, et officier du même ordre le 2o prairial suivant.

Le colonel Bertrand fit avec une égale distinction les guerres d’Italie des ans xiu et xiv, et celles de Dalmatie de 1806 à 1808. L’ouverture de la campagne d’Autriche en 1808 lui fournit de nouvelles occasions de se signaler. Au mois de mai 1809, il défendit à la tête de son régiment une position devant Licea, vigoureusement attaquée par les Autrichiens.

Napoléon lui conféra le 9 juin suivant le grade de général de brigade, dans lequel il fut employé à l’armée d’Illyrie, jusqu’au 7 décembre 1810 ; peu après il reçut le titre de baron de l’Empire.

Mis en disponibilité par suite de la réduction de cette armée, il ne reprit de l’activité qu’à l’époque de la campagne de Russie.

Rentré en France,, le 2 février 1813,-il fut appelé, le 6 avril suivant, au commandement du département du Var, et au commandement supérieur des îles d’Hyères. Le 25 novembre de la même-année, le gouvernement le désigna pour remplir les fonctions de chef d’état-ma-jor du général prince d’Essling, commandant supérieur de’ la 8* division militaire ; il conserva cette position jusqu’au 9 janvier 1814. Le 18 avril, le maréchal lui donna l’ordre de prendre le commandement du Var, dans lequel il fut remplacé le 10 mai.

Le général Bertrand fut mis à la retraite le 1er août 1815, et y resta jusqu’au 22 mars 1831, époque à laquelle le nouveau gouvernement le plaça dans le cadre de réserve.

Admis de nouveau à faire valoir ses droits à la retraite, il l’obtint le 1er mai 1832,’et alla en jouirxdans ses foyers, entièrement retiré des affaires.

BESSIÈRES (JEAN-BAPTISTE)[modifier]

maréchal, né à Preissac (Lot), le 6 août, 1768. 11 entra dans la garde constitutionnelle de Louis XVI en 1791, passa adjudant sous-officier dans les chasseurs à cheval des Pyrénées, capitaine dans le 22e régiment de chasseurs, au combat de Ro-veredo, avec six de ses chasseurs, il enleva deux canons à l’ennemi. Commandant des guides du général en chef de BES ( ’ l’armée d’Italie, et colonel du même corps en.Égypte ; général de brigade ; général de division ; maréchal d’Empire en 1804 ; duc d’Istrie en 1808 ; ambassadeur près la cour de Wurtemberg. Mort sur le champ de bataille, à l’attaque du défilé de Rippach en Saxe, le Ie’ mai 1813, veille de la bataille de Lutzen.

Bessières resta constamment attaché à la garde impériale, c’est-à-dire qu’il assista à toutes nos grandes journées. Sa bravoure personnelle était extraordinaire. Il était bon, généreux, d’une loyauté, d’une droiture antique ; adoré de la garde au milieu de laquelle il passait sa vie. A Wagram, un boulet le renverse de son cheval sans le blesser ; Ce fut un cri dé douleur sur toute la ligne. Napoléon accourt au galop et lui dit : « Bessières, voilà un beau boulet ! il a fait pleurer ma garde. » (Napoléon à Saint-Hélène.)

Le maréchal Bessières avait une réputation de bravoure méritée ; il serait impossible de citer tous ses beaux faits d’armes. Il fut remarquable surtout à Roveredo, aux batailles de la Favorite et de Rivoli, à Saint-Jean-d’Acre où il fit des prodiges, à ■Aboukir, à Marengo où il détermina par une dernière charge la retraite de l’ennemi, pendant toute la campagne d’Austeflitz, à Iéna, aux batailles de Friedland et d’Eylau dont il décida le succès. En Espagne, en 1808, Bessières mit le comble à sa gloire par sa victoire de Médina del Rio Secco. Napoléon, en en recevant la nouvelle, s’écria : C’est une seconde bataille de Villa Viciosa (en 1710) ; Bessières a mis mon frère Joseph sur le trône d’Espagne. — Le maréchal duc d’Istrie continua sa glorieuse carrière à Essling et surtout à Wagram, et au moment où il fut tué, en 1813, il commandait en chef toute la cavalerie de l’armée.

BESSIÈRES (BERTRAND, baron)[modifier]

né le 6 janvier 1773, à Preissac (Lot), frère du maréchal duc d’Istrie. Soldat au 17° régiment de cavalerie, le 15 août 1791, le jeune Bessières obtint tous ses grades à la pointe de son sabre. Le 15 brumaire, an II, il était sous-lieutenant, et il passa en cette qualité dans le 22° régiment des chasseurs à cheval. Il fit avec ce corps les campagnes de 1792, 1793 et de l’an n aux armées du centre et du Nord, sous les ordres des généraux Lafayette et Dumouriez.

Nommé lieutenant le 19 messidor aiv, m, Bessières qui avait fait la guerre en Italie pendant les années iv et v, fut incorporé par le général Bonaparte dans la compagnie des guides, le 15 prairial an v, avec le grade de capitaine.

Bessières fut nommé chef d’escadron sur le champ de bataille d’Aboukir, et Colonel du 11e régiment de chasseurs à cheval, le 21 nivôse an vm. .. Rentré en France avec le général Me-nou, il fit les campagnes de l’armée des côtes de l’Océan des ansxu et xm, et fut employé aux camps de Boulogne et de Saint-Omer.

Membre de la Légion d’honneur le 19 frimaire an XII et officier de cet ordre le 25 prairial suivant, l’Empereur le nomma peu de temps après électeur du département du Lot. Il fit avec la grande armée les campagnes de l’an xiv et de 1806.

Le 3 nivôse an xiv, l’Empereur lui remit le brevet de général de brigade pour sa belle conduite à Austerlitz où il avait ’été blessé.

Envoyé à l’armée d’Italie en 1806, il y commanda une brigade de chasseurs à cheval jusqu’en 1808, époque à laquelle il fut employé au corps d’observation des Pyrénées-Orientales, devenu armée de Catalogne ou 7e division de l’armée d’Espagne. Il commanda une brigade de dragons, du 7 décembre 1810 au 4 juin 1811, et fut mis, à cette même date, à la disposition du général Kellermann.

Nommé général de division par décret impérial du 31 juillet, il refusa d’accep-’ ter ce grade dont l’annulation eut lieu le 30 novembre suivant. A la fin de cette année, il battit un corps de cavalerie qui venait au secours d’Astorga. Appelé le 5 décembre au commandement d’une brigade de cuirassiers de la division Saint-Germain, il fit partie de l’expédition de Russie, se distingua au début de la campagne et fit des prodiges de valeur à la bataille de la Moskowa, où il reçut un coup de mitraille à l’épaule gauche.

En 1813, il assista à la bataille de Leipzig avec la lre division du 1er corps de cavalerie et reçut au commencement de l’action un coup de sabre à la tête. Napoléon lui conféra le titre de baron de l’Empire, et lui donna la croix de commandeur.

Resté en disponibilité en 1814, il adressa sa soumission à Louis XVIII qui le nomma chevalier de Saint-Louis.

Le 23 janvier 1815, il fut nommé au commandement du département du Doubs, d’où il passa le 15 avril à celui de Lot-et-Garonne.

Le général Ressières était en non-activité depuis le mois de juillet 1813, lorsque le 24 juin 1818, il fut désigné pour remplir la place de lieutenant de Roi de la place de Calais. Il fut réintégré immédiatement dans le cadre d’activité des, officiers généraux, et le Ministre de la guerre lui confia le commandement de la 1" subdivision militaire..

Nommé lieutenant général le 15 avril 1821, il fut admis à la retraite le 1" décembre 1824.

REURMANN (le baron de)[modifier]

Issu d’une famille de l’Alsace, Jean-Ernest de Reurmann est né, le 25 octobre 1775, à Strasbourg. Soldat dès sa plus tendre jeunesse, il devint rapidement sous-lieutenant en

1790, lieutenant eu 1791’et capitaine en 1792 ; il se trouva au siège d’Anvers, à la bataille de Valmy, à celles de Dunkerque, d’Hondschoote, de Nerwinde, et aux sièges de Maëstiïcht et de Mayence ; puis comme adjoint aux adjudants généraux à la bataille de Fleurus où il fut blessé. Après avoir combattu à Duss’eldorf et à Wurtzbourg, il fit les campagnes de Suisse et d’Italie en 1798 et 1799, et fut fait prisonnier à l’affaire de Saint-Julien.

Le premier consul lui conféra le grade de chef de bataillon lorsqu’il était encore détenu. Mis en liberté, il devint en l’an xi, adjudant commandant et fut employé à Toulon pendant près de deux années. Il y fut nommé officier de la Légion d’honneur, en récompense de ses services.

Depuis, il se trouva aux grandes jour-’ nées d’Ulm, d’Austerlitz et d’Iéna ; à la prise de Lubeck, à Eylau, à Heilsberg, à Kœnigsberg, et donna partout des preuves de la plus rare intrépidité. L’Empereur le créa commandant de la Légion d’honneur en 1807 et baron de l’Empire en 1S08. Passé en Espagne en 1809, le baron de Reurmann, à la tête d’un corps de troupes westphaliennes, déploya la plus brillante valeur au siège de Girone. Ce fut lui qui enleva le couvent retranché de Saint-Denis ; à l’attaque du fort de Mont-Saint-Jean. il monta trois fois à l’assaut. Nommé chef d’état-major, il se signala encore au siège de Fi-guières.

L’Empereur lui conféra le grade de général de brigade le 23 octobre 1810. Le 7 janvier 1812, il se signala encore en enlevant, à la tète de quatre compagnies, une forte position appelée le Calvaire* défendue par 3,000 Espagnols.

En 1814, le général de Reurmann fut chargé d’aller rejoindre le corps d’Auge-reau à Lyon. Il sut conserver la position de la Grange-Blanche dont on lui avait confié Ja défense, repoussa les attaques BEU réitérées de l’ennemi et lui fit éprouver des perles considérables.

Au retour des Bourbons, il fut nommé chevalier du Mérite militaire et chargé en 1818 du commandement de Toulon. En 1830, la ville de Toulon lui décerna une épée d’honneur, en souvenir de sa noble conduite, pendant les circonstances difficiles de cette époque.

On l’a vu successivement depuis lors commandant du département du Var de •1&32 à 1837, époque où il fut placé sur le cadre de réserve, grand officier de la Légion d’honneur’et maire de Toukta.

BEURNONVILLE (PIERRE-RUEL, marquis de)[modifier]

pair, maréchal de France, etc., né le 10 mars 1762 à Champignôles, près dcBar-sur-Aube, fut destiné par ses parents à l’état ecclésiastique ; mais, entraîné par son goût pour l’état militaire, il fut admis à 14 ans dans la gendarmerie de Lunéville. Sous-lieutenant en 1777 dans le régiment colonial de l’Ile-de-France, il se signala dans les trois campagnes de l’Inde, sous les ordres de Suf-fren. Commandant des milices de l’île Bourbon en 1789, il fut destitué par le gouvernement ; il se plaignit au ministre, et obtint pour tout dédommagement la croix de Saint-Louis. Aide-de-camp du iiiaréchal Luckner en 1792, il passa maréchal-de-camp dans la1 même année. Chargé de ladéfeuse du.campdeMaulde, il résista pendant plusieurs mois à des forces supérieures et fit, à cette occasion,, que Dumouriez le surnomma, à cause de sa haute stature et de son courage impétueux, YAjax français. Beurnouville prit part aux journées de Valmy et de Jem-mapes. Chargé de conquérir le Luxembourg, il n’opéra pas cette conquête sans faire quelques pertes qu’il dissimulait dans ses rapports. Il ne craignit pas de dire dans l’un d’eux que l’ennemi avait perdu beaucoup de monde, mais que les Français en avaient été quittes pour le petit doigt d’un chasseur.

On fit alors celte épigrammè :

Quand d’ennemis tués on compte plus de mille, Nous ne perdons qu’un doigt, encor le plus petit.

Holà, Monsieur de Beurnonville,

Le petit doigt n’a pas tout dit.

En février 1793, Beurnonville fut nommé ministre de la guerre, en remplacement de Pache. Adjoint aux commissaires chargés d’aller arrêter Dumouriez dans son camp, Dumouriez donna ordre d’arrêter ces commissaires eux-mêmes et voulait en excepter Beurnonville qui lui dit tout bas : Vous me perdez ! Dumouriez le comprit et le fit arrêter comme les autres. Livré aux Autrichiens, il fut incarcéré dans diverses forteresses pendant trente-sept mois. Échangé en novembre 1795 avec les autres contre la fille de Louis XVI, il fut chargé du commandement de l’armée de Sambre-et-Meuse qu’il ne conserva que quelques mois. En 1797, il fut sur le point d’être nommé membre du Directoire au lieu de Barthélémy.

Au 18 fructidor, il reçut le commandement de l’armée de Hollande, fut bientôt remplacé par Joubert et revint à Paris avec le titre d’inspecteur général.

Au 18 brumaire, il favorisa les projets de Bonaparte, et en reçut l’ambassade de Berlin. A son retour, il rapporta une correspondance qui révélait les intrigues du parti royaliste, et qui fut imprimée sous le titre de : Papiers saisis à Bareuth. Il fut ensuite envoyé à Madrid, et à son retour, nommé sénateur, grand officier de la Légion d’honneur, comte de l’Empire ; mais de tous les généraux de la Révolution, il fut le seul exclu du titre de maréchal, Napoléon, dit-on, ne lui accordant aucune capacité militaire.

Membre du gouvernement provisoire en 1814, Louis XVIII le nomma à son retour pair de France et membre de son conseil privé. Proscrit par un décret pendant les Cent-Jours, il suivit le roi à Gand et lui resta toujours dévoué. En 1816, il fut nommé commandeur de l’ordre de Saint-Louis, marquis, maréchal de France, cordon bleu, etc.

Beurnonville mourut le 23 avril 182Π; il était grand dignitaire de l’ordre de la Franc-Maçonnerie.

BEURNONVILLE (ETIENNE-MARTIN, baron de)[modifier]

né à la Ferté-sur-Aube (Haute-Marne), le 11 juillet 1789. D’abord destiné à la marine, puis admis à l’École militaire de Fontainebleau, le 15 décembre 1806, en sortit le 27 février 1807, âgé de 16 ans et demi, avec le grade de sous-lieutenant au 27e d’infanterie légère, division Yillate, 1er corps,fsous les ordres de Bernadotte, et fit la campagne de Prusse.

En 1808, le 1er corps, commandé alors par Victor, passa en Espagne. M. de Beurnonville assista avec le 27e léger, aux combats de Durango, de Balmaseda, et à la bataille d’Espinosa ;

Lieutenant le 24 novembre suivant, il assista au combat de Somo-Sierra, à la prise de Madrid, aux batailles d’Uclès et de Medellin.

Aide-de-camp de Macdonald.en 1810 et 1811, ce fut lui qui porta à Paris les drapeaux de la garnison de Figuières ; il était capitaine aide-de-camp depuis le 26 juin 1810. Il était avec Macdonald à la campagne de Russie, au. siège de Riga.

Chef de bataillon le 13 avril 1813, il assista à l’attaque de Mersebourg, à Lut-zen et à’Bautzen et à tous les combats livrés par le 11* corps. Il prit part, toujours avec Macdonald, aux opérations de l’armée de Silésie, aux batailles du 16 et du 18 octobre devant Leipzig. Le 19, il couvrait la retraite avec les débris des 5" et 11’ corps, et faillit périr avec Poniatowski en traversant la Pleiss. Le 30 octobre, à Hanau, il prit le commandement du 22e léger, dont le colonel venait d’être tué. Il ne fut réellement nommé que le 7 novembre suivant. Le 29 novembre, il combattit avec un courage héroïque contre Bulow, et une balle lui traversa la poitrine.

Après le départ de Napoléon pour l’île d’Elbe, M. de Beurnonville s’attacha sincèrement aux Bourbons, fut fait chevalier de Saint-Louis le 7 août 4814, et baron le 6 décembre suivant. Il avait été nommé colonel du 1" léger le 20 mai 1814.’

Le 20 mars 1815, plusieurs régiments de la garnison de Paris concentrés à Ris avaient quitté la cocarde blanche et s’étaient dirigées sur Fontainebleau au-devant de Napoléon ; le Ie* léger, commandé par Beurnouville demeura calme et immobile. Le colonel Beurnouville fut mis à la retraite le 22 mars.

Au retour de Louis XVIII, il fut nommé colonel du 6e d’infanterie de la garde royale ; le 7 novembre, il-fut fait maréchal-de-camp, sans perdre son régiment, et commandeur de la Légion d’honneur le 18 mai 1820.

Après la mort du maréchal Beurnonville, le 23 avril 1821, son neveu fut élevé à la dignité de pair. Le 17 juillet 1822, il suivit le duc d’Ang.oulême en Espagne, en qualité d’aide-de-camp, reçut la croix de 4." classe de l’ordre de Saint-Ferdinand, et deux ans après, fut nommé grand officier de la Légion d’honneur.

Absent de Paris pendant les journées de juillet, il rejoignit le duc d’Angoû-lême à Saint-LÔ, et l’accompagna jusqu’à Cherbourg.

Pair de France, il s’incrivit contre la proposition Baude, relative à l’expulsion des Bourbons de la branche aînée, et, lors de la discussion de l’art. 23 de la Charte qui prononçait l’abolition de l’hérédité de la pairie, il ne voulut pas participer à ce qu’il croyait un suicide politique et donna sa démission.

BIGARRÉ (AUGUSTE JULIEN, comte de)[modifier]

né à Belle-Isle en mer (Morbihan), le 1er janvier 1775. Son père appartenait à la magistrature. A l’âge de 14 ans, Auguste Bigarré s’embarqua comme marin pour les Antilles, fit quatre voyages à Saint-Domingue et guerroya contre les nègres révoltés. De retour en France, il fut nommé en 1792 soùs-lieutenant au 9e régiment d’infanterie, ci-devant Normandie, fut blessé à Quiberon sous le général Hoche qui le nomma lieutenant. En l’an v, il était capitaine de carabiniers dans la lie légion des crânes et fit partie de l’expédition d’Irlande. Ce fut à bord du vaisseau les Droits de l’homme qu’il combattit pendant douze heures contre un vaisseau anglais et une frégate.

Après cette expédition malheureuse, il fit plusieurs campagnes sous les ordres de Hoche et de Moveau, et se distingua partout. Nommé capitaine dans les chasseurs à pied de la gardé des consuls, il arrêta aux Tuileries, un jour de garde, un fou qui voulait assassiner Napoléon. Peu après il eut sa nomination de major au 4e de ligne, commandé par Joseph Bonaparte. Il fit avec ce grade les campagnes d’Ulm et d’Austerlitz ; Dans cette dernière bataille, il s’empara d’une batterie formidable ; mais il perdit une des aigles de son régiment enlevée au sergent-major Saint-Cyr, neveu du maréchal, après que ce jeune homme eut reçu 14 coups de sabre sur la tête et sur les mains. Pour réparer cet affront, vers la fin de la bataille, le 2e bataillon du -i6 de ligne, ayant à sa tête le major Bigarré et le commandant Calez, s’empara du régiment russe dé Moscou, de son colonel et de deux drapeaux. L’Empereur fit rendre une nouvelle aigle au régiment et nomma Bigarré officier de la Légion d’honneur.

Joseph Bonaparte, devenu roi de Na-ples, appela Bigarré comme aide-de-camp auprès de sa personne, et le nomma maréclial-de-camp en 1808. Au départ de Joseph pour l’Espagne, Bigarréle suivit avec le même titre et assista aux diverses batailles commandées par le roi Joseph.

Après la débâcle de Vittoria et la rentrée de l’armée en France, il alla rejoindre l’Empereur qui lui donna le commandement d’une brigade sous les ordres de Macdonald. Il fit avec ce corps la campagne de 1813, fut nommé lieutenant-général et baron après la bataille de Craonne, à l’issue de laquelle le maréchal Ney vint le complimenter de la part de l’Empereur sur la bravoure avec laquelle sa division avait tenu la droite de l’armée russeenéchec. Peu de jours après, l’Empereur lui donna le commandement d’une division de la jeune garde sous les ordres du duc de Trévise.

Après la chute de Napoléon, le roi Louis -XYIII l’envoya commander le département d’Ille-et-Vilaine, et lui donna la croix de Saint-Louis et celle de commandant de la Légion d’honneur.

Après le débarquement de l’Empereur à Cannes, il reçut le commandement de la 13e division et ne put empêcher l’explosion de la guerre civile dans le Morbihan. Dans une rencontre avec les Chouans, il reçut un coup de feu à travers le corps. Après la bataille de Waterloo on lui ôta son commandement, et il resta en non-activité jusqu’à 1830. A cette époque il prit de son propre mouvement le commandement de la 13e division, et fut maintenu’par Louis-Philippe qui le nomma grand officier de la Légion d’honneur et inspecteur général d’infanterie en 1835 et 1836.

BILLARD (PIERRE-JOSEPH, baron)[modifier]

né le 28 décembre 1772, à Paris. Après avoir fait ses études au collège Mazarin, il entra comme aspirant volontaire, le 7 mars 1787, dans la marine royale, et fit, à bord de la gabarre la Guiane, du sloop l’Amitié et de la corvette l’Ariel, les campagnes de 1787-1788 et 1789 ;

A son retour en France, au mois de février 1790, il fit partie de la garde nationale de Paris jusqu’au 12 janvier 1792, époque de sa nomination au grade de sous-lieutenant dans le 34e régiment d’infanterie,. dont le 2e bataillon fut incorporé, en l’an n, dans la 68e demi-brigade d’infanterie, devenue, eii l’an iv, 15e demi-brigade de ligne.

Lieutenant, le 28 mai suivant, il fit les guerres de 1792 à l’an v, à l’armée du Nord, et assista à la bataille de Jemma-pes, au siège de Maëstricht, aux affaires de Saint-Tron, de Tirlemont, et à la bataille de Nerwinde. L’armée ayant été dissoute au camp sous Tournai, le bataillon auquel il appartenait alla tenir garnison à Lille, et fit ensuite partie du camp de la Madeleine, établi sous les murs de cette place. Le jeune Billard eut alors le commandement d’une compagnie de tirailleurs aux avant-postes. Au mois de germinal an’n, l’armée se mit en-mouvement, et la 68° demi-brigade prit une part glorieuse aux affaires de Menin, de Courtrai, de Turcoing, d’Ypres, d’Hoo-glède, de Bois-le-Duc et de Nimègue. Le 29 floréal an n, à la bataille de Turcoing, le lieutenant Billard reprit 2 pièces de canon que les Français avaient abandonnées, et, le 30 prairial suivant, à Hoo-glède, il contribua à la défaite du régiment de dragons de Latour. Appelé à remplir les fonctions d’adjudant-major le 28 floréal an iv, et nommé capitaine de grenadiers le 5 frimaire an v, il passa, le 22 messidor, en qualité d’aide-de-camp auprès du général Schérer, devint chef de

5) B1L bataillon le 17 pluviôse an vu, et servit en Italie pendant une partie de cette dernière année. Placé comme adjoint à l’état-major de la 17" division militaire (Paris), le 1S thermidor, il s’y trouvait encore au mois de brumaire an viu, et il se rendit avec le général Andréossy à Saint-Cloud. La conduite du commandant Billard, pendant les journées des 18 et 19, lui valut un sabre de la manufacture de Versailles, que lui donna le premier consul.

Chargé de plusieurs missions importantes pour l’armée de l’Ouest, et particulièrement d’une reconnaissance des côtes de là Manche, il s’en acquitta avec un plein succès.

Le 13 floréal an xi, il fut mis à la disposition du général Mortier, et resta à l’armée de Hanovre pendant une partie de l’an xi et en l’an XII. Aide-de-camp de cet officier général, alors commandant de l’artillerie consulaire, le 12 frimaire an XII, et créé membre et officier de la Légion d’honneur le 2b prairial, il conserva ses fonctions auprès de son général, lorsque celui-ci fut élevé à la dignité de maréchal de l’Empire. Il l’accompagna au camp de Boulogne et à la grande armée pendant les campagnes de l’an xiv et de 1806 en Autriche.

Après la prise d’Ulm, il suivit les opérations du corps du maréchal Mortier sur la rive gauche du Danube, et prit part au combat de Diernstein, le 20 brumaire an xiv.

Nommé colonel le 10 juillet 1806, il continua ses fonctions d’aide-de-camp jusqu’au 14 août, et alla prendre le commandement du 29e régiment d’infanterie de ligne qui appartenait à l’armée de Naples. C’est à la tête de ce corps qu’il concourut à l’expédition des Calabres en 1807 et 1808.

Chargé de la prise de Crotone, il l’en-léva en quarante-huit heures avec deux bataillons de son régiment et trois cents hommes de la garde civique. Quoique les approches de cette place fussent défendues par un grand nombre d’insurgés, et que la place elle-même renfermât une garnison de troupes régulières. L’occupation de Crotone était de la plus grande importance, tant à cause de son port que par la facilité qu’avaient de débarquer sur ce point tous les hommes qu’on envoyait de Sicile. Aussi le roi Joseph lui témoigna-t-il sa satisfaction par une lettre autographe rédigée dans les termes les plus honorables pour le 29e de ligne et pour son chef.

Le 28 mai 1807, le 29" de ligne trouva encore l’occasion de se signaler à l’affaire de Mileto, et le général Régnier cita particulièrement dans son rapport le colonel-Billard. Le 29e de ligne eut, dans cette circonstance, vingt-et-un officiers et trois-cent trente sous-officiers et soldats mis hors de combat. A la fin de 1808, le colonel Billard commandait l’île de Pro-cida, et pendant son séjour une escadre anglaise, composée de cinq vaisseaux et de six frégates, se présenta devant l’île. Un parlementaire vint sommer le colonel de rendre la place, mais celui-ci lui répondit que les Français n’avaient pas pour habitude de se rendre à une première invitation. L’officier anglais se retira, et, après quelques démonstrations sans résultat, l’escadre ennemie leva l’ancre et se dirigea sur Ischia, où elle n’obtint pas plus de succès.

En 1809 il fit partie de l’armée sous les ordres du prince Eugène, et se trouva au combat devant Caldiero, au passage de la Piave, à la.bataille de Raab, et au combat du 5 juillet au soir, ou l’armée d’Italie éprouva un’ échec en voulant s’emparer du plateau de Wagram. Le 29q de ligne eut, dans cette affaire, soixanle-.dix officiers tués ou blessés, et le colonel y perdit un cheval tué sous lui.

Le soir, le prince dit au colonel en le voyant : « On m’avait annoncé la triste anouvelle que votre régiment était en-« tièrement détruit, et que vous étiez au « nombre des blessés. — Non, » répondit le colonel, « et j’espère que demain « les faibles débris du 29e et moi nous « prendrons notre revanche. » En effet, les deux divisions Broussier et Lamarque se couvrirent de gloire. Les colonels des 13° et 9e régiment furent tués, le colonel Billard eut la moitié de son chapeau emporté par un boulet, et son cheval blessé sous lui. Le général commandant la brigade, mis hors de combat dès le commencement de l’action, avait laissé le commandement au colonel Billard, qui l’avait conservé pendant toute la journée.

L’Empereur, par décret du 1b août 1809, lui accorda le titre de baron de l’Empire, avec une dotation de 6,000 fr. de rente. Le prince plaça le 29e de ligne dans la division du général Barbou, qui, réunie au corps du général Baraguay d’Hilliers, était chargée de pacifier le Tyrol. La prise du malheureux Hoffer, chef des insurgés, fut le résultat des habiles dispositions du colonel Billard. Au commencement de 1810, les Tyroliens s’étant soumis, le 29e se rendit àLi-vourne, où il tint garnison jusqu’en 1811, époque à laquelle il fut envoyé à Toulon. En arrivant dans cette place, le colonel Billard reçut sa nomination au grade de général de brigade, auquel il avait étéélcvé le 6 août 1811. Il demeura chargé du commandement du département du Var et spécialement des troupes en garnison à Toulon.

Le 29 mars 1812, il reçut l’ordre de se rendre à Wesel pour y prendre le commandement de la 3e brigade de la 12* division d’infanterie, faisant partie du 9° côrps^ de la grande armée. C’est à la tête de ces troupes qu’il fit la mémorable campagne de Russie. Le 9’ corps chargé de l’arrière-garde de l’armée, n’eut jusqu’à son arrivée à Smolensk que d’es engagements de peu d’importance.

Cependant le duc de Bellune ayant réuni à son commandement celui du corps du duc de Reggio, qui avait été mis hors de combat, crut devoir faire une reconnaissance des forces de l’ennemi. C’était la première fois que le 9° corps se trouvait en ligne. Cette reconnaissance, par l’acharnement qui eut lieu de part et d’autre, devint un véritable combat dans lequel le 9° corps, qui était en tête, perdit du monde sans obtenir de résultat décisif. La brigade Billard qui tenait la gauche, eut ordre de se porter dans cette direction pour rétablir la communication de la route, ce qu’elle exécuta en faisant 200 prisonniers.

L’aide-de-camp russe Boutôurlin a prétendu dans son ouvrage sur Ja guerre de 1812 (tome n, page 359) que, dans une des affaires qui eurent lieu, la brigade Billard, à l’approche de l’artillerie russe, n’attendit pas l’ennemi et se retira. C’est une erreur qu’il importe de rectifier. Le général Billard, commandant l’avant-garde, renforcé par les lanciers de Berg, ne fut point attaqué et passa la nuit dans sa position, appuyé au village de Batoury. Il y eut à la vérité un bataillon de la lrc brigade qui fut fait prisonnier. H avait été envoyé le matin avec les lanciers de Berg pour faire une reconnaissance dont le résultat fut la retraite des lanciers et la prise du bataillon. Le général Billard voyant revenir les lanciers, qui étaient vivement pressés par une quantité innombrable de Cosaques, se porta en avant et arrêta la cavalerie ennemie. Il envoya demander au général Patournaux deux pièces de canon pour aller au secours du bataillon compromis, mais ces pièces n’arrivèrent pas à temps. Le 9e corps ayant reçu l’ordre quelque temps après de se tenir en mesure de pouvoir faire face à Wittgenstein et à Tchitchakow, et cependant de ne pas compromettre des troupes sur lesquelles l’Empereur comptait pour protéger son mouvement rétrograde sur Smolensk, il lui devenait impossible d’entreprendre quelque chose de sérieux y ainsi ce corps se fondit sans avoir rendu les services qu’on pouvait attendre de lui. Les marches’et les contre-marches, plus que les combats, l’avaient réduit de moitié au moment où il fut chargé du commandement de l’arrière-garde. La 42e division qui, en entrant en campagne, était forte de 12,500 hommes, en comptait alors à peine 3,000.

Le 28 novembre, le général Billard, avec sa brigade, dont l’effectif ne dépassait pas 1,000 combattants, eut mission de rejeter de l’autre côté de la Bérésina les troupes de Tchitchakow, qui s’étaient introduites dans Borisovyen passant un à un sur les débris du pont brûlé. Les dispositions qu’il’prit eurent tout le succès qu’on pouvait en espérer. Un bataillon du 44e de ligne ayant chargé à la baïonnette tandis que le 126e se portait au point de retraite de l’ennemi, un grand nombre de Russes trouvèrent la mort ou se noyèrent en voulant passer Irop précipitamment le fleuve. Le général Billard, relevé par la brigade du général Blan-mont, alla rejoindre le général de division Patournaux," qui se trouvait arrêté avec la i" brigade par le corps du comte de Wittgenstein. Le général Patournaux à la tête des troupes du général Billard, réduites à 430 combattants, prit une direction à droite dans l’intention de chercher un gué où il pût faire passer sa division. Il envoya des officiers pour prévenir les deux autres brigades de ce mouvement, mais cet avis ne parvint pas aux généraux Camus et Blanmont qui, ne recevant pas d’ordres, se retirèrent sur le plateau de Borisow, après avoir vainement essayé de se frayer un passage. Cette malheureuse division, après des efforts inouïs, exténuée par le froid, la fatigue et les privations, fut obligée de mettre bas les armes. Le général Billard, conduit à Witepsk, ne rentra en France qu’au mois de juillet 1814.

Chevalier de Saint-Louis et commandeur de la Légion d’honneur, lès 13 et 23 août suivant, le général Billard fut mis en non-activité le 1er septembre, et nommé inspecteur d’infanterie adjoint dans la 6" division militaire le 16 janvier 1815 ; il exerçait encore ces fonctions lorsque Napoléon revint de l’île d’Elbe.

Dès le 31 mars, un décret lui donna le commandement d’une brigade à la 4e division du corps d’armée du comte Reille, mais il passa ensuite à la 1" brigade de la 8e division du 3e corps de l’armée du Nord, avec lequel il fit la campagne des Cent-Jours. Son cheval s’étant renversé sur lui, le 15 juin, en combattant dans le village de Saint-Amand, il fut obligé de se rendre à Paris pour y soigner sa santé, et fut mis en non-activité vers la fin de l’année.

De 1816 à 1821, il exerça les fonctions d’inspecteur général des troupes d’infanterie dans différentes divisions militaires. Appelé à faire partie du comité consultatif d’inspection, il y montra les connaissances d’un officier habitué au maniement des troupes, et passa, le 26 décembre 1821, au commandement de la 1" subdivision delà 5e division militaire.

Promu au grade de lieutenant-général et mis en disponibilité le 30 juillet 1823, il remplit les fonctions d’inspecteur général d’infanterie dans les 2e et 16e divisions militaires le 29 juin 1825, commanda la 1" division du camp de Saint-Omer en 1827, fut en même temps chargé de l’inspection des troupes de cette division, et reçut le 15 septembre la décoration de commandeur de Saint-Louis. Il continua ses fonctions d’inspecteur général pendant les années suivantes, devint gentilhomme honoraire de la chambre du roi, et fut compris comme disponible dans le cadre d’activité de l’état-major général le 7 février 1831.

Envoyé à Bruxelles, pour l’organisation et l’inspection des troupes de l’armée belge le 4 septembre suivant, il ne voulut point accepter les offres que lui fit le roi Léopold de prendre du service en Belgique et rentra en France le 14 janvier 1832.

Chargé le 25 mai 1833 de l’inspection générale des troupes d’infanterie de la 13e division militaire, il passa au commandement de la sixième (Besançon) le 16 novembre 1835. Grand officier de la Légion d’honneur le 16 février -1837, et commandeur de l’ordre de Léopold de Belgique le 10 octobre suivant, il fut admis à la pension de retraite le 24 janvier 1838, et se retira à Paris pour y résider.

BISMARK (le comte de)[modifier]

lieutenant-général, commandant en chef de la cavalerie du royaume de Wurtemberg, etc. Frédéric-Guillaume, comte de Bismark, descendant d’une ancienne famille noble, d’origine slave, naquit à Win-dheim, en Westphalie, le 28 juillet 1783. En 1796, il entra comme enseigne dans l’armée hanovrienne.

En 1803, lors de l’occupation du Hanovre par l’armée française, il prit du service dans les troupes du duc de Nassau. En 1804, il se retira en Angleterre, où il entra dans la légion anglo-hano-vrienne. En 1805, il prit part à l’expédition des Anglais dans le nord de l’Alle-lemagne. En 1807, il entra, comme capitaine, dans l’armée wurtembergeoise. Dans la campagne de 1809 contre l’Autriche, il se signala surtout au combat de Riedau, où sa conduite le fit remarquer par l’empereur Napoléon, qui lui donna la croix. — Il fit la campagne de Russie dans le 3e corps de la grande armée, commandé par le maréchal Ney, et fit preuve d’une grande intrépidité unie à une habileté remarquable. A la bataille de la Mos-kowa, il eut trois chevaux tués sous lui ; le comte de Bismark, alors chef d’escadron, dut prendre le commandement du régiment, réduit à 7o hommes. — Après le passage de la Bérésina, il fut chargé de ramener en Wurtemberg les faibles restes du contingent de ce royaume. — En 1813, il rentra en ligne -à la tête du 1er régiment de chevau-légers, et se couvrit de gloire à Bautzen et à Seiffersdorf, où il fut promu au grade d’officier de la Légion d’honneur. A Leipzig, il fut fait prisonnier.

Après la réunion du "Wurtemberg à la coalition, le comte de Bismarkfut nommé colonel, chef d’élat-major du prince Adam, qui commandait la cavalerie wurtembergeoise ; il lit en cette qualité les deux campagnes de France et se distingua sous les murs de Strasbourg, en 1815.

Après la paix, il fut nommé aide-de-camp général du roi de Wurtemberg, major général de la cavalerie en 1819, puis successivement membre à vie de la première chambre de Wurtemberg, ambassadeur à Carlsruhe, à Berlin, à Dresde, à Hanovre, et enfin en 1830, lieutenant-général commandant en chef de la cavalerie du royaume de Wurtemberg.

Le comte de Bismark a écrit un grand nombre d’ouvrages estimés sur l’art militaire ;

BISSON (PIERRE-FRANÇOIS - JOSEPH, comte)[modifier]

enfant de troupe, né à Montpellier, le 16 février 1767, passa par les grades inférieurs et ne devint officier qu’après la Révolution. Il fut nommé en l’an n, chef de bataillon à l’armée de Sambre-et-Meuse. Chargé de la défense du Gatelet, le 23 mai 1793, et enfermé dans cette place avec 60 grenadiers et 50 dragons, il se vit investi par 6,000 hommes de troupes ennemies. Bisson, pour leur cacher la faiblesse de la garnison, plaça ses grenadiers en tirailleurs devant les gués principaux, en avant d’un pont qu’il fit couper, puis il partagea sa cavalerie en trois pelotons, ayant l’ordre de se tenir constamment en mouvement, tandis que dans la place, deux tambours battaient continuellement là générale sur différents points, ce qui fit supposer aux assiégeants la présence de nombreux défenseurs.’ Ils se préparèrent donc à former le siège en règle du Cate-let ; mais ils se retirèrent dès qu’ils apprirent que le général Legrand amenait des secours à la garnison.

A l’affaire de Messenheim, le comman^ dant Bisson, à la tête d’un bataillon de 417 hommes seulement, soutint le choc. de 3,000 fantassins et 1,200 cavaliers ennemis. Après avoir perdu, dans ce combat opiniâtre, le tiers de ses soldats, ce qui rendait sa position on ne peut plus critique, il sut se tirer d’embarras par un admirable coup d’audace. Il précipita son cheval au milieu de la colonne ennemie, sabra, culbuta tout ce qui barrait lé passage, traversa la Naw à la nage, courut prendre position à Kirn, occupa tous les défilés et arrêta les progrès de l’ennemi.

Nommé, le 17 messidor an vu, chef de la 43e demi-brigade, il se conduisit avec tant de bravoure et d’intelligence- à la bataille de Marengo, le 25prairiâl an xnr, que le prerriier consul le fit général de brigade le 16 messidor suivant. Le 5 nivôse an ix, il contribua puissamment au passage du Mincio, et le même jour, il se rendit maître de la forteresse de Monzambano après un combat sanglant. Il commanda ensuite la 6° division militaire, et quand, le 19 frimaire an xn, la croix de la Légion d’honneur lui fut décernée, il était attaché à la première division.du camp de Saint-Omer. Nommé commandant de l’ordre le 25 prairial suivant et général de division le 12 pluviôse an xm, il fit la campagne d’Allemagne sous le prince d’Eckmiihl. Blessé dangereusement au passage de la Traun, l’Empereur récompensa ses longs services en lui décernant, le 4 nivôse an xiv, le titre de grand officier de la Légion d’honneur et en lui conférant le gouvernement général des États de Brunswick’, des principautés de Hildesheim, d’Alberstadt, d’Eichsfeld, ainsi que des villes de Goslar et de Mulhausen. ; il fut aussi gouverneur de Frioul et du comté de Gorezzia.

En 1807, il fit avec Ney la campagne de Prusse et de Pologne, et prit une honorable part a la fameuse bataille de Friedland, livrée le 13 juin,

Créé comte de l’Empire en 1808, l’Empereur lui accorda une dotation de 30,000 francs sur les domaines de Neu-hans et de Lauenbourg, situés en Hanovre.

Le général Bisson avait une haute stature, mais il était devenu d’une obésité extrême. Ce fut sans doute à cause de celte corpulence extraordinaire qu’il cessa, quoique jeune encore, de coopérer activement aux luttes de l’Empire. Depuis 1807 jusqu’au 26 juillet 1811, époque où il mourut à Mantoue : il resta étranger aux victoires de l’armée française. Il ne jouissait pas seulement d’une grande réputation de bravoure, il passait aussi pour un gourmand de distinction. Son appétit était tel, qu’il recevait de l’Empereur un traitement supplémentaire et spécial pour y pourvoir. Brillât-Savarin lui a consacré les lignes suivantes dans sa Physiologie du goût : « C’est ainsi, dit-il, que le général Bisson, qui buvait chaque jour huit bouteilles de vin à son déjeuner, n’avait pas l’air d’y toucher. Il avait un plus grand verre que les autres, elle vidait plus souvent ; mais on eût dit qu’il n’y faisait pas attention ; et tout en humant ainsi seize litres de liquide, il n’était pas plus empêché de plaisanter et de donner ses ordres que s’il n’eût dû boire qu’un carafon. »

Son nom figure sur le monument de l’Etoile, côté est.

BIZANNET (N.)[modifier]

simple soldat, passa par tous les grades, et parvint, par son seul courage, à celui de général. Il défendit Monaco en 1793, il commanda ensuite Toulon en 1814 ; il fut chargé de la défense de Berg-op-Zoom, ayant sous ses ordres les marins de la garde. Bizan-net commanda Marseille pendant les Cent-Jours sous les ordres de Brune.

A Berg-op-Zoom, Bizannet avait 2,700 combattants ; un général anglais, à la faveur de la nuit et d’intelligences avec les habitants, s’y introduit avec 4,800 hommes d’élite. Ils sont dans la place ; la population est pour eux ; on se bat dans toutes les rues, et la presque totalité de la troupe anglaise est tuée ou demeure.prisonnière.

BLANIAC (GUILLAUME-JOSEPH-LAFON)[modifier]

né à Villeneuve-d’Agen, entra au service en 1792, comme sous-lieutenant au 5e régiment de chasseurs à cheval, fit la campagne de l’armée du Nord, et se trouva à la bataille de Hondschoote et à la prise de Furnes. Il se distingua ensuite en Italie où il gagna les épaulettes de capitaine. Après la paix de Campo-For-mio, il fit partie de l’expédition d’Égypte en qualité d’aide-de-camp de Berthier,

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se trouva à la prise d’Alexandrie, au combat de Damanhour et fut nommé chef d’escadron au 20" dragons.

Sa conduite dans plusieurs affaires lui valut le grade d’adjudant-général. Chef de l’état-major de la cavalerie à la bataille d’Alexandrie contre les Anglais, cet officier, enveloppé de toutes parts, blessé d’un coup de fusil reçu à bout ^portant, percé de coups de baïonnette, refusa de se rendre et se-fit jour à coups de sabre. Nommé alors colonel du 14e dragons, il fit la campagne de 1805 avec ce corps et assista à. la conquête du royaume de Naples.

Devenu général de brigade, il apaisa les soulèvements de la Calabre et devint gouverneur de Naples, puis de Madrid, en 1810. Depuis cette année jusqu’à la bataille de Vittoria, en 1813. et pendant toute la guerre d’Espagne, il fit preuve de grands talents militaires, qui lui valurent enfin le grade de général de division. Il abandonna le service en 181 S.

BLEIN (ANGE-FRANÇOIS-ALEXANDRE, baron)[modifier]

né le 2o novembre 1767, à Bourg-lès-Valence (Drôme). Élève à l’école des ponts et chaussées le 1" janvier 1785, il en sortit le 1er janvier 1789 avec le grade d’ingénieur ordinaire. Après avoir été employé comme élève et comme ingénieur aux travaux du Tréport et de Cherbourg, il alla rejoindre l’armée du "Var en 1793, et s’occupa de la construction du pont de ce nom et des retranchements du mont Gros.

Capitaine au corps du génie militaire, le 3 messidor an n, il passa à l’armée de Sambre-et-Meuse, où il prit part à plusieurs affaires d’avant-garde, au blocus et aux préparatifs du siège de Valenciennes, et, à la fin de cette campagne, au siège de Maëstricht. .

Employé dans le mois de thermidor, T. I.

an m, aux travaux du canal de Sambre-et-Oise, à Landrecies, et envoyé dans le mois de messidor, an vi, à l’armée de Mayence, il fit la campagne suivante aux armées du Danube et d’Helvétie, servit au siège de Philisbourg, et mit les places de Manheim et de Cassel en état de’défense.

Nommé chef de bataillon, le 17 thermidor an vu, il se trouva, en l’an vin, au passage du Rhin, à l’affaire deNeres-heim, le 5 messidor, et au blocus d’Ulm. Il suivit, en l’an ix, le général Moreau à l’armée du Rhin, et se trouva à l’affaire de Haag, à la bataille de Hohenlinden, aux passages de l’Inn et de la Saale, les 10, 12, 18 et 22 frimaire.

Après la paix de Lunéville, le gouvernement lui confia la direction des fortifications de Saint-Quentin.

Attaché à l’état-major général de Berthier, il fit les guerres des ans XII et xm à l’armée des côtes de l’Océan, où il reçut, le 2o prairial an xn, la décoration de la Légion d’honneur.

Attaché au grand quartier général pendant la campagne de l’an xiv en Autriche, il prit part aux batailles de Wer-tingen et d’Austerlitz, et devint colonel le S nivôse. Détaché, après la bataille d’Iéna, au 9" corps en Silésie, il servit au siège de Breslau, et contribua, l’année suivante, à la reddition des places de Brieg, de Schweinilz, de Kosel, de Reiss et de Silberberg. Sa conduite distinguée à l’affaire qui eut lieu en avant de Glafz et à la prise du camp retranché devant cette place, lui mérita, le 5 juillet 1807, la décoration d’officier de la Légion d’honneur.

Il partit pour l’armée d’Espagne en Î808, en qualité de commandant du génie du quartier général, et il se signala cette même année à la bataille de Somo-Sierra, à la prise de Madrid, et pendant toute la campagne dite d’Astorga.

BLU ( i Envoyé en mission près le maréchal duc de Dalmatie, il assisla, le 30 janvier 1809, à la prise du Férolle. Rappelé à la grande armée d’Allemagne peu de temps après, il prit part, en qualité de chef d’état-major général du génie, aux batailles de Thann, de Landshutt, d’Eckmuhl, à la prise de Ratisbonne et de Vienne, ù la bataille d’Essling, au passage du Danube, à la bataille de Wagram et au combat de Znaïm ; il fut blessé à Landshutt et à Ratisbonne.

Diversement employé, delSlO à 1811, il fit partie de la grande armée de 1812 à 1814. L’Empereur l’avait nommé général de brigade le 22 juillet 1813, et commandant de la Légion d’honneur le 3 avril 1814. Louis XVIII le créa eheva-lier de Saint-Louis le 8 juillet suivant, et prononça son admission à la retraite le 1" août 1815.

Compris comme disponible le 22 mars 1831 dans le cadre d’activité de l’état-majdr général de l’armée, une décision du 30 avril 1832 le remit en jouissance de sa pension de retraite.

Grièvement blesséàlarevuedu 28 juillet 1835 par les projectiles delà machine Fieschi, il reçut une seconde pension, conformément à la loi du 4 septembre de la même année, et le roi le nomma grand officier de la Légion d’honneur, le 29 avrill837.

Le général Blein est décoré de la croix de chevalier de l’ordre de Wurtemberg. Son nom figure sur la partie nord de l’arc de triomphe de l’Étoile.

BLUCHER (W.)[modifier]

prince de Wahls-tadt, feld-maréchal prussien, né en 1742 à Rostock, dans le duché de Mecklem-bourg-Schwerin.

Porte-enseigne d’un régiment suédois pendant la guerre de Sept-Ans, Blûcher fut fait prisonnier par les Prussiens, et incorporé, avec une sorte de violence, dans les troupes de Frédéric. Devenu capitaine, il se fit remarquer par son courage et donna sa démission à l’occasion d’un passe-droit. Frédéric le Grand signa cette démission en ces termes : « Le capitaine Blûcher est autorisé à quitter son poste, et il peut aller au diable si cela lui convient. »

Blûcher, rappelé au service 15 ans après par Frédéric-Guillaume, alla combattre sur le Rhin," où ses brillantes qualités militaires la firent bientôt nommer général-major, puis lieutenant-général. Il était chef d’avant-garde à Auerstaedt ; commandant d’un corps d’armée en 1813, à la bataille de Lutzen où il se distingua, général en chef de l’armée de Silésie à Katzbach où il battit les généraux Mac-donald et Sébasliani, et à la bataille de Leipzig au gain de laquelle il contribua. Nommé alors feld-maréchal, il pénétra en France jusqu’à Brienne où Napoléon le battit complètement. A la Rolhière et à Laon, il eut le rare honneur de résister au choc de 36 milie hommes commandés par Napoléon : à la vérité, il en avait 90 mille sous ses ordres. L’année suivante (1815), il se porta entre la Moselle et la Meuse et fut battu à Ligny et à Sombref, mais il causa du mal aux Français à Waterloo. Peu de jours après, sous les murs de Paris, le pont du Pecq lui fut livré, et cette trahison lui assura une marche tranquille vers Paris ; il se montra difficile surla capitulation de cette ville et voulait faire sauter le pont d’Iéna.

Blûcher est mort en 1819.

La tactique de ce général était uniforme : assaillir l’ennemi avec impétuosité, se retirer lorsqu’il faisait une résistance trop opiniâtre, se rallier à quelque distance, suivre après ses mouvements, saisir la moindre faute ; fondre, sur lui, le culbuter, lui enlever des prisonniers, se retirer rapidement, telle fut celle.qu’il employa presque toujours.

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La bonne foi n’était pas sa vertu favorite, il était d’un caractère haineux et vindicatif.

BOINOD (JEAN-DANIEL-MATHIEU)[modifier]

né le 29 octobre 1756 à Vevay, canton de Vaud (Suisse), fut d’abord imprimeur-libraire, entra au service le 13 août 1792, comme quartier-maître trésorier dans la légion des Allobroges. Commissaire des guerres provisoire, le 25 brumaire an H, et employé à l’armée de siège de Toulon au service de l’artillerie. C’est là que commencèrent ses relations avec Napoléon et que s’établit entre eux cette intimité qui résista à toutes les épreuves. Boinod ne fut pas compris dans l’organisation du 25 prairial an m. Le général Bonaparte lui écrivait à ce sujet :

« Je ne vous ai pas écrit, mon ami, parce que je n’avais aucune nouvelle agréable à vous donner. Vous n’êtes pas conservé commissaire des guerres : mais il est possible que cela change avant mon départ de Paris, qui ne sera pas encore d’ici à quelques décades. Donnez-moi de vos nouvelles. L’on est ici tranquille. Je vous envoie quelques numéros de la Sentinelle de Louvet. Les nouvelles du Midi sont toutes affligeantes ; l’escadre perd un vaisseau ; ’l'armée d’Italie évacue les positions,. les places intéressantes et perd son artillerie. Le magasin à poudre de Nice saule ; les terroristes nouveaux ont le dessus ; on égorge de tous côtés. Il faut espérer que bientôt un gouvernement ferme et mieux organisé fera cesser tout cela. Adieu, mon.ami, écrivez-moi. « BONAPARTE. »

Au bas de cette lettre, le général indiquait ainsi son adresse :

« Au général Bonaparte, sous l’enveloppe du citoyen Casabianca, représentant du peuple, rue de la Michodière, ri ? 6. »

Boinod fut nommé enfin commissaire

des guerres titulaire, le 17 vendémiaire an iv, à l’armée d’Italie, où il déploya tant d’intelligence, de probité et d’activité que le général en chef lui envoya une gratification de cent mille francs, Boinod lui écrivit : « Je ne te reconnais pas, citoyen général, le droit de disposer ainsi des deniers de la République. L’armée souffre ; je viens d’employer cette somme à ses besoins. »

Napoléon se souvint de ce refus à Sainte-Hélène, et légua à Boinod une somme de 100,000 fr., par son troisième codicille du 21 avril 1821.

A cette même armée d’Italie, Boinod signe un marché ; mais il s’aperçoit que le fournisseur a trop d’avantage. Il lui dit : « Je vais faire casser le marché par le ministre, si tu ne me donnes un pot-devin ! — Comment, vous, citoyen Boinod, un pot-de-vin ! — Oui, moi, et je veux 30,000 francs. » Le fournisseur en prend l’engagement par écrit, et, sur le premier bordereau ordonnancé à son profit, Boinod écrit : « A déduire 30,000 francs que le fournisseur a promis de me donner, et qui appartiennent à la République. »,

Boinod fit partie de l’expédition d’É-gypte. Le 23 nivôse anvrii, en signant sa commission de commissaire ordonnateur, le premier consul ajouta de sa main, en marge du mémoire de proposition : « II sera écrit au citoyen Boinod une lettre de satisfaction sur le zèle qu’il a toujours montré,.sur son exacte probité, sur sa sévérité à empêcher les dilapidations, et cette lettre sera imprimée au journal officiel, B

Nommé inspecteur aux revues le 18 pluviôse suivant, il se rendit à Bourg pour la levée et l’organisation des bataillons du train d’artillerie. Il alla ensuite, dans le Valais, afin de préparer à assurer les subsistances et tes transports pour le passage du Saint-Bernard,

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II fit la campagne de l’an vm, à l’armée d’Italie, en qualité d’ordonnateur en chef. Le 25 nivôse an x, il fut nommé inspecteur aux revues, attaché à la place de Besançon.

Boinod, dans l’inflexibilité de ses principes, fut le seul de la vieille armée d’Italie qui protesta par un vote négatif contre le consulat à vie. Le premier consul ne s’en montra point offensé, et le 12 vendémiaire an xn, il l’employa près la cavalerie des camps établis sur les côtes de l’Océan. Quelque temps après, quand le peuple dut se prononcer au sujet de l’érection de l’Empire, Murât remit au premier consul le vote des corps de cavalerie et lui dit qu’il y avait un seul opposant. « Quel est-il ? demanda-t-il vivement. —C’est l’inspecteur Boinod. — Je le reconnais bien là ; c’est un quaker. »

Le 4 germinal an xn, l’Empereur comprit l’intègre Boinod sur la liste des membres de la Légion d’honneur. Boinod fit les campagnes de l’an xiv à la grande armée, et eut, le 21 juin 1806, l’inspection du 2* corps dans le Frioul.

Le 17 septembre suivant, l’Empereur fattacha au ministère de la guerre du royaume d’Italie et écrivit au vice-roi : « Je vous envoie Boinod, laissez-le faire. »

Nommé chevalier de la Couronne de Fer et officier de la Légion d’honneur, il reçut en 1808 une mission importante en Dalmatie et s’en acquitta avec le plus grand succès. Présenté pour le titre de baron lors de la création de la noblesse impériale : « Vous ne le connaissez pas, dit Napoléon en le rayant ; mais moi je le connais ; il refuserait. »

Nommé inspecteur aux revues de l’armée d’Italie, le prince vice-roi lui confia (15 mai 1809) l’intendance générale de ladite armée en Allemagne. Inspecteur en chef, par décret impé-

rial du 20 janvier 1840, il continua de servir à l’armée d’Italie.

Vers cette époque, l’armée vivait encore au moyen de réquisitions. Plusieurs des principaux habitants du pays ayant cru nécessaire de demander tin abonnement, nommèrent une députation qui devait se rendre auprès de l’Empereur à l’insu de Boinod ; mais celui-ci, en ayant eu connaissance, prit la poste et arriva à Paris un jour après les députés ; ceux-ci déjà reçus par l’Empereur, lui avaient proposé un abonnement de 17 millions auquel il paraissait disposé à consentir. Le lendemain, Boinod accourut : « Je viens, dit-il, empêcher Votre Majesté de commettre une grande faute. » Et il expose ses projets.

« Je connais les ressources du pays ; chargez-moi de cette négociation et vous obtiendrez près du double. — J’ai confiance en vos lumières et en votre probité, M. Boinod ; je vous donne mes pouvoirs, » lui dit l’Empereur. Le même jour, Eoinod va trouver les députés qui se croyaient sûrs du succès ; il les détrompe en leur disant : « L’Empereur n’a point donné son consentement. J’ai ses pleins pouvoirs ; vous ne traiterez qu’avec moi et sur les lieux. » De retour à Milan, il obtint trente-deux millions.

Comme premier administrateur de l’Italie, il lui était alloué 12 mille francs par mois pour frais de bureaux. Après quelques mois de service, il reconnut que 6 mille francs lui suffisaient, et il remboursa le surplus au trésor.

Pendant qu’il était au ministère de la guerre du royaume d’Italie, l’Empereur mit à sa disposition des fonds qui ne furent pas tous employés ; le reliquat se montait à une somme d’environ cent mille francs dont il voulut faire le versement au trésor ; mais l’Empereur s’y opposant, Boinod insista, affirmant que son traite-

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Après le départ de Napoléon pourj’île d’Elbe, Boinod qui avait protesté contre l’Empire, courut se ranger à côté de son bienfaiteur, de son ami. Abandonnant sa position, compromettant son avenir, il se rend en Suisse, y installe sa femme et ses enfants, et après avoir traversé l’Italie, il s’embarqua incognito à Piombino sur une petite barque qui conduisait des ouvriers tanneurs à l’île d’Elbe. Il débarqua, au mois d’août, àPorto-Longone ; l’Empereur s’y trouvait alors et fit à Boinod l’accueil le plus bienveillant. Le lendemain, un ordre du jour apprit aux troupes que M. Boinod était chargé en chef des services administratifs de l’île d’Elbe. L’Empereur le laissa maître" de fixer lui-même ses appointements ; ef celui qui aurait pu avoir des millions, ne voulut accepter que 3,000 francs, dont 900 francs furent consacrés à son secrétaire, et 600 à son domestique. Rayé des contrôles du corps des inspecteurs aux revues, Boinod revint en France avec l’Empereur, et fut nommé inspecteur en chef aux revues de la garde impériale. On lui alloua 40,000 francs pour frais d’installation ; mais la caisse d’un des régiments soumis à sa surveillance se trouvant à découvert d’une pareille somme, il envoya au chef du corps ces 40,000 francs en l’invitant à combler un déficit qu’il serait obligé de signaler.

Rayé de nouveau des contrôles après la seconde abdication, il fut admis à la retraite le 16 avril 1817, et se vit bientôt obligé d’accepter pour soutenir sa famille, le modeste emploi d’agent spécial de la Manutention des vivres de Paris, emploi qu’il exerça pendant douze ans. Il apporta dans ce service d’immenses améliorations qui produisirent d’importantes économies pour l’État, et une nourriture infiniment supérieure pour le soldat.

Après la révolution de juillet, nommé président de la commission des anciens fonctionnaires militaires, il donna sa démission de directeur des subsistances. Il reprit son rang comme intendant militaire dans le cadre d’activité et fut nommé commandeur de la Légion d’honneur. >

Admis de nouveau à la retraite le 27 mai 1832, il avait alors quarante ans de services effectifs, et pour toute fortune sa pension de retraite, son traitement d’officier de la Légion d’honneur, et les 50,000 francs auxquels se réduisit en réalité le legs’que lui avait fait l’Empe- » reur. Boinod était au nombre de ceux db le captif de Sainte-Hélène disait : a Si je n’avais eu que des serviteurs de cette trempe, j’aurais porté aussi haut que possible l’honneur du nom français. J’en aurais fait l’objet du respect du monde entier. »

Cet homme, taillé à l’antique, mourut à Paris le 28 mai 1842. Le corps de l’intendance, lui fit élever un modeste tombeau au cimetière du Mont-Parnasse, et lui consacra une médaille en bronze représentant ses traits avec cette inscription latine : Pure àcta œtas. Portant en exergue, sur le revers, les mots suivants : // eut l’insigne honneur de figurer sur le testament de Napoléon, et au milieu :

A Boinod, Inspecteur en chef aux revues, Le Corps de l’intendance militaire. Siège de Toulon, Italie, Égypte, Allemagne, Ile d’Elbe.

BOISSEROLLE-BOISVILLIERS (JEAN-AURELE de)[modifier]

né à Paris, le 3 septembre 1764, était fils du comte de Boisserollc, conseiller au parlement de Montpellier. Sa mère était la nièce du célèbre financier Law. Le jeune de Boisserolle reçut une éducation soignée au collège des Écossais. A seize ans, ses études étant terminées, il entra au service le 1" avril 4782 comme sous-lieutenant dans la légion dite de Luxembourg, avec laquelle il fit les guerres de 1782 et 1783 aux Indes-Orientales, ayant pour compagnon et ami le savant orientaliste Foucher. ’ De retour en France, en février 178-4/ il fut présenté à Madame, tante du roi, et le 2 avril 1785, il fit partie de la Maison du roi, en qualité de lieutenant des gardes du corps. Quand vint la Révolution et après le licenciement de la Maison du roi, le 12 septembre 1791, il émigra ; mais sa mère fut alors obligée de se cacher et ses sœurs furent emprisonnées. Cédant aux instances de son vieux père et tremblant pour le sort de sa famille, M. de Boisserolle fit taire les craintes que pouvait lui donner son titre d’émigré, rentra en France et se retira auprès de son père, dans le département du Gard, où il courut d’abord quelques dangers, au milieu de cette population exaltée. Un jourj une douzaine de paysans tirèrent sur lui en même temps, et, par une circonstance inouïe, il ne fut pas même blessé. Soit que ces hommes fanatisés aient cru à un miracle, ou pour un autre motif, leur rage se changea en enthousiasme, et quand la garde nationale du pays fut appelée à la défense des frontières des Pyrénées, ce fut M. de Boisserolle, celui-là même qu’ils avaient voulu tuer qu’ils élurent pour commandant du 8e bataillon des volontaires du Gard (1" novembre 1793).

Arrivé en Catalogne, les connaissances supérieures qu’il possédait dans les mathématiques et le dessin, le firent naturellement choisir pour faire partie du corps du génie. Il fut nommé tout d’abord adjudant à l’état-major général de l’armée des Pyrénées-Orientales.

De retour à Paris, en 1797^ il entra dans l’état-major, où il resta jusqu’au moment où il partit pour l’expédition d’Égypte, avec le général Bonaparte, en qualité de lieutenant du génie ; il en revint avec le grade de capitaine.

Lors de l’organisation de la gendarmerie, M. de Boisserolle fut nommé chef d’escadron dans la 24" légion du département des Bouches-du-Rhône (Marseille), poste pénible et périlleux dans ces temps, où des bandes armées infestaient les routes, dévalisaient les courriers et livraient souvent des combats acharnés à la gendarmerie*

Peu après il fut appelé à Paris pour assister au couronnement de l’Empereur. C’est à cette époque, 25 prairial an xu, qu’il fut nommé chevalier de la Légion d’honneur. Il fut ensuite envoyé à Gô-nes, pour y organiser la gendarmerie ; il rentra ensuite dans l’armée active, fit les campagnes d’Italie, d’Allemagne, de Prusse et de Pologne, et enfin lit partie de l’expédition de Russie. Il venait d’être promu au grade de général de brigade, 4 juillet 1813, après une affaire dans laquelle il s’était particulièrement distingué. Chargé de s’emparer d’un village et de le brûler, s’il ne pouvait s’y maintenir, il s’en empara, bien qu’il n’eût sous ses ordres que peu de monde et ne perdit pas un seul homme. En récompense de ce fait d’armes, l’Empereur le nomma officier de la Légion d’honneur, le 31 juillet 1813.

A Moscou, il reçut le titre de barpn de l’Empire, titre dont, par modestie, jamais il ne se para. Pendant la retraite, il fut abandonné au pied d’un arbre, où il serait mort sans l’humanité d’un grenadier qui lui desserra les dents avec la lame de son couteau, et fit couler sur ses lèvres la dernière goutte d’eau-de-vie qu’il possédait. Ses yeux s’étant entr’ouverts, le brave grenadier courut au bivouac, y prit une brouette, l’y coucha en travers et le rapporta au camp. Ce fut un regret de tous les instants de la vie du général de Boisserolle de n’avoir pu retrouver l’homme qui lui avait sauvé la vie. Malheureusement cette vie devait être désormais bien douloureuse, puisqu’il avait eu les pieds gelés. Aussi ne put-il assister à la désastreuse journée de Waterloo, -où la gloire française sembla rendre le dernier soupir ; et. quand Louis XVIII, en lui envoyant la croix de Saint-Louis, voulut lui confier le commandement du dépôt du Calvados, auquel Napoléon l’avait précédemment appelé, il dut répondre à cette haute faveur par la demande de sa retraite, qu’il obtint le 9 septembre 1815.

De 1815 au l*r février 1829, époque de sa mort, le général de Boisserolle se livra avec une ardeur juvénile à l’étude d’une langue qui avait été la passion constante de sa vie, pendant les courts loisirs que lui laissèrent toutes les campagnes auxquelles il prit part. Il fit une grammaire et un dictionnaire sanscrit. Ce travail fabuleux fut le résultat de la connaissance approfondie qu’il avait, non-seulement des langues européennes vivantes, mais de toutes les langues mortes. Un secrétaire infidèle’fit ’disparaître, à la mort du général, un ou-’ vrage auquel il ne semblait pas que la vie d’un homme pût suffire. Les deux ouvrages ont été publiés à l’étranger, sous un autre nom que celui de l’auteur.

M. le général de Boisserolle tenait, par sa famille, à toutes les illustrations de l’époque ; on y comptait les Lauris-ton, Boncelot, La Fare, Genestons, etc., etc. Il ne s’en prévalut jamais que pour rendre service à ses amis à qui sa bourse

fut toujours ouverte. Aussi, tandis que tant d’autres généraux achetaient des domaines, où ils allaient se reposer des fatigues de la guerre, il était réduit à traduire les ouvrages des économistes anglais, pour améliorer sa modique retraite ; il ne lui restait rien d’un beau. patrimoine.

Très - spirituel et penseur profond, M. de Boisserolle. possédait surtout cette amabilité que l’on a qualifiée d’amabilité française ; il cherchait toujours à s’eiïacer. Son goût pour la poésie et sa facilité à faire des vers ne l’empêchèrent pas d’avoir des connaissances très-étendues en mathématiques. Il avait inventé une voiture qui marchait avec rapidité, au moyen d’un mécanisme ingénieux qu’un enfant pouvait faire mouvoir. Il avait l’intention d’offrir à l’Empereur ce chef-d’œuvre ; "mais" c’était à l’époque de la machine infernale ; la politique absorbait tous les esprits, les inventeurs étaient considérés comme des utopistes. Fulton lui-même fut repoussé et dut porter aux États-Unis ses admirables secrets. Les amis de M. de Boisserolle, parmi lesquels était le prince Eugène, l’engagèrent d’attendre des circonstances plus favorables.

Imbu dans sa jeunesse des doctrines de d’Alembert, Diderot, Rousseau, Voltaire, etc., l’expérience des hommes et des choses le conduisit, sur la fin de sa vie, à revenir sincèrement aux sentiments d’un philosophe chrétien.

BON (Louis-André)[modifier]

né à Romans en Dauphiné, le 25 octobre 1758, s’enrôla fort jeune dans le régiment Royal-Infanterie, et fit une partie de la guerre d’Amérique. — Commandant d’un bataillon de volontaires nationaux en 1792, il alla rejoindre Dugommier sur les frontières d’Espagne, fut bientôt chef de brigade, donna des preuves d’un grand courage au siège de Beilegarde et y fut nommé général de brigade. 11 était en’Italie à tous les combats où commandèrent Bonaparte etAugereau. Après la paix de Campo-Formio, il commanda la 8e division militaire (Marseille), y fit cesser les désordres causés par la réaction thermidorienne, et rendit les mêmes services àr Avignon. Nommé général de division, il partit pour l’Égypte, se distingua devant Alexandrie ; détermina la prise du Caire par l’attaque d’un poste important et contribua au triomphe inespéré de Mont-Thabor, en tournant l’ennemi attaqué de front par Kléber. Il se distingua également à la prise d’El-Arich, enleva Gaza, força Jaffa et alla périr devant les murs de Saint-Jean-d’Acre. Il se trouvait, le 10 mai 1799, à la tôte de ses grenadiers, au pied de la brèche, dans le dernier assaut livré au corps de la place, lorsqu’il reçut une blessure mortelle qui l’enleva à sa division. —Le général Bon avait toutes les qualités qui font les grands généraux.

Quatorze ans après, l’Empereur, visitant l’école militaire de Saint-Germain, demanda le nom de l’un des élèves qu’il passait en revue : c’était le fils du général Bon. — « Où est votre mère, dit Napoléon. — A Paris, à un quatrième étage, où elle meurt de faim. »

Ce long et involontaire oubli fut réparé à l’instant même ; la veuve du général illustre reçut une dotation, et le fils fut créé baron de l’Empire avec une autre dotation.

BONAMY (CHARLES-AUGUSTE-JEAN-BAPTISTE-LOUIS-JOSEPH)[modifier]

né à Fontenay-le-Comte en 1764. Il s’enrôla en 1791 dans le premier bataillon des volontaires de la Vendée ; fut nommé en 1792 sous-lieutenant de cavalerie, et fit en cette qualité les campagnes de Belgique et de Champagne, sous Dumouriez. Après la défection de ce général, il passa en Vendée, d’où il revint en 1794, avec le général Marceau. Bientôt après, Kléber le fit son chef d’état-major, et il se distingua dans plusieurs occasions, notamment au siège de Mayence (octobre 179b). Accusé en 1796, d’avoir favorisé les approvisionnements de la garnison autrichienne d’Eh-renbreitstein, que les Français tenaient bloquée, il parvint à se disculper, mais il cessa d’être employé pendant deux ans. Cependant, en 1798, il suivit à Rome le général Championnet, qui le choisit pour son chef d’état-major ; nommé alors général de brigade, il se distingua dans la rapide invasion du royaume de Naples ; mais, accusé de nouveau d’avoirpris part aux abus qui causèrent la disgrâce du général en chef, il fut arrêté et ne dut sa liberté qu’à la Révolution qui renversa une partie des Directeurs. Ce fut à cette époque qu’il publia, sous le titre de Coup d’œil rapide sur les opérations de la campagne de Naples jusqu’à l’entrée des Français dans cette ville, un ouvrage, dont le but principal était sa justification, mais qui offre cependant quelques renseignements utiles pour l’histoire. Il était encore en Italie en 1800, et il eut quelque part au triomphe de Marengo.

Le général Bonamy fit partie de l’expédition de Russie et s’y distingua dans plusieurs occasions ; mais ce fut surtout à la bataille de la Moskowa qu’il s’illustra par l’un des plus beaux faits d’armes de cette guerre. Ayant reçu l’ordre d’attaquer, au centre de l’armée russe, la terrible redoute où quarante pièces de canon vomissaient incessamment la mort ; il se mit à la tête du 30e régiment, essuya de nombreuses décharges de mitraille, perdit la moitié de sa troupe, et devint, avec le reste, maître du redoutable retranchement. Mais, attaqué aussitôt par d’innombrables masses d’infanterie, il voulut encore résister, vit tomber à ses côtés le dernier de ses soldats, fut lui-même percé de vingt coups de baïonnette et laissé pour mort sur le champ de bataille. Il tomba au pouvoir des Russes, qui le gardèrent vingt-deux mois prisonnier. Il revint en France en 1814. Après le retour de Napoléon, le général Bonamy fut nommé député au Champ de Mai, et lorsque l’armée se retira derrière la Loire, il fut chargé d’y conduire tous les dépôts et magasins, qu’il réussit ainsi à conserver à la France.

Resté sans fonctions après le licenciement, il rentra dans la vie privée et mourut en septembre 1830.


BONAPARTE (Napoléon)[modifier]

BONAPARTE (Napoléon), né à Ajaccio (Corse) de Charles-Marie Bonaparte et de Maria-Lætitia Ramolino.

Leurs enfants sont nés dans l’ordre suivant :

  1. Joseph-Napoléon Bonaparte, né à Corte, le 7 janvier 1768, roi de Naples, d’Espagne, comte de Survilliers ;
  2. Napoléon Bonaparte, empereur des Français, roi d’Italie, né le 15 août 1769 ;
  3. Lucien Bonaparte né à Ajaccio en 1775, prince de Canino ;
  4. Marie-Anne-Lætitia Bonaparte, née à Ajaccio, le 3 janvier 1777, princesse de Lucques et de Piombino, grande duchesse de Toscane ;
  5. Louis Bonaparte, né à Ajaccio, le 2 septembre 1778, roi de Hollande ;
  6. Marie-Pauline Bonaparte, née à Ajaccio, le 20 octobre 1780, princesse et duchesse de Guastalla. — Princesse de Borghèse ;
  7. Marie-Annonciade-Caroline Bonaparte, née à Ajaccio, le 25 mars 1782, reine de Naples, comtesse de Lipona ;
  8. Jérôme Bonaparte, né à Ajaccio, le 15 décembre 1784, roi de Westphalie, prince de Montfort.

Nous donnerons ailleurs la liste des membres de la famille Bonaparte avec leurs alliances. Les détails qu’on va lire sont empruntés aux fastes de la Légion d’honneur.


Un mot sur Charles-Marie Bonaparte et sur madame Lætitia Ramolino, sa femme.[modifier]

Charles-Marie était grand, beau, bien fait. Son éducation avait été soignée à Rome et à Pise, où il avait étudié la jurisprudence. Plein de chaleur, d’énergie, de patriotisme, de dévouement, on le vit combattre avec courage, dans la guerre qu’il avait contribué à allumer contre les Gênois, oppresseurs de son pays ; aussi était-il aimé de Paoli, estimé de ses compatriotes. C’est lui qui, à la consulte extraordinaire de Corse, où l’on proposait de se soumettre à la France, prononça un discours qui enflamma tous les esprits : « Si pour être libres il ne s’agissait que de le vouloir, disait-il, tous les peuples le seraient ; cependant l’histoire nous apprend que peu sont arrivés au bienfait de la liberté, parce que peu ont eu le courage, l’énergie et les vertus nécessaires. »

Né le 29 mars 1746, Charles-Marie mourut le 24 février 1785, à Montpellier, où des causes de santé l’avaient conduit, et fut inhumé dans un des caveaux des PP. Cordeliers. — Il avait été député par la noblesse de Corse auprès du roi de France.

Marie-Lætitia Ramolino, née le 24 août 1750, était une des plus belles femmes de son temps ; sa beauté était connue dans l’île. Paoli, aux jours de sa puissance, ayant reçu une ambassade de Tunis, et voulant donner aux Barbaresques une idée des attraits de la Corse, en rassembla toutes les beautés : Mme Bonaparte y tenait le premier rang. — Sa famille était originaire d’Italie, et issue des comtes de Colalto ; le premier qui s’établit à Ajaccio avait épousé la fille du doge de Gênes, et reçut de cette République de grandes distinctions.

Mme Bonaparte, lors de la guerre de l’indépendance, partagea souvent les périls de son mari. Elle le suivit à cheval dans ses expéditions, même pendant sa grossesse de Napoléon. Elle avait un grand caractère, de la force d’âme, beaucoup d’élévation et de fierté.

Cette dame qui, après l’échec décisif de Ponte-Novo, s’était retirée avec son mari sur le sommet del Monte Rotondo, avait reçu de M. le comte de Vaux des passeports pour se rendre à Ajaccio. Ses larmes et les supplications de Lucien Bonaparte, archidiacre d’Ajaccio, oncle de son mari, firent renoncer celui-ci au dessein qu’il avait formé de suivre Paoli dans son exil.

Elle est morte en exil, à Rome, depuis plusieurs années.


I. Acte de baptême de Napoléon.[modifier]

L’an 1771, et le 21 juillet, ont été administrées les saintes cérémonies et les prières, par moi, soussigné, économe, sur Napoléon, fils né du légitime mariage de M. Charles Bonaparte, fils de feu M. Joseph, et de Mme Marie Letizia, sa femme, auquel on a donné l’eau dans la maison du très-révérend Lucien Bonaparte, avec permission, et né le 15 août 1769, et ont assisté à la cérémonie sacrée ; pour parrain, l’illustrissime Laurent Giubega de Calvi1, procureur du roi, et pour marraine, Mme Marie Geltrude, femme de M. Nicolas Paravicino. Présent le père ; lesquels, unis à moi, ont signé ci-dessous :

JEAN-BAPTISTE DIAMANTE, économe d’Ajaccio
LAURENT GIUBEGA,
GELTRUDE PARAVICINO,
CHARLES BONAPARTE.

Est-il besoin de dire que cette pièce est littéralement traduite de l’italien ? On le voit assez. — Elle offre une preuve sans réplique que Napoléon naquit le 15 août 1769, et qu’il ne faut point, à cet égard, s’en rapporter à son acte de mariage, qui le fait naître le 5 février 1768.



1. Et non Paoli, comme plusieurs auteurs l’ont écrit.


II. Naissance et enfance de Napoléon.[modifier]

Le 15 août 1769, Mme Bonaparte, encore souffrante des fatigues qu’elle avait éprouvées en suivant son mari dans la guerre que les insulaires faisaient aux Gênois, touchait au terme de sa grossesse ; elle assistait à la solennité de la fête de l’Assomption lorsque les douleurs de l’enfantement l’obligèrent de retourner chez elle en toute hâte. C’est là qu’elle déposa, sur un vieux tapis à grands dessins étendu sur son lit, un enfant qu’on appela Napoléon : un antique usage consacré dans la famille Bonaparte voulait que le second des fils portât ce nom, en mémoire d’un Napoléon des Ursins, célèbre dans les fastes militaires de l’Italie.

La maison dans laquelle cet enfant vint au monde, forme un des côtés d’une cour qui s’ouvre sur la rue Saint-Charles, à Ajaccio. Elle avait appartenu à la famille Ramolino. M. Napoléon Levic, qui en a hérité, l’a tellement modifiée, en la faisant restaurer, qu’on n’y reconnaît plus la chambre dans laquelle naquit le grand homme.

M. le prince de Joinville, se trouvant à Ajaccio, acquit du propriétaire quelques meubles antiques que celui-ci avait relégués dans les combles, et les fit transporter à Paris.

D’après M. de Coston, la nourrice de Napoléon fut une certaine Mammuccia-Caterina, femme entêtée, querelleuse, toujours en dispute avec ceux qui vivaient autour d’elle. Suivant d’autres rapports, Napoléon aurait été allaité par Camilla Ilari, à laquelle, se trouvant à Ajaccio après son retour d’Égypte, il donna une maison et d’autres biens-fonds de la valeur de 120.000 francs. Camilla, apprenant son arrivée, accourut à sa rencontre, tenant une bouteille de lait à la main. Après l’avoir embrassé, elle lui dit : Mon fils, je vous ai donné le lait de mon sein, il est tari ; je vous offre celui de ma chèvre. Plus tard, Camilla reçut de son nourrisson devenu Empereur, une pension de 3.600 francs.

Napoléon fut baptisé le 21 juillet 1771. C’était l’usage en Corse de différer ainsi la cérémonie du baptême.

En 1777, Charles Bonaparte fit partie de la députation que l’Assemblée générale des États de la Corse envoyait à Versailles auprès du roi Louis XVI. C’est à cette occasion, et par l’influence de M. de Marbeuf, évêque d’Autun, neveu du lieutenant-général du même nom, lequel avait des obligations à la famille Bonaparte, que Charles obtint pour son fils Napoléon une bourse à l’École royale militaire de Brienne-le-Château (Aube).

En janvier 1778, Napoléon fut déposé provisoirement par son père dans le collège d’Autun ; il avait alors neuf ans et demi : « … Il y apporta (au collège) un caractère sombre et pensif ; il ne s’amusait avec personne et se promenait ordinairement seul, ayant, pour ainsi dire, l’air de calculer déjà l’avenir, du moins je le suppose d’après une petite conversation auprès du poêle… Il répondit aux pensionnaires qui le contrariaient sur la prise de la Corse : Si on n’avait été que quatre contre un, on n’y eut point réussi ; mais on était dix… J’étais à côté de Napoléon et je lui dis : Cependant vous aviez un bon général dans Paoli. Il me répondit avec un air peiné : Oui, Monsieur, et je voudrais bien lui ressembler. — Il avait beaucoup de dispositions, comprenait et apprenait facilement. Quand je lui donnais une leçon, il fixait sur moi ses regards, bouche béante ; cherchais-je à récapituler ce que je venais de lui dire, il n’écoutait plus, et si je lui en faisais des reproches, il me répondait avec un air froid, on pourrait même dire impérieux : Monsieur, je le sais.

« Je ne l’ai eu que trois mois. Pendant ce temps, il a appris le français de manière à faire librement la conversation, et même de petits thèmes et de petites versions2. »

Charles Bonaparte ayant fourni les preuves de noblesse exigées par les règlements pour l’admission des élèves à l’École de Brienne, Napoléon y entra le 23 avril 1779.

Cette école ne comptait guère que 110 élèves. Elle était desservie par des Minimes, dont les revenus ne s’élevaient pas au delà de 10.000 francs ; aussi les professeurs de Brienne étaient-ils des sujets fort médiocres, les ressources du collège ne permettant pas d’en faire venir d’un mérite supérieur. Aussi, passé 15 ans, un élève savait-il tout ce qu’on pouvait lui enseigner. Napoléon eut pour professeur de mathématiques un père Patrault, dont il fit son secrétaire lorsqu’il eut le commandement en chef de l’armée d’Italie. Le père Charles, aumônier de l’établissement, enseigna le catéchisme au jeune Bonaparte et lui fit faire sa première communion. En 1790, Napoléon, lieutenant d’artillerie, était en garnison à Auxonne. Toutes les fois qu’il allait à Dôle, il ne manquait jamais de rendre visite au bon père Charles, qui s’était retiré dans cette dernière ville. Devenu consul, il lui fit une pension de 1.000 francs en lui disant dans une lettre autographe :

« Je n’ai point oublié que c’est à votre vertueux exemple et à vos sages leçons que je dois la haute fortune à laquelle je suis arrivé. Sans la religion, il n’est point de bonheur possible… Je me recommande à vos prières. » Traversant Dôle pour aller en Italie, il fit appeler le père Charles. Au moment de le quitter, celui-ci s’écria, les larmes aux yeux et d’une voix prophétique : Vale, prosper, et régna (Allez, heureux mortel, et régnez).

Il y avait aussi à Brienne un maître d’écriture qui donna dés leçons de son art à Napoléon. Quand celui-ci fut parvenu à l’Empire, un homme déjà vieux et assez mal vêtu, se présente au palais de Saint-Cloud et demande la faveur d’être présenté à Sa Majesté. Introduit dans le cabinet du monarque : Qui êtes-vous, et que me voulez-vous ? lui demande sèchement Napoléon. — Sire, répond en balbutiant le solliciteur, c’est moi qui ai eu l’honneur de donner des leçons d’écriture à Votre Majesté pendant quinze mois.Vous avez fait là un bel élève, répond vivement l’Empereur ; je vous en fais mon compliment. Puis se prenant à rire, il lui adressa quelques paroles bienveillantes et lui dit, en le congédiant : J’aurai soin de mon maître d’écriture.

Peu de jours après, le pauvre calligraphe reçut le brevet d’une pension de 1.200 francs. Dabobal, maître d’escrime à Brienne, et qui avait donné des leçons au jeune Bonaparte, devint sous-officier de gendarmerie, grâce sans doute à la protection de son élève.

Enfin, les portiers de Brienne, Hauté et sa femme, vinrent finir leurs jours à la Malmaison, en qualité de concierges. On le voit, Napoléon n’était pas ingrat, il se souvenait de tout le monde. La manière dont il prononçait Napoilloné, lui fit donner par ses camarades le sobriquet de la Paille-au-nez.

Napoléon n’avait de goût que pour les connaissances solides ; aussi se livrait-il avec ardeur à l’étude des mathématiques, la seule de toutes les sciences qui soit vraiment digne de ce nom. Il eût probablement étudié avec le même empressement la physique, la chimie, l’astronomie, si l’école de Brienne lui en eût fourni l’occasion et les moyens. Quant aux arts d’agrément, à la littérature et mêmes aux langues étrangères, il en a toujours fait peu de cas : c’était pour lui de vains amusements de l’esprit, et voilà pourquoi il n’a jamais su écrire et parler correctement le français, la langue la plus usuelle de son empire ; cependant on assure qu’à l’âge de treize ans, il composa la fable suivante :


Le Chien, le Lapin et le Chasseur.[modifier]

César, chien d’arrêt renommé,
Mais trop enflé de son mérite,
Tenait arrêté dans son gîte
Un malheureux lapin de peur inanimé.
« Rends-toi ! lui cria-t-il d’une voix de tonnerre, »
Qui fit au loin trembler les peuplades des bois :
« Je suis César, connu par ses exploits,
« Et dont le nom remplit toute la terre. »
À ce grand nom, Jeannot-Lapin,
Recommandant à Dieu son âme pénitente,
Demande d’une voix tremblante :
« Très-sérénissime Mâtin,
« Si je me rends, quel sera mon destin ?
« — Tu mourras. — Je mourrai ! dit la bête innocente ;
« Et si je fuis ? — Ton trépas est certain,
« Quoi ! reprit l’animal qui se nourrit de thym,
« Des deux côtés je dois perdre la vie ?
« Que votre auguste seigneurie
« Veuille me pardonner, puisqu’il me faut mourir,
« Si j’ose tenter de m’enfuir. »
Il dit et fuit en héros de garenne.
Caton l’aurait blâmé : je dis qu’il n’eut pas tort ;
Car le Chasseur le voit à peine
Qu’il l’ajuste, le tire…, et le Chien tombe mort.
Que dirait de ceci notre bon Lafontaine ?
Aide-toi, le Ciel t’aidera.
J’approuve fort cette méthode-là.

Cette pièce est assez correcte, elle promettait. On l’a tirée du cabinet de M. le comte de Weymars.

Le 15 ou le 16 septembre 1783, le chevalier de Kéralio, maréchal-de-camp et sous-inspecteur général des écoles royales militaires de France, arriva à Brienne. Après avoir examiné les élèves de cette école, il désigna le jeune Napoléon pour celle de Paris. Les moines lui firent observer que cet enfant n’était fort que sur les mathématiques ; qu’il serait mieux d’attendre à l’année suivante pour lui laisser le temps de se fortifier dans la langue latine : Je sais ce que je fais, reprit l’examinateur, si je passe sur la règle, ce n’est point une faveur de famille ; je ne connais point celle de cet enfant ; c’est tout à cause de lui-même. J’aperçois ici une étincelle qu’on ne saurait trop cultiver. Et puis M. de Kéralio rédigea la note suivante :

« M. de Bonaparte (Napoléon), né le 15 août 1769 : taille de 4 pieds 10 pouces 10 lignes ; de bonne constitution, d’excellente santé ; caractère soumis. Il a fait sa quatrième. Honnête et reconnaissant, sa conduite est très-régulière. Il s’est toujours distingué par son application aux mathématiques ; il sait passablement l’histoire et la géographie ; il est faible dans les exercices d’agrément. Ce sera un excellent marin. Mérite de passer à l’école de Paris. »

Une brochure de 45 pages, publiée en anglais, en l’an VI, et traduite en français par Bourgoing, ayant pour titre : Quelques notices sur les premières années de Bonaparte, par un de ses condisciples (Phélipeaux, à ce qu’on croit), se termine ainsi :

« … Tel est l’homme dont j’ai vu les talents et les vertus au berceau. Je ne serai point taxé de partialité à son égard ; dans sa première jeunesse je le considérais, je l’admirais même quelquefois, mais je ne l’aimais pas, et lui, très-peu liant, ne faisait pas d’exception en ma faveur. Depuis, je l’ai perdu de vue. Je n’attends ni ne crains rien de lui. Peut-être ne serai-je jamais son concitoyen, mais je m’honorerai d’avoir été son condisciple. »

Le 19 octobre 1784, Napoléon arriva à l’école de Paris accompagné d’un minime chargé de veiller sur lui.

À cette école, il eut pour maîtres de mathématiques le célèbre Monge et M. l’Abbey.

M. de l’Éguille, professeur d’histoire, dans un compte qu’il rendit sur les progrès de ses élèves, nota ainsi le jeune Napoléon : « Corse de nation et de caractère, il ira loin si les circonstances le favorisent. » Ce professeur y voyait de loin !

M. Domairon, qui enseignait les belles-lettres dans le même établissement, disait qu’il avait toujours été frappé de la bizarrerie des amplifications de Napoléon : il les comparaît à du granit chauffé à un volcan.

Bauër, le professeur d’allemand, n’en était pas aussi satisfait ; son élève ne faisait aucun progrès dans cette langue. Ce bon Germain entendant dire un jour que le petit Bonaparte était le meilleur mathématicien de l’école. Cela ne me surprend point, s’écria-t-il, j’ai toujours entendu dire que les mathématiques ne sont faciles qu’aux ânes. — Pauvre Bauër !

Le 15 mai 1785, Bonaparte fut confirmé par Leclerc de Juigné, archevêque de Paris, qui lui demanda son nom de baptême : Napoléon. — Mais ce saint ne figure pas dans le calendrier.Il n’y a rien là de surprenant, Monseigneur, le nombre des saints est bien plus grand que celui des jours de l’année.

Deux mois plus tard il eut à répondre aux questions que lui fit Laplace, examinateur des aspirants au corps royal d’artillerie, sur l’arithmétique, la géométrie, la trigonométrie rectiligne, les éléments d’algèbre, la mécanique et l’hydrostatique, du cours de Bezout. Un mois après (1er septembre 1785), il fut nommé lieutenant en second d’artillerie, et vers le commencement du mois suivant, il reçut ordre d’aller joindre à Valence, en Dauphiné, le régiment d’artillerie de La Fère, qui était en garnison dans cette ville ; à son arrivée, on le plaça dans une des compagnies de la brigade des bombardiers.



2. Lettre de l’abbé Ch… à l’abbé F… Recueil des Testaments remarquables.


III. Premières armes.[modifier]

Napoléon fréquentait la meilleure société de la ville ; il prit même des leçons de danse afin de mieux figurer dans les réunions. Mais son maître, Dautel, aurait justement mérité plus tard la réponse qu’il fit à son professeur de calligraphie.

Se trouvant un jour chez monseigneur de Grave, évêque de Valence, qu’il allait visiter quelquefois, Napoléon lui dit qu’un de ses ancêtres avait été canonisé à Bologne : Mon enfant, voilà un bel exemple à suivre, répondit le prélat, songez-y : un trône dans le ciel ! — Ah ! Monseigneur, si, en attendant, je pouvais passer capitaine !

C’est dans cette garnison qu’il commença son Histoire politique, civile et militaire de la Corse. Il en soumit les deux premiers chapitres à l’approbation de l’abbé Raynal, qui, à ce qu’il paraît, l’engagea à continuer, s’il faut en juger d’après une lettre que Bonaparte écrivait, le 29 juillet 1786, au libraire Barde, de Genève. Il mit la dernière main à cette histoire pendant son séjour en Corse (1787) ; elle devait former 2 volumes in-12.

Le 1er juin 1790, Napoléon, accompagné de son frère Louis, alla rejoindre son régiment, alors en garnison à Auxonne. Il dit à ses camarades, en leur présentant son frère : Voilà un jeune homme qui vient observer une nation qui tend à se détruire ou à se régénérer. Les deux frères logèrent à la caserne.

Bonaparte, mentor et précepteur de Louis, lui faisait réciter son catéchisme, mettait lui-même le pot-au-feu, et tous les jours, à deux heures après midi, il allait faire une prière dans la chapelle du couvent des Ursulines.

À cette époque, Napoléon se coiffait déjà de son petit chapeau ; il tenait souvent les mains croisées derrière le dos ; était réfléchi, sombre parfois ; il fréquentait de préférence les personnes plus âgées que lui. À Auxonne, on attribuait son éloignement pour le monde à son peu de fortune. — Voici ce qu’on lisait, écrit de la main de Bonaparte, sur le registre d’un tailleur, Biaute, établi dans cette ville :

1er feuillet, doit M. Bonaparte :

Fait culotte de drap. . . 2 liv.

2 caleçons. . . . . . . . . 1,4

———
3 liv. 4 s.

2e feuillet, doit M. Bonaparte :

Fait anglaise bleue. . . 4 liv.

Bordure . . . . . . . . . . 1

———
5 liv.

3e feuillet, doit M. Bonaparte :

Fait culotte. . . . . . . . 2 liv.

2 caleçons. . . . . . . . 1

———
3 liv.

Le 1er janvier 1791, la femme qui avait soin de sa chambre lui dit pour compliment de bonne année : Je désire vous voir un jour général. — Ma pauvre Thérèse, lui répondit-il, je me contenterais bien de devenir commandant ; je n’en demanderais pas davantage.

En 1791, le lieutenant d’artillerie, se trouvant dans l’église de Saint-Jean de Valence, fut accosté par une pauvre femme, qui lui demanda l’aumône ; il lui donna un écu de trois livres : « Merci, mon officier, je vous souhaite une couronne. — C’est possible, repartit Napoléon. »

En octobre 1791, il obtint un congé de trois mois et il partit pour la Corse. En janvier 1792, il fut nommé adjudant-major du 2e bataillon de volontaires nationaux qui s’était formé dans cette île, à Ajaccio. Le 27 février de la même année, ses compatriotes lui donnèrent le grade de lieutenant-colonel. Au mois de mai suivant, il se rendit à Paris pour s’y justifier d’une accusation portée contre lui par Mario-Paraldi, membre de l’Assemblée nationale législative. On l’accusait d’avoir, dans une émeute, donné l’ordre de faire feu sur ses concitoyens.

Le 20 juin 1792 il vit, de la terrasse du bord de l’eau (Tuileries), l’infortuné Louis XVI à une fenêtre du palais, que la populace des faubourgs avait contraint de se coiffer du bonnet rouge. À cet aspect, son indignation ne put se contenir, et il s’écria d’un ton assez haut : Comment a-t-on pu laisser entrer cette canaille ? Il fallait en balayer quatre ou cinq cents avec du canon, et le reste courrait encore. Puis il blâma la pusillanimité des conseillers et des défenseurs du monarque.

Le 11 août 1792, Napoléon écrit à son oncle Paravicini ; après lui avoir dépeint les scènes affreuses de la veille, il ajoute : « Ne soyez pas inquiet de vos neveux, ils sauront se faire place. » C’était déjà prédire sa haute destinée et la chute du trône.

S’étant facilement justifié des imputations dont il était l’objet, il reçut l’ordre d’aller reprendre son commandement en Corse. Il partit vers le milieu de septembre (même année), emmenant avec lui sa sœur Marie-Anne (Élisa).

À son retour dans sa patrie, il fut profondément affecté de découvrir dans Paoli, nommé lieutenant-général en Corse, au service de France, l’intention de rendre à cette île toute son indépendance. Paoli avait été l’ami, le compagnon d’armes de son père, et il le considérait comme son protecteur. Dès lors le jeune admirateur des exploits de Paoli ne vit plus en lui qu’un traître dont il devait se méfier. Néanmoins il continua de servir sous ses ordres, mais avec la réserve que lui commandaient les circonstances.

Une escadre, sous les ordres du vice-amiral Truguet, chargée d’une expédition contre la Sardaigne, arrive dans le port d’Ajaccio en janvier 1793. Paoli, lieutenant-général, commandant de la 23e division militaire, soit 2.000 hommes de troupes de ligne sous les ordres du vice-amiral qui alla jeter l’ancre dans la rade de Cagliari : 4 à 500 Marseillais indisciplinés faisaient partie de l’expédition. Truguet échoua dans son entreprise sur Cagliari, et retourna avec son escadre à Toulon.

À cette époque, une autre expédition, sous les ordres de Colonna Césari, commandant en second des gardes nationales de Corse, se préparait dans cette île contre les îles de la Madeleine : elle se composait de quatre détachements de 200 hommes chacun. Bonaparte commandait l’artillerie, et le capitaine Mogdié le génie.

L’indiscipline que l’on reprochait avec raison à la phalange marseillaise s’était propagée dans l’armée navale. À Bonifacio, sur la place Doria, des matelots français, prenant Bonaparte pour un aristocrate, voulurent le pendre à la lanterne ; il eût infailliblement péri sans le sergent Brignoli de Bastilica, dit Marinano, qui lui fit un rempart de son corps et tua d’un coup de poignard un des brigands qui se montraient le plus acharnés.

L’attaque contre les îles de la Madeleine n’eut aucun succès. On prétend que Paoli ne fut point étranger à l’insuccès de l’expédition de Sardaigne ; car il aurait dit à son neveu Césari Roca, commandant l’attaque contre la Madeleine : Souviens-toi, César, que la Sardaigne est l’amie naturelle de la Corse, et que les rois de Piémont ont de tout temps été nos alliés ; fais donc en sorte que cette expédition s’en aille en fumée.

Après la malheureuse expédition de Sardaigne, Napoléon alla rejoindre son bataillon de volontaires à Corté.

Le 8 mars 1793, il fut nommé capitaine-commandant au 4e régiment d’artillerie.

Paoli, ayant formé le projet d’abandonner la cause de la France, en fit part à Napoléon, et, pour lui faire partager son opinion, il lui fit un magnifique éloge de l’heureuse constitution et des belles récompenses qui l’attendaient en Angleterre, s’il voulait prendre du service dans les armées de ce pays. Il lui dépeignit en même temps l’affreuse anarchie qui désolait la France, et les malheurs inévitables dont elle était menacée. Napoléon lui répondit :

« Eh quoi ! se séparer de la France ? cela ne sera jamais. Nos plus chers intérêts, nos habitudes, nos coutumes, l’honneur, la gloire, les serments solennels, tout exige que la Corse reste éternellement française. L’anarchie actuelle, fille des grandes révolutions, ne sera qu’éphémère. Tout doit changer : l’ordre renaîtra infailliblement, les lois se régleront sur les idées du siècle, et la France ne tardera pas à s’élever grande et majestueuse, jusqu’au faîte de la gloire ! — Vous, général, vous avez parlé de l’Angleterre, protectrice des peuples libres ! — Quelle erreur ! — Eh puis ! l’immense éloignement, la langue, notre caractère, les dépenses énormes, incalculables, tout ne s’oppose-t-il pas impérieusement à l’union avec le tyran des mers et des pays qui ne sont point l’Angleterre3 ! »

Paoli, déconcerté et tout hors de lui-même, hausse les épaules, entre dans son cabinet, en ferme brusquement la porte et laisse Napoléon seul dans sa chambre.

Celui-ci connaissait le caractère irritable et vindicatif du vieux général, il ne perdit donc pas de temps : il monta à cheval et se rendit par des sentiers détournés chez un certain Bagaglino qui gardait les troupeaux de la famille Bonaparte. Après s’être reposé pendant un jour, il envoya un homme sûr à Ajaccio, qu’il chargea de remettre un billet à sa mère, dans lequel il l’engageait à aller se mettre en sûreté avec sa famille à Calvi, où il irait de son côté les rejoindre ; n’ayant ni encre, ni papier, il avait écrit ce billet sur une lettre qu’il trouva dans sa poche, avec de la suie et une branche d’arbousier qu’il aiguisa à cet effet.

Son émissaire (Marmotta) fut rencontré près d’Ajaccio par des soldats qui lui firent subir un interrogatoire minutieux sur le lieu d’où il venait, sur les motifs qui l’amenaient à Ajaccio… Il fut assez heureux pour leur faire prendre le change : il continua sa route et il remit sa lettre à madame Lætitia qu’il trouva dans des transes mortelles ; elle savait déjà que son fils était parti de Corté, car le commandant d’Ajaccio, créature de Paoli, avait envoyé chez elle des gendarmes pour l’arrêter s’ils l’y trouvaient.

Madame Lætitia et sa famille s’embarquèrent pendant la nuit et se rendirent à Calvi. Dans une consulte de toutes les communes de la Corse, qui se tenait à Corté, dont Paoli était président, et Pozzo di Borgo (depuis ambassadeur de Russie en France) procureur général, on signala les familles Bonaparte et Arena comme perturbatrices du repos public.

Le séjour dans l’île devenant dangereux, Bonaparte et sa famille se réfugièrent à Marseille, pendant que leur maison était pillée, leurs campagnes dévastées, leurs troupeaux décimés… De Marseille, Napoléon alla seul à Nice, où se trouvait une partie du 4e régiment d’artillerie.

Après plusieurs voyages sans importance dans le Midi, Bonaparte, malade, se rendit à Avignon, et descendit chez M. Bouchet, négociant. Il profita de ce temps de repos pour consigner dans une brochure qu’il intitula le souper de Beaucaire, l’état des opinions qui divisaient les habitants du Midi. Cet écrit est remarquable par la sagacité des vues militaires et politiques que l’auteur y développe ; il donne de sages conseils aux insurgés, et leur prédit les malheurs qui fondront sur leur pays s’ils persistent dans leur aveuglement.

Cette brochure, imprimée aux frais du Trésor, par Sabin-Tournal, rédacteur du Courrier d’Avignon, fit d’abord peu de sensation.

Dans les premiers jours de septembre 1793, Napoléon, apprenant la trahison qui venait de livrer Toulon aux Anglais, partit en toute hâte pour Paris, demanda et obtint du comité de salut public de servir au siège de Toulon, et se rendit à Ollioules, quartier général de l’armée de siège, commandée par Carteaux, homme vain et sans talents. Bonaparte, que les représentants du peuple Salicetti, Albette et Barras, avaient nommé chef de bataillon, commandant l’artillerie de siège, était sans cesse contrarié dans ses opérations par le général en chef, qui cherchait à le distraire du plan arrêté au conseil, pour lui faire pointer ses canons dans une direction opposée, soit pour battre des forts sans résultats probables, soit pour essayer de jeter quelques bombes dans la ville.

Dès son arrivée au siège, Bonaparte avait fait établir les batteries de la Montagne et des Sans-Culottes. Ces batteries répandaient la terreur et la mort parmi les assiégés. Plusieurs chaloupes anglaises furent coulées bas, quelques frégates furent démâtées, et quatre vaisseaux de ligne ennemis rentrèrent dans le bassin pour s’y réparer des dommages que les batteries leur avaient faits.

Il n’y avait point au siège d’officier du génie ; Napoléon fit pendant quelque temps le service des deux armes. Son activité était infatigable ; on le voyait, on le trouvait partout. Un jour, un canonnier d’une batterie ayant été tué, le commandant d’artillerie prit le refouloir et aida à charger dix à douze coups.

Quelques jours après, il fut couvert d’une gale très-maligne ; son adjoint Muiron. découvrit que le canonnier mort, qu’il avait momentanément remplacé, en était infecté. Cette maladie cutanée, traitée d’abord très-légèrement, affecta longtemps la santé de Napoléon, et faillit lui coûter la vie.

Les canonniers d’une batterie que les Anglais foudroyaient étaient sur le point de l’abandonner. Bonaparte, qui connaissait l’importance de cette position, s’avisa, pour encourager et retenir les artilleurs à leur poste, d’un moyen qui prouve qu’il connaissait bien le caractère du soldat français : il fit dresser un poteau en avant de la batterie, portant cet écriteau : Batterie des hommes sans peur ; tous les canonniers de l’armée voulurent servir cette batterie.

À la prise du fort Margrave, Napoléon eut un cheval tué sous lui et fut légèrement blessé au mollet par un coup de lance que lui porta un canonnier anglais.

Le 18 décembre 1793, l’armée assiégeante bombarda Toulon et s’empara du fort Malbosuet, ce qui fit dire à Bonaparte, parlant aux généraux : Demain ou après-demain vous souperez dans Toulon. Il devina juste, l’armée républicaine entra dans la place le lendemain.

Le 20 du même mois (30 frimaire an II), les représentants du peuple nommèrent provisoirement le chef de bataillon d’artilierie, Bonaparte, au grade de général de brigade d’artillerie.

Dans le rapport que le général en chef Dugommier envoya à la Convention, à la suite de la prise de Toulon, il est dit au sujet de Bonaparte : « Récompensez et avancez ce jeune homme ; car si on était ingrat envers lui, il s’avancerait tout seul. »

Le 30 décembre 1793, Bonaparte, accompagné de son aide-de-camp Junot, se rendit à Marseille, où il trouva sa famille. Pendant son séjour dans cette ville, il eut occasion de consulter une diseuse de bonne aventure. La sorcière, qui ignorait son grade, lui dit mot à mot et avec assurance : Vous passerez les mers, vous serez victorieux, vous reviendrez, et vous serez plus grand que jamais.

Vers la fin de janvier 1794, Napoléon inspecta les côtes de la mer que baigne le territoire de Marseille pour reconnaître les positions où il serait convenable d’établir des batteries.

Le 16 février de la même année, le représentant du peuple Maignet aurait écrit de Marseille, au comité de salut public, une lettre dans laquelle il lui dénonçait le général Bonaparte, l’accusant de lui avoir proposé, à lui Maignet, de faire réparer les forts Saint-Nicolas et Saint-Jean, que, d’après les ordres de Louis XIV, on avait autrefois élevés autour de Marseille, dans l’intention de les mettre à l’abri d’un coup de main de la population de la ville : ces forts, démolis en partie en 89, contenaient des poudres et des armes de guerre.

À quelque temps de là, Bonaparte fut mandé à la barre de la Convention, mais il était déjà à l’armée ; et les représentants du peuple qui se trouvaient sur les lieux accueillirent favorablement sa justification : le mandat d’amener fut suspendu, sauf à le faire valoir plus tard.

Au printemps de 1794, Napoléon fit venir sa famille au château de Sallé, à un quart de lieue d’Antibes. Un jour il s’y rendit de Nice ; plus préoccupé que de coutume, et se promenant entre ses frères Joseph et Lucien, il leur dit qu’il ne dépendait que de lui de les établir tous avantageusement à Paris. On m’offre, ajouta-t-il, le commandement de la force armée de cette ville, qui est aujourd’hui sous les ordres de Henriot. Qu’en pensez-vous ? Les deux frères gardaient le silence. Cela vaut bien la peine d’y penser. Il n’est pas si facile de sauver sa tête à Paris que dans ce pays-ci. Moi, servir Robespierre ! jamais. Il n’y a de place honorable pour moi qu’à l’armée… Prenez patience, je commanderai à Paris plus tard.

Après le 9 thermidor (27 juillet 1794), les représentants du peuple Albitte, Salicetti et La Porte, écrivent au comité de salut public qu’ils vont s’assurer du général Bonaparte ; qu’ils l’enverront à Paris avec ses papiers…

On prétend que ces proconsuls accusaient le général d’avoir eu les rapports les plus intimes avec les frères Robespierre.

Le 12 août, Bonaparte est arrêté à Nice et mis d’abord au secret. Le 24 du même mois, Salicetti et Albitte informent le comité de salut public qu’ils ont fait remettre Bonaparte en liberté, sans cependant l’avoir réintégré.

Il ne tarda pas à l’être, puisqu’on le revoit en septembre, exerçant les fonctions de commandant en chef de l’artillerie à l’armée d’Italie.

La prise d’Oneille et du col de Tende, le combat de Cairo, furent les premiers succès que les Français obtinrent en Piémont. L’armée d’Italie, d’après l’exécution des plans du général Bonaparte, était maîtresse de toute la chaîne supérieure des Alpes maritimes, et communiquait avec le poste d’Argentière : 4.000 prisonniers, 70 pièces de canon, l’occupation de deux places fortes, Oneille et Saorgio, furent le résultat de ces belles opérations.

Le général en chef Dumerbion écrivait aux représentants du peuple en mission : « C’est aux talents du général Bonaparte que je dois les savantes combinaisons qui ont assuré notre victoire. »

Napoléon voulait que l’on profitât de ces divers avantages pour prendre le camp retranché de Cera, qui était comme le centre des forces piémontaises ; il proposa en même temps un plan d’invasion en Italie après qu’on aurait soumis le Piémont. Les représentants, satisfaits des résultats qu’ils venaient d’obtenir, ne voulurent point seconder les projets du général de l’artillerie, et ils retardèrent ainsi d’un an la conquête de l’Italie, dont la gloire était réservée à Bonaparte.

En mars 1795, se trouvant à Toulon, où commandait le général de brigade Bizannet, il eut la satisfaction de soustraire à la rage de la populace une vingtaine d’émigrés français, dont quelques-uns de la famille Chabrillant, qu’un corsaire avait trouvés sur un vaisseau espagnol et qu’il avait conduits dans ce port.

Le général Bizannet, désespérant de conjurer la fureur des assassins altérés du sang des victimes commises à sa garde, s’adresse à Bonaparte et lui demande ses conseils… Tous deux courent chez les représentants du peuple, dont ils obtiennent un arrêté, rédigé et écrit par Bonaparte, par lequel il était ordonné de traduire les prisonniers par-devant le tribunal criminel du Var.

Les brigands se promettaient bien qu’à leur départ de Toulon les émigrés tomberaient infailliblement sous leurs coups. Ils furent heureusement trompés : Bonaparte fit partir pendant la nuit un nombre suffisant de caissons, avec attelages doubles, qui étaient censés contenir des munitions pour l’armée d’Italie, mais qui, en réalité, étaient chargés d’émigrés.

Le 22 avril 179S, il part de Marseille pour Paris, dans sa voiture, avec ses aides-de-camp Junot et Louis ; ils arrivent dans cette capitale en mai.

Aubry consentit à l’entendre une seule fois, et coupant court à de plus longues explications, il lui dit qu’il était encore trop jeune pour commander en chef l’artillerie d’une armée. « On vieillit vite sur le champ de bataille, et j’en arrive. » Cette réponse déplut au proconsul, qui, malgré les instances de Marbot, Fréron, Barras, La Réveillère-Lépeaux, ne voulut plus entendre parler de ce solliciteur.

Le 2 août 1793, le représentant Doulcet de Pontécoulant remplaça son collègue Aubry au comité de la guerre ; peu après son installation, il proposa au général Bonaparte le commandement d’une brigade dans l’armée de l’Ouest (Vendée). Le général refusa : « Je n’accepte pas, » dit-il, dans une lettre à son ami de Sucy ; « beaucoup de militaires dirigeront mieux que moi une brigade, et peu ont commandé avec plus de succès l’artillerie… » On prétend qu’il postulait alors le commandement de l’artillerie de l’armée de Hollande.

Enfin, le représentant Doulcet de Pontécoulant, alarmé des nouvelles sinistres qui lui arrivaient tous les jours de l’armée d’Italie, et se rappelant qu’après l’affaire de Cairo, Bonaparte avait adressé au Comité de salut public un mémoire dans lequel il discutait les plans qu’il serait prudent de suivre dans une campagne en Italie, le fit appeler dans un comité où il eut plusieurs conférences avec Sieyès, Letourneur, Jean Debry, après quoi il l’attacha au bureau de la guerre dans lequel on arrêtait les plans de campagne et les mouvements des armées.

Plusieurs biographes ont avancé que Napoléon, mécontent de Letourneur qui avait succédé à Doulcet de Pontécoulant, avait pris la résolution d’aller offrir ses services au Grand-Turc ; cette assertion est mal fondée ; voici la vérité : vers cette époque la guerre avait éclaté entre la Russie et la Porte, et celle-ci paraissait disposée à prendre à son service quelques officiers d’artillerie français. Bonaparte, ennuyé de vivre obscur et inoccupé à Paris, s’était sérieusement décidé à prendre le chemin de Constantinople. À cet effet il eut plusieurs conférences avec M. Reinhard, archiviste des relations extérieures auprès du Comité de salut public, pour obtenir communication des papiers qui avaient pour objet les affaires de Turquie.



3 Storia di Corsica, da F.-O. Renucci, 1833, t. I, p. 474 et 475.


IV. 15 Vendémiaire — Mariage — Armée d’Italie.[modifier]

La Convention nationale avait décrété la constitution de l’an III, par laquelle le pouvoir exécutif était confié à cinq directeurs, et la législature à deux conseils, dits des Anciens et des Cinq-Cents. Les auteurs de cette constitution avaient prescrit, dans deux lois additionnelles, que les deux tiers des membres de la nouvelle législature seraient pris dans la Convention, de sorte que les Assemblées électorales, ne pourraient nommer pour la première fois que l’autre tiers.

Ces conditions excitèrent l’indignation parmi les quarante-huit sections de la capitale, aigries déjà, exaltées, conduites par des factieux, des hommes inconsidérés, des ambitieux, des royalistes ; il y eut des rassemblements nombreux, et dans plusieurs on se préparait à résister vigoureusement aux prétentions de la Convention. Cette Assemblée ne voyant de salut que dans la force des armes, se déclara en permanence, et le matin du 4 octobre 1795, elle nomma le général de brigade Barras, représentant du peuple, chef de la force armée de Paris et de l’intérieur.

Barras, prévoyant les difficultés qu’il aurait à vaincre, et l’immense responsabilité qui allait peser sur sa tête, se rappelle l’artilleur qui avait tant contribué à la prise de Toulon, fait appeler Bonaparte et se l’adjoint en qualité de général de division. En acceptant cette position, Bonaparte dit au représentant : Je vous préviens que si je tire l’épée, elle ne rentrera dans le fourreau que quand l’ordre sera rétabli… Ne perdons pas de temps, les minutes en ce moment sont des heures.

Le 5 octobre 1795, à six heures du matin, il fit ses dispositions d’attaque contre les sectionnaires ; en même temps, il expédia le chef d’escadron Murat, avec 300 cavaliers, pour ramener de la plaine des Sablons dans le jardin des Tuileries, un parc de 40 bouches à feu. Murat réussit complètement, grâce à cette politesse de sabre, qui, suivant Napoléon, manque rarement son effet sur des hommes civils.

Tout fut balayé par le canon chargé à poudre et par la baïonnette ; le soir du lendemain, Paris était parfaitement tranquille. Le 40 du même mois, la Convention, sur la proposition de Barras, confirma la nomination de Bonaparte au grade de général en second de l’armée de l’intérieur ; six jours après, il fut nommé général de division.

Le 26 octobre, Barras ayant donné sa démission de général en chef de l’armée de l’intérieur, le Comité de salut public nomma Bonaparte pour le remplacer.

Le 26 février 1796, sur la proposition de Carnot, le Directoire, dont il était membre, nomma le général en chef de l’armée de l’intérieur commandant en chef de celle d’Italie. Le bruit à longtemps couru, et il court encore, qu’il dut principalement cette faveur à l’influence du directeur Barras. Une lettre qu’on attribue à Mme veuve de Beauharnais (Joséphine), et qu’elle écrivait à une de ses amies peu de temps avant son mariage avec Bonaparte, donne à entendre que Barras, en effet, était disposé à faire obtenir à son futur époux le commandement en chef de l’armée d’Italie.

Quand il apprit sa nomination de la bouche de Joséphine, à qui Barras avait eu la galanterie de l’annoncer, il s’écria, dit-on : J’y perdrai la tête ou l’on me reverra plus haut qu’on ne s’y attend.

Cependant il faisait assidûment sa cour à Joséphine, qu’il voyait souvent dans les maisons qu’il fréquentait, et notamment chez le directeur Barras, qui faisait en grand seigneur, à Chaillot, les honneurs de la République.

Le 9 mars 1796, l’acte de mariage de Napoléon et de Marie-Joséphine-Rose de Tascher fut passé à dix heures du soir par le maire du deuxième arrondissement. Ce magistrat sommeillait quand le futur époux entra dans la salle ; le général alla droit à lui, et le frappant vivement sur l’épaule, il lui dit avec impatience : Allons donc, monsieur le maire, réveillez-vous, et venez vite nous marier. C’était bien là les procédés d’un homme né pour commander aux autres et qui voulait être obéi tout de suite.

Il n’y eut pas de cérémonie religieuse. En sortant de la municipalité, les nouveaux mariés allèrent loger chez madame Fanny, comtesse de Bauharnais, tante de Joséphine, qui habitait un hôtel situé rue Chantereine, 6.

Deux jours après, le général partit en poste de Paris avec son aide-de-camp Junot et l’ordonnateur en chef Chauvet, pour le quartier général de l’armée d’Italie, dont il était encore peu connu, et dans laquelle il avait fait, un an auparavant, sa première campagne sous des officiers supérieurs qui devaient maintenant obéir à ses ordres. En arrivant à Nice, il remplaça le général en chef Schérer qui venait de s’illustrer par sa victoire de Vado, et les commandants supérieurs Augereau, Masséna, Laharpe, devinrent ses lieutenants.

Le moral de l’armée française était excellent, elle avait déjà remporté des victoires, mais elle manquait de tout, d’argent, de vivres, d’artillerie, d’habits ; la discipline s’était relâchée sous une administration mal organisée et sans vigueur. L’armée ennemie, au contraire, avait en sa faveur le nombre, l’abondance, l’avantage des positions. Bonaparte qui connaît fort bien le caractère des soldats qu’il va commander, leur parle ainsi : ’‘Camarades, voilà bientôt quatre ans que vous pâtissez dans les gorges stériles de la Ligurie. Jetez les yeux sur les campagnes fertiles qui se développent à vos pieds, elles seront bientôt à vous : la victoire vous les promet ; allons en prendre possession, et l’abondance succédera aux misères qui vous affligent. Ces paroles prophétiques électrisent les soldats, et leur inspirent pour leur nouveau chef une confiance sans bornes.


V. Campagne d’Italie. — Rastadt. — Dispositions militaires.[modifier]

La principale difficulté de la campagne consistait dans la disjonction des armées piémontaise et autrichienne ; la première, commandée par Provera et Colli, et l’autre par Beaulieu et Argentan. Ce but fut atteint par une manœuvre savante et inattendue : Bonaparte fond d’abord avec toutes ses forces sur Argentan qui commandait le centre de l’armée ennemie situé à Montenotte, et le rejette sur Dégo et Sacello. Beaulieu, apprenant les désastres du centre, se retire avec précipitation sur Acqui. Provera est fait prisonnier à Cosséria ; les Piémontais, défaits à Monte-Ramoro et à Mondovi, chassés de Cera, fuient sur la route de Turin.

Ces divers combats qui durèrent six jours, eurent pour résultats la prise de quarante pièces de canon, la mise hors de combat de 12.000 Autrichiens, la possession des forteresses de Coni, de Céva, de Tortone, d’Alexandrie : l’occupation presque totale du Piémont, évacué par les Autrichiens ; ce qui mit le roi de Sardaigne dans la nécessité de demander la paix au gouvernement de la République.

Dans la campagne suivante, le général victorieux, maître de son armée, conçoit le projet de faire la conquête de la Lombardie : il est si certain des suites de cette expédition qu’il écrit de Chérasco au Directoire : « Demain je marche sur Beaulieu ; je l’oblige à repasser le Pô ; je le passe immédiatement après ; je m’empare de toute la Lombardie, et, avant un mois, j’espère être sur les montagnes du Tyrol ; de là j’irai joindre l’armée du Rhin, et nous porterons de concert la guerre dans la Bavière… »

Par le traité de paix conclu à Turin avec la cour de Sardaigne, le général français avait eu la précaution de se faire céder le pont de Valence, prévoyant que l’occupation de ce poste attirerait l’attention de l’ennemi et lui ferait prendre le change, tandis qu’il irait de son côté forcer le passage du Pô sur un autre point, ce qu’il exécuta heureusement à Plaisance. De là, il marche rapidement sur Lodi : un pont long et étroit jeté sur l’Adda, qui baigne les murs de la place, est franchi malgré le feu meurtrier de la mitraille des Autrichiens qui défendaient ce passage difficile et dangereux.

Lodi est enlevé, et l’occupation de cette place assure à l’armée victorieuse la conquête de la haute Italie.

Mais le projet de porter la guerre en Allemagne par le Tyrol, qui est toujours l’idée dominante de Bonaparte ne peut s’effectuer avec sécurité tant que la forteresse redoutable de Mantoue sera au pouvoir de l’ennemi. Le général fait ses dispositions pour exécuter les plans qu’il a combinés, et dont la réussite lui parait si certaine qu’il écrit au directeur Carnot : « Si l’action des deux armées françaises qui combattent sur le Rhin n’est point arrêtée par un armistice, il serait digne de la République d’aller signer le traité de paix avec les trois armées réunies au cœur de la Bavière ou de l’Autriche étonnée. »

Cependant le Directoire, surpris autant peut-être de l’audace de son général que jaloux de ses victoires, et prévoyant la haute destinée que ses succès semblaient lui promettre, prit la détermination de ne plus le laisser seul arbitre de la guerre et de la paix : ainsi donc, tout en le félicilant sur sa conquête du Piémont, il le remerciait avec affectation d’avoir abandonné au commissaire civil, Salicetti, le soin de traiter des préliminaires pour la paix, laissant entrevoir le mécontentement que lui avaient causé les armistices qu’il s’était permis de conclure lui-même avec les généraux piémonlais et le duc de Parme.

Bonaparte apprit en même temps qu’on avait le projet de diviser le commandement de l’armée d’Italie entre lui et le général Kellermann. Cette nouvelle l’affecta singulièrement. Il écrivit confidentiellement au directeur Carnot :

« Je crois que réunir Kellermann et moi en Italie, c’est vouloir tout perdre : je ne puis servir volontiers avec un homme qui se croit le premier général de l’Europe ; et, d’ailleurs, je crois qu’un mauvais général vaut mieux que deux bons. La guerre est comme le gouvernement, c’est une affaire de tact. »

Il écrit au Directoire : « J’ai fait la campagne sans consulter personne ; je n’eusse fait rien de bon s’il eût fallu me concilier avec la manière de voir d’un autre. Si vous m’imposez des entraves de toute espèce, s’il faut que je réfère de tous mes pas aux commissaires du gouvernement, s’ils ont le droit de changer mes mouvements, de m’ôter ou de m’envoyer des troupes, n’attendez plus rien de bon. Si vous affaiblissez vos moyens en partageant vos forces, si vous rompez en Italie la pensée militaire, je vous le dis avec douleur, vous aurez perdu la plus belle occasion d’imposer des lois en Italie. Chacun a sa manière de faire la guerre : le général Kellermann a plus d’expérience et la fera mieux que moi ; mais tous les deux ensemble, nous la ferons fort mal. Je sens qu’il faut beaucoup de courage pour vous écrire cette lettre ; il serait si facile de m’accuser d’ambition et d’orgueil… »

Sur ces entrefaites, Masséna s’empare de Milan, et Bonaparte y fait son entrée solennelle le lendemain ; et ce jour même, est signé à Paris, un traité de paix par lequel la Savoie, Tende, Nice et autres places, sont enlevées au roi de Sardaigne et passent sous la domination de la France.

Peu de jours après, le Directoire, cédant aux raisons et aux instances de Bonaparte, lui abandonne sans partage la conduite des affaires d’Italie.

De ce moment date la haute influence que cet homme extraordinaire va exercer sur les affaires, tant civiles que militaires de Milan, qu’il occupe en souverain. Il poursuit l’exécution des clauses qui sont convenues avec le Piémont, conclut des traités avec Rome, Naples et le duché de Parme ; il comprime en personne les mouvements de la Lombardie, qui vient de se révolter et il contient dans leur neutralité les états de Gênes et de Venise. Il sait bien que ces républiques sont fort mal disposées pour la France, mais il juge sagement que le temps de les faire s’expliquer plus ouvertement n’est pas encore venu.

Enfin le château de Milan, qui avait résisté jusque-là, tombe en notre pouvoir, et le vainqueur en tire 150 pièces de canon qu’il fait diriger sur Mantoue. D’autres équipages de siège pris à Bologne, Ferrare, le fort d’Urbin, sont conduits par ses ordres vers le même point. Beaulieu, avant de quitter l’Italie, avait eu le temps de jeter 13.000 hommes dans la place, et 30.000 Autrichiens, détachés de l’armée du Rhin, accouraient pour la secourir.

Enfin, Wurmser est à la tête de 60.000 hommes pour faire lever le siège, et Bonaparte n’en a pas 40.000 à lui opposer ; sa position était fort embarrassante, ayant à combattre, d’un côté, contre une armée d’un tiers plus forte que la sienne ; et, de l’autre, à contenir une forte garnison, et garder en outre, tous les passages du fleuve, depuis Brescia jusqu’à Vérone et Legnano.

Fort heureusement, le génénal en chef autrichien commet la faute grave de diviser ses forces en deux corps : 35.000 hommes sous ses ordres marchent droit sur Mantoue par la vallée, de l’Adige, tandis que Quasdanowich marche avec 25.000 hommes sur Brescia.

Bonaparte profite habilement de la faute de ses adversaires : il quitte brusquement le siège de Mantoue, et laisse devant la place sa grosse artillerie, concentre ses troupes à Roverbello, tombe sur Quasdanowich, le bat successivement à Salo et Lonato, et le force à se réfugier dans les montagnes du Tyrol. Cet heureux succès obtenu, il court sur Wurmser, le bat complètement à Castiglione, passe le Mincio en sa présence et le rejette dans le pays de Trente.

Ces divers combats, qui durèrent de puis le 1er jusqu’au 5 août, et que, pour cela, les Français appelèrent la bataille des cinq jours, coûtèrent à l’Autriche plus de 20.000 hommes et 50 pièces de canon.

Bonaparte, après ses avantages, se met à la poursuite de Quasdanowich, l’atteint, le bat à Serra-Valla, Ponte-San-Marco. Roveredo, et dans les gorges de Caliano.

Cependant Wurmser avait repris le chemin de Mantoue, et son armée filait par les gorges de Brenta. Bonaparte, qui a prévu ce mouvement, abandonne le Tyrol et va se montrer aux Autrichiens à Bassano, aux gorges de Primolano, au fort de Cavalo. Néanmoins Wurmser, séparé encore une fois du corps de Gnosdanovich, trouve enfin le moyen d’entrer dans Mantoue. Cette place, dont la garnison vient de recevoir un renfort si considérable, semble pouvoir soutenir victorieusement les attaques des assiégeants, d’autant plus qu’une nouvelle armée arrivait pour la secourir. L’Autriche, victorieuse sur le Rhin, résolut de reprendre à tout prix les possessions qu’elle avait perdue en Italie et de faire lever le siège de Mantoue. Alvinzi, général expérimenté, est chargé d’aller faire cette conquête à la tête de 45.000 hommes. Ce général commet la même faute que Wurmser : il partage ses forces : il laisse 15.000 hommes à Davidowich, avec ordre de descendre les vallées de l’Adige, et lui-même se dirige sur Mantoue, par le Véronnais, avec 30.000 hommes.

Dans ce moment, le général français, affaibli par les combats et les garnisons qu’il a dû laisser dans les forteresses qu’il a prises, ne peut disposer que de 33.000 hommes ; mais, par la hardiesse de ses mouvements, par les savantes dispositions qu’il sait prendre à propos, il supplée avantageusement à l’insuffisance de ses moyens.

Au moment où l’on s’y attend le moins, il abandonne le blocus, place 3.000 hommes à Vérone, se porte rapidement sur Ronco, jette un pont sur l’Adige, le traverse avec l’armée, et prend le chemin d’Arcole, lieu devenu célèbre à jamais par l’action meurtrière que les deux armées se livrèrent dans ses environs. Une chaussée étroite conduisait au port ; Bonaparte ordonne de marcher sur la chaussée et d’aller forcer le passage du pont ; mais sa colonne de grenadiers, prise en flanc par le feu de l’ennemi, s’arrête ; Bonaparte descend de cheval, saisit un drapeau et le jette sur le pont en s’écriant : Soldats ! n’êtes-vous plus les braves de Lodi ? suivez-moi ! Le feu des Autrichiens devient si terrible que les troupes refusent d’avancer : l’attaque n’eut point de succès.

Désespérant de réussir sur ce point, il prend la résolution de retourner à Ronco et dérobe sa marche à Alvinzi. Il fait allumer desfeuxsur la chaussée d’Arcole, et, le lendemain, il se trouve libre de livrer bataille à celui des trois corps autrichiens qu’il lui plaira ; il choisit le plus fort, celui d’Alvinzi, qu’il repousse au delà de Vicence, après lui avoir tué 5.000 hommes, fait 8.000 prisonniers, et pris 30 pièces de canon. Le lendemain, ce fut le tour de Davidowich, qu’il a obligé de se réfugier dans le Tyrol, et Wurmser qui commande le troisième corps, n’a que le temps de rentrer dans Mantoue, où il se voit de nouveau bloqué par Serrurier.

Cependant les Autrichiens, dont on ne saurait trop admirer la contenance ou plutôt l’opiniâtreté, ne désespèrent pas, malgré leurs nombreuses défaites, de faire tourner la fortune en leur faveur. Alvinzi et Provera descendent tout à coup du Tyrol à la tête d’une armée nouvelle et nombreuse. Provera se dirige sur Mantoue avec 12.000 hommes ; Alvinzi, avec le gros de l’armée, se met à la poursuite de Joubert, qui se retire sur Rivoli : Bonaparte, qui n’avait que 20.000 hommes disponibles pour livrer bataille, donne ordre à Joubert de tenir ferme à Rivoli, et il va attendre l’ennemi derrière cette position. Le général autrichien, trop confiant dans la supériorité de son armée, en détache une partie sous les ordres du général Lusignan, et il s’engage avec le gros de ses forces dans les vallées de l’Adige et de la Carona, dont le plateau de Rivoli est le nœud. Il s’empare de ce plateau, sur lequel il place 2.000 hommes ; mais au moment où il se croit maître de la division Joubert, il se voit coupé ; le plateau de Rivoli est pris, et ceux qui le gardaient mettent bas les armes. Enfin la colonne de Lusignan vient attaquer l’armée française sur ses derrières : elle est prise presque en entier par Masséna avec son général. Provera et sa division eurent le même sort. Wurmser est repoussé dans Mantoue, et dix-sept jours après, ayant vu détruire sous ses murs les restes de la quatrième armée autrichienne, il se voit dans la nécessité de capituler.

Les batailles de Rivoli et de la Favorite, et la prise de Mantoue, coûtèrent, en trois jours, à l’Autriche, 45.000 hommes tués ou faits prisonniers et 600 bouches à feu.

Le général en chef, pour punir le pays d’avoir enfreint l’armistice de Bologne, lui impose le traité de Tolentino.

En moins de douze mois, à l’âge de 28 ans, Bonaparte a détruit quatre armées autrichiennes, donné à la France une partie du Piémont, fondé deux républiques en Lombardie, conquis toute l’Italie, depuis le Tyrol jusqu’au Tibre, signé des traités avec les souverains du Piémont, de Parme, de Naples, de Rome. Le grand guerrier et le grand politique marchent de front. Toute la France a les yeux sur Bonaparte et ne regarde que lui ; le Directoire, dont il a éclipsé la considération et le pouvoir, l’invite plutôt qu’il ne lui commande, à poursuivre ses conquêtes et à marcher sur la capitale de l’Autriche.

Cette puissance, attérée par la chute de Mantoue et se voyant menacée dans ses propres États, ordonne à l’archiduc Charles d’aller, avec l’élite de l’armée qu’il commande, sur le Rhin, s’opposer en Italie aux progrès de Bonaparte.

Celui-ci, apprenant la marche de son noble adversaire, fait mettre en mouvement une armée de 53.000 hommes, à laquelle s’étaient réunies la division Delmas et la division Bernadotte. En arrivant à l’armée de Bonaparte, ce dernier avait dit à ses soldats : « Soldats de l’armée du Rhin, songez que l’armée d’Italie nous regarde. »

Bonaparte, à la tête d’une division de 37.000 hommes, emporte Tarri. Il envoie trois autres divisions forcer le passage du Tagliamento, défendu par l’archiduc en personne : elles obtiennent l’avantage, poursuivent ce prince sur l’Isonzo, et s’emparent de l’importante forteresse de Palma-Nova ; et vingt jours plus tard, l ! archiduc, ayant perdu le quart de son armée, est obligé de se retirer sur Saint-Weith et sur la Muhr.

Cependant, Bonaparte avait détaché 16.000 hommes sous la conduite du général Joubert, qui culbute les généraux Laudon et Kerpen et force tous les défilés du Tyrol, pendant que Bernadotte marchait sur Leybach.

Enfin, lé 31 mars, un an après son départ de Nice, le vainqueur, arrivé à Klagenfurth, a la générosité d’offrir la paix à l’Autriche, qui, d’abord, a l’insolence de la refuser. L’armée républicaine se remet en marche. Masséna force les défilés de Neumarch, s’empare de la position d’Hunsdmark. Le moment approchait ou une grande bataille allait décider du sort de Bonapavte et de celui de la maison d’Autriche ; mais deux ennemis se rendirent au quartier général français, et le 7 avril un armistice est accordé à Indenburg, et le 15, les préliminaires de la paix sont convenus à Léoben. C’est à cette occasion que Bonaparte dit aux négociateurs autrichiens : « Votre gouvernement a envoyé contre moi quatre armées sans généraux, et cette fois un général sans armée. » Bel éloge des talents militaires du prince Charles.

La dépêche du 19 avril, qui apprend au Directoire la signature des préliminaires, lui révèle aussi toute l’indépendance de son général, et peut lui donner des craintes sur un avenir que sa politique inquiète et jalouse n’a pas deviné. Voici quelques passages de cette importante dépêche :

« Si je me fusse, au commencement de la campagne, obstiné à aller à Turin, je n’aurais jamais passé le Pô ; si je m’étais obstiné àaller à Rome, j’aurais perdu Milan ; si je m’étais obstiné à aller à Vienne, peut-être aurais-je perdu la République. Dans la position des choses, les préliminaires de la paix, même avec l’empereur, sont devenus une opération militaire. Cela sera un monument de la gloire de la République française, et un présage infaillible qu’elle peut, en deux campagnes, soumettre le continent de l’Europe. Je n’ai pas, en Allemagne, une seule contribution ; il n’y a pas eu une seule plainte contre nous. J’agirai de même en évacuant ; et, sans être prophète, je sens que le temps viendra où nous tirerons parti de cette sage conduite. Quant à moi, je vous demande du repos. J’ai justifié la confiance dont vous m’avez investi ; je ne me suis jamais considéré, pour ainsi dire, dans toutes mes opérations, et je me suis aujourd’hui lancé sur Vienne, ayant acquis plus de gloire qu’il n’en faut pour être heureux, et ayant derrière moi les superbes plaines d’Italie, comme j’avais fait au commencement de la campagne dernière, en cherchant du pain pour l’armée, que la République ne pouvait plus nourrir. »

Pendant que Bonaparte marchait sur Vienne par les défilés de la Carinthie, les nobles et le clergé vénitiens levaient des troupes pour l’empêcher de rentrer en Italie ; et tandis qu’il stipulait à Léoben la cessation de l’effusion du sang, le meurtre des Français commandé par le Sénat, était prêché dans toutes les églises. La deuxième fête de Pâques, au son des cloches, tous les Français qui se trouvaient à Vérone sont égorgés. Ce crime inouï sera à jamais connu sous le nom de Pâques vénitiennes.

De tels attentats ne pouvaient rester impunis : l’aristocratie vénitienne est détruite, et le lion de Saint-Marc renversé, pour toujours, par celui qui mérita réellement alors le nom glorieux de libérateur de l’Italie. Le 16 vendémiaire an VI (7 octobre 1797), Bonaparte signa à Campo-Formio ce fameux traité qui donnait à la République la possession des Pays-Bas autrichiens. De cette époque si glorieuse pour la France, date toutefois l’asservissement de Venise, cédée injustement à l’Autriche ; la République française disposa d’un État indépendant et son injustice dure encore.

Après la concession de ce traité, Bonaparte, vainqueur et pacificateur, reçut ordre d’aller présider au congrès de Rastadt la légation française. Il y signa, avec le comte de Cobentzel, la convention militaire relative à l’évacuation respective des deux armées.

Enfin, Bonaparte quitta Rastadt pour venir triompher à Paris ; il y fut reçu avec un enthousiasme extraordinaire. Le Directoire fut justement effrayé de cette puissance de gloire qu’il ne pouvait braver, ni récompenser dignement. Cependant, comme il ne pouvait se dispenser de s’associer d’une manière quelconque au triomphe du vainqueur de l’Italie, il se décida à lui donner, dans la cour du palais du Luxembourg, une fête extraordinaire ; la pompe qu’il déploya dans cette occasion ne trompa personne, ni celui qui en était l’objet, ni la portion éclairée des spectateurs.

Cette fête eut lieu le 20 frimaire (10 décembre 1797), en présence de presque tous les ambassadeurs des puissances armées. La vaste cour du Luxembourg offrait, entre autres ornements, les drapeaux conquis par l’armée d’Italie, groupés et formant comme un dais au-dessus des cinq directeurs ; ils étaient pour eux, ce que justifièrent les événements, l’épée de Damoclès.

Bonaparte, en remettant solennellement au pouvoir exécutif le traité de Campo-Formio, prononça un discours dans lequel on remarqua cette phrase : « Lorsque le peuple français sera assis sur les meilleures lois organiques, l’Europe entière deviendra libre. » Barras, chargé de lui répondre au nom de ses collègues, dit que la nature avait épuisé toutes ses richesses pour créer Bonaparte. Bonaparte, ajouta-t-il, a médité ses conquêtes avec la pensée de Socrate : il a réconcilié l’homme avec la guerre. Étrange galimathias dans la bouche d’un homme qui se disait républicain par excellence.

Quelques jours après, le héros fut fêté avec non moins d’éclat par les Conseils, dans la grande galerie du Musée, et le département donna le nom de Victoire à la rue Chantereine, dans laquelle il avait sa maison. L’Institut le choisit pour remplacer Carnot, alors proscrit comme royaliste.

Les lettres, les arts s’empressaient autour de lui ; le royaliste de Bonald lui offrit un de ses livres, et le républicain David son pinceau. On rapporte une anecdote qui, si elle n’est point complètement vraie, donne du moins une idée de l’influence que pouvait exercer sur l’esprit de Bonaparte l’enthousiasme extrême dont il était l’objet de la part de la nation tout entière ; la voici : David voulait le représenter à cheval sur le pont d’Arcole ou de Lodi ; Non, répondit-il, j’y serais avec toute l’armée ; représentez-moi de sang-froid sur un cheval fougueux.

L’ivresse, exaltait toutes les têtes ; aux théâtres et dans tous les lieux publics, on n’entendait que le cri de Vive Bonaparte !

Cependant, pour donner de l’aliment à son activité naturelle et un peu de repos à la reconnaissance chagrine du Directoire, Bonaparte partit pour aller inspecter son armée dite d’Angleterre, dont il avait été nommé généralissime quelque temps auparavant. Après avoir parcouru les côtes du Nord, de la Normandie et de la Bretagne, il revint à Paris, rempli d’un projet qui devait l’affranchir de la méfiance du Directoire et de la nullité d’un commandement dérisoire qui ne lui avait été donné que pour le tenir éloigné des affaires et dans l’inaction.

Ce projet avait pour but la mémorable expédition d’Égypte ; l’idée de cette expédition lui était venue au milieu de ses triomphes en Italie : il s’en était ouvert, assure-t-on, au savant Monge, lors de son séjour à Milan.

Pendant qu’il négociait la paix à Passeriano, il adressa à l’escadre de l’amiral Brueys, stationnée dans l’Adriatique, la proclamation suivante : « Camarades, dès que nous aurons pacifié le continent ; nous nous réunirons à vous pour conquérir la liberté des mers. Sans vous, nous ne pouvons porter la gloire du nom français que dans un petit coin du continent ; avec vous, nous traverserons les mers, et la gloire nationale verra les régions les plus éloignées. »

À son retour de l’inspection des côtes de l’Océan, bien convaincu de la nullité du commandement qu’on lui avait donné sous le nom de général de l’armée d’Angleterre, et comprenant fort bien qu’il serait presque impossible d’étendre la guerre sur le territoire de cette puissance, entourée quelle est de mers de tous côtés, il conseilla au Directoire de l’attaquer dans ses possessions de l’Inde, contre lesquelles il serait long sans doute, mais aisé pourtant de mener une armée par terre. Pour convaincre les Directeurs, il leur cita l’exemple d’Alexandre qui, parti d’une province d’Europe, avait conduit, à travers des peuples redoutables, ses armes victorieuses jusqu’aux bouches du Gange. La France, bien autrement puissante que l’antique Macédoine, n’avait pas, disait-il, à craindre d’être traitée de téméraire en imitant l’exemple d’Alexandre ; il lui était très-facile de porter une armée en Égypte, de faire la conquête de ce pays, et de se rendre, par l’isthme de Suez en Asie, et de là dans les contrées que les Anglais possèdent dans l’Inde.


VI. Égypte.[modifier]

Le bruit court tout à coup que 40.000 hommes de troupes de terre et 10.000 marins sont réunis dans les ports de la Méditerranée ; qu’un armement immense se préparé à Toulon : 13 vaisseaux de ligne, 14 frégates, 400 bâtiments sont équipés pour le transport de cette nombreuse armée, dont la destination est toujours un mystère impénétrable : Où va-t-elle ? on ne sait. Pourquoi la commission des sciences et des arts a-t-elle envoyé à Toulon cent de ses membres pris dans chacune de ses classes ? Aurait-on l’intention d’aller fonder une colonie dans quelque terre éloignée ?

Le général en chef avait sous ses ordres Berthier, Caffarelli, Kléber, Desaix, Lannes, Damas, Murat, Andréossi, Belliard, Menou et Zayonscheck, etc. Parmi ses aides-de-camp on remarquait son frère Louis, Duroc, Eugène Beauharnais, le noble polonais Sulkowski.

La grande flotte de Toulon avait reçu les escadres de Gênes, de Civita-Vecchia, de Bastia ; elle était commandée par l’amiral Brueys et les contre-amiraux Villeneuve, Duchayla, Decrès et Gantheaume.

On était sur le point d’appareiller et de partir, lorsqu’un incident de peu d’importance réelle vint tout suspendre et tout arrêter : le drapeau tricolore arboré sur le palais de France, dans la capitale de l’Autriche, par Bernadotte, ambassadeur de la République, avait donné lieu à un tumulte dans lequel le caractère de l’ambassadeur se trouvait outragé, et Bernadotte avait quitté Vienne. Les avantages reconnus par le traité de Campo-Formio étaient donc remis en question, et une paix glorieuse, obtenue après tant de combats et de sacrifices, semblait rompue où l’on se flattait de la voir affermie pour longtemps.

Dans la crainte d’une rupture avec l’empereur, le Directoire ne vit qu’un homme, Bonaparte, qu’il fût prudent de lui opposer. Cependant, après quelques explications, les affaires s’arrangèrent et la paix fut maintenue. Bonaparte eut ordre de se rendre à Toulon le plus tôt possible. On prétend que, dans une conférence orageuse qu’il eut avec le Directoire, il menaça de donner sa démission, et que le directeur Rewbell, lui présentant la plume, lui dit : Signez-la, général.

Bonaparte partit, et il arriva à Toulon le 9 mai. Dix jours après, au moment de s’embarquer, s’adressant particulièrement à ses braves de l’armée d’Italie, il leur dit : Soldats ! vous êtes une des ailes de l’armée d’Angleterre. Vous avez fait la guerre des montagnes, des plaines et des sièges ; il vous reste à faire la guerre maritime. Les légions romaines, que vous avez quelquefois imitées, mais pas encore égalées, combattaient Carthage tour à tour sur cette même mer et aux plaines de Zama. La victoire ne les abandonna jamais, parce que constamment elles furent braves, patientes à supporter les fatigues, disciplinées et unies entre elles… Soldats, matelots, vous avez été jusqu’à ce jour négligés ; aujourd’hui, la plus grande sollicitude de la République est pour vous… Le génie de la liberté, qui a rendu, dès sa naissance, la République, arbitre de l’Europe, veut qu’elle le soit des mers et des nations les plus lointaines. Le jour de son arrivée, il leur avait dit : Je promets à chaque soldat qu’au retour de cette expédition, il aura à sa disposition de quoi acheter six arpents de terre.

L’armée, pleine de confiance dans les talents de son général, s’embarqua avec joie ; vingt jours après, on était devant Malte. Bonaparte n’avait certainement aucune raison légitime pour attaquer et prendre cette île de vive force ; il en allégua de futiles, et, grâce au peu d’attachement que la population avait conservé pour les chevaliers, il suffit de quelques coups de canon pour faire tomber la redoutable forteresse de Lavalette au pouvoir des Français ; ce qui fit dire au général Casa-Bianca : « Il est fort heureux qu’il se soit trouvé quelqu’un ici pour nous ouvrir les portes de cette place. » Bonaparte s’empara de Malte par la raison du plus fort, et surtout à cause de son importante position dans la Méditerranée.

Avant de quitter cette île, le général en chef fit mettre en liberté les captifs mahométans qui languissaient dans les bagnes de la religion. Il y avait dans cet acte, au moins autant de politique que d’humanité : on allait combattre contre des Musulmans, il fallait, autant que possible, se les rendre favorables par des procédés généreux. Treize jours après le départ de Malte, la flotte était en vue d’Alexandrie. Avant le débarquement, qui se fit immédiatement, le général avait adressé cette proclamation à son armée : « Les peuples avec lesquels nous allons vivre sont mahométans ; leur premier article de foi est celui-ci : Il n’y a d’autre Dieu que Dieu, et Mahomet est son prophète. Ne les contredites pas ; agissez avec eux comme vous avez agi avec les Juifs, avec les Italiens ; ayez des égards pour leurs muphtis et pour leurs imans, comme vous en avez eu pour les rabbins et les évêques. Ayez pour les cérémonies que prescrit l’Alcoran, pour les mosquées, la même tolérance que vous avez eue pour les couvents, pour les synagogues, pour la religion de Moïse et celle de Jésus-Christ. Les légions romaines protégeaient toutes les religions. Vous trouverez ici des usages différents de ceux de l’Europe, il faut vous y accoutumer. Les peuples chez lesquels nous allons, traitent les femmes différemment que nous ; mais dans tous les pays celui qui viole est un monstre. Le pillage n’enrichit qu’un petit nombre d’hommes ; il nous déshonore, il détruit nos ressources ; il nous rend ennemis des peuples qu’il est de notre intérêt d’avoir pour amis. La première ville que nous allons rencontrer a été bâtie par Alexandre. Nous trouverons à chaque pas de grands souvenirs dignes d’exciter l’émulation des Français. »

Menou, qui devait sortir le dernier de l’Égypte, y prend terre le premier. Bonaparte et Kléber débarquent ensemble et le joignent dans la nuit au Marabou, sur lequel fut planté en Afrique le premier drapeau tricolore. Le général en chef, instruit qu’Alexandrie a l’intention de lui opposer de la résistance, se hâte de débarquer, et à deux heures du matin, il se met en marche sur trois colonnes, arrive à l’improviste sous les murs de la place, ordonne l’assaut ; l’ennemi cède et fuit. Nos soldats, malgré l’ordre de leur chef, se précipitent dans la ville, qui n’a pas le temps de capituler et se rend à discrétion.

Une fois maître de cette capitale, et avant de pénétrer plus avant sur le sol égyptien, le vainqueur adressa le 1er juillet cette proclamation aux habitants musulmans d’Alexandrie :

« Depuis trop longtemps les beys qui gouvernent l’Égypte insultent à la nation française et couvrent ses négociants d’avanies. L’heure de leur châtiment est arrivée. Depuis trop longtemps ce ramassis d’esclaves, achetés dans le Caucase et la Géorgie, tyrannise la plus belle partie du monde ; mais Dieu, de qui dépend tout, a ordonné que leur empire finisse. Peuple de l’Égypte, on vous dira que je viens pour détruire votre religion, ne le croyez pas ; répondez que je viens vous restituer vos droits, punir les usurpateurs, et que je respecte Dieu, son prophète et le Coran plus que les Mamelucks. Dites-leur que tous les hommes sont égaux devant Dieu ; la sagesse, les talents, les vertus mettent seuls delà différence entre eux… Y a-t-il une plus belle terre ? elle appartient aux Mamelucks. Si l’Égypte est leur ferme, qu’ils montrent le bail que Dieu leur en a fait… Cadis, cheiks, imans, tchorbadjis, dites au peuple que nous sommes aussi de vrais musulmans. N’est-ce pas nous qui avons détruit les chevaliers de Malte ? N’est-ce pas nous qui avons détruit le pape qui disait qu’il fallait faire la guerre aux musulmans ? N’est-ce pas nous qui avons été dans tous les temps les amis du Grand-Seigneur et les ennemis de ses ennemis ?… Trois fois heureux ceux qui seront avec nous ! ils prospéreront dans leur fortune et dans leur rang. Heureux ceux qui seront neutres ! ils auront le temps de nous connaître, et ils se rangeront avec nous. Mais malheur, trois fois malheur à ceux qui s’armeront pour les Mamelucks et qui combattent contre nous ! il n’y aura pas d’espérance pour eux, ils périront. »

Lorsque tout est complètement débarqué, l’amiral Brueys reçoit ordre de conduire la flotte dans le mouillage d’Aboukir. Quant à l’escadre, elle doit ou entrer dans le vieux port d’Alexandrie, si cela se peut, ou bien se rendre à Corfou. L’arrivée indubitable des Anglais, qui déjà s’étaient montrés dans les parages d’Alexandrie vingt-quatre heures avant l’arrivée des Français, rendaient ces précautions nécessaires. Il était de la plus grande prudence d’éviter les chances d’un combat naval : une défaite pouvait avoir les suites les plus désastreuses sous tant de rapports ; il était encore du plus grand intérêt de marcher au plus vite sur le Caire, afin d’effrayer les chefs des ennemis et de les surprendre avant qu’ils eussent pris toutes leurs mesures de défense.

Desaix se met en route avec sa division et 2 pièces de campagne ; il arrive, à travers le désert, le 18 messidor, à Demenhour, à quinze lieues d’Alexandrie. Bonaparte, en quittant cette dernière ville, en laisse le commandement à Kléber. Le général Lugua marche sur Rosette ; il a ordre de s’en emparer et de protéger l’entrée dans le port de la flottille française, qui doit suivre la route du Caire, sur la rive gauche de ce fleuve, et rejoindre l’armée par Rahmanié. Le 20 mars, Bonaparte arrive à Demenhour, où il trouve l’armée réunie. Le 22, on se met en marche pour Rahmanié : on s’y repose en attendant la flottille, qui porte les provisoins : elle arrive le 24. L’armée se remet en marche pendant la nuit ; la flottille suit son mouvement.

La violence des vents l’entraîne tout à coup au delà de la gauche de l’armée et la pousse contre la flottille ennemie. Celle-ci est soutenue par le feu de 4.000 Mamelucks, renforcés de paysans et d’Arabes, et cependant, quoique inférieurs en nombre, les Français font perdre à l’ennemi ses chaloupes canonnières. Attiré par le bruit du canon, Bonaparte accourt au pas de charge. Le village de Chebreis est attaqué et emporté après deux heures d’un combat des plus acharnés. L’ennemi fuit en désordre vers le Caire, laissant 600 morts sur le champ de bataille.

Après un jour de repos à Chebreis, l’armée victorieuse se remet à sa poursuite. Le 2 thermidor, on arrive à une demi-lieue du village d’Embabé. La chaleur était insupportable : l’armée, accablée de fatigue, aurait eu besoin de prendre quelque repos ; mais les Mamelucks que l’on voyait se déployer en avant du village, ne lui en donnaient pas le temps. Bonaparte range ses troupes en bataille, et leur montrant les fameuses Pyramides que l’on apercevait en arrière de la gauche de l’ennemi, il s’écria : « Soldats, songez que du haut de ces monuments, quarante siècles vous contemplent. » Et en même temps, il ordonne l’attaque.

La cavalerie des Mamelucks, la plus brave du monde, fit des prodiges de valeur pour essayer de rompre les rangs des Français, disposés en bataillons carrés. Vingt fois ils revinrent à la charge avec la même audace et la même opiniâtreté ; on en vit hacher les canons des fusils de nos soldats à coups de sabre ; d’autres poussaient leurs chevaux à reculons contre ces murailles hérissées de fer, dont l’inébranlable résistance excitait leur fureur et leur désespoir. Après des efforts inouïs, ces braves se retirent, laissant 3.000 des leurs sur le lieu de l’action. Le village d’Embabé est enlevé à la baïonnette ; 40 pièces de canon, 400 chameaux, des armes, des vivres, des richesses de toute espèce furent le fruit de cette victoire qui prit le nom des Pyramides.

La brigade Dupuy, qui continue à suivre l’ennemi en déroute, entre pendant la nuit dans le Caire que les beys Mourad et Ibrahim venaient de quitter.

Le 4 thermidor, les grands de cette capitale se rendent à Gizeh, auprès du général en chef, et lui offrent de lui remettre la ville. Trois jours après, il y transporte son quartier général. Desaix reçoit l’ordre de suivre Mourad, qui avait pris le chemin de la haute Égypte. Un corps d’observation est placé à Elkanka pour surveiller les mouvements d’Ibrahim, qui se dirigeait vers la Syrie. Bonaparte en personne se met à sa poursuite, le bat à Salahie et le chasse complètement de l’Égypte, après quoi il revient au Caire. Chemin faisant, il reçoit la triste nouvelle que la flotte française venait d’être détruite presqu’en totalité par les Anglais, à Aboukir. Ce désastreux événement ne le déconcerta point : toujours impénétrable, nul ne s’aperçut de l’émotion qu’il devait éprouver intérieurement. Après avoir lu tranquillement la dépêche qui lui apprenait que lui et son armée étaient dès lors prisonniers en Égypte : « Nous n’avons plus de flotte, dit-il ; eh bien ! il faut rester ici, ou en sortir grands comme les anciens. » L’armée se montra satisfaite de cette courte et si énergique allocution ; mais les populations indigènes, considérant la défaite d’Aboukir comme un retour prochain de la fortune en leur faveur, s’occupèrent dès lors des moyens de secouer le joug odieux que des étrangers s’efforçaient de leur imposer, et de les chasser de leur pays. Ce projet eut bientôt un commencement d’exécution.

Cependant Bonaparte, aussi bon politique qu’habile général, se comporte en Égypte comme s’il en était le souverain absolu : placé sous un pavillon, il préside à la fête du Nil ; c’est lui qui donne le signal de jeter dans les flots la statue de la fiancée du fleuve, son nom et celui de Mahomet sont confondus dans les mêmes acclamations ; par ses ordres, on fait des largesses au peuple, il donne le caftan aux principaux officiers.

Peu de temps après arriva l’anniversaire de la naissance du prophète ; cette solennité fut célébrée avec la plus grande pompe. Bonaparte dirigea lui-même les évolutions militaires qui eurent lieu en cette occasion ; il parut à la fête et chez le cheik vêtu à l’orientale, le turban en tête ! c’est à cette occasion que le divan le qualifia du titre d’’’Ali-Bonaparte’’. Vers la même époque, il fit prendre des mesures sévères pour la protection de la caravane des pèlerins qui se rendait à La Mecque ; à ce sujet, il écrivit lui-même une lettre au shérif de cette ville.

Néanmoins les populations, nullement convaincues de la sincérité de toutes ces tentatives de conciliation, se révoltaient sans cesse. Le prélèvement des impôts devenus nécessaires pour subvenir aux besoins de l’armée, et surtout le fanatisme religieux, les animaient d’une haine implacable contre les Français. Les attaques imprévues, le poignard, tous les moyens étaient licites pour exterminer ces infidèles venus de l’Occident ; les exécutions militaires ne faisaient qu’exaspérer ces fureurs loin de les éteindre ; les Français, enfin, n’étaient véritablement les maîtres que du terrain qu’ils avaient sous leurs pieds.

Le 22 septembre 1798 amena l’anniversaire de la fondation de la République. Bonaparte fit célébrer cette fête avec toute la magnificence possible. Par ses ordres, un cirque immense fut construit dans la plus grande place du Caire ; 105 colonnes, sur chacune desquelles flottait un drapeau portant le nom d’un département, décoraient cette construction, dont un obélisque colossal, chargé d’inscriptions, occupait le centre ; sur sept autels antiques se lisaient les noms des braves morts au champ d’honneur. On entrait dans l’enceinte en passant sous un arc de triomphe, sur lequel était représentée la bataille des Pyramides. Il y avait là un peu de maladresse : si cette peinture flattait l’orgueil de nos soldats, elle devait faire éprouver des sentiments pénibles aux Égyptiens vaincus, et dont on s’efforçait, mais en vain, de faire des alliés fidèles.

Le jour de cette fête, le général en chef adresse une allocution aux soldats, dans laquelle, après avoir fait l’énumération de leurs exploits depuis le siège do Toulon, il leur disait : « Depuis l’Anglais, célèbre dans les arts et le commerce, jusqu’au hideux et féroce Bédouin, vous fixez les regards du monde. Soldats, votre destinée est belle… Dans ce jour, 40 millions de citoyens célèbrent l’ère du gouvernement représentatif, 40 millions de citoyens pensent à vous. »

Les hommes puissants et que la fortune favorise trouvent des flatteurs partout, même parmi leurs plus cruels ennemis. On chantait dans la grande mosquée du Caire : « Réjouissez-vous, ô fils des hommes ! de ce que le grand Allah n’est plus irrité contre nous ! Réjouissez-vous de ce que sa miséricorde a amené les braves de l’Occident pour vous délivrer du joug des Mamelucks ! Que le grand Allah bénisse le favori de la victoire ! que le grand Allah fasse prospérer l’armée des braves de l’Occident.

Cependant les fils des hommes tramaient dans l’ombre des complots pour exterminer les braves de l’Occident.

Après s’être rendu maître du pays par la force, Bonaparte voulut faire jouir l’Égypte de tous les bienfaits de la civilisation. Par ses soins, le Caire prit bientôt l’aspect d’une ville européenne ; son administration fut confiée à un Divan choisi parmi les hommes les plus recommandables de la province. Les autres villes reçurent en même temps des institutions municipales. Un Institut, composé à l’instar de celui de la mère-patrie, fut organisé ; le conquérant, devenu législateur le dota d’une bibliothèque, d’un cabinet de physique, d’un laboratoire de chimie, d’un jardin de botanique, d’un observatoire, d’un musée d’antiquités, d’une ménagerie et au titre d’académicien, il joignit celui de Président de l’Institut d’Égypte.

Par ses ordres, des savants dressèrent un tableau comparatif des poids et mesures égyptiens et français, ils composèrent un vocabulaire français-arabe et ils calculèrent un triple calendrier égyptien, cophte et européen. Deux journaux, l’un de littérature et d’économie politique, sous le titre de Décade égyptienne, l’autre de politique, sous celui de Courrier égyptien, furent rédigés au Caire.

L’armée, considérablement réduite, autant par les maladies que par le fer de l’ennemi, ne devait plus s’attendre depuis l’incendie de la flotte à recevoir des renforts de la mère-patrie. Pour obvier à cet inconvénient, Bonaparte ordonna une levée parmi les esclaves, depuis l’âge de seize jusqu’à vingt-quatre ans ; 3.000 marins, échappés au désastre d’Aboukir, furent enrégimentés et formèrent la légion nautique.

Toutes les rues du Caire étaient fermées la nuit par des portes, afin de mettre les habitants à l’abri d’un coup de main de la part des Arabes. Le général en chef fit enlever ces clôtures, derrière lesquelles, en cas de sédition, les Égyptiens pouvaient combattre avec quelque avantage contre les Français ; l’événement justifia la prévoyance de Bonaparte.

Le 22 octobre 1798, pendant qu’il était au vieux Caire, la population de la capitale se répand en armes dans les rues, se fortifie sur divers points, et principalement dans la grande mosquée ; le chef de brigade Dupuy, commandant de la place, est tué le premier ; le brave Salkowski, aide-de-camp chéri de Bonaparte, a le même sort. Excités par les cheicks et les imans, les Égyptiens ont juré par le prophète d’exterminer tous les Français ; tous ceux qu’ils rencontrent, soit dans leurs maisons, soit dans les rues, sont impitoyablement égorgés. Des rassemblements se pressent aux portes de la ville pour en défendre l’entrée au général en chef qui, repoussé à la porte du Caire, est obligé de faire un détour pour entrer par celle de Boulack.

La situation de l’armée française était des plus critiques : les Anglais menaçaient les villes maritimes ; Mourad-Bey tenait toujours la campagne dans la haute Égypte ; les généraux Menou et Dugua contenaient à peine la basse Égypte. Les Arabes réunis aux paysans faisaient cause commune avec les révoltés du Caire ; tout le désert était en armes.

Dans un manifeste du Grand Seigneur, répandu avec profusion dans toute l’Égypte, on lisait : « Le peuple français (Dieu veuille détruire son pays de fond en comble !) est une nation d’infidèles obstinés et de scélérats sans frein… Ils regardent le Coran, l’Ancien Testament et l’Évangile, comme des fables… Dans peu, des troupes aussi nombreuses que redoutables s’avanceront par terre, en même temps que des vaisseaux aussi hauts que des montagnes couvriront la surface des mers… Il vous est, s’il plaît à Dieu, réservé de présider à leur entière destruction (des Français) ; comme la poussière que les vents dispersent, ils ne restera plus aucun vestige de ces infidèles : car la promesse de Dieu est formelle, l’espoir du méchant sera trompé, et les méchants périront. Gloire au Seigneur des mondes ! »

Bonaparte, toujours plus grand que le danger, n’est point déconcerté par l’orage qui le menace de toutes parts ; par ses ordres, les Arabes sont repoussés dans le désert ; l’artillerie est braquée tout autour de la ville rebelle ; il poursuit lui-même les révoltés de rue en rue, et les oblige à se concentrer dans la grande mosquée ; il a la générosité de leur offrir leur pardon, ils le refusent, et persistent dans leur obstination : par bonheur pour les Français, le ciel se couvre de nuages, le tonnerre gronde ; ce phénomène est fort rare en Égypte, les Musulmans, ignorants et superstitieux, le considèrent comme un avertissement du ciel, et ils implorent la clémence de leurs ennemis : « Il est trop tard, leur fait répondre Bonaparte ; vous avez commencé, c’est à moi de finir. » Et, tout de suite, il ordonne à ses canons de foudroyer la mosquée. Les Français en brisent les portes et s’y introduisent de vive force : animés par la fureur et la vengeance, ils font un carnage affreux des malheureux Égyptiens.

Redevenu le maître absolu de la ville, le général en chef fit rechercher les auteurs et les instigateurs de la révolte. Quelques cheicks, plusieurs Turcs ou Égyptiens, convaincus d’avoir trempé dans le complot, furent exécutés ; pour compléter le châtiment, la ville fut frappée d’une forte contribution, et son Divan fut remplacé par une commission militaire.

Afin d’atténuer les effets produits par le firman du Grand Seigneur, on afficha dans toutes les villes de l’Égypte une proclamation qui se terminait ainsi : « Cessez de fonder vos espérances sur Ibrahim et sur Mourad, et mettez votre confiance en celui qui dispose à son gré des empires et qui a créé les humains. » Le plus religieux des prophètes a dit : « La sédition est endormie ; maudit soit celui qui la réveillera ! » La révolte en effet ne se réveilla plus tant que Bonaparte resta en Égypte.

Se voyant de nouveau tranquille possesseur de sa conquête, il profita de ce temps de repos pour aller visiter le port de Suez et s’assurer de ses propres yeux de la possibilité d’un canal creusé, disait-on, dans l’antiquité, par ordre des Pharaons, et qui faisait communiquer la mer Rouge avec la Méditerranée. Avant de partir pour cette expédition, il rendit aux habitants du Caire, comme gage de pardon, leur gouvernement national ; un nouveau Divan, composé de soixante membres, remplaça la commission militaire.

Puis, accompagné de ses collègues de l’Institut, Berthollet, Monge,le père Dutertre, Costaz, Caffarelli, et suivi d’une escorte de 300 hommes, il prit le chemin de la mer Rouge, et trois jours de marche dans le désert suffirent à cette caravane pour arriver à Suez. Après avoir donné des ordres pour compléter les fortifications de la place, Bonaparte traverse la mer Rouge à cheval, et va reconnaître en Arabie les célèbres fontaines de Moïse. À son retour, surpris par la marée montante, il courut risque de se noyer ; mais il était de sa destinée d’être encore longtemps heureux. Arrivé à Suez, il reçoit une députation d’Arabes qui viennent solliciter l’alliance des Français. Cependant, après quelques recherches, on retrouve des traces de l’ancien canal de Sésostris, et le but du voyage est atteint.

Sur ces entrefaites, on apprend que Djezzar, pacha de Syrie, s’est emparé du fort d’El-Arisk, situé dans le désert, à dix lieues de la frontière d’Égypte, qu’il est destiné à défendre. Ne doutant plus de l’imminence d’une guerre avec le Grand-Turc, le général résolut d’en prévenir les événements, et l’expédition de Syrie fut décidée.

De retour au Caire, il donne ordre à 10.000 hommes de se tenir prêts à marcher. Les généraux Bon, Kléber, Lannes et Régnier, commandent l’infanterie, le général Murat la cavalerie, le général Dammartin l’artillerie, et le général Dammartin du Falga l’arme du génie. Le contre-amiral Perrée doit, avec trois frégates, aller croiser devant Jaffa, et apporter l’artillerie de siège : celle de campagne est de 80 bouches à feu.

Régnier, qui commande l’avant-garde, arrive en peu de jours devant El-Arisk, s’empare de la place, détruit une partie de la garnison, et force le reste à se réfugier dans le château ; en même temps il met en fuite les Mamelucks d’Ibrahim et se rend maître de leur camp. Sept jours après son départ du Caire, Bonaparte arrive devant El-Arisk, et sur-le-champ il fait canonner une des tours du château. La garnison capitule deux jours après ; une partie des soldats prennent du service dans l’armée française.

Après soixante lieues d’une marche pénible dans le désert, l’armée arrive à Gaza ; elle s’y rafraîchit et s’y repose pendant deux jours. Trois jours après, on se trouve sous les murs de Jaffa. Cette place est entourée de hautes murailles, flanquées de tours. Djezzar en a confié la défense à des troupes d’élite ; l’artillerie est servie par 1.200 canonniers turcs. Il est de toute nécessité de s’en rendre maître avant d’aller plus loin. C’est un des boulevards de la Syrie ; son port offre un abri sûr à l’escadre : de sa chute dépend en grande partie le succès de l’expédition.

Tous les ouvrages extérieurs étaient au pouvoir des assiégeants ; la brèche était praticable, lorsque Bonaparte envoya un Turc au commandant de la ville pour le sommer de se rendre. Celui-ci le fait décapiter et ordonne une sortie. Il est repoussé et dès le soir du même jour les boulets des assiégeants font crouler une des tours, et malgré la résistance désespérée de ses défenseurs, Jaffa succombe. Deux jours et deux nuits de carnage suffirent à peine pour assouvir la fureur du soldat ; 4.000 prisonniers sans défense furent égorgés par ordre du général ! Cette barbare exécution a trouvé des apologistes : « Car, disent-ils, pour maintenir dans la soumission un nombre si considérable de captifs, il eût fallu en confier la garde à une escorte qui eût diminué d’autant les forces de l’armée ; que si on leur eût permis de se retirer en toute liberté, il était raisonnable de craindre qu’ils n’allassent grossir les rangs des troupes de Djezzar. »

Avant de quitter Jaffa, Bonaparte y établit un Divan, un grand hôpital, dans lequel furent reçus les soldats atteints de la peste. Des symptômes de cette affreuse maladie s’étaient manifestés parmi les troupes dès le commencement du siège. Un rapport des généraux Bon et Rampon avait donné de vives inquiétudes à Bonaparte sur la propagation de ce fléau. Afin de dissiper les craintes et de tranquilliser les esprits, il parcourut toutes les salles des pestiférés, parla aux malades, les consola, toucha leurs plaies en leur disant : Vous le voyez, cela n’est rien. Au sortir de l’hôpital, il répondit à ceux qui l’accusaient d’avoir commis une grande imprudence : C’était mon devoir, je suis le général en chef.

De Jaffa, l’armée se dirigea sur Saint-Jean-d’Acre. Chemin faisant, elle prit Kaïffa, où elle trouva des munitions et des approvisionnements de toute espèce. Les châteaux de Jaffet, de Nazareth, la ville de Tyr tombèrent aussi en son pouvoir ; mais elle doit trouver le terme ou plutôt la suspension de ses triomphes sous les murs de Saint-Jean-d’Acre. Cette bicoque, située sur le bord de la mer, pouvait recevoir de ce côté des secours de toute espèce ; la marine anglaise renforçait celle du Grand Seigneur et lui servait comme de guide et d’exemple.

Après soixante jours d’attaques réitérées, après deux assauts meurtriers et sans résultat, la place tenait toujours ferme. Cependant, outre les renforts qu’elle attendait du côté de la mer, une grande armée se formait en Asie par ordre du Grand Seigneur et s’apprêtait a marcher contre les infidèles, et Djezzar, pour seconder ses mouvements, ordonne une sortie générale contre le camp de Bonaparte. Cette attaque est soutenue par l’artillerie et les équipages des vaisseaux anglais. Le général en chef, avec son impétuosité ordinaire, eut bientôt refoulé les colonnes de Djezzar derrière leurs murailles.

Après ce succès, il vole au secours du brave Kléber qui, retranché dans les ruines, tenait tête, avec 4.000 Français, à 20.000 Turcs. Bonaparte conçoit d’un coup d’œil tous les avantages que lui offrent les positions de l’ennemi : il envoie Murat, avec sa cavalerie, sur le Jourdain pour en défendre le passage ; Vial et Rampon marchent sur Naplouze, et lui-même se place entre les Turcs et leurs magasins. Ses dispositions sont couronnées du plus heureux succès. L’armée ennemie, attaquée à l’improviste sur divers points à la fois, est mise en déroute et coupée dans sa retraite ; elle laisse 5.000 morts sur le champ de bataille ; ses chameaux, ses tentes, ses provisions deviennent le prix de la victoire des vainqueurs. Tels furent les avantages remportés à la célèbre bataille du Mont-Thabor.

De retour devant Saint-Jean-d’Acre, Bonaparte apprend que le contre-amiral Perrée a débarqué à Jaffa sept pièces de siège ; il ordonne successivement deux assauts qui sont vigoureusement repoussés. Une flotte est signalée, elle porte pavillon ottoman ; il faut se hâter de prendre la ville avant qu’elle n’ait reçu dans son port le secours qui lui arrive. Une cinquième attaque générale est ordonnée ; tous les ouvrages extérieurs sont emportés, le drapeau tricolore est planté sur le rempart, les Turcs sont repoussés dans la ville, et leur feu commence à se ralentir : encore un nouvel effort, et Saint-Jean-d’Acre est pris ou va capituler. Mais il se trouvait dans la place un émigré français, Phélippeaux, officier du génie, un des condisciples de Bonaparte à l’École militaire. Par ses ordres, des canons sont placés suivant les directions les plus avantageuses ; de nouveaux retranchements s’élèvent comme par enchantement derrière les ruines de ceux que les assiégeants ont emportés. En même temps, Sidney-Smith, qui commande la flotte anglaise, arrive à la tête des équipages de ses vaisseaux. Les assiégés reprennent tout leur courage et se pressent à sa suite. La furie des Français est à son comble ; la résistance n’est pas moins opiniâtre. Enfin trois assauts consécutifs et toujours repoussés apprirent à Bonaparte qu’il serait imprudent de s’obstiner plus longtemps à la prise de Saint-Jean-d’Acre. Il en leva le siège, et pour consoler ses soldats, il leur adressa cette proclamation : « Après avoir, avec une poignée d’hommes, nourri la guerre pendant trois mois dans le cœur de la Syrie, pris 40 pièces de campagne, 50 drapeaux, fait 10.000 prisonniers, rasé les fortifications de Gaza, Kaïffa, Jaffa, Acre, nous allons rentrer en Égypte. »

La situation de l’armée est des plus critiques : outre l’ennemi qui pouvait inquiéter ses derrières pendant sa retraite, les fatigues et les privations qui l’attendaient dans le désert, elle avait à sa charge un grand nombre de pestiférés : les laisser en arrière, c’était les livrer à la fureur des Turcs, qui ne manqueraient pas de les égorger en représailles des massacres de Jaffa ; les recevoir et les emmener au milieu de ses rangs, c’eût été favoriser les progrès du fléau de gaîté de cœur.

Il y avait deux dépôts de malades : l’un dans le grand hôpital du mont Carmel, et l’autre à Jaffa. Par ordre du général en chef, tous ceux du mont Carmel furent évacués sur cette dernière ville et sur Tentura. Les chevaux d’artillerie dont les pièces furent abandonnées devant Acre, tous ceux des officiers, tous ceux du général eh chef furent livrés à l’ordonnateur Daure, pour leur servir de transport ; Bonaparte est à pied et donne l’exemple.

L’armée, pour dérober son départ aux assiégés, se mit en larche pendant la nuit. Arrivé à Jaffa, le général ordonne trois évacuations de pestiférés vers trois points différents : l’une par mer, sur Damiette, la seconde et la troisième par terre sur Gaza et sur El-Arisk.

Dans sa retraite, l’armée fait un désert de tous les pays où elle passe : bestiaux, moissons, maisons, tout est détruit par le fer et le feu ; la ville de Gaza, restée fidèle, est seule épargnée.

Enfin, après quatre mois d’absence, l’expédition arrive au Caire avec 1.800 blessés ; elle a perdu en Syrie 600 hommes morts de la peste et 1.200 qui ont péri dans les combats.

L’échec éprouvé devant Saint-Jean-d’Acre avait eu du retentissement en Égypte ; les émissaires turcs et anglais faisaient courir le bruit que l’armée expéditionnaire était en grande partie détruite, que son chef était mort. Bonaparte, en habile politique, détruisit facilement les impressions que ces menées avaient produites sur les esprits, et fit sentir aux Égyptiens combien étaient chimériques les espérances qu’ils avaient fondées sur ses revers. Par ses ordres, les troupes, en entrant en Égypte, prirent l’attitude d’une armée triomphante : les soldats portaient dans leurs mains des branches de palmier, emblèmes de la victoire. Dans sa proclamation aux habitants du Caire, il leur dit : « Il est arrivé au Caire, le Bien-Gardé, le chef de l’armée française, le général Bonaparte, qui aime la religion de Mahomet ; il est arrivé bien portant et bien sain, remerciant Dieu des faveurs dont il le comble. Il est entré au Caire par la porte de la Victoire. Ce jour est un grand jour ; on n’en a jamais vu de pareil ; tous les habitants du Caire sont sortis à sa rencontre. Ils ont vu et reconnu que c’était bien le même général en chef Bonaparte en propre personne ; ils se sont convaincus que tout ce qui avait été dit sur son compte était faux… Il fut à Gaza et à Jaffa ; il a protégé les habitants de Gaza ; mais ceux de Jaffa, égarés, n’ayant pas voulu se rendre, il les livra tous, dans sa colère, au pillage et à la mort. Il a détruit tous les remparts et fait périr tout ce qui s’y trouvait. Il y avait à Jaffa environ 5.000 hommes des troupes de Djezzar : il les a tous détruits. »

L’armée trouva au Caire le repos et tous les approvisionnemements dont elle avait besoin pour se refaire de ses fatigues ; mais son séjour dans cette ville ne devait pas être de longue durée. Bonaparte, instruit que Mourad-Bey, déjouant les poursuites des généraux Desaix, Belliard, Donzelot, Davoust, descend de la haute Égypte, se met en marche pour aller l’attaquer aux Pyramides, champ de bataille déjà si funeste aux Mamelucks ; là il apprend qu’une flotte turque de cent voiles est devant Aboukir et menace Alexandrie. Sans perdre de temps et sans rentrer au Caire, il ordonne à ses généraux de se porter en toute hâte au devant de l’armée que commande le pacha de Romélie, Saïd-Mustapha, auquel se sont joints les corps de Mourad-Bey et d’Ibrahim. Avant de quitter Gizeh, où il se trouvait, le général en chef écrivit au Divan du Caire : « Quatre-vingts bâtiments ont osé attaquer Alexandrie ; mais, repoussés par l’artillerie de cette place, ils sont allés mouiller à Aboukir où ils commencent à débarquer. Je les laisse faire, parce que mon intention est de les attaquer, de tuer tous ceux qui ne voudront pas se rendre, et de laisser la vie aux autres pour les mener en triomphe au Caire. Ce sera un beau spectacle pour la ville.

Bonaparte se rend d’abord à Alexandrie, de là il marche sur Aboukir, dont le fort s’est rendu aux Turcs. Son génie lui fait prendre sur-le-champ des dispositions telles, que Mustapha doit vaincre ou périr avec tous les siens. Son armée, qui compte 18.000 combattants, est soutenue par une nombreuse artillerie ; des retranchements la défendent du côté de la terre, et du côté de la mer, elle communique librement avec la flotte. Le général en chef ordonne l’attaque au lieu de l’attendre ; tout cède à la valeur impétueuse de ses soldats ; en peu d’heures, les retranchements sont enlevés, 10.000 Turcs se noient dans la mer, le reste est pris ou tué. L’intrépide Murat, qui mérita une grande partie de la gloire de cette mémorable journée, fit prisonnier le général ennemi Saïd-Mustapha, dont le fils, qui commandait dans le fort, dut, avec tous les officiers échappés au carnage, former le cortège triomphal du vainqueur. La population du Caire, voyant revenir Bonaparte avec ses illustres prisonniers, accueillit d’un hommage superstitieux le prophète-guerrier qui avait prédit son triomphe avec une précision si remarquable. La victoire d’Aboukir fut le dernier exploit du général en chef en Égypte ; une autre phase de son étonnante carrière va commencer : considérant qu’il ne lui restait plus rien à faire en Égypte qui fût digne de son ambition, attendu que les forces dont il pouvait disposer encore, n’étaient pas, à beaucoup près, suffisantes pour entreprendre une expédition de quelque importance au delà des frontières de sa conquête, ce qui lui était bien démontré par la non-réussite du siège d’Acre : prévoyant d’ailleurs que son armée, allant toujours s’affaiblissant par les combats, par les maladies, il se verrait, un peu plus tôt, un peu plus tard, dans la triste nécessité de signer une capitulation et de se rendre prisonnier à ses ennemis ; qu’un événement si déplorable détruirait tout le prestige de ses nombreuses victoires ; par ces diverses raisons, il prit spontanément la résolution de revenir en France. Il avait appris par ses communications avec la flotte anglaise, lors de l’échange des prisonniers d’Aboukir, et notamment par la Gazette de Francfort, que Sidney-Smith lui envoya, que depuis son absence, la patrie avait éprouvé des revers, que les ennemis avaient repris ses propres conquêtes, que la nation humiliée, mécontente du gouvernement dictatorial, se rappelait avec douleur la paix glorieuse qu’il avait signée à Campo-Formio ; il comprit enfin qu’on avait besoin de lui et qu’il serait bien reçu.

Il ne fit part de son secret qu’à un petit nombre d’amis dont la discrétion et lé dévouement lui étaient bien connus. Un voyage dans le Delta fut le prétexte qu’il mit en avant pour sortir du Caire sans éveiller les soupçons ; les savants Monge, Berthollet, le peintre Denon, les généraux Berthier, Murat, Lannes, Marmont, l’accompagnaient.

Le 23 août 1799, une proclamation apprit à l’armée que le général en chef Bonaparte venait de transmettre ses pouvoirs au général Kléber ; cette nouvelle fut reçue avec quelque mécontentement, mais l’indignation cessa bientôt. Kléber avait fait ses preuves ; il méritait à bon droit toute la confiance des troupes, et puis on était facilement porté à croire que Bonaparte était parti pour lever en France de nouveaux renforts avec lesquels il s’empresserait de retourner en Égypte se remettre à la tête de ses anciens compagnons d’armes.

À la nuit tombante, une frégate vint le prendre silencieusement sur le rivage, trois autres bâtiments formèrent son escorte. On s’est demandé souvent par quel miracle il a pu se faire que, pendant une navigation de quarante-et-un jours, il n’ait pas rencontré un seul vaisseau ennemi qui l’ait contrarié dans sa traversée ; des relations donnent à entendre que par une convention tacite il avait acheté la neutralité des Anglais ; cela n’est guère vraisemblable ; autant vaudrait soutenir qu’il avait fait aussi un pacte avec Nelson pour qu’il le laissât aborder sans obstacle au rivage égyptien avec la flotte qui portait sa nombreuse armée.

Au moment du départ, on lui fit remarquer avec inquiétude qu’une corvette anglaise l’observait : « Bah ! s’écria Bonaparte, nous arriverons, la fortune ne nous a jamais abandonnés, nous arriverons, malgré les Anglais. » La flottille entra le 1er octobre dans le port d’Ajaccio, les vents contraires l’y retinrent jusqu’au 8 qu’elle appareilla pour la France. À la vue des côtes, on vit paraître dix voiles anglaises, le contre-amiral Gantheaume voulait virer de bord vers la Corse : « Non, lui dit Bonaparte, cette manœuvre nous conduirait en Angleterre, et je veux arriver en France. » Cet acte de fermeté et de courage le sauva ; le 8 octobre 1799 (16 vendémiaire an VIII), les frégates mouillent dans la rade de Fréjus. Comme il n’y avait point de malades à bord et que la peste avait cessé en Égypte, six mois avant son départ, il fut permis au général Bonaparte et à sa suite de prendre terre immédiatement. À six heures du soir, il se mit en route pour Paris, accompagné de Berthier, son chef d’état-major.

VII. Retour à Paris. — Situation de la France. — 18 Brumaire.[modifier]

Le voyage depuis Fréjus jusqu’à la capitale fut un long triomphe : les populations des campagnes se pressaient sur son passage, les villes se portaient à sa rencontre, lui donnaient des fêtes brillantes et le traitaient avec tous les honneurs et tous les égards que l’on n’accorde ordinairement qu’aux souverains. Il ne se méprit pas sur les motifs de ces ovations bien différentes de l’enthousiasme et des applaudissements qui l’avaient accueilli au retour de ses victoires d’Italie. Tout lui annonçait que le public voyait en lui un libérateur, un sauveur, un restaurateur de la gloire de la patrie.

La guerre civile s’était rallumée dans l’Ouest avec fureur, et menaçait de s’étendre dans le Midi. L’Italie tout entière était retombée au pouvoir de l’Autriche. Joubert, que le Directoire avait chargé de refaire la conquête de ce pays, Joubert avait été tué. Le Directoire, chargé du mépris et de la haine générale, avait, pour remplacer Joubert, jeté les yeux sur Moreau ; celui-ci, apprenant l’arrivée de Bonaparte, dit aux directeurs : « Vous n’avez plus besoin de moi, voilà l’homme qu’il vous faut pour opérer un mouvement, adressez-vous à lui. » Cette réponse prouve que Moreau n’avait pas mieux pénétré les desseins de Bonaparte que le Directoire.

Le conquérant de l’Égypte reprit à Paris son genre de vie laborieuse et solitaire accoutumé ; il paraissait peu en public, n’assistait aux spectacles qu’en loge grillée, et ne fréquentait que des savants. Il n’accepta à dîner chez les directeurs qu’en famille. Il ne put cependant refuser le festin que lui offrirent les Conseils dans le temple de la Victoire (l’église Saint-Sulpice) ; mais il n’y resta qu’une heure, et en sortit en compagnie de Moreau.

Cependant le pouvoir était à l’agonie ; des partis nombreux s’agitaient diversement pour le faire passer en d’autres mains ; généralement, ils faisaient tous des tentatives auprès de Bonaparte pour le déterminer à embrasser leur système et se mettre à leur tête. Bernadotte et Augereau qui représentaient la faction démagogique du manège, lui promettaient le gouvernement de la République s’il voulait entrer dans leur parti. D’autres lui proposaient de renverser le Directoire et le manège. Les directeurs eux-mêmes intriguaient chacun de leur côté auprès de Bonaparte pour l’engager à détruire leur propre puissance. Sieyès et un grand nombre de membres du conseil des Anciens le sollicitaient de se mettre à la tête d’un parti modéré : Barras, Moulins et Gohier l’engageaient à aller reprendre le commandement de l’armée d’Italie, le premier, pour l’éloigner des affaires, et les deux autres pour en faire l’instrument militaire de leur pouvoir. Tel était le bulletin des conspirations que l’on connaissait déjà. La véritable était ignorée ; Bonaparte avait consulté, sur l’état positif des affaires, des hommes éclairés, tels que Cambacérès, Rœdérer, Real, Regnaud de Saint-Jean d’Angely. De tous les directeurs, Sieyès était le seul qui lui eût inspiré de la confiance ; le 8 brumaire, de grand matin, il eut une conférence avec lui, et il lui confia les projets de la révolution qu’il voulait opérer ; Sieyès les approuva ; il fut convenu entre eux que l’exécution en serait tentée du 15 au 20 du même mois ; dans une dernière conférence qui eut lieu le 15, il fut arrêté que la tentative aurait lieu le 18.

Le 17, à la pointe du jour, le commandant de Paris, les régiments de la garnison, les adjudants des quarante-huit sections furent invités à se rendre le lendemain à sept heures du matin dans la rue Chantereine, où était la maison qu’habitait Bonaparte. Cette réunion attendue depuis le retour du général en chef n’inspirait aucune méfiance ; à la même heure furent également convoqués tous les officiers sur lesquels on pouvait compter. Chacun d’eux, croyant comme le public que le général allait partir pour l’armée d’Italie, trouvait tout simple qu’on les eût convoqués pour leur donner des ordres.

À l’heure fixée arrivèrent tous ceux qu’on avait invités. À huit heures et demie un messager du conseil des Anciens remit à Bonaparte le décret suivant qu’il fit lire à l’Assemblée :

« Le conseil des Anciens, en vertu des articles 102, 103 et 104 de la Constitution décrète ce qui suit : 1° Le corps législatif est transféré dans la commune de Saint-Cloud, les deux conseils y siégeront dans les deux ailes du palais. 2° Ils y seront rendus demain, 19 brumaire, à midi. Toute continuation de fonctions, de délibérations, est interdite ailleurs et avant ce terme. 3° Le général Bonaparte est chargé de l’exécution du présent décret. Le général commandant la 17e division militaire, la garde du corps législatif, les gardes nationales sédentaires, les troupes de ligne qui se trouvent dans la commune de Paris et dans toute la 17e division militaire, sont mises immédiatement sous ses ordres. Tous les citoyens lui prêteront main-forte à la première réquisition. 4° Le général Bonaparte est appelé dans le sein du conseil pour y recevoir une expédition du présent décret et prêter serment. 5° Le présent décret sera imprimé, affiché, promulgué et envoyé dans toutes les communes de la République par des courriers extraordinaires. »

Après cette lecture, qui fut suivie du cri unanime de vive Bonaparte ! vive la République ! Le général en chef harangua les militaires présents. Dans cette proclamation, qui fut envoyée aux armées, il disait : « Soldats, le décret extraordinaire du conseil des Anciens est conforme aux articles 102 et 103 de l’acte constitutionnel ; il m’a remis le commandement de la ville et de l’armée. Je l’ai accepté pour seconder les mesures qu’il va prendre et qui sont toutes en faveur du peuple. La République est mal gouvernée depuis deux ans : vous avez espéré que mon retour mettrait un terme à tant de maux ; vous seconderez votre général avec l’énergie, la fermeté, la confiance que j’ai toujours vues en vous. La liberté, la victoire et la paix replaceront la République française au rang qu’elle occupait en Europe et que l’ineptie ou la trahison a pu seule lui faire perdre. Vive la République !

Incontinent, les chefs des quarante-huit sections reçoivent l’ordre de faire battre la générale et de faire proclamer le décret dans tous les quartiers de Paris. Pendant ce temps-là, il se rend à cheval aux Tuileries, suivi d’un nombreux cortège de généraux et de soldats ; admis avec son état-major dans le conseil des Anciens, il leur parle ainsi : « La République périssait ; vous l’avez su et votre décret vient de la sauver ; malheur à ceux qui voudraient le trouble et le désordre ! Je les arrêterai. Qu’on ne cherche pas dans le passé des exemples qui pourraient retarder votre marche. Votre sagesse a rendu ce décret ; nos bras sauront l’exécuter ; nous voulons une république fondée sur la vraie liberté, sur la liberté civile, sur la représentation nationale. Nous l’aurons, je le jure, je le jure en mon nom et en celui de mes camarades d’armes. » Cette allocution, au moins singulière, pour ne pas dire plus, fut accueillie par de nombreux applaudissements, et le nouveau commandant général alla passer la revue des troupes. Par ses ordres 10.000 hommes, commandés par le général Lannes, occupèrent les Tuileries ; les postes du Luxembourg, de l’École-Militaire, du palais des Cinq-Cents (Bourbon), des Invalides, furent confiés à la garde des généraux Milhaud, Murat, Marmont, Berruyer. Le général Lefebvre conserve le commandement de la 17e division militaire, et Moreau lui-même accompagne Bonaparte en qualité de son aide-de-camp. Ces diverses mesures furent prises avec tant d’adresse et de promptitude que, dès les dix heures du matin, le pouvoir des directeurs s’était évanoui comme une ombre. Sieyès et Roger-Ducos, qui avaient été initiés dans les mystères du complot, se rendirent comme de simples citoyens dans le conseil des Anciens ; Barras, Gohier et Moulins voulurent d’abord faire quelque résistance, ils firent appeler le général Lefebvre pour lui donner des ordres. Celui-ci leur répondit, qu’en vertu du décret, il ne connaissait d’autre supérieur que le général Bonaparte. Enfin, Bonaparte, entouré d’une foule de généraux et de soldats, s’adressant indirectement aux membres du pouvoir exécutif, les apostropha dans la salle du Conseil (des Anciens) par ces mots foudroyants : « Qu’avez-vous fait de cette France que je vous ai laissée si florissante ? Je vous ai laissé la paix, je retrouve la guerre. Je vous ai laissé des victoires, je retrouve des revers. Je vous ai laissé les millions de l’Italie, et je retrouve partout des lois spoliatrices et la misère. Qu’avez-vous fait de 100.000 Français que je connaissais, tous mes compagnons de gloire ? ils sont morts. Cet état de choses ne peut durer ; avant trois ans il nous mènerait au despotisme. Mais nous voulons la République, la République assise sur les bases de l’égalité, de la morale, de la liberté civile, de la tolérance politique. Il est temps enfin que l’on rende aux défenseurs de la patrie la confiance à laquelle ils ont tant de droits ; à entendre quelques factieux, bientôt nous serions tous des ennemis de la République, nous, qui l’avons affermie par nos travaux et notre courage ; nous ne voulons pas de gens plus patriotes que les braves qui ont été mutilés au service de la patrie. »

Le directeur Moulins avait proposé à ses collègues de s’emparer de Bonaparte et de le faire fusiller, mais il apprit bientôt que l’exécution d’un coup si hardi n’était plus en son pouvoir ; un détachement envoyé autour du Luxembourg lui fit abandonner son projet. La propre garde du Directoire se mit, de son propre mouvement, à la disposition du héros de l’Italie et de l’Égypte, et les directeurs s’estimèrent heureux qu’on leur permît d’aller finir leurs jours dans l’obscurité et la retraite.

Le lendemain 19, les conseils se réunirent à Saint-Cloud, celui des Anciens, dans la galerie du palais, et celui des Cinq-Cents dans l’Orangerie. Bonaparte, après avoir fait occuper militairement toutes les avenues, entre, suivi de ses aides-de-camp dans le conseil des Anciens où il prononce une harangue véhémente, dont voici quelques traits : « On parle d’un nouvau César, d’un nouveau Cromwel ; on répand que je veux établir un gouvernement militaire. Si j’avais voulu usurper l’autorité suprême, je n’aurais pas eu besoin de recevoir cette autorité du Sénat. Le conseil des Anciens est investi d’un grand pouvoir, mais il est encore animé d’une plus grande sagesse ; ne consultez qu’elle ; prévenez les déchirements. Évitons de perdre ces deux choses, pour lesquelles nous avons fait tant de sacrifices : la liberté et l’égalité. »

« — Et la Constitution ? lui dit en l’interrompant le député Linglet.

« — La Constitution, répliqua Bonaparte avec l’accent de la colère ; la constitution ! osez-vous l’invoquer ? Vous l’avez violée au 18 fructidor, au 22 floréal, au 30 prairial. Vous avez, en son nom, violé tous les droits du peuple. Nous fonderons, malgré vous, la liberté et la République. Aussitôt que les dangers qui m’ont fait conférer des pouvoirs extraordinaires auront cessé, j’abdiquerai ces pouvoirs. »

« — Et quels sont ces dangers ? lui cria-t-on.

« — S’il faut s’expliquer tout à fait, je dirai que Barras et Moulins m’ont proposé eux-mêmes de renverser le gouvernement. Je n’ai compté que sur le conseil des Anciens ; je n’ai point compté sur le conseil des Cinq-Cents, où se trouvent des hommes qui voudraient nous rendre la Convention, les échafauds, les Comités révolutionnaires. Je vais m’y rendre ; et si quelque orateur, payé par l’étranger, parlait de me mettre hors la loi, qu’il prenne garde de porter cet arrêt contre lui-même. S’il parlait de me mettre hors la loi, j’en appelle à vous, mes braves compagnons d’armes, à vous, mes braves soldats que j’ai menés tant de fois à la victoire. Je m’en remettrais, mes vrais amis, à votre courage et à ma fortune. »

Cela dit, il se rend dans la salle des Cinq-Cents, accompagné de quelques grenadiers. Au moment où il entrait, l’Assemblée procédait, dans la plus grande agitation, à l’appel nominal, pour que ses membres jurassent de nouveau de défendre la Constitution. À la vue de Bonaparte et de ses grenadiers, les imprécations retentissent de toutes parts : « Ici des sabres ! ici, des hommes armés ! À bas le tyran ! à bas le dictateur ! hors la loi le nouveau Cromwel ! » Le député Destrem lui frappe sur l’épaule, et lui dit : « Voilà donc pourquoi vous avez « remporté tant de victoires ! » Le député Bigonnet le saisissant par les deux bras : « Que faites-vous, lui dit-il, que faites-vous, téméraire ? vous violez le sanctuaire des lois. » Bonaparte croyant sa vie menacée, sort, entraîné par les grenadiers, sans pouvoir proférer une parole. On a dit dans le temps qu’il y eut des poignards tirés, des soldats blessés. Des personnes qu’on prétend dignes de foi, qui assistaient à cette scène extraordinaire, ont affirmé depuis que Bonaparte et ses amis ne coururent, en cette occasion, aucun danger sérieux ; nous ne le croyons pas.

Cependant, les députés demandent qu’on déclare Bonaparte hors la loi, et ils somment son frère Lucien, président de l’Assemblée, de mettre le décret aux voix ; il s’y refuse et quitte le fauteuil. Sur ces entrefaites, un piquet de grenadiers envoyé par le généralissime entre dans la salle et l’enlève. Le président, n’ayant plus rien à craindre, monte à cheval et harangue les troupes en ces termes : « Vous ne reconnaîtrez pour législateurs de la France que ceux qui vont se rendre auprès de moi. Quant à ceux qui resteraient dans l’Orangerie, que la force les expulse. Ces brigands ne sont plus les représentants du peuple ; ils sont les représentants du poignard. » Bonaparte n’a plus qu’un pas à faire et ses desseins sont accomplis : des soldats, par ses ordres, envahissent la salle de l’Orangerie, et en font sortir de gré ou de force tous les députés qui s’y trouvent. Des mesures sont prises par le secrétaire-général de la police Fouché, pour que les députés, en quittant Saint-Cloud, ne puissent immédiatement rentrer dans Paris, précaution qui avait pour but de les empêcher de reformer leur Assemblée dans cette ville populeuse.

Après cette victoire, Lucien propose au conseil des Anciens de réorganiser un nouveau conseil des Cinq-Cents, en éliminant ceux de ses membres qui tenaient opiniâtrement pour l’ancienne constitution. La proposition est prise en considération ; la majorité des Cinq-Cents a lieu dans l’Orangerie, et l’exclusion de soixante et un députés est décrétée. Les deux conseils abolissent d’un commun accord le gouvernement directorial ; une commission pour la révision de la Constitution est formée ; une commission consulaire exécutive, composée de Sieyès, Roger-Ducos et Bonaparte, hérite du pouvoir directorial ; les trois Consuls prêtent serment dans les deux conseils d’être fidèles « à la souveraineté du peuple, à la République une et indivisible, à la liberté, à l’égalité et au système représentatif. » La nation accepta ces promesses. Le même jour, les Cinq-Cents déclarèrent que les généraux et les soldats qui, le matin les avaient chassés de l’Orangerie, avaient bien mérité de la patrie.

VIII. Consulat.[modifier]

La commission consulaire alla s’établir au Luxembourg. Qui de nous présidera ? dit Sieyès à ses collègues. — Vous voyez bien, répondit Roger-Ducos, que c’est le général qui préside. Et en effet le général s’était emparé du fauteuil du milieu. — En sortant de cette conférence, Sieyès dit à ceux qui l’entouraient : Maintenant vous avez un maître ; il sait tout, il fait tout et il peut tout.

La révolution du 18 brumaire, illégale dans ses principes, exécutée au moyen de la violence, et justement répréhensible aux yeux des amis sincères de la liberté, était devenue si nécessaire qu’elle s’accomplit à la satisfaction de la nation. Qu’avait-elle à regretter des divers gouvernements qui s’étaient succédé depuis 92 ? Pendant la tourmente révolutionnaire, la France ne pouvait véritablement avouer, sans rougir, les exploits de ses armées. Par la force des choses, le pouvoir suprême devait donc, un peu plus tôt, un peu plus tard, tomber dans les mains d’un des plus distingués de ses généraux. Bonaparte, le plus actif, le plus ambitieux, le plus habile de tous, obtint cet avantage. Or, qu’on se persuade bien que quand même il eût été tué, lorsqu’il fît irruption dans la salle des Cinq-Cents, ni le Directoire, ni les deux conseils n’auraient point recouvré leur puissance et leur dignité : le mépris public ne l’eût point souffert ; un autre guerrier eut repris et continué le rôle de Bonaparte.

Une ère nouvelle et bien chère à la France commença avec le Consulat. Les lois odieuses sur les otages et sur l’emprunt forcé furent abrogées ; on négocia avec l’Angleterre pour l’échange des prisonniers lâchement oubliés par le Directoire ; la Vendée fut pacifiée, la liste des émigrés fut close ; 9.000 prêtres, déportés par le Directoire, cessèrent d’être molestés ; une foule de prisonniers de diverses catégories recouvrèrent leur liberté. La balance remplace le niveau sur le sceau de l’État ; l’ordre administratif, établi sur de nouvelles bases, prend de la consistance et de la régularité ; un nouveau système de finance donne au crédit public une solidité que les événements subséquents n’ont jamais détruite. Bonaparte réunit sous sa direction immédiate une commission composée des des plus habiles jurisconsultes, pris indistinctement dans toutes les opinions pour rédiger ce Code fameux qui, dans la suite, porta le nom de Napoléon.

Poursuivant toujours l’objet favori de ses vœux, le pouvoir suprême et sans partage, il se fait nommer, par la Constitution de l’an VIII, premier consul pour dix ans. Sieyès et Roger-Ducos, remplacés par Cambacérès et Lebrun, prennent leur retraite dans le sénat. La nouvelle Constitution reconnaissait quatre pouvoirs : le consulat, avec l’initiative des lois, le tribunat, le corps législatif et le sénat. Le premier Consul s’entoure d’un conseil privé, révocable par lui seul et dont il se réservait la présidence : en même temps, il fait apposer son nom en tête des actes du gouvernement. Le voilà, roi, il abandonne le Luxembourg au sénat et va s’établir dans le palais des Tuileries, qu’il habite, comme aurait fait Louis XIV, en maître absolu. Bientôt il eut des courtisans nombreux ; le négligé fut banni du costume, on ne se traita plus de citoyen dans les conversations ; la dignité dans le maintien, une mesure convenable dans le langage, firent oublier les familiarités souvent indécentes, qu’on se permettait dans les réunions du Directoire.

Au milieu d’une multitude de travaux intérieurs, tous utiles et de la plus haute importance, Bonaparte conclut un traité de paix avec les États-Unis d’Amérique. À cette occasion, il ordonna un deuil public en mémoire de Washington, le fondateur de la république américaine, et il fit célébrer en son honneur une cérémonie funèbre dans l’église des Invalides. Vers le même temps, il donna une constitution nouvelle à la Suisse, dont il prit sans obstacle le titre de médiateur.

Cependant une coalition redoutable, dont faisaient partie l’Angleterre, l’Autriche, la Bavière, la Porte, armait de nouveau contre la France. Toutes les forces de la République n’excédaient pas 150.000 hommes ; elle ne possédait rien en Italie ; mais, à la voix du premier Consul, la nation s’émeut, et en peu de temps elle fournit au gouvernement, spontanément et sans contrainte, une nouvelle armée de 100.000 hommes et de 40.000 chevaux, traînant une artillerie des plus formidables. Atin de détourner l’attention générale qui se portait sur le Var, défendu par Masséna avec 25.000 hommes, et que menaçait Mêlas, victorieux, à la tête d’une armée de 150.000 combattants, bien approvisionnés de tout, le premier Consul indiqua Dijon pour rendez-vous de l’armée, dite de réserve. Cette position, également éloignée de Bâle, Martigny et Chambéry, était bien choisie pour maintenir l’Autriche, et lui faire prendre le change.

Moreau commande l’armée du Rhin, dont l’aile droite occupe la Suisse, ce qui peut faire croire que les Français ont l’intention de se porter d’abord sur l’Allemagne, et de retourner plus tard en Italie, ou pour le moment ils ont des forces nulles ou insignifiantes. Tandis que Moreau, comme il en avait reçu l’ordre, tient en échec le général autrichien Kay, et l’isole tout à coup du général Mêlas, en occupant les défilés de la forêt Noire, Bonaparte va prendre le commandement de l’armée dite de réserve, qui déjà s’était rendue à Genève. Là, il prend la résolution de porter la guerre sur le Pô, entre Milan, Gênes et Turin. Il était du plus grand intérêt de surprendre Mêlas et de tomber sur ses derrières avant qu’il n’eût réuni toutes ses forces sur un même point ; il fallait donc franchir les Alpes à l’improviste et comme à la dérobée. En conséquence, la route de l’armée est ordonnée par des chemins ardus, jusque-là impraticables pour la plupart des hommes. Sous les regards de Bonaparte, tout devient facile : les rochers escarpés, des glaces éternelles, des défilés situés à 2.500 mètres au-dessus du niveau de la mer, livrent passage, par ses conseils et ses soins, aux soldats, à la cavalerie, aux bagages et à l’artillerie. Annibal, dans sa fameuse expédition contre les Romains, n’avait rien tenté de plus hardi.

Mêlas était encore sur le Var quand les divisions françaises descendaient les revers du Saint-Gothard, du Simplon, du Saint-Bernard. L’armée était à peine en Italie que la ville d’Aost est enlevée, après une vive résistance, par l’avant-garde. La garnison se réfugia dans le fort de Bard, qui fermait l’unique chemin par où devait passer l’armée : il était de la plus grande importance de prendre ce fort avant que Mêlas ne fût instruit de la marche du premier Consul, et afin de s’emparer des débouchés des vallées. Pour le moment, le fort résista ; alors le général français imagina ce stratagème : il fit envelopper de foin les roues des chariots de l’artillerie, et couvrir la route de fumier ; puis, la nuit venue, il passa avec toute l’artillerie sous le canon du fort, sans être entendu. Le redoutable défilé était franchi.

En habile politique, le premier Consul se hâte de rétablir la république cisalpine, afin de se rendre les Italiens favorables. C’est par Milan qu’il doit passer pour aller combattre Mêlas. Chemin faisant, il pousse son avant-garde sur Pavie, où il trouve 200 pièces de canon ; enfin, après quelques combats heureux livrés par ses lieutenants, il entre en libérateur, le 2 juin, dans Milan, où l’on venait seulement d’apprendre l’invasion d’une armée française. Après avoir réorganisé la République, il répand son armée entre le Pô et l’Adda, passe cette dernière rivière et s’empare de Bergame, de Créma, de Crémone, pousse Landon jusqu’à Brescia. Le général en chef, arrivé sur le Pô, prend ses mesures pour en rendre la défense impossible. Loison passe ce fleuve à Crémone, Murat s’empare de la tête de pont de la ville de Plaisance, Lannes force le passage devant Belgiojoso ; c’est là que fut établi le pont où devait passer l’ennemi ; il livre la bataille de Montebello, tue 3.000 Autrichiens et fait 5.000 prisonniers. Mais ce n’était qu’une affaire d’avant-garde, et il fallait se mesurer avec l’armée de Mêlas, réunie entre le Pô et le Tanaro. Le 12 juin, l’armée française, composée des corps de Lannes, Desaix et Victor, borde la Scrivia. La division Lapoype avait ordre de joindre le général Desaix. Le quartier-général était à Voghera. Le 13, le premier Consul traverse, sans éprouver de résistance, contre son attente, les plaines de San-Giulano, fait chasser du village de Marengo 5.000 hommes par le général Gardanne, qui les poursuit jusqu’à la rivière Bormida, et ne peut enlever la tête du pont. Le Consul prend position entre cette rivière et Marengo, à la Pedra-Bona ; de là il envoie les deux divisions Desaix à Castelnove di Scrivia et à Rivalta, pour observer les ailes de l’armée ennemie ; en même temps, il concentre les corps de Lannes et de Victor entre San-Giulano et Marengo.

Le lendemain 14, à quatre heures du matin, on vit l’armée ennemie déboucher au travers du long défilé du pont de la Bormida. Ce ne fut que cinq heures après qu’elle put se porter en avant sur trois colonnes ; elle comptait 40.000 hommes, tous vieux soldats. Au commencement de l’action celle du Consul n’avait que la moitié de ce nombre. Le corps de Victor, qui tenait la gauche, fut vigoureusement attaqué et poussé ; celui de Lannes entra en ligne à droite, et, malgré quelques succès, il fut entraîné par la retraite de celui de Victor. Le premier Consul, prévoyant le danger qui le menaçait, fit tout à coup avancer dans la plaine un corps de vieilles troupes, contre lequel allèrent se briser tous les efforts de l’ennemi. Cette héroïque résistance donna le temps à la division Monnier d’arriver ; celui-ci jeta une brigade dans Castel-Ceriolo : dès ce moment l’ordre de bataille de l’armée française se trouva presque dans une position inverse de celui qu’on lui avait fait prendre le matin, par échelons ; l’aile droite en avant, occupant par sa gauche la route de Tortone : cette position se maintint jusqu’à l’arrivée de la division Boudet, conduite par Desaix. Mêlas, au contraire, avait affaibli sa gauche pour fortifier sa droite, qu’il étendait inutilement vers Tortone.

Il était cinq heures, lorsque Desaix vint couvrir la gauche de l’armée ; l’apparition subite de ce renfort combla les soldats de joie et d’espérance ; sur-le-champ, une attaque générale est ordonnée. Un corps de 5.000 braves grenadiers autrichiens s’avance sur la grande route, Desaix va l’attaquer avec quinze canons, il est frappé d’une balle et il meurt glorieusement, au moment ou Kléber, son ami, tombait au Caire sous le poignard d’un assassin. Les soldats de Desaix, irrités par la perte de leur général, se battent comme des lions, et cependant la vaillante colonne autrichienne résistait toujours, lorsque Kellermann, le jeune, fond avec la cavalerie qu’il commande sur son flanc gauche, l’ouvre, la disperse, et les 5.000 grenadiers se rendent prisonniers.

La ligne française se précipite en avant et reprend en moins d’une heure tout le terrain qu’elle avait perdu depuis le commencement de la bataille. La ligne ennemie, prise à revers, presse sa retraite ; les vainqueurs la poursuivent jusqu’à dix heures du soir.

5.000 morts, 8.000 blessés, 7.000 prisonniers, 30 canons et 12 drapeaux furent les trophées de la victoire de Marengo.

Le lendemain, à la pointe du jour, Bonaparte fait attaquer la tête de pont de la Bormida ; Mêlas était certainement bien en état de se défendre, pouvant encore disposer de forces supérieures à celles qui restaient à son adversaire ; mais encore tout ému des revers qu’il avait éprouvés la veille, et, désespérant des succès qu’il pouvait attendre d’une chance plus heureuse, il eut la lâcheté, tranchons le mot, de demander à traiter. Quelques heures après, il conclut, avec le général Berthier, celte fameuse convention d’Alexandrie, par laquelle l’armée française recouvrait tout ce qu’elle avait perdu en Italie depuis quinze mois, à l’exception de Mantoue.

Après avoir achevé de réorganiser la prétendue république cisalpine, Bonaparte se hâte de revenir à Paris, où l’appellent des intérêts politiques de la plus haute importance ; il y arrive le 3 juillet ; le peuple qui, à la première nouvelle de la victoire de Marengo, avait spontanément illuminé ses maisons, le reçoit avec des transports d’allégresse : dès ce moment, il n’y eut plus en France qu’un chef suprême des armées, qu’un législateur, qu’un administrateur. C’est le général, le premier consul Bonaparte, bien plus puissant, bien plus absolu que les rois de l’ancienne monarchie. Cet homme extraordinaire, adoré de la foule, faillit néanmoins être plusieurs fois la victime des complots de conspirateurs professant des doctrines bien différentes : les royalistes et les républicains niveleurs l’abhorraient comme un traître, comme leur ennemi personnel. Les niveleurs commencèrent : leur dernière entreprise coûta la vie au sculpteur Ceracchi, au peintre Topino-Lebrun, à l’adjudant-général Aréna. Deux mois après, les ex-chouans Saint-Régent, Carbon, Limoelan, font jouer la fameuse machine infernale.

Diverses autres tentatives d’assassinat, qui, prévenues à temps, restèrent heureusement sans effet, fournirent au gouvernement du premier Consul un prétexte plausible pour établir des tribunaux spéciaux qu’on arma d’une législation spéciale, violente, tyrannique. Ce fut en vain que des tribuns protestèrent contre l’adoption des projets présents : ces projets passèrent à la majorité de huit voix, tant la corruption avait fait de progrès parmi les membres de ce corps, qui devait être essentiellement républicain.

Plusieurs revers éprouvés coup sur coup, tant en Allemagne qu’en Italie, forcèrent l’Autriche à accepter les conditions du congrès de Lunéville ; le traité fut signé le 9 février 1801. Cet acte, qui rappelle toutes les clauses de celui de Campo-Formio, donna à la France la Belgique, tous les États de la rive gauche du Rhin, fixa à l’Adige la limite des possessions autrichiennes en Italie, et abandonna au premier Consul la libre disposition de la Toscane. Cette paix de Lunéville produisit en France la plus grande satisfaction ; à la nouvelle qui en fut répandue, le peuple de Paris se porta aux Tuileries, aux cris mille fois répétés de vive Bonaparte ! Il ne se faisait rien alors de grand et d’utile qui ne fût réputé son ouvrage. On lui fit l’honneur d’avoir, de son propre mouvement, décrété des expositions publiques des produits de l’industrie ; on assure que ce fut Chaptal qui lui suggéra cette idée.

À travers une multitude de mouvements de guerre et d’intrigues politiques qui ne laisseront aucun souvenir de quelque durée, nous arrivons à l’époque du Concordat. Bonaparte, bien certain de tenir en main toutes les forces matérielles du pouvoir suprême, comprit, en politique habile, que la solidité de sa puissance avait besoin d’être corroborée par le prestige des idées et des cérémonies religieuses ; la France était alors, et non sans de bonnes raisons, considérée par les étrangers comme la plus impie des nations. Afin de la réconcilier avec le ciel et avec les peuples de l’Europe, le premier Consul commença d’abord par rétablir le pape dans tous ses droits et dignités, après quoi il conclut avec la cour de Rome un concordat par lequel l’Église de France fut rétablie, et, tout en conservant ses libertés, reconnut le souverain pontife pour son chef.

Ce traité, conclu à Paris le 13 juillet, devint loi de l’État le 8 du mois d’avril suivant. Le concordat fut, pour la France, une véritable restauration : reçu avec les plus vives démonstrations de joie par tout ce qu’il y avait d’honnête, de religieux, il renfermait implicitement la condamnation des excès révolutionnaires, donnait à la politique extérieure un gage de confiance et de stabilité ; il groupait enfin, autour du premier Consul, un grand nombre de familles nobles, qui, malgré ses victoires, auraient continué à renier la révolution.

Tout prospérait, l’induslrie, la puissance, la politique. La paix tant désirée avec l’Angleterre fut convenue à Loudun le 1er octobre, et définitivement conclue à Amiens le 25 mars 1802. Si cette paix fut de courte durée, la cause en est due à l’Angleterre. Cette puissance n’ayant point tardé à reconnaître qu’elle avait ’perdu la prépondérance de son commerce par la concurrence du continent, et, voulant la reconquérir à tout prix, elle souleva des difficultés lorsqu’il s’agit de l’exécution du traité. Elle fit demander, d’abord, la reddition de l’île d’Elbe, du Piémont, des États de Parme, qui venaient d’être réunis à la France, et ensuite, mais plus impérieusement, par lord Vithworth, et comme ultimatum, la possession pendant dix ans de l’île de Malte, déclarée indépendante par le traité, la cession de l’île de Lampedouse, l’évacuation de la Hollande par les troupes françaises. Ces propositions furent rejetées. L’ambassadeur quitta Paris le 13 mai 1802, et le 22 l’Angleterre reprit les armes pour ne les déposer qu’après la ruine complète de son rival.

Ce fut sous le consulat qu’eut lieu la funeste expédition de Saint-Domingue, commandée par le général Leclerc, beau-frère de Bonaparte ; le rétablissement des solennités religieuses, ordonnées par le gouvernement ; l’institution de l’ordre de la Légion d’honneur ; le sénatus-consulte, corroboré par le vœu de 3.368.259 voix, qui déclare Bonaparte consul à vie ; la vente de la Lousiane aux États-Unis pour la somme de 15 millions de dollars ; la conspiration dite de Moreau, l’exil de ce général ; la mort du dernier rejeton de la famille des Condés ; la réduction des membres du tribunat, de cent à cinquante. Pendant les quatre années de son consulat, Bonaparte avait réuni dans sa personne toutes les forces civiles et militaires de la République : la plupart des fonctionnaires publics étaient ses créatures ; le clergé, par reconnaissance, lui répondait de la fidélité des populations religieuses ; les généraux, naguère ses émules, étaient devenus ses lieutenants. Il était donc le maître absolu des armées de terre et de mer ; l’anarchie, les conspirateurs, étaient comprimés pour toujours. La nation, accoutumée depuis tant de siècles à vivre sous le régime monarchique, considérait le premier Consul comme le digne successeur de ses rois les plus sages et les plus illustres. Sous sa domination, l’ordre et la sécurité régnèrent partout : le crédit se rétablit ; les sciences, les arts et l’industrie furent encouragés ; des jurisconsultes éclairés travaillèrent à la rédaction de nouveaux codes : le système, en un mot, du gouvernement consulaire, considéré d’un certain point de vue, paraît irréprochable.

Le 30 avril 1804, un tribun, Curée, fait une motion dont le but est de confier le gouvernement de la République à un empereur, au premier consul Napoléon Bonaparte, et de rendre cette dignité héréditaire dans sa famille.

« C’est, dit Curée, sanctionner par les siècles les institutions politiques, et assurer à jamais les grands résultats qu’elles ont laissés après elles… Les ennemis de notre patrie se sont effrayés de sa prospérité comme de sa gloire ; leurs trames se sont multipliées, et l’on eût dit qu’au lieu d’une nation tout entière, ils n’avaient plus à combattre qu’un homme seul. C’est lui qu’ils ont voulu frapper pour la détruire… Avec lui, le peuple français sera assuré de conserver sa dignité… Il ne nous est plus permis de marcher lentement ; le temps se hâte ; le siècle de Bonaparte est à sa quatrième année, et la nation veut un chef aussi illustre que sa destinée… »

Le tribunat adopte, presqu’à l’unanimité, la proposition de conférer l’empire à Bonaparte. Le tribun Carnot est le seul qui ose s’opposer ouvertement à la motion de Curée.

« … Je votai dans le temps, dit-il, contre le consulat à vie ; je voterai de même contre le rétablissement de la monarchie en France… J’observerai d’abord que le gouvernement d’un seul n’est rien moins qu’un gage de stabilité et de tranquillité… Du moment qu’une nation entière épouse les intérêts particuliers d’une famille, elle est obligée d’intervenir dans une multitude d’événements qui, sans cela, lui seraient de la plus-parfaite indifférence… Après la paix d’Amiens, Bonaparte a pu choisir entre le système républicain et le système monarchique ; il eût fait tout ce qu’il eût voulu… Le dépôt de la liberté lui était confié, il avait juré de la défendre… Il se fût couvert d’une gloire incomparable… Aujourd’hui, on propose de lui faire une propriété absolue et héréditaire d’un pouvoir dont il n’avait reçu que l’administration… Une dictature momentanée est quelquefois nécessaire pour sauver la liberté… mais parce qu’un remède violent a sauvé un malade, doit-on lui administrer tous les jours un remède violent ?… Il est moins difficile de former une république sans anarchie qu’une monarchie sans despotisme… On a parlé d’institution… serait-ce d’une nouvelle noblesse ? Mais le remède n’est-il, pas pire que le mal ? Car le pouvoir absolu n’ôte que la liberté, au lieu que l’institution des corps privilégiés ôte tout à la fois et la liberté et l’égalité. Et quand-même, dans les premiers temps, les grandes dignités ne seraient que personnelles, on sait assez qu’elles finiraient toujours comme les grands fiefs d’autrefois, par devenir héréditaires. »

(Il doute que tous les Français puissent donner en toute liberté leur assentiment à la mesure proposée, tant est grande l’influence de l’autorité qui préside ; il y aurait de l’inconvénient à manifester une opinion défavorable.)

« … La liberté de la presse est tellement anéantie, qu’il n’est pas possible de faire insérer dans un journal quelconque la réclamation la plus respectueuse et la plus modérée. »

« … La liberté fût-elle donc montrée à l’homme pour qu’il ne pût jamais en jouir ? Ainsi la nature, qui nous fait de cette liberté un besoin si pressant, aurait voulu nous traiter en marâtre ! Non, je ne puis consentir à regarder ce bien… comme une simple illusion. Mon cœur me dit que la liberté est possible, que le régime en est facile et plus stable qu’aucun gouvernement arbitraire, qu’aucune oligarchie. »

Il n’y eut que quatre ou cinq tribuns qui furent de l’opinion de Carnot ; tout le reste vota en faveur de la mesure.

« … C’est moins d’une récompense, dont Bonaparte n’a pas besoin, dit Siméon (pair de France sous la Restauration), que de notre propre dignité et de notre sûreté que nous nous occupons. » (Suit un long raisonnement pour prouver que la dynastie de Bourbon, détrônée, abattue par le malheur, ne saurait convenir à une nation qui s’estime. Il ne saurait y avoir de transaction sur une querelle aussi violemment décidée. Ne pas reconnaître Bonaparte comme empereur, ce serait se replacer sous le joug de la Révolution. Les grands hommes fondent ou rétablissent des empires ; ils transmettent à leurs héritiers leur gloire et leur puissance ; le gouvernement se perpétue paisiblement dans leur famille tant qu’elle produit des sujets capables… Lorsque la famille dégénérée ne peut plus soutenir le poids des affaires publiques, une autre famille s’élève. C’est ainsi que l’Empire français a vu les descendants de Mérovée remplacés par ceux de Charlemagne, et ces derniers par ceux de Hugues Capet. C’est ainsi que les mêmes causes et des événements à peu près semblables nous amènent une quatrième dynastie.)

Le président du Corps législatif, Fontanes, s’exprime ainsi en cette occasion :

« … Tout gouvernement électif est incertain, violent et faible comme les passions des hommes, tandis que l’hérédité donne en quelque sorte au système social la force, la durée et la contenance des desseins de la nature. La succession non interrompue du pouvoir dans la même famille maintiendra la paix et l’existence de toutes les autres. Il faut, pour que leurs droits soient à jamais assurés, que l’autorité qui les protège soit immortelle… L’histoire montre partout, à la tête des grandes sociétés, un chef unique et héréditaire… Les illusions antiques ont disparu : mais en a-t-il besoin, celui qu’appelle notre choix ? Il compte à peine trente-quatre ans, et déjà les événements de sa vie sont plus merveilleux que les fables dont on entoura le berceau des anciennes dynasties… N’en doutons point, une longue carrière de prospérité et de gloire s’ouvre encore pour nos descendants… On ne verra point le silence de la servitude succéder au tumulte de la démocratie… Non, citoyen premier Consul, vous ne voulez commander qu’un peuple libre, il le sait, et c’est pour cela qu’il vous obéira toujours. Les corps de l’État se balanceront avec sagesse ; ils conserveront tout ce qui peut maintenir la liberté, et rien de ce qui peut la détruire… »

Enfin, le vœu du Tribunat arrive au Sénat conservateur. Cette assemblée, dès le 27 mars 1804, ayant reçu communication de la conspiration de Georges Cadoudal, avait voté une adresse confidentielle au premier Consul, dans laquelle on trouvait des passages tels que ceux-ci : « … En réorganisant notre ordre social, votre génie supérieur a fait un oubli qui augmente peut-être vos dangers et nos craintes… Vous fondez une ère nouvelle, mais vous devez l’éterniser. L’éclat n’est rien sans la durée… Vous êtes pressé par le temps, par les événements, par les conspirateurs, par les ambitieux ; vous l’êtes dans un autre sens, par une inquiétude qui agite tous les Français : vous pouvez enchaîner le temps… tranquilliser la France entière en lui donnant des institutions qui cimentent votre édifice et prolongent pour les enfants ce que vous fîtes pour les pères… »

Le 25 avril suivant, Bonaparte répond : « … Votre adresse a été l’objet de mes méditations les plus constantes, vous avez jugé l’hérédité de la suprême magistrature nécessaire pour mettre le peuple français à l’abri des complots de nos ennemis et des agitations qui naîtraient d’ambitions rivales… Je vous invite donc à me faire connaître votre pensée tout entière. »

Le 4 mai, ses vœux sont exaucés ; le Sénat vient l’assurer qu’il est du plus grand intérêt du peuple de confier le gouvernement de la République à Napoléon Bonaparte, empereur héréditaire : « Le pacte social bravera le temps, la République, immuable comme son vaste territoire, verrait s’élever en vain autour d’elle les tempêtes politiques ; pour l’ébranler, il faudrait ébranler le monde ; et la prospérité, en rappelant les prodiges enfantés par votre génie, verra toujours debout cet immense monument, et tout ce que vous devra la patrie. » C’est ainsi que s’exprimait l’ex—deuxième consul Cambacérès.

Enfin le 18 mai 1804, le premier Consul est intronisé à Saint-Cloud par le Sénat conservateur.

Voici les deux actes constitutifs de l’Empire :

Extrait du Sénatus-consulte organique du 28 floréal an XII (18 mai 1804).

NAPOLÉON, par la grâce de Dieu et les constitutions de la République, Empereur des Français, à tous présents et à venir, salut.

Le Sénat, après avoir entendu les orateurs du conseil d’État, a décrété et nous ordonnons ce qui suit :

Extrait des registres du Sénat conservateur, du 28 floréal an XII de la République.

Le Sénat conservateur, réuni au nombre de membres prescrit par l’art. 90 de la constitution ;

Vu le projet de sénatus-consulte rédigé en la forme prescrite par l’art. 57 du sénatus-consulte organique, en date du 16 thermidor an X ;

Après avoir entendu, sur les motifs dudit projet, les orateurs du gouvernement, et le rapport de sa commission spéciale, nommée dans la séance du 26 du même mois ;

L’adoption ayant été délibérée au nombre de voix prescrit par l’art. 56 du sénatus-consulte organique du 16 thermidor an X ;

Décrète ce qui suit :

TITRE PREMIER.

Art. 1er. Le gouvernement de la République est confié à un empereur, qui prend le titre d’Empereur des François.

La justice se rend, au nom de l’Empereur, par les officiers qu’il institue.

2. Napoléon Bonaparte, premier Consul actuel de la République, est empereur des Français.

TITRE II.
De l’Hérédité.

3 La dignité impériale est héréditaire dans la descendance directe, naturelle et légitime de Napoléon Bonaparte, de mâle en mâle, par ordre de primogéniture, et à l’exclusion perpétuelle des femmes et de leur descendance.

4. Napoléon Bonaparte peut adopter les enfants ou petits-enfants de ses frères, pourvu qu’ils aient atteint l’âge de dix-huit ans accomplis, et que lui-même n’ait point d’enfants mâles au moment de l’adoption.

Ses fils adoptifs entrent dans la ligne de sa descendance directe.

Si, postérieurement à l’adoption il lui survient des enfants mâles, ses fils adoptifs ne peuvent être appelés qu’après les descendants naturels et légitimes.

L’adoption est interdite aux successeurs de Napoléon Bonaparte et à leurs descendants.

5. À défaut d’héritier naturel et légitime ou d’héritier adoptif de Napoléon Bonaparte, la dignité impériale est dévolue et déférée à Joseph Bonaparte et à ses descendants naturels et légitimes, par ordre de primogéniture, et de mâle en mâle, à l’exclusion perpétuelle des femmes et de leur descendance.

6. À défaut de Joseph Bonaparte et de ses descendants mâles, la dignité impériale est dévolue et déférée à Louis Bonaparte et à ses descendants naturels et légitimes, par ordre de primogéniture, et de mâle en mâle à l’exclusion perpétuelle des femmes et de leur descendance.

7. À défaut d’héritiers naturels et légitimes et d’héritiers adoptifs de Napoléon Bonaparte ;

À défaut d’héritiers naturels et légitimes de Joseph Bonaparte et de ses descendants mâles ;

De Louis Bonaparte et de ses descendants mâles ;

Un sénatus-consulte organique, proposé au Sénat par les titulaires des grandes dignités de l’Empire, et soumis à l’acceptation du peuple, nomme l’Empereur et règle dans sa famille l’ordre de l’hérédité, de mâle en mâle, à l’exclusion perpétuelle des femmes et de leur descendance.

8. Jusqu’au moment l’élection du nouvel empereur est consommée, les affaires de l’État sont gouvernées par les ministres, qui se forment en conseil de gouvernement, et qui délibèrent à la majorité, des voix. Le. secrétaire d’État tient les registres des délibérations.

Sénatus-consulte du 15 brumaire an XIII. — 6 novembre 1804, — relatif à l’hérédité de la dignité impériale.

Napoléon, par la grâce de Dieu et les constitutions de la République, empereur des Français, à tous présents et à venir salut.

Le Sénat ayant déclaré ce qui suit :

Extrait des registres du Sénat conservateur, du mardi 15 brumaire an XIII. Sénatus-consulte.

Le Sénat conservateur, réuni au nombre de membres prescrit par l’article 90 de la Constitution, délibérant sur le message de sa majesté impériale, du 1er de ce mois ;

Après avoir entendu le rapport de sa commission spéciale chargée de vérifier les registres des votes émis par le peuple français, en exécution de l’article 142 de l’acte des constitutions de l’Empire, en date du 28 floréal an XII, sur l’acceptation de cette proposition.

« Le peuple français veut l’hérédité de la dignité impériale dans la descendance directe, naturelle, légitime et adoptive de Napoléon Bonaparte, et dans la descendance directe, naturelle et légitime de Joseph Bonaparte et de Louis Bonaparte, ainsi qu’il est réglé par le sénatus-consulte de ce jour (28 floréal an XII).

Vu le procès-verbal fait par la commission spéciale, et qui constate que 3.524.254 citoyens ont donné leurs suffrages, et que 3.521.67S citoyens ont accepté ladite proposition,

Déclare ce qui suit :

La dignité impériale est héréditaire dans la descendance directe, naturelle, légitime et adoptive de Napoléon Bonaparte, et dans la descendance directe, naturelle et légitime de Joseph Bonaparte et de Louis Bonaparte, ainsi qu’il est réglé par l’acte des constitutions de l’Empire, en date du 28 floréal an XII.

Le présent sénatus-consulte sera transmis par un message à Sa Majesté l’Empereur.

Les Président et Secrétaires,

FRANÇOIS (DE NEUFCHATEAU), président ;
PORCHER, COLLAUD, secrétaires.

Vu et scellé, le chancelier du Sénat,

LAPLACE.

Mandons et ordonnons que les présentes, revêtues des sceaux de l’État, soient publiées et insérées au Bulletin des Lois, et le grand-juge, Ministre de la Justice, chargé d’en surveiller la publication.

Donné au palais de Fontainebleau, le 5 frimaire an XIII.

NAPOLÉON.

Vu par nous, archichancelier de l’Empire,

CAMBACÉRÈS.

Le grand juge, Ministre de la Justice.

REGNIER.

Par l’Empereur,

Le secrétaire d’État
Hugues B. MARET.

IX. Premières années de l’Empire.[modifier]

Il est à remarquer que le sénatus-consulte du 28 floréal institue le Conseil d’État comme partie intégrante et autorité supérieure de l’État.

Par décret impérial du 19 mai 1804, Napoléon confère la dignité de maréchal de l’Empire à dix-huit généraux : de ces dix-huit grands capitaines, deux seulement appartenaient à la noblesse ; quatre à la classe aisée de la bourgeoisie, et douze étaient sortis de la classe du peuple proprement dite.

Le 27 mai 1804, le Sénat est admis à prêter serment à l’Empereur. François de Neufchâteau lui dit : « Sire, vous n’accepterez l’Empire que pour sauver la liberté ; vous ne consentez à régner que pour faire régner les lois ; vous ne fîtes jamais la guerre que pour avoir la paix… La liberté, les lois, la paix, ces trois mots de l’oracle semblent avoir été réunis tout exprès pour composer votre devise et celle de vos succes seurs… Vous n’aurez point eu de modèle et vous en servirez toujours… » Il faut bien croire que le Sénat était, jusqu’à un certain point, le véritable interprète des sentiments de la nation : car sitôt qu’il eut prêté serment de fidélité à l’Empereur, il arriva une multitude d’adresses approbatives de tous les coins de la République impériale ; magistrats, fonctionnaires publics, officiers de tous grades, se jetèrent aux pieds de leur nouveau souverain ; le clergé se montra le plus empressé des adorateurs du nouveau Dieu : « Un Dieu est un monarque, dit l’archevêque de Turin, comme le Dieu des chrétiens est le seul digne d’être obéi ; vous (Napoléon) êtes le seul digne de commander à des Français : par là cesseront toutes les abstractions philosophiques, tout dépècement du pouvoir ; — donnons pour garant de notre fidélité à César, notre fidélité à Dieu ; — ne cessons de le dire, le doigt de Dieu est ici ; — nouveau Mathathias, Bonaparte parut dans l’Assemblée du peuple, envoyé par le Seigneur (au 18 brumaire)… » Il est étrange, pour ne pas dire plus, de trouver de telles paroles dans la bouche de prélats qui savent et qui doivent apprendre aux hommes combien sont futiles les grandeurs de ce monde.

Louis XVIII, quoique banni et sans appui, protesta contre l’avènement de Bonaparte au trône.

Le 10 juin conmmence le procès du général Moreau et de ses coaccusés. Dès le 28 février précédent, un sénatus-consulte avait suspendu pour deux ans les fonctions du jury dans les jugements pour crimes d’attentat contre la personne du premier Consul.

Moreau excite le plus vif intérêt dans toutes les classes de la société, tant civiles que militaires. Le public croit voir dans Bonaparte un ennemi mortel du vainqueur de Hohenlinden ; c’est un rival dont il veut se défaire à tout prix, répète-t-on de toutes parts : et cependant Moreau avait conspiré !

Moreau est condamné à deux ans de détention ; mais le gouvernement, d’après le conseil et les instances de Fouché, convertit la peine en exil, avec la faculté de vendre ses biens, qui furent estimés 800.000 francs. Moreau se rétira en Amérique.

Le 14 juillet 1804, jour anniversaire de la prise de la Bastille, a lieu dans l’église des Invalides l’inauguration de l’ordre de la Légion d’honneur. Les dignitaires prêtent serment entre les mains de l’Empereur. Par décret impérial du 16 du même mois, l’École polytechnique reçoit une nouvelle organisation ; dorénavant les élèves seront casernes et soumis à la même discipline que les régiments.

L’Empereur reprend avec une ardeur nouvelle ses projets d’invasion en Angleterre et les préparatifs qu’il avait déjà faits pour cette expédition : dans quelques mois une flottille de plus de 2.000 petits vaisseaux, montés par 16.000 marins, sera en état de transporter, sur les côtes de la Grande-Bretagne, une armée de 160.000 fantassins et de 9.000 chevaux. On sait que tous ces armements restèrent sans effet direct.

Napoléon n’avait plus rien à demander aux hommes pour se croire aussi solidement assis sur le trône de France que le prince le plus légitime ; mais à l’exemple des rois, ses prédécesseurs, il voulut appeler sur lui la protection du ciel ; ainsi donc le pontife de Rome, Pie VII, à la sollicitation du nouvel Empereur, passa les monts et vint à Paris verser l’huile sainte sur sa tête. En 754, le pape Étienne III s’était aussi rendu en France pour y sacrer Pépin le Bref, la reine sa femme et leurs deux enfants, Charles (Charlemagne) et Carlornan.

Le couronnement et le sacre de Napoléon et de sa femme Joséphine se fit à Paris dans l’église cathédrale le 2 décembre 1804, rien ne fut épargné pour donner à cette solennité toute la pompe, tout l’éclat dont elle était susceptible, et que réclamait la circonstance. Le splendidc appareil déployé dans ce grand jour rappelait les magnificences de l’ancienne cour, s’il ne les surpassait. Napoléon était éblouissant de pierreries ; sa voiture, tout en glaces, était surmontée d’une immense couronne, et chargée devant et derrière d’un grand nombre de pages, chamarrés de la livrée impériale.

Le pape fit trois onctions à l’Empereur, une sur la tête et deux sur les mains ; en même temps, il récitait une prière dans laquelle il faisait mention d’Hazaël, de Jéhu, de Saül, de David.

Au moment où Pie VII venait de bénir la couronne, Napoléon la prend et se la pose sur la tête. C’est encore lui qui couronne l’Impératrice ; ces formalités avaient pour but d’éloigner l’idée qu’il avait été couronné par le Saint-Père.

Le 14 janvier 1805, Napoléon s’adressa directement au roi d’Angleterre, pour, l’engager à entamer des négociations pour la conclusion de la paix : « … Je n’attache pas de déshonneur à faire le premier pas. J’ai assez, je pense, prouvé au monde que je ne redoute aucune des chances de la guerre. La paix est le vœu de mon cœur… Je conjure Votre Majesté de donner elle-même la paix au monde. » Le ministre anglais écrivit que Sa Majesté ne pouvait répondre directement à l’ouverture qui lui était faite avant de s’être concertée avec les puissances du continent.

Le 18 mars de la même année, Napoléon apprend au sénat qu’il accepte la couronne d’Italie, que les peuples de la république cisalpine viennent de lui offrir.

Un traité est signé le 8 avril à Pétersbourg, entre l’Angleterre et la Russie, l’Autriche, la Suède, Naples ; la Sardaigne entre dans cette coalition. Il est convenu qu’on réunira une armée de 500.000 hommes, outre les secours que fournira l’Angleterre. L’Autriche s’engage à ne poser les armes que du consentement de ses alliés ; elle reçoit de l’Angleterre un subside de 75 millions pour la présente année 1805 ; il lui est promis 100 millions pour chacune des années suivantes.

À ces nouvelles, les troupes du camp de Boulogne se mettent en mouvement vers le Rhin. Les Russes, de leur côté, arrivent en Gallicie. Le général autrichien Mack, enfermé dans Ulm, est forcé de capituler ; il se rend prisonnier avec une garnison de 30.000 hommes, 3.000 chevaux, 60 canons attelés. Les mouvements de Napoléon sont si bien concertés, si rapides, que l’ennemi perd 50.000 prisonniers en moins de quinze jours.

Enfin le 2 décembre 1805, les trois Empereurs se rencontrent avec leurs troupes auprès du village d’Austerlitz, à deux lieues de Brunn, en Moravie. L’armée russe compte 70.000 combattants ; le contingent autrichien est de 25.000 hommes, l’armée française n’excède pas 80.000 soldats. L’artillerie est formidable des deux côtés ; les alliés sont supérieurs en cavalerie.

Le général russe Kutusoff voulait gagner du temps pour attendre l’arrivée d’un troisième renfort qui n’était plus qu’à huit journées de marche ; mais les manœuvres de Napoléon le forcèrent, malgré lui, à accepter le combat, et afin de l’attirer sur un terrain dont il connaît tous les avantages, il fait replier son avant-garde, et affecte de se fortifier. Ce stratagème, habilement conduit, trompe le général russe, qui croit follement que l’empereur des Français craint sérieusement d’en venir aux mains.

L’action s’engage au lever du soleil et se prolonge jusqu’à la nuit. La victoire fut complète. La perte des Russes, en tués, noyés dans un lac dont la glace se brisa, ou en prisonniers et blessés, se monte à 35.000 hommes. Ils perdirent 15 généraux faits prisonniers ou tués sur le champ de bataille. Kutusoff reçut plusieurs blessures, et il abandonna 150 canons, 40 drapeaux. On assure qu’il ne tenait qu’à Napoléon de se rendre maître de la personne d’Alexandre et de l’empereur François, mais que, content de les avoir vaincus, il leur laissa la liberté de s’échapper.

L’empereur d’Allemagne se rend au bivouac de Napoléon, bivouac de bottes de pailles. Le monarque victorieux le fait approcher de son feu et lui dit : « Je vous reçois dans le seul palais que j’habite depuis deux mois. » François lui répond : « Vous tirez si bon parti de cette habitation qu’elle doit vous plaire. » Puis il lui prend la main et le salue du nom de frère.

La victoire d’Austerlitz est une des plus décisives, des plus brillantes des temps modernes. Les vainqueurs n’ont à regretter qu’un général de division, deux colonels et environ 10.000 soldats.

Le ministre prussien Haugwitz se rend au quartier général de Napoléon pour le féliciter de sa victoire. Celui-ci, qui connaît les sentiments cachés du cabinet de Berlin, lui répond : « Voilà un compliment dont la fortune a changé l’adresse. »

L’empereur François, malgré la supériorité de forces qui lui restent, demande humblement la paix. Il obtient d’abord un armistice. Voulant donner à Alexandre une preuve de sa générosité, Napoléon lui renvoie sans échange tous les prisonniers de la garde noble russe.

Le 26 décembre 1805, un traité de paix est signé à Presbourg, entre la France et l’Autriche. Par ce traité, cette dernière puissance perd un territoire de onze cent milles carrés avec une population de 2.600.000 âmes.

Par la grâce de l’Agamemnon français, l’électeur de Bavière et le duc de Wurtemberg acquièrent le titre de rois. Un peu plus tard, François II abandonna le titre fastueux d’empereur d’Allemagne, et par le bon vouloir de Napoléon, il se contenta de celui plus modeste d’empereur d’Autriche, sous le nom de François Ier.

Le roi de Naples, Ferdinand IV, ayant manqué pour la quatrième fois à ses engagements envers la France, Napoléon le détrône et donne ses états à son frère Joseph, qui entre dans Naples le 30 mars 1806.

Les duchés de Clèves et de Berg sont donnés en toute souveraineté au maréchal Murat qui prend le titre de Grand-duc de Berg.

La principauté de Guastalla est donnée à Pauline, épouse du prince Borghèse. Un peu plus tard, ses frères Louis et Jérôme seront rois, le premier de Hollande et l’autre de Westphalie.

Le 12 juillet 1806, les princes de la Confédération du Rhin se séparent à perpétuité de l’empire d’Allemagne et s’unissent à Napoléon qui se déclare leur protecteur.

Le 6 octobre 1806, une quatrième coalition, dans laquelle entraient la Prusse, la Russie, la Suède, l’Angleterre, se forme sur le continent.

C’est contre la Prusse que Napoléon a résolu de porter les premiers coups. L’armée de cette puissance se compose de 230.000 hommes, d’une excellente cavalerie et d’une artillerie nombreuse et bien servie.

Les premières hostilités entre la France et la Prusse ont lieu à Scheleitz, village de la principauté de Reuss. Le 14 octobre, Napoléon triomphe de nouveau à Iéna. À proprement parler, il y eut en même temps deux batailles bien distinctes, celle d’Auerstaedt et celle d’Iéna, c’est-à-dire que deux corps français séparés et sans contact se battirent contre deux corps ennemis qui se trouvaient respectivement dans une semblable position.

Cette journée coûte aux vaincus, tant en tués, blessés ou prisonniers, plus de 48.000 hommes, 260 canons, d’immenses magasins ; 26 généraux prussiens sont faits prisonniers. L’armée française perd un général de brigade, 3 colonels et compte moins de 42.000 hommes hors de combat.

Après l’échec d’Iéna, l’armée prussienne se débande et n’oppose aucune résistance sérieuse aux progrès des vainqueurs ; les villes ouvrent, leurs portes ; les forteresses capitulent à la première sommation. Toute la monarchie du grand Frédéric est conquise, à peu de chose près, en moins d’un mois. On ne vit jamais en Europe une suite de défaites aussi ignominieuses. Le 9 novembre 1806, Napoléon frappe la Prusse et ses alliés d’une contribution de 150 millions de francs.

Le 11 décembre, un traité de paix est signé à Posen entre Napoléon et l’Électeur de Saxe, qui prend le titre de roi. C’est le troisième prince allemand que Napoléon élève à cette dignité.

Le 8 janvier 1807 se livre la fameuse bataille d’Eylau : des divisions appartenant aux corps des maréchaux Davout, Soult, Ney, le corps entier d’Augereau ont à soutenir les efforts impétueux du général russe Beningsen, qui commande plus de 70.000 hommes. Cette bataille fut une effroyable tuerie dans laquelle les deux partis firent des pertes à peu près égales. Les Russes se retirent en bon ordre sur la fin du jour, ce qui servit de prétexte aux Français pour compter cette action parmi leurs nombreuses victoires. L’affaire d’Eylau semble présager à Napoléon que dorénavant ses succès lui seront vivement disputés.

Le 14 mai 1807, les Français, non sans éprouver des pertes considérables, battent les Russes, à Friedland (huit lieues d’Eylau). Les pertes de l’ennemi s’élèvent à 17.000 morts ou blessés, autant de prisonniers et 70 canons.

Le 21 juin 1807, un armistice est convenu à Tilsitt entre l’armée française et l’armée russe ; les deux empereurs se donnent rendez-vous dans un pavillon construit sur un radeau au milieu du fleuve Niémen qui passe près de Tilsitt. Le roi de Prusse est admis aux conférences des empereurs, la paix se conclut, et à la sollicitation d’Alexandre, Napoléon restitue à Frédéric (Guillaume) la moitié de sa monarchie. L’empereur russe reconnaît les royautés des trois frères de Napoléon, la confédération du Rhin. Il s’offre comme médiateur entre la France et l’Angleterre.

De retour à Paris (29 juillet), l’Empereur victorieux reçoit les grands corps de l’État ; le président du Sénat, Lacépède, lui dit dans sa harangue : « On ne peut plus louer dignement Votre Majesté ; votre gloire est trop haute ; il faudrait être placé à la distance de la postérité pour découvrir son immense élévation. »

Le 19 août, le Tribunat est supprimé et le Corps législatif reçoit de nouvelles modifications ; à l’avenir, on ne pourra faire partie de ce corps si l’on n’est âgé de quarante ans au moins.

Le 27 septembre, un décret impérial défend aux libraires de mettre en vente des ouvrages qui n’auraient pas été soumis à la censure préalable d’une commission.

Le 11 mars 1808, un sénatus-consulte porte institution de titres héréditaires honorifiques, sous les dénominations de princes, ducs, comtes, barons, chevaliers. Les titulaires pourront former des majorats ou substitutions en faveur de leurs descendants directs.

Dans l’intention avouée de mettre l’Espagne et le Portugal à couvert des tentatives que pourraient faire les Anglais pour s’établir dans ces pays et introduire leurs marchandises sur le continent, Napoléon a fait occuper ces deux royaumes par ses troupes ; la plupart des forteresses sont en leur pouvoir.

Une révolution éclate à la cour d’Espagne ; l’irritation est à son comble contre le favori de Charles IV et de la reine sa femme, le prince de la paix Godoï. — Ferdinand force son père à lui céder le trône. — Alors Napoléon réunissait une armée sur la frontière et devait la commander. — Charles IV et la Reine le rejoignent à Bayonne, où il invite Ferdinand à se rendre. — Ferdinand remet la couronne à son père, et celui-ci et tous les princes de sa famille renoncent à leurs droits, au trône de leurs ancêtres en faveur de Napoléon, qui pourra en disposer comme il l’entendra, et cela dans l’intérêt de l’Espagne, dont il est nécessaire, dit le ministre Champagny, qu’une main ferme vienne rétablir l’ordre dans son administration et prévienne la ruine vers laquelle elle marche à grands pas. « Il faut qu’un prince ami de la France règne en Espagne ; c’est l’ouvrage de Louis XIV qa’il faut recommencer. Ce que la politique conseille, la justice l’autorise ! »

Napoléon, habitué à la docilité des Italiens, crut bien sincèrement qu’il aurait aussi bon marché des Espagnols, il se trompa grandement. Cette nation fière, qui était comme assoupie depuis assez longtemps, indignée de ce que des étrangers se permettaient de régler ses destinées, de changer la dynastie de ses rois sans la consulter, oubliant l’extrême faiblesse de ses moyens, jura l’extermination de tous les Français ; toutes les classes, tous les sexes, les prêtres, les moines, les religieuses, les mendiants feront tout ce qui dépendra d’eux pour repousser les armées du conquérant usurpateur de leurs droits. Les Espagnols se battent rarement en bataille rangée, mais ils parviendront à lasser, à détruire leurs ennemis par une guerre d’embuscade, de partisans, d’assassins. Pour atteindre ce but, le poignard, le poison, tous les genres de destruction, de vengeance, leur sembleront légitimes ; le sol de la péninsule deviendra pour les Français un véritable cimetière, où ils trouveront la mort sans profit et sans gloire ; en effet, en moins de cinq ans, le tout-puissant Napoléon se verra dans la triste nécessité de renvoyer Ferdinand dans ses États. Le commencement de ses malheurs et de sa décadence date du traité de Bayonne.

Le trône de Charles IV est donné à Joseph Napoléon. Celui de Naples, qu’il quitte, devient le partage de Murat, beau-frère de l’Empereur. Le 4 octobre 1808, Napoléon se rend de sa personne en Espagne, à la tête de 80.000 vieux soldats qu’il a tirés d’Allemagne. Il faut, se plaît-il à dire, que la Méditerranée devienne le lac français. D’abord il se porte sur la capitale, mais il n’y a plus de gouvernement stable et régulier dans le pays : toutes les villes, tous les bourgs sont autant de centres d’actions ; la nation espagnole est devenue, pour son ennemi, une hydre à mille têtes.

Madrid, menacé d’un assaut, ouvre ses portes au conquérant. Le 4 décembre 1808, dans une proclamation qu’il adresse aux habitants, il annonce son dessein de traiter l’Espagne en pays conquis, si elle persiste à ne pas reconnaître Joseph Napoléon pour roi : « Je mettrai alors la couronne d’Espagne sur ma tête, et je saurai la faire respecter des méchants : car Dieu m’a donné la force et le caractère pour surmonter tous les obstacles. » Il dit à une dépulation de Madrid, qui vient le remercier de la protection qu’il daigne lui accorder : « Vos neveux me béniront comme votre régénérateur ; ils placeront au nombre des jours mémorables ceux où j’ai paru parmi vous, et, de ces jours, datera la prospérité de l’Espagne. » Après un séjour de quelques semaines dans la péninsule, de graves événements qui se préparaient dans le nord l’obligent à repasser les Pyrénées, sans avoir rien accompli de décisif. Cette retraite agit en sens divers sur le moral de ses soldats et des populations espagnoles.

Le 9 avril 1809, une cinquième coalition contre la France se forme ; l’archiduc Charles, commandant la principale armée autrichienne, déclare au commandant des troupes stationnées en Bavière, qu’il se porte en avant et qu’il traitera comme ennemis tous ceux qui lui résisteront. L’Autriche a sous les armes, y compris la landwehr, 550.000 hommes ; les Français ont moins de la moitié de ce nombre à lui opposer.

À la suite de plusieurs combats plus ou moins importants, et tous favorables à leurs armes, les Français entrent à Vienne après un bombardement de trente-six heures (13 mai 1809).

Par un décret impérial daté du 17, les États du pape sont déclarés faire partie de l’Empire français.

Le 21-22 mai a lieu la sanglante bataille d’Esling, que la crue subite des eaux du Danube menaçait de rendre malheureuse pour nos armes. C’est pendant cette bataille, et au plus fort de l’action, que, voyant Napoléon s’exposer avec la témérité d’un soldat, le général Walther, commandant les grenadiers à cheval de la garde, lui cria : « Retirez-vous, Sire, ou je vous fais enlever par mes grenadiers. »

Le 11 juin, Napoléon est excommunié par le pape Pie VII.

Le village de Wagram, situé à cinq lieues de Vienne, est immortalisé par la grande bataille que se livrèrent dans ses environs, le 6 juillet 1809, Napoléon et l’archiduc Charles : les Autrichiens, armés de 500 pièces de canon, mettent en ligne 120.000 hommes ; les Français, plus nombreux, sont inférieurs en artillerie.

L’action commence au lever du soleil, dure douze heures, pendant lesquelles 900 bouches à feu ne cessent de vomir la mort dans les rangs des deux armées. Vers la fin du jour, l’archiduc fait replier ses bagages et commence sa retraite : il laisse le champ de bataille jonché d’Autrichiens, perd 10 drapeaux, 40 canons, 18.000 prisonniers, 9.000 blessés, et un grand nombre d’équipages. On élève la perte des Français à 6.000 blessés et 2.600 tués.

Le gain de cette bataille fut longtemps douteux ; Napoléon devait en ressentir de tristes pressentiments : il voyait que les adversaires qu’il avait battus tant de fois commençaient à tenir ferme et à se défendre. La victoire de Wagram est la dernière dont Napoléon ait retiré des avantages de quelque durée.

Par un décret impérial, une contribution de 196 millions de francs est frappée sur les provinces conquises de l’Autriche.

Enfin, François Ier vient s’humilier de nouveau et demander la paix à son ennemi ; on convient d’un armistice à Znaïm, et la paix est signée à Vienne le 14 octobre.

Le 16 décembre, un sénatus-consulte déclare dissous le mariage de Napoléon avec Joséphine Tascher. Le 7 février 1810, un projet de mariage est signé entre Napoléon et l’archiduchesse Marie-Louise, fille de François Ier. De ce divorce et de ce nouveau mariage commence, d’une manière évidente, la chaîne de malheurs qui, de chute en chute, conduiront Napoléon à Sainte-Hélène.


X. Etendue de l’Empire en 1810. — Naissance du roi de Rome. — Campagne de Russie.[modifier]

La Hollande, pays essentiellement commerçant, s’accommodait mal des défenses que Napoléon avaient faites aux peuples du continent, ses alliés, ou qui vivaient sous sa domination immédiate, d’avoir des relations commerciales avec l’Angleterre ; la Hollande ne peut se soutenir sans négoce ; elle fera donc, malgré les prohibitions impériales, des affaires avec les étrangers par tous les moyens possibles. Le roi Louis s’est fait Hollandais ; il aime son peuple, veut son bonheur et non sa ruine ; il lui permettra donc, en dépit des menaces de son frère tout puissant, d’avoir des rapports d’intérêts avec la Grande-Bretagne. De là des altercations, des reproches amers. Louis, se voyant dans l’impossibilité de gouverner son État suivant les vœux de son cœur, quitte spontanément le trône sur lequel il était monté par complaisance, sinon avec répugnance. Napoléon, dans sa colère, fait rendre un sénatus-consulte dit organique (13 décembre 1810), qui porte que la Hollande, les villes anséatiques, le Lauenbourg, tous les pays situés entre la mer du Nord et une ligne tirée depuis le confluent de la Lippe avec le Rhin, jusqu’à Halteren, etc., etc., font partie intégrante de l’Empire français ; lesdits pays formeront dix départements. Un autre sénatus-consulte de la même époque déclare le Valais réuni à l’Empire ; ce pays formera un département : « La réunion du Valais, » dit l’Empereur au Sénat, « est une conséquence prévue des travaux que je fais faire depuis dix ans dans cette partie des Alpes. »

Après avoir reçu ces divers accroissements, l’Empire français s’étend de la Baltique au Garigliano, de l’Adriatique à l’Océan ; il contient 13 degrés de latitude et 24 de longitude ; sa surface équivaut à 36.000 lieues carrées et comprend 130 départements, sur lesquels vit une population d’environ 42 millions d’habitants. On trouve dans le rapport du sénateur Sémonville : « Enfin, après dix ans d’une lutte glorieuse pour la France, le génie le plus extraordinaire qu’ait produit le monde, réunit dans ses mains triomphantes les débris de l’empire de Charlemagne. »

Ces agrégations forcées de peuples si différents de mœurs, de coutumes, de cultes, ne formeront jamais une nation compacte : dans moins de quatre ans, les nouveaux réunis se montreront ouvertement, et les armes à la main, les ennemis de l’Empire et de son fondateur.

Le 20 mars 1811, les vœux de Napoléon sont comblés ; Marie-Louise le rend père d’un héritier qu’il a tant désiré : car c’est pour l’obtenir qu’il a divorcé avec Joséphine. Le jeune prince reçoit, dès sa naissance, le titre pompeux de Roi de Rome. Le clergé et tous les corps de l’État saluèrent le berceau du nouveau-né par des discours et des harangues dont la flatterie, quoique exagérée, n’avait pourtant rien d’extraordinaire dans cette circonstance.

« L’amour paternel achèvera de révéler tout ce que Dieu a mis de sensibilité et de bonté dans l’âme de Napoléon le Grand. » (Cardinal Maury.)

« Telle est la destinée de notre Empereur, que la Providence, après avoir tant fait pour sa gloire, veut encore tout faire pour son bonheur, et qu’après l’avoir rendu le plus grand des héros, elle veut encore en faire le plus heureux des époux et des pères. » (Évêque de Troyes.)

« Vos peuples saluent par d’unanimes acclamations ce nouvel astre qui vient de se lever sur l’horizon de la France, et dont le premier rayon dissipe jusqu’aux dernières ombres des ténèbres de l’avenir. La Providence, Sire, veut apprendre au monde qu’il naîtra de vous une race de héros non moins durable que la gloire de votre nom et les institutions de votre génie. » (Le Sénat.)

Le 26 janvier 1812, la Catalogne, formée en quatre départements, est réunie à la France.

Le 13 mars suivant, un sénatus-consulte divise en trois bans tous les sujets dé l’Empire qui sont en état de porter les armes, et qui ne sont pas militaires actifs.

À cette occasion, le sénateur Lacépède s’exprimait ainsi : « Voilà ce que le héros croit devoir faire pour rendre les frontières inviolables, pour tranquilliser les esprits. Voici ce que fait le père de ses sujets pour que ce grand bienfait exige le moins de sacrifices. Les cohortes du premier ban, se renouvelant par sixième chaque année, les jeunes gens qui en feraient partie connaîtraient l’époque précise à laquelle ils doivent revenir sous le toit paternel. Parvenus à l’âge où l’ardeur est réunie à la force, ils trouveront dans leurs exercices des jeux salutaires et des délassements agréables, plutôt que des devoirs sévères et des occupations pénibles ! »

La guerre avec la Russie, l’Angleterre et la Suède est imminente. Napoléon quitte Paris le 9 avril 1812, et se rend en Allemagne. Une réunion solennelle de têtes couronnées a lieu à Dresde ; l’impératrice Marie-Louise, l’empereur et l’impératrice d’Autriche, le roi de Prusse et plusieurs souverains de rang inférieur en font partie. Napoléon est le président, le directeur suprême de cette assemblée. Tous les individus qui la composent sont, de gré, ou de force, ses subalternes, ses courtisans ; chacun d’eux se présente à son lever, attend avec patience le moment où il pourra obtenir de lui une parole, un regard favorable. La satisfaction de lui avoir plu rayonne hypocritement sur tous ces visages germaniques, tandis que la haine et la soif de la vengeance sommeillent au fond des cœurs. C’est ce que Napoléon éprouvera au moment du revers, de la part de ces rois qui, maintenant, l’enivrent de tourbillons d’encens.

Cependant le comte de Narbonne avait été envoyé auprès d’Alexandre pour le déterminer, moyennant quelques concessions, à soutenir le système continental, moyennant, quoi la paix ne serait pas troublée, Le négociateur échoue dans sa mission. Il lui est répondu qu’on préfère la guerre à une paix sans honneur et peu certaine, qu’on ne commettra pas l’imprudence de se mesurer dans une grande bataille avec le monarque français, mais qu’on est résigné àr tout sacrifier pour traîner les hostilités en longueur, afin de lasser, dé dégoûter les armées qui entreront sur les terres de la domination russe.

Napoléon, méprisant de telles menaces et comptant toujours sur sa fortune, se rend sur le Niémen, bien résolu de marcher en avant, malgré les avis que lui donnaient des personnes réfléchies et expérimentées. Quelqu’un lui disait avec une courageuse franchise que la campagne de Russie pouvait décider du sort de sa dynastie et de sa propre existence, comme de l’avenir de la France. « Napoléon et sa fortune ! » répondit l’Empereur ; « que peuvent contre moi les éléments ? » On assure même que le prince russe Kourakin avait prédit à Paris les désastres qui attendaient Napoléon en Russie. Il se pourrait bien, au reste, que cette prophétie ait été faite après les événements.

Le 22 juin 1812, Napoléon déclare la guerre à la Russie, du quartier général de Wilkowiski : il apprend cette résolution à ses soldats en ces termes.

« Soldats, la seconde guerre de la Pologne est commencée ; la première s’est terminée à Tilsitt. À Tilsitt, la Russie a juré éternelle alliance à la France et guerre à l’Angleterre. Elle viole aujourd’hui ses serments. La Russie est entraînée par sa fatalité ; ses destins doivent s’accomplir. Nous croit-elle donc dégénérés ?… Marchons donc en avant ; passons le Niémen, portons la guerre sur son territoire. La seconde guerre de la Pologne sera glorieuse aux armées françaises comme la première. »

L’armée impériale la plus formidable que Napoléon eût mise sur pied, comptait 500.000 combattants et 2.200 bouches à feu. À cette époque, l’Empereur des Français commandait, directement ou par ses alliés, à quatre-vingt cinq millions cinq cent mille Européens ; ses ordres s’exécutaient dans un espace qui comprenait 19 degrés de latitude et 30 de longitude. Aucun des empereurs romains n’eut à sa disposition des forces aussi extraordinaires. Sans la rigueur des éléments, la campagne de Russie aurait infailliblement réussi, et, dans ce cas, c’en était fait de la puissance de l’Angleterre.

Le quartier général de l’armée française passe le Niémen vis-à-vis Kowno. L’armée se compose de dix corps commandés, le premier par le maréchal Davoût, le deuxième par le maréchal Oudinot, le troisième par Ney, le quatrième, sous le nom d’armée d’Italie, par le prince Eugène, le cinquième par Poniatowski, le sixième par Gouvion-Saint-Cyr, le septième par le général Régnier, le huitième par le général Junot, le neuvième, dont les cadres seuls sont formés, par le maréchal Victor, le dixième par le maréchal Macdonald. La vieille garde est commandée par le maréchal Lefebvre, la jeune par le maréchal Mortier, la réserve de cavalerie par Murat. La cavalerie de la garde agit à part. Un corps auxiliaire de 30.000 Autrichiens marche séparément. Dans cette nombreuse armée, les Français figurent pour 270.000 combattants. L’armée russe est forte, tant infanterie que cavalerie, de 360.000 hommes, sans compter deux corps qui se forment, l’un en Lithuanie et l’autre à Riga.

Les troupes françaises font leur entrée à Wilna, ancienne capitale de la Lithuanie. Les Russes, en se retirant, détruisent tout ; ils livrent aux flammes d’immenses magasins, 150.000 quintaux de farine, des fourrages, des habillements ; ils jettent dans la Wilna une grande quantité d’armes.

Le 14 juillet, l’empereur Alexandre se montre à Moscou pour exciter le zèle et le courage de ses habitants. À cette occasion, le métropolitain Platow, âgé de cent dix ans, lui fait don de l’image de saint Serge et lui dit : « La ville de Moscou, la première, capitale de l’empire, la nouvelle Jérusalem, reçoit son Christ comme une mère dans les bras de ses fils zélés, et à travers le brouillard qui s’élève, prévoyant la gloire brillante de sa puissance, elle chante dans son transport : Hosanna ! Béni soit celui qui aime ! que l’arrogant, l’effronté Goliath apporte des limites de la France l’effroi mortel aux confins de la Russie ! la pacifique religion, cette fronde du David russe, abattra soudain la tête de son sanguinaire orgueil ! Cette image de saint Serge, antique défenseur du bonheur de notre patrie, est offerte à votre majesté impériale… »

Le 28 juillet, les Français entrent à Witepsk. Les Russes continuent à se replier. Notre armée les suit sans qu’ils lui offrent l’occasion de combattre. Enfin, on arrive sous les murs de Smolensk, ville russe, entourée de murailles de trois mètres d’épaisseur, flanquée de tours. À ces fortifications fort massives, on venait d’ajouter d’autres ouvrages exécutés avec soin et bien entendus. Barklay de Tolly avait jeté dans la place 30.000 hommes, et il se tenait en bataille sur les deux rives du Dniéper, communiquant avec la ville par des ponts.

Le 17, à une heure de l’après-midi, Napoléon donne le signal de l’attaque. Les faubourgs, retranchés et défendus par la grosse artillerie, sont enlevés ; les remparts, ainsi que les masses postées sur la rivière, sont foudroyés. L’ennemi, après des efforts désespérés de résistance, met le feu à la ville et l’abandonne, laissant d’immenses magasins, 12.000 hommes tués, blessés ou prisonniers, et 200 pièces de canon.

À la suite de cette victoire, l’Empereur se mit à la poursuite des Russes, qu’il poussa vivement jusqu’à Volontina, plateau sur lequel leur arrière-garde prit position le 19. Murat et Ney l’attaquèrent et la mirent en fuite après lui avoir fait éprouver de grandes pertes. Volontina donna son nom à une nouvelle victoire française. En même temps, et sur divers points, il y eut plusieurs combats glorieux pour nos armes. Le 6e corps, commandé par Saint-Cyr, battit Wittgenstein à Pololsk, lui tua 2.000 hommes, en blessa 4.000, lui fit un grand nombre de prisonniers, parmi lesquels 3 généraux, et s’empara de 20 pièces de canon.

Après l’affaire de Volontina, l’armée victorieuse, poursuivant l’ennemi, arriva à Ghjat ; là, il lui fut permis de prendre quelques jours de repos pour se remettre de ses fatigues et se préparer à une grande bataille que l’Empereur jugeait devoir être prochaine.

C’est le 7 septembre 1812, que fut livrée cette fameuse bataille appelée, par les Français, de la Moscowa, et par les Russes de Borodino, parce que l’action eut lieu sur le plateau qui domine ce village. Le général russe Barklay de Tolly avait été remplacé par Kutusoff ; ce vieux général, vainqueur des Turcs, avait solennellement promis de couvrir Moscou, la ville sainte, et d’anéantir l’armée française. Dans sa proclamation aux soldats, il prophétise la victoire : « Dieu va combattre son ennemi avec l’épée de Michel, et avant que le soleil de demain ait disparu, vous aurez écrit votre foi et votre fidélité dans les champs de votre patrie avec le sang de l’agresseur et de ses légions. » L’armée russe, protégée par des retranchements que son général annonçait camme inexpugnables, était encore animée par les prédications des prêtres et par l’image miraculeuse de la Vierge, qu’on promenait dans ses rangs.

De son côté, Napoléon excitait l’ardeur des siens par cette proclamation : « Soldats ! voilà la bataille que vous avez tant désirée. Désormais là victoire dépend de vous ; elle vous est nécessaire, elle vous donnera l’abondance, de bons quartiers d’hiver et un prompt retour dans la patrie. Conduisez-vous comme à Austerlitz, à Friedland, et que la postérité la plus reculée cite avec orgueil votre conduite dans cette journée ; que l’on dise de vous : Il était à cette grande bataille livrée sous les murs de Moscou. »

La veille et pendant la nuit il avait plu ; à cinq heures, le soleil se leva sans nuage : Soldats ! s’écria Napoléon, voilà le soleil d’Austerlitz ! Cette exclamation passe de rang en rang et remplit les troupes d’ardeur et d’espérance.

Les deux armées comptent chacune de 120 à 130.000 hommes. Un coup de canon tiré par les Français donne le signal, et l’action s’engage sur toute la ligne. La valeur des soldats, l’intelligence et la bravoure des officiers sont à peu près les mêmes de part et d’autre ; mais on ne saurait comparer entre eux les talents des capitaines qui commandent en chef les deux armées.

Après quatre heures de combats opiniâtres, pendant lesquels 1.200 bouches à feu vomissaient la mort de part et d’autre, trois redoutes sont enlevées par le prince Eugène, les maréchaux Davoût et Ney ; toutes les batteries russes sont successivement assaillies et enlevées ; la plus formidable de leurs redoutes est emportée par nos cuirassiers.

Après avoir détruit par la mitraille la plus grande partie des masses qui résistaient à son entrée, Napoléon fit manœuvrer le 8e corps et toute la droite pour tourner la dernière position des Russes ; il ordonna à la garde et à toute la cavalerie de soutenir ce mouvement. Eugène se porta en avant de la Kalogha, et dès ce moment la victoire se déclara en notre faveur. À la tombée de la nuit, l’ennemi opéra sa retraite en bon ordre vers Mojaïsk, laissant sur le champ de bataille 55.000 hommes hors de combat, dont 50 généraux et 70 pièces de canon. La perte des Français est évaluée à 20.000 hommes tués ou blessés ; ils ont, en outre, à regretter 2 généraux de division et 6 généraux de brigade.

Cette bataille de la Moscowa est la plus terrible qui ait été livrée dans les temps modernes. Les deux armées firent également leur devoir. On croit que pendant l’action il fut tiré 120.000 coups de canon ! L’Empereur resta sur le champ de bataille, donnant des ordres pour faire transporter les blessés, tant russes que français, dans les hôpitaux établis sur ses lignes de retraite.

L’armée victorieuse se met à la poursuite des Russes. Napoléon transporte son quartier général à Mojaïsk, ville située à vingt-six lieues ouest de Moscou, à laquelle l’ennemi, forcé de l’abandonner précipitamment, avait mis le feu. Le 14 (2 heures après midi), l’Empereur fit son entrée dans l’ancienne capitale de la Moscovie, avec sa garde et le premier corps. Le lendemain il s’établit au Kremlin, palais des czars, situé au milieu de la ville. Le maréchal Mortier fut nommé gouverneur de cette capitale, avec ordre d’employer tous les moyens pour empêcher le pillage. Des secours furent donnés aux blessés russes qui encombraient les hôpitaux, ainsi qu’aux Moscovites qui n’avaient pas voulu suivre l’armée de Kutusoff.

Cependant les Russes, dans leur désespoir, ont formé le dessein de brûler leur antique capitale : les pompes ont été transportées hors de la ville ; on fait provision de fusées, de matières inflammables. À un signal donné, le feu éclate dans mille endroits à la fois. C’est en vain que les Français font tous leurs efforts pour éteindre l’incendie : le ravage des flammes ne s’arrête que dans la soirée du 20 septembre, lorsque les neuf dixièmes de la ville sont en cendres : près de 4.000 maisons en pierre et 7.000 en bois, 20.000 malades ou blessés sont victimes de ce désastre.

Un armistice avait été accordé aux Russes, et Napoléon, au milieu de ses triomphes, fit proposer la paix à Alexandre : il en reçut des réponses évasives, qui, néanmoins, faisaient espérer qu’on pourrait tomber d’accord. Mais Napoléon et Alexandre ne voulaient que gagner du temps, Napoléon pour recompléter son armée, Alexandre parce qu’il était persuadé que les grands froids qui approchaient obligeraient les Français à évacuer l’empire. Les événements justifièrent leurs prévisions.

Le 18 octobre, la retraite commença. Napoléon sortit de Moscou le 19, et donna l’ordre à Mortier d’abandonner le Kremlin le 23, après l’avoir fait sauter, lui recommandant surtout de ne laisser en arrière ni blessés, ni malades. Dans sa marche rétrograde, l’armée est vivement harcelée par l’ennemi ; on en vient souvent aux mains ; mais aucun obstacle ne peut arrêter les Français. Le 7 novembre, ils atteignent Smolensk. C’est alors que commencent ces froids excessifs cent fois plus redoutables que les armes des Russes ; le thermomètre centigrade descend jusqu’au 22e degré ; le sol se couvre de neige ; les chevaux périssent par milliers au bivouac ; bientôt les hommes ont un sort pareil. Cependant, grâce aux bonnes dispositions de Napoléon, l’armée avance toujours. Le courage des soldats semble augmenter avec l’étendue des privations et des dangers. Kutusoff écrivait à Alexandre : « Les Français, loin de se laisser abattre par la cruelle extrémité où ils se voyaient réduits, n’en étaient que plus enragés à courir sur les pièces qui les écrasaient.

On dit encore vulgairement en Russie : « Ce n’est point le général Kutusoff qui a tué ou dispersé les Français, c’est le général Morosow (la gelée). »

Arrivé à Archa, Napoléon, sans prendre un moment de repos, s’occupa de rétablir l’ordre que les combats et l’intempérie de la saison avaient naturellement dérangé. Il fit faire des distributions de vivres, d’armes et de munitions, et lire, dans les corps d’armée, un ordre du jour qui les rappelait à leurs devoirs, engageant les soldats à marcher en corps, et menaçant de punir ceux qui s’obstineraient à rester isolés. Les désirs de Napoléon furent accomplis, officiers et soldats rentrèrent dans leurs rangs, et avec eux, l’ordre et la discipline. Enfin, l’armée avançant à marches forcées, arriva le 25 novembre sur la Bérésina, sur laquelle Napoléon fit jeter des ponts dont il présidait les travaux. Toute l’armée ayant passé la rivière, elle se mit en marche sur Wilna.

Étant à Smorghoni, le 5 décembre, Napoléon tint un grand conseil de guerre, donna ses instructions et le commandement des troupes à Murat, et partit pour Paris. À peine fut-il éloigné, que le découragement s’empara de ces braves qui venaient d’affronter des souffrances plus redoutables que la mort.

Tandis que la France et l’Europe croient Napoléon enseveli dans les neiges du Nord, elles apprennent qu’en moins de quatorze jours il a traversé la Pologne, l’Allemagne, et qu’il a atteint les rives de la Seine (18 décembre 1812).

Le lendemain de son arrivée dans son palais des Tuileries, des salves d’artillerie annoncèrent sa présence dans la capitale. De tous côtés, on s’empressa d’assister à son lever, les harangues accoutumées du Sénat, du conseil d’État, des corps judiciaires, du grand maître de l’Université, reprirent leur cours. En cette occasion, l’Empereur dut être peu sensible à des démonstrations de joie qui auraient dû faire place à des compliments de condoléance ; le temps s’était singulièrement rembruni, on n’était plus aux époques brillantes d’Austerlitz, d’Iéna, de Wagram.

Ce qui affligea surtout Napoléon, ce qui l’affecta peut-être plus que le désastre de Moscou, ce fut la conspiration de Mallet (23 octobre 1812), dont il prit une connaissance approfondie.

Cependant son âme, retrempée par les revers, avait redoublé d’énergie et d’activité ; il présidait tous les jours plusieurs comités pour régler, conduire les affaires tant extérieures qu’intérieures de son vaste empire. Le 11 janvier 1813, une levée de 250.000 hommes est décrétée par le Sénat. Dans le mois précédent, il avait fait sa paix avec le pape, qu’il tenait prisonnier à Fontainebleau. Il voulait, par cette espèce de nouveau concordat, se rendre les populations catholiques favorables, et laver la tache que, pour des yeux dévots, l’excommunication pontificale avait imprimée sur son front.

Un sénatus-consulte du 5 février détermine la forme de la régence pendant la minorité de l’Empereur ; le roi de Rome pourra être sacré et couronné du vivant de son père ; en conséquence, le fils de l’Empereur sera sacré le plus tôt possible ; sa mère, l’impératrice, a des droits incontestables à la régence. Napoléon n’avait rien tant à cœur que d’assurer à sa postérité l’héritage et la reversion de son immense pouvoir. Par des lettres du 30 mars suivant, l’impératrice Marie-Louise est déclarée régente de l’Empire.

Le 14 février, l’Empereur fit solennellement l’ouverture du Corps législatif. Après avoir rendu compte des motifs et des calamités de la campagne de Russie, il continue : « J’ai fait de grandes pertes, elles auraient brisé mon âme, si, dans ces grandes circonstances j’avais du être accessible à d’autres sentiments qu’à l’intérêt, à la gloire, à l’avenir de mes peupies. Les agents de l’Angleterre propagent chez tous nos voisins l’esprit de révolte contre les souverains. L’Angleterre voudrait voir le continent entier en proie à la guerre civile, mais la Providence l’a désignée elle-même pour être la première victime de l’anarchie. Je désire la paix, elle est nécessaire au monde ; quatre fois, depuis la rupture qui a suivi le traité d’Amiens ; je l’ai proposée dans des démarches solennelles. Je ne ferai qu’une paix honorable, conforme aux intérêts et à la grandeur de mon Empire. Ma politique n’est point mystérieuse. Tant que cette guerre maritime durera, mes peuples doivent se tenir prêts à toute espèce de sacrifices. »

Le 25 du même mois, le ministre de l’intérieur rend compte au Corps législatif de la situation de l’Empire. On voit par cet exposé que depuis 1804 jusqu’au 1er janvier 1813, il a été dépensé 683 millions en travaux divers, tels que ponts, canaux, routes, ports, embellissements de Paris, dépôts de mendicité, palais, églises, etc. Les productions du sol et de l’industrie se sont singulièrement augmentées, et malgré des guerres continuelles, la population de l’ancienne France qui, en 1789, était de 24 à 25 millions, est maintenant de 28 millions 700 mille individus.

Cependant le général prussien York avait passé du côté des Russes avec 20.000 hommes. Les Anglais négociaient secrètement avec le cabinet de Vienne, dont le corps auxiliaire, commandé par Schwartzenberg, s’était mis complètement dans un état de neutralité ; Louis XVIII, de son côté, avait lancé du château d’Hartwel, dans les premiers jours de février, une proclamation dans laquelle, après avoir dit : « La divine Providence semble prête à briser l’instrument de sa colère, l’usurpateur du trône de saint Louis, le dévastateur de l’Europe, éprouve à son tour des revers, » il engage les Français à se jeter dans les bras de leur roi légitime : c’est, suivant lui, le seul moyen de mettre un terme aux calamités de la guerre que perpétue la tyrannie, de parvenir aux jouissances d’une liberté et d’une paix solide dont les puissances étrangères ne peuvent trouver la garantie que dans la parole du souverain légitime.

Un ennemi de Napoléon, bien autrement dangereux, travaillait l’Allemagne, c’était la société de l’ Union de la Vertu (Tugend-Bund). Cette société avait pour but de rendre la guerre nationale, et de délivrer à tout prix la Germanie du joug qui pesait sur elle ; ajoutons que le roi Murat, après avoir remis, le 27 janvier, au prince Eugène, le commandement général des troupes stationnées dans le Nord, dont l’Empereur l’avait investi, avait quitté de son propre mouvement et sans le consulter, le quartier général de Posen, et, déguisé en voyageur allemand, avait pris la route de ses États ; de là, de vives réprimandes. L’Empereur lui écrivait : « Vous êtes un bon soldat sur le champ de bataille, mais hors de là vous n’avez ni vigueur, ni caractère. Je suppose que vous n’êtes pas de ceux qui pensent que le lion est mort et qu’on peut… Le titre de roi vous a tourné la tête : Si vous désirez le conserver, conduisez-vous bien. » Irrité par ces réprimandes, qui sont quelque peu injurieuses, Murat comptera bientôt au nombre des ennemis de son bienfaiteur et de son beau-frère.

Napoléon avait donc à combattre, au midi, l’Espagne et le Portugal ; à l’ouest, l’Angleterre soutenue par son puissant auxiliaire l’Océan ; au nord, la Suède avec Bernadotte, la Russie, la Prusse ; à l’est, l’Autriche déjà chancelante, et partout la haine des nombreuses populations qu’il avait foulées. Il avait des ennemis dans le centre même de son Empire ; la conscription était devenue insupportable, et la tentative de Malet avait ravivé les espérances des républicains.

L’Empereur partit de Paris le 15 avril, et le 29 il se trouvait à son quartier général d’Eckartzberg. Il avait imprimé sur sa route un mouvement électrique à la jeune armée à laquelle il avait parlé partout où il l’avait rencontrée. Au milieu de ses préparatifs de guerre, il se montrait toujours disposé à faire la paix ; le duc de Vicence fut chargé d’en suivre les négociations à Vienne.

Les forces des Français en Allemagne sont de 146.000 fantassins, divisé en 12 corps, plus 16.000 de garde impériale et 4.000 chevaux.

Les ennemis comptent 225.000 hommes, dont 125.000 Russes et 100.000 Prussiens.

À la suite de deux combats qui furent livrés à Weissenfeld et au défilé de Rippach, où les jeunes soldats, soutenus par l’Empereur en personne, firent des merveilles, l’armée s’empara de Lutzen et de tous les débouchés de la Saale.

Le 2 mai, l’Empereur remporta la victoire de Gross-Gœrschen qu’il appela de Lutzen, en mémoire, sans doute, du fameux roi de Suède Gustave-Adolphe, dont le tombeau est dans cette ville. L’armée ennemie, commandée par le général en chef Wittgenstein, combattait sous les yeux d’Alexandre et du roi de Prusse. Napoléon avait sous ses ordres le prince Eugène, les maréchaux Ney, Mortier, Macdonald, Marmont ; les généraux Compans, Ricard. Il ne s’attendait pas à être attaqué ce jour-là, ni dans cette position ; il était déjà en marche sur Leipzig, lorsqu’il apprit que le maréchal Ney avait devant lui toute l’armée alliée ; rebrousser chemin au galop et changer les dispositions qu’il avait arrêtées, fut l’affaire d’un moment ; il fait des prodiges pour arrêter la fougue des Prussiens ; ses jeunes soldats, animés par sa présence, se battent comme des lions ; des deux côtés l’acharnement est le même pendant plus de quatre heures ; alors viennent se mettre en ligne le maréchal Macdonald et le général Bertrand, à la tête de leur corps. Napoléon saisit ce moment favorable pour forcer la victoire à se décider, en sa faveur. Une batterie de 80 pièces foudroie la position de Kaya, d’où dépend le gain de la bataille, pendant que 16 bataillons de la jeune garde, soutenus par 6 bataillons de leurs aînés, sont lancés en avant et joignent leurs efforts à ceux de l’infanterie de ligne ; dès ce moment, le sort de la journée est décidé.

Cette bataille fut extrêmement meurtrière ; les villages de Kaya, de Gross-Gœrschen furent pris et repris plusieurs fois à la baïonnette. L’armée française tira 40.000 coups de canon ; elle accusa une grande perte en tués ou blessés. Ou estime celle des alliés de 20 à 25.000 hommes.

Un succès si chèrement acheté fut sans résultats de quelque importance. Faute de cavalerie, le vainqueur se trouva dans la nécessité de laisser l’ennemi opérer tranquillement sa retraite et en bon ordre, protégé qu’il était par son excellente et nombreuse cavalerie, ravageant tout ce qu’il trouvait sur son passage.

L’ennemi, toujours poursuivi par Napoléon, s’arrêta dans les environs de Bautzen. Alexandre commandait en personne l’armée combinée ; il avait son quartier général à Wurschen ; ses forces présentaient un total de 160.000 hommes. Le centre des coalisés était soutenu par les fortifications qu’on avait élevées dans Bautzen et ses alentours.

L’armée française comptait 150.000 combattants.

Les positions de l’ennemi furent successivement enlevées et Napoléon entra dans Bautzen à trois heures de l’après-midi.

Le 21, à cinq heures du matin, le combat recommença par une vive fusillade. Napoléon annonça que l’attaque générale aurait lieu à une heure, et que la bataille de Wurschen serait gagnée à trois, ce qui arriva.

Le lendemain 22, les alliés furent poursuivis sans relâche par l’avant-garde française, à la tête de laquelle marcha constamment Napoléon ; mais ce même jour les Français éprouvèrent un échec à Reichenbach. Le 30 mai, ils reprennent Hambourg. Le 4 juin, un armistice est conclu à Plesswitz, en Silésie, entre Napoléon et ses adversaires ; c’est des deux côtés un prétexte pour gagner du temps et recevoir les renforts que l’on attend. Le 30 juin, une convention est signée à Dresde, par laquelle Napoléon accepte la médiation de l’Autriche. Un congrès doit s’ouvrir à Prague le 5 juillet. L’armistice est prolongé jusqu’au 15 août. Le congrès de Prague se dissout sans avoir rien conclu.

Avant la rupture de l’armistice, dans une négociation secrète, le duc de Vicence avait appris de Metternich que la paix serait garantie par l’Autriche, à condition que le duché de Varsovie serait dissous ; que les villes de Hambourg et Lubeck recouvreraient leur indépendance : que Napoléon renoncerait an protectorat de la confédération du Rhin ; que la Prusse serait rétablie et que l’Illyrie serait cédée à l’Autriche. L’Empire français conservait ainsi à peu près toute sa puissance ; mais Napoléon était-il disposé à ces concessions ?

Bientôt l’Autriche fit cause commune avec les coalisés et les fureurs de la guerre recommencèrent avec plus de violence que jamais.

Bernadotte, commandant en chef l’armée du nord de l’Allemagne disait dans sa proclamation du 15 août, que l’Europe devait marcher contre la France avec le même sentiment qui avait armé contre elle la France en 92. C’était proclamer la proscription des Français et de Napoléon.

Le 15 août 1813, le prince de Schwartzenberg, généralissime des armées alliées, comptait sous son commandement 603.600 combattants et Napoléon 352.700. De plus, les coalisés se battaient en pays amis et pouvaient réparer leurs pertes, battre en retraite en toute sûreté. Pendant les conférences de Prague, Metternich disait au duc de Vicence : « Votre position et celle de vos adversaires sont bien différentes : des batailles perdues par eux ne leur feraient pas signer une autre paix que celle que l’on peut faire aujourd’hui, tandis qu’une seule bataille perdue par Napoléon change tout à fait la question. »

Le 13 août, les Autrichiens avaient opéré leur jonction avec les Austro-Russes. Ce ne fut que le 20 que Napoléon apprit cette jonction ; et, le 21, il reprend l’offensive, fond sur Blùcher et le force à reculer. Le 23, la forte position de Goldberg tombe en notre pouvoir. Apprenant que, par les conseils de son ennemi Moreau, que les alliés avaient fait venir d’Amérique, ceux-ci avaient résolu de se rendre maîtres de Dresde, il laisse son armée de Silésie au duc de Tarente, et marche avec sa garde sur la capitale de la Saxe, dans laquelle il arrive le 26, à dix heures du matin ; il était temps : plusieurs ouvrages venaient d’être enlevés dans les faubourgs, l’ennemi allait donner l’assaut. Napoléon prend l’offensive, l’attaque dans les faubourgs et le rejette au loin avec une perte de 4.000 hommes. Il combattit ce jour-là avec 65.000 hommes contre 180.000. Dans la soirée, il reçut un renfort de 45.000 hommes ; et, le lendemain 27, à la pointe du jour, à la tête de 110.000 hommes, il offre le combat à 180.000 coalisés, les repousse, les désunit et les force à la retraite avec une perte de 15.000 tués et autant de prisonniers, presque tous Autrichiens. C’est dans cette affaire que Moreau eut les deux jambes coupées par un boulet pendant qu’il s’entretenait avec l’empereur Alexandre. La justice de Dieu est quelquefois terrible !

Les revers des alliés sons les murs de Dresde étaient compensés par la victoire qu’ils avaient remportée le 26 à Katzbach sur le maréchal Macdonald. Cette bataille coûta aux Français 15.000 prisonniers. La perte de l’ennemi ne fut guère moins forte ; mais il lui était si facile de la réparer. Le duc de Reggio s’était fait battre par Bernadotte à Grossbe-herren et Ahrensdorf, près de Berlin. Le général Vandamme qui avait reçu l’ordre d’occuper et de tenir les défilés de la Bohême, se lança imprudemment à la poursuite d’un corps russe qu’il avait battu à Pirna, descendit sur Culm avec 10 bataillons ; enveloppé tout à coup par 70.000 hommes, fait prisonnier avec 7.000 des siens, il laisse 3.000 morts sur le champ de bataille.

Napoléon, voulant toujours se rendre maître de Berlin, ordonne au maréchal Ney de s’y porter, après avoir réuni à son corps celui du maréchal Oudinot, avec ceux des généraux Régnier et Bertrand. Ney, défait par Bernadotte, perd, avec les deux tiers de son artillerie, ses munitions, ses bagages et plus de 12.000 hommes.

Dès ce moment, les pertes qu’ont éprouvées les deux partis sont à peu près compensées ; les succès de Lutzen, Bautzen, Dresde ne font plus illusion. Néanmoins Napoléon, au lieu de commencer d’opérer sa retraite vers le Rhin, toujours persuadé que sa fortune et son génie le feront triompher de tous les obstacles, s’obstine à rester dans le cœur de la Saxe. Cependant des corps de partisans se forment de tous côtés ; les sociétés secrètes agissent avec zèle et activité, presqu’à découvert. Les États du roi Jérôme sont à la merci des Russes ; des Saxons, des Westphaliens viennent de passer à l’ennemi ; une forte armée bavaroise fait sa jonction à Braunau avec un corps autrichien. Le roi de Wurtemberg apprit cette défection à l’Empereur, et en même temps il lui annonçait la sienne.

Napoléon, las d’une guerre de chicane, et voulant en finir par une grande bataille, se porte sur Leipzig à la rencontre de Schwartzenberg ; il arrive dans cette ville le 15 octobre. Le 18 et le 19 du même mois est livrée cette fameuse bataille de Leipzig. L’année de Napoléon était de 157.000 hommes, avec 600 pièces de canon. Les coalisés comptaient 348.000 combattants, avec une"artillerie de 950 à 1.000 bouches à feu. Un demi-million d’hommes, rassemblés sur un espace de trois à quatre lieues carrées s’attaquent, se repoussent, se mitraillent, s’égorgent de près avec une fureur extrême.

Les soldats français luttaient avec le plus grand courage contre la supériorité numérique de leurs adversaires, lorsque les auxiliaires Saxons et Wurtembergeois passent à l’armée de Bernadotte et tournent aussitôt leurs canons contre les frères d’armes qu’ils viennent de trahir.

Il ne restait plus de munitions dans les caissons de l’artillerie française que pour 10.000 coups de canon ; il fallut donc, quoique l’ennemi eût abandonné le champ de bataille se retirer sur Erfurth pour y prendre des munirons. Le mouvement rétrograde commença la nuit ; avant le jour les ponts étaient passés ; 10.000 hommes environ d’arrière-garde défendaient les faubourgs pour donner à l’artillerie et aux parcs de réserve le temps de passer le grand pont, lorsque le sous-officier qui était chargé de le faire sauter apercevant des Cosaques qui avaient passé l’Elster à gué, croyant que tout était perdu, mit le feu à la mèche et le pont fut détruit. L’arrière-garde n’ayant plus de retraite resta prisonnière avec tous ses bagages et 200 pièces d’artillerie.

Les journées du 16 au 19 furent fatales aux deux armées : les Français perdirent 20.000 hommes tués, 30.000 prisonniers, dont 23.000 malades ou blessés abandonnés dans les hôpitaux de Leipzig, et 350 bouches à feu. Les coalisés laissèrent 47.000 morts sur le champ de bataille. On estime au double le nombre d’hommes mis hors de combat.

L’armée française, réduite à 90.000 hommes, arriva à Erfurth le 23 ; après s’y être approvisionnée et reposée, elle se remit en marche le 25. Le 26, une armée austro-bavaroise de 60.000 hommes, sous les ordres du général Wrède, se présenta à Hariau pour lui couper la retraite. L’armée de Wrède fut enfoncée et mise en déroute après avoir perdu 12.000 hommes. Le général Bertrand occupa Hanau, ce qui permit à l’armée de se retirer sur Mayence sans être inquiétée. Le 2 novembre, elle avait franchi le Rhin, et tout le sol germanique était délivré.

Cependant une nouvelle réunion de plénipotentiaires eut lieu à Francfort. Là, de nouvelles bases pour la paix furent convenues et communiquées, le 10 novembre, à Napoléon, par son ministre,le baron de Saint-Aignan. Il était arrêté que la France aurait pour limites le Rhin, les Alpes et les Pyrénées ; que l’Espagne serait rendue à son ancienne dynastie ; que l’Allemagne, l’Italie, la Hollande recouvreraient leur indépendance. Il est probable que les alliés n’avaient consenti à ces engagements que pour gagner du temps et faire croire aux peuples que si les fléaux de la guerre se prolongeaient encore, ce serait la faute de Napoléon.

XI. Le Corps législatif. — Campagne de France.[modifier]

L’Empereur, parti de Mayence le 7 novembre, arrive à Saint-Cloud ; dès ce moment il avise aux moyens de soustraire la patrie aux dangers qui la menacent : par un décret impérial daté du 11, le prix du sel est augmenté de 20 centimes par kilogrammes, et 30 centimes sont ajoutés aux contributions des portes et fenêtres.

Le 14 il se rend au Sénat et leur parle ainsi : « Toute l’Europe marchait avec nous il y a un an ; toute l’Europe marche contre nous aujourd’hui. » Il répond au discours de Lacépède : « … La postérité dira que si de grandes et critiques circonstances se sont présentées, elles n’étaient pas au-dessus de la France et de moi. »

Le 15, un sénatus-consulte mit à la disposition du gouvernement 300.000 conscrits des années 1803 et suivantes, jusqu’à 1814 inclusivement. Le même jour un autre sénatus-consulte arrête que le Sénat et le conseil d’État assisteront à l’ouverture du Corps législatif, laquelle eut lieu le 19. L’Empereur y parla en ces termes :

« Sénateurs, Conseillers d’État, Députés des départements au Corps législatif ;

« D’éclatantes victoires ont illustré les armes françaises dans cette campagne. Des défections sans exemple ont rendu les victoires inutiles ; tout a tourné contre nous. La France même serait en danger sans l’énergie et l’union des Français. Je vous ai appelés près de moi : mon cœur a besoin de la présence et de l’affection de mes sujets. Je n’ai jamais été séduit par la prospérité : l’adversité me trouvera au-dessus de ses atteintes. J’ai plusieurs fois donné la paix aux nations, lorsqu’elles avaient tout perdu. J’ai élevé des trônes pour des rois qui m’ont abandonné. Monarque et père, je sens que la paix ajoute à la sécurité des trônes et à celle des familles.

« Des négociations ont été entamées avec les puissances coalisées. J’ai adhéré aux bases qu’elles ont présentées ; j’ai ordonné qu’on vous communiquât toutes les pièces originales qui se trouvent au portefeuille de mon département des affaires étrangères. Rien ne s’oppose de ma part au rétablissement de la paix. C’est à regret que je demande à ce peuple généreux de nouveaux sacrifices ; les nations ne traitent qu’en déployant toutes leurs forces. Sénateurs, Conseillers d’État, Députés des départements, vous êtes les organes naturels de ce trône. C’est à vous de donner l’exemple d’une énergie qui recommande cette génération aux générations futures. Qu’elles ne disent pas de nous : « Ils ont sacrifié les premiers intérêts du pays ; ils ont reconnu les lois que l’Angleterre a cherché en vain pendant quatre siècles à imposer à la France. » J’ai la confiance que les Français seront dignes d’eux et de moi. »

Ce discours fut écouté avec le plus vif intérêt, mais les esprits ne se montrèrent pas en ce jour aussi obséquieux qu’on les avait vus dans de semblables solennités les années précédentes.

Les communications qu’on avait promises furent faites à la commission du Sénat par le duc de Vicence, et à la commission du Corps législatif par le conseiller d’État d’Hauterive. Cette commission était présidée par le duc de Massa. L’Empereur ne voulut jamais consentir à ce que le rapport de M. de Saint-Aignan fut mis sous les yeux des deux commissions, il ne permit que les communications des bases.

Le 30 décembre, la commission du Sénat fit son rapport à l’Empereur. Cette assemblée approuvait tous les sacrifices que l’on pourrait demander, mais dans le seul but de la paix : « C’est le vœu de la France, Sire, disait la députation, c’est le besoin de l’humanité. Si l’ennemi persiste dans ses refus ; eh bien ! nous combattrons pour la patrie entre les tombeaux de nos pères et les berceaux de nos enfants. »

L’Empereur répondit : « Ma vie n’a qu’un but, le bonheur des Français. Paix et délivrance de notre territoire doit être notre cri de ralliement. À l’aspect de tout ce peuple en armes, l’étranger fuira ou signera la paix sur les bases qu’il a lui-même proposées. Il n’est plus question de recouvrer les conquêtes que nous avions faites. »

Le Corps législatif, destiné plus particulièrement à défendre les libertés publiques, saisit cette occasion pour se venger de la nullité dans laquelle il s’était tenu pendant dix ans. Dans sa séance du 28, l’orateur de la commission, M. Renouard, fit le rapport suivant : « S’il s’agissait ici de discuter des conditions flétrissantes, Sa Majesté n’eût daigné répondre qu’en faisant connaître à ses peuples les projets de l’étranger ; mais on ne veut pas nous humilier, mais nous renfermer dans nos limites, et réprimer l’élan d’une activité ambitieuse ; si fatale depuis vingt ans à tous les peuples de l’Europe. Ce n’est pas lui (l’étranger) qui assigne des bornes à notre puissance, c’est le monde effrayé qui invoque le droit commun des nations. Les Pyrénées, le Rhin, les Alpes renferment un vaste territoire, dont plusieurs provinces ne relevaient pas de l’empire des lys, et cependant la royale couronne de France était brillante de gloire et de majesté entre tous les diadèmes. » — « Orateur, » s’écrie le duc de Massa, « ce que vous dites est inconstitutionnel. — « Il n’y a d’inconstitutionnel ici que votre présence, » répliqua Renouard, et il continua ainsi : « Ne dissimulons rien, nos maux sont à leur comble ; il n’est point de Français qui n’ait dans sa famille une plaie à guérir. La conscription est devenue pour toute la France un odieux fléau ; depuis deux ans on moissonne trois fois l’année ; les larmes des mères et les sueurs du peuple sont-elles donc le patrimoine des rois ?… »

Par suite de ce rapport une adresse fut votée et l’impression ordonnée à la majorité de 223 voix contre 31. Le 30 décembre, l’impression est arrêtée, et les portes de la salle des séances sont fermées par ordre de l’autorité supérieure. L’Empereur témoigne à son conseil d’État la douloureuse impression qu’il a ressentie à la lecture du rapport de la commission du Corps législatif, qu’il regarde comme injurieuse à sa personne et attentatoire à son autorité ; il le signale comme une œuvre séditieuse, un brandon de discorde, une motion sortie du club des jacobins : « Voudrait-on rétablir la souveraineté du peuple ? Eh bien ! en ce cas, je me fais peuple, car je prétends être toujours là où se trouve sa souveraineté. » Et tout de suite il décrète l’ajournement du Corps législatif. Ce corps voulait, dans son adresse, que la guerre devînt nationale, et il demandait « des garanties politiques à Napoléon pour engager la nation. » Des garanties quand l’ennemi dépassait la frontière ! des garanties au moment d’une invasion étrangère et après dix ans du mutisme le plus incroyable ! Napoléon avait dit aux députés : « Il faut suivre l’exemple de l’Alsace, de la Franche-Comté, des Vosges, dont les habitants s’adressent à moi pour avoir des armes. Je vous ai rassemblés pour avoir des consolations : ce n’est pas que je manque de courage, mais j’espérais que le Corps législatif m’en donnerait. Au lieu de cela, il m’a trompé, au lieu du bien que j’attendais, il a fait du mal. Vous cherchez à séparer le souverain de la nation. »


Le 1er janvier 1814, les divers corps constitués se rendirent aux Tuileries pour offrir, suivant la coutume, leurs hommages de l’an au chef de l’État. Quand vient le tour du Corps législatif, l’Empereur, dont les traits sont altérés, le regard farouche, l’apostrophe en ces termes :

« Députés du corps législatif, vous n’êtes pas les représentants du peuple ; je le suis plus que vous. Quatre fois j’ai été appelé par l’armée, et quatre fois j’ai eu les votes de cinq millions de citoyens pour moi. J’ai supprimé l’impression de votre adresse : elle était incendiaire. Les onze-douzièmes du Corps législatif sont composés de bons citoyens : je les connais et j’aurai des égards pour eux ; mais un nommé Laîné est un méchant homme qui correspond avec le prince-régent d’Angleterre par l’intermédiaire de l’avocat Desèze : je le sais, j’en ai la preuve. Le rapport de votre commission m’a fait bien du mal. J’aimerais mieux avoir perdu deux batailles. À quoi tendait-il ? à augmenter les prétentions de l’ennemi. Si je voulais vous croire, je donnerais à l’ennemi plus qu’il ne demande. Si l’on me demandait la Champagne, il faudrait donc encore céder la Brie ? Est-ce en présence de l’ennemi qu’on doit faire des remontrances ? Le but était de m’humilier. On peut me tuer mais on ne me déshonorera point. Je ne suis pas né parmi les rois, je ne tiens pas au trône. Qu’est-ce qu’un trône ? quatre morceaux de bois dorés couverts de velours. — Dans quatre mois, je publierai l’affreux rapport de votre commission. Que prétendiez-vous faire ? Nous reporter à la Constitution de 91 ? Qui êtes-vous pour réformer l’État ? Vous êtes les députés des départements ; moi seul je suis le représentant du peuple. Et qui de vous pourrait se charger d’un pareil fardeau ? Je ne suis à la tête de cette nation que parce que sa Constitution me convient. Si la France en voulait une autre et qu’elle ne me convînt pas, je dirais à la France de choisir un autre souverain. C’est contre moi que les ennemis s’acharnent encore plus que contre les Français. Mais pour cela faut-il qu’il me soit permis de démembrer l’État ? Est-ce que je ne sacrifie pas mon orgueil, ma fierté, pour obtenir la paix ? Oui, je suis fier, parce que je suis courageux ; je suis fier, parce que j’ai fait de grandes choses pour la France. Si j’éprouve encore des revers, j’attendrai les ennemis dans les plaines de la Champagne. Dans trois mois nous aurons la paix ou je serai mort. Retournez dans vos foyers. En supposant même que j’eusse des torts, vous ne deviez pas me faire des reproches publics. Je vous avais indiqué un comité secret. C’est en famille qu’il faut laver son linge sale. M. Renouard dit que le maréchal Masséna a pillé la maison d’un citoyen. M. Renouard a menti. La nature m’a doué d’un caractère fort ; il peut résister à tout. Je suis au-dessus de vos misérables déclamations. Mes victoires écraseront vos criailleries. Nous avons des ressources plus que vous ne pensez. Les ennemis ne nous ont jamais vaincus, ne nous vaincront point, et ils seront chassés plus promptement qu’ils ne sont venus. Au reste, la France a plus besoin de moi que je n’ai besoin de la France. »

Cependant les Autrichiens, au nombre de 120.000 hommes, avaient pénétré en France par la Suisse, dont ils avaient violé ou acheté la neutralité ; les Russes et les Prussiens avaient passé le Rhin ; une armée formidable, commandée par Bernadotte et composée de Suédois, Russes, Prussiens, Anglais, tous ennemis de la France, est destinée à envahir l’Empire par la Belgique. Au 25 janvier, le fort Louis, Montbéliard, Haguenau, le fort l’Écluse, Saint-Claude, Trêves, Vesoul, Épinal, Bourg-en-Bresse, Cologne, Nancy, Dijon, Toul, Châlons-sur-Saône, Bar-sur-Aube sont au pouvoir des coalisés.

Le 6 janvier 1814, une convention provisoire a été conclue entre Murat, roi de Naples et l’Angleterre : elle établit un armistice dont l’expiration sera ratifiée trois mois à l’avance. Le 11, Murat conclut un traité d’alliance avec l’Autriche, par lequel il s’engage à fournir 30.000 hommes à la coalition, moyennant quoi ses États en Italie lui sont garantis ainsi qu’à ses héritiers.

La défection de Murat paralysait l’action de l’armée d’Italie aux ordres du prince Eugène, qui par là se trouvait placé entre deux feux.


État approximatif des forces que les coalisés menèrent contre la France en 1813-1814.

  • Grande armée alliée (Schwartzenberg). . . . . 190.000
  • Armée de Silésie (Blücher). . . . . . . . . . . . . 160.000
  • Armée du Nord (Bernadotte). . . . . . . . . . . . 130.000
  • Réserves allemandes en formation. . . . . . . . 80.000
  • Corps hollandais. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12.000
  • Corps anglais en Belgique. . . . . . . . . . . . . . . 8.000
  • Réserves autrichiennes se réunissant sur l’Inn 50.000
  • Réserves russes se formant en Pologne. . . . 60.000
  • Troupes employées aux blocus et aux sièges

en Allemagne. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100.000

  • Armée autrichienne en Italie. . . . . . . . . . . . . 70.000
  • Armée des Pyrénées, composée d’Anglais, Espagnols, Portugais,

Siciliens, commandée par Wellington. . . . . . 140.000

  • Total. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.000.000

Dans cette énumération ne sont point compris les landwehr, les landsturm en Allemagne, les guérillas en Espagne, ni les troupes du traître Murat, ni un corps d’Anglo Siciliens.


État des troupes françaises à la fin de 1813.

  • Garnisons des places au delà du Rhin, en Italie,

en Dalmatie, etc. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100.000

  • Armée des Pyrénées d’Aragon. . . . . . . . . . . 90.000
  • Armée franco-italienne sur l’Adige. . . . . . . . . 50.000
  • Grande armée, sous les ordres directs

de l’Empereur. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 220.000

  • Total. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 360.000

Dans ce nombre ne sont point compris les 160.000 gardes nationaux rendus mobiles par le sénatus-consulte du 3 avril 1813.

En comparant entre eux les deux tableaux ci-dessus, il est facile de présenter quel sera le résultat de la campagne qui va s’ouvrir, si l’on considère surtout que les corps français n’avaient encore reçu qu’une organisation incomplète, et que leurs rangs étaient remplis aux deux tiers par des conscrits à peine adolescents et peu ou point exercés au maniement des armes.

Afin d’en imposer à ses ennemis et de leur faire prendre le change, Napoléon divise fastueusement son armée en huit corps, commandés par autant de maréchaux ; mais ces corps sont des squelettes, attendu qu’on n’a pas pu faire des levées dans les parties de l’Empire qui sont déjà au pouvoir de l’ennemi. Les maréchaux ont perdu sur leurs soldats l’ascendant de leur renommée ; les renforts qu’on promet chaque jour n’existent nulle part ; les troupes mal vêtues, mal vues des habitants, que leur séjour fatigue et désole ; privées de distributions régulières, les troupes se laissent aller de jour en jour au découragement.

Après avoir conféré solennellement la régence à l’Impératrice, et confié le roi de Rome et sa mère à la fidélité de la garde nationale, Napoléon part de Paris le 25, et il porte, le 26, son quartier général à Châlons-sur-Marne. L’aile droite de son armée, maréchal Mortier, est dans les environs de Troyes ; le centre, maréchaux Marmont et Victor, autour de Vitry ; l’aile gauche, maréchal Macdonald, auprès de Mézières. La réserve, formée de la Garde, sous le commandement de Ney et Oudinot, se poste à Châlons et Vitry. L’effectif de ces divers corps est évalué à 70.000 hommes.

Les avant-postes français sont à Vitry. Blücher est à Saint-Dizier. Napoléon le chasse de cette ville et s’y établit. L’Empereur veut encore empêcher la jonction de Blücher avec Schwartzenberg en lui coupant la route de Troyes, et pour tromper son ennemi, il se dirige sur Brienne par des chemins réputés impraticables. La ville et le château de Brienne étaient occupés par les corps russes de Sacken et d’Alsufiew, avec lesquels se trouvait Blücher. L’attaque fut des plus vives et des plus acharnées. Blücher faillit être pris avec son état-major ; il échappa parce qu’il ne fut pas reconnu. Napoléon n’abandonna l’attaque qu’à dix heures du soir. La perte fut égale des deux côtés (3.000 tués ou blessés). Pendant la nuit l’ennemi se retira paisiblement sur Bar-sur-Aube, et le 30, Napoléon entre à Brienne. Là il apprend que Blücher et Schwartzenberg ont opéré leur jonction, et qu’ils l’attendent avec 100.000 hommes dans les plaines de l’Aube. Quoique plus faible de moitié, il accepte le combat. Un acharnement égal à celui de la veille anime les deux armées. Napoléon est au centre, au village de la Rothière. L’engagement (1er février) commence à une heure après midi et ne cesse qu’à minuit. Alors Napoléon ordonne la retraite sur Troyes et trompe ainsi Blücher qui espérait l’écraser le lendemain.

L’affaire de la Rothière eut de bien funestes résultats pour la cause de Napoléon : elle apprit aux alliés qu’on pouvait se mesurer avec lui au milieu de ses États. Elle affecta singulièrement le moral de l’armée française, et c’est de ce jour que commença la désertion pour aller toujours croissant. Les Français laissèrent à la Rothière 54 bouches à feu, environ 6.000 hommes dont 2.500 prisonniers. La bataille de la Rothière eut pour nous les conséquences d’une défaite.

Cependant un nouveau congrès s’ouvre à Châtillon (Côte-d’Or), le 5 février, entre les quatre grandes puissances alliées et la France. Il est composé du comte Stadion, baron Humbolt, comte Rasumwsky, pour l’Autriche, la Prusse et la Russie. L’Angleterre y est représentée par les lords Aberdeen, Callicart, le général Charles Stewart ; le ministre Castlereagh est présent. Le duc de Vicence, ministre des relations étrangères, y soutient les intérêts de la France. La malheureuse affaire de la Rothière est traitée sur les bases qu’on a posées à Francfort.

Le 5, Châlons-sur-Marne est occupé par les Prussiens de l’armée de Silésie, conformément au plan que les alliés ont arrêté depuis la bataille de la Rothière. Cette armée doit marcher sur Paris en côtoyant la Marne, tandis que la grande armée s’y rendra par l’une et l’autre rive de la Seine. Le 7, Troyes, évacuée par l’Empereur, est occupée par l’ennemi. C’est dans cette ville que se manifestent, mais en petit nombre, des symptômes de royalisme. L’Empereur, qui s’était mis à la poursuite de Blücher, arrive à Nogent. C’est là qu’il apprit la marche rapide de ce général sur la route de Châlons. Le maréchal Macdonald, chassé de la Belgique avait évacué cette dernière ville le 5, et il se retirait sur la Ferté-sous-Jouarre et sur Meaux. Pendant ces péripéties, Napoléon reçoit l’ultimatum des coalisés, par lequel il apprend que les bases de Francfort sont refusées, et que son Empire doit se borner dorénavant aux anciennes limites de la France. Le prince de Neufchâtel et le duc de Bassano, qui se trouvaient auprès de l’Empereur, lui conseillent de se soumettre à ces tristes conditions : Moi ! s’écria-t-il, je laisserais la France plus petite que je ne l’ai reçue ? Jamais… Vous redoutez la guerre ; je vois d’autres dangers… La France a besoin de la paix ; mais celle-ci est pire que la guerre la plus acharnée. Que serai-je pour les Français quand j’aurai signé leur humiliation ?… Je préfère courir les chances les plus rigoureuses de la guerre.

Le 10 février, un corps russe de 6.000 hommes, qui stationnait isolément vers Sézanne pour servir de communication aux deux armées alliées en marche sur Paris, est surpris par Napoléon ; 1.500 Russes à peine parviennent à s’échapper ; le reste est pris ou tué. Tels furent les résultats de la journée de Champ-Aubert.

Le lendemain, l’Empereur atteint le général russe Sacken à Montmirail, au moment où il s’efforça d’opérer sa jonction avec le général prussien York : 900 prisonniers, 25 canons, presque tous les bagages, 3.000 morts ou blessés accusent la perte de ces deux généraux. Celle des Français est évaluée à 2.000 hommes.

Le 12 et le 13 eurent lieu deux autres actions très-avantageuses pour nos armées, aux environs et sous les murs de Château-Thierry, après lesquelles l’Empereur jeta Sacken et York sur la droite de la Marne. Le 13 Blücher reprend l’offensive à Vauchamp, pour venger les affronts essuyés par ses lieutenants ; mais l’Empereur, victorieux, fait volte-face et va lui présenter la bataille. Les lignes prussiennes, chargées impétueusement par les généraux Grouchy, Doumerc, Bordesoulle, sont mises en pleine déroute, laissant 18 canons, 3.000 prisonniers ; 7.000 Prussiens ou Russes sont mis hors de combat. Les Français ont à peine 600 hommes à regretter.

Pendant ces cinq jours de combat glorieux, on estime que Napoléon fit éprouver aux alliés une perte d’au moins 25.000 hommes, tant tués que blessés, ou faits prisonniers. Il retrouva dans ces périlleuses circonstances toute l’activité, tout le bonheur qui signalèrent ses premiers faits d’armes en Italie. Cependant tant de succès inattendus n’amenèrent aucun résultat avantageux et définitif. Les pertes des alliés sont insignifiantes, eu égard à l’immensité des ressources de toute espèce dont ils peuvent disposer, et aux nombreux renforts qui leur arrivent sans cesse pour grossir leurs rangs ou en remplir les vides, tandis qu’il est presque impossible aux armées françaises de se recruter, l’ennemi occupant une bonne partie du pays, et déjà la plupart des divisions de ces armées que l’on qualifie encore du nom pompeux de corps, ne sont plus que de faibles débris.

Cependant, le 17, les Austro-Russes, sous les ordres de Schwartzenberg, en marche sur Paris, sont atteints et mis en déroute près de Nangis, par l’Empereur, qui, parti le 15 de Montmirail, est arrivé la veille à Guignes, près de Meaux, ayant fait avec sa garde 28 lieues en deux jours. Dans cette affaire l’ennemi perdit 12 canons et 10.000 hommes, tant tués que blessés.

Le général autrichien fait demander armistice. Cette démarche et le succès qu’il vient d’obtenir raniment les espérances de Napoléon ; il écrit directement à son beau-père qu’il veut un prompt accommodement basé sur des conditions moins humiliantes que celles qu’on lui a faites à Chàtillon ; en même temps, il mande à son plénipotentiaire Caulincourt : « La providence a béni nos armes ; j’ai fait 30 à 40.000 prisonniers, j’ai pris 200 pièces de canon, j’ai détruit plusieurs armées presque sans coup férir, j’ai entamé hier l’armée de Schwartzenberg, que j’espère détruire avant qu’elle ait repassé nos frontières. Vous devez tout faire pour la paix ; mais mon intention est que vous ne signiez rien sans mon ordre, parce que seul je connais ma position. En général, je ne désire qu’une paix solide et honorable ; elle ne peut être telle que sur les bases de Francfort. » Le lendemain, il écrit au prince Eugène : « J’ai détruit l’armée de Silésie, composée de Russes et de Prussiens : j’ai commencé hier à battre Schwartzenberg, il est donc possible que nous puissions conserver l’Italie. » Il était si bien persuadé qu’il parviendrait lui seul à rejeter les étrangers au delà des frontières de l’Empire, qu’il disait après la victoire de Nangis : Je suis plus près de Vienne que mon beau-père ne l’est de Paris.

Le 18, a lieu le combat de Montereau, dans lequel le prince royal de Wurtemberg, impétueusement attaqué par les généraux Gérard et Pajol, perd 7.000 hommes ; près de 3.000 Français sont mis hors de combat. C’est pendant cette affaire que Napoléon dit à ses soldats étonnés de le voir s’exposer au feu de l’ennemi : Ne craignez rien, mes amis, le boulet qui me tuera n’est pas encore fondu.

Le 19, l’armée reçoit l’ordre de chasser les alliés de Troyes, la poursuite continue les jours suivants ; 100.000 étrangers fuient devant 40.000 braves de Napoléon, qui le 23 se trouve à Chartres ; c’est là qu’il reçut une réponse à la lettre qu’il avait écrite à l’empereur François, après l’affaire de Nangis, dans laquelle l’Autriche ne vit qu’un prétexte pour gagner du temps et non l’expression d’un désir sincère de faire la paix.

Le 24, Napoléon reprend Troyes, le 27 et le 28, les maréchaux Oudinot et Macdonald, cédant à des forces supérieures, sont obligés de se replier de l’Aube sur la Seine.

Le 1er mars, un traité d’alliance est conclu à Chaumont, entre la Russie, l’Autriche et la Prusse, par lequel chacune des puissances continentales s’engage de tenir en campagne une armée active de 150.000 hommes ; aucune négociation séparée n’aura lieu avec l’ennemi commun. L’Angleterre fournira annuellement un subside de 120 millions de francs. Le présent traité sera en vigueur pendant vingt ans. Les dernières bases de Chàtillon sont conservées.

L’Empereur apprend le 5, à Fisme, ce nouveau pacte qui, pour lui et pour la France est un véritable arrêt de mort ; il y répond par des décrets impériaux par lesquels tous les citoyens français sont requis de courir aux armes, de sonner le tocsin sitôt qu’ils entendront le canon de nos troupes s’approcher d’eux, de se rassembler, de fouiller les bois, de couper les ponts, de tomber sur les flancs et les derrières de l’ennemi. Tout citoyen français pris par les ennemis et qui serait mis à mort, sera sur le champ vengé en représailles par la mort d’un prisonnier ennemi. Tous les maires, fonctionnaires publics et habitants qui refroidissent ou dissuadent les citoyens d’une légitime défense, seront considérés comme traîtres, et traités comme tels.

Le 6, l’Empereur qui est en marche sur Laon, trouve une armée russe en position sur les hauteurs de Craonne (trois lieues de Laon). L’attaque est remise au lendemain. L’armée française comptent 30.000 hommes, celle dé l’ennemi est de 100.000. L’action, pendant laquelle les Français ont toujours attaqué, se soutient avec opiniâtreté pendant toute la journée ; enfin l’ennemi cède sans laisser un seul prisonnier. Cette journée ne fut que sanglante, Napoléon lui-même en fut, dit-on, fatigué.

Le 9 et le 10, l’Empereur essaie en vain de s’emparer de Laon, place servant d’entrepôt aux armées alliées. Marmont, arrivant d’un autre côté, se laisse surprendre, perd 2.500 prisonniers et quarante canons. Ce grand échec a les plus funestes conséquences. Le 11, l’Empereur se retire sur Soissons. Le 13 et le 14, il reprend Reims en personne.

La perte de l’ennemi est de dix canons, cent chariots de munitions, et 4.000 hommes pris, tués ou blessés.

Cependant les négociations dé Châtillon continuent : le duc de Vicence, pressé de donner une explication définitive, remet un contre-projet dans lequel l’Empereur consent à restreindre sa domination dans l’étendue de l’ancienne France avec la Savoie, Nice et l’île d’Elbe, et à condition que la couronne du royaume d’Italie, dont l’Adige formera la frontière du côté de l’Autriche, sera donnée au prince Eugène, et aussi avec la réserve que les principautés de Lucques, de Neufchâtel, le grand duché de Berg retourneront aux titulaires qui en étaient précédemment investis.

Ce contre-projet est rejeté, par la raison que la France possédant une force territoriale infiniment plus grande que ne le comporte l’équilibre de l’Europe, les cessions qu’elle ferait ne seraient qu’apparentes. « L’expérience a démontré que les États intermédiaires, sous la domination de la famille régnante actuellement en France, ne sont indépendants que de nom. L’Europe ne ferait pas la paix, mais elle désarmerait. Les cours alliées, considérant que le contre-projet proposé est essentiellement opposé aux bases de paix proposées par elles, ne peuvent reconnaître dans la marche suivie par le gouvernement français que le désir de traîner en longueur des négociations aussi inutiles que, compromettantes. Elles déclarent qu’elles ne font point la guerre à la France, dont les justes dimensions sont une des premières conditions d’un état d’équilibre politique ; mais qu’elles ne poseront les armes qu’autant que leurs principes seront reconnus et admis par le gouvernement français. » Là finit le congrès de Châtillon, dont les fluctuations eurent constamment pour cause les succès ou les revers des armées belligérantes des deux partis.

Le 20, Napoléon est à Arcis, qu’il veut traverser pour se diriger sur Bar-sur-Aube ; mais il apprend que l’ennemi est sur la route de Troyes, il s’y porte avec 30.000 hommes ; l’affaire s’engage avec toute l’armée de Schwartzenberg, forte de 100.000 combattants. Dans cette journée et celle qui suivit, l’Empereur se comporta comme le premier soldat de la France ; souvent il est obligé de se servir de son épée pour se dégager des masses qui l’entourent. L’ennemi fait le feu d’artillerie le plus vif, un obus vient en roulant s’arrêter à côté d’un des carrés de la garde, dans lequel il occasionne un mouvement. L’Empereur qui s’en aperçoit pousse son cheval vers le projectile, et paraît s’étonner que des soldats tant de fois éprouvés fassent attention à pareille chose. L’obus éclate, un nuage de fumée le dérobe à ses troupes ; mais ni lui, ni son cheval, ni personne n’est atteint. Ce trait hardi de courage et de sang-froid rappelle Charles XII. Quelle supériorité de caractère, quelle présence d’esprit ! Le combat continue toute la nuit, un seul pont reste à Napoléon pour échapper, lui et son armée, à la supériorité numériquement prépondérante de l’ennemi, il ordonne d’en jeter un second. Le 21, au matin ; Arcis est évacué, et la retraite s’opère avec le plus grand ordre sur Vitry-le-François. Le 23, le quartier général de l’Empereur est à Saint-Dizier ; le même jour s’opère dans les plaines de Châlons la réunion des armées de Blücher et de Schwartzenberg.

Le 25, les maréchaux Mortier et Marmont, dans la croyance naturelle que Napoléon se replierait sur eux devant Schwartzenberg, étaient accourus au-devant de lui, sur la route de Fère-Champenoise. Attaqués séparément par des masses énormes de cavalerie, ils sont rejetés sur la route de Paris par Sézanne et Coulommiers. Après avoir essuyé une perte de 9.000 hommes, dont 5.000 tués ou blessés, et de soixante bouches à feu, dans cette malheureuse affaire que les étrangers appellent la victoire champenoise, nos soldats eurent à combattre, outre une immense cavalerie, un ouragan qui le frappait de front, et une pluie abondante qui rendit sans effet les ressources de la mousqueterie.

L’armée de Silésie et la grande armée des alliés, ayant surmonté tous les obstacles, se mettent, sur trois colonnes, en pleine marche sur Paris, par la rive droite de la Marne, qu’elles passent à Trilport, Meaux et Lagny. L’Empereur de Russie et le roi de Prusse portent leur quartier général à Bondy. Napoléon a le sien à Troyes, d’où, par les routes détournées qu’il est obligé de prendre, il a cinquante lieues à faire pour arriver sous les murs de la capitale ; il fait ses dispositions pour que son armée y soit rendue le 2 avril. Le 30 mars, à dix heures du soir, il n’est, de sa personne, qu’à cinq lieues de cette ville ; en peu de temps, il pourrait se trouver à la tête de ceux qui la défendent ; il est trop tard : Paris a capitulé à cinq heures et demie. C’est à pied, sur la route et au relais de Fromenteau, que Napoléon apprend du général Belliard, un des défenseurs de la capitale, cette triste nouvelle. Il fait appeler le maréchal Berthier et le duc de Vicence, et leur dit : « Paris vient de capituler ; marchons sur Paris. » Belliard lui représenta qu’il n’y avait plus de troupes dans cette ville. « N’importe, répliqua-t-il, j’y trouverai la garde nationale ; l’armée m’y rejoindra demain ou après, et je rétablirai les affaires. — « Mais, Sire, répond le général Belliard, Votre Majesté s’expose à se faire prendre et à faire saccager Paris : il y a 130.000 hommes autour de la ville. »

Douloureusement frappé par ces nouvelles, il entra dans l’auberge de la Poste, où il resta pendant deux heures la tête appuyée dans ses deux mains. Enfin, poussé par les instances des généraux qui l’entouraient, il se détermina à retourner en arrière et à faire partir le duc de Vicence pour Paris, en qualité de négociateur. Le duc arriva dans cette ville le 31 mars, à sept heures du matin ; les autorités locales étaient absentes, il se rend au quartier général de l’empereur Alexandre, à Bondy. Ce prince, instruit de l’objet de sa mission, lui répondit qu’il remettait après son entrée à Paris, qui allait avoir lieu incessamment, la réponse qu’il jugerait à propos de lui faire. Caulincourt retourne à Paris et Napoléon va attendre à Fontainebleau le résultat de cette négociation.

Dans la soirée, un grand conseil est tenu chez l’empereur Alexandre, dans lequel on discuta vivement la possibilité de faire la paix avec Napoléon, la régence de l’impératrice Marie-Louise et le rétablissement des Bourbons. Lorsque l’abbé de Pradt, archevêque de Malices, qui, avec d’autres Français, faisait partie de cette réunion, eut déclaré que les Français étaient tous royalistes : Eh bien ! dit alors Alexandre, je promets que je ne traiterai plus avec Napoléon. Le lendemain, on lut sur les murs de Paris une proclamation qui exprimait cette pensée. Et cependant, malgré cette déclaration solennelle, le duc de Vicence, bien reçu par Alexandre, avait encore le courage de plaider devant lui la cause de son souverain, qu’il était loin de croire comme perdue.

Dans ces graves circonstances, le Sénat, prenant l’initiative, organisa un gouvernement provisoire ; il déclara en outre Napoléon déchu du trône, le droit d’hérédité aboli dans sa famille, le peuple français et l’armée déliés envers lui du serment de fidélité.

Une multitude d’ingrats, civils et militaires, dont la plupart devaient à Napoléon leurs honneurs, s’empressa d’applaudir à la déchéance de leur maître. Les alliés eux-mêmes furent révoltés de tant de lâcheté.

Dans ces conjectures, le duc de Vicence, ayant perdu l’espoir de conserver la couronne impériale sur la tête de Napoléon, conçut le projet de la faire passer sur celle du roi de Rome ; c’est-à-dire de faire agréer une régence par les alliés. Les nombreuses et bonnes raisons qu’il fit valoir pour atteindre son but ébranlèrent les résolutions des principaux chefs de la coalition ; mais avant de se prononcer sur une affaire aussi importante, Alexandre réunit dans un grand conseil tous les personnages influents qui se trouvaient alors dans la capitale, et prenant la parole, il dit : « que chacun devait mettre de côté ses intérêts et ses opinions ; que ses alliés et lui-même étant dépouillés de tout sentiment de vengeance, il n’avait pour but que le bonheur de la France, gage de la tranquillité de l’Europe. Il faut donc décider, continua-t-il, quel est le gouvernement qui convient à la France pour atteindre ce but tant désiré. »

Les étrangers qui assistaient à cette réunion penchaient pour une régence, lorsque le lieutenant-général Dessoles, nommé par le gouvernement provisoire commandant de la garde nationale parisienne, prend la parole : « J’ai combattu, dit-il, pendant vingt ans, non les Bourbons, mais l’étranger. Quand Napoléon se mit à la tête des affaires, la France était non seulement délivrée, mais agrandie, mais l’esprit de conquête de l’usurpateur des libertés publiques mettant chaque jour en péril l’indépendance de la patrie, j’ai cru de mon devoir d’abandonner une cause qui n’était plus celle de la France, mais celle d’un seul homme. Les événements n’ont que trop bien justifié ma conduite comme citoyen… » Il ne voit plus de salut pour Napoléon et pour la France que dans la famille royale, le seul gage de la tranquillité de l’Europe ; que si l’empereur Alexandre a l’intention de révoquer la résolution qu’il a prise le 31 mars, il le supplie de faire donner des passeports à tous ceux qui, comme lui, se sont prononcés contre le gouvernement, et de leur accorder un asile dans lequel ils soient à l’abri des vengeances et des calamités qui vont fondre sur la France.

Alexandre, entraîné par l’émotion et par les paroles du général Dessoles, annonça à Caulincourt qu’il persistait dans sa déclaration du 31 et qu’en conséquence Napoléon devait abdiquer purement et simplement. Le duc de Vicence repartit de suite pour Fontainebleau, et rendit compte, pendant la nuit, à l’Empereur, de la décision fatale dont il était chargé. Napoléon voulait qu’il retournât à Paris pour obtenir des conditions moins dures, celui-ci s’y refusa, et, le plus puissant naguère des monarques du monde se vit forcé, après bien des hésitations, de signer la déclaration suivante :


« Les puissances alliées ayant proclamé que l’empereur Napoléon était le seul obstacle au rétablissement de la paix en Europe, l’empereur Napoléon, fidèle à son serment, déclare qu’il est prêt à descendre du trône, à quitter la France et même la vie pour le bien de sa patrie, inséparable des droits de son fils, de la régence de l’Impératrice, et du maintien des lois de l’Empire.

« Fait en notre palais de Fontainebleau, le 4 avril 1814.

« NAPOLÉON. »


Cependant, le maréchal Macdonald était arrivé de Saint-Dizier avec son corps d’armée, et Napoléon se voyait à la tête de 30.000 hommes. Il sentit alors toute la valeur du commandement et de la position de Marmont. « C’est là, » disait il, « que s’adresseront toutes les intrigues, toutes les trahisons de Paris : il faut que j’aie à ce poste un homme comme Marmont, mon enfant, élevé dans ma tente. » Car Marmont était de ceux qui composaient ce qu’il appelait sa famille militaire. — Toujours confiant dans sa fortune et les ressources de son génie, il ne suit les négociations qu’afin de faire prendre le change à ses ennemis sur les projets qu’il médite. Il espère toujours qu’une grande et belle victoire lui redonnera la prépondérance dont il jouissait autrefois. Ainsi donc, en congédiant le duc de Vicence, il lui dit : « Pendant que vous négocierez à Paris, je leur tomberai dessus avec mes braves. Je pars demain. » Son nouveau plan de campagne était, ou de manœuvrer autour de la capitale, ou de se porter au delà de la Loire. Ce dernier projet avait prévalu dans le conseil. Le 3 avril, jour de la déclaration du Sénat, Napoléon avait passé la revue de sa garde et lui avait dit : « L’ennemi nous a dérobé trois marches et s’est rendu maître de Paris : il faut l’en chasser. D’indignes Français, des émigrés, auxquels nous avions pardonné, ont arboré la cocarde blanche, les lâches ! ils recevront le prix de ce nouvel attentat. Jurons de vaincre ou de mourir pour cette cocarde tricolore qui, depuis vingt ans, nous trouve dans le chemin de la gloire et de l’honneur. » Ce serment fut prêté avec enthousiasme. Pendant toute la soirée, les soldats se livrèrent à des danses bruyantes et joyeuses, en criant : « Vive l’Empereur ! marchons à Paris ! » Napoléon, en effet, bien décidé à reprendre celte ville, avait désigné Moulignon pour son nouveau quartier général. Le 4 avril, l’armée se mit en mouvement pour aller occuper cette position. Le même jour, les plénipotentiaires de Napoléon4 se mettent en route pour Paris, arrivent à Essonne, et descendent chez le maréchal Marmont, qui les retient à dîner. Bientôt Marmont confie à Ney et à Macdonald qu’il a traité avec le prince de Schwartzenberg, mais il leur affirme qu’il n’a point encore signé : c’était un mensonge, car la ratification de sa convention avec le généralissime autrichien avait eu lieu le matin à Chevilly. Cependant il se décide à accompagner les plénipotentiaires à Paris.

Tous les quatre sont admis, à une heure du matin, auprès de l’empereur Alexandre, qui les ajourna à midi.

Ils étaient réunis à onze heures et demie chez le maréchal Ney, attendant le moment de revoir Alexandre, lorsqu’on vint avertir Marmont que son premier aide-de-camp, le colonel Fabvier, demandait à lui parler. Il sortit et rentra presque aussitôt, pâle comme la mort, en s’écriant : « Souham et Bordesoulle ont enlevé mon corps d’armée, Fabvier est venu en toute hâte. » On fit entrer Fabvier afin d’entendre de lui le récit de l’événement.

Cette défection qui, suivant le maréchal Marmont, se fit malgré ses ordres, servit de prétexte à l’empereur Alexandre pour tenir ce discours aux plénipotentiaires : « Messieurs, vous faites sonner bien haut la volonté de l’armée, et vous n’ignorez pas que le corps du due de Raguse a passé de notre côté ; d’autres sont encore dans les mêmes dispositions. On est las de la guerre. L’empereur Napoléon n’a point voulu la paix. Chacun sait qu’il n’y a point de repos à espérer de lui. Les Souverains ont déclaré qu’ils ne voulaient pas traiter avec lui. Nous ne voulons aujourd’hui que ce que le vœu national a déjà proclamé. Il repousse la régence, comme il a repoussé l’empereur Napoléon. Je vous déclare donc que nous ne pouvons admettre que son abdication absolue. — Les plénipotentiaires indignés de cette détermination, repoussent avec énergie la conséquence que tirait l’empereur Alexandre de la défection du corps de Marmont, en disant qu’elle serait suivie de celle d’autres divisions. Tout fut inutile, il fallut reprendre le chemin de Fontainebleau.

Voici ce que disait Napoléon à ceux qui l’entouraient après le départ de ses plénipotentiaires pour Paris.

« On a voulu me faire abdiquer en faveur du roi de Rome, je l’ai fait. Cependant ce n’est pas l’intérêt de la France : mon fils est un enfant, ma femme n’entend rien aux affaires. Vous auriez donc une régence autrichienne pendant douze ou treize ans, et vous verriez M. Schwartzenberg vice-empereur des Français ; cela ne peut vous convenir. D’ailleurs, il faut raisonner. Quand même cela entrerait dans les vues de l’Autriche, croit-on que les autres puissances consentent jamais à ce que mon fils règne tant que je vivrai ? Non, certainement, car elles auraient trop peur que j’arrachasse le timon des affaires des mains de ma femme ; aussi je n’attends rien de bon de la démarche des plénipotentiaires. » Les ennemis de Napoléon les plus clairvoyants n’auraient pas mieux raisonné. Ce grand homme connaissait bien sa position, et, dès longtemps, bien convaincu qu’il n’avait rien d’honorable à espérer du côté des négociations, il voulait encore une fois tenter le sort des armes.

La convention conclue entre Schwartzenberg et le duc de Raguse portait :

ART. 1er. Les troupes françaises qui, par suite du décret du Sénat du 2 avril, quitteront les drapeaux de Napoléon Bonaparte, pourront se retirer en Normandie avec armes, bagages, munitions.

ART. 2. Si, par suite de ce mouvement, les événements de la guerre faisaient tomber entre les mains des puissances alliées la personne de Napoléon Bonaparte, sa vie et sa liberté lui seront garanties dans un espace de terrain et dans un pays circonscrit au choix des puissances alliées et du gouvernement français.

L’aide-de-camp Marmont mesurer la terre ou son général doit être captif : un espace de terrain ! … un cachot est aussi un espace de terrain !

Mais, dès le 4 avril, par arrêt du gouvernement provisoire, il est permis aux conscrits rassemblés de retourner chez eux ; ceux qui sont encore dans leurs foyers sont autorisés à y rester. La rhume faculté est accordée aux bataillons de nouvelle levée, ainsi qu’à toutes les levées en masse.

Le 7 avril, Napoléon annonça lui-même aux personnes qui se trouvaient autour de lui, la détermination qu’il avait prise de signer son abdication absolue. Et néanmoins il ordonna la revue des 2e et 7e corps. Toujours plein de sa pensée dominante, et confiant dans la fidélité et la bravoure de ses soldats, il dit pendant la revue au maréchal Oudinot : « Puis-je compter sur votre corps d’armée ? — Non, Sire », répondit le maréchal ; « Votre Majesté a abdiqué. — Oui, mais sous condition. — Il est vrai, Sire, mais le soldat ne connaît point de restrictions. — Eh bien ! maréchal, attendons les nouvelles de Paris. »

Après la revue, il y eut une espèce de conseil de guerre, dans lequel Napoléon, énumérant les ressources dont il pouvait disposer, soutenait qu’au lieu de souscrire à une paix honteuse, il y avait avantage et chance de succès de reprendre les hostilités ; car, outre les 50.000 braves qui sont sous sa main, il peut compter sur l’armée de Soult, qui est sous Toulouse, sur celle de Suchet, qui vient de Catalogne, sur celle d’Augereau, dans les Cévennes, du prince Eugène, en Italie, sur celle du général Maison, dans la Flandre, ainsi que sur les nombreuses garnisons de nos places frontières, « Pourquoi n’irait-il pas chercher les armées du Midi… quand il lui reste une belle position de l’autre côté de la Loire ? » Napoléon est d’avis de se mettre en marche tout de suite vers les provinces méridionales. La plupart des assistants gardent le silence, ceux qui osent prendre la parole lui font observer combien sont formidables les armées de ses ennemis ; l’éloignement de l’armée du Nord, et les distances qui séparent d’elles-mêmes les armées du Midi. Il réfute toutes ces objections et persiste dans son projet. On lui fait entendre alors que dans ce cas il pourrait bien se faire qu’il devînt lui-même l’auteur et l’objet d’une guerre civile ; à ces mots de guerre civile il change subitement de résolution : « Eh bien ! dit-il ; puisqu’il me faut renoncer à défendre plus longtemps la France, l’Italie n’est-elle pas une retraite digne de moi ? Veut-on m’y suivre encore une fois ? Marchons vers les Alpes.

Cette invitation fut accueillie par un morne silence : « Vous voulez du repos, s’écria vivement l’Empereur, ayez-en donc. Hélas ! vous ne savez pas combien de chagrins et de douleurs vous attendent sur vos lits de duvet. Quelques années de cette paix que vous allez payer si cher en moissonneront entre vous un plus grand nombre que n’aurait fait la guerre. » L’événement justifia cette prédiction ; en peu d’années ia mort enleva douze des maréchaux qui avaient été présents à cette réunion.

Enfin Napoléon, convaincu qu’il ne pouvait plus compter sur le dévouement de ses lieutenants, consentit à signer l’acte d’abdication qui suit :


« Les puissances alliées ayant proclamé que l’empereur Napoléon était le seul obstacle au rétablissement de la paix en Europe, l’empereur Napoléon, fidèle à son serment, déclare qu’il renonce, pour lui et ses héritiers, aux couronnes de France et d’Italie, et qu’il n’est aucun sacrifice personnel, même celui de la vie, qu’il ne soit prêt à faire à l’intérêt de la France.

« Fait au palais de Fontainebleau, le 11 avril 1814.

« NAPOLÉON. »


Cet acte, ainsi rédigé, satisfit les souverains coalisés, et Napoléon annonça de la manière suivante à ceux qui l’entouraient qu’il avait pris son parti.

« Maintenant que tout est termine, puisque je ne puis rester, ce qui vous convient le mieux, c’est la famille des Bourbons. Moi, je ne pouvais garder la France autre qu’elle était quand je l’ai prise. Louis ne voudra pas attacher son nom à un mauvais règne ; s’il fait bien il se mettra dans mon lit, car il est bon. Le roi aura beaucoup à faire avec le faubourg Saint-Germain. S’il veut régner longtemps, il faut qu’il le tienne en état de blocus. Si j’étais de Louis XVIII je ne conserverais pas ma garde, il n’y a que moi qui puisse la manier. À présent, Messieurs, que vous avez un autre gouvernement, il faut vous y attacher franchement, je vous y engage, je vous l’ordonne même. »

Pourtant il refuse de souscrire au traité de Paris, par lequel ses plénipotentiaires viennent de conclure un armistice avec les alliés, « À quoi bon ce traité, dit-il, puisqu’on ne veut pas régler avec moi ce qui concerne la France ? Du moment qu’il ne s’agit plus que de ma personne, il n’y a plus de traité à faire. Je suis vaincu, je cède au sort des armes. Seulement je demande à n’être pas prisonnier de guerre, et pour me l’accorder un simple cartel doit suffire : d’ailleurs il ne faut pas une grande place pour enterrer un soldat.

La défection des courtisans suivait son cours ; la désertion décimait incessamment l’armée, qui, travaillée par toutes sortes de moyens et d’intrigues, commençait à se persuader que c’en était fait pour toujours de la fortune de Napoléon. Enfin, le 12 avril, Monsieur, comte d’Artois, frère du roi, faisait son entrée solennelle dans Paris. Malgré ces divers événements, Napoléon s’obstinait à refuser son approbation au traité. Il passa la soirée du 12 avec le duc de Vicence et se retira à onze heures.

Ce fut pendant la nuit du 12 au 13 que, suivant quelques relations, ce prince aurait essayé de terminer ses jours par le poison. Voici le récit de M. de Norvins :

« Ayant fait appeler le duc de Vicence à une heure du matin, Napoléon lui dit de prendre dans son cabinet le portefeuille qui contenait le portrait et les lettres de l’Impératrice : « Gardez-les, lui dit-il ; vous les remettrez un jour à mon fils. Ne le quittez pas ; soyez-lui fidèle comme à moi. Remettez à l’impératrice la lettre que voici ; dites-lui que je ne déplore mes malheurs qu’à cause d’elle et du roi de Rome. N’ayant pu faire triompher la France de ses ennemis, je ne regrette point la vie. » L’Empereur lui dicta ses autres volontés et lui fit présent de son portrait sur un camée. Napoléon lui parlait encore quand il fut interrompu par une crise subite qui effraya le duc de Vicence : ses yeux se voilèrent, parfois il paraissait s’assoupir pour ne plus se réveiller, quand une sueur de glace le couvrit, et soudain une sueur violente, qui raidit ses membres, amena des vomissements. Napoléon tenait fortement le duc de Vicence afin qu’il ne lui échappât point, lui répétant que s’il était son ami, il ne devait pas s’opposer à ce qu’il terminât son existence.

Ce combat de la vie contre la mort dura près de trois quarts d’heure.

Enfin, les vomissements ayant débarrassé l’Empereur : « C’en est fait, dit-il, la mort ne veut pas de moi. » Et tout de suite il fit appeler son chirurgien Yvan et lui demanda une potion. Celui-ci, atterré par cette demande, prit la fuite et quitta Fontainebleau. La crise avait été si violente que le 13 l’Empereur ne put se lever avant onze heures. »

Napoléon avait déjà voulu, a-t-on dit, s’asphyxier dans son cabinet de bain par le charbon ; mais ses gens, soupçonnant l’usage qu’il se proposait d’en faire, avaient refusé de lui en donner. Alors, il eut recours à ses pistolets, qu’il chargea ; mais son mameluck et ses valets de chambre s’en étant aperçus, en ôtèrent l’amorce et la poudre en son absence.

On prétend que le poison par lequel Napoléon aurait voulu se détruire avait été inventé par Cabanis, à l’époque de la terreur, pour son usage et celui de ses amis. C’est de ce poison que Condorcet prit et dont il mourut en prison. Napoléon en portait constamment sur lui depuis le désastre de Moscou.

Nous repoussons, nous, ces différents projets de suicide comme n’ayant pu exister, parce que la vie tout entière de l’Empereur ne semble pas permettre d’y croire : constamment résigné devant l’impossibilité d’événements meilleurs, on l’a toujours vu déterminé, ferme, grand, plein de courage ; et puis il avait dans le cœur cette foi religieuse qui soumet l’homme aux volontés de Dieu.

Quoi qu’il en soit, le 13, Napoléon signe à Fontainebleau le traité conclu le 11, à Paris, entre les maréchaux Ney, Macdonald, le général Caulincourt, ses plénipotentiaires, et les ministres d’Autriche, de Russie et de Prusse. En voici un extrait :

Art. 1er. Sa Majesté l’empereur Napoléon renonce, pour lui et les siens, à tout droit de souveraineté et de domination tant sur l’Empire français et sur le royaume d’Italie que sur tout autre pays.

2. Leurs Majestés l’empereur Napoléon et Marie-Louise conserveront leurs titres et rang pour en jouir pendant leur vie. La mère, les frères, sœurs, neveux et nièces de l’Empereur conserveront aussi, en quelque lieu qu’ils résident, les titres de princes de sa famille.

3. L’île d’Elbe, que l’Empereur a choisie pour le lieu de sa résidence, formera pendant sa vie une principauté séparée qu’il possédera en toute souveraineté et propriété. Il lui sera en outre accordé, en toute propriété, un revenu annuel de 2 millions de francs, qui sera porté comme rente sur le grand-livre, de laquelle un million sera réversible à l’Impératrice5.

4. Les duchés de Parme, de Plaisance et de Guastalla6 seront donnés en toute propriété et souveraineté à l’impératrice Marie-Louise. Ils passeront à son fils et à ses descendants en ligne directe.

6. Il sera réservé, dans les territoires auxquels il est par le présent renoncé, à Sa Majesté l’empereur Napoléon, pour lui et sa famille, des domaines ou rentes sur le grand-livre de France produisant un revenu, libre de toute charge ou déduction, de 2 millions 500 mille francs. Ces domaines ou rentes appartiendront en toute propriété aux princes et princesses de sa famille, qui pourront en disposer comme ils le jugeront à propos. Ils seront partagés entre eux de la manière suivante7

8. Il sera formé un établissement convenable au prince Eugène, vice-roi d’Italie.

9. Les propriétés que l’empereur Napoléon possède en France, soit comme domaine extraordinaire, soit comme domaine privé, resteront à la couronne. Sur les fonds placés par l’empereur Napoléon, soit sur le grand-livre, soit sur la banque de France, soit sur les actions des forêts, soit de toute autre manière, et dont Sa Majesté fait abandon à la couronne, il sera réservé comme un capital qui n’excédera pas deux millions, pour être employé en gratifications en faveur des personnes qui seront portées sur l’état que signera l’empereur Napoléon et qui sera remis au gouvernement français.

(L’auteur du manuscrit de 1814 dit fort à propos : « Il faut tenir note ici, à la honte de la diplomatie européenne, que cette générosité resta sans effet. Les legs que Napoléon a distribués autour de lui, sur la foi du traité, n’ont pas été acquittés, et les légataires n’ont pu trouver dans la signature des plus grands princes cette garantie irrévocable que la simple signature de deux notaires donne entre particuliers aux moindres dispositions de cette nature.)

12. Les dettes de Sa Majesté l’empereur Napoléon, telles qu’elles existaient le jour de la signature du présent traité, seront payées sur l’arriéré dû par le trésor public à la liste civile, d’après l’état.

Il sera fourni une corvette et les bâtiments nécessaires pour transporter Sa Majesté l’empereur Napoléon et sa maison, et la corvette appartiendra en toute propriété à Sa Majesté l’Empereur.

17. L’empereur Napoléon pourra prendre avec lui, et retenir comme sa garde 400 hommes, officiers, sous-officiers et soldats volontaires.

18. Aucun des Français qui auraient suivi l’empereur Napoléon ou sa famille ne pourront être considérés comme ayant perdu leurs droits de Français, en ne retournant pas dans le cours de trois ans…

20. Les hautes puissances alliées garantissent l’exécution du présent traité en s’engageant à obtenir qu’il soit garanti par la France.

Le 20 avril, Napoléon n’ayant plus l’espérance qu’on lui avait donnée de revoir sa femme et son fils, se décida à quitter Fontainebleau, pour aller prendre possession de sa souveraineté de l’île d’Elbe. Sa garde, encore sous les armes, se tenait dans la cour du palais, rangée comme pour la parade. Napoléon, à la vue de ces glorieux restes de tant de batailles et de victoire dont il croit se séparer pour toujours, ne peut retenir ses larmes, et d’une voix brisée comme son âme, il leur parle ainsi :

« Officiers, sous-officiers et soldats de la vieille garde je vous fais mes adieux. Depuis vingt ans que je vous commande, je suis content de vous. Je vous ai toujours trouvé sur le chemin de la gloire. Les puissances alliées ont armé toute l’Europe contre moi, une partie de l’armée a trahi ses devoirs, et la France a cédé à des intérêts particuliers.

« Avec vous et les braves qui me sont restés fidèles j’aurais pu entretenir la guerre civile pendant trois ans ; mais la France eût été malheureuse, ce qui aurait été contraire au but que je me suis sans cesse proposé. Je devais donc sacrifier mon intérêt personnel à son bonheur ; je l’ai fait.

« Mes amis, soyez fidèles à votre nouveau roi, soyez soumis à vos chefs et n’abandonnez pas notre chère patrie. Ne plaignez pas mon sort, je serai toujours heureux lorsque je saurai que vous l’êtes. J’aurais pu mourir, rien ne m’était plus facile ; mais je veux suivre encore le chemin de l’honneur. J’écrirai les grandes choses que nous avons faites.

« Je ne puis vous embrasser tous, mais j’embrasse votre général ; venez, général Petit, que je vous presse sur mon cœur ! Qu’on m’apporte l’aigle, que je l’embrasse aussi ! Ah ! chère aigle, puisse le baiser que je te donne retentir dans la postérité ! Adieu, mes enfants, mes braves, mes vœux vous accompagneront toujours : gardez mon souvenir. Entourez-moi encore une fois ! » Cet adieu, devenu si célèbre, fut déchirant pour le héros non moins que pour les braves compagnons de ses victoires.

Napoléon monta en voiture avec le général Bertrand ; une faible escorte le suivit ; des Commissaires délégués par les coalisés devaient leur servir de protecteurs pendant qu’il traversait la France, un pays qui, moins de trois mois auparavant, le reconnaissait comme son dominateur et son maître.

Napoléon fuit insulté en traversant quelques villes du Midi ; peut-être même y eut-il sérieusement des complots ourdis pour l’assassiner.

Le 28 avril, il s’embarqua à Saint-Rapheau sur une frégate anglaise qui, le 6 mai, le déposa à six heures du soir dans le port de Porto-Ferrajo, où il fut reçu par le général Dalesme, commandant français. Aux compliments qu’il en reçut, l’Empereur répondit :

« Général, j’ai sacrifié mes droits aux intérêts de ma patrie, et je me suis réservé la propriété de la souveraineté de l’île d’Elbe. Faites connaître aux habitants le choix que j’ai fait de leur île pour mon séjour. Dites-leur qu’ils seront pour moi l’objet de mon intérêt le plus vif. »

Le maire de Porto-Ferrajo lui remit les clefs de la ville ; la mairie devint palais impérial. Un Te Deum auquel Napoléon assista fut chanté dans la cathédrale. Là finit l’investiture d’exil du ci-devant maître du monde.

Napoléon avait fait arborer sur la frégate anglaise le drapeau Elbois, il le conserva pendant son séjour dans l’île. Le drapeau était fond blanc, traversé diagonalement d’une bande rouge semée de trois abeilles fond d’or. Les Ragusains l’ont appelé depuis pavillon du roi du monde.

Pendant les dix mois qu’il passa dans cette île, l’Empereur donna des développements à l’exploitation des mines de fer dont cette terre abonde. Il fit tracer des routes, planter des arbres ; il prit, en un mot, toutes les mesures désirables pour faire jouir les Elbois d’une bonne administration.

Pendant le séjour qu’il fit dans cette île, il reçut la visite de sa mère et de sa sœur Pauline, princesse Borghèse, auxquelles il céda l’étage qu’il avait fait construire entre les deux pavillons de son habitation de Porto-Ferrajo. Il passait une partie de ses journées dans un kiosque vitré qu’il avait fait élever sur le sommet d’un rocher ; seul il y entrait. Les Elbois donnèrent à ce kiosque le nom de casa di Socrate.

« L’Empereur menait à l’île d’Elbe une vie très-active ; toujours levé avant le jour, il consacrait au travail les premières heures de la matinée ; venait ensuite la revue ; elle ne se bornait pas, comme au Carrousel, à un coup d’œil numératif jeté en courant sur des corps nombreux : c’était une inspection minutieuse, dont l’âme toute militaire de Napoléon savourait, pour ainsi, dire, les détails. Chaque grenadier était interrogé sur ses occupations, ses habitudes, sa santé et même ses sentiments. Les braves de l’île d’Elbe se plaignaient quelquefois : l’Empereur leur donnait ou leur permettait ce qu’ils demandaient, si l’objet réclamé était en son pouvoir ; autrement, il les appelait grognards, leur tirait la moustache et s’éloignait en souriant.

« Dans la soirée, Napoléon faisait une promenade à cheval, accompagné de ses principaux officiers. Quelquefois il recevait les visites des étrangers de distinction qui affluaient dans l’île, rien que pour l’apercevoir ; mais le plus souvent, il s’égayait, avec son état-major, des injures que lui prodiguaient ceux des journaux français qui l’avaient le plus servilement flatté avant sa chute.

« Ainsi s’écoulaient les jours de l’Empereur, tantôt à Porto-Ferrajo, tantôt à Porto-Longone ou à Rio. Sa garde, à l’exemple des guerriers romains, participait à la plupart des travaux qu’il avait entrepris dans l’île ; elle s’augmentait journellement des militaires que le dévouement amenait auprès de sa personne. À peine Napoléon pouvait-il soutenir ce bataillon fidèle ; n’importe il se grossissait… Quelques officiers supérieurs y prirent du service comme de simples soldats8. »

L’Empereur avait choisi l’île d’Elbe, de préférence à la Corse et à Corfou, mais sans arrière-pensée, quoiqu’on ait prétendu le contraire. On en a la preuve dans des faits bien connus aujourd’hui de plusieurs personnages, et dont nous croyons devoir dire quelques mots.

Au mois de mai 1814, les amis de l’indépendance italienne, se réunirent tantôt à Turin, tantôt à Gênes, en congrès constitutif9. Après avoir mûri leur projet et rédigé leur constitution, ils chargèrent l’un d’eux de se rendre à Porto-Ferrajo et de communiquer le tout à l’Empereur. Cet envoyé était en même temps porteur d’une dépêche particulière, rédigée par quatre commissaires, nommés pour cet objet par le congrès.

Les articles 1,3 et 5 de la constitution étaient ainsi conçus :

ART. ler. Le territoire de l’Empire romain sera formé de tout le confinent de l’Italie, et ne pourra pas être agrandi.

3. La nation italienne appelle au trône Napoléon Bonaparte, actuellement souverain de l’île d’Elbe, et, après lui, sa descendance masculine, en ligne directe, légitime, aux conditions expresses contenues dans le présent acte constitutif.

5. Le souverain prendra et portera le titre d’Empereur des Romains et Roi d’Italie, par la volonté du peuple et la grâce de Dieu.

Napoléon adopta sans restriction les bases constitutionnelles, promit le secret absolu qu’on avait exigé de lui, et fit plusieurs modifications au projet d’exécution. Ces communications parvinrent au congrès par un envoyé de Napoléon, et de son côté, le congrès dépêcha un de ses membres à l’île d’Elbe.

Les conférences se suivirent. Ce fut pendant l’une d’elles que Napoléon témoigna, à plusieurs reprises, ses regrets de n’avoir pas marché de Fontainebleau sur Milan, à la tête de sa belle et brave armée, comme il en avait eu la pensée ; et il attribuait surtout aux conseils pusillanimes de Berthier et de Ney, de lui avoir fait préférer le parti de l’abdication.

Le dessein des conjurés de Turin reposait sur les mêmes bases que celui des Carbonari. Que demandaient ces derniers ? L’union en un seul peuple de tous les peuples de l’Italie, depuis les bouches du Cattaro jusqu’aux Alpes. Il n’y avait de différence entre les Carbonari et les associés du Congrès constitutif que dans les moyens d’action.

Au mois d’octobre suivant, Napoléon disait, entre autres choses, à deux membres du Congrès italien :

« Sous mon règne, l’antique majesté du peuple-roi s’alliera à la civilisation moderne de mon premier empire ; et Rome égalera Paris, sans cesser d’être à la hauteur de ses immenses souvenirs, qu’elle associera à la force d’institution de Lacédémone et à l’atticisme d’Athènes. J’ai été en France le colosse de la guerre, je deviendrai en Italie, le colosse de la paix. »

À la fin de 4814 et encore au mois de janvier 1815, Napoléon était dans cet ordre d’idées ; on n’attendait plus, pour éclater, que la rupture entre les cabinets de Naples et de Paris fut officiellement déclarée, et le moment semblait en être prochain10. Car si d’un côté, Louis XVIII faisait marcher des régiments français vers la frontière du Piémont, de l’autre côté, Murat faisait répandre le bruit dans son armée qu’il ne tarderait pas à diriger ses troupes sur Paris.

Mais alors, au commencement de 4 815, Napoléon apprit qu’on avait, au congrès de Vienne, agité la question de l’enlever de force de l’île d’Elbe, pour le transporter ensuite à Sainte-Hélène ; il apprit aussi que le gouvernement royal commençait à faire des fautes graves, que les émigrés, par leurs prétentions extravagantes, semblaient traiter la France en pays conquis, ce qui avait singulièrement indisposé contre eux la masse de la nation. Il savait fort bien que l’armée ne s’était séparée de lui qu’à regret et par violence, et qu’enfin tous les mécontents étaient disposés à embrasser sa cause à la première occasion qui se présenterait ; il lui était permis de croire que les signataires de la Sainte-Alliance, ayant maintenant des intérêts différents à soutenir, n’étant plus si étroitement unis entre eux, qu’il lui serait probablement facile de déterminer l’Autriche à se séparer de la coalition. Entraîné par ces diverses considérations, il forma le projet hardi de rentrer en France. Par ses ordres, on achète des munitions de guerre à Naples, des armes à Alger, des vaisseaux de transport à Gênes, et le 26 février 4815, à huit heures du soir, il s’embarqua avec 1.100 hommes, dont 600 de sa garde, 200 chasseurs corses, 200 hommes d’infanterie et 100 chevau-légers polonais.



4. Les ducs de Vicence, d’Elchingen, de Tarente.
5. Cet article a été violé.
6. Cet article a été violé. L’impératrice n’a possédé que le duché de Parme.
7. Cet article a été également violé. Non seulement les Bonaparte n’ont rien reçu, mais on leur a confisqué leurs biens de France et d’Italie.
8. Mémoires de Napoléon, etc., par madame la veuve du général Durand ; Paris, 1828, p. 254 et 255.
9. Ce congrès était composé de deux Corses, deux Génois, quatre Piémontais, deux Italiens du royaume d’Italie, et quatre des États romains et des Deux-Siciles.
10. La mésintelligence entre les deux cours était patente ; elle se manifestait jusque dans les plus petites choses. L’Almanach royal de Paris offrait, au tableau des souverains étrangers, à l’article Naples, un renvoi a celui de Sicile ; tandis que le roi Joachim, usant de représailles ou de réciprocité, faisait imprimer à l’article France, voyez île d’Elbe.

XII. Retour en France. — Mont Saint-Jean. — Seconde abdication.[modifier]

Généralement on croyait, sur la flottille, que l’Italie était le but de l’expédition ; mais après une heure de navigation, s’adressant aux grenadiers : « Nous allons en France, leur dit-il, nous allons à Paris. » Le cri de Vive la France ! vive Napoléon ! se fit entendre avec une force inexprimable. Pendant la traversée, le brick que montait Napoléon fut accosté par le Zéphir, vaisseau de guerre français qui lui demanda des nouvelles de l’Empereur ; Napoléon lui-même répondit avec le porte-voix qu’il se portait bien. Le 28, la journée fut employée à copier des proclamations ; enfin le 1er mars, à cinq heures du matin, Napoléon et sa troupe mirent pied sur le territoire français, dans le golfe Juan : son bivouac fut établi dans une plantation d’oliviers : Beau présage, dit-il ; puisse-t-il se réaliser.

À onze heures du soir, la petite armée se mit en marche. Les Polonais, a pied, portaient sur leur dos l’équipement des chevaux qu’ils n’avaient pas. Napoléon coucha le 4 à Digne, le 5 à Gap ; ce fut dans cette dernière ville qu’il fit imprimer les proclamations qu’il avait dictées à bord, le 28 février. Voici le texte du premier de ces actes :

« Français !

« La défection du duc de Castiglione livra Lyon sans défense à nos ennemis ; l’armée dont je lui avais confié le commandement était, par le nombre de ses bataillons, la bravoure et le patriotisme des troupes qui la composaient, à même de battre le corps d’armée autrichien qui lui était opposé, et d’arriver sur les derrières du flanc gauche de l’armée ennemie qui menaçait Paris.

« Les victoires, de Champ-Aubert, de Montmirail, de Château-Thierry, de Vauchamp, de Mormans, de Montereau, de Craonne, de Reims, d’Arcis-sur-Aube et de Saint-Dizier, l’insurrection des braves paysans de la Lorraine, de la Champagne, de la Franche-Comté et de la Bourgogne, et la position que j’avais prise sur les derrières de l’armée ennemie en la séparant de ses magasins, de ses parcs de réserve, de ses convois et de tous ses équipages, l’avaient placée dans une situation désespérée. Les Français ne furent jamais sur le point d’être plus puissants, et l’élite de l’armée ennemie était perdue sans ressource ; elle eût trouvé son tombeau dans ces vastes contrées qu’elle avait si impitoyablement saccagées, lorsque la trahison du duc de Raguse livra la capitale et désorganisa l’armée. La conduite inattendue de ces deux généraux qui trahirent à la fois leur patrie, leur prince et leur bienfaiteur, changea le destin de la guerre. La situation désastreuse de l’ennemi était telle qu’à la fin de l’affaire qui eut lieu devant Paris, il était sans munitions, par la séparation de ses parcs de réserve.

« Dans ces nouvelles et grandes circonstances, mon cœur fut déchiré ; mais mon âme resta inébranlable. Je ne consultai que l’intérêt de la patrie ; je m’exilai sur un rocher au milieu des mers : ma vie vous était et devait encore vous être utile, je ne permis pas que le grand nombre de citoyens qui voulaient m’accompagner partageassent mon sort ; je crus leur présence utile à la France, et je n’emmenai avec moi qu’une poignée de braves nécessaires à ma garde.

« Élevé au trône par votre choix, tout ce qui a été fait sans vous est illégitime. Depuis vingt-cinq ans la France a de nouveaux intérêts, de nouvelles institutions, une nouvelle gloire qui ne peuvent être garanties que par un gouvernement national et par une dynastie née dans ces nouvelles circonstances. Un prince qui régnerait sur vous, qui serait assis sur mon trône par la force des mêmes armées qui ont ravagé notre territoire, chercherait en vain à s’étayer des principes du droit féodal ; il ne pourrait assurer l’honneur et les droits que d’un petit nombre d’individus ennemis du peuple, qui depuis vingt-cinq ans les a condamnés dans toutes nos assemblées nationales. Votre tranquillité intérieure et votre considération extérieure seraient perdues à jamais.

« Français ! dans mon exil, j’ai entendu vos plaintes et vos vœux ; vous réclamez ce gouvernement de votre choix qui seul est légitime. Vous accusiez mon long sommeil, vous me reprochiez de sacrifier à mon repos les grands intérêts de la patrie.

« J’ai traversé les mers au milieu des périls de toute espèce, j’arrive parmi vous, reprendre mes droits qui sont les vôtres. Tout ce que des individus ont fait, écrit ou dit depuis la prise de Paris, je l’ignorerai toujours ; cela n’influera en rien sur le souvenir que je conserve des services importants qu’ils ont rendus, car il est des événements d’une telle nature qu’ils sont au-dessus de l’organisation humaine.

« Français ! il n’est aucune nation, quelque petite qu’elle soit, qui n’ait eu le droit de se soustraire et ne se soit soustraite au déshonneur d’obéir à un prince imposé par un ennemi momentanément victorieux. Lorsque Charles VII rentra à Paris et renversa le trône éphémère de Henri VI, il reconnut tenir son trône de la vaillance de ses braves et non d’un prince régent d’Angleterre.

« C’est aussi à vous seuls, et aux braves de l’armée, que je fais et ferai toujours gloire de tout devoir. »

Le 6, Napoléon partit de Gap pour Grenoble ; avant de parvenir aux murs de cette ville, un bataillon de la garnison qu’on envoyait pour le combattre vint à sa rencontre. Napoléon alla le reconnaître, et lui envoya un officier pour parlementer ; celui-ci ne fut pas écouté : « On m’a trompé »,dit l’Empereur à Bertrand. « N’importe, en avant ! » Et mettant pied à terre, il découvre sa poitrine : « S’il est parmi vous, dit-il aux soldats de Grenoble, s’il en est un seul qui veuille tuer son général, son Empereur, il le peut, le voici. » Les soldats répondirent par des cris de Vive l’Empereur ! dès ce moment, son triomphe fut assuré. Le lendemain, le colonel Labédoyère lui amena le 7e de ligne, et le soir du même jour, il fit sou entrée à Grenoble. Les portes de cette ville étaient fermées par ordre du général Marchand ; les habitants les brisèrent, et dirent à Napoléon : « Tenez, au défaut des clés de votre bonne ville, en voici les portes. » — « Tout est décidé maintenant, dit Napoléon à ses officiers, tout est décidé, nous allons à Paris. » Le lendemain, 8 mars, il fut complimenté en qualité d’Empereur par toutes les autorités civiles, militaires, ecclésiastiques dé la ville. Il leur dit dans ses réponses que ses droits n’étaient autres que ceux du peuple, qu’il venait les reprendre, non pour régner, ne faisant aucun cas du trône, ni pour se venger ; qu’il faut oublier que les Français ont été les maîtres du monde, qu’il ne veut régner que pour rendre la France libre, heureuse.

Avant de quitter Grenoble, il passe là garnison en revue, et publie un décret par lequel il ordonne qu’à dater du 15 mars, tous les actes publics seront faits et la justice rendue en son nom.

Le 10, à sept heures du soir, il fit son entrée dans Lyon, amenant avec lui 8.000 hommes de troupes de ligne et 30 canons ; il descendit au palais de l’archevêché, que Monsieur (Comte d’Artois), venait de quitter. On sait que ce prince ne fut accompagné dans sa fuite de Lyon que par un seul garde national à cheval. Napoléon voulait être gardé par la milice bourgeoise à pied, et il dit à la garde à cheval qui s’était présentée : « Je vous remercie de vos services. Nos institutions ne reconnaissent point de gardes nationales à cheval ; et d’ailleurs, votre conduite envers M. le comte d’Artois m’apprend ce que vous feriez si la fortune venait à m’abandonner ; je ne vous soumettrai pas à cette nouvelle épreuve. » Et immédiatement il fit appeler le cavalier qui avait escorté le prince, et lui dit : « Je n’ai jamais laissé une belle action sans récompense ; je vous donne ce la croix de la Légion d’honneur. »

À Lyon, il s’annonce sans détour comme le souverain de la France : « Puisque, disait-il, j’ai repris le gouvernement, il ne doit plus y avoir d’autre autorité que la mienne ; il faut qu’on sache, dès à présent, que c’est à moi seul qu’on doit obéir. » Alors, il dicta ces fameux décrets de Lyon, dont voici la substance.

« La Chambre des Pairs est dissoute ; les collèges électoraux des départements seront réunis à Paris dans le courant du mois de mai prochain, en assemblée extraordinaire du Champ-de-Mai, afin de prendre les mesures convenables pour corriger, modifier nos institutions selon l’intérêt et la volonté de la nation, et, en même temps, pour assister au couronnement de l’impératrice, notre bien-aimée épouse, et de celui de notre bien-aimé fils. — Tous les émigrés qui n’ont pas été rayés, amnistiés ou éliminés par nous, ou par les gouvernements qui nous ont précédé, et qui sont rentrés en France depuis le 1er janvier 1814, sortiront sur-le-champ du territoire de l’Empire. Les émigrés qui, quinze jours après la publication du présent décret, se trouveront sur le territoire de l’Empire, seront arrêtés et jugés conformément aux lois décrétées par nos assemblées nationales. Le séquestre sera mis sur leurs biens, meublés et immeubles. La noblesse est abolie, et les lois de l’Assemblée constituante seront mises en vigueur. Les titres féodaux seront supprimés. Les lois de nos assemblées seront mises en vigueur. Les individus qui ont obtenu de nous des titres nationaux, comme récompense nationale, et dont les lettres patentes ont été vérifiées au Conseil du sceau des titres, continueront à les porter : nous nous réservons de donner des titres aux descendants des hommes qui ont illustré le nom français dans les différents siècles. Tous les généraux et officiers de terre et de mer, dans quelque grade que ce soit, qui ont été introduits dans nos armées depuis le 1er avril 1814, cesseront sur-le-champ leurs fonctions, quitteront les marques de leur grade et se rendront au lieu de leur domicile. — Tous les changements arbitraires opérés dans nos cours et tribunaux inférieurs sont nuls et non avenus. »

On ne fera pas ici mention des arrêts et proclamations que le gouvernement de Louis XVIII lança contre Napoléon. On sait que toutes ces pièces furent tout à fait impuissantes, même pour retarder d’un jour la marche de l’usurpateur qu’on avait mis hors la loi, invitant tout le monde à lui courir sus.

Le 13, Napoléon fit ses adieux aux Lyonnais : « Au moment de quitter votre ville, leur dit-il, pour me rendre dans ma capitale, j’éprouve le besoin de vous faire connaître les sentiments que vous m’avez inspirés ; vous avez toujours été au premier rang dans mes affections ; dans des moments plus tranquilles, je viendrai pour m’occuper de vos manufactures et de votre ville. Lyonnais, je vous aime. »

Le même jour, les huit puissances signataires du traité de Paris, réunies au congrès de Vienne font la déclaration suivante :

« En rompant la convention qui l’avait établi à l’île d’Elbe, Bonaparte détruit le seul titre légal auquel son existence se trouvait attachée. En reparaissant en France, avec des projets de trouble et de bouleversement, il s’est privé lui-même de la protection des lois, et a manifesté à la face de l’univers qu’il ne saurait y avoir ni paix ni trêve avec lui. Les puissances déclarent, en conséquence que Napoléon Bonaparte s’est placé hors des relations civiles et sociales, et que, comme ennemi et perturbateur du repos du monde, il s’est livré à la vindicte publique ; elles déclarent en même temps que, fermement résolues de maintenir intact le traité de paix du 30 mai 1814, et les dispositions sanctionnées par ce traité et celles qu’elles ont arrêtées ou arrêteront encore pour le compléter et le consolider, elles emploieront tous les moyens et réuniront tous leurs efforts pour que la paix générale, objet des vœux de l’Europe, et vœu constant de leurs travaux, ne soit pas troublée de nouveau. »

Le 14, Napoléon coucha à Châlons ; le lendemain, il apprit dans cette ville la défection du maréchal Ney, qui venait de passer sous ses drapeaux, après avoir lu la lettre qu’il lui avait fait écrire par Bertrand.

Le 19 mars, à minuit, le roi quitte le château des Tuileries, et le 20, à neuf heures du soir, Napoléon prend possession de ce palais. Le départ de Louis XVIII fut si précipité qu’il n’eut pas le temps d’emporter les papiers qui lui étaient personnels : Napoléon eut un moment la pensée de les faire imprimer ; mais il ordonna à son secrétaire de les brûler. Un de ses valets de chambre ayant osé placer sur la cheminée des caricatures injurieuses aux Bourbons, l’Empereur les jeta au feu, et lui ordonna sévèrement de ne plus se permettre à l’avenir de semblables impertinences.

Le 22, l’Empereur passa en revue le corps d’armée qui avait été sous le commandement du duc de Berri ; au moment où le général Cambronne et le bataillon de l’Ile d’Elbe, parurent avec leurs aigles, il prit la parole et dit :

« Soldats, voilà les braves qui m’ont accompagné dans mon malheur, ils sont tous mes amis ; toutes les fois que je les voyais, ils me représentaient les différents régiments de l’armée ; en les aimant, c’est vous tous, soldats de l’armée française que j’aimais. Ils vous rapportent ces aigles ; jurez qu’elles se trouveront partout où l’intérêt de la patrie les appellera. Que les traîtres et ceux qui voudraient envahir notre territoire n’en puissent jamais soutenir les regards. »

Les troupes répondirent avec enthousiasme : Nous le jurons !

Madame la duchesse d’Orléans douairière qui s’était cassé la cuisse, et madame la duchesse de Bourbon, sa tante, n’avaient point suivi la famille royale. Napoléon, instruit de l’embarras de leur position, ordonna de payer annuellement, à la première de ces princesses, sur le trésor, une pension de 300.000fr., et à madame la duchesse de Bourbon, la moitié de cette somme.

Les troupes impériales ayant amené M. le duc d’Angoulême à signer une capitulation par laquelle il licenciait son armée et promettait d’aller s’embarquer à Cette, le général Grouchy ne crut pas devoir exécuter la convention sans consulter l’Empereur ; il en reçut cette réponse :

« M. le comte Grouchy, l’ordonnance du roi en date du 6 mars, et la déclaration signée à Vienne, le 13, par ses ministres11, pourraient m’autoriser à traiter le duc d’Angoulême comme cette ordonnance et cette déclaration voulaient qu’on me traitât, moi et ma famille ; mais, constant dans les dispositions qui m’avaient porté à ordonner que les membres de la famille des Bourbons pussent sortir librement de la France, mon intention est que vous donniez des ordres pour que le duc d’Angoulême soit conduit à Cette, où il sera embarqué, et que vous veilliez à sa sûreté et à écarter de sa personne tout mauvais traitement.

Le 25 mars, un traité est signé à Vienne entre la Russie, l’Autriche, la Prusse et l’Angleterre, par lequel sont confirmés les principes de celui de Chaumont. Les puissances contractantes s’engagent à fournir d’abord chacune 130.000 hommes, dont un dixième au moins de cavalerie, et non compris les garnisons des places fortes ; en outre, elles ne poseront les armes, et de concert, qu’après avoir détruit la puissance de Napoléon. Le roi de France adhère à ce traité. La Suède et le Portugal refusent seuls de fournir leur contingent.

Voici la déclaration du conseil d’État qui, le 27 mars, relevait l’Empereur de sa déchéance et annulait son abdication.

« Le conseil d’État, en reprenant ses fonctions, croit devoir faire connaître les principes qui font la règle de ses opinions et de sa conduite.

« La souveraineté réside dans le peuple, il est la seule source du pouvoir.

« En 1789, la nation reconquit ses droits, depuis longtemps usurpés et méconnus.

« L’Assemblée nationale abolit la monarchie féodale, établit une monarchie constitutionnelle et le gouvernement représentatif.

« La résistance des Bourbons aux vœux du peuple amena leur chute et leur bannissement du territoire français.

« Deux fois le peuple consacra par ses actes la nouvelle forme de gouvernement, établie par ses représentants.

« En l’an VIII, Bonaparte, déjà couronné par la victoire, se trouva porté au gouvernement par l’assentiment national ; une constitution créa la magistrature consulaire.

« Le sénatus-consulte du 16 thermidor an X nomma Bonaparte Consul à vie.

« Le sénatus-consulte du 28 floréal an XII conféra à Napoléon la dignité impériale et la rendit héréditaire dans sa famille.

« Ces trois actes solennels furent soumis à l’acceptation du peuple, qui les consacra par près de 4 millions de votes.

« Aussi, pendant vingt-deux ans, les Bourbons avaient cessé de régner en France ; ils y étaient oubliés par leurs contemporains ; étrangers à nos lois, à nos institutions, à nos mœurs, à notre gloire, la génération actuelle ne les connaissait que par le souvenir de la guerre étrangère qu’ils avaient suscitée contre la patrie, et des dissensions intérieures qu’ils avaient allumées.

« En 1814, la France fut envahie par les armées ennemies et la capitale occupée. L’étranger créa un prétendu gouvernement provisoire. Il assembla la minorité des Sénateurs, et les força, contre leur mission et contre leur volonté, à détruire les constitutions existantes, à renverser le trône impérial, et à rappeler la famille des Bourbons.

« Le Sénat qui n’avait été institué que pour conserver les constitutions de l’Empire, reconnut lui-même qu’il n’avait point le pouvoir de les changer. Il décréta que le projet de constitution qu’il avait préparé serait soumis à l’acceptation du peuple, et que Louis-Stanislas-Xavier serait proclamé roi des Français aussitôt qu’il aurait accepté la constitution et juré de l’observer et de la faire observer.

« L’abdication de l’empereur Napoléon ne fut que le résultat de la situation malheureuse où la France et l’Empereur avaient été réduits par les événements de la guerre, par la trahison et par l’occupation de la capitale. L’abdication n’eut pour objet que d’éviter la guerre civile et l’effusion du sang français. Non consacré par le peuple, cet acte ne pouvait détruire le contrat solennel qui s’était formé entre lui et l’Empereur ; et quand Napoléon aurait pu abdiquer personnellement la couronne, il n’aurait pu sacrifier les droits de son fils, appelé à régner après lui.

« Cependant un Bourbon fut nommé lieutenant-général du royaume, et prit les rênes du gouvernement.

« Louis-Stanislas-Xavier arriva en France ; il fit son entrée dans la capitale ; il s’empara du trône d’après l’ordre établi dans l’ancienne monarchie féodale.

« Il n’avait point accepté la constitution dictée par le sénat ; il n’avait pas juré de l’observer et de la faire observer ; elle n’avait point été envoyée à l’acceptation du peuple ; le peuple, subjugué par la présence des armées étrangères, ne pouvait pas même exprimer librement ni valablement son vœu.

« Sous leur protection, après avoir remercié un prince étranger de l’avoir fait monter sur le trône, Louis-Stanislas-Xavier data le premier acte de son autorité de la 19e année de son règne, déclarant ainsi que les actes émanés de la volonté du peuple n’étaient que le produit d’une longue révolte ; il accorda volontairement, et par le libre arbitre de son autorité royale, une Charte constitutionnelle, appelée ordonnance de réformation ; et pour toute sanction, il la fit lire en présence d’un nouveau corps qu’il venait de créer et d’une réunion de députés qui n’étaient pas libres, qui ne l’accepta point, dont aucun n’avait caractère pour consentir à ce changement, et dont les deux cinquièmes n’avaient même plus le caractère de représentant.

« Tous ces actes sont donc illégaux. Faits en présence des anciens ennemis et sous la domination étrangère, ils ne sont que l’ouvrage de la violence. Ils sont essentiellement nuls et attentatoires à l’honneur, à la liberté et aux droits du peuple.

« Les adhésions, données par des individus et par des fonctionnaires sans mission, n’ont pu ni anéantir, ni suppléer le consentement du peuple, exprimé par des votes solennellement provoqués et légalement émis.

« Si ces adhésions, ainsi que les serments, avaient jamais pu même être obligatoires pour ceux qui les ont faits, ils auraient cessé de l’être dès que le gouvernement qui les a reçus a cessé d’exister.

« La conduite des citoyens qui, sous ce gouvernement, ont servi l’État, ne peut être blâmée ; ils sont même dignes d’éloges, ceux qui n’ont profité de leur position que pour défendre les intérêts nationaux, et s’opposer à l’esprit de réaction et de contre-révolution qui désolait la France.

« Les Bourbons eux-mêmes avaient constamment violé leurs promesses ; ils favorisèrent les prétentions de la noblesse féodale ; ils ébranlèrent les ventes des tiens nationaux de toutes les origines ; ils préparèrent le rétablissement des droits féodaux et des dîmes ; ils menacèrent toutes les existences nouvelles ; ils déclarèrent la guerre à toutes les opinions libérales ; ils attaquèrent toutes les institutions que la France avait acquises au prix de son sang, aimant mieux humilier la nation que de s’unir à sa gloire ; ils dépouillèrent la Légion d’honneur de sa dotation et de ses droits politiques ; ils en prodiguèrent la décoration pour l’avilir ; ils enlevèrent à l’armée, aux braves leur solde, leurs grades et leurs honneurs pour les donner à des émigrés, à des chefs de révolte ; ils voulurent enfin, régner et opprimer le peuple par l’émigration.

« Profondément affectée de son humiliation et de ses malheurs, la France appelait de tous ses vœux son gouvernement national, la dynastie liée à ses nouveaux intérêts, à ses nouvelles institutions.

« Lorsque l’Empereur approchait de la capitale, les Bourbons ont en vain voulu réparer, par des lois improvisées et des serments tardifs à leur charte constitutionnelle, les outrages faits à la nation, à l’armée. Le temps des illusions était passé, la confiance était aliénée pour jamais. Aucun bras ne s’est armé pour leur défense ; la nation et l’armée ont volé au-devant de leur libérateur.

« L’Empereur, en remontant sur le trône où le peuple l’avait appelé, rétablit donc le peuple dans ses droits les plus sacrés. Il ne fait que rappeler à leur exécution les décrets des assemblées représentatives sanctionnés par la nation ; il revient régner par le seul principe de légitimité que la France ait reconnu et consacré depuis vingt-cinq ans, et auquel toutes les autorités s’étaient liées par des serments dont la volonté du peuple aurait pu seule les dégager.

« L’Empereur est appelé à garantir de nouveau, par des institutions (et il en a pris l’engagement dans ses proclamations à la nation et à l’armée), tous les principes libéraux, la liberté individuelle et l’égalité des droits, la liberté de la presse et l’abolition de la censure, la liberté des cultes, le vote des contributions et des lois par les représentants de la nation légalement élus, les propriétés nationales de toute origine, l’indépendance et l’inamovibilité des tribunaux, la responsabilité des ministres et de tous les agents du pouvoir.

« Pour mieux consacrer les droits et les obligations du peuple et du monarque, les institutions nationales doivent être revues dans une grande assemblée de ses représentants, déjà annoncée par l’Empereur.

« Jusqu’à la réunion de cette grande Assemblée représentative, l’Empereur doit exercer et faire exercer, conformément aux constitutions et aux lois existantes, le pouvoir qu’elles lui ont délégué, qui n’a pu lui être enlevé, qu’il n’a pu abdiquer sans l’assentiment de la nation que le vœu et l’intérêt général du peuple français lui font un devoir de reprendre.

« Comte DEFERMONT, comte REGMAUD DE SAINT-JEAN-D’ANGELY, comte BOULAY, comte ANDRÉOSSI, comte DARU, comte THIBAUDEAU, comte MORET, baron DE POMMEREUL, comte NAJAC, comte JOLLIVET, comte BERLIER, comte MIOT, comte DUCHATEL, comte DUMAS, comte DULAULOY, comte PELET (de la Lozère), comte FRANÇOIS, comte DE LAS-CASES, baron COSTAZ, baron MARCHAND, comte JOUBERT, comte LAVALLETTE, comte RÉAL, GILBERT DE VOISINS, baron QUINETTE, comte MERLIN, chevalier JAUBERT, baron BELLEVILLE, baron D’ALPHONSE, baron FÉLIX, baron MERLET, Charles MAILLARD, GASSON, comte DELABORDE, baron FINOT, baron JANET, baron DE PRÉVAL, baron FAIN, baron CHAMPY, C.-D. LACUÉE, baron FREVILLE, baron PELET, comte DE BONDY, chevalier BRUYÈRE.
« Le comte DEFERMONT.
« Le secrétaire général du Conseil d’État,
« Baron LOCRÉ. »

Malgré la déclaration de Vienne, du 13 mars, et le traité du 23, Napoléon n’avait pas désespéré d’amener les alliés ou du moins quelques-uns d’entre eux à un accommodement : en conséquence il adressa, le 4 avril, la lettre suivante aux souverains :

« Monsieur mon frère,

« Vous aurez appris, dans le cours du mois dernier, mon retour sur les côtes de France, mon entrée à Paris, et le départ de la famille des Bourbons. La véritable nature de ces événements doit maintenant être connue de Votre Majesté. Ils sont l’ouvrage d’une irrésistible puissance, l’ouvrage de la volonté unanime d’une grande nation qui connaît ses devoirs et ses droits. La dynastie que la force avait rendue au peuple français n’était plus faite pour lui ; les Bourbons n’ont voulu s’associer ni à ses sentiments, ni à ses mœurs ; la France a dû se séparer d’eux. Sa voix appelait un libérateur. L’attente, qui m’avait décidé au plus grand des sacrifices avait été trompée ; je suis venu, et du point où j’ai touché le rivage, l’amour de mes peuples m’a porté jusqu’au sein de ma capitale. Le premier besoin de mon cœur est de payer tant d’affection par le maintien d’une honorable tranquillité. Le rétablissement du trône impérial était nécessaire au bonheur des Français. Ma plus douce pensée est de le rendre en même temps utile au repos de l’Europe. Assez de gloire a illustré tour à tour les drapeaux de diverses nations ; les vicissitudes du sort ont assez fait succéder de grands revers à de grands succès. Une plus belle arène est aujourd’hui ouverte aux souverains, et je suis le premier à y descendre. Après avoir présenté au monde le spectacle de grands combats, il sera plus doux de ne connaître désormais d’autre rivalité que celle des avantages de la paix, d’autre lutte que la lutte sainte de la félicité des peuples. La France se plaît à proclamer avec franchise ce noble but de tous ses buts. Jalouse de son indépendance, le principe invariable de sa politique sera le respect le plus absolu pour l’indépendance des autres nations. Si tels sont, comme j’en ai l’heureuse confiance, les sentiments personnels de Votre Majesté, le calme général est assuré pour longtemps, et la justice, assise aux confins des divers États, suffira pour en garder les frontières.

« Je saisis avec empressement, etc., etc. »

Les alliés inébranlables dans la résolution qu’ils avaient prise, gardèrent le silence sur cette lettre. Qu’auraient-ils pu répondre à des sentiments si dignement exprimés ?

Napoléon ne dut plus voir d’autre salut pour lui que dans la guerre. Il s’y était déjà préparé. Depuis son retour, huit armées s’étaient formées, sous les noms d’armées du Nord, de la Moselle, du Rhin, du Jura, des Alpes, des Pyrénées, de Paris, de Laon ; 150 batteries étaient disponibles ; on organisait des corps francs et des partisans. La levée en masse des sept départements frontières du Nord et de l’Est était résolue et prête ; les places fortes étaient bien approvisionnées, les défilés étaient gardés, la France enfin pouvait se croire capable de défier, de soutenir et même de repousser les efforts de l’Europe coalisée. Napoléon avait restitué aux régiments ces beaux surnoms d’Invincible, de Terrible, d’Incomparable, qu’ils brûlaient de mériter toujours. L’armée comptait 200.000 hommes. La garde nationale, composée de 3.130 bataillons, dont 1.500 compagnies de chasseurs et de grenadiers, formant 180.000 hommes, fut mise à la disposition du ministre de la guerre.

Cependant, le 12 mai, un rapport est publié à Vienne, par ordre du Congrès, dans lequel il est dit que les puissances ne se croient pas autorisées à imposer un gouvernement à la France ; et elles ne cessent d’armer en faveur des Bourbons.

Le 27 mai, les souverains d’Autriche, de Prusse et de Russie, quittent Vienne pour aller se mettre à la tête de leurs armées, qui sont en pleine marche sur la France.

Le 1er juin eut lieu la réunion dite du Champ-de-Mai ; le service divin fut célébré sur un autel immense, élevé au milieu du Champ-de-Mars. On remarqua l’attitude de Napoléon pendant la cérémonie, elle avait toutes les marques dé la grandeur et du triomphe. Après avoir répondu au discours de l’orateur de la députation des électeurs des départements, Napoléon prêta serment sur l’Évangile aux constitutions de l’Empire et à leur observation ; il reçut le serment de fidélité du peuple par les électeurs.

Le 7 juin, Napoléon fait l’ouverture des Chambres ; à cette occasion, il prononça un discours, dont voici quelques passages :

« Aujourd’hui s’accomplit le désir le plus pressant de mon cœur : je viens commencer la monarchie constitutionnelle. La monarchie est nécessaire en France pour garantir la liberté, l’indépendance et les droits du peuple. J’ambitionne de voir la France jouir de toutes les libertés possibles ; je dis possibles, parce que l’anarchie ramène toujours un gouvernement absolu. L’armée et moi, nous ferons notre devoir. Vous, Pairs et Représentants, donnez à la nation l’exemple de la confiance ; de l’énergie et du patriotisme ; et comme le Sénat du grand peuple de l’antiquité, soyez décidés à mourir plutôt que de survivre au déshonneur et à la dégradation de la France. La cause sainte de la patrie triomphera. »

Deux jours après, dans ses réponses. aux adresses des deux Chambres, il disait aux Pairs :

« La lutte dans laquelle nous sommes engagés est sérieuse ; l’entraînement de la postérité n’est pas le danger qui nous menace aujourd’hui. C’est sous les fourches Caudines que les étrangers veulent nous faire passer. C’est dans les temps difficiles que les grandes nations, comme les grands hommes, déploient toute l’énergie de leur caractère, et deviennent un objet d’admiration pour la postérité. »

Il dit aux Représentants :

« La constitution est notre point de ralliement ; elle doit être notre étoile polaire dans ces moments d’orage. Toute discussion publique qui tendrait directement ou indirectement à diminuer la confiance qu’on doit avoir dans ses dispositions, serait un malheur pour l’État. N’imitons pas l’exemple du Bas-Empire, qui, pressé de tous côtés par les Barbares, se rendit la risée de la postérité en s’occupant de discussions abstraites au moment où le bélier brisait les portes de la ville. Dans les affaires, ma marche sera toujours droite et ferme. Aidez-moi à sauver la patrie. »


Situation et nombre despuissances liguées contre la France.


Bien des gens ont accusé Napoléon de témérité, lorsqu’en 1815, quittant l’île d’Elbe, il remonta sur son trône avec la ferme espérance de s’y maintenir malgré la coalition, dont les armées réunies pouvaient être le triple ou le quadruple de celles qu’il lui était possible de leur opposer ; mais Napoléon avait si bien calculé les distances et les temps, qu’il était certain de rencontrer ses adversaires, presqu’à forces égales, sur tous les champs de bataille. Son habileté doit rétablir partout l’équilibre, et toutes les probabilités de la victoire sont en face des Français.

En effet, dès le mois d’avril 1815, les armées russes repassent le Niémen, celles de la Prusse et de l’Autriche sont en partie sur le pied de paix. La plupart des corps prussiens occupent la rive droite de l’Elbe, et une bonne partie de l’armée autrichienne tient garnison dans le royaume de Naples. Les Anglais ont la moitié de leurs forces en Amérique.

Ainsi, l’on calculait que les armées de la Russie, de l’Autriche, de la Prusse et de l’Angleterre, ne pouvaient être complétées chacune à 150.000 hommes (suivant les conventions faites entre ces puissances), et rendues sur les frontières de la France, que vers la fin du mois de juillet. L’armée anglaise, renforcée de celle de Hanovre, ne pouvait compter que 80.000 hommes. Les contingents de Hollande et Belgique, de Nassau, de Danemarck, des maisons de Saxe, de Bavière, de Hesse, de Bade, de Wurtemberg, devaient se fondre dans les années des quatre grandes puissances.

Au commencement de juin il n’y avait que les armées des généraux Blücher et Wellington qui fussent en mesure de se battre ; elles présentaient une force disponible de 200.000 hommes. Les forces combinées contre la France, d’après les documents officiels, s’élevaient aux chiffres suivants :

  • Autrichiens en Italie. . . . . . . . 159.000
  • Autrichiens sur le Haut-Rhin. .150.000
  • Russes en-deçà de l’Oder et en

marche sur le Rhin. . . . . . . . 280.000

  • Prussiens. . . . . . . . . . . . . . . . 220.000
  • États d’Allemagne. . . . . . . . . . 150.000
  • Hollande. . . . . . . . . . . . . . . . . 50.000
  • Grande-Bretagne. . . . . . . . . . . .59.000
  • Total : . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.068.000

Dans la nuit du 12 juin, l’Empereur partit pour l’armée rassemblée sur la frontière du nord de la France.

Napoléon avait formé trois plans de campagne : il s’arrêta au troisième, d’après lequel il devait, le 15 juin, attaquer les deux armées anglaise et prussienne, les séparer, les battre l’une après l’autre, et en cas de revers se retirer sur Paris et sous Lyon.


Situation des armées françaises en avril, mai, juin. — Préparatifs de défense.


En mai, la France comptait 105 régiments d’infanterie, dont l’effectif, l’un portant l’autre, montait à 900 hommes, dont les deux tiers étaient présents sous les armes ; toute l’infanterie présentait donc 80.000 hommes disponibles. Le génie présentait trois régiments chacun de deux mille hommes ; l’artillerie avait 8 régiments à pied et 4 à cheval, ces derniers avaient tout au plus 100 canonniers montés. Les bataillons du train ne comptaient pour ainsi dire que des cadres et ne disposaient que d’un très-petit nombre de chevaux de trait. Le personnel de l’artillerie et du génie était encore suffisant pour les plus grandes armées. Le matériel, malgré les pertes éprouvées les années précédentes, pouvait suffire pendant plusieurs campagnes. Les magasins contenaient 150.000 fusils neufs et 300.000 tant en pièces de rechange qu’en fusils à réparer.

La cavalerie était dans le plus mauvais état. Réduite à 57 régiments, dont

2 de carabiniers,
12 de cuirassiers,
30 de dragons et chasseurs,
6 de lanciers,
7 de hussards,

elle ne pouvait pas monter 14.000 hommes. Tous les régiments et leurs dépôts formaient au plus 17.000 chevaux.

L’armée était généralement mal vêtue. Il n’y avait pas une aune de drap dans les magasins.

L’Empereur appela sous les drapeaux tous les hommes en congé, tous les anciens militaires et la conscription de 1815. On leva 200 bataillons de garde nationale, ce qui donna une force de 120.000 hommes. L’organisation de 6.000 canonniers garde-côtes, et la création de 20 régiments d’infanterie de marine furent ordonnées ; la cavalerie fut renforcée par 12.000 chevaux pris et payés comptant à la Gendarmerie.

En juin, l’armée de terre comptait :

Infanterie 225.000, dont 120.000 en état d’agir.
Cavalerie 50.000, dont 30.000 en état d’agir.
Artillerie 6 à 700 bouches à feu.

Un grand nombre d’ateliers d’armes, établis dans Paris, fournissaient 1.500 fusils par jour, et, avant le 1er juillet, ils devaient en livrer de 3 à 4.000. Toutes les manufactures d’armes de l’Empire avaient doublé leurs produits.

La défense de toutes les places une fois assurée, Paris et Lyon furent choisis comme grands centres de résistance. On réunit, dans la première de ces villes, 400 pièces de campagne et 300 de gros calibre, et, à Lyon, un équipage de 100 bouches à feu de gros calibre et 100 d’artillerie de campagne.

On ne peut reprocher ni à l’Empereur, ni aux ministres, ni à la nation, aucun retard ; tout se fit comme par enchantement.

Le 14 juin au soir, Napoléon fait publier un ordre du jour dans lequel il emploie tous les moyens oratoires pour exciter l’ardeur et le courage de ses soldats, leur rappelant leurs anciennes victoires, leur supériorité sur des ennemis qu’ils avaient battus tant de fois, les dangers qui menaçaient la patrie.

Ayant calculé, avec sa sagacité ordinaire, qu’il faudrait deux jours aux armées anglaise et prussienne pour opérer leur jonction, la première ayant son quartier général à Bruxelles, et la seconde le sien à Namur, il fit ses dispositions, le 15, à la pointe du jour, pour tomber sur les Prussiens. Attaqué par trois colonnes, Blücher fut vivement repoussé avec perte de quelques milliers d’hommes. Charleroi fut pris, et dans la nuit du 15 au 16, toute l’armée française avait passé la Sambre ; elle bivouaqua entre les deux armées ennemies. Ce succès est d’autant plus remarquable que le lieutenant-général Bourmont, chef d’état-major du 4e corps, aux ordres du général Gérard, avait passé à l’ennemi.

Le 16, le maréchal Ney, qui commandait la gauche, avait reçu ordre d’occuper avec 43.000 hommes, en avant des Quatre-Bras (croisement de quatre chemins), une position sur la route de Bruxelles, en conservant en même temps celle de Nivelle et de Namur. L’inexécution de cet ordre empêcha la bataille de Ligny, sous Fleurus, qui se livra dans la journée, d’être décisive. Elle coûta aux Anglais et aux Prussiens une trentaine de mille hommes. L’acharnement fut tel entre les deux armées ennemies que le village de Ligny fut pris et repris jusqu’à cinq fois.

« Il se peut, disait Napoléon pendant l’action au général Gérard, il se peut, si Ney exécute bien mes ordres, que le sort de la guerre soit décidé dans trois heures. Il ne s’échappera pas un canon de l’armée prussienne. »

La perte de l’ennemi fut évaluée de 8 à 9.000 hommes.

Le 17, à la pointe du jour, le général Pajol se mit à la poursuite des Prussiens dans la direction de Wavres, et prit beaucoup de bagages. Grouchy et Ney n’ayant pas exécuté les ordres de Napoléon aussi promptement qu’ils le devaient, la journée du 17 se passa sans résultats avantageux pour l’armée française.

Le lendemain eut lieu la fameuse bataille de Waterloo, ainsi appelée du nom du village où les Anglais avaient leur quartier général. À dix heures du matin, l’armée française, forte de 69.000 hommes et de 242 pièces de canons, se trouva rangée sur six lignes. L’armée anglo-hollandaise, qui se déploya devant elle comptait 90.000 combattants et 255 pièces de canon.

Napoléon, qui attendait toujours Grouchy, se décida à tourner la gauche de l’ennemi, afin d’offrir un point de jonction, au corps que devait amener ce général. Cependant on apprit par un prisonnier, porteur d’une lettre pour Wellington, qu’un corps d’armée que l’on apercevait à l’horizon, dans la direction de Saint-Lambert, n’était pas celui de Grouchy : c’était l’avant-garde d’un corps de 30.000 hommes, aux ordres du général prussien Bulow. Cette grave circonstance détermina Napoléon à donner 10.000 hommes au comte Lobau pour les opposer à la marche des Prussiens. Il se trouva ainsi réduit à 59.000 hommes sur sa ligne de bataille, tandis que l’armée ennemie recevait un renfort qui la portait à 120.000 combattants, ce qui fit dire par Napoléon au duc de Dalmatie : « Nous avions ce matin quatre-vingt-dix chances pour nous ; l’armée de Bulow nous en fait perdre trente. Si Grouchy arrive à propos, il nous en reste encore soixante contre quarante. »

À midi, l’Empereur donne ordre au maréchal Ney de commencer le feu et de s’emparer de la ferme de la Haye-Sainte et du village de la Haye. Les Anglais, qui défendaient ces positions, foudroyés par 80 bouches à feu, en sont chassés au bout de trois heures, et mis en déroute complète sur la chaussée de Bruxelles.

La victoire était certaine si le général Bulow n’avait pas au même instant opéré une fatale diversion avec ses 30.000 hommes, que le comte Lobau ne put contenir avec les 10.000 qu’il commandait : il fallut lui envoyer du renfort pour le soutenir.

Enfin, à sept heures du soir, les Prussiens sont débordés à leur tour et forcés à la retraite. En même temps, du côté de l’aile opposée sur la droite, les Anglais étaient chassés du champ de bataille, et la droite de Wellington se trouvait aussi débordée. Alors des cris de victoire se font entendre : c’est trop tôt d’une heure, dit Napoléon, cependant il faut soutenir ce qui est fait.

Cependant, Blücher, ayant dérobé sa marche au général Grouchy, accourait en toute hâte, à la tête de 30.000 hommes, au secours de ses alliés ; il eut le bonheur, pour eux, de rencontrer Bulow, qui déjà était en pleine retraite, et d’opérer sa jonction avec l’armée de Wellington, qu’il trouva dans une position désespérée.

Dès lors les Français eurent à combattre contre 150.000 hommes, étant un contre deux et demi ! Le soleil était couché, et néanmoins il fallait livrer une troisième bataille, après avoir combattu sans relâche pendant plus de sept heures consécutives. Blücher, avec quatre divisions, se porte sur le village de la Haye. La seule division française qui le défendait fut culbutée et mise en fuite. C’est, dit-on, à cette occasion, que fut entendu le cri désespérant de sauve qui peut. Dès ce moment, le champ de’bataille fut envahi par la cavalerie ennemie ; l’armée française, disloquée, opéra sa retraite dans le plus affreux désordre, et tout fut consommé.

Napoléon, au désespoir, manifeste hautement là résolution de ne pas survivre à la défaite de son armée ; il met l’épée à la main, et, se plaçant avec son état-major au milieu d’un des carrés de sa garde, il commande le feu. La mort ne veut pas de vous, lui disent les grenadiers qui le pressent de tous côtés, et en même temps ils l’arrachent de cette scène de carnage, et l’entraînent malgré lui hors du champ de bataille.

Les équipages de Napoléon restèrent au pouvoir de l’ennemi. Dans la suite, les Anglais faisaient voir, à Londres, sa voiture à prix d’argent. Dans la nuit du 18 au 19, une sorte de charrette le transporta à Philippeville. Là, il trouva une calèche dans laquelle il monta avec le général Bertrand.

Ainsi finit la journée de Waterloo, la seule grande bataille que les Français aient totalement perdue depuis Louis XIV : car nous fûmes vaincus en Russie par le froid, et non par les hommes, et les batailles de Leipzig permirent une retraite honorable et laissèrent des espérances ; après Waterloo, la puissance de Napoléon ne fut plus qu’une ombre.

« Dans ces combats et les précédents, les soldats français se battirent avec autant de bravoure et de confiance dans la victoire qu’ils en avaient montrées dans les plus belles journées ; mais plusieurs généraux, le maréchal Ney lui-même, n’étaient plus les mêmes hommes : ils n’avaient plus cette énergie ni cette brillante audace qu’ils avaient si souvent déployées autrefois. Ils étaient devenus craintifs et circonspects dans toutes leurs opérations ; leur bravoure personnelle seule leur était restée. Ainsi, le 15, le général Vandamme arriva à Charleroi quatre heures plus tard qu’il ne le devait ; ainsi il s’arrêta avec le maréchal Grouchy à Gilly, au lieu d’attaquer vivement et de se porter sur Fleurus…

« Personne ne peut douter qu’il n’y eût dans l’armée française quelques officiers et quelques hommes éparpillés dans divers régiments qui se plaisaient à exagérer les forces de l’ennemi, à publier à chaque instant qu’on était tourné. On a déjà vu que le 14, le général Bourmont, avec un colonel du génie, avaient passé à l’ennemi, et, pendant la bataille du 16, plusieurs officiers désertèrent. Dans le fort de l’action, Napoléon reçut cinq ou six rapports alarmants. L’un était celui d’un général qui annonçait que Vandamme, avec tout son état-major, était passé à l’ennemi ; un autre, qu’il fallait se méfier du maréchal Soult. Un maréchal-des-logis de dragons vint d’un air tout éperdu, demandant à grands cris à parler à l’Empereur, et lui dit : « Sire, je viens prévenir Votre Majesté que le général Hanain harangue en ce moment les officiers de sa division pour les faire passer à l’ennemi… » (C’était faux. Vandamme était loin d’avoir la pensée de trahir, et le général Hanain, au moment où il était ainsi accusé, avait la cuisse emportée par un boulet.)

« Telle était la situation des esprits que les soldats n’avaient réellement confiance que dans Napoléon ; ils étaient disposés à se croire trahis à chaque instant. Plusieurs bons officiers qui avaient servi dans la maison du roi avaient été replacés dans des régiments. On n’eut aucun reproche à leur faire ; mais le soldat nourrissait toujours des soupçons contre eux. » (Gourgaud, Campagne de 1815.)

L’Empereur, pendant sa retraite, donna ordre aux troupes de se rallier à Laon. Il entra dans cette ville le 19, et par ses soins on y organisa le service pour une armée de 80.000 hommes. On estime que, sous peu de jours, Napoléon aurait pu reprendre les hostilités avec une armée de 120.000 hommes, soutenue par 350 bouches à feu. « Tout pouvait encore se réparer », disait-il à Sainte-Hélène ; « mais il fallait du caractère, de l’énergie, de la part des officiers, des Chambres, de la nation tout entière. Il fallait qu’elle fixât les yeux sur Rome après la bataille de Cannes, et non sur Carthage après la bataille de Zama. »

Napoléon voulait rester à Laon pour y défendre, ne fût-ce qu’avec 12.000 hommes, les approches de Paris ; mais on lui fit observer que sa présence était nécessaire à Paris pour tranquilliser les esprits et déterminer les habitants de cette ville, sur lesquels il pouvait compter, à prendre les armes. Il se rendit malgré lui à ces raisons : « Puisqu’on le croit, je cède, dit-il. Je suis persuadé qu’on me fait faire une sottise : ma vraie place est ici. »

Un écrivain distingué, M. Victor Maingarnauld, a parfaitement résumé les événements à partir du retour de Napoléon dans la capitale jusqu’au moment de son abdication : nous avons cru devoir adopter ce résumé et le reproduire textuellement ici, parce qu’il comprend le récit exact et complet d’une des périodes les plus intéressantes de la vie de Napoléon.

L’Empereur arriva le 20 juin à Paris. Son intention fut de réunir les Chambres en séance impériale, de leur peindre les malheurs de l’armée, de leur demander les moyens de sauver la patrie, et ensuite de repartir. C’est alors qu’il apprit avec surprise que les Chambres, à la nouvelle des désastres du mont Saint-Jean, augmentés par la malveillance et le rapport inexact du maréchal Ney, avaient montré des dispositions plus hostiles que françaises ; que les esprits, dirigés par la faction des faux républicains, étaient dans une grande agitation ; qu’il était à craindre que les représentants ne répondissent point à l’attente du prince, et qu’il eût mieux valu ne point se séparer de l’armée, qui faisait sa force et sa sûreté. Mais l’Empereur croyait et devait croire que sa présence contiendrait les perturbateurs.

« Quelques instants de repos l’eurent bientôt remis de ses fatigues ; aussitôt il rassembla son conseil : « Nos malheurs sont grands, lui dit-il, je suis venu pour les réparer, pour imprimer à la nation un grand et noble dévouement. Si elle se lève, l’ennemi sera écrasé ; si au lieu de levées, de mesures extraordinaires, on dispute, tout est perdu. L’ennemi est en France ; j’ai besoin, pour sauver la pairie, d’être revêtu d’un grand pouvoir, d’une dictature temporaire. Dans l’intérêt de la patrie, je pourrais me saisir de ce pouvoir ; mais il serait plus utile et plus national qu’il me fût donné par les Chambres. » Interpellés de dire leur sentiment sur les mesures de salut public qu’exigeaient les circonstances, les ministres baissèrent les yeux et ne répondirent pas.

« L’intègre Carnot, ministre de l’intérieur, guidé par le seul intérêt de la France, fut d’avis qu’il fallait déclarer la patrie en danger, appeler aux armes les fédérés et les gardes nationales, mettre Paris en état de siège, le défendre, se retirer à la dernière extrémité derrière la Loire, s’y retrancher, rappeler l’armée de la Vendée, les corps d’observation du Midi, et tenir l’armée en arrêt jusqu’à ce qu’on eût pu réunir et organiser des forces suffisantes pour reprendre l’offensive et le chasser de France.

« Caulincourt, ministre des affaires étrangères, en rappelant les événements de 1814, soutint que l’occupation de la France par l’ennemi déciderait une seconde fois du sort du trône ; qu’il fallait un grand effort de la nation pour sauver l’indépendance ; que la question du salut de l’État était dans les Chambres et dans leur union avec l’Empereur.

« Fouché, ministre de la police, et plusieurs de ses collègues, en partageant ce sentiment, dirent qu’en montrant aux Chambres de la confiance et de la bonne foi (et c’était Fouché qui parlait de bonne foi !) on parviendrait à leur faire sentir le devoir de leur réunion à Napoléon, pour sauver ensemble, par des mesures énergiques, l’honneur et l’indépendance de la nation12.

« Decrès, ministre de la marine, déclara nettement qu’on ne devait pas compter sur les Chambres, dont les membres étaient mal disposés et paraissaient décidés à se porter à de violents excès.

« Régnault ajouta qu’il ne croyait pas que les Représentants voulussent seconder les intentions de l’Empereur, et qu’au contraire il craignait qu’ils ne demandassent son abdication.

« Lucien soutint avec force que plus les crises étaient grandes, plus on devait déployer d’énergie ; que si les chambres ne voulaient pas seconder l’Empereur, l’Empereur se passerait de leur assistance ; qu’il fallait qu’il se déclarât dictateur, qu’il mît la France en état de siège, et appelât à sa défense tous les patriotes et tous les Français.

« Ce fut le seul bon avis et celui que Carnot adopta en déclarant qu’il lui paraissait indispensable que l’Empereur eût, pendant la durée de la crise, une grande et imposante autorité ; mais cela ne suffisait pas : il fallait avant tout dissoudre les Chambres et faire arrêter la faction qui les dominait.

« L’Empereur ne partagea point cependant l’avis de son frère ; il croyait toujours que la présence de l’ennemi rendrait aux députés le sentiment de leurs devoirs… « La nation, dit-il, ne les a point envoyés pour me renverser, mais pour me soutenir. Je ne les crains point.

Quelque chose qu’ils fassent, je serais toujours l’idole du peuple et de l’armée. Si je disais un mot, ils seraient tous perdus : mais ne craignant rien pour moi, je crains tout pour la patrie… Le patriotisme de la nation et son attachement à ma personne nous offrent d’immenses ressources ; tout n’est pas désespéré. » Passant ensuite successivement en revue les moyens de réparer les désastres de mont Saint-Jean, il retraça à grands traits le tableau des maux dont une invasion menaçait la patrie, prévenant toutes les objections, indiquant tous les obstacles et toutes les ressources. Son éloquence fît passer la conviction dans l’âme de la plupart des membres du conseil ; les opinions jusqu’alors divisées tendaient à se rapprocher ; on allait délibérer, quand on fut interrompu par un message de la Chambre des représentants.

« Cette Chambre s’était assemblée à midi et un quart. Lafayette montant à la tribune, avait soumis à l’Assemblée les propositions suivantes :

« La Chambre des représentants déclare que l’indépendance de la nation est menacée.

« La Chambre se déclare en permanence. Toute tentative de la dissoudre est un crime de haute trahison. Quiconque se rendrait coupable de cette tentative sera déclaré traître à la patrie et sur-le-champ jugé comme tel.

« L’armée de ligne ei la garde nationale, qui ont combattu et combattent encore pour défendre la liberté, l’indépendance et le territoire français, ont bien mérité de la patrie.

« Les ministres de la guerre, des relations extérieures et de l’intérieur sont invités à se rendre sur-le-champ dans le sein de l’Assemblée. »

Ces propositions ne tendaient rien moins qu’à élever la Chambre au-dessus de tous les pouvoirs constitutionnels, qu’à isoler dans cette circonstance difficile la nation de l’Empereur, qu’à la livrer à l’anarchie ou aux mains avides de l’étranger, enfin à lui ravir tout espoir de salut. Elles n’en furent pas moins accueillies par de nombreux applaudissements et adoptées. On avait arrêté qu’elles seraient transmises à la Chambre des pairs et à l’Empereur ; et c’était le message dont la remise avait interrompu le conseil.

L’Empereur, après la lecture de cette déclaration, leva la séance : toutefois, il prescrivit en même temps à Regnauld de se rendre à la Chambre, de lui annoncer qu’il était de retour, qu’il venait de convoquer le conseil des ministres ; que l’armée, après une victoire signalée, avait livré une grande bataille, que tout allait bien, et que les Anglais étaient battus lorsque les malveillants avaient causé une terreur panique ; que l’armée se ralliait ; que lui était venu pour se concerter avec ses ministres et avec les chambres, et qu’il s’occupait en ce moment des mesures de salut public qu’exigeaient les circonstances.

Carnot, par ordre de l’Empereur, porta en même temps la même communication à la Chambre des pairs, et elle y fut reçue avec le calme et le respect convenables ; mais Regnauld, moins heureux, ne put modérer l’impatience des représentants qui, par un nouveau message, renouvelèrent impérieusement aux ministres l’invitation de se présenter à la barre.

Napoléon, choqué de voir que la Chambre s’arrogeât des droits qui ne lui appartenaient pas sur ses ministres, leur défendit de s’y rendre ; mais, fatigué d’entendre la relation qui était faite du bruit et du tumulte inconvenant qui s’en était suivi à l’Assemblée, il les autorisa à prévenir le président de leur prochaine arrivée ; néanmoins, ne voulant pas laisser croire qu’ils obéissaient aux injonctions de la Chambre, il les y députa comme chargés d’un message impérial, et les fit accompagner par Lucien, qui, après avoir déposé sur le bureau les pouvoirs et le message de l’Empereur, demanda un comité secret pour entendre les ministres. Les tribunes étant évacuées, on lut le message de Sa Majesté qui annonçait la perte de la bataille, et nommait Caulincourt, Fouché et Carnot, commissaires pour traiter de la paix avec les alliés.

Celte lecture ne fut point interrompue ; mais à peine fut-elle terminée, que, de toutes les parties de la salle, des interpellations aussi absurdes qu’insignifiantes furent adressées aux ministres, et portèrent en un instant la confusion dans les délibérations de l’Assemblée.

Le trouble étant un peu apaisé, Lacoste, l’un des plus emportés, parvint à se faire entendre, et, après s’être efforcé de faire voir que les ministres n’avaient en leur pouvoir aucun moyen de communication : « Vous le savez comme moi, c’est à Napoléon seul que l’Europe a déclaré la guerre. Séparez donc désormais la nation de Napoléon ? Pour moi, je le déclare, je ne vois qu’un homme entre la paix et nous : qu’il parte, et la patrie sera sauvée. »

« Jamais proposition ne fut plus intempestive, ou d’une plus insigne mauvaise foi ; car on savait bien que dans cet instant, on devait rallier la France et l’armée autour de Napoléon, si on voulait franchement les sauver l’une et l’autre. Lucien s’empressa de répondre, et s’efforça de prouver que la Chambre ne pouvait se séparer de l’Empereur sans perdre l’État, sans manquer à ses serments, sans flétrir à jamais l’honneur national, au moment, surtout, où les ministres des affaires étrangères et de la guerre (Davoust), venaient de donner des explications satisfaisantes. Tout paraissait enfin, pour le bonheur de la France, rallier à la cause de l’Empereur la majorité de l’Assemblée, et présager une issue favorable, lorsque La Fayette, apostrophant le frère de l’Empereur, réussit à rallumer le feu de la discorde qui s’éteignait peu à peu, et tout fut perdu.

« L’Assemblée nomma une commission de cinq membres, composée du président et des vice-présidents, pour se concerter avec le Conseil des ministres et une commission de la Chambre des pairs. Celle-ci nomma effectivement une commission de six membres, et la conférence s’ouvrit le même soir, à onze heures, en présence de Lucien. Il fut décidé, à la majorité de seize voix contre cinq :

« 1° Que le salut de la patrie exigeait que l’Empereur consentît à ce que les deux Chambres nommassent une commission qui serait chargée de négocier directement avec les puissances coalisées, aux conditions de respecter l’indépendance nationale et le droit qu’a tout peuple de se donner les constitutions qu’il juge à propos.

« 2° Qu’il convenait d’appuyer ces résolutions par l’entier développement des forces nationales ;

« 3° Que les ministres d’État proposeraient les moyens propres à fournir des hommes, des chevaux, de l’argent, ainsi que les mesures nécessaires pour contenir et réprimer les mouvements de l’intérieur.

« Cette résolution ne remplissait pas le but désiré de l’ambitieuse Chambre : La Fayette la combattit sans ménagements ; on n’y parlait pas de l’abdication ; et selon lui, le moyen le plus sûr et le plus prompt pour faire cesser l’état inquiétant où se trouvait la France, résidait uniquement et exclusivement dans l’abdication de Napoléon, et qu’il fallait l’inviter, au nom de la patrie, à se démettre de la couronne.

« Lucien déclara que l’Empereur était prêt à faire tous les sacrifices que le salut de la France pouvait exiger ; mais que le moment de recourir à cette ressource désespérée n’était point arrivé, et qu’il était convenable d’attendre, dans l’intérêt de la France elle-même, le résultat des ouvertures qui seraient faites aux alliés.

« L’Assemblée partagea cette opinion et se sépara de lassitude à trois heures du matin. Le général Grenier fut chargé par ses collègues de rendre compte à la Chambre du résultat de cette conférence. Ce qu’il fit, en ajoutant, d’après l’avis que les ministres venaient de lui donner, que la Chambre allait recevoir un message par lequel l’Empereur déclarait qu’il trouvait bon que l’Assemblée nommât les ambassadeurs à envoyer aux alliés, et que s’il était un obstacle invincible à ce que la nation fût admise à traiter de son indépendance, il serait toujours prêt à faire le sacrifice qui lui serait demandé.

« Cette généreuse explication eût satisfait des hommes sincèrement attachés au salut de la patrie et à leurs serments de fidélité jurée au prince ; mais, loin de calmer les têtes furibondes, elles fermentèrent davantage ; les meneurs s’agitaient tellement en tous sens, que déjà il était question de prononcer la déchéance. Quel prestige trompeur ou quelles promesses de nos ennemis fascinaient les yeux de ces hommes qui se croyaient l’élite des citoyens !

« L’Empereur fut averti de ce qui se passait ; indigné de la violence qu’on voulait lui faire, il rejeta d’abord toutes les instances qui lui furent renouvelées. Cependant, cédant aux conseils de ses ministres, de ses frères et de quelques-uns de ses serviteurs, il consentit à abdiquer plutôt que de se mettre à la tête de son armée, qui se formait devant Paris, forte déjà de 80.000 hommes, et qui, inquiète de son Empereur, l’appelait à grands cris.

« Fouché eut ordre d’écrire à la Chambre qu’elle allait être satisfaite ; et Lucien écrivit, sous la dictée de l’Empereur, la déclaration suivante :


Déclaration au peuple français13.


« Français ! en commençant la guerre pour soutenir l’indépendance nationale, je comptais sur la réunion de tous les efforts, de toutes les volontés, et le concours de toutes les autorités nationales. J’étais fondé à en espérer le succès, et j’avais bravé toutes les déclarations des puissances contre moi. Les circonstances paraissent changées. Je m’offre en sacrifice à la haine des ennemis de la France ; puissent-ils être sincères dans leurs déclarations, et n’en avoir jamais voulu qu’à ma personne ! Ma vie politique est terminée, et je proclame mon fils sous le titre de Napoléon II, empereur des Français. Les ministres actuels formeront provisoirement le conseil de gouvernement. L’intérêt que je porte à mon fils, m’engage à inviter les Chambres à organiser sans délai la Régence par une loi. Unissez-vous tous pour le salut public, et pour rester une nation indépendante14. »

« Cette déclaration fut entendue dans le plus grand calme : il régna ensuite un profond silence : l’Assemblée semblait se recueillir, et rendre par là hommage au prince qui venait de se résigner. La Chambre arrêta à l’unanimité qu’une députation solennelle porterait à l’Empereur, au nom de la nation, l’expression du respect et de la reconnaissance avec lesquels elle acceptait le noble sacrifice qu’il avait fait à l’indépendance et au bonheur du peuple français.

« Napoléon répondit avec dignité :

« Je vous remercie des sentiments que vous m’exprimez ; je désire que mon abdication puisse faire le bonheur de la France, mais je ne l’espère pas ; elle laisse l’État sans chef, sans existence politique. Le temps perdu à renverser la monarchie aurait pu être employé à mettre la France en état d’écraser l’ennemi. Je recommande à la Chambre de renforcer promptement les armées ; qui veut la paix doit se préparer à la guerre. Ne mettez pas cette grande nation à la merci des étrangers ; craignez d’être déçus dans vos espérances. C’est là qu’est le danger. Dans quelque position que je me trouve, je serai toujours bien si la France est heureuse. »

« La Chambre des pairs s’empressa de suivre l’exemple des députés.

« L’abdication de Napoléon laissa le champ libre à l’ambition des factieux. Partagés d’opinions sur le chef qu’ils se choisiraient, un petit nombre seulement gardaient la neutralité, quoique tous regardassent le trône comme vacant. Après bien des discussions, il fut arrêté qu’on nommerait une commission exécutive de gouvernement, dont les membres furent pris dans le sein des deux Chambres. Cette violation de l’acte d’abdication le rendait nul, puisqu’on ne proclamait pas Napoléon II, en faveur de qui cette abdication avait été donnée. L’Empereur aurait dû alors se remettre à la tête de sa brave armée, combattre les ennemis qui s’avançaient sur Paris, qu’ils savaient plein d’agitation, et dont ils prétendaient tirer un parti avantageux ; mais, loyal dans toutes ses actions, l’Empereur partit pour Rochefort, d’où il pensait s’embarquer pour les États-Unis d’Amérique.

« L’ignominie de la faction, c’est que, tenant tous les fils de la trame ourdie pour enlacer ce prince, elle les tendait au moment de son départ, afin de le livrer à ses plus cruels ennemis ; heureusement qu’il échappa encore une fois à la trahison. Ne voulant point cependant s’éloigner de l’armée sans lui faire ses adieux, il lui adressa cette proclamation, dans laquelle il se montre toujours grand, toujours généreux, et toujours Français.

« Soldats !

« Quand je cède à la nécessité qui me force de m’éloigner de la brave armée française, j’emporte avec moi l’heureuse certitude qu’elle justifiera, par les services éminents que la patrie attend d’elle, les éloges que nos ennemis eux-mêmes ne peuvent lui refuser.

« Soldats ! je suivrai vos pas, quoique absent. Je connais tous les corps, et aucun d’eux ne remportera un avantage signalé sur l’ennemi, que je ne rende justice au courage qu’il aura déployé. Vous et moi nous avons été calomniés. Des hommes indignes d’apprécier vos travaux ont vu, dans les marques d’attachement que vous m’avez données, un zèle dont j’étais seul l’objet ; que vos succès futurs leur apprennent que c’était la patrie, par-dessus tout, que vous serviez en m’obéissant ; et que si j’ai quelque part à votre affection, je le dois à mon ardent amour pour la France, notre mère commune.

« Soldats ! encore quelques efforts, et la coalition est dissoute. Napoléon vous reconnaîtra aux coups que vous allez porter.

« Sauvez l’honneur, l’indépendance des Français ; soyez jusqu’à la fin tels que je vous ai connus depuis vingt ans, et vous serez invincibles15. »

« L’armée, dont une partie des généraux avait abandonné les rangs ou s’était vendue à prix d’argent, consternée d’avoir perdu sans retour son illustre chef, se retira sur les rives de la Loire, où elle fut sacrifiée et dispersée par ceux qu’elle avait sortis de la poussière. »

Napoléon partit pour la Malmaison, le 25, où il fut reçu par la princesse Hortense. Les souvenirs que lui rappela cette résidence lui causèrent une violente émotion. Joséphine n’existait plus. Là, tout lui rappelait les brillantes années du Consulat, les triomphes gigantesques de l’Empire. Que les temps étaient changés !

Les circonstances devenant de jour en jour plus critiques, on lui donna à entendre qu’il y allait de ses intérêts de s’éloigner et de quitter la France. Il demanda deux frégates pour se rendre aux État-Unis avec sa famille. La veille il avait refusé les offres d’un capitaine américain qui lui proposait de le transporter incognito, sur son vaisseau de l’autre côté de l’Atlantique. Napoléon avait le cœur trop élevé pour sortir en fugitif de cette France, naguère son Empire.

Les deux frégates furent armées ; mais le gouvernement jugea convenable d’obtenir de Wellington des sauf-conduits pour la sûreté de ces navires, et le lieutenant-général Becker fut choisi pour devenir auprès de Napoléon le répondant de sa propre sûreté envers le gouvernement.

Cependant les sauf-conduits de Wellington n’arrivaient pas. L’ennemi était à Compiègne ; il n’y avait plus de temps à perdre. Napoléon promet enfin de partir sur-le-champ ; au même instant, un coup de canon se fait entendre : « Qu’on me fasse général, dit-il vivement au comte Becker, je commanderai l’armée, je vais en faire la demande. Général, vous porterez ma lettre ; partez de suite ; expliquez-leur que je ne veux pas ressaisir le pouvoir, que je veux écraser l’ennemi, qu’ensuite je poursuivrai ma route. » Ces offres ne furent point agréées par la commission du gouvernement : Fouché, son président, répondit à Becker : « Est-ce qu’il se moque de nous ! » — Le jour suivant, après une longue discussion sur le parti qu’il devait prendre, quelqu’un lui proposa de se livrer aux coalisés, et de les désarmer par cet acte courageux de confiance aveugle : « Ce dévouement serait beau, répondit-il, mais une nation de 30 millions d’hommes qui le souffrirait serait à jamais déshonorée. » Belle réponse digne d’un grand homme.



11. Ces ministres étaient le prince de Talleyrand, le duc de Dalberg, Latour-du-Pin, le comte Alexis de Noailles.
12. Pendant que Fouché et ses partisans s’expliquaient ainsi dans le Conseil, ils portaient en sous-main les Chambres à se révolter contre leur souverain.
13. Donnée au palais de l’Élysée, le 22 juin.
14. « Dans le conseil qui avait été tenu relativement au plus ou moins de nécessité de cette mesure (l’abdication), Carnot seul y montra une vive opposition, disant qu’elle serait le coup de mort de la patrie : il voulait qu’on se défendit jusqu’à extinction ; et quand enfin il vit qu’il était seul de son opinion, quand il vit l’abdication résolue, il appuya la tête de ses deux mains et se mit à fondre en larmes. » Chennechot, Histoire de Napoléon Bonaparte.
Il est à remarquer que l’ennemi dispersait ses forces sur la frontière, et qu’il ne songea à marcher sur Paris qu’en apprenant la nouvelle de l’abdication.
15. Cette proclamation est datée de la Malmaison, le 25 juin.

XIII. Rochefort. — Sainte-Hélène. — Mort.[modifier]

Enfin il fallait se décider à quitter la Malmaison ; l’ennemi était déjà aux portes. Le 29 juin au soir, Napoléon se jeta dans une voiture et partit avec sa suite pour Rambouillet. Le lendemain, il prit la route de Rochefort, où l’attendaient les frégates la Saale et la Méduse, que le gouvernement faisait tenir prêtes pour le transporter en Amérique. Arrivé à Niort, il y fut reçu avec acclamation par le peuple de cette ville. Il fit écrire au gouvernement qu’on s’est trop pressé de l’éloigner, qu’il pourrait encore exercer une grande influence en appuyant les négociations avec une armée. « … Si, dans cette situation, une croisière anglaise arrête le départ de l’Empereur, vous pouvez disposer de lui comme soldat. »

Il arriva à Rochefort, monta, le 8, à bord de la frégate la Saale, se fit conduire à l’île d’Aix, où, suivant ses habitudes, il visita les fortifications, fit mettre la garnison sous les armes. Le 10, se présenta une croisière anglaise qui empêcha d’appareiller ; alors il fit demander à l’amiral commandant cette croisière s’il lui serait permis de continuer sa route pour l’Amérique ? Il fut répondu que l’amiral n’avait aucune instruction à cet égard, mais que, si Napoléon le désirait, il le prendrait sur son bord et le conduirait en Angleterre. Après avoir refusé une seconde fois les offres d’un capitaine américain, l’illustre proscrit se rendit, le 15, au bord de l’amiral anglais. En mettant le pied sur le Bellérophon, il dit à son commandant, le capitaine Maitland : Je viens à votre bord me mettre sous la protection des lois de l’Angleterre. Au moment d’aborder le vaisseau, il dit au général Becker, qui l’accompagnait : Retirez-vous, général, je ne veux pas qu’on puisse croire qu’un Français soit venu me livrer à mes ennemis.

Le 13, il avait écrit de Rochefort, au Prince régent, la lettre que voici :

« Altesse Royale,

« En butte aux factions qui divisent mon pays et à l’inimitié des plus grandes puissances de l’Europe, j’ai terminé ma carrière politique. Je viens, comme Thémistocle, m’asseoir au foyer du peuple britannique. Je me mets sous la protection de ses lois, que je réclame de Votre Altesse Royale, comme du plus puissant, du plus constant et du plus généreux de mes ennemis. »

Le prince régent ne répondit point : la Coalition avait décidé que si l’on parvenait à se saisir de Napoléon, il serait traité comme prisonnier, et conduit en cette qualité à Sainte-Hélène. C’est ce qu’il apprit dans la rade de Plymouth, le 30 juillet, d’un commissaire ministériel, chargé de lui notifier cette décision des puissances.

Plein d’une indignation trop bien justifiée, il dicta la protestation suivante :

« Je proteste solennellement ici, à la face du ciel et des hommes, contre la violence qui m ! est faite, contre la violation de mes droits les plus sacrés, en disposant, par la force, de ma personne et de ma liberté. Je suis venu librement à bord du Bellérophon ; je ne suis pas prisonnier ; je suis l’hôte de l’Angleterre. J’y suis venu à l’instigation même du capitaine, qui a dit avoir des ordres du gouvernement de me recevoir et de me conduire en Angleterre avec ma suite, si cela m’était agréable. Je me suis présenté de bonne foi, pour venir me mettre sous la protection des lois de l’Angleterre. Aussitôt assis à bord du Bellérophon, je fus sur le foyer du peuple britannique. Si le gouvernement, en donnant des ordres au capitaine du Bellérophon de me recevoir avec ma suite, n’a voulu que me tendre une embûche, il a forfait à l’honneur et a flétri son pavillon.

« Si cet acte se consommait, ce serait en vain que les Anglais voudraient parler désormais de leur loyauté, de leurs lois et de leur liberté. La foi britannique se trouvera perdue dans l’hospitalité du Bellérophon.

« J’en appelle à l’histoire : elle dira qu’un ennemi, qui fit vingt ans la guerre au peuple anglais, vint librement, dans son infortune, chercher un asile sous ses lois. Quelle plus éclatante preuve pouvait-il lui donner de son estime et de sa confiance ? Mais comment répondit-on en Angleterre à une telle magnanimité ? on feignit16 de tendre une main hospitalière à cet ennemi, et quand il se fut livré de bonne foi, on l’immola.

« À bord du Bellérophon, à la mer. »

Cette protestation eut le sort de la lettre au Prince régent. Le 7 août, l’illustre prisonnier fut transporté sur le Northumberland, commandé par l’amiral Cockburn. Ses effets furent visités, son argent séquestré ; les personnes de sa suite furent désarmées ; l’ordre ministériel portait aussi de lui retirer son épée ; mais l’amiral Keith ne voulut pas le faire exécuter. On mit à la voile. Le 17, passant en vue des côtes de France : « Adieu ! terre des braves, dit Napoléon, adieu ! chère France ! quelques traîtres de moins et tu serais encore la grande nation et la maîtresse du monde. » Trois mois après, le 18 octobre, on le déposa dans l’île-prison qu’il ne devait plus quitter avant sa mort.

Les Romains, Tamerlan et autres conquérants barbares, sévissaient lâchement contre les ennemis qu’ils avaient vaincus, ou qui même s’étaient soumis de bonne foi ; telle fut le sort du brave Vercingétorix, ce glorieux chef des Gaulois, de Persée, roi de Macédoine. Mais lorsque l’Europe chrétienne commença à se civiliser, les rois et les guerriers se firent un point d’honneur de traiter avec la plus grande générosité les adversaires que le sort des armes avait fait tomber en leur pouvoir. C’est ainsi qu’en agirent les Anglais envers le roi Jean. Après la malheureuse journée de Pavie, François Ier est conduit en Espagne : un grand personnage de ce pays, jouant avec l’illustre prisonnier, lui manque de respect ; François le tue ; les parents du défunt vont porter plainte à leur souverain : Un roi est roi partout, fut la satisfaction qu’ils obtinrent de Charles-Quint. Bertrand Du Guesclin est prisonnier à Bordeaux, du prince de Galles ; pour se libérer, il fallait payer une grosse rançon. Quelqu’un ayant dit au prince que généralement on croyait que Son Altesse tenait son captif dans l’inaction par crainte de le retrouver un jour sur quelque champ de bataille, le jeune Anglais, dont la noblesse des sentiments égalait la bravoure, se hâte de faire venir Du Guesclin, le laisse le maître de se retirer et de payer ce qu’il voudra. Quel est celui de tous les Rois ligués contre Napoléon qui aurait osé se comparer au prince Noir ? Ils avaient donc réellement bien peur de cet homme, dont un illustre écrivain (Chateaubriand) a dit que ses pas faisaient trembler le monde. Eh bien ! oui, la captivité de Sainte-Hélène fut un événement cent fois plus glorieux pour la mémoire de Napoléon que toutes ses victoires. Quel prestige de puissance incommensurable ! un simple individu, sans armée, sans alliés, tient en échec et trouble la sécurité de vingt rois conjurés contre lui ! L’histoire n’offre rien de pareil : Annibal, il est vrai, fut, tant qu’il vécut, la terreur des Romains, mais Annibal était libre ; mais Annibal avait trouvé asile dans les États de princes disposés à le mettre à la tête de leurs armées.

Que faisait Napoléon à Sainte-Hélène ? Il accomplissait la promesse qu’il avait faite à ses braves, en leur faisant ses adieux à Fontainebleau : « J’écrirai les grandes choses que nous avons faites. Il dictait donc des mémoires, s’entretenait familièrement de sa prospérité passée avec les fidèles compagnons de son exil ; mais, toujours Empereur, quoique détrôné deux fois, il ne fit rien, ne dit rien, qui fût indigne du haut rang où la fortune et son génie l’avaient fait monter. Il tint fièrement à distance les commissaires que les rois avaient envoyés à Sainte-Hélène pour surveiller sa conduite, ses démarches. Il n’eut aucun rapport avec le gouverneur sir Hudson- Lowe, qu’il accabla de ses dédains : c’est que, à l’égard de son illustre captif, sir Hudson-Lowe avait outrepassé, dans ses rigueurs, les ordres qu’il avait reçus de son gouvernement ; il refusait à Napoléon la qualification d’Empereur, et l’appelait tout simplement Général. Le maréchal Bertrand proposa la dénomination de patient ; cette expression, si énergiquement vraie, fut agréée par le gouverneur.

« La maladie dont Napoléon est mort, dit un de ses biographes, est la maladie de Sainte-Hélène. Il n’a pas été malade sept semaines, comme le dit la dépêche du gouverneur sir Hudson-Lowe, il a été malade pendant cinq ans. La correspondance et la relation de son chirurgien, le docteur O’Méara, prouvent que Napoléon était déjà dangereusement malade en 1818. »

Le 28 octobre de la même année, O’Méara écrivait au secrétaire de l’amirauté : « Je pense que la vie de Napoléon Bonaparte est en danger, s’il réside plus longtemps dans un climat tel que celui de Sainte-Hélène ; surtout si les périls de ce séjour sont aggravés par la continuité de ces contrariétés et de ces violations, auxquelles il a été jusqu’à présent assujetti, et dont la nature de sa maladie le rend particulièrement susceptible d’être affecté17. ».

Dans une lettre au comte Bathurst, O’Méara écrivait en juin 1820 :

« Un temps bien court a trop malheureusement justifié mon opinion. Cette opinion était que la mort prématurée de Napoléon était aussi certaine, sinon aussi prochaine, si le même traitement était continué à son égard que si on l’avait livré au bourreau. »

Le 17 mars 1821, le comte de Montholon écrivait à la princesse Borghèse « que la maladie de foie dont Napoléon était attaqué depuis plusieurs années, et qui est endémique à Sainte-Hélène, avait fait depuis six mois des progrès effrayants ; qu’il ne pouvait marcher dans son appartement sans être soutenu. À sa maladie de foie se joint une autre maladie également endémique dans cette île. Les intestins sont gravement attaqués. M. le comte Bertrand a écrit au mois de septembre à lord Liverpool, pour demander que l’Empereur soit changé de climat. Le gouverneur, sir Hudson-Lowe, s’est refusé à faire passer cette lettre à son gouvernement, sous le vain prétexte que le titre d’Empereur y était donné à Sa Majesté. L’Empereur compte sur Votre Altesse pour faire connaître à des Anglais influents l’état véritable de sa maladie. Il meurt sans secours sur ce rocher ; son agonie est effrayante. »

Napoléon fut toujours grand et maître de lui jusqu’au bout ; il souriait de compassion à ceux qui doutaient de sa fin prochaine. « Pourriez-vous joindre cela ? » disait-il à M. Moukhonse, officier anglais, après avoir rompu le cordon de la sonnette de son lit : « Aucun remède ne peut me guérir, mais ma mort sera un baume salutaire pour mes ennemis. J’aurais désiré revoir ma femme et mon fils, mais que la volonté de Dieu soit faite !… Il n’y a rien de terrible dans la mort ; elle a été la compagne de mon oreiller pendant ces trois semaines, et, à présent, elle est sur le point de s’emparer de moi pour jamais… Les monstres me font-ils assez souffrir ! encore, s’ils m’avaient fait fusiller, j’aurais eu la mort d’un soldat… J’ai fait plus d’ingrats qu’Auguste : que ne suis-je comme lui en situation de leur pardonner ! »

Le 7 mars, avait commencé la crise qui devait l’emporter. « Là, c’est là », disait-il, en montrant sa poitrine, et saisissant la main du docteur Antomarchi, et l’appuyant sur son estomac : « C’est un couteau de boucher qu’ils ont mis là, et ils ont brisé la lame dans la plaie… »

Il disait et il répétait : « Le café fort et beaucoup me ressuscite, il cause une cuisson interne, un rongement singulier, une douleur qui n’est pas sans plaisir… J’aime mieux souffrir que de ne point sentir… Mon mal me mord, je pense que les insectes éclos de la fange contre-révolutionnaire bourdonnent : que, nouveau Prométhée, je suis cloué à un roc où un vautour me ronge. Oui, j’avais dérobé le feu du Ciel pour en doter la France ; le feu est remonté à sa source et me voilà !… L’amour de la gloire ressemble à ce pont que Satan jeta sur le chaos, pour passer de l’enfer au paradis ; la gloire joint le passé à l’avenir, dont il est séparé par un abîme immense. »

Le 1er mai, il s’était levé ; mais une faiblesse l’obligea à se faire recoucher. Il avait fait placer en face de son lit le buste de son fils, sur lequel il avait constamment les yeux fixés. Le 3, les symptômes devinrent plus alarmants. Le 4, on eut quelque espoir.

Napoléon croyait fermement à l’immortalité de l’âme, aussi voulut-il sortir de ce monde en bon chrétien. La veille de sa mort, il fit dresser secrètement un autel dans la pièce voisine de sa chambre. Le chapelain fut appelé, le moribond se confessa, communia, après quoi il dit : « Je suis en paix avec tout le monde. » Le lendemain, 5 mai, à sept heures du matin, on l’entendit balbutier : « Rien à mon fils que mon nom !… Mon Dieu !… La nation française… Mon fils… »

France… France… Ce furent les derniers mots qu’il prononça. À six heures du soir, au moment où le soleil quittait l’horizon, Napoléon croisa les bras avec effort, et prononça les mots têtearmée… jeta un dernier regard sur le buste de son fils et expira, étant âgé de cinquante et un an, sept mois, vingt jours18.

Vers le commencement de février de la même année, une comète avait paru à Sainte-Hélène, chacun s’était empressé d’en parler à Napoléon, dans l’intention évidente de réveiller en lui quelque allusion qui pourrait lui faire plaisir. Un seul officier gardait le silence à ce sujet, ainsi que Napoléon. « Vous m’avez compris, vous, » lui dit-il. Napoléon se rappelait, à cette occasion, qu’après la mort de Jules-César une comète fut observée à Rome.

« J’ai eu, » disait-il quelque temps après, un songe dont l’image me poursuit : « j’ai vu Joséphine parée de gloire dans le ciel… ta place est ici près de moi, m’a-t-elle dit ; dans un mois, tu seras heureux à jamais. »

D’après le désir qu’avait manifesté Napoléon, son corps fut ouvert afin de constater la cause physique de sa maladie, et de profiter dans la suite de ce document dans le cas où son fils serait attaqué de quelque incommodité offrant des analogies avec le mal qui était sur le point de l’emporter lui-même : car Napoléon était persuadé qu’il mourrait d’une maladie semblable à celle qui avait enlevé son père.


Extrait du rapport des médecins, après l’autopsie du corps de Napoléon.


« À la première apparence, le corps paraissait très-gras, ce qui fut confirmé par une incision pratiquée vers le bas-ventre, où la graisse qui couvrait l’abdomen avait plus d’un pouce et demi d’épaisseur. Les poumons étaient très-sains ; le cœur était de la grandeur naturelle, mais revêtu d’une forte couche de graisse ; les oreillettes et les ventricules n’avaient rien d’extraordinaire, si ce n’est que les parties musculaires paraissaient plus pâles qu’elles ne devaient l’être.

« En ouvrant l’abdomen, on vit que la coiffe qui couvre les boyaux était extrêmement grasse ; en examinant l’estomac, on s’aperçut que ce viscère était le siège d’une grande maladie : de fortes adhésions liaient toute la surface supérieure, surtout vers l’extrémité du pylore jusqu’à la surface concave du lobe gauche du foie ; en séparant, ou découvrit qu’un ulcère pénétrait les enveloppes de l’estomac à un pouce du pylore, et qu’il était assez grand pour y passer le petit doigt.

« La surface intérieure de l’estomac, c’est-à-dire presque toute son étendue, présentait une masse d’affection cancéreuse, ou des parties squirreuses se changeant en cancer, l’estomac était presque plein d’un liquide ressemblant à du marc de café.

La surface convexe du côté gauche adhérait au diaphragme ; à l’exception des adhésions occasionnées par la maladie de l’estomac, le foie ne présentait rien de malsain.

Le reste des viscères abdominaux était en bon état.

« Ont signé :
Thomas SHORT, premier médecin ; Arch. ARNOTT, médecin du 20e régiment ; Francis BURTON, médecin du 66e régiment ; Chas. MICHELL, médecin de Vigo ; Matthieu LEWINGSTONE, médecin de la compagnie des Indes. »

Les personnes qui furent admises à voir le corps, se récrièrent sur la beauté et l’harmonie de ses proportions. Napoléon était fort maigre dans sa jeunesse, mais, parvenu à l’âge mûr, il avait acquis un embonpoint considérable, lequel avait diminué de beaucoup pendant la longue et cruelle maladie qui termina ses jours.

Avant de refermer le cadavre, on en tira le cœur et l’estomac, que l’on renferma dans des coupes d’argent contenant de l’esprit de vin.

L’opération terminée, le corps fut revêtu de l’uniforme des chasseurs à cheval de la garde impériale, orné de tous les ordres que le défunt avait créés ou reçus pendant son règne, après quoi il fut placé sur le lit de fer qu’il avait coutume de faire porter à sa suite dans ses campagnes ; le manteau bleu brodé en argent qu’il portait à la bataille de Marengo lui servait de drap mortuaire.

Le 9 mai la pompe funèbre eut lieu dans l’ordre suivant :

Napoléon, fils aîné du grand maréchal, l’aumônier, le docteur Arnott, médecin de Napoléon, une voiture de deuil à quatre chevaux dans laquelle était le corps, douze grenadiers anglais pour descendre le cercueil au bas de la colline. Le cheval de Napoléon, les comtes Bertrand et de Montholon, portant le manteau bleu de Marengo en guise de drap mortuaire. La comtesse Bertrand en voiture avec sa fille, les domestiques du défunt, un groupe d’officiers anglais, le général Coffin, le marquis de Montchenu, commissaire du roi de France et de l’empereur d’Autriche, sir Hudson-Lowe, lady Lowe, en grand deuil, avec sa fille, en voiture ; 3.000 hommes reçurent le corps au sortir de la maison mortuaire de Longwood.

Le cercueil dans lequel on avait renfermé les coupes contenant le cœur et l’estomac fut béni par le prêtre et descendu dans le caveau qui lui était destiné ; douze salves d’artillerie annoncèrent au monde que Napoléon n’existait plus. Son tombeau fut confié à une garde d’officiers anglais.

Ainsi finit l’homme le plus extraordinaire des temps modernes, le rival de Charlemagne, de Louis XIV, de César, d’Alexandre, et leur supérieur à certains égards. Il n’a jamais existé de mortel dont la puissance ait égalé la sienne : 100 millions d’hommes, l’élite du genre humain, subirent plus ou moins sa domination pendant quinze ans. Considéré comme administrateur, son gouvernement fut irréprochable. À peine eut-il saisi le timon de l’État, que l’anarchie qui, depuis dix ans, désolait la nation française, s’évanouit comme l’ombre à l’approche de la lumière, comparable au feu qui fond et allie des métaux divers pour en composer un tout homogène. Napoléon, premier consul, fait rentrer dans le Sénat et sans exception les partis divers qui déchiraient le sein de la patrie. Il n’y a plus d’émigrés, de Jacobins, de Vendéens. La nation ne voit dans ces diverses factions que des enfants dociles d’un même peuple vivant en paix sous les mêmes lois ; le premier Consul, couvrant d’un voile prudent les erreurs et les fautes du passé, appelle à lui sans distinction tous les hommes de mérite. Le royaliste et le juge de Louis XVI, s’asseyent sur le même tribunal, et rendent la justice de concert : le Vendéen a la confiance de Bonaparte, il obtient, comme le républicain, de l’avancement dans ses armées. Il n’a pas dormi deux nuits dans le palais des Tuileries, que le crédit public se réveille et renaît comme par enchantement.

Ainsi que Newton, Bossuet, Pascal, ainsi que tous les hommes supérieurs, Napoléon était naturellement religieux ; sa haute intelligence lui avait fait comprendre qu’on ne régit pas un peuple comme un troupeau de bêtes brutes ; à sa voix, les temples s’ouvrirent, les autels se relevèrent ; les prêtres trouvèrent protection et appui sous un gouvernement qui, ennemi déclaré de tout espèce de désordre, leur accorda autant et pas plus de liberté que les convenances n’en comportent dans l’exercice de leur saint ministère. Plus de querelles, plus d’animosité entre les diverses communions. Il fut également permis au catholique, au luthérien, au rabbin d’honorer le Créateur suivant ses convictions, et comme il l’entendait, mais avec défense de s’immiscer dans les rites des croyances dissidentes. Tout en laissant au temple de Sainte-Geneviève le nom de Panthéon, l’Empereur le rendit au culte catholique ; on consolida cet édifice sous son règne, et le chiffre de la patronne de Paris fut incrusté au centre du pavé du dôme ; celui qui, avec raison, s’était moqué des cérémonies ridicules des théophilanthropes, avait un sens trop droit pour souffrir que le culte du vrai Dieu fût banni à jamais de cette magnifique église.

Sous le régime impérial, l’industrie fut encouragée par tous les moyens possibles. On acheta à grands frais des machines, des métiers modèles aux étrangers : on donna des encouragements pécuniaires aux manufacturiers ; on promit un million de récompense au mécanicien qui trouverait le moyen de filer le lin à la mécanique. Il n’était pas rare de voir l’étoile d’honneur briller en même temps sur la poitrine du fabricant habile comme sur celle du général d’armée. Grâce au blocus continental, que les peuples de l’empereur des Français et de ses alliés regardèrent d’abord comme tyrannique, ne prévoyant pas les conséquences avantageuses qu’il aurait pour leurs intérêts, il se fit des prodiges dans les arts physico-chimiques, mécaniques, dans le travail des métaux, etc. C’est sous le règne de Napoléon que prit naissance cette industrie aussi étonnante qu’inattendue, des sucres indigènes. Si le monarque français n’eut pas la satisfaction de conduire ses légions victorieuses jusque sous les murs de l’Angleterre, il porta, par le blocus continental et par sa politique, un coup à cette nation dont la prospérité ne se relèvera jamais ; il apprit aux peuples du continent qu’ils pouvaient se passer d’elle.

Il est digne de remarque que les hommes extraordinaires, qui semblent nés exprès pour commander aux peuples, ont du goût pour tout ce que l’esprit humain est capable de produire d’utile, de grand et de beau : Alexandre bâtissait des villes, ne se lassait pas de relire Homère, comblait de biens Apelles, mettait des sommes énormes à la disposition de son précepteur Aristote et des autres savants de la Grèce pour fournir aux frais de leurs recherches et de leurs expériences. César voulait rebâtir Corinthe et Carthage, régulariser le cours du Tibre, dessécher les marais Pontins ; il construisait des amphithéâtres, provoquait la réforme du calendrier. Les institutions du demi-barbare Charlemagne ont obtenu le respect et l’admiration de la postérité. Que ne s’est-il pas fait de grand et de beau, en tout genre, pendant le long règne du grand roi Louis XIV ?

Il a suffi à Napoléon d’une douzaine d’années de toute-puissance, pour égaler sous ce rapport ses glorieux émules, ses prédécesseurs. Pendant cette courte période, on creusa des ports, des canaux ; le nombre des vaisseaux de haut bord fut doublé ; des routes magnifiques établirent, en serpentant sur les flancs des Alpes, des communications faciles entre la France et l’Italie, tous les palais des Rois de France furent restaurés et embellis ; on agrandit et l’on régularisa les jardins des Tuileries et du Luxembourg ; la place du Carrousel fut débarrassée des constructions qui la déparaient, et ornée d’une grille et d’un arc-de-triomphe. L’Empire vit jeter les fondations des palais de la Bourse, du quai d’Orsay, du temple de la Gloire devenu église de la Madeleine, de l’arc gigantesque de l’Étoile, dont la bâtisse dépassait en 1814 l’imposte de la grande arcade. La superbe colonne Vendôme est un monument de l’Empire. Sont aussi des constructions de l’Empire le beau pont d’Austerlitz, et surtout celui d’Iéna, le plus irréprochable de tous les ponts. Le palais du Louvre dont l’origine se perd dans l’obscur rite des siècles, que François 1er entreprit de bâtir sur un plan nouveau et régulier qui dut une grande partie de ses murs à Louis XIV, que les règnes suivants délaissèrent presque tout à fait, fut repris et terminé par les architectes de Napoléon. C’est aussi pendant la domination de ce prince que la superbe porte Saint-Denis fut restaurée et que l’inscription Ludovico magno (à Louis le Grand) fut rétablie.

L’Empereur eut la satisfaction de voir son règne illustré par des savants du premier ordre, qu’il récompensait et qu’il chérissait comme des amis : c’étaient Monge, Lagrange, Laplace, Berthollet, Fourcroy, Vauquelin, Volta, Cuvier, Delambre, Thénard, Poisson, etc. Les lettres, il faut en convenir, ne brillèrent pas à la même époque d’un aussi bel éclat, à beaucoup près, que pendant le XVIIe siècle ; mais assurément ce ne fut pas la faute de celui qui tenait alors les rênes de l’État. C’est le génie qui faillit aux écrivains et non les honneurs et les récompenses : Napoléon était, pour le moins, aussi généreux, aussi magnifique que le fils de Louis XIII.

Les artistes en peinture furent plus heureux. C’est sous l’Empire que l’École française crayonna ses chefs-d’œuvre et atteignit son apogée. On ne saurait trop louer la plupart des tableaux sortis des ateliers de David, Gros, Gérard, Girodet.

En général, les artistes en sculpture ont de tout temps été médiocres en France ; ils le furent sous l’Empire.

Tout bien considéré, Napoléon est le premier des guerriers qui ont étonné le monde. Pendant quinze ou seize ans, il promena le drapeau français des tropiques du Cancer au pôle Arctique, toujours en compagnie de la victoire. À peu près du même âge qu’Alexandre, il se montre comme lui, dès son début, capitaine consommé. Le roi de Macédoine était doué d’un courage supérieur ; mais il faut bien convenir que souvent il manqua de prudence, qu’il fut aussi heureux que téméraire ; il faut convenir aussi qu’il eut affaire à des peuples dégénérés, sans discipline, dégradés par un despotisme abrutissant, tandis que son armée, aguerrie par son père, se composait de l’élite des guerriers de la Grèce ; ses lieutenants étaient tous des hommes du premier mérite, la plupart sexagénaires. Alexandre ne livra que cinq ou six batailles d’une grande importance. Napoléon disputa la victoire dans cinquante combats, la plupart décisifs et tous plus ou moins meurtriers. Qui sait enfin quel aurait été le sort d’Alexandre s’il ne fût pas mort à l’âge de trente-trois ans ?

César est le grand capitaine qui peut seul soutenir le parallèle avec Napoléon ; plusieurs qualités leur sont communes. Ils furent l’un et l’autre doués d’une activité prodigieuse ; ils voyaient de loin, vite et bien, savaient réparer une faute, changer une disposition, prendre un parti sur-le-champ. Pour eux, quand les circonstances l’exigeaient, il n’y avait ni été ni hiver, ils possédaient au suprême degré le talent de se faire obéir ; leurs soldats ne voyaient en eux que des chefs incapables de faillir, des maîtres absolus de leurs vies et de leur sort. Ces deux grands hommes enfin eurent à combattre contre des adversaires capables, par leurs défaites, d’immortaliser leur triomphe.

César, il est vrai, ne survécut point à sa puissance ; mais de combien s’en fallut-il qu’il n’échouât à Munda contre les débris du parti pompéien ? Et si Pompée lui-même avait su profiter des avantages qu’il avait remportés avant la bataille de Pharsale, César n’aurait pas revu la ville de Rome. Et qui sait, au reste, si ce Romain aurait été plus heureux contre les Parthes que le fut après sa mort Antoine, son lieutenant.

César, grand homme de guerre, fut aussi un littérateur distingué. Bien des gens veulent aussi que Napoléon ait été un bon mathématicien et un écrivain du premier ordre : cela n’était pas, et cela ne pouvait pas être. Le jeune Bonaparte fut soldat en sortant de l’École militaire, et dès ce moment, il ne s’appartint plus. Or, il faut du temps pour bien savoir les mathématiques et de l’exercice pour apprendre à tenir la plume ; voilà pourquoi le style de Napoléon est très-incorrect. César, au contraire, avait près de 40 ans lorsqu’il parvint au commandement suprême des légions romaines ; il avait donc eu tout le temps de perfectionner ses études. Disons, pour être vrai, que Napoléon avait apporté en naissant des facultés qui, étant développées, l’auraient placé au rang des savants du premier ordre.

Napoléon est mort malheureux. Eh bien ! presque tous ceux qui sont dignes de lui être comparés ont fini misérablement. Annibal et Mithridate, étant sur le point de tomber au pouvoir des Romains, leurs implacables ennemis, se virent dans la nécessité d’avaler du poison ; Alexandre fut empoisonné par le fils d’Antipater, son lieutenant ; César fut assassiné par des conjurés, au nombre desquels était son fils Brutus ; Pompée fut décapité sous les yeux de sa femme, par les ordres du roi d’Égypte ; Scipion l’Africain mourut dans sa ferme, oublié par des concitoyens ingrats ; Charles XII fut tué par les siens.



16. « Ce n’était point au capitaine Maitland (commandant du Bellérophon) que s’adressait cette accusation de perfidie, quoique cet officier, abusé par sa propre générosité, eût laissé percer l’opinion que son gouvernement répondrait dignement à la confiance du Souverain déchu qui lui venait demander un asile. En passant de son bord sur celui du Northumberland, Napoléon, le voyant triste et comme accablé de ce qu’il s’était si étrangement mépris, lui adressa ces paroles : « La postérité ne peut, en aucune manière vous accuser de ce qui arrive ; vous avez été trompé aussi bien que moi. » — Napoléon avait toujours distingué les Anglais de leur ministère. Peu de temps avant que de se déterminer au parti qu’enfin il embrassa, il disait : « Leur gouvernement ne vaut rien, mais la nation est grande, noble, généreuse : ils me traiteront comme je dois l’être. »
17. O’Méara, dernier chirurgien de Napoléon.
18. Extrait du testament de Napoléon.
NAPOLÉON,
I
Ce jourd’hui 15 avril 1821, île de Sainte-Hélène, etc. Ceci est mon testament.
1° Je meurs dans le sein de la religion apostolique et romaine…
2° Je désire que mes cendres reposent sur les bords de la Seine, au milieu de ce peuple français que j’ai tant aimé.
4° Je recommande à mon fils de ne jamais oublier qu’il est né prince français, et de ne jamais se prêter à être un instrument entre les mains des triumvirs (probablement l’Angleterre, l’Autriche et la Russie) qui oppriment les peuples de l’Europe. Il ne doit jamais combattre ni nuire en aucune manière à la France. Il doit adopter ma devise : Tout pour le peuple français. Je meurs prématurément, assassiné par l’oligarchie anglaise (la noblesse).
6° (Il pardonne à Marmont, Augereau, Talleyrand, La Fayette.)
7° (Il remercie tous les membres de sa famille de l’intérêt qu’ils lui ont porté, et il pardonne à Louis le libelle qu’il a publié en 1820).
8° Je désavoue le manuscrit de Sainte-Hélène… J’ai fait arrêter et juger le duc d’Enghien parce que cela était nécessaire à la sûreté,… à l’honneur du peuple français ;… dans une semblable circonstance, j’agirais encore de même.
II
Je lègue à mon fils les boîtes, ordres et autres objets, tels qu’argenterie, etc., etc. Je désire que ce faible legs lui soit cher, comme lui retraçant le souvenir d’un père dont l’univers l’entretiendra.
(Il lui lègue en outre les vases de sa chapelle, l’épée qu’il portait à Austerlitz, le sabre de Sobieski, son glaive de Consul, son poignard, son couteau de chasse, ses pistolets, le nécessaire d’or qui lui a servi le matin des journées d’Austerlitz, d’Iéna, d’Eylau, de Montmirail ; trente-trois tabatières ou bonbonnières, ses lits de camp, sa lunette de guerre, un de chacun de ses uniformes, douze chemises, ses deux montres, la chaîne de cheveux de l’impératrice, son médailler, l’argenterie et la porcelaine de Sèvres dont il a fait usage à Sainte-Hélène, ses fusils de chasse, quatre cents volumes choisis dans sa bibliothèque, le réveille-matin de Frédéric II, qu’il a pris à Postdam, ses deux sceaux, dont un de France, le manteau bleu qu’il portait à Marengo, etc., etc.
Il lègue 2 millions au comte Montholon ; 300.000 fr. au comte Bertrand, 400.000 à Marchand, son valet de chambre, dont les services qu’il lui a rendus « sont ceux d’un ami. » Viennent ensuite des dons de 100.000 fr. à MM. Saint-Denis, Noverraz, Pierron, l’abbé Vignali, Las-Cases, Lavalette, Larrey, le plus honnête homme qu’il ait connu, les généraux Brayer, Lefebvre-Desnouettes, Drouot, Cambronne, enfants de Mouton-Duvernet, idem de Labédoyère, idem du général Gérard, idem du général Chartran, idem du général Travot, aux généraux Lallemand aîné, comte Réal, Costa Bastalica, général Clausel, baron de Menneval, poète Arnault, colonel Marbot, baron Bignon, Poggi-di-Lavolo, chirurgien Emmery.
Dons de 80.000 fr. à Archambault, de 25.000 à Corsot et Chandelier.
Toutes ces diverses sommes, en cas de mort des légataires, seront payées à leurs veuves et à leurs enfants.
III
2° Je lègue mon domaine privé, moitié aux officiers et soldats restant de l’armée française qui ont combattu depuis 1792 à 1815, pour la gloire et l’indépendance de la nation, … moitié aux villes et campagnes d’Alsace… qui auraient souffert par l’une ou l’autre invasion. Il sera de cette somme prélevé un million pour la ville de Brienne et un million ponr celle de Méry.
Il lègue 10.000 fr. au sous-officier Cantillon, qui a essuyé un procès comme prévenu d’avoir voulu assassiner lord Wellington… « Cantillon avait autant de droit d’assassiner cet oligarque, que celui-ci de m’envoyer pour périr sur le rocher de Sainte-Hélène. »
Ce testament est fort long, et comme il a été fait à plusieurs reprises, il offre des répétitions qui jettent beaucoup de confusion dans son ensemble.

XIV Honneurs rendus à la mémoire de Napoléon.

Enfin, le jour de la justice commença à luire pour les mânes du grand Empereur. Immédiatement après la révolution de 1830, on s’empressa de rétablir sa statue sur la colonne de la place Vendôme. On sait qu’en 1814, des vandales, profitant de l’appui que leur prêtait la présence des étrangers dans la capitale, voulurent d’abord renverser cette statue avec violence. On passa un câble autour de son cou ; quelques centaines d’hommes, aidés de chevaux, firent de vains efforts pour l’arracher de son piédestal, ce qui fit dire à une bonne femme, témoin de cette ignoble profanation : « Si l’Empereur est aussi solide sur son trône que sa statue l’est sur la colonne, il n’est pas près d’en descendre. »

La nouvelle statue représente Napoléon costumé à la moderne avec sa redingote, ses bottes, chapeau à trois cornes en tête. Cette composition n’est rien moins qu’héroïque, et généralement elle n’est point du tout du goût des personnes qui ont des connaissances dans l’art du dessin19.

L’Empereur, à l’article de la mort, avait ardemment manifesté le désir d’être inhumé sur les bords de la Seine, au milieu de ce peuple Français qu’il avait tant aimé. Le comte Bertrand demanda au gouvernement anglais l’autorisation d’emmener en Europe les restes de son immortel ami ; il ne l’obtint pas. Dans la suite, il s’adressa pour le même objet aux ministres de Louis XVIII. Il n’en reçut pas un refus absolu, seulement on lui fit entendre que l’arrivée en France des cendres de Napoléon serait indubitablement la cause ou le prétexte de troubles politiques qu’il était de la prudence du gouvernement de prévenir et d’éviter ; mais que sitôt que l’état des esprits le permettrait, on ferait droit à sa demande.

Enfin en 1840, le gouvernement de Louis-Philippe obtint facilement de la Reine de la Grande-Bretagne la permission d’aller prendre à Sainte-Hélène les restes du prisonnier de sir Hudson-Lowe pour les porter en France ; et le 12 mai 1840, M. de Rémusat, ministre de l’intérieur, annonça en ces termes la résolution que le gouvernement venait de prendre :

« Le roi a ordonné à son Altesse Royale le prince de Joinville de se rendre avec sa frégate à l’île de Sainte-Hélène pour y recueillir les restes mortels de l’empereur Napoléon.

« Nous venons vous demander de les recevoir dignement sur la terre de France et d’élever à Napoléon son dernier tombeau…

« Il fut empereur et roi, il fut le souverain légitime de notre pays ; à ce titre, il pourrait être inhumé à Saint-Denis ; mais il ne faut pas à Napoléon la sépulture ordinaire des rois ; il faut qu’il règne et commande encore dans l’enceinte où vont se reposer les soldats de la patrie…

« L’art élèvera sous le dôme, au milieu du temple consacré au dieu des armées, un tombeau digne, s’il se peut, du nom qui doit y être gravé… Désormais la France, et la France seule, possédera tout ce qui reste de Napoléon ; son tombeau n’appartiendra à personne qu’à son pays… »

L’assemblée, profondément émue par ces paroles, vota par acclamation un crédit spécial d’un million pour la translation des restes mortels de l’empereur Napoléon à l’église des Invalides et pour la construction de son tombeau.

Le 7 juillet 1840, à sept heures et demie du matin, la frégate la Belle-Poule et la corvette la Favorite appareillèrent de Toulon pour Sainte-Hélène.

La frégate était commandée par le prince de Joinville, capitaine de vaisseau ; il était accompagné de M. Charner, son lieutenant ; de M. Hernoux, son aide-de-camp ; de l’enseigne Touchard. Faisaient partie du voyage M. le comte de Rohan-Chabot, chargé de présider à l’exhumation ; les généraux Gourgaud et Bertrand ; l’abbé Félix Coquereau, aumônier de l’expédition ; MM. Saint-Denis, Noverraz, Pierron et Archambault, qui avaient été attachés à divers titres du service de l’Empereur, pendant son séjour à Sainte-Hélène.

Sur la Favorite, commandé par le capitaine Gayet, était M. Marchand, valet de chambre de l’Empereur.

On arriva à Sainte-Hélène. Le prince fut reçu avec tous les honneurs dus à son rang, et immédiatement il mit en rapport M. de Rohan-Chabot avec le général Middelemore, gouverneur de l’île. Il fut convenu que l’on procéderait à l’exhumation et à la translation des restes de l’Empereur sur la Belle-Poule, le l5 du courant.

Le tombeau de Napoléon, situé dans un lieu solitaire appelé la vallée du Géranium, était couvert de trois dalles en tuf, apportées d’Angleterre, placées au niveau du sol. Le monument, si l’on peut appeler de ce nom une simple tombe de village, était entouré d’une grille en fer, solidement fixée sur son soubassement ; deux saules pleureurs, dont un était mort, l’ombrageaient de leur triste feuillage. Le tout était entouré d’un grillage en bois ; tout près, et en dehors de cette enceinte est la fontaine dont l’eau fraîche et limpide plaisait tant à l’illustre captif.

Les travaux de l’exhumation commencèrent le 15 à minuit ; à neuf heures et demie, le cercueil fut découvert et déposé sur le sol à l’aide d’une chèvre. Ce cercueil se composait : 1° d’un coffre en acajou ; 2° d’un autre en plomb ; 3° d’un troisième en acajou ; 4" d’un quatrième en fer blanc légèrement rouillé. C’est dans ce dernier que se trouvait le corps de l’Empereur ; dans le principe, ce cercueil était intérieurement garni de satin ouaté, lequel s’étant par la suite détaché des parois qu’il tapissait, recouvrait les restes du défunt.

On observa que le corps avait conservé une position aisée, la tête reposait sur un coussin, et l’avant-bras et la main gauche sur la cuisse. Les paupières entièrement fermées présentaient encore quelques cils ; des poils d’une teinte bleuâtre qui avaient poussé depuis la mort, ombrageaient le menton ; la bouche, légèrement entr’oùverte, laissait voir trois dents incisives, d’une blancheur parfaite ; les doigts parfaitement conservés avaient des ongles longs, adhérents et très-blancs ; les bottes, s’étant décousues, laissaient passer les quatre doigts inférieurs de chaque pied. Le petit chapeau était placé en travers sur les cuisses ; les épaulettes et les décorations avaient perdu leur brillant, l’étoile d’officier de la Légion d’honneur avait seule conservé tout son éclat ; après deux minutes d’examen, le docteur Gaillard déclara qu’il serait prudent de refermer le cercueil, afin de soustraire ces restes précieux aux influences de l’air atmosphérique.

À trois heures, tous les travaux relatifs à l’exhumation sont terminés, et les restes mortels renfermés dans six cercueils : un en fer blanc, un deuxième en acajou, un troisième et un quatrième en plomb, séparées par des coins et de la sciure de bois, un cinquième en bois massif d’ébène, enfin un sixième enveloppant tous les autres, en bois de chêne.

Le cercueil en bois d’ébène a été confectionné à Paris, par les soins du directeur des pompes funèbres. Sa forme rappelle celle des sarcophages antiques ; il est long de 2 mètres 56 centimètres ; sa hauteur est de 70 centimètres et sa largeur de 1 mètre 5 centimètres. Il porte sur son couvercle, pour toute inscription, le mot Napoléon en lettres d’or. Chacune de ses faces est décorée de la lettre N en bronze doré. Six forts anneaux en bronze servent à le saisir et à le déplacer.

Le cercueil total pesant 4.200 kilogrammes, fut placé sur le char funèbre par 43 artilleurs. Les demoiselles de l’île offrirent au commissaire français les drapeaux tricolores qui devaient servir à la cérémonie, et qu’elles avaient confectionnés de leurs mains, ainsi que le pavillon impérial qui flottait sur la frégate la Belle-Poule.

À trois heures et demie le cortège se mit en marche sous le commandement du gouverneur de l’île. MM. le comte Bertrand, baron Gourgaud, baron Las-Cases fils, et M. Marchand, portaient les coins du drap. Un détachement de milice, suivi d’une foule de peuple, fermait la marche, pendant laquelle les forts tiraient le canon de minute en minute.

Parvenu à James-Town, le convoi défila entre deux haies de soldats de la garnison, ayant leurs armes renversées. À cinq heures et demie, le cortège arriva au débarcadère ; là, le prince de Joinville, entouré de son état-major, reçut du gouverneur de Sainte-Hélène le cercueil impérial et le fit placer sur la chaloupe de la Belle-Poule. La précieuse dépouille passa à bord de la frégate entre deux haies d’officiers sous les armes. À ce moment les navires se pavoisèrent et les équipages se rangèrent sur les vergues pendant que leur artillerie multipliait les salves d’honneur. Sur la Belle-Poule, 60 hommes étaient sous les armes, les tambours battaient aux champs et la musique faisait entendre des airs nationaux. À six heures et demie, le cercueil fut déposé dans une chapelle ardente, ornée de trophées militaires, qu’on avait dressés à l’arrière du bâtiment.

Le dimanche 18, à huit heures du matin, on fit voile pour la France. Aucun accident remarquable ne signala, pendant les cinq premiers jours la marche de la Belle-Poule et de la Favorite ; mais elles rencontrèrent, le 31 octobre, un navire de commerce, le Hambourg, dont le capitaine fit part au prince de Joinville des nouvelles d’Europe ; elles faisaient craindre une rupture prochaine entre l’Angleterre et la France. Ces bruits de guerre furent confirmés par le bâtiment hollandais l’Egmont, qui faisait route pour Batavia. Le prince de Joinville s’empressa de former un conseil de guerre où furent appelés les officiers de la Belle-Poule et de la Favorite ; il s’agissait d’arrêter les dispositions nécessaires pour empêcher que le dépôt confié à l’honneur et au courage de la marine française ne lui fût enlevé par l’ennemi. Une résolution énergique fut bientôt adoptée. Il fallait d’abord mettre en batterie toutes les pièces que la frégate pouvait opposer à une attaque. On démolit la chambre provisoire qui avait été établie pour loger les membres de la commission de Sainte Hélène ; les cloisons, ainsi que les meubles qui garnissaient ces chambres, furent jetés à la mer ; le quartier du bord où se trouvaient ces chambres prit le nom de Lacédêmone. L’équipage se préparait aux éventualités d’un combat héroïque, d’une lutte désespérée, par de fréquents exercices et des branle-bas multipliés. Le 27 novembre, la Belle-Poule n’était plus qu’à cent lieues des côtes de France ; elle n’avait rencontré aucune croisière anglaise ; mais elle n’en persista pas moins dans les précautions que commande la prudence en temps de guerre.

Le 30 novembre, la Belle-Poule entra dans la rade de Cherbourg, et le 14 décembre, le bateau la Dorade, sur lequel on avait placé le cercueil, vint s’amarrer au quai de Courbevoie.

Le char qu’on avait préparé pour amener par terre les cendres de Napoléon aux Invalides se composait ainsi qu’il suit :

Quatre roues massives et dorées, sur l’essieu desquelles reposait un socle ou soubassement, ayant la forme d’un carré long ou plutôt d’une table épaisse ; sur ce socle s’élevait une sorte de second soubassement arrondi sur le devant et formant une plate-forme demi-circulaire, sur laquelle on avait fixé un groupe de Génies supportant la couronne de Charlemagne ; en arrière, s’élevait un dais semblable à celui d’un piédestal ordinaire, se terminant par une sorte de pied-douche quadrangulaire.

Enfin, quatorze statues plus grandes que nature, entièrement dorées, portaient un vaste bouclier sur leurs têtes, au-dessus duquel était placé le modèle du cercueil de Napoléon ; le tout était voilé d’un long crêpe violet parsemé d’abeilles d’or.

À l’arrière du char s’élevait un trophée de drapeaux, de palmes, de lauriers, où se lisaient les noms des principales victoires de Napoléon.

Ce char, tout resplendissant de dorures, de riches draperies, était haut de 10 mètres (30 pieds), large de 5 mètres 80 centimètres (17 pieds) et long de 30 mètres ; 16 chevaux, distribués en quatre groupes ou quadriges richement caparaçonnés, traînaient cet énorme corbillard, dont le poids était de 13.000 kilogrammes.

Malgré un froid soutenu de 10 degrés, la foule des spectateurs depuis Neuilly jusqu’aux Invalides était prodigieuse. Il y avait des maisons dont les toits en étaient couverts. Le cortège arriva aux Invalides vers une heure et demie ; à deux heures il atteignit la grille d’honneur ; le roi et tous les grands corps de l’État attendaient dans l’église des Invalides, qui depuis le 16 jusqu’au 24, éclairée comme le jour de la cérémonie, resta ouverte au public.

D’après une décision prise par le gouvernement, les restes de Napoléon doivent reposer dans un magnifique monument qui s’élèvera au milieu du dôme des Invalides.

La France, satisfaite enfin dans son juste orgueil, environne d’un culte pieux les restes mortels de son héros.

Le nom de l’homme qui fut grand comme le monde appartient depuis longtemps à la postérité : son souvenir est impérissable.



19. L’ancienne statue représentait l’Empereur nu-tête, couronné de lauriers, vêtu d’un sayon (espèce de chemise), s’appuyant de la main droite sur une épée et tenant dans la gauche un globe surmonté de la statue de la Victoire.
On peut voir cette statue dans le Musée monétaire (Hotel1 des Monnaies), salon Napoléon, qui contient un excellent modèle de la colonne Vendôme, ainsi que le masque en bronze de l’Empereur, copié fidèlement sur celui qui fut pris en plâtre à Sainte-Hélène par le docteur Antomarchi.
Le bronze de l’ancienne statue fait maintenant partie du cheval de Henri IV, qui orne le terre-plein du Pont-Neuf.

BONAPARTE (Jérôme)[modifier]

ex-roi de Westphalie, né à Ajaccio, le 15 décembre 1784, n’avait que neuf ans lorsqu’en 1793, sa famille se réfugia en France, par suite de son bannissement politique de la Corse.

Au sortir du collège de Juilly, où il fit ses études, il entra dans la marine en janvier 1800, où, l’année suivante, il obtint le grade de lieutenant. Son beau-frère, le général Leclerc, l’emmena à Saint-Domingue lors de la célèbre et funeste expédition qu’il commandait, et le renvoya peu de temps après, avec des dépêches importantes pour le premier Consul.

Sa mission remplie, Jérôme qui avait le commandement de la frégate l’Épervier, repartit sur-le-champ pour la Martinique, et, à la fin de 1802, par suite de la reprise des hostilités entre la France et l’Angleterre, il eut ordre d’établir une croisière devant la rade de Saint-Pierre et l’île de Tabago.

Quelques mois après, obligé par les forces ennemies de cesser sa surveillance, il se retira à New-Yorck, il y épousa en 1803, quoique mineur et sans le consentement de sa famille, mademoiselle Patterson, fille d’un commerçant de Baltimore. Ce mariage, comme celui de Lucien, déplut à Napoléon qui, malgré la douleur et la résistance de Jérôme, tendrement attaché à sa femme dont il avait un fils, le fit casser pour cause de minorite.

En 1805, il revint en France et courut plusieurs fois le risque d’être enlevé par les Anglais pendant la traversée.

L’Empereur le chargea immédiatement de se rendre à Alger pour y réclamer 250 Gênois que le Dey retenait en esclavage.

À la suite de cette mission, qu’il remplit avec succès, il fut élevé au grade de capitaine de vaisseau. Du commandement d’un vaisseau de 74, il passa au commandement d’une escadre de huit vaisseaux de ligne qu’il conduisit, en 1806, à la Martinique.

Cette année même, rentré de France, il fut nommé contre-amiral.

En 1807, il quitta le mer pour prendre le commandement d’un corps de Bavarois et de Wurtembergeois, à la tête duquel il s’empara de la Silésie, succès qui lui valut le grade de général de division, trois mois après la paix de Tilsitt.

Dans le mois d’août 1807, Jérôme épousa la princesse Frédérique Catherine, fille du roi de Wurtemberg, et six jours après (43 août), il fut créé roi de Westphalie. Les diverses puissances reconnurent ce nouveau monarque, qui reçut en même temps de l’empereur Alexandre la décoration de l’ordre de Saint-André de Russie.

Le roi Jérôme avait alors vingt-cinq ans et toute la fougue de la jeunesse. Fier de la position de son frère et de la sienne, il manqua souvent de modération et de prudence dans le choix de ses amis. Napoléon s’exprima sur son compte à Sainte-Hélène avec quelque sévérité. Il l’accusa d’avoir été prodigue ; mais ces défauts de l’âge n’altérèrent pas chez lui les qualités du cœur qui le firent aimer et regretter des Westphaliens. Distingué par un esprit pénétrant et un jugement sain, il commençait à y joindre l’entente des affaires publiques, lorsque les événements politiques vinrent rendre le prince à la vie privée.

Le roi de Wesiphalie fit la campagne de 1812 à la tête d’une division allemande qui se distingua aux combats d’Ostrowna et de Mohilow. Malheureusement il se laissa surprendre à Smolensk, faute désastreuse qui le fit reléguer à Cassel.

Les désastres de 1812 et de 1813 forcèrent Jérôme à quitter son royaume. La princesse son épouse ne le quitta pas dans les jours de l’adversité et l’accompagna à Paris ; mais, au mois de mars 1814, les époux durent se séparer, Jérôme pour rejoindre l’impératrice Marie-Louise à Blois, et la reine pour rentrer dans les États de son père. C’est en quittant Paris, à peu de distance de cette capitale, sur la route de Fontainebleau, qu’elle fut attaquée par une bande armée que commandait un ancien Chouan, le marquis de Maubreuil, qui avait fait partie de sa maison en qualité d’écuyer. La princesse y perdit ses diamants, son argent et ses effets les plus précieux, qui lui furent enlevés.

Après l’abdication de l’Empereur, en 1814, Jérôme retourna à la cour de Wurtemberg. Il était à Trieste avec sa femme, quand la nouvelle de l’événement du 20 mars le ramena à Paris. Il avait obtenu de Murat une frégate sur laquelle il parvint à s’embarquer secrètement. Il assista à la cérémonie du Champ-de-Mai, le 1er juin, et le 2, il prit séance parmi les Pairs.

Ayant obtenu un commandement, il suivit Napoléon en Belgique et déploya dans plusieurs combats la plus grande bravoure, surtout dans le bois d’Hougoumont, où il culbuta deux fois l’élite des troupes anglaises, qui, protégées par un château fort où elles s’étaient établies, faisaient un feu des plus meurtriers. Enfin il resta maître du bois après avoir été blessé au bras.

À Waterloo, il fit des prodiges de valeur et ne quitta le champ de bataille que lorsque tout espoir eut été perdu. Napoléon le ramena à Paris.

Après la seconde abdication, Jérôme quitta secrètement la capitale, le 27 juin, et parvint, non sans peine, après avoir erré longtemps en Suisse et en France, à rejoindre sa femme qui s’était réfugiée chez son père. Il obtint de ce dernier le château d’Elvangen, mais à la condition de ne pas s’en éloigner et de ne conserver aucun Français à son service.

Au mois de juillet 1816, le roi de Wurtemberg conféra à son gendre le titre de prince de Montfort, et l’autorisa, dans le mois d’août suivant, à se rendre avec sa femme et ses enfants, un fils et une fille, au château de Bimbourg, près de Vienne, pour y voir sa sœur Caroline, veuve du roi Murat. Depuis ce temps jusqu’à sa rentrée en France, Jérôme résida alternativement dans un château près de Vienne et à Trieste. Son fils Jérôme, qu’il avait eu de mademoiselle Palterson, était négociant aux États-Unis. — La princesse Catherine de Wurtemberg mourut le 28 novembre 1835 : elle aimait tendrement son mari, qu’elle avait rendu père de trois enfants : Jérôme - Napoléon - Charles Bonaparte, qui mourut en 1847 ; Mathilde-Lætitia-Wilhelmine Bonaparte, née en 1820, mariée au prince Demidoff de San-Donato ; et Napoléon-Joseph-Charles-Paul Bonaparte, ancien capitaine du 8e de ligne, au service de son oncle le roi de Wurtemberg et aujourd’hui représentant de la Corse à l’Assemblée législative.

Jérôme Bonaparte rentré en France à la suite des événements de février 1848, vécut quelque temps dans la retraite, à Paris, dans un appartement situé rue d’Alger, 3. La popularité toujours croissante de son neveu, le prince Louis, le forçait à beaucoup de réserve pour donner moins d’ombrage au gouvernement d’alors. Cet état cessa à la nomination de Louis à la présidence, par six millions de suffrages. Jérôme reçut le 23 décembre 1848, sa nomination de gouverneur général des Invalides et celle de maréchal de France, le 1er janvier 1850.


 

BONCHAMP (Charles-Melchior-Artus de)[modifier]

BONCHAMP (CHARLES-MELCHIOR-ARTUS de), né en Anjou en 1760, servit avec distinction dans la guerre d’Amérique. Il était capitaine au régiment d’Aquitaine, lorsque la Révolution, qu’il désapprouvait, lui fit quitter cette place. Il se retira dans un château près de Saint-Florent ; c’est là que les insurgés de la Vendée vinrent le chercher pour le mettre à leur tête. Général prudent et habile, il battit quelquefois les troupes républicaines ; mais ses collègues l’accusèrent souvent d’indécision et de tiédeur.

Le 17 septembre 1793, l’armée de la basse Vendée, commandée par Charette et Bonchamp, rangée en bataille sur le bord de la grande route de Tiffauges à Chollet, faisant face à Torfou, fut attaquée par les Républicains sous les ordres de Kléber. L’attaque fut si impétueuse que le village et la hauteur furent évacués presque aussitôt par les Vendéens et occupés par Kléber ; mais la retraite de l’ennemi ne fut point une fuite ; il se rangea derrière les haies et les fossés. L’affaire s’engagea de nouveau, et Kléber ayant l’avantage de la position, chargea les Vendéens à la baïonnette et les débusqua ; mais les fuyards, au lieu de se jeter en arrière, filèrent par la gauche des Républicains pour les prendre en flanc et les tourner. Cette manœuvre nécessita la retraite de Kléber après cinq heures d’un combat sanglant où les deux partis montrèrent un égal courage et un grand acharnement. Les soldats qui composaient la colonne mayençaise se faisaient hacher plutôt que de rendre les armes. Cette colonne dut surtout son salut à la résolution héroïque de Chevardin, chef de bataillon des chasseurs de Saône-et-Loire. Kléber, déjà grièvement blessé et se sentant de plus en plus pressé par les Vendéens, arriva au pont de Boussay, y fit placer deux pièces de canon et dit à Chevardin : « Tu vas rester ici et défendre ce passage. Tu seras tué, mais tu sauveras tes camarades. — Oui, Général, » répondit avec une généreuse vivacité Chevardin, et il combattit et mourut au poste qui lui était assigné ; mais le passage ne fut point forcé.

Après cet échec, le général en chef Canclaux ordonna au général Beysser de se porter sur Boussay. Charette et Bonchamp résolurent de l’attaquer. Ils se joignirent à Montaigu, et là, à la suite d’un combat où le général républicain, atteint d’un biscaïen, passa pour mort pendant quelques moments, sa colonne fut mise dans un désordre complet et s’enfuit, vivement poursuivie jusqu’à Aiglefeuille.

De Montaigu, Charette marcha sur Saint-Fulgent, où il battit de nouveau les Républicains, leur prit 22 canons, leurs bagages et de nombreuses munitions. Le lendemain, 22, Bonchamp et d’Elbée assaillirent près de Clisson le général Canclaux. Déjà Bonchamp s’était emparé des chariots, des ambulances et d’une partie de l’artillerie républicaine ; mais Charette ne vint pas au rendez-vous, et les Vendéens furent vaincus à leur tour. Le 30 septembre, Kléber, placé sous les ordres de Canclaux, rencontra, à deux lieues de Montaigu, les avant-postes de Bonchamp et de d’Elbée. Ces généraux étaient campés de ce côté avec 40 mille hommes et une nombreuse artillerie. Kléber donnale signal de l’attaque. « Nous n’avons pas de canons, dirent quelques officiers. » — Eh bien ! répondit le général, reprenons ici ceux que nous avons perdus à Torfou. » Après une lutte acharnée de deux heures, les Vendéens, troublés par l’impétuosité d’une charge à la baïonnette, se rompirent et furent mis en déroute.

Aux combats de Saint-Christophe (17 novembre) et de la Tremblaie, les Vendéens, commandés par Bonchamp, d’Elbée, Lescure et Larochejaquelein, furent encore battus après une lutte sanglante. Lescure fut mortellement blessé.

A la bataille de Chollet qui eut lieu le 17, vingt-quatre mille Républicains combattirent contre quarante mille Vendéens découragés, très mal armés et encore plus mal disciplinés. Il y eut peu de batailles où les masses se soient entre-choquées avec autant de fureur. Les Vendéens eurent longtemps l’avantage. Ce fut le jeune général Marceau qui décida la victoire à se ranger de son côté. « Jamais, dit Kléber, les Vendéens n’ont livré un combat si opiniâtre, si bien ordonné ; ils combattaient comme des tigres et leurs adversaires comme des lions. » La perte des insurgés fut évaluée à 10,000 hommes tués. D’Elbée y fut blessé grièvement et Bonchamp mortellement. Ce dernier, porté à Saint-Florent, y expira le lendemain. La perte des Républicains fut considérable, surtout en officiers.

Madame de Bonchamp raconte ainsi dans ses Mémoires les derniers moments de son mari : « M. de Bonchamp, après sa blessure, avait été transporté à Saint-Florent, où se trouvaient 5,000 prisonniers renfermés dans l’église. La religion avait jusqu’alors préservé les Vendéens de représailles sanguinaires ; mais lorsqu’on leur annonça que mon infortuné mari était blessé mortellement, leur fureur égala leur désespoir ; ils jurèrent la mort des prisonniers. M. de Bonchamp avait été porté chez M. Duval, dans le bas de la ville. Tous les officiers de son armée se rangèrent à genoux autour du matelas sur lequel il était étendu, attendant avec anxiété la décision du chirurgien. Mais la blessure ne laissait aucune espérance. M. de Bonchamp le reconnut à la sombre tristesse qui régnait sur toutes les figures. Il chercha à calmer la douleur de ses officiers, demanda avec instance que ses derniers ordres fussent exécutés, et aussitôt il prescrivit que l’on donnât la vie aux prisonniers ; puis se tournant vers d’Autichamp, il ajouta : « Mon ami, c’est sûrement le dernier ordre que je vous donnerai, laissez-moi l’assurance qu’il sera exécuté. » En effet, cet ordre, donné sur son lit de mort, produisit tout l’effet qu’on en devait attendre ; à peine fut-il connu des soldats que de toutes parts ils s’écrièrent : « Grâce ! grâce ! Bonchamp l’ordonne ! » et les prisonniers furent sauvés.

BONET (JEAN-PIERRE-FRANÇOIS, comte)[modifier]

BONET (JEAN-PIERRE-FRANÇOIS, comte) , né à Alençon, en 1768, soldat au moment de la Révolution, dans le régiment de Boulonnais (79° d’infanterie), sergent dans un bataillon de volontaires de son département, passa par tous les grades et fut nommé général de brigade. En 1794, il fit à l’armée de Sambre-et-Meuse, sous les ordres de Jourdan, les campagnes de 1794 et 1795, se signala au combat de la Chartreuse en Belgique, le 16 septembre 1794 et à ’toutes les affaires où il prit part. Il fit avec la même distinction les’ campagnes d’Allemagne et d’Italie de 96 à 99. Sa brillante conduite à la bataille de Hohen-linden, attira sur lui l’attention du premier Consul. Général de division, le 27 août 1803, il commanda la 26e division à Aix-la-Chapelle et fat envoyé au camp de Brest en 1804, sous les ordres d’Au-gereau. Il resta en non-activité jusqu’à la fin de 1807. Appelé alors au commandement d’Aranda, il se distingua surtout pendant la campagne de 1808 en Espagne, et pendant les années suivantes, à Santander, dans les Asluries, à l’attaque de Celdessajoras, à Gijon, à la bataille des Arapyles, qui.fut livrée par Mar-mont, malgré les vives remontrances du général Bonet et dans laquelle celui-ci se battit héroïquement, enfin au combat de Penaranda, où il fut blessé très-grièvement. En 1813, le comte Bonet commandait une division dans le corps de l’armée.de Marmont, à la campagne d’Allemagne. Il prit une part active à la victoire de Lutzen, où il soutint plusieurs charges de cavalerie, à Baulzen, le 8 mai, sur les hauteurs de Dohna, et le 10, dans la plaine de Tœplitz.

Le 20 mars 1815, Napoléon lui confia le commandement de Dunkerque. Après le désastre de Waterloo, Bonet reparut un moment sous le ministère du maréchal Gouvion-Saint-Cyr, et fut appelé au commandement de la 13° division à Rennes. A l’arrivée du duc de Feltre au ministère, Bonet rentra dans la vie privée et fut mis à la retraite, le 16 févrierl82o.

Au commencement de 1831, Louis-Philippe le nomma commissaire extraordinaire dans les 4e, 12" et 13’ divisions militaires, lui conféra, le 20 avril, le titre de grand-croix de l’ordre de la Légion d’honneur, et le créa pair de France, le 19 novembre suivant.

En 1832 il rétablit la tranquillité un moment troublée dans l’Ouest.

Nommé, cette même année, président de la commission spéciale, envoyée en Afrique, il en revint l’année suivante, après avoir dignement rempli sa mission.

Rentré dans le cadre de réserve, en 1835.

Son nom est gravé sur l’arc de triomphe de l’Étoile, côté sud.

BONNAIRE (JEAN-GERARD)[modifier]

né à Pro-pet (Aisne), le 11 décembre 1771. Entré comme simple soldat dans la carrière militaire, il avait acquis tous ses grades par des actions d’éclat, et était parvenu à celui de général de brigade, lorsqu’il fut nommé, en 1815, commandant de la place de Condé. Après les. désastres de Waterloo il refusa d’ouvrir les portes aux ennemis, et ceux-ci étaient déjà maîtres de Paris qu’il résistait encore aux Hollandais qui investissaient Condé. C’est alors que le colonel Gordon, Hollandais de naissance, naturalisé Français, péné^ tra dans la place avec des proclamations et des lettres signées par Bourmont et

Clouet. Les habitants, exaspérés et excités encore, dit-on, par le lieutenant Miéton, aide-de-camp du général, firent feu sur Gordon et le tuèrent. On saisit cette occasion de punir le général de sa résistance ; lui et son aide-de-camp furent traduits devant un conseil de guerre. Le lieutenant fut condamné à mort et fusillé le 30 juin 1816 ; quant au général, quoiqu’on ne pût le convaincre d’avoir participé à la mort de Gordon, il fut condamné à la déportation, et dégradé sur la place Vendôme en présence de la colonne dont les bas-reliefs représentaient quelques-uns de ses glorieux faits d’armes. Le brave général mourut de chagrin deux mois après dans la prison de l’Abbaye.

BONNARD (ENNEMOKD)[modifier]

né à Saint-Symphorien d’Ozon (Basses-Alpes), le 30 septembre 1756, entra au service le 29 mars 1774, dans le régiment d’artillerie d’Auxonne, et y fut fait sergent le 4 septembre 1782. Bientôt après ce régiment fit partie des troupes envoyées par le gouvernement français au secours de la république naissante des États-Unis.

La paix de 1783 ramena ces troupes en Europe. Bonnard fit partie d’un dé-lachement d’artilleurs envoyés à Naples comme instructeurs en 1787.

La révolution le fit revenir en France ; il rejoignit son régiment en 1791, et y devint sergent-major le 18 mai 1792, lieutenant au choix le 11 septembre suivant, et adjudant-major au rang de capitaine le 15 février 1798.

Il avait fait, dans ces différents grades, les campagnes de 1792 et de 1793, lorsqu’il fut promu au grade de cbef de bataillon au 2’ régiment d’artillerie, le 3 ventôse an n. Il prit alors la direction du grand parc d’artillerie qu’on avait réuni à Guise. Élevé au grade de général de brigade le 24 prairial suivant, il corn-

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manda l’artillerie au siège de Charleroi, et rendit de grands services à la bataille de Fleurus. Nommé commandant de l’artillerie du corps chargé de reprendre sur l’ennemi les places de Landrecies, du Quesnoy, de Valenciennes et de Condé, il reçut l’ordre, après la prise de ces places, de rejoindre l’armée de Sambre-et-Meuse. Jl commanda l’artillerie de l’aile droite au combat de Spremont et à la bataille de Duren sur la Roër. Ce fut lui qui dirigea l’artillerie à l’attaque du fort de Wick, lors du siège de Maastricht. Le 23 brumaire an m, il fut nommé général de division. La campagne de l’an m devait s’ouvrir par le passage du Rhin ; le général Bon-nard reçut l’ordre de tout préparer pour cette importante opération. C’était la division de Kléber qui devait tenter ce passage. On manquait d’artillerie et de tout ce qui était nécessaire pour l’effectuer ; Bonuard pourvut à tout ; lespoiutsdeDus-seldorffet d’Urdingen se trouvèrent parfaitement préparés ; le Rhin fut franchi.

En l’an îv, ce général fut mis à la tête d’une division d’infanterie avec laquelle il investit la forteresse d’Ehrenbretstein et observa la basse Lahn.

En messidor de la même année, il eut le commandement de la réserve de l’armée de Sambre-et-Meuse, dont, la division qu’il commandait précédemment faisait partie. Il prit position à Achem-bourg, le 15, passa la Lahn le 20, la Nidda le 23, et marcha sur Francfort. Le mois suivant, sa division fut attachée ail corps-de Marceau, qui devait investir Mayence, observer la garnison de Man-heim et bloquer les forteresses d’Ehrenbretstein et de Kenigstein., Après la paix de l’an v, il fut nommé au commandement des place et province du Luxembourg, et quelques mois plus tard, à celui de la Belgique ; et en l’an vu, il vint commander la 2e division mi-

litaire, qu’on lui accorda pour raison de santé ; mais il la quitta bientôt pour la 24e (Belgique). Ifonnard parvint à faire disparaître les divisions qui agitaient ce pays, à calmer, à réunir tous les partis ; et ce n’est pas une des moindres obligations qu’on lui dut. En l’an vm, on adjoignit à son commandement les 25e et 2b’e divisions militaires où se concentraient les forces qui formaient la gauche de l’armée gallo-batave. La paix le rendit à sa 24e division militaire, qu’il garda jusqu’en l’an x.

Pendant une partie de cette même année et pendant toute l’année suivante, il remplit les fondions d’inspecteur génér rai d’infanterie dans la 18* division militaire (Paris). ■ En l’an xn,- le -premier Consul le fit membre de la Légion d’honneur le 19 frimaire, commandant de l’Ordre le 2o prairial, et lui confia le commandement de la 22e division militaire, qu’il conserva jusqu’au 1" octobre 1814, époque à laquelle Louis XVIII l’admit à la retraite. La croix de Saint-Louis lui avait été donnée le 27 septembre précédent.

Il mourut à Tours le lo janvier 1819. Son nom est inscrit sur l’arc de l’Étoile, côté nord.

BONNEMAINS (PIERRE, vicomte de)[modifier]

né à Tréauville, arrondissement de Cherbourg, le 10 mai 1772. Elevé au collège de Valognes, il entra au service en qualité d’adjudant-major d’un bataillon de gardes nationaux de la Manche. Le 20 mai 1793, il passa sous-lieutenant dans les dragons de la Manche, depuis 12e dragons ; en 1797, il était capitaine aide-de-camp du général Tilly et fit plusieurs campagnes aux armées du Nord et de Sambre-et-Meuse.

Nommé chef d’escadron sur le-champ1 de bataille, puis major du 16e de chasseurs à cheval, colonel du 5e chasseurs, en 1806 ; il fit les campagnes de 1806. et 1807, se distingua à Schleitz, à Lubeck, à Iéna, à Crrvilz, à Friedland.

Officier de la Légion d’honneur en 1808, il passa en Espagne, se distingua à Burgos où il fut créé baron, à Tru-xillo, à Médelin, en 1809 à Talavéra et en 1812 à Algesiraz. Général de brigade, le 6 août 1811, il resta en Espagne’ jusqu’au commencement de 1813, passaen Italie, fit sous le prince Eugène les campagnes de 1813 et 1814, commanda quelquefois l’avant-garde et se fit remarquer à Caldiéro et à Villa - Franca, contribua au succès de la bataille du Mincio et fut proposé pour le grade de lieutenant-général. Il était déjà commandeur de la Légion d’honneur et chevalier de la Couronne de fer.

Le 19 juillet 1814, il fut créé chevalier de Saint-Louis, commanda une brigade de cavalerie pendant les Cent-Jours ; il eut le commandement d’une brigade de cavalerie sous les ordres du maréchal Grouchy, et, jusqu’au dernier moment, témoigna de son dévouement à la cause de Napoléon. Après Waterloo, il fut de nouveau désigné pour le grade de lieutenant-général ; mais cette nomination ne fut pas confirmée par le roi.

Pendant quelques années, le général Bonnemains resta dans l’ombre ; mais il finit par s’entendre avec les Bourbons, fut créé vicomte, fit la campagne d’Espagne et fut nommé enfin lieutenant-général le 22 juin 1823, puis gentilhomme de la’ chambre, commandant de la Corse, et grand officier de la Légion d’honneur.

Le général Bonnemains a fait plusieurs fois partie de la Chambre des Députés. Envoyé en Algérie, en 1839, pour réorganiser la-cavalerie, il fut placé, à son retour de cette mission, en 1840, dans le cadre de réserve.

BONNET (GUILLAUME)[modifier]

né à Genève en 1784, des religionnaires français réfugiés. 11 prit du service sous le drapeau français en 1804 dans les vélitës de la garde ; huit ans plus tard l’Empereur le faisait chef de bataillon à Moscou, dans le 18* de ligne. M. Bonnet avait reçu six blessures graves dans les guerres d’Allemagne, de Pologne et de Russie.

En 1815, le commandant Bonnet était à l’armée du Rhin et se distingua le 9 juillet à l’attaque du village de Mittel-Hausbergen, où il commandait 300 voltigeurs d’avant-garde.

Sous la Restauration, il fut d’abord mis en disponibilité, puis envoyé, comme major, au 20e léger. Sept ans plus tard, il fut nommé colonel à l’ancienneté.

En 1829, il publia à la Rochelle une brochure sur la formation et l’emploi de l’infanterie légère que l’on voulait trans former en infanterie de ligne.

En 1832, le colonel Bonnet fut envoyé en Vendée, lors des troubles qui y éclatèrent. Sa conduite fut telle que la garde nationale de Laval lui offrit une épée d’honneur.

Peu après, M. Bonnet reçut la croix de Commandeur.

Promu au grade de général de brigade’ le 12 août 1839, il est aujourd’hui en retraite.

BONY (le général FRANÇOIS)[modifier]

né à Cressey (Côte-d’Or) le 20 décembre 1792, entra au service, : le 12 septembre 1793, en qualité de volontaire dans le 10e bataillon de la Côte-d’Or. Incorporé depuis dans la 51* demi-brigade de ligne, peu de jours après il fut nommé lieutenant à l’élection. Il fit les campagnes de 1793 à l’an H aux armées de Rhin-et-Moselle, et celles de l’an m et de l’an v à l’armée d’Italie, et se trouva à la bataille de Cas-tiglione, où il fut grièvement blessé, et à celle d’Arcole, où il mérita le grade de capitaine. Il se distingua encore à Ho-henlinden, sous Moreau, et y prit deux pièces de canons. Peu après il fut décoré (25 prairial an xn) et nommé chef de bataillon. A Austerlitz, à la tête d’une compagnie de grenadiers, il fit 300 prisonniers. À Iéna, il reçut un coup de feu. En Espagne, il gagna la croix d’officier et le grade de major titulaire du 4e régiment de ligne (29 juin 1811). Rentré en France pour prendre le commandement des dépôts, il fut nommé colonel en second le 21 février 1813, rejoignit la grande armée et fut nommé le 10 août colonel du 13e régiment provisoire. Avec 800 hommes, il reprit Buntzlau défendue par trois régiments russes. Il était général de brigade à Leipzig ; il y fut fait prisonnier après avoir eu trois chevaux tués sous lui, rentra en France en juin 1814, et fut créé chevalier de Saint-Louis et mis en disponibilité.

Le 22 mars 1831, il fut compris dans le cadre de réserve de l’état-major de l’armée et mis à la retraite le 1er janvier 1835. Il continua de remplir les fonctions de colonel de la garde nationale de Selongey (Côte-d’Or) et de maire de la même ville.

Le général Bony est encore chevalier de l’Ordre de la Réunion et commandeur de l’ordre de la Légion d’honneur.

BORDESOULLE (ETIENNE, baron, puis comte de Tardif de Pommeroux)[modifier]

né le 8 avril 1771, à Lizeray (Indre), entra au service le 27 avril 1789, comme simple chasseur à che val dans le 2e ; fit toutes les campagnes de la révolution, depuis 1792 jusqu’en l’an ix, aux armées du Rhin, de Rhin-et-Moselle, d’Allemagne, d’Angleterre, de Mayence, d’Italie, et s’y distingua par de nombreuses actions d’éclat. Major du 1er régiment de chasseurs le 6 brumaire an xn, il fut créé officier de la Légion d’honneur le 25 prairial, et servit au T. I.

camp de Bruges eii l’an XH et l’an xm. Il fit les campagnes de l’an xiv à 1807, en Autriche, en Prusse et en Pologne, au 2e corps delà grande armée, et fut nommé colonel du 22e régiment de chasseurs, le 6 nivôse an xiv, par suite de sa brillante conduite à Austerlitz.

Le 9 juin 1807, à la tête de 60 hommes de son régiment, il traverse le passage de Guttsdat, charge un bataillon russe qui est entièrement pris et taillé en pièces et reçoit deux coups de baïonnette à l’avant-bras droit et dans la poitrine. Il se distingue encore à Heilsberg et à Friedland, et est créé général de brigade le 25 du même mois.

Le 1" août, il est employé dans le corps d’armée du maréchal Brune, et placé en décembre à la tête de la cava lerie légère attachée à la défense de Dantzig. Le 21 septembre 1808, il reçoit l’ordre de se rendre à Bayonne, et est promu en novembre au commandement d’une brigade de la division Lassalle (réserve de cavalerie de l’armée d’Espagne). En décembre, il détruit les débri de l’armée de Castanos, aux environs de Madrid, et contribue, le 28 mars 1809, au gain de la bataille de Medelin, en taillant en pièces, à la tête des 5e et 10" de chasseurs, 60,000 hommes d’infanterie espagnole, au moment où tout le corps du maréchal duc de Bellune opérait son mouvement de retraite, et où il.avait lui-même reçu l’ordre de se retirer. Passé le 25 mai 1809, à l’armée d’Allemagne, il y prit le commandement d’une brigade de cavalerie du 4° corps, fut employé au corps d’observation de la Hollande en mai 1810, et investi du commandement de la 3e brigade de cavalerie légère de l’armée d’Allemagne, le 2.décembre.

En novembre 1811, il passa au corps d’armée d’observation de l’Elbe devenu V’ corps de la grande armée, et fut appelé en juin 1812 à la tête de la 2e brigade de cavalerie légère du même corps. Le 30 de ce mois, il battit à Soleschniki l’avant-garde du général Barclay de Tolly, et le 23 juillet, commandant l’avant-garde du maréchal prince d’Eck-miihl, composée du 3e régiment de chasseurs et d’un régiment d’infanterie, il s’empara du Mohilow, y fit 900 prisonniers, se rendit maître de magasins, de bagages considérables et de plus de 600 bœufs- destinés au prince Bagration. Il combattit encore à Smolensk, à la Mos-kowa, où il eut la mâchoire fracassée d’un coup de biscaïen, et à Krasnoë, où il s’empara de huit pièces de canon après avoir culbuté un corps de 1,500 hommes, enfonça un formidable carré d’infanterie, lui fit 300 prisonniers et dégagea le 9e de lanciers polonais, gravement compromis.

Élevé au grade de général de division le 4 décembre 1812, il fut appelé au commandement de la lrC division de cuirassiers du let corps de cavalerie de la grande armée, le 15 février 1813, et fit, à sa tête, la campagne de Saxe.

Déjà revêtu du titre de baron de l’Empire avec une dotation, il fut créé commandeur de la Légion d’honneur le ’14. mai et se distingua à Lutzen, à Baut-zen, à Dresde’, où il dirigea avec habileté plusieurs charges vigoureuses, enfonça une douzaine de carrés ennemis, fit 6,000 prisonniers et contribua à refouler dans les montagnes de la Bohême, l’armée nombreuse qui menaçait de nous écraser ; à Leipzig, où les 16, 17 et 18 octobre, il donna des nouvelles preuves d’inf répidité ; à Hanaù, où il soutint une partie de laretraite, et sut, avec ’peu de monde, imposer à une nombreuse cavalerie chargée de l’inquiéter. — Nommé commandant de deux divisions de cavalerie organisées à Versailles le 3 juin 18-1-4, il coopéra au succès remporté sur

le feld-maréch’al Blûcher, à Vauchamps, le 12 février, culbuta l’ennemi au combat de Villeneuve le 17, se trouva à la reprise de Reims le-13 mars, au combat de la Fère-Champenqise le 25, et à la bataille sous Paris le 30.

Après la première rentrée des Bourbons, il dut à son origine nobiliaire d’être nommé, en mai 1814, inspecteur général de cavalerie, chevalier de Saint-Louis, le 2 juin, et grand officier de la Légion d’honneur le 23 août. Lorsque l’Empereur revint de l’île d’Elbe, il prit, le 12 mars 1815, le commandement provisoire des neuf escadrons de cavalerie de la 2e division militaire dirigée sur Châ-lons.

Le gouvernement royal le confirma dans ce commandement le 16 du même mois. Il suivit Louis XVIII à Gand, fut nommé chef d’état-major du duc de Berryle25 juin 1815, pendant l’émigration, et rentra en France avec ce Prince dans le mois de juillet.

Louis XVIII le nomma grand-croix de la Légion d’honneur Je 13 août et lui confia, le 8 septembre, l’organisation de cette belle cavalerie de la garde royale dont il eut le commandement. Il fit par-r tie de la Chambre introuvable, comme député de l’Indre, et fut créé, le 12 octobre, membre de la trop fameuse commis-/sion chargée d’épier la conduite des offU ciers des Gent-Jours. Le 3 mai 1816, il fut fait commandeur de l’ordre de Saint-Louis, et ^échangea- son titre de baron, conquis sur le champ de bataille, contre celui de comte, quelui donnait la Restauration. Aide-de-camp honoraire du comte d’Artois, le 2 juin 1807, membre du comité des inspecteurs généraux le 25 octobre, il devint gentilhomme d’honneur du duc d’Angoulême le 2 juillet 1820, reçut la décoration de grand-croix de Saint-Louis le 1" mai 1821, et fut nommé gouverneur de l’École polytech-

BOR (2 nique, en conservant son emploi dans la garde royale, le 17 septembre 1822. Ce n’est pas peut-être un sabreur intrépide qu’il eût fallu à la tête de cette école modèle, mais plutôt un de ses anciens élèves, joignant à la même bravoure des connaissances plus étendues. Quoi qu’il en soit, on n’a pas oublié qu’il jlui rendit le régime militaire qui est encore en vigueur, et lui donna cet uniforme sous lequel elle devait organiser la victoire populaire en 1830.

Appelé, le 16 févrierl823, au commandement en chef des troupes de la garde employées à l’armée des Pyrénées, Bor-desoulle fit le blocus et le bombardement de" Cadix, et fut cité, le 31 août, à la prise du Trocadéro, victoire trop vantée par les amis de la Restauration, trop critiquée par ses ennemis, mais qui n’en reste pas moins, pour l’histoire impartiale, un0 brillant et audacieux fait d’armes.

Après la guerre, il fut créé pair de France le 9 octobre, et reçut la’ grand’-croix de l’ordre de Charles III d’Espagne, le 4 novembre de la même année. Ses opinions étaient franchement patriotiques et constitutionnelles. Ses conseils au duc d’Angoulême en obtinrent plusieurs actes qui furent agréables aux amis de la liberté : entre autres la fameuse ordonnance d’Andujar, imposée à Ferdinand VII, mais qui fut si traîtreusement exécutée par ce prince.

Au mois de décembre, il reprit le commandement de sa division de cavalerie dans la garde. Ala mort de Louis XVIII, Charles X ne le conserva pas comme aide-de-camp honoraire dans la nouvelle liste, arrêtée le 4 novembre 1824. — Proclamé chevalier commandeur de l’ordre du Saint-Esprit, dans le chapitre ténu le 21 février 1830, il tenta vainement de conjurer les funestes résolutions du roi en juillet, et demeura, pendant les trois journées, à Saint-Cloud, prêt à défendre sa personne. Ce fut à Rambouillet seulement qu’il le quitta, continuant à exercer son commandement dans la garde dissoute jusqu’au 21 août, qu’il fut mis en disponibilité. Compris dans le cadre de réserve de l’état-major général le 7 février 1831, il fut admis à la retraite le 14 mars 1832.

Depuis la révolution nouvelle, il vécut à l’écart, bien qu’il fit encore partie de la Chambre des pairs, où il paraissait à de rares intervalles.

Il mourut le 3 octobre 1837, à sa terre de Fontaine, pïès de Senlis.

BORNE DESFOURNEAUX (EDME-ÉTIENNE)[modifier]

né le 22 avril 1767, à Vezelay (Yonne), était sergent au régiment-de Conti-infanterie, au moment delà Révolution de 1789.

Il avait été chargé au mois d’octobre de garder, avec un détachement de 13 hommes, un grand magasin de tourbes, près d’Amiens, lorsque, attaqué par 600 paysans armés, onze hommes.de son détachement l’abandonnèrent. Seul, avec deux soldats, il se défendit héroïquement, et, quoique atteint de plusieurs blessures,. il parvint à repousser les assaillants. Là municipalité d’Amiens, reconnaissante, lui décerna, en présence de la garnison assemblée, une montre d’or aux armes de la ville, avec cette inscription : Au brave Desfourneaux, et le ministre de la guerre le nomma sous-lieutenant le 26 décembre 1790.

Les volontaires du Pas-de-Calais l’appelèrent dans leurs rangs, et au mois de juin 1792, il s’embarquait pour Saint-Domingue, comme lieutenant-colonel du 48e régiment d’infanterie. Appelé en janvier 1793, au commandement de la place de Saint-Marc, il emporta d’assaut le camp de Thilerier et montra la même résolution à la prise du fort d’Onanaminte, où il fut grièvement blessé. Nommé colonel de son régiment le 8 février et commandant en chef de la partie ouest, il se signala à la prise du fort de Lesce, s’empara de 14 pièces de canon, et fit éprouver à l’ennemi une •perte de 4,000 hommes. Au commencement de l’an H, il chassa les Espagnols de la partie ouest de l’île, battit dans toutes les rencontres l’armée du gouverneur général Garcia, et reçut quatre blessures dans ces différents engagements. Il prit ensuite, avec 300 hommes du 106* régiment, le fort de la Crête-Saie, et y fit prisonniers les 700 Espagnols qui le défendaient.

A son retour en France, le Comité de salut public conféra à Desfourneaux le grade de général de division, le 21 frimaire an m, et le renvoya à Saint-Domingue, sous les ordres du capitaine général Lavaux ; mais contrarié par les vents, et contraint de relâcher aux États-Unis, Desfourneaux ne put arriver à sa destination qu’en floréal an iv.

Après avoir commandé successivement la place du Port-au-Prince et les circonscriptions du Sud et de l’Ouest, il revint Len France en l’an vi, prit en frimaire an vu le commandement de la Guadeloupe, fut rappelé en floréal et aborda les côtes de France en pluviôse anvm.

Embarqué en pluviôse an îx, sur la frégate l’Africaine, pour aller porter des secours à l’armée d’Orient, il fut pris par les Anglais dans le détroit de Gibraltar, après un combat glorieux, où il vit périr à ses côtés trois de ses aides-de-camp, son frère et son neveu ; blessé lui-même à la poitrine, il revint en France par suite d’échange, et repartit pour Saint-Domingue avec l’expédition du général Le-.clerc.

Débarqué au cap Français le 15 pluviôse an x, Desfourneaux prit d’assaut, le 14 ventôse, la ville de Gonaïves,força le général nègre Maurepas à mettre bas

les armés avec ses 4,000 hommes et lui prit son artillerie.

Le 25 du même mois, il remporta à Plaisance une victoire complète sur la troupe de Toussaint-Louverture et lui fit 5,000 prisonniers.

Rentré en France au commmencement de l’an xi, Bonaparte l’accueillit avec distinction, et lui dit en l’apercevant : « Général, vous vous êtes bien battu ; vous avez fait de grandes choses à la tête de vos troupes ; je m’en souviendrai et je vous donnerai des preuves de ma confiance. »

Cependant l’Empereur ne tint point les promesses du premier Consul, et le général Desfourneaux cessa, depuis cette époque, d’occuper des commandements importants.

Nommé commandeur de la Légion d’honneur à la création de l’ordre, en juin 1804, et baron de l’Empire en 1808, il entra au Corps législatif en 1811, et y occupa plusieurs fois le fauteuil en qualité de vice-président. Louis1 XVIII le nomma grand-croix de la Légion d’honneur et chevalier de Saint-Louis, le 3 août 1814. Membre de la Chambre des représentants pendant les Cent-Jours, il commanda les troupes Chargées de défendre les hauteurs de Montmartre, et cessa de servir à la seconde Restauration.

Le général Desfourneaux qui, depuis cette époque, n’avait sollicité aucun commandement,- est mort à Paris, le 22 février 1849, à l’âge de 81 ans. Son nom est inscrit sur le côté ouest de l’arc de triomphe de l’Étoile.

BORELLI (CHARLES-LUCE-PAULIN-CLÉMENT, vicomte de)[modifier]

lieutenant-général, né à Yillefort (Lozère), il reçut, comme fils de citoyen actif, un brevet de sous-lieutenant pour les hussards de la légion des Alpes, depuis 14e régiment de chasseurs à cheval, fit plusieurs campagnes en Vendée, sous les ordres de Hoche.

Parvenu au grade de capitaine, il entra dans l’état-major général, et servit en Italie, sous les généraux Schefer, Joubert, Moreau, Championnet et Masséna. Il fit ensuite les campagnes d’Austerlitz, d’Iéna et de Pologne, comme chef d’escadron, sous les ordres de Lannes. Blessé plusieurs fois, et honorablement cité dans les bulletins de l’armée, il fut nommé colonel d’état-major et envoyé en 1808 en Espagne ; il était déjà officier de la Légion d’honneur après Friedland, il fut nommé adjudant-commandant. Le prince Murat le nomma sous-chef d’état-major général et l’envoya recevoir l’armée portugaise qui entrait en Espagne par Ciudad-Rodrigo. Il prit part au siège de Madrid, et fut nommé gouverneur de cette ville. Il remplissait lés fonctions de sous-chef d’état-major de la cavalerie à la campagne de Russie, où il se distingua aux combats de Witepsk, Smolensk, Borodino, et fut nommé général de brigade à la Moskowa, et chef d’état-major général à la place du général Belliard. Il entra un des premiers à Moscou à la suite des Cosaques. Murat le cita comme un des plus habiles et des plus braves officiers de l’armée.

En 1813, il était chef d’état-major du, maréchal Saint-Cyr, qui commandait en Saxe le 14e corps. Le 18 septembre, il détruisit totalement une colonne ennemie de 2,000 hommes. Il était dans Dresde quand cette ville capitula, et partagea le sort du maréchal Gouvion-Saint-Cyr, qui le cita avec le plus grand éloge. Rallié aux Bourbons en 1814, il leur resta fidèle jusqu’au dernier moment, et remplit pendant les Cent-Jours les fonctions de chef d’état-major de la garde nationale de Paris. Napoléon le nomma lieutenant-général ; mais cette nomination ne fut pas confirmée par Louis XVIII.

En 1823, il fit la campagne d’Espagne comme chef d’état-major du maréchal Molitor, et fut créé grand officier de la Légion d’honneur.

Après la Révolution de 1830, il fut réintégré dans son grade de lieutenant-général (20 novembre 1831). Il fut employé plusieurs fois comme inspecteur général de cavalerie.

Mort en septembre 1849, âgé de 78 ans.

C’est le colonel Borelli (Charles-Hyacinthe-Jules), fils unique du général Borelli, qui a attaqué intrépidement et pris la lunette Saint-Laurent, au siége d’Anvers, à la tête des grenadiers du 65e de ligne. Le colonel Borelli a été promu au grade de général de brigade le 26 avril 1846. Il est aujourd’hui commandant de là Légion d’honneur, et il commande la 3e subdivision de la 14e division militaire.

Le général vicomte de Borelli était oncle maternel de M. Odilon-Barrot, président du conseil des ministres, en 1849.

BOTZARIS (MARCO)[modifier]

Le héros de la Grèce moderne était issu d’une famille illustre de Souli(Épire). Il abandonna sa patrie conquise par Ali-Pacha pour se réfugier sous les drapeaux français, à l’ombre desquels il crut en sagesse et en valeur. De la taille ordinaire des Soulio-tez, qui est de cinq pieds environ, sa légèreté était telle qu’on le comparaît au zéphyr. Nul ne l’égalait à la lutte, au jeu du disque ; et quand ses yeux bleus s’animaient ; que sa longue chevelure flottait sur ses épaules, et que son front rasé, suivant l’usage antique, reflétait les rayons du soleil, on l’aurait pris pour un descendant de ces Pélasges qui civilisèrent l’Ëpire. Il avait laissé sa femme et deux enfants sur la terre étrangère pour se livrer avec plus d’audace aux chances des combats. Mais sa femme Chrysé vint le rejoindre après l’insurrection de la Grèce, et voulut combattre à ses côtés.

Marco Botzaris obtint de nombreux et brillants succès contre les Turcs et fit reverdir dans sa patrie des lauriers flétris depuis 22 siècles. Peu de temps après la prise de Regniasa, il fit, avec une poignée d’hommes, poser les armes à 1,300 Turcs.

En avant de Missolunghi,il soutint,avec 600 Pallikares, les efforts de l’armée ottomane tout entière. Les Thermopyles pâliront un jour à ce récit. Retranchés auprès de Brionero, fontaine située à l’angle occidental du mont Aracynthe, ces braves, après avoir peigné leurs belles chevelures, suivant l’usage immémorial des soldats de la Grèce, se lavent dans les eaux de l’antique Aréthuse, et revêtus de leurs plus riches ornements, ils demandèrent à s’unir par les liens de la frater--nité, en se déclarant Ulamia. Un ministre des autels s’avance aussitôt. Prosternés au pied de la croix, ils échangent leurs armes ; ils se donnent ensuite la main en formant une chaîne mystérieuse, et prononcent les paroles sacramentelles : Ma vie est ta vie, et mon âme est ton âme. Le prêtre alors lès bénit, et ayant donné le baiser de paix à Marco Botzaris qui le rend à son lieutenant, ses soldats s’étant mutuellement embrassés, présentent un front menaçant.

C’était le 4 novembre 1822, au lever du soleil : on apercevait de Missolunghi et d’Anatolico le feu du bataillon immortel qui s’assoupit à midi. Il reprit avec une nouvelle vivacité deux heures après, et diminua insensiblement jusqu’au soir. A l’apparition des premières étoiles, on aperçut, dans le lointain, les flammes des bivouacs ennemis dans la plaine ; la nuit fut calme, et, le 5 au matin, Marco Botzaris rentra à Missolunghi, suivi de 22 Souliotes : le surplus de ses braves avait vécu.

A la faveur de cette héroïque résistance, -le président du gouvernement, Maurocordato, avait approvisionné Missolunghi, et fait embarquer pour le Péloponèse, les vieillards, les femmes et les enfants. Marco Bolzaris voulait pourvoir de la même manière à la sûreté de sa femme et de ses enfants ; mais Chrysé, son épouse, ne pouvait se résoudre à l’abandonner : elle lui adresse les adieux les plus déchirants, elle tombe à ses pieds- avec les timides créatures qui le nommaient leur seigneur et leur père. Marco Botzaris les bénit au nom du Dieu des batailles ; il les accompagne ensuite au port ; il suit des yeux le vaisseau ; il tend les bras à sa femme ; hélas ! il la voyait pour la dernière fois.

Il périt peu de temps après, dans une bataille nocturne contre les Turcs, et sa mort fut aussi glorieuse, aussi sainte que sa vie. (Extrait de POUQUEVILLE.)

BOUCHARD (ANDRE-PAUL)[modifier]

amiral, est né en 1780, à Borme (Var). Son père était fabricant de bouchons et mourut, laissant son fils âgé de 13 ans. Des chagrins domestiques le forcèrent à prendre du service dans la marine. Bientôt il donna des preuves de son courage et de sou intelligence ; au siège de Malte surtout, il se fit remarquer par son intrépidité.

Peu après, Bouchard fit partie de la malheureuse expédition de Saint-Domingue. Échappé comme par miracle à notre désastre, il passa aux États-Unis où il se livra d’abord à des opérations commerciales. Puis il visita divers États de l’Amérique. Il se trouvait à Buénos-Ay-res le 25 mai 1810, et fut de ceux qui contribuèrent le plus à la Révolution. Les preuves de capacités qu’il avait données" lui firent déférer le commandement de l’escadrille de cette république. Le 3 juin, après plusieurs actions glorieuses contre les Espagnols, il reçut l’ordre de s’emparer de Montevideo. Avec les sept bâtiments qu’il commandait, il battit la flotte ennemie forte de vingt-sept bâtiments de guerre, et le jour suivant, la ville se rendit aux patriotes.

Le Chili et le Pérou comptent aussi M. Bouchard au nombre de leurs libérateurs.

Tour à tour marin- et cavalier, il déploya dans ses campagnes de terre et de mer la plus haute capacité.

En 1829, époque de son dernier commandement, l’amiral Bouchard s’empara de la place et de la citadelle de Guyaquil.

BOUCHOTTE (JEAN-BAPTISTE-NOEL)[modifier]

né à Metz, en 1754. — Lieutenant-colonel, commandant àCambrai en 1792, il empêcha cette place de tomber au pouvoir des Autrichiens.Nommé ministre de la guerre en remplacement de Beurnonville, par le vote unanime de la Convention, il conserva ce portefeuille du 4 avril 1793 au 20 avril 1794 ; — créa onze armées ; — par ses soins 700,000 hommes furent levés, habillés, armés dans un délai de quatre mois. Il fit décréter les 14 et 16 août 1793 la levée en masse du peuple français ; — le 5 septembre 1793, il ordonna la formation de l’armée révolutionnaire licenciée le 27 mars 1794, et enfin le 5 octobre 1793, l’établissement du calendrier républicain.

Bouchotte, souvent persécuté, méconnu, oublié, mourut à Metz, en 1840, âgé de 86 ans.

BOUCHU (FRANÇOIS-LOUIS, baron)[modifier]

né Iel3 novembre 1771, à Is-sur-Tille (Côte-d’Or). Caporal dans le 2* bataillon de volontaires de son département, le 1" septembre 1791, il fit la guerre de 1792 à l’armée du Nord. Prisonnier le 11 juin à l’affaire de Grinwel, près de Maubeuge, où il reçut une légère blessure, il obtint, à sa rentrée au corps le 24 décembre, le grade de sergent.

Nommé lieutenant dans la compagnie de canonniers du 2e bataillon de la Côte-d’Or, le 30 janvier 1793, il se trouva au combat de Rhinzabern, sous Landau (armée du Haut-Rhin). Le 26 mai suivant, dirigé sur l’armée du Midi, il prit part au siège de Toulon.

Passé à l’armée d’Italie après la reprise de cette place, il y servit depuis,1a fin de l’an n jusqu’au commencement de l’an vi. Capitaine en second le 15 prairial an n dans la compagnie des canonniers attachée à la 117e demi-brigade de ligne, devenue 75e, il se signala à la prise d’Oneille, au siège de Ceva ( Piémont)’, au siège et au blocus de Mantoue en l’an iv et en l’an v, et combattit à Casti-glione.

Pendant le blocus de Mantoue, il fit remonter, sous le feu des retranchements ennemis, les barques nécessaires à l’établissement du pont de l’île de Thé, et coopéra au passage du Tagliamento le 26 ventôse an v.

Capitaine de la 1" compagnie de pontonniers le 27 germinal de la même année, il suivit l’expédition d’Égypte, assista à la prise de Malte et d’Alexandrie, aux sièges de Jaffa, de Saint-Jean-d’Acre et du Caire.

Chargé, au siège de Saint-Jean-d’Acre, de diverses reconnaissances des approches de la place, il s’en acquitta avec autant de zèle que de talents, et resta constamment exposé au feu des batteries du port et des remparts de la ville.

Lorsque le général Bonaparte remit à Kléber le commandement en chef de l’armée d’Orient, il porta le commandant Bouchu sur la liste des officiers d’élite qu’il recommandait à son attention ; lui-même, après les événements de brûmaire, n’oublia pas le brave de Saint-Jean-d’Acre, et il le nomma, le 5 floréal an vin, chef de bataillon d’artillerie, et, quand cet officier supérieur rentra en France, il le chargea d’organiser à Strasbourg le 1" bataillon de pontonniers, dont il lui donna ensuite le commandement.

Nommé sous-directeur des ponts près le parc général d’artillerie des camps sur l’Océan, le 21 fructidor an xi, Bouchu fit. les campagnes de l’armée des côtes des ans J^I et xii, et reçut à Boulogne, le 25 prairial de cette dernière année, la décoration de la Légion d’honneur. Colonel, le 3" jour complémentaire an m, et attaché provisoirement à l’état-major général de l’artillerie, il prit le commandement du 3e régiment d’artillerie à pied.

Pendant la campagne d’Allemagne de l’an xiv, en Prusse et en Pologne, en 1806 et 1807, il remplit les fonctions de directeur du parc général, et, le 7 mai 1807, il obtint la croix d’officier de la Légion d’honneur.

Chef de l’état-major général de l’artillerie de l’armée d’Espagne, le 10 décembre 1808, il commandait l’artillerie du 5e corps à la bataille d’Ocana. Nommé général de brigade le 19 mai 1811, sur la proposition du maréchal duc de Dal-matie, pour sa conduite au siégé de Ba-dajoz et à la bataille d’Albuéra, il commanda l’artillerie du midi de l’Espagne à partir du 21 janvier 1813.

Appelé le 6 juillet à la direction des équipages de pont de. la grande armée, il montra tant d’intelligence et de valeur à l’attaque du pont de Meissen, que l’Empereur crut devoir lui conférer le titre de baron de l’Empire.

Nommé en décembre au commandement de l’artillerie de la ville deTorgau, il fut fait prisonnier après une vigoureuse résistance, et ne rentra en France

qu’après la première abdication de Napoléon. Commandant de l’École d’artillerie à Grenoble le 21 juin 1814, chevalier de Saint-Louis le 29 juillet suivant, il se trouvait à Grenoble au moment où l’Empereur fit son entrée dans cette ville au retour de l’île d’Elbe.

Le 8 juin 1815, il reçut l’ordre d’aller prendre le commandement de l’artillerie de l’armée des Pyrénées-Orientales.

Nommé, le 10 février 1816, comman- 4 dant de l’École régimentaire de Valence, et de l’École polytechnique le 2 octobre suivant, il reçut, le 24 août 1820, la décoration de commandeur de la Légion d’honneur, et le 17 septembre 1822, celle de grand officier.

Louis XVIII l’attacha au comité consultatif de l’artillerie, et lui confia, lé 23 avril 1823, la direction du parc d’artillerie des Pyrénées. Il soutint dignement au siège de Pampelune son ancienne réputation.

Le 30 octobre 1823, le roi l’éleva au grade de lieutenant-général, et le. roi d’Espagne’ lui accorda, le 23 du même mois, la plaque de 4e classe de l’ordre de Saint-Ferdinand.

Attaché successivement, de 1816 à 1831, à l’inspection des troupes et au comité de son arme, placé en non-activité le 1" janvier 1837, et enfin admis le 13 août 1839 dans la section de réserve du cadre de l’état-major général de l’armée, il est mort à Antony, près de Paris, le 31 octobre suivant.

Son nom figure sur le côté ouest de l’arc de triomphe de l’Étoile.

BOUDET (JEAN, comte)[modifier]

général de division, naquit à Bordeaux, le 19 février 1769. Il entra au service à l’âge ’ de seize ans, en sortit après quelques années ; plus tard, lors de la formation des gardes nationales, il entra comme lieutenant dans un bataillon de la Girondej et se distingua par une rare bravoure au combat de Château-Pignon, en 1793. 11 assista-comme capitaine au siège de Toulon, et à la guerre de la Vendée en 1794 ; il avait été envoyé à la Guadeloupe, alors occupée par les Anglais ; il y prit le fort Fleur-d’Epée et la ville de Pointe-à-Pitre, vigoureusement défendus par l’ennemi. Le, courage et les talents qu’il avait déployés dans cette expédition, le firent nommer dans la même année général de brigade. 11 acheva la conquête de l’île par une longue série des plus brillants faits d’armes, et fut élevé, par le Directoire, en 1796, au grade de général de division. Au bout de deux ans, et après avoir mis l’île en état de défense, il revint en France pour prendre part à’ia canipagne de Hollande, sous le commandement du général Brune. Après le 18 brumaire, il entra dans l’armée de réserve, commandée par Berthier et destinée pour l’Italie. Chef de l’avant-garde, il s’y distingua à la tête de sa division par un grand nombre d’actions d’éclat. Vers la.fin de 1801 il alla à Saint-Domingue, sous les ordres du général Leclerc, et y contribua.puissamment au succès des armes françaises. Sa conduite, dans cette sanglante et terrible expédition, ne saurait être assez louée. Il s’y montra constamment généreux et humain, et traita avec un égal ménagement les noirs et les hommes de couleur. De retour en France, le général Boudet fut envoyé en Hollande par l’Empereur, en 1804, pour tenter de là une descente en Angleterre ; mais la guerre de 1805 interrompit les. préparatifs et l’appela sur les côtes d’Allemagne. En 1807 il prit part au siège de Colbert, sous les ordres de Murât, et s’empara, après la paix de Tilsitt, de la forteresse de Stralsund. En récompense de ses services, Napoléon lui conféra le titre de comte, et lui fit don d’un re-

venu de 30,000 francs sur la Poméranie suédoise. En 1809, le général Boudet assista à la prise de Vienne ; à Essling il résista pendant 36 heures à l’armée autrichienne. La veille du 5 juin 1809, sa division fut la- première qui, de l’île de Lobau, attaqua les Autrichiens placés sur la rive gauche du Danube et effectua le passage ; et le o au soir, il avait, à la pointe de la baïonnette, pris possession d’Essling et de Gross-Aspern. Dé l’aveu de l’EmpereHr lui-même, ce fut à la conduite du général Boudet que nous dûmes la victoire d’Aspern. Mais les constants et pénibles efforts d’une carrière si bien remplie lui avaient attiré une goutte violente à laquelle il succomba le 14 septembre 1809.

Napoléon perdit en lui un de ses généraux les plus braves et les plus dévoués.

Son nom est gravé sur l’arc de triomphe de l’Etoile, côté est.

BOUGENEL (JEAN-FRANÇOIS)[modifier]

né à Paris, le 16 mai 1786, servit, dès l’âge de 14 ans, sur les vaisseaux de l’État, en qualité de novice ; plus tard il entra à l’école de Fontainebleau, où il fut d’abord élevé, et d’où il sortit, en’1806, sous-lieutenant au 19" de chasseurs à cheval ; il fut en outre attaché au prince de Neufchâfel, en qualité d’officier d’ordonnance, et fit toutes les campagnes jusqu’au 13 septembre 1813, qu’il fut fait prisonnier à Borra, en Saxe.

M. Bougenél conquit sur les champs de bataille les gradés de capitaine et de chef d’escadron, et la croix de la Légion d’honneur.

Rentré en France en 1814, il fut mis en non-activité, reprit du service pendant les Cènt-Jours, fit là campagne avec le 10’ chasseurs, ou à l’état-major de la cavalerie ; il passa en 1816 dans les chasseurs de l’Isère et fut promu au grade de lieutenant-colonel du 6’ chasseurs en 1827.

Après la Révolution de 1830, M. Bou-genel fut nommé colonel du 6e lanciers, et le 24 août 1838, maréchal de camp, chargé du commandement de la subdivision militaire de Givet.

Le général Bougenel, chevalier de Saint-Louis, en 1822, est aussi commandeur de la Légion d’honneur. Il a été nommé général de division, le 28 décembre 1846. Il commande aujourd’hui la 4e division militaire et fait partie du comité de cavalerie.

BOUILLE (LOCIS-JOSEPH-AMOUR, marquis de)[modifier]

fils et frère des deux Bouille qui participèrent à l’évasion de Louis XVI ; M. de Bouille est né le Ie’mai 1769. Le grand Frédéric l’admit à l’Académie des gentilshommes de Berlin. A 18 ans, il fut nommé capitaine au Royal-Pologne, cavalerie ; puis dans Mestre-de-camp-général, dragons, et enfin major en second aux hussards de Ber-dung, le 5 juin 1790.

En 1791, il devint lieutenant-colonel aide-de-camp de son frère, le chevalier de Bouille. Il eut occasion de montrer sa bravoure dans quelques émeutes en 90 et 91, à Metz et à Nancy, et sauva la vie à plusieurs personnes. Le jour de l’arrestation du roi à Varennes, M. de Bouille se trouvait près de son père, et il fut poursuivi comme lui, en vertu d’un décret de l’Assemblée nationale, mais il passa en Suède et devint aide-de-camp de Gustave III et adjudant-général. A la suite de l’assassinat de ce prince, M de Bouille se rendit à l’armée de Condé, passa au service de Prusse et fut blessé au siège de Mayence.

En 1793 il leva à ses frais un régiment de hullans et combattit à l’avant-garde de l’armée anglaise jusqu’à la réforme de son corps, en 1796. Cette même année, lorsque le comte d’Artois voulut tenter une descente, il confia à M. de Bouille le commandement en chef de la cavalerie. Après l’échec de cette expédition, il resta dans l’inaction jusqu’en 1802. Il obtint à cette époque sa radiation de la liste des émigrés et prit du service dans sa patrie en 1806.

Il ne tarda pas à se distinguer et montra tant de bravoure au siège de Gaëte en 1807, qu’il reçut la décoration de la Légion d’honneur.

Attaché au 9’ corps de la grande armée, il assista aux combats livrés par ce corps et à la tète d’une avant-garde de chevau-légers de Linanges-Bavarois, battit le prince d’Anhalt, lui prit son artillerie et paralysa tous ses mouvements.

En 1808, il suivit en Espagne le général Sébastiani, en qualité de chef d’état-major, contribua au succès du combat de Ciutad-Real, fut élevé au grade de chef d’état-major général du 4° corps, se distingua dans divers rencontres, notamment à la bataille d’Almona-cid, où il ajouta à la réputation de valeur et de capacité qu’il s’était faite. Cette brillante conduite lui mérita le grade de général de brigade, le 22 juin 1810, et le commandement d’un corps de dragons avec lequel il battit, le 19 avril et le 17 mai 1812, le général Freyre. Forcé, par le mauvais état de ses yeux, de quitter l’Espagne, il fut fait lieutenant-général à la rentrée des Bourbons et mis à la retraite.

BOURCIER (FRANÇOIS-ANTOINE-LOUIS, comte)[modifier]

né le 23 février 1760, à la Petite-Pierre, près de Pbalsbourg (Bas-Rhin). Lieutenant de cavalerie au commencement de la Révolution, il fut alors nommé aide-de-camp du duc d’Aiguillon, et passa en 1792 à l’état-major du général Custine. Devenu général de brigade, il fut nommé, en 1793, chef d’état-major de l’armée du Rhin, et élevé l’année suivante au grade de général de division.

Chargé de la conduite d’une division de cavalerie, sous les ordres du général Moreau, il se distingua au combat d’Ingolstadt, et contribua par son talent et son courage aux résultats de la fameuse retraite de 1796. Nommé inspecteur de cavalerie le 3 août 1797, il fit les campagnes de Suisse et de Naples, où il commanda une colonne de cavalerie qui tailla en pièces les insurgés qui s’étaient rassemblés à Andria. Il fit la campagne de 1805, à la tête d’une division de dragons, et prit part aux batailles d’Elchingen et d’Ulm, ainsi qu’à celle d’Austerlitz, au succès de laquelle il contribua par de brillantes charges ; il assista l’année suivante à la bataille d’Iéna, et fut nommé, après la prise de Berlin, inspecteur général du grand dépôt des chevaux pris à l’ennemi.

Envoyé en Espagne, il n’en revint que pour aller combattre à Wagram, où il donna des preuves d’un courage et d’une intrépidité extraordinaires. Plus tard il fit partie de l’expédition de Russie ; et vint, après les revers qui l’accompagnèrent, s’établir à Berlin où il réorganisa la cavalerie française.

Il fut mis à la retraite en 1816 ; mais l’année suivante il fut rappelé au conseil d’État et employé en qualité de commissaire du roi près la régie générale des subsistances militaires. Il fit ensuite longtemps partie de la chambre des députés, et mourut en 1828.

BOURJOLLY (LE PAYS DE) (JEAN-ALEXANDRE)[modifier]

né à Saint-Dominique, le 24 mars 1791, est sorti des pages de Louis-Napoléon, roi de Hollande, pour entrer dans, le 2e  d’infanterie hollandaise, en qualité de sous-lieutenant, par décret du 23 mai 1807. Ce régiment, en 1808, faisait partie de l’armée d’occupation de Hanovre.

Commandant un détachement de 18 à 20 hommes sur les côtes de l’Ost-Frise, M. de Bourjolly se signala en reprenant aux Anglais un navire que la marée descendante avait laissé à sec ; avec 12 hommes il s’en rendit maître. Saisissant le fusil d’un de ses fantassins, il tua lui-même l’officier : huit hommes furent tués dans cette petite affaire, et neuf furent ramenés prisonniers. Il avait alors 17 ans.

Passé au service de France en 1810, aide-de-camp du maréchal duc d’Istrie (Bessières), le 4 septembre ; il fit les campagnes de 1810, 1811 en Espagne, 1812, en Russie et 1813 en Allemagne. Il fut décoré de l’ordre de la Légion d’honneur sur le champ de bataille de Lutzen. Le maréchal Bessières fut tué à ses côtés au moment où il lui donnait un ordre.

Devenu aide-de-camp, du maréchal Soult, le 5 mai 1813, il fit les campagnes de 1813 et de 1814 en Espagne et en France, et se trouva à la bataille de Toulouse ; il fut nommé chef d’escadron le 31 octobre de la même année ; plus tard, pendant la campagne de 1815, il était encore aide-de-camp du maréchal Soult, à la bataille de Waterloo.

La Restauration arrêta une carrière commencée sous de si brillants auspices. Parvenu au grade d’officier supérieur-à l’âge de 23 ans, M. de Bourjolly resta en demi-solde jusqu’en 1830, où il fut remis en activité et nommé chef d’escadron au 8e dragons, le 11 août 1831 ; il est devenu colonel du même régiment le 29 août 1835, et du 1er  des chasseurs d’Afrique le 27 août 1839 ; le 21 juin 1840, il fut promu au grade de maréchal de camp.

M. de Bourjolly, grand officier de la Légion d’honneur, général de division depuis le 20 octobre 1845, est aujourd’hui inspecteur général et membre du comité de cavalerie ; il a commandé successivement les 7e, 6e et 4e divisions militaires. a fait les campagnes de 1807,1808, 1809 en Hanovre et en Hollande ; de 1811 en Espagne, de 1812 en Russie, de 1813 en Allemagne, de 1814 en Espagne, de 1815 en France, et, enfin, de 1830, 1839, 1840, 1841, 1843, 1844 et 1845 en Afrique.

BOURJOLLY DE SERMAISE (LE PAYS DE) (GUILLAUME-JBAN-MARIE-ËDOUARD)[modifier]

né à Philadelphie, le 10 juin 1793. Il était sous-lieutenant au 2 » régiment de chasseurs italiens, le 8 août 1811, et lieutenant au 3e régiment de la même arme, le 26 juillet 1813. Le 13 octobre de cette année, il fut nommé lieutenant-adjudant-major, et passa capitaine au service de France le 7 juillet 1814.

A la Restauration, 13 août 1814, il entra dans les mousquetaires, 1" compagnie, en qualité de maréchal-des-logis, le 19 mars 1815 ; il était, chef d’escadron et passa avecce grade aux chasseurs de l’Allier en 1816. Nommé lieutenant-co^ lonel au 3* régiment de chasseurs le 30 avril 1831, et colonel du 6° régiment de la même arme le 3 février 1836. Il fut promu au grade de maréchal de camp le 22 avril 1846.

M. de Bourjolly de Sermaise est officier de la Légion d’honneur depuis 182i, et commande aujourd’hui la 2e subdivision de la 3’ division militaire, à Nancy, (Meurthe et Vosges).

Il a fait les campagnes de 1812 en Russie, de 1813 en Illyrie.et de 1814 en Italie. — II a été blessé à l’épaule à la bataillé du Mincio, en 1814.

BOURKE (JEAN-BAYMOND-CHARLES, comte)[modifier]

né à Lorient, le 12 août 1772, d’une famille irlandaise qui avait suivi les Stuarts en France, entra en 1787 dans le régiment de Walsh-infanterie, et fit partie à l’âge de 14 ans de l’expédition de Cochinchihe. H était, en 1792, à Saint-Domingue, où il fut blessé en défendant le poste de Genton. De retour en France, il passa à l’armée des côtes de Cherbourg, puis s’embarqua, en l’an vi, comme chef de bataillon dans la brigade étrangère qui fit partie de l’escadre qui conduisait en Irlande le capitaine de vaisseau Bompart. Fait prisonnier à bord du bâtiment qu’il montait, il fut échangé et remplaça, en l’an vm, le général Lambert dans le commandement supérieur de Lorient.

Il prit part en l’an x, à la tête de 300 hommes de la marine, à l’expédition de Saint-Domingue, et fut nommé, à son retour, en l’an xv, lieutenant-colonel, aide-de-camp du général Davoût, qui commandait le 3’ corps de l’armée d’Angleterre : il se distingua dans tous les engagements de la flottille française qui eurent lieu entre Flessingue et Ambleteuse, et principalement à l’affaire de Messidor, an xm, sous le cap Griuez.

Depuis, Bourke soutint avec un rare courage l’honneur des armes françaises ; A la bataille d’Austerlitz, avec une partie du 17’léger, il contint l’ennemi qui voulait prendre en flanc notre armée et déjoua toutes ses tentatives.

Dans la campagne de Prusse, il s’empara d’un équipage de pont sur la Saale, et porta les postes de cavalerie légère jusqu’à Freyberg. Cette belle action lui mérita le titre de commandant de la Légion-d’honneur.

Dans la deuxième campagne d’Autriche en 1809, sa rare intrépidité contribua puissamment à la prise de 3,000 Autrichiens qui défendaient une des portes de Ratisbonne. Sur le champ de bataille de Wagram, où il eut deux chevaux tués sous lui, il fut nommé général de brigade. L’armée anglaise ayant débarqué dans l’île de Walcheren, il se porta en toute hâte à Anvers, et entra à la tête de sa brigade, le 15 novembre 1809, dans le fort de Bath, et à Flessingue, le 15 novembre suivant. De 1810 à 1813, il se signala par des prodiges de valeur en Espagne, où il culbuta toutes les bandes de Mina.. Nommé lieutenant - général et gouverneur de Wesel, le 7 novembre 1813, il ne consentit à rendre cette place aux Prussiens que sur l’injonction de Louis XVIII. De même en 1815, ce ne fut qu’en exécution des traités de Paris qu’il remit à l’armée russe la ville de Givet dont Napoléon lui avait confié la défense ; il se retira alors avec le peu d’hommes qui lui restaient dans la citadelle de Charleroi, où il se maintint tant que dura l’invasion étrangère et qu’il, eut ainsi la gloire de conserver à la France

En 1822, le général Bouike fit la campagne d’Espagne : c n’était pas un tacticien de premier ordre ; mais son impétuosité et sa constance le rendaient terrible dans un coup de main. Rien ne put refroidir son ardeur, ni l’âge, ni les blessures, ni la richesse. Il aimait la France avec passion et donna de nouvelles preuves de son patriotisme. Aussi fut-il un des meilleurs soldats de cette légion irlandaise qui en renfermait de si braves et qui se montra fidèle à la France, sa patrie adoptive.

Bourke a été nommé successivement, depuis 1823, grand officier de la Légion d’honneur, pair de France, grand-croix de Saint-Ferdinand et de la Légion d’honneur, inspecteur-général d’infanterie. Il est mort à Lorient, en septembre 1847.

BOURMONT (Louis - AUGUSTE - VICTOR, comte de Ghaisne)[modifier]

naquit au château de Bourmont, en Anjou, le 2 septembre ] 1773^ II était^enseigne dans le régiment ; des gardes françaises depuis un an, lors j de la révolution de 1789. Au licencier ; ment de ce corps, cette même année,.il retourna au château de Bourmont d’où il.partit avec son père, vers la fin de 1790, pour se rendre à Turin, à l’appel du prince de Condé dont il était aide-de-camp. Sur la fin de 1791, M. Bourmont père mourut et son fils revint quelques mois en France auprès de sa mère, puis rejoignit le comte d’Artois à Coblentz. Le régiment des gardes françaises ayant été formé dans cette ville sous le nom d’hommes d’armes à pied, M. de Bourmont y fut nommé sous-lieutenant, grade équivalent à celui de capitaine. Au licenciement de l’armée des Princes il se retira à Bruxelles et après la bataille de Jemmapes, à Bois-le-Duc, en Hollande. En 1795, il obtint du prince de Condé la permission de passer dans la Vendée où il eut le commandement en second des troupes du vicomte de Scépeaux et le ’ titre de major général. Chargé par M. de Scépeaux d’aller à l’armée de Condé solliciter la présence dans l’ouest d’un prince de la famille de Bourbon, il s’acquitta de sa mission, se remit en route pour retourner en Vendée et apprit la catastrophe de Quiberon avant d’y arriver.

Au mois de janvier 1796, le comte de Scépeaux chargea le comte de Bourmont d’aller en Angleterre exposer à Monsieur la situation des provincesroyalistes.M. de Bourmont trouva le comte d’Artois à Edimbourg et reçut de sesmains la croix de Saint-Louis, en même temps que le duc d’Angoulême. Il avait alors 22 ans.

M. de Bourmont retourna en Vendée ; mais, la paix ayant été conclue avec les chefs royalistes, il demanda au général Hoche la permission de retourner en An-.gleterre, permission qui, à ce qu’il paraît, ne lui fut point accordée. Il fut déporté en Suisse sous l’escorte d’un général républicain. L’année suivante, M.deBourmontentra dans de nouvelles menées et vint à Paris, déguisé, préparer, aidé de quelques autres, une conspiration dont Pichegru était l’âme. L’arrestation des chefs militaires comprima le mouvement préparé, M. deBourmont se sauva à Londres, où il resta jusqu’en 1799, où la guerre civile recommença. Georges Cadoudal était au nombre des nouveaux chefs vendéens : M. de Bourmont eut lui-même le commandement des provinces du Maine, du Perche, etc. Cettevfois. les soldats qu’il commandait n’étaient plus les anciens Vendéens, mais ces soldats, plussembla-bles à des brigands rendus célèbres sous le nom de Chouans qui, au besoin mettaient à contribution les caisses publiques, et pillaient les diligences. Avec une colonne de ces soldats, M. de Bourmont s’empara du Mans, le 15 octobre 1799 et pour la deuxième fois, depuis la révolution, cette malheureuse ville fut mise à sac par des Français.

Après la paix, qui fut de nouveau signée le 2 février 1800, M. de Bourmont se rendit à Paris, y épousa mademoiselle Becdelièvre, fille de l’ancien président du parlement de Bretagne, et parvint à se rendre utile au premier Consul, qui le consultail sur les affaires de l’Ouest.

Le 21 décembre 1800, lorsqu’eut lieu l’explosion de la machine infernale, il ne fut d’abord ni arrêté ni accusé publiquement de complicité avec les royalistes, mais, peu après, il fut compris dans la catégorie des royalistes qui,- refusant de se rallier au gouvernement, furent mis dans des prisons d’État. On l’enferma dans la citadelle de Besançon. Il s’en évada vers la fin de 1804 et se réfugia en Portugal, où il resta malgré l’invasion de Junot, qui lui donna même à exercer les fonctions de chef d’état-major. Après la convention de Cintra, M. de Bourmont suivit l’armée française en France ; mais, arrivé eu Bretagne, il fut arrêté et conduit à Nantes. Junot, dont il avait reçu la parole, le fit rendre à la liberté et le fit admettre dans l’état-major de l’armée, comme adjudant-commandant,

avec ordre de rejoindre l’armée à Na-ples. Le comte de Bourmont s’élança dans la carrière des armes qu’on ouvrait devant lui, prêta serment à l’Empereur, se conduisit avec distinction dans l’affaire de. Bragance, alla à Milan, près du vice-roi, puis à Inspruck, et fut dès lors associé à toutes les opérations du 4" corps jusqu’à la campagne de Russie.

Employé pendant les campagnes de 1813 et 1814, il reçut de Napoléon quelques missions importantes, et fut mentionné honorablement dans les rapports officiels de la bataille de Dresde. Il avait été nommé général de brigade au mois d’octobre 1813. En 1814 (février), l’Empereur l’ayant laissé à Nogenl avec 1,200 hommes ; il barricada les rues, crénela les maisons, "et repoussa toutes les attaques de l’ennemi, à qui il fit perdre 1,700 hommes. Ce fait d’armes lui valut le grade de général de division.

M. de Bourmont reconnut un des premiers les Bourbons, et fut nommé au commandement de la 6e division militaire, qu’il avait encore à l’époque du débarquement. L’ordre lui fut donné de se réunir au maréchal Ney, et il fut témoin de la défection de ses troupes. Pendant les Cent-Jours, M. de Bourmont se rendit à Paris, s’insinua de nouveau dans les bonnes grâces de l’Empereur, et obtint le commandement de la 6e division du corps d’armée commandé par le général Gérard. Cependant dès la promulgation de l’acte additionnel, auquel il refusa d’adhérer, il avait jugé la cause de Napoléon perdue et le retour de Louis XVIII infaillible. Dès lors sa conduite était tracée, et son départ pour Gand n’était plus que l’affaire du temps et des circonstances. Trois jours avant la bataille de Ligny sous Fleurus, le 14 juin, il abandonna ses drapeaux et se rendit auprès du roi, qui, après la bataille de Waterloo, lui donna le commandement de la frontière du Nord. Il figura ensuite dans les procès du maréchal Ney et du général Bonnaire, et contribua par ses dépositions à la condamnation du premier. En 1816, il fut nommé commandant de l’une des divisions de la garde royale. En 1823, il commanda en Espagne la division d’infanterie de la garde royale attachée au corps de réserve.

En 1829, il fit partie du ministère Polignac, et eut le portefeuille de la guerre.

Ce fut lui qui, en 1830, commanda l’expédition d’Alger. La flotte opéra son débarquement le 14 juin, et le 5 juillet Alger capitula. Il dut à ces événements de n’être pas impliqué dans le procès des ministres après la Révolution. Charles X venait de le nommer maréchal de France. Le nouveau gouvernement refusa de reconnaître ce titre, et envoya le général Clausel pour le remplacer en Algérie.

Le 3 septembre, M. de Bourmont, accompagné de ses deux fils, mit à la voile sur un bâtiment marchand, et se rendit en Angleterre auprès de Charles X, qui l’accueillit avec effusion. Depuis lors il essaya de ranimer la guerre1 de la Vendée, où il accompagna la duchesse de Berri. Il mit aussi son talent militaire au service de don Miguel, en Portugal..Ce dernier acte a autorisé le> gouvernement, à lui appliquer les dispositions du Code concernant les Français qui servent en pays étrangers sans autorisation. M. de Bourmont a cessé d’être Français, et a fixé sa résidence en Allemagne ;

II est mort le 27 octobre 1846 au château de Bourmont, dans l’Anjou, à l’âge de 73 ans. Tel est l’homme que la France entière et Napoléon ont jugé sévèrement avant l’histoire. On connaît le mot accablant prononcé par l’Empereur à Sainte-Hélène : « Bourmont est une de mes erreurs. »

BOUSSARD (ANDRE-JOSEPH, baron)[modifier]

né à Binch, en Hainaut, le 13 novembre 1758, servit d’abord dans les troupes autrichiennes ; mais les troubles de la Belgique le rappelèrent bientôt dans sa patrie, où il servit, en qualité de capitaine, jusqu’en 1791. A cette époque il passa sous nos drapeaux.

Chef d’escadron au 20’ dragons en 1793, il passa en Italie et s’y fit remarquer. Nommé chef de brigade, il suivit Napoléon en Égypte et se signala dans toutes les rencontres. Rentré en France avec le grade de général de brigade, il fit avec distinction la campagne de Prusse ; mais c’est surtout en Espagne qu’il donna des preuves d’une éclatante bravoure.

Chargé en 1810 d’arrêter le général O’Donnel qui cherchait à dégager Lé-rida assiégée par nos troupes, il le joignit, l’attaqua avec tant d’impétuosité que les colonnes.ennemies débordées ne purent se mettre en ligne et s’enfuirent dans le plus affreux désordre.

La tentative de Bassecourt sur le camp de Vinaros fournit à Boussard une nouvelle occasion de gloire ; il fondit sur les assaillants à la tête de quelques escadrons de cuirassiers, les enfonça et les poursuivit jusqu’à Benicarlos. A la bataille de Sagonte, la cavalerie ennemie s’était emparée de nos pièces et faisait main basse sur les colonnes qui lesappuyaient ; Boussard accourt, s’élance sur les Espagnols, les sabre, reprend nos canons et enlève l’artillerie des assaillants eux-mêmes. Comme cet intrépide général attaquait sans les compter tous les ennemis qu’il avait en tête, il rencontre vingt "escadrons espagnols en bataille en avant de Torrente ; il n’avait avec lui qu’une soixantaine de hussards, et cependant il fait sonner la charge et se précipite sur l’ennemi avec un abandon sans exemple ; mais la disproportion était trop grande ;

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il est entouré, couvert de coups de sabre, et eût péri sans le général Delort qui vint le dégager. Nommé général de division le 16 mars 1812, mais épuisé, couvert de cicatrices, il vint à Bagnè-res-de-Bigorre pour s’y rétablir, et y mourut le 11 août 1,813.

BOUTEILLER (CHARLES-FRANÇOIS-ROMARIC de)[modifier]

né à Nancy le 9 décembre 1786, était passé de l’École polytechnique à l’École d’application de Metz en septembre 1805 ; il avait fait ses premières campagnes en Prusse et en Pologne avec le,6e régiment d’artillerie à pied, aux sièges de Breslau, de Schweid-nitz, de Neiss, de Silderberg et au combat de Glatz. Le 1" juillet 1810, il entra comme capitaine au 2e bataillon de pontonniers, et fit la campagne de Russie en qualité d’adjoint à l’état-major de l’artillerie de la grande armée. Il était à la bataille de Smolensk.et à celle de la Mos-kowa, aux combats de Krasnoé, Maloja-roslawetz ainsi qu’au passage de la Bé- » résina. Il eut pendant la retraite un doigt de la main gauche gelé, dont il subit plus tard l’amputation. Nommé chevalier de la Légion d’honneur le 21 avril 1813, est attaché avec le grade de capitaine chef de bataillon à l’artillerie à pied de la garde impériale pendant la campagne de Saxe ; il reçut un coup de feu dans l’épaule droite à Bautzen, et fut décoré de la croix d’officier le 6 septembre, après la bataille de Dresde.

Présent à Leipzig, à Hanau, à Brienne, à Arcis-sur-Àube, M. Bouteiller, qu’on avait placé à l’École de Metz à la pre -mière Restauration, commanda dans les Cent-Jours et durant tout le blocus l’artillerie de la garde nationale de cette ville. Successivement major du 2’ à pied, commandant de l’artillerie à Thionviile et secrétaire du comité consultatif de son arme, M. de Bouteiller, devenu lieutenant-colonel en 1825, eut en 1830 la direction administrative du dépôt central et de l’atelier de précision de Paris ; puis il commanda quelque temps comme colonel l’École d’application, et fit, en qualité de chef d’état-major général de l’artillerie les trois campagnes de 1831, 1832, 1833 en Belgique, les deux dernières au siège d’Anvers. Il obtint à cette occasion la décoration de commandeur de la Légion d’honneur et celle d’officier de l’ordre de Belgique. Nommé maréchal de camp le 27 février 1841, il quitta la direction de Metz, où il était employé depuis 1833, et commanda successivement les Écoles de Toulouse et de Metz. Promu au grade de général de division le 12 juin 1848, M. de Bouteiller était membre du comité d’artillerie et du conseil de perfectionnement de l’École polytechnique.

Il est mort à Paris dans l’exercice de ces hautes et importantes fonctions le 3 mars 1850, à l’âge de 63 ans.

M. de Bouteiller unissait à un mérite incontestable comme artilleur, à une instruction étendue et aux qualités de l’homme de cœur, un esprit fin et aimable, une grande bonté de caractère, une extrême modestie et une piété sincère. Établi à Melun depuis plusieurs années, il y jouissait d’une grande considération et de l’affection de toutes les personnes qui l’y ont connu.

BOYELDIEU (LOUIS-LEGER, baron)[modifier]

naquit le 13 août 1774 à Monsures (Somme). Le 2 septembre 1791 il entra comme sous-lieutenant dans le 3e bataillon de volontaires de son département. Incorporé dans la 24° demi-brigade de ligne, devenu 61’, lieutenant le 4 février 1792, et capitaine le 25 prairial an H, il fit les guerres de la Révolution de, 1792 à l’an v, et suivit sa demi-brigade en Égypte. De l’an vi à l’an ix, il se trouva aux batailles de Chebreiss et des Pyramides, suivit l’armée dans le Séid, et prit part à tous les combats que sa demi-brigade livra à Mourad-Bey ;

Rappelé dans le Delta, il y combattit les Turcs et fut blessé à la prise du fort d’Aboukir. A la’bataille livrée sous les murs d’Alexandrie, le 28 ventôse anix, il reçut un coup de feu dans le cou, et obtint le grade de chef de bataillon, le 9 germinal suivant.

Rentré en France après la capitulation d’EI-Arisch, il devint membre de la Légion d’honneur le 2o prairial an xn, fit la campagne de cette année et la suivante à l’armée des côtes de l’Océan, et passa avec son grade, le 18 fructidor an xm, dans les grenadiers à pied de la garde consulaire. Sa conduite, pendant la campagne de l’an xiv, lui mérita, le 9 mars 1806, le grade de colonel, et le 14 du même mois la décoration d’officier de la Légion d’honneur.

Passé au commandement du 4e de ligne, il fit les guerres de 1806 à 1807 en Prusse et en Pologne, et reçut à Deppen, le 7 février 1807, un coup de feu dans le bras gauche ; l’Empereur le nomma le 11 juillet commandant de la Légion d’honneur, et, l’année suivante, baron de l’Empire.

Pendant la campagne d’Allemagne de 1809, il combattit à Bergfried et àWa-gram, fut blessé dans chacune de ces affaires et mérita d’être cité dans le Bulletin officiel.

Adjudant général de la garde, avec rang de général dé brigade, le 21 juillet 1811, il suivit la grande armée enPrusse et en Saxe. Napoléon l’éleva, le 7 septembre 1814, au grade de général de di-. vision.

Il s’était fait remarquer à la bataille de Dresde à la tête d’une brigade dé la jeune garde, et avait reçu un coup de feu à l’épaule gauche. La gravité de cette blessure ne lui permit pas de faire la campagne suivante.

Chevalier de Saint-Louis le 29 juillet 1814, et en non-activité le 1er septembre suivant, il est mort à Monsures (Somme), le 17 août 1815.

Son nom est inscrit sur la partie Est de l’arc de triomphe de l’Étoile.

BOYER (PIERRE-FRANÇOIS-XAVIER, baron)[modifier]

lieutenant-général, naquit à Bel-fort (Haut-Rhin), le 7 septembre 1772. Il partit comme volontaire à l’âge de vingt ans, dans un des bataillons de la Côte-d’Or. Peu de temps après il commandait, comme capitaine, une compagnie du 1" bataillon du mont Terrible, et devenait l’aide de camp du général Kellermann.

En 1796, il faisait la campagne d’Italie, en qualité d’adjudant-général. Plus tard, il suivait Bonaparte sur les bords du Nil et en Syrie. Il se distingua à la bataille d’Alexandrie, où il fut grièvement blessé.

Le 3 germinal an ix, il était général de brigade, et se disposait à prendre part à l’expédition de Saint-Domingue, comme chef d’état-major de l’armée. Il se comporta brillamment en Allemagne, aux batailles d’Iéna, de Pultusk, de Fried-land et de Wagram.

Il devint en Espagne la terreur des guérillas. Sa division de dragons inspirait partout l’effroi. Lieutenant-général le 16 février 1814, il fut placé à la tête du département du Mont-Blanc ; il en fut chassé par la première Restauration, combattit l’étranger pendant tout le temps de l’invasion, et fut réformé sans traitement en 1816. Il vécut misérablement pendant plusieurs années. On l’autorisa enfin à passer au service du Pacha, vice-roi d’Égypte. La révolution de Juillet le rappela en France. Il commanda une division en Afrique, lors de l’expédition de Clausel, dans la province de Tittery. On lui confia le commandement de la place d’Oran. Il y arriva précédé d’une grande réputation de sévérité qui lui avait valu en Espagne le surnom de Cruel. On eut quelque peine à croire que cet homme si doux, si affable dans son intérieur, eût jamais mérité qu’une telle épithète s’attachât à son nom ; mais la dureté impitoyable avec laquelle il sévit contre les Maures, soupçonnés d’avoir des intelligences avec le Maroc, ne tarda pas à prouver qu’on n’avait nullement calomnié le général Boyer. Toutefois, notre situation exigeait peut-être ces manifestations énergiques et implacables. La province était dans une anarchie complète. Mascara était presque constituée en république ; Tlemcen n’était qu’un vaste cirque où les Maures et les Coulouglis s’entre-déchiraient journellement ; Mostaganem nous reconnaissait à peine. Le reste de la province nous était plus qu’hostile, et nous avions affaire à des ennemis tels que le marabout Mahy-cd-Dine, l’émir Abd-el-Kader, Musta-pha-el-Mezary, Miloud-ben-Arrach,. etc. La main de fer. du général Boyer, tout en pesant sinistrement sur la ville, en y comprimant la révolte et la trahison par la terreur, faisait en même temps respecter notre drapeau aux ennemis extérieurs. Il est donc à peu près prouvé que la province eut regagné toute sa tranquillité s’il avait été maintenu à son poste. C’était peut-être le seul homme capable d’imposer aux Arabes, qui ne sont soumis qu’à ceux qu’ils craignent. La bénignité, la mansuétude du général Desmi-chels, qui remplaça le général Boyer, détruisit en quelques jours les effets de la vigoureuse administration de son prédécesseur.

Il est grand officier de la Légion d’honneur.

BOYER (LODIS-JACQUES-JEAN, baron)[modifier]

né le 24 juin 1767, à Sarlat (Dordogne). Le 8 octobre 1791. il entra comme sous-ieutenant dans le 48e régiment d’infanterie de ligne, devint lieutenant le 1" octobre 1792, et passa avec ce grade, le 8 du même mois, en qualité d’adjoint à l’état-major de l’armée du Midi.

Le 19 juin 1793, il fut nommé chef de bataillon des côtes maritimes, et peu de jours après adjudant-général chef de bataillon provisoire.

Le 16 brumaire an n, le gouvernement lui envoya le brevet d’adjudant-généràl chef de brigade (colonel) pour le récompenser de ses services distingués pendant les campagnes de 1792 à l’an ni, aux armées du Midi, des Alpes et d’Italie.

Réformé par suite de la réorganisation de l’état-major de l’armée, le 2o prairial an ni, il ne reprit de l’activité que le 19 pluviôse an vi, et fut employé aux armées gallo-bataves du Rhin et d’Italie, de l’an vi à l’an xi.

Le 11 fructidor de cette dernière année, il reçut le brevet de général de brigade etfut appelé au commandement de la -l’e subdivision de la 13" division militaire.

Le 6 nivôse an xu, le général Boyer passa de ce commandement à celui des côtes du Morbihan. Compris sur la liste de nomination des membres de la Légion. d’honneur du 19 frimaire an xu, il fut nommé commandant de cet ordre le 2o prairial suivant, et peu de temps après électeur du département de la Dordogne. Employé le 2 vendémiaire an xiv au camp volant de Rennes, composé de grenadiers réunis, il retourna, le 8 février 1806, dans le Morbihan, et fut désigné, le 9 janvier 1807, pour prendre le commandement du département des Côtes-du-Nord. Le général Boyer resta peu de temps dans cette résidence.

Le 6 février de cette année, l’Empe^ reur lui confia la brigade d’avant-garde

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du camp de Pontivy. A la fin de décembre 1808, il reprit ses fonctions dans le département des’Côtes-du-Nord.

Vers ce temps, Napoléon lui conféra le titre de baron de "l’Empire. Passé au commandement de l’île d’Aix, le 29 juillet 4812, il prit, le.18 août suivant, celui de la 8e brigade des gardes nationales.

A la première Restauration, le général Boyer adressa sa soumission à Louis XVIII, qui le maintint dans son commandement de l’île d’Aix.

Au retour de l’île d’Elbe, l’Empereur retrouva dans ce chef de son choix tout le dévouement.qu’il avait droit d’en attendre ; aussi ne (arda-t-il pas à lui donner un emploi de confiance, en l’envoyant, le 22 mai J 815, dans le.département de la Vendée, menacé par une nouvelle levée d’insurgés. Il montra la plus grande fermeté dans ces fonctions difficiles, et sut s’y concilier l’estime des habitants et l’affection dès troupes. placées sous ses ordres.

Mis en non-activité le 24 août suivant il fut compris dans le cadre de disponibilité de l’étal-major général de l’armée le 30 décembre 1818, et mis à la retraite le Ier décembre 1824.

Il est mort le 18 novembre 1828. Son nom est gravé sur le monument de l’Étoile, côté Nord.


BOYER DE REBEVAL (JOSEPH, baron)[modifier]

né à Vaucouleurs le 20 avril 1768, entra au service en 1787, fit avec distinction presque toutes les campagnes de la Révolution, et gagna tous ses grades par des actions d’éclat. Colonel d’un régiment de fusiliers-chasseurs en 180", il’fut chargé de foire le blocus de Colberg, en Poméranie. Le fort de Neugarten gênait les approches de la place ; mais, situé au milieu dévastes marais, il n ’était accessible que par un chemin creux que balayaient trois pièces de canon. Boyer ouvre l’attaque, et trouvant bientôt qu’elle est trop lente, indécise, il arme ses soldats de planches, de fagots, s’élance à travers la mitraille, arrive aux fossés, les comble, force les remparts et fait mettre bas les armes à la garnison.

M. Boyer combattit à la bataille d’Ess-ling, fut nommé général de brigade, le 6 juin, et commandant de la Légion d’honneur le 21 septembre suivant ; puis il retourna en Espagne, fut fait adjudant-général de la garde sur la fin de 1811, et partit pour la campagne de Russie, où il fut blessé à la bataille de la Moskowa.

En 1803, il se distingua à la bataille de Wurtchen, à celle de Dresde, où il futien-core blessé et nommé général de division.

En 1814, il combattit’ avec valeur à Méry-sur-Seine, où il culbuta et mis en fuite plusieurs divisions ennemies, reçut deux nouvelles blessures à la bataille de Craonne, déploya la plus brillante valeur àLaon, à Arcis-sur-Aube, où il enleva le village de Torey, et sous les murs de Paris.

Le général Boyer se battit encore héroïquement à Waterloo, et après le licenciement de l’armée, il se retira dans sa terre de Rebeval, où il mourut le o mars 1822.

BRACK (ANTOINE-FORTUNE)[modifier]

élève de l’École militaire de la promotion de 1806, fit les campagnes de Prusse, de Pologne, d’Allemagne, de Russie, comme officier de hussards et comme aide-de-camp du général Colbert. Il obtint la décoration dé la Légion d’honneur sur le champ de bataille de Wagram.

Pendant l’armistice de Dresde, en 1813, Napoléon le distingua d’une façon toute particulière, et le plaça dans les lanciers de sa vieille garde, où il resta jusqu’après Waterloo.

Laissé en non-activité pendant la Restauration, le colonel Brack fut ruppelé en 1830, et nommé en 1832 colonel du

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( 4e hussards, dont il fit le plus beau régiment de cavalerie légère de l’armée. Promu au grade de maréchal de camp, le 24 août 1838, il commanda l’École de Saumur j usqu’en 1840, et le département de l’Eure jusqu’en 1848.

Admis à la retraite depuis les événements de février, il fut rétabli sur les cadres comme disponible par un récent décret de l’Assemblée nationale.

Il est mort à Évreux, le 21 janvier 1850, dans sa soixante-unième année. Il était commandeur de la Légion d’honneur.

Indépendamment d’un courage chevaleresque éprouvé sur maints champs de bataille, le général Brack était doué d’un esprit plein de naturel et d’originalité qui le faisait rechercher dans le monde, et il possédait une connaissance parfaite de toutes les choses de son arme.

Après avoir composé son traité sur les Avant-postes de cavalerie légère, qui se trouve dans le porte-manteau de tout officier studieux, il avait traduit de l’allemand la Tactique des trois armes, de Decker. Le tome xxm du Spectateur militaire contient sous le titre : Faut-il deux infanteries ? un article où il s’attache à démontrer la nécessité de diviser l’armée en six armes distinctes, qu’on recruterait d’hommes ayant les conditions physiques ou les connaissances propres à chacune d’elles. Enfin, au-mois de juillet 1838, il avait entrepris la traduction libre et l’examen critique de l’ouvrage du comte de Bismark, intitulé : Sedlitz, ou la cavalerie prussienne sous Frédéric le Grand, travail où brillaient toute l’élégance de son style et la légèreté de son esprit, et qu’une cruelle maladie vint interrompre subitement en 1840.

Cet ouvrage a été continué avec non moins de talent par M. le colonel d’artillerie Tortel.

BRAYER (MICHEL-SYLVESTRE, comte)[modifier]

né le 31 septembre 1769 à Douai (Nord), soldat au régiment Suisse de Reinhart, le 20 avril 1782 ; adjudant-major, le 23 décembre 1793 dans le 3e bataillon de Puy-de-Dôme, devenu 38e demi-brigade, puis 103e d’infanterie de ligne ; il fit les campagnes de 1792 à l’an ix aux armées des Ardennes, de la Moselle, d’Helvétie, du Danube et du Rhin, et passa capitaine de grenadiers, le 26 brumaire an xi.

Après s’être distingué aux affaires d’Emeding, en Brisgau, en l’an v, de Reichnau, le 16 ventôse an vu, et à plusieurs autres, le premier Consul le nomma chef de bataillon à la 103e demi-brigade, le 12 thermidor an viu.

Le 18 germinal an xi, Ney, alors général en chef et ministre plénipotentiaire en Helvétie, lui fit décerner un sabré d’honneur, accompagné d’un certificat conçu dans les termes les plus honorables, surtout à propos de sa brillante conduite à la bataille de Hohenlinden.

M. Brayer fut nommé major du 9* régiment d’infanterie de ligne, le 30 frimaire ’=an xn, et membre de la Légion d’honneur le 4 germinal suivant ; il fit les campagnes de l’an xiv en Autriche, comme commandant de la 2e demi-brigade d’élite (58e et 81° de ligne), division des grenadiers d’Oudinot, 3e corps de la grande armée.

Au combat d’Hollabrùn, il dispersa l’aile gauche de l’arrière-garde des Russes et leur prit 800 hommes à Austerlitz ; il fit capituler 8,000 Russes engagés dans un défilé. Après la bataille, l’Empereur le nomma colonel du 2e régiment d’infanterie légère.

Commandant d’avant-garde du maréchal Lefebvre, en 1806 et 1807, il se distingua au siège de Dantzig, à la prise de l’île de Nehrung, où il reçut la croix d’officier de la Légion d’honneur ; il contribua au succès de la bataille d’Heilsberg, fut grièvement blessé à Friedland.

Passé à la i" division du 2e corps de l’armée d’Espagne, en 1808, il se signala à la bataille de Burgos et fut nommé commandeur deux jours après. Le 19 novembre, à San Vicente, il culbuta les Espagnols, leur tua beaucoup de monde et leur fit plus de 1,000 prisonniers.

Général de brigade, le 26 mars 1809, il contribua puissamment à la prise,du camp retranché sous les murs d’Oporlo, se distingua à la bataille d’Ocana, et à tous les combats qui eurent lieu dans la Sierra-Morena. A la tête de deux régiments, il enleva la position de Pêna-Pe-ras, regardée comme la clef de l’Andalousie.

Le 15 août 1811, il fut créé baron de l’Empire avec une dotation de 6,000 francs ; chargé de se réunir au 2r corps en position devant Mérida, il traversa avec 5 bataillons d’infanterie et 2 régiments de cavalerie les plaines de l’Estra-madure en présence de 15,000 hommes, commandés par la Romana. Le 5 août, au combat de Villagarcia, le général Brayer chargea à la baïonnette 5,000 Espagnols, s’empara du plateau qu’ils défendaient et décida le succès de cette journée.

Après-la bataille de Gebora et la prise de Badajôz, il fut proposé pour une augmentation de dotation de 2,000 francs, en récompense de sa belle conduite à la bataille d’Albuhera, où il prit et reprit à la baïonnette une position tenue par les Anglais ; obligé de céder au nombre, il commençaitune troisième attaque, quand une balle lui fractura la jambe gauche. Il marchait encore avec des béquilles, lorsque, le 3 avril 1813, il alla rejoindre l’armée. Le 25 mai, au combat de Buntzlau, il rétablit un pont, le passa sous le feu de l’ennemi qu’il força à mettre bas les armes.

Général de division après la bataille de Dresde, où il fut blessé, il se trouva aux différents combats qui se livrèrent devant Leipzig. Dans la bataille du 19 octobre, un boulet tua son cheval et le blessa à la cuisse.

En 1814, il fit partie du corps d’armée du duc de Tarente, et se distingua particulièrement le 4 février àChâlons, à Montmirail, àlaFerté, à Bar-sur-Seine.

Mis en non-activité iiprès l’abdication ; une ordonnance royale du 8 juillet le nomma chevalier de Saint-Louis.

A l’entrée de Napoléon à Lyon, en 1815 (10 mars), le général Brayer, commandait cette place ; il en partit le lendemain avec la division et passa le 22 mars la revue de l’Empereur sur la place du Carrousel.

Commandant d’une des divisions de la jeune garde, il se rendit le 18 mai à Angers avec deux régiments, et sa conduite, dans cette ville, fut à la fois fer-^ me et prudente.

Créé chambellan de l’Empereur, gouverneur de Versailles et de Trianon, pair de France et comte de l’Empire avec dotation de 4,000 fr., il prit une part active aux opérations du général Lamarque dans la Vendée.

Au second retour de Louis XVIII, il fut compris dans l’acticle Ier de l’ordonnance du 24 juillet, et condamné à mort par contumace, le 18 septembre 1816. Le général Brayer, réfugié ’ en Prusse, puis aux États-Unis, alla prendre du service à Buenos-Ayres. Parti de Baltimore avec le général Carrera, il commanda, en 1818, l’armée des indépendants dans le Chili. Les intrigues d’un cabinet étranger le forcèrent à quitter ce pays. De retour dans sa patrie, en 1821, le général Brayer rentra dans tous ses droits, titres, grades et honneurs ; fut admis à la retraite le le’janvier 1829, fut rappelé à l’activité le 4 août 1830, et nommé commandant de la 5e division (Strasbourg).

Grand officier de la Légion d’honneur en 1830, et pair de France en 1832, il remplit les fonctions d’inspecteur général de l’infanterie en 1833, 1834, 1835.

Lorsqu’il quitta Strasbourg, les habitants lui décernèrent une épée d’honneur.

Admis dans le cadre de vétérance, le 31 septembre 1835, il reçut la grand’croix de la Légion d’honneur, le 15 février 1836, et fut mis en non-activité.

Il est mort à Paris le 28 novembre 1840 ; son nom figure sur la partie Ouest de l’arc de l’Étoile.

Le général Bràyer avait été compris dans le testament de Napoléon pour une somme de cent mille francs.

BRÉA (JEAN-BAPTISTE DE)[modifier]

né en 1790, entra, dès l’âge de huit ans, au lycée impérial, en sortit pour aller à l’École militaire. Sous-lieutenant le 9 mai 1807, lieutenant le 6 août 1809, capitaine le 28 novembre 1812. Chef d’escadron le 25 décembre 1816. Lieutenant-colonel le 31 décembre 1831.

M. de Bréa a fait les campagnes de 1807 et 1808 en Calabre, 1809 à la grande armée, 1810et 1811 en Calabre ; 1812 et 1813 à la grande armée, 1815 à Waterloo.

En avant de Holsauzen, à la prise de la redoute suédoise, le 16 octobre 1813, le général comte Charpentier, commandant la 36e division,11° corps, détacha sa croix d’or et la remit au capitaine de Bréa, en signe de satisfaction, en présence de toute la division formée en colonne, et des généraux Meunier et Char-ras. Voici quelques mots sur ce brillant fait d’armes :

Le 16 octobre, à midi et demi, le général Charpentier reçut du maréchal Ou-O dinot l’ordre de s’emparer de la redoute suédoise. De nombreuses coupures dans le terrain ne permettaient pas de conduire de l’artillerie dans sa direction. Son élévation prodigieuse, les canons dont elle était hérissée, 6,000 hommes d’infanterie qui la défendaient rendaient inexpugnable cette formidable position.

Cependant, sous le feu terrible que vomissait la redoute, la 36e division s’avance l’arme au bras et au pas cadencé, son général de division en tête. Les boulets frappent dans les rangs et y sèment la mort, sans que la moindre indécision, le moindre flottement, se laissent apercevoir dans la colonne. A demi-portée de mitraille, le général Charpentier ordonne d’accélérer le pas ; mais, au pied de la position, le pas de charge se fait entendre ; dès lors, c’est à qui le premier en atteindra le sommet. Cet honneur appartient aux capitaines de Bréa, Mori-court et Bonnet, tous trois du 22e d’infanterie légère qui formait tête de colonne. Ces braves se précipitent avec intrépidité dans la terrible redoute, sabrent les canonniers qui sont devant eux et s’emparent de leurs pièces. Le capitaine de Bréa crie gaîment à ses carabiniers : Amis, doublez le pas, ce sont des Autrichiens ! Cette exclamation, qui peint l’audace et le caractère tout français de ce jeune officier, était fondée sur l’expérience. Les ennemis, frappés d’épou-vante, abandonnent la position, et fuient avec tant de précipitation, que pas un des six mille ne se serait échappé si, commeàLutzen, le manque de cavalerie ne se fût fait sentir.

Le général Charpentier témoignait sa satisfaction au capitaine de Bréa, lorsqu’un biscaïen enlève le schako de cet officier : quelques lignes plus bas, et c’en était fait du capitaine et du général

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Le capitaine de Bréa, frappé de deux coups de feu, le 19 octobre 1813, fut laissé pour mort sur le champ de bataille de Leipzig.

Le 16 juin 1815, aux Quatrce-Bras, à la tête de 140 carabiniers du 1er  régiment d’infanterie légère, il chargea à la baïonnette un carré d’Écossais, et, dans cette action, signalée comme un des beaux faits d’armes de la journée, 43 carabiniers et 2 de ses officiers furent mis hors de combat.

M. de Bréa a été nommé chevalier de la Légion d’honneur, le 21 juin 1813, officier du même ordre le 17 mars 1815 ; chevalier de Saint-Louis le 25 août 1823 ; chevalier de l’ordre royal des Deux-Siciles, le 4 mai 1813 ; chevalier de l’ordre du Mérite militaire de Wurtemberg, le 25 août 1813, colonel le 6 janvier 1836, et maréchal de camp le 20 avril 1845.

Dans les funestes journées de juin 1848, le général de Bréa, placé à la tête d’un corps considérable de troupes, s’était emparé des positions occupées par les insurgés sur la rive gauche de la Seine, et avait rejeté ceux-ci hors des murs de Paris. Pour amener la cessation complète des hostilités, le 25 juin, le général, accompagné de M. Mangin, capitaine d’état-major et des chefs de bataillon Desmarets et Gobert, se dirigea vers la barrière de Fontainebleau, dernier rempart de l’insurrection.

Sur ce point, quatre barricades fermaient les côtés des boulevards intérieurs et extérieurs, et protégeaient les insurgés réunis sur les routes de Choisy et d’Italie. La barrière, fermée par une masse de pavés, laissait un étroit passage sur là droite.

Le corps de garde de l’octroi était peuplé d’une foule armée.

Le général de Bréa se présenta en dehors de la barrière, et après quelques paroles, pénétra au delà sur l’invitation qui lui fut faite. Aussitôt il fut entouré et saisi avec ceux qui le suivaient et devint le prisonnier des insurgés.

Des clameurs sinistres s’élevèrent et grossirent. Quelques-uns le prenaient pour Cavaignac. Les moins forcenés le firent entrer dans le poste de l’octroi, mais les cris des assaillants redoublant, on proposa de les conduire chez Dordelin, maire de la commune et propriétaire de l’établissement du Grand-Salon.

Arrivés dans cet endroit, les portes se refermèrent sur la foule furieuse. On essayait de faire fuir le général par le jardin, lorsque les insurgés pénétrèrent dans la maison et entraînèrent la victime au second étage.

Là, on exigea de lui un ordre écrit pour le départ des troupes. Le général succombant à la violence morale et physique, écrivit cet ordre d’une main mal assurée.

Pendant ce temps les commandants Gobert et Desmarets avaient été désarmés et cruellement maltraités.

Tous furent conduits au grand poste, où de nouvelles tentatives furent faites pour sauver le général, par une ouverture pratiquée à l’instant au mur du violon. Un enfant de quatre ans dénonça cette tentative. Les généreux défenseurs du général prirent la fuite.

Quelques minutes après des cris d’effroi se font entendre du côté de la barrière : Voilà la Mobile ! Peut-être était-ce le signal de l’exécution tant de fois annoncée. Toujours est-il qu’au même moment, six coups de fusil retentissent ; le général et son aide-de-camp Mangin tombent mortellement frappés.

Les misérables assassins pénètrent dans le corps de garde ; l’un d’eux enfonce la baïonnette de son fusil dans le ventre du général, un autre lui fracasse le crâne avec sa crosse.

MM. Desmarest et Gobert, qui avaient échappé à la mort eh se plaçant sous le lit de camp, parvinrent à s’éloigner de ce sanglant théâtre.

BRENIER DE MONTMORAND (ANTOINE-FRANÇOIS, comte de)[modifier]

lieutenant-général, grand officier de la Légion d’honneur, né en 1767 à Saint-Marcelin (Isère), entra au service en 1786, et obtint, dans les premières années de la révolution, un avancement rapide. Il fit avec distinction toutes les campagnes de la République, et suivit, en 1807, le général Junot en Portugal, où sa valeur se signala, surtout à la bataille•d’Almeïda. Sommé par les Anglais d’abandonner cette place, dont Masséna avait inutilement cherché à les éloigner, il en fit sauter les fortifications ; et, le 10 mai, à la tête de la poignée de braves qui lui restaient, il s’ouvrit un passage à travers l’armée anglaise, et rejoignit l’armée du maréchal qui le croyait perdu.

Le grade de général de division fut la récompense de cette action d’éclat, v Depuis cette époque, il prit une part honorable à la campagne de 1813. Nommé, en 181 4, commandant de la 16e division militaire, il mit Lille en état de défense. Il passa ensuite au commandement de la ville de Rrest, où sa conduite, pendant les Cent-Jours, loi mérita une épée d’honneur que lui vota le conseil municipal.

Inspecteur général d’infanterie de 1816 à 1818, commandant supérieur de la Corse de 1820 à 1823, il obtint sa retraite en 1827, et mourut le 8 octobre 1832.

Son nom est inscrit sur l’arc de triomphe de l’Étoile, côté Ouest.

BRICE (JOSEPH-NICOLAS-NOEL)[modifier]

né à Lorquin (Meurthe). le 24 décembre 1783, fils d’un instituteur et élevé par son père. Soldat volontaire, le 9 mars 1803, dans le 14° régiment de chasseurs à cheval,-

était déjà maréchal-des-logis-chef, le 29 juillet 1804. Après la campagne d’Italie, il fut appelé dans les chasseurs à cheval de la garde, comme simple chasseur, et cependant, dès 1809, il était lieutenant en second et décoré. Deux fois il avait été blessé grièvement, à Eylau et à Wa-gram. M. Brice fit les campagnes d’Autriche et de Russie en qualité de lieutenant en premier et de porte-étendard. Celles de 1814- et 1815, en qualité.d’adjudant-major, de capitaine et de chef d’escadron.

Maintenu dans son grade après la rentrée des Bourbons, et placé sous les ordres de Lefebvre Desnoëttes, ex-général des chasseurs de la garde, il fut sur le point d’être arrêté, après le débarquement de Napoléon, et dut se placer sous la protection de son régiment. Placé par l’Empereur à la tête du 2e corps des chasseurs volontaires de la Moselle, il fit à l’ennemi un mal incalculable, et fut mis hors la loi par un ordre du feldruiaréchal prince de Wrède. Un jour, le colonel Brice fut sur le point d’enlever les empereurs de Russie et d’Autriche, et le roi de Prusse, à Sarre-bourg.

Le 19 juillet, il signa une capitulation devenue indispensable avec le général-Orloff. Cette capitulation ne l’empêcha p"as d’être condamné à mort. Il se réfugia à Bruxelles, puis en Allemagne ; en 1819, M. Brice revint en France, et fit purger sa double contumace. On l’admit au traitement de réforme comme chef d’escadron seulement.

Le 2 août 1830, le maréchal Gérard lui confia le commandement du 3e régiment de cuirassiers qui se trouvait à Lille. En 1833, le 3e cuirassiers vint à Paris pour assister à l’inauguration de la statue de Napoléon sur la grande colonne.

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« Prince, dit-il alors au jeune duc d’Orléans, si j’avais connu la position de la statue, j’aurais commandé le salut militaire à mon régiment. — Vous auriez bien fait, colonel, répliqua le prince. » Le colonel tenait garnison à Haguenau lorsque éclata la tentative de Strasbourg. Il avait connu à Bade le prince Louis-Napoléon. Il en reçut une lettre d’appel ; mais il ne crut pas devoir y répondre. Cependant, peu de jours après, il fut, sans enquête préalable, enlevé à son régiment et mis en retrait d’emploi.

Il fut remis en activité en mai 1837, et envoyé en Afrique comme commandant de place à Bone. Bientôt, ne pouvant obtenir la conservation de son titre de colonel de cavalerie, il demanda et obtint son retour en France, mais en non-activité par retrait’d'emploi. Le 28 février 1848, le colonel Brice fut promu au grade de général de brigade par le gouvernement provisoire.

Il est aujourd’hui officier de la Légion d’honneur, et commande la 4e subdivision de la 3’ division militaire.

BRICHAMBAULT-PERRIN (ANTOINE-CHARLES de)[modifier]

né à Nancy (Meurthe), le 28 novembre 1777, d’une famille ancienne attachée aux ducs régnants, puis au roi Stanislas ; —- fut admis à l’école militaire de Pont-à-Mousson en 1786 et en sortit en 1792. Il fit la campagne de 1793, comme soldat volontaire d’artillerie et passa à l’armée du Nord et de Sambre-et-Meuse sous le général Marescot, qui le nomma adjoint du génie.

Après les siéges de Charleroi, de Landrecies, du Quesnoy, de Maëstricht, de Valenciennes, il entra à l’école de Metz comme élève sous-lieutenant du génie (1794). Le comité de salut public le destitua en 1795, mais on le réintégra comme lieutenant le 30 octobre 1796.

En 1799, il servait à l’armée du Rhin, fut employé au blocus de Philisbourg, nommé capitaine le 18 août et aide-de-çamp du général Marescot, qu’il suivit au camp de Boulogne, en Bavière, en Autriche, en Prusse et en Espagne.

En 1808, il rentra dans le corps du génie comme capitaine en premier, sollicita sa mise à la réforme en 1810, pour cause de santé ou par mécontentement.

En 1813, il se battit en duel avec M. d’Estournel, capitaine à l’état-major du prince Berthier, et, à la suite de ce duel, fut exilé à Nancy.

Lors de l’invasion de 1814, dès le jour de l’entrée des Russes à Nancy, il se déclara publiquement pour les Bourbons, offrit avec empressement ses services au comte d’Artois et en reçut sa nomination de lieutenant-colonel. De retour à Nancy, il composa plusieurs libelles très condamnables contre l’Empereur.

En 1815, il suivit Louis XVIII à Gand en qualité de volontaire agrégé aux grenadiers à cheval commandés par le marquis de la Rochejacquelein à Gand ; le commandement du génie de la place lui fut confié.

Rentré avec le roi et appelé au commandement supérieur de Bouchain, il eut ordre de sommer cette forteresse : il la bloqua jusqu’à sa reddition avec des paysans qu’il avait organisés.

Nommé colonel en 1816, ingénieur en chef à Lille, directeur du génie à Lorient, puis à Nantes, il contribua puissamment à dissiper la sédition excitée dans cette ville en juin 1820.

En 1823, il fut attaché au 5e{{}} corps sous les ordres de Lauriston, comme chef du génie, et se distingua à Pampelune, à Saint-Sébastien, à Lérida.

Il fut mis à la retraite le 31 décembre 1826 avec le grade de maréchal de camp. Il était déjà chevalier de Saint-Louis, officier de la Légion d’honneur et chevalier de l’ordre de Saint-Ferdinand d’Espagne ; le roi l’avait créé baron en 1817.

M. de Brichambault s’était toujours occupé de travaux littéraires, il s’y livra exclusivement lorsqu’il fut mis à la retraite. Charles Nodier fait le plus grand éloge de ses productions dans une de ses appréciations littéraires.

BRICHE (ANDRE-LOUIS-ELISABETH-MARIE, baron, puis vicomte)[modifier]

né à Neuilly-sous-Clermont (Oise), le 12 août 1772.

Cavalier dans le 1" régiment de’ chasseurs à cheval le 1er avril 1790, sous-lieutenant le 15 septembre 1791, il fit la campagne de l’armée du Nord en 1792 ; lieutenant le 1" avril 1793, il continua de servir à la même armée jusqu’à l’an vi, devint capitaine le 25 ventôse an ni, et passa le 28 germinal an vi, en qualité d’adjoint, à l’état-major général) il avait été détaché pendant six niois, en l’an n, dans la Vendée, et avait été compris le 26 frimaire an iv dans la réforme du 4e escadron de son régiment ; c’est à cette époque qu’il obtint du,général Moreau l’autorisation de servir à la suite de son corps jusqu’au 1" vendémiaire, an vi.

Passé avec son grade à l’état-major de l’armée d’Italie, par ordre du général Le-clerc, du 28 germinal même année ; il fut placé le 15 ventôse an vu dans le 11e régiment de hussards, et se lit remarquer à la bataille de la Trébia, en couvrant la retraite de l’armée avec une poignée de braves de toutes armes qu’il parvint à rallier. Il se distingua à Ma-rengo.

Au passage du Mincio, il prit un major et plusieurs cavaliers, et Murât, alors général en chef, le nomma chef d’escadron provisoire le 11 prairial an )x. Le gouvernement confirma cette nomination le 23 frimaire an x. Major du ’9e hussards le 6 brumaire an xu, et membre de la Légion d’honneur le 4 germinal suivant, il passa avec le grade de colonel

le 13 janvier 1806 au 10’ régiment de hussards, et fit avec ce corps les guerres de la grande armée de 1806 à 1807. A Saalfeld, le 11 octobre 1806, apercevant le 9° de son arme ramené par les Russes,’ il fit aussitôt sonner la charge, s’élança avec impétuosité sur l’ennemi, l’enfonça, s’empara de deux pièces de canon, et jeta le désordre dans la colonne commandée par le prince Louis-Ferdinand de Prusse, qui fut tué ^dans cet engagement.

Il combattit à Iéna. Quelques jours après, informé que le régiment de dragons prussiens de la reine s’était mis en mouvement pour venir le surprendre dans ses cantonnements, près de Torn, il fit monter son régiment à cheval, tomba sur l’ennemi, lui coupa la retraite et le défit entièrement. En Pologne, il soutint sa brillante réputation et devint officier de la Légion d’honneur le 14 mai 1807.

Envoyé en Espagne, il arriva assez tôt pour prendre une part glorieuse au siège de Sarragosse. Après la prise de cette place, le 21 février 1809, il fut chargé du commandement d’un détachement composé du 10e hussards et de deux bataillons du 26e régiment d’infanterie, avec lequel il devait rétablir les communications entre l’armée du Midi et celle de la Catalogne, c’est-à-dire depuis Fraga jusqu’à Wals. Cette opération présentait de grandes difficultés ; Briche réussit. Napoléon, informé de ce succès, conféra à cet officier supérieur, le 15 août, le titre de baron de l’Empire, avec dotation, et le nomma général de brigade le 17 septembre 1809.

A la bataille d’Ocana, le 18 novembre suivant, il chargea l’ennemi avec quatre régiments de cavalerie-légère, et culbuta l’aile droite de sa ligne. Au mois de février 1810, il.fit partie du 5e corps de l’armée d’Espagne. Au combat de Fuente de Cantos, le 13 septembre suivant, à la tête de sa brigade, qui ne comptait que 2,700 chevaux, il mit en’déroute les Espagnols et les Portugais, leur prit 500 hommes dont le colonel du régiment de l’infante, un grand nombre d’officiers et six pièces de canon avec leurs attelages et leurs caissons.

Le 6 janvier 1811, il chassa de Merida la cavalerie espagnole, et, après avoir nettoyé la rive droite de la Guadiana, poussa sa colonne jusque sur Albuquer-que, atteignit l’arrière-garde ennemie à la Botoa, et lui fit éprouver une déroute complète. Le 20, même mois, placé en observation à Talaveira-la-Roa, et attaqué inopinément par les Espagnols, il les’ repoussa jusqu’auprès de Badajoz. Le 19 février suivant, il contribua au gain de la bataille de Gébora et fut cité honorablement dans le rapport du duc de Trévise.

Il se signala de nouveau à la bataille d’Albuhera le 16 mai ; chargé du commandement de la cavalerie légère, il sp porta rapidement à l’extrême droite de l’armée, pour garder un pont dont la possession eût permis à l’ennemi de tourner nos troupes de ce côté. Après avoir bivouaqué toute la nuit en présence de l’ennemi, il attaqua-de bonne heure les avant-postes anglais en avant du ruisseau d’Albuhera, et parvint à les rejeter au delà du pont. Napoléon lui accorda, le 20 du même mois, la croix de commandeur de la Légion d’honneur. . Au commencement du mois d’octobre 1811, sa brigade fit partie d’une colonne dirigée par le général Gérard ; il parcourut avec elle le pays renfermé entre la Guadiana et le Tage, seconda puissamment cet officier général, et concourut à forcer le général Castanos à se retirer ’ sur les frontières de Portugal.

Mis en disponibilité le 16 janvier 1812, il fut appelé le 23 octobre suivant au

commandement de la brigade du premier ban, qui venait d’être organisée dans la capitale. Le 18 janvier 1813, Napoléon lui confia le commandement et la formation de la cavalerie qui devait faire partie du corps d’observation de l’armée d’Italie, stationné à Vérone. Employé en avril de la même année au 4° corps de la grande armée, il en commanda l’avant-garde, et il exécuta à la bataille de Lutzen une charge habile contre l’aile gauche victorieuse des alliés.

A l’affaire de Dresde,il perdit presque toute sa brigade, et l’Empereur lui donna le commandement d’une division de cavalerie wurtembergeoise.

Général de division le 19 novembre suivant, et placé à la tête de la 5e division de grosse cavalerie du 5e corps de réserve, il reçut vers le même temps la croix de l’ordre royal du Mérite militaire de Wurtemberg. La campagne de 1814 lui ouvrit un nouveau champ de gloire. Le 9 janvier., le duc de Bellune voulant s’établir àEpinal, Rambervilliers et Saint-Dié, envoya Briche avec sa division de dragons (la l’e) pour chasser l’ennemi de ces positions. Ce général parvint à s’emparer de Rambervilliers, après un combat de quelques heures : la division ennemie, poursuivie l’espace de deux lieues, laissa sur le champ de bataille 300 tués, blessés ou prisonniers. Le 12, il chassa les alliés de Saint-Mihiel, et se distingua d’une manière particulière aux combats de Saint-Dié. Le 29, il inquiéta la cavalerie du général Pahlen, en retraite sur Brienne, et lui fit quelques prisonniers. A la bataille de la Rothière, le 1" février, il ne céda le terrain à l’ennemi qu’après lui avoir fait éprouver des pertes considérables. Le 4, le général Michel, soutenu par sa division de dragons, surprend les alliés à Saint-Thiébault et les repousse vigoureusement jusqu’à Saint-Pierre-les-Vandes, malgré la supériorité de leurs forces. A la fin de l’action, Bri-che tombe sur les Autrichiens, en tue une centaine et leur fait 150 prisonniers. Le 27, au second Combat de Bar-sûr-Aube, il chasse du village de Villars la cavalerie légère du prince de Wurtemberg, et le force à se replier sur l’infanterie.

Le 18 juin 1814., Louis XVIII le nomma inspecteur général de cavalerie dans la 14° division militaire, le chargea de 1,’organisation du régiment de cuirassiers d’Angoulême et du 9e de chasseurs à cheval, et lui donna la croix de Saint-Louis le 19 juillet suivant.

Il commandait la 2e subdivision de la 9" division militaire (Montpellier) depuis le 1b janvier 1815, lorsqu’à la nouvelle du débarquement de Napoléon de l’île d’Elbe, le ministre de la guerre lui donna l’ordre de se rendre à Nîmes, où le duc d’Angoulême avait son quartier général. Le prince le laissa dans cette ville à la tête des troupes qui s’y trouvaient : mais il tenta vainement de les conserver à la cause des Bourbons. 11 courut même les plus grands dangers dans la journée du 3 avril ; ses épaulettes et ses décorations lui furent arrachées, et il faillit être massacré par ceux qu’il avait un instant commandés. Napoléon le destitua par un décret du 16 avril.

Appelé au commandement de la 9" division militaire le 20 juillet 181b, et nommé le 3 mai 1816 commandeur de l’ordre de Saint-Louis, il fit partie du conseil de guerre chargé de juger le général Mouton-Duvernet. Il présida la même année le collège électoral du département du Gard, et reçut de Louis XVIII le titre de vicomte, sur la proposition du duc de Feltre, alors ministre de la guerre. Le roi, pour le dédommager de ses pertes dans la journée du 3 avril 181b, lui accorda une indemnité de 3,000 fr.

Compris dans le cadre de l’état-major général de l’armée,le 30 décembre 1818, il conserva le commandement de la 9°di-vision. militaire, qu’il échangea le 23 janvier 1821 pour celui de la 4e, et fut fait grand officier de la Légion d’honneur le 1" mai suivant.

Mis en disponibilité le 13 juillet 1822, réemployé le 12 février 1823, et placé à la tête de la 8e division militaire, il est mort à Marseille le 21 mai 182b.

Son nom est inscrit sur l’arc de triomphe de l’Étoile, côté Sud.

BRIQUEVILLE (ARMAND-FRANÇOIS, comte de)[modifier]

colonel de cavalerie et député.

La maison de Briqueville, l’une des plus anciennes de la monarchie, figure avec éclat dans les annales de la noblesse française ; mais le plus illustre soldat de ce nom est celui qui fait l’objet de cette notice. Jamais les armées françaises ne comptèrent dans leurs rangs un plusbrave officier, ni nos assemblées législatives un plus digne représentant du pays.

Armand de Briqueville naquit en 178b, à Briqueville, petit bourg de la Manche.

Tombé au pouvoir des républicains, son père mourut en criant vive le roi/ Cependant,au moment de marcher au supplice, il dit en embrassant son fils : « Je donne ma vie aux Bourbons, mais ne les servez jamais, ce sont des ingrats. »

Briqueville entra à 17 ans à l’école de Fontainebleau, d’où il sortit avec le grade de sous-lieutenant de cavalerie. Depuis ce moment, sa vie ne fut marquée que par de brillants faits d’armes et d’héroïques actions.

Lieutenant de dragons en 1807, capitaine en 1808, chef d’escadron et officier d’ordonnance de Napoléon en 1812, lieutenant-colonel des lanciers de la garde impériale en 1813, il n’est pas un de ces grades qu’il ne gagnât à la pointe de son épée, pas un champ de bataille qu’il ne rougît de son sang, pas un combat où sa valeur ne conquît les acclamations de l’armée. En Italie, en Prusse, en Espagne, en Pologne, en Russie, en France, depuis Iéna jusqu’à Waterloo et sous les murs de Paris, il défendit son pays avec un dévouement digne des temps héroïques.

Après la chute de l’Empire, Brique-ville, toujours fidèle à Napoléon, quitta le service, mais sa retraite fut précédée par un fait d’une admirable nationalité. Rencontrant Louis XVIII escorté par des cavaliers prussiens, le jeune colonel s’élance à la tête de ses. lanciers vers l’officier prussien, lui intime l’ordre de lui céder la place, et s’adressant au roi : « Sire, lui dit-il, c’est sous la protection des Français que votre Majesté doit rentrer en France. » II conduisit en effet la famille royale jusqu’au château de Saint-Ouen ; mais \k il déclara respectueusement que ses affections et sa conscience lui faisaient un devoir de se retirer, et il donna sa démission malgré les bienveillantes instances du monarque.

Après le retour de l’île d’Elbe, Brique-ville accomplit des prodiges à la bataille de Ligny, où il fut mis à l’ordre du jour de l’armée. Le 17 et le 18 juin, faisant partie du corps,de Grouchy, il fut l’un des officiers qui insistèrent le plus éner-giquement pour marcher sur le canon de Waterloo. Après ce’ grand désastre, le jeune colonel, frémissant d’indignation et de douleur, se précipita, entre Sèvres et Versailles, sur une colonne de cavaliers prussiens dont il fit un horrible carnage, et du milieu de laquelle il sortit la tête entr’ouverte par un coup de sabre et le poignet droit à demi abattu.

Criblé de blessures et d’infirmités, il lit partie de plusieurs conspirations contre les Bourbons, puis vécut dans la retraite jusqu’en 1827, que ses concitoyens l’envoyèrent à la Chambre des députés où il se montra le plus incorruptible adversaire de la Restauration. Après la révolution de 1830, il fit partie de l’opposition constitutionnelle, eut une rencontre avec le fils du maréchal Soult, à propos d’une attaque injurieuse contre le vieux maréchal, en sa qualité de major général de l’armée à Waterloo, et mourut le 20 mars 1844 à Paris, d’où il fut transporté à Cherbourg. Ses obsèques eurent lieu dans cette ville le 2 avril, avec une pompe extraordinaire.

BRO (le général Louis)[modifier]

né à Paris le 17 août, fils d’un notaire, s’embarqua à Toulon pour rejoindre l’expédition d’É-gypte ; mais les croisières anglaises le forcèrent à rentrer.

Soldat volontaire en l’an x, dans le 1er régiment de hussards, il fit partie du détachement formant la garde du général Leclerc, commandant de l’armée expéditionnaire de Saint-Domingue. Il fut blessé à l’affaire du Haut-Cap, et nommé sous-lieutenant le 12 thermidor.

Renvoyé en France par suite de blessures graves, il devint aide-de-camp d’Augereau, et le suivit dans toutes les campagnes de 1803 à 1807. Après la bataille d’Eylau, il fut nommé capitaine au 7e de hussards, et assista aux journées de Friedland et de Wagram. Grièvement blessé dans cette dernière, et honorablement cité, il passa comme chef d’esca-drou (capitaine) aux chasseurs à cheval de la garde, et fit avec elle les campagnes de 1812 et 1813.

Nommé major le 28 juin 1813, M. Bro se distingua à la bataille de Montereau où il reçut la croix d’officier.

Le o avril 1814 il fut promu au grade d’adjudant-commandant, avec rang de colonel ; il prit, en cette qualité, en 1815, le commandement du 4e de lanciers, ancien 9e dragons, à la tète duquel, dans la campagne de Waterloo, il écharpa la brigade Ponsomby, tua cet officier général, et reprit l’aigle, du 55e régiment d’infanterie enlevée par les dragons de Ponsomby. Le colonel Bro fit des prodiges de valeur dans cette affaire et y fut grièvement blessé.

Sous la Restauration, qui lui contestait son titre de colonel, M. Bro fut cinq ans en disponibilité, et commanda en second la deuxième légion de la garde nationale parisienne.

A l’arrivée au ministère du général Gérard, M. Bro fut rappelé sous les drapeaux et reconnu dans son grade depuis le 5 avril 1814. Il fit, à la tête du 1" lanciers, la première campagne de Belgique en 1831, fut nommé maréchal de camp en 1832 et envoyé en Afrique où il reçut la plaque de grand officier de la Légion d’honneur. Le 6 août 1838 il fut rappelé en France et commanda le département de l’Hérault.

BRON DE BAILLY (ANDRE-FRANÇOIS)[modifier]

né à Vienne en Dauphiné, le 20 novembre 1757, d’une famille honorable du pays ; il s’engagea avant l’âge de 20 ans, dans le régiment des dragons d’Artois, où il fut surnommé le beau Bron, tant k nature avait été pour lui prodigue de ses dons. II n’était encore que sous-Iieufenant en 1791, devint lieutenant en 1792, capitaine en 1793, chef d’escadron en l’an H, au 24e régiment de chasseurs à cheval, puis chef de brigade et commandant provisoire du 3e dragons ; il éprouva, avant de rejoindre l’armée d’Italie, la jouissance la plus flatteuse pour son amour-propre, celle d’entrer, à la tête de son régiment, dans sa ville natale, d’où il était sorti soldat dix-huit ans auparavant. Il fut fait sur le champ de bataille commandant titulaire du 3e dragons. En Égypte comme en Italie, Bron se montra soldat intrépide, et le général en chef lui conféra le titre de général de brigade.

Le général Bron, nommé commandant de la Légion d’honneur, fut ejnployé successivement en 1806, à l’armée de Naples, dont il commanda toute la cavalerie ; en 1807 et 1808 à la grande armée ; en 1810, 1811 et 1812 à l’armée d’Espagne.

Il fut fait prisonnier par les Anglais après avoir combattu vaillamment à Ar-tago-Molinos, et ne recouvra sa liberté qu’à la chute, de l’Empire en 1814. Depuis cette époque, le général Bron est constamment resté dans la vie privée. Son nom, déjà gravé sur la grande pyramide d’Égypte, a été inscrit d’office Sur l’arc de triomphe de l’Étoile, côté sud.

Mort le 18 mai 1847, à Batignolles-Monceaux, à l’âge de 90 ans.

BROUSSIER (JEAN-BAPTISTE, comte)[modifier]

né à Ville-sur-Saulx le 10 mars 1766. Destiné à l’état ecclésiastique, il s’enrôla, en 1791, dans le 3e bataillon de la Meurthe, et y fut nommé capitaine. Il fit ses premières armes sous Beurnonville dans les campagnes du Nord ; il fut grièvement blessé à l’affaire de "Vavrin, en l’an n.

Nommé chef de bataillon peu de temps après, il fut envoyé à l’armée de Sambre-et-Meuse, et chargé de la défense d’un poste important, où il fut atteint d’une balle à la tête.

Broussier passa, en 1797, à l’armée d’Italie, se distingua à la prise de Spez-zia, pénétra un des premiers dans le fort de Chiusa, et fit prisonnier de sa main le général autrichien. Nommé chef de brigade à la suite de ces actions d’éclat, il fut employé à l’armée de Naples, puis chargé de diriger une expédition dans les Apennins. Il attira dans une embuscade une troupe de 12,000 paysans qui avaient fermé le défilé, et en fit un grand carnage dans le lieu même où les Sarnnites avaient fait passer les Romains sous les fourches Caudines.

Promu pour ce beau fait au grade de général de brigade qu’il reçut le même jour, il concourut en cette qualité à la conquête de Naples, détruisit entièrement l’armée du cardinal Ruffo, soumit toute la Pouille insurgée, et s’empara, après des assauts meurtriers, des villes de Trani et d’Andria, qu’il fut obligé de réduire en cendres.

En 1799, le Directoire.le fit traduire pour crime de concussion, devant un conseil de guerre, avec Championnet, son général en chef ; mais la révolution du 30 prairial an vu écarta les dangers qu’il courait, et il fut réintégré dans son grade. Il continua à servir avec beaucoup de distinction en Italie, jusqu’en 1803, époque où il fut nommé commandant d’armes de la place de Paris.

Élevé, en 1805, au.grade de général de division, il retourna en Lombardieen 1809, y déploya encore autant de valeur que d’habileté, et eut une grande part à la victoire de Wagram.

Il fit ensuite, avec non moins d’éclat, les campagnes de Russie et de Saxe ; et, aussitôt après les désastres de 1813, il vint s’enfermer à Strasbourg, dont l’Empereur lui avait confié le commandement. Il allait prendre, l’année suivante, celui du département de la Meuse, lorsqu’il fut atteint d’une apoplexie foudroyante qui mit fin à sa carrière, le 13 décembre 1814, à Bar-le-Duc. Son nom est inscrit sur le monument de l’Étoile, côté nord.

BROUSSIER (NICOLAS)[modifier]

né en 1774, à Ville-sur-Saulx, partit comme volontaire dans un de ces nombreux bataillons que le déparlement de la Meuse envoya sur la frontière, au commencement de nos guerres d’indépendance, et reçut le baptême de sang sur le champ de bataille

d’Arlon. Pendant la campagne de 1801 > au passage du Mincio,.il fut atteint d’une nouvelle blessure, en débusquant l’ennemi du village de Pazzolo, à la tête de quelques tirailleurs de la 43°. Légionnaire dès 1803, lorsqu’il était capitaine aide-de-camp du général Broussier, son cousin, et, chef de bataillon, pendant la campagne de 1809, il conduisit lui-même, le 29 juin, deux bataillons au secours du 24e régiment bloqué depuis trois jours dans le faubourg Saint-Léonard, à Gratz, par 10,000 Croates, et ramena le régiment sur le drapeau duquel l’Empereur fit inscrire la devise : un contre dix.

En 1813, Napoléon confia à Broussier le commandement du 9e de ligne, régiment composé d’enfants de Paris, à la tête desquels, le 2 mars 181-4, ilescalada les remparts de Parme, où il reçut un coup de baïonnette : il s’empara de la porte Saint-Michel par laquelle l’ennemi devait opérer sa retraite, et fit mettre bas les armes au régiment hongrois Fran-cesco-Carl.

La Restauration, qui avait d’abord relégué Broussier dans la non-activité, lui donna, en 1819, le 5e régiment de ligne qu’il conduisit en Espagne, où sa belle conduite lui mérjta, le 3 octobre 1823, le grade de maréchal de camp dans la division du Haut-Èbre. Broussier commanda le département de la Côte-d’Or, de 1831 à 1836.

Il se retira ensuite à Bar-le-Duc, où il est mort d’une attaque d’apoplexie foudroyante le 10 janvier 1850.

BRUAT (ARMAND)[modifier]

gouverneur des îles Marquises.

Né en Alsace en 1797, entra au service en 1811, à bord du vaisseau-école de Brest, où il fut remarqué pour sa hardiesse devenue proverbiale.

En 1815, il fit une campagne à Copenhague, au Brésil et aux Antilles, sur le brick le Hussard. En 1817, il servait à bord de la corvette l’Espérance, qui tint trois ans la station du Levant, et fut nommé enseigne.

De 1819 à 1824 il fut officier de manœuvres sur le Conquérant, le Foudroyant, et sur la frégate la Diane.

En 1824, il fit une laborieuse campagne dans la mer du Sud, à bord de la Diligente,> et contribua à la pris.e du pirate célèbre la Quintanilla. Au retour, il fut fait lieutenant de vaisseau, et embarqué sur le Breslaiv comme officier de manœuvre.

En 1827, c’est le Breslaw qui, à Navarin, dégagea l’amiral russe, força le vaisseau qui combattait l’Albion de couper ses câbles et de se jeter à la côte, et fit couler la frégate que montait l’amiral turc et une autre frégate. Bruat fut décoré pour sa conduite dans cette action. L’année suivante il obiint le commandement du brick la Silène, ce fut sur ce brick qu’il alla croiser jusque sous les forts d’Alger, et exécuter de nombreuses prises en vue du port. Ce fut aussi alors qu’en suivant le commandant d’Assigny, qui montait le brick l’Aventure, il fit naufrage sur les côtes d’Afrique. Sur 200 hommes de l’équipage français 110 furent massacrés. Le reste ne fut sauvé que par le dévouement et l’énergie des deux capitaines.

Bruat, prisonnier à Alger, fit passer h l’amiral Duperré une note sur l’état de la place. Cet acte patriotique l’exposait aux plus grands dangers.

Depuis 1830, la carrière militaire du capitaine Bruat fut des plus actives. Il fut attaché à la station de Lisbonne. C’est dans le Tage qu’en mai 1838 il reçut sa nomination de capitaine de vaisseau, et passa sous les ordres de l’amiral Lalande à bord de l’/éna, et devint son capitaine

de pavillon. C’est en cette qualité qu’il commanda ce vaisseau de 92 canons et fit la belle campagne du Levant.

De l’Iéna, il passa sur le Triton sous l’amiral Hugon, le quitta en juillet 1841, et fit partie du conseil des travaux de la marine à Toulon.

Il a été appelé, en 1843, au gouvernement des îles Marquises et au commandement de la subdivision navale.

BRUEYS (FRANÇOIS-PAUL, comte de)[modifier]

était lieutenant de la marine royale, au commencement de larévolution. Quoique noble, iln’émigra pas, et, enl772, il eut le commandement d’un vaisseau qui fit partie de l’escadre conduite par l’amiral Tru-guet su ries côtes de Naples et de Sardaigne. Forcé de quitter sa place, comme noble, il fut rappelé sous le ministère de Tru-guet, qui lui donna l’ordre d’aller croiser dans l’Adriatique. La paix était conclue lorsqu’il arriva à Venise ; il fit voile pour les iles Ioniennes, et fut obligé, pour y vivre pendant une longue station, d’avoir recours à Ali-Pacha. La campagne d’Égypte ayant été résolue, Brueys reçut le commandement de la flotte qui devait porter l’armée. Il réussit à tromper les Anglais qui voulaient lui disputer le passage, et arriva heureusement dans la rade d’Aboukir. Aussitôt après le débarquement des troupes, il aurait dû ou entrer dansleport d’Alexandrie, ou retourner sans perdre de temps en France, à Malte ou à Corfou. Il n’en fit rien et s’embossa pour attendre les Anglais. Nelson jugea du premier coup d’œil qu’il pouvait séparer les vaisseaux français ; il passa audacieusement entre le rivage et la flotte, et plaça ainsi l’avant-garde entre deux feux.

Le combat fut terrible, mais la victoire se décida pour les Anglais. Dès lors Brueys ne chercha plus que la mort ; atteint de deux blessures, il ne voulut pas descendre pour se faire panser : Un amiral français, dit-il, doit mourir sur son banc de quart. Bientôt un boulet vint le frapper, et il expira au moment où son vaisseau, l’Orient, sautait avec une explosion terrible.

BRUIX (EUSTACHE)[modifier]

né à Saint-Domingue, en 1759, d’une famille distinguée, originaire du Béarn, s’embarqua comme volontaire sur un vaisseau marchand. Deux ans après (1778), il était garde de la marine, fit sa première campagne sur la frégate le Fox, et sa seconde sur la Concorde. Il servit dans les diverses escadres qui vinrent au secours des États-Unis, et fut fait enseigne de vaisseau. Nommé commandant du Pivert, il fut chargé, avec M. de Puységur, d’établir • les cartes destinées à retracer les côtes et les débouquements de Saint-Domingue. Lieutenant de vaisseau et membre de l’académie de marine, en 1791, il fut renvoyé comme noble en 1793 ; employé de nouveau sous le ministère de Truguet qui lui confia l’Éole jusqu’au moment où il fut envoyé sur l’escadre de Villaret-Joyeuse, en qualité de major général. Il fit partie de l’expédition d’Irlande, et fut nommé contre-amiral, puis ministre de la marine. Masséna, assiégé dans Gènes, avait besoin de secours ; Bruix court à Brest où notre flotte, était bloquée par les Anglais, profite d’un coup de vent qui disperse les vaisseaux ennemis, va ravitailler Gênes, rallie à son retour les Espagnols, et rentre avec eux dans le jport de Brest. Après cette expédition hardie, Bruix rendit le portefeuille de la marine et prit le commandement de la flotte assemblée à l’île d’Aix, et qui devait faire voile pour l’Espagne. Mais l’ennemi renforça la croisière ; l’amiral tomba malade, et la paix d’Amiens vint empêcher la flotte de sortir. La guerre ayant de nouveau éclaté, T. i. ■

Napoléon conçut le projet d’une npuvelle descente en Angleterre, et confia à Bruix le commandement de la flottille que devait transporter l’armée ; mais les forces de ce brave officier l’abondonnèrent, et il fut obligé de revenir à Paris où il mourut le 18 mars 1805, à peine âgé de 45 ans.

BRUN DE VILLERET (le général)[modifier]

né à Malzieu (Lozère), le 13 février 1773 ; il était destiné au barreau. Il se montra d’abord hostile aux idées révolutionnaires et dut se réfugier à Paris après le 18 fructidor. Il se jeta alors dans la carrière des armes, après avoir suivi des études mathématiques à l’École d’artillerie, fut l’aide de camp de Soult ; il se trouva à Austerlitz, à Iéna., à Eylau, à Friedland, et gagna sur les champs de bataille les épaulettes de capitaine et de chef de bataillon.

Le roi de Saxe, auprès de qui il fut envoyé comme négociateur, lui donna de sa main l’ordre de Saint-Henri.

Le commandant Brun fit ensuite la campagne d’Oporto avec le maréchal Soult, fut choisi pour aller rendre compte à l’Empereur de cette malheureuse mais glorieuse expédition, et fut chargé trois mois après de porter au maréchal le brevet de major général. Dans une nouvelle mission auprès de Napoléon, il reçut le double brevet de colonel et d’officier de la Légion d’honneur. C’est dans cette mission qu’attaqué par 400 guérillas, il se défendit pendant trois heures, avec une escorte de 60 hommes, derrière les débris d’un mur. Il fut délivré par la garnison de Ségovie accourue au bruit du feu.

Lorsque Napoléon rappela Soult en Allemagne, le colonel Brun de Villeret fut, dès son arrivée auprès de l’Empereur, élevé à la dignité de baron de l’Empire et au grade de général de brigade. 13

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A la bataille de Wurchen, il enleva trois positions à l’ennemi à la tête de six bataillons de conscrits, et eut deux chevaux tués sous lui. Nommé gouverneur de Torgau, il y fut bombardé et contraint de se rendz’e. Torgau est une ville de 4,000 âmes ; on y avait entassé 2b mille blessés, dont 18 mille périrent par l’épidémie ou par le feu du siège.

A sa rentrée en France, le général Brun de Villeret devint secrétaire général du ministère de la guerre ; chevalier de Saint-Louis, commandeur de la Légion d’honneur. Pendant les Cent-Jours, ses alliances de famille l’empêchèrent de prendre du service. Il se retira à sa terre de Malzieu, où il donna asile et protec-1ion au maréchal Soult, après le 18 juillet 1815.

Après la seconde Restauration, on le vit successivement commandant militaire de la Lozère et de l’Ardèche, membre de la chambre des députés, général de division, commandant de la 19e division, pair de France, grand officier de la Légion d’honneur.

Le général Brun est mort en 1845.

BRUNE (GUIIXAUME-MARIE-ANNE)[modifier]

maréchal de France, né à Brives (Corrèze) le 13 mars 1763.

Destiné au barreau, il cultivait les lettres à Paris à l’époque de la Révolution. Brune s’enrôla dans le 2e bataillon de Seine-et-Oise. Adjudant-major en 1791, et l’année suivante adjoint aux adjudants-généraux ; adjudant-général et colonel en 1793 ; puis commandant d’a-vanl-garde contre le général Wimpfen ; il était général de brigade à la bataille d’Hondschoote.

C’est lui qui rétablit la tranquillité dans le Midi, dans cette même ville d’Avignon où il devait périr assassiné.

En Italie, sous les ordres de Bonaparte, Brune se distingua à Rivoli, à Saint-Michel, à Feltre, à Bellune, etc., et fut nommé général de division sur le champ de bataille.

Ambassadeur près de la cour de Na-ples, commandant en chef des troupes envoyées en Suisse, sa conduite lui valut les plus grands éloges et le commandement de l’armée d’Italie, en remplacement de Berthier et de Masséna, puis le commandement en chef de l’armée ba-tave. La conduite de Brune dans cette campagne fut admirable et lui valut le gouvernement de la Hollande et une armure complète, présent de Bonaparte. De là il alla pacifier la Vendée, puis commander l’armée de réserve, dite des Grisons, et passa en Italie, où il continua à se distinguer.

Rentré au conseil d’État, il fut nommé président de la section de la guerre, am-1 bassadeur à Constantinople, où il fonda les premières relations avec la Perse.

A son retour en 180o ; il.fut nommé maréchal de France et grand-croix de la Légion d’honneur, commandant l’armée des côtes de l’Océan, gouverneur des villes Anséatiques en 1807, puis disgracié. Louis XVIII lui donna la croix de Saint-Louis en 1814. Pendant les Cent-Jours, il eut le commandement de l’armée du Var.

Sur la fin de juillet 1815, après avoir fait arborer le drapeau blanc à Toulon et s’être démis du commandement, Brune se rendait à Paris. Parvenu à Avignon, le 2 août, il fut assassiné à l’hôtel du Palais-Royal, près de la porte du Rhône, par les royalistes.

Ces forcenés outragèrent son cadavre, le traînèrent par les rues et le jetèrent dans le Rhône. Rejeté par le fleuve, il resta deux jours sans sépulture sur la grève. Ainsi périt un guerrier illustre^ l’honneur de nos armées. Napoléon a dit à Sainte-Hélène :

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« Brune, Masséna, Augereau et beau- « coup d’autres étaient des déprédateurs « intrépides. » (LAS CASES.)

BRUNET-DENON (VIVANT-JEAN)[modifier]

né à Givry (Saône-et-Loire) le 9 mai 1778. Il accompagna son oncle, le savant Denon, membre de l’Institut d’Égypte. Il remplit dans cette campagne les fonctions de secrétaire de l’état-major de l’armée et revint en France avec Bonaparte.

En brumaire an vin, le jeune Brunet s’enrôla dans le 9e régiment de dragons, et fut nommé sous-lieutenant après la bataille de Marengo.

Il devint successivement lieutenant, aide-de-camp de Murât, membre de la Légion d’honneur, fit les campagnes d’Ulm, de Vienne. À Austerlitz il fut blessé, eut un cheval tué sous lui et fut nommé capitaine.

Chef d’escadron pendant les campagnes de •1806-1807, il fut nommé colonel à Tilsitt le 1" juillet 1807.

En 1808, il fut créé baron de l’Empire ; le 20 mars 1809, son régiment fut un des deux régiments de cavalerie légère qui passèrent les premiers le Danube et qui soutinrent l’attaque des Autrichiens pendant le passage du reste de l’avant-garde.

A Essling, il perdit les trois cinquièmes de son brave régiment, eut un cheval tué sous lui et le bras droit emporté.

L’Empereur lui donna la croix d’officier et le nomma commandant en second, directeur des études de l’École militaire spéciale de cavalerie qui allait s’organiser à Saint-Germain-en-Laye.

En 1814 (novembre), le colonel Bru-net fut nommé maréchal de camp et chevalier de Saint-Louis.

Le 29 mai 1815, l’Empereur confirma ce grade et le nomma commandant en second des dépôts de cavalerie, réunis en

Champagne sous les ordres du général Defrance. Ces dépôts devaient suivre les mouvements de l’armée.

Le général Brunet fut mis à la retraite comme amputé le 1er août 1815. — II fut placé dans les cadres de réserve le 15 septembre 1830.

BRUNO (ADRIEN-FRANÇOIS, général, baron de)[modifier]

né à Pondichéry, le 10 juin 1771, fils de M. de Bruno, introducteur des ambassadeurs près Monsieur, frère du roi Louis XVI.

Enrôlé dans la cavalerie de la Nièvre, incorporé, depuis, dans le 4’ de hussards, sous-lieutenant aullrde hussards, puis lieutenant et capitaine, il protégea, en l’an vu, la retraite de l’armée après la bataille de Vérone, et soutint avec cent chevaux, pendant une journée, l’attaque de forces décuples ; chef d’escadron au 12e de hussards en 1801, major au 10e de chasseurs à cheval, puis aide-de-camp de Louis-Bonaparte, roi de Hollande ; lieutenant-général et grand écuyer de la couronne, et, après l’abdication de Louis,’ replacé dans les cadres de l’armée française comme général de brigade, le 11 novembre 1810 ; commandant provisoire de la 5e division de cuirassiers, et, après la bataille de la Moskowa où il se distingua, commandant de la lre division des cuirassiers. Après la retraite de l’armée jusqu’à l’Elbe, il commanda la cavalerie du 5° corps d’armée sous les ordres de Lauris-ton, puis celle du 2e corps commandée par Victor. Cette dernière était composée de 2 régiments de hussards westphaliens, du 11e d’infanterie légère, de 500 Cosaques polonais et de deux pièces de canon. Attaqué dans Reichenbach par les armées russes et prussiennes, les deux régiments de hussards westphaliens passèrent à l’ennemi ; mais le général Bruno parvint à.se maintenir dans sa position.

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Envoyé ’eh observation ’sur les bords de la Floë, à la suite de la bataille de Dresde, il fut fait prisonnier, et resta en Hongrie jusqu’en 18J4-.

Après le 20 mars 1813, le maréchal Davoût donna au général Bruno là brigade de cavalerie du corps du comte d’Erlon. Après les désastres de Waterloo, il rentra malade dans ses foyers. Pendant la Restauration, il commanda l’Hérault sous le ministère du maréchal Saiht-Cyr, et la Moselle sous le ministère Latour-Maubourg.

Mis en disponibilité par le maréchal Soult, il fut rappelé en 1832 pour commander les Vosges, et fut mis à la retraite en’1833.

il est commandeur delaLégion-d’Hon-néur, chevalier de Saint-Louis et décoré de l’ordre de Charles III.

BRUYERES (JEAN-PJERRE-JOSEPH, baron, puis comte)[modifier]

né le 22 juin 1772, à Sommiers (Gard), chasseur dans la 45e demi-brigade d’infanterie légère le 20 pluviôse an II, i"l fit les campagnes de la Révolution jusqu’à l’an ix, aux armées d’Italie, de réserve et à celle d’observa-lion du Midi.

Adjoint aux adjudants-généraux le 1er nivôse an m, il fut promu sous-lieutenant au 3e bataillon de la ’15e de’mi-b’ri-gade légère le 15 pluviôse suivant. Lieutenant le 16 pluviôse an îv, il passa en qualité d’aide-de-camp auprès du général de division Berthier (Alexandre) chef d’état-major de l’armée d’Italie, le 18 ventôse an v, et devint capitaine au 7e régiment bis de hussards le 20 thermidor suivant.

Après la bataille de Maréhgo, où il fit des prodiges de valeur, ilfutélevéau grade de chef a’escadron, passa dans le 7e régiment de hussards le 2e jour complémentaire an x et fut nommé major du 5e régiment de même arme,’ le G brumaire

an sit. Il fit partie de l’armée des côtes de l’Océan en l’an xn et un, et c’est là que, le ■& germinal an xn, il reçut la décoration de la Légion d’honneur.

Colonel du 23e régiment de chasseurs à cheval le 27 pluviôse an xni, il fit la campagne de l’an xiv à l’armée d’Italie, où il fut blessé d’un coup de feu à la cuisse le 12 brumaire, et celle de 1806 en Prusse, avec la grande armée. Il se distingua particulièrement à la bataille d’Iéna, obtint le 31 décembre 1806 le grade de général de brigade, et fit- en cette qualité la guerre de Pologne. Le 8 février 1807, à la tête d’une brigade de cavalerie légère, il mit en déroute une colonne de 6,000 Russes sur le champ de bataille d’Eylau. Unbiscaïen qui passa entre son corps et son bras gauche Lu occasionna, une forte contusion. Le 9 juin suivant, au combat de Glottau, il chargea avec la même bravoure et le même succès la cavalerie et l’infanterie russes.

Fait officier de la Légion d’honneur le 11 juillet 1807, il eut, en 1808, le commandement d’une brigade de cavalerie légère à l’armée d’observation d’Allemagne, et reçut le titre de baron de l’Empire.

Il servit à la grande armée en 1809, et fut nommé commandant de la Légion d’honneur le 14 juin. A Wagram, le 6 juillet suivant, il se signala par des traits de la plus rare intrépidité, et reçut deux coups de feu, l’un très-grave et avec fracture à la cuisse droite, l’autre à l’épaule gauche. Cité à cette occasion comme un officier général de cavalerie de la plus haute espérance, l’Empereur l’éleva au grade de général de division le 14 du même mois.

Obligé de rentrer en France pour y soigner ses blessures, il quitta l’armée le 28 août ; " mais, à peine rétabli, il sollicita un commandement. L’Empereur

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lui donna celui de la l’î division de grosse cavalerie de l’armée d’Allemagne, le 17 octobre de la même année.

Placé le 8 avril 1811 à la tête de la cavalerie légère de la même armée, il passa à la cavalerie de réserve de la grande armée le 15 janvier 1812.

Pendant la campagne de Russie, il soutint sa réputation militaire. Le 28 juin, à la tête de sa division, il prit possession de Wilna, poursuivit l’ennemi sur la rive gauche de la Wilna et lui fit éprouver des pertes considérables. Le 25 juillet suivant, appuyé par la division du général Saint-Germain, il culbuta la cavalerie ennemie à deux lieues en avant d’Ostrowno, lui enleva ses batteries et sabra l’infanterie qui s’avançait pour soutenir son artillerie. L’ennemi abandonna au vainqueur huit pièces de canon et 600 prisonniers.

A la bataille de Smolensk, le 17 août, Bruyères, avec sa division, après avoir chassé un gros corps de cavalerie russe et de Cosaques postés sur le plateau même de Sloboda-Raczenka, y prit p.osition, et s’y maintint malgré tous les efforts de l’ennemi.

Le 7 septembre, à la Moskowa, il pénétra dans les masses ennemies et il y fit un horrible carnage. Il échappa aux désastres de la retraite et fut employé en 1813 au 1" corps de pavale.rje de la grande armée. On le vit intrépide, aux batailles de Bautzen et Wurschen, les 20 et 21 mai, et il eut les deux cuisses emportées par un boulet de canon, le ^lendemain 22, au combat de Reichenbach.

Il mourut à Gorlitz Je 5 juin suivant.

BUDAN DE RUSSE (CESAR)[modifier]

général de brigade, commandant de la Légion d’honneur, né à Saumur (Maine-et-Loire), le 13 décembre 1787, d’une famille honorable qui lui fit donner une éducation distinguée. Admis à l’école militaire de Fontainebleau eh l’an xm, il en sortit comme sous-lieutenant le 23 septembre 1806. et passa dans le 14° régiment des chasseurs à cheval qu’il rejoignit en Italie. Il fit avec ce régiment toutes les campagnes de l’Empire jusqu’en 1814, et fut blessé grièvement à la bataille de Vittoria.

Après le licenciement de l’armée, en 1815, il entra dans les hussards de la garde comme capitaine, commandant un escadron ; il ne quitta ce corps qu’à son licenciement, en 1830. Rappelé au service en 1833, comme lieutenant-colonel, il a été nommé colonel du 7e dragons le 14 avril 1835.

Le 14 avril 1844, il a été promu au grade de général de brigade.

Il est aujourd’hui commandant de la Légion-d’Honneur, et commande l’écoje de cavalerie.

BUGEAUD DE LA PICONNERIE (THOMAS-ROBERT)[modifier]

maréchal de France,- duc d’Isly, est hé à Limoges le 17 octobre 1784, de messire Ambroise Bugeaud, seigneur, chevalier de la Piconnerie, et de dame Françoise de Sutton de Cléonard, d’une famille illustre d’Irlande ; à l’âge de 20 ans, il entra comme vélite dans lès grenadiers à pied de la garde impériale, se distingua dans toutes les campagnes auxquelles il assista ; il fut blessé au jarret au combat de Pulstuck en Pologne, en 1806, fut envoyé plus tard en Espagne, d’abord dans l’arméede Suchet, puis dans la division Lam arque : caporal à Auster-litz, sous-lieutenant, puis lieutenant au 64e de ligne dans la campagne de Pologne, capitaine au 116e de ligne, le 2 mars 1809 ; il était chef de bataillon en Espagne, en 1811, où il se montra avec éclat aux sièges de Lérida, de Tortose et de Tarragone. Au combat d’Ordal,.en Catalogne, il avait reçu l’ordre de tenir tête au 27e régimentd’infanterie anglaise ; il l’attaqua bravement et le mit en déroute ; ce fait d’armes lui valut le grade de lieutenant-colonel. Pendant la Restauration, le colonel Bugeaud célébra les Bourbons dans quelques pièces.de vers, n’en retourna pas moins près de l’Empereur pendant les Cent-Jours, et fut envoyé à l’armée des Alpes à la tête du 14° de ligne.

Au second retour des Bourbons, Bugeaud se retira âExcideuil dans les propriétés deson père, marquis de Faverolle et seigneur de la Piconnerie ; il s’occupa d’agriculture et aussi de l’étude des belles-lettres. Au premier bruit de l’expédition d’Espagne il demanda du service et fut refusé ; dès lors il entra dans l’opposition et y resta jusqu’en 1831, qu’on l’envoya à la Chambre. Il venait d’être nommé maréchal de camp. Le nouveau général devint l’ami du pouvoir, qui l’envoya à Blaye garder et surveiller la duchesse de Berry. On sait qu’il s’acquitta très-scrupuleusement de ces fonctions, mais aussi très-honorablement, quoi qu’en aient dit quelques biographes : une lettre que lui écrivit la duchesse en fait foi. Il fut encore chargé d’accompagner sa prisonnière jusqu’à Palerme. De retour à Paris, il eut une rencontre avec M. Du-long, qui l’avait traité de geôlier ; c’était le 27 janvier 1834. M. Dulong eut le crâne fracassé.

Dans l’insurrection d’avril 1834, il commandait la brigade qui réprima cette guerre des rues, mais il est faux qu’il se soit trouvé à l’épisode sanglant de la rue Transnonain.

Bientôt, le général Bugeaud fut envoyé en Algérie (6 juin 1836) avec la double mission de combattre Abd-el-Kader et de faire la paix avec lui. Il montra dans cette courte campagne toutes les qualités qui doivent distinguer un homme de guerre. Homme actif, prompt au coup de main, façonné en Espagne à la guerre des Guérillas, soigneux du soldat, veillant à son bien-être, populaire dans la troupe, brave et ne s’épargnant jamais, M. Bugeaud, par la rapidité même de ses mouvements, montre qu’il valait mieux qu’un autre dans cette poursuite de Bohémiens. On lui reproche comme impolitique et désastreux le traité de la Tafna, par lequel il reconnut à Abd-el-Kader, au nom de la France, le titre d’émir, traita avec lui comme avec un souverain indépendant, et marqua même la limite de ses États.

M. Bugeaud, lieutenant-général, depuis le 25 août ! 836, et grand officier de la Légion d’honneur, fut nommé gouverneur général de l’Algérie au commencement de 1841. Investi de ces hautes fonctions, il voulut s’en rendre digne. Par des expéditions souvent hardies, toujours heureuses, par l’intrépidité de son action, il a consolidé notre puissance dans ce pays, pacifié plusieurs provinces, chassé les Arabes jusqu’aux confins du désert, et préparé les germes d’une colonisation sérieuse et féconde. On connaît l’éclat de la bataille d’Isly (14 août 1844), où, avec des forces très-inférieures, il n’a point hésité à se précipiter sur une nuée de Marocains qu’il a culbutée en quelques heures. De tels faits honorent à la fois le général et son armée. Déjà maréchal de France, depuis le 17 juillet 1843, il fut nommé duc d’Issly.

Le conquérant devint colonisateur. Après avoir été l’effroi des Arabes, il devint leur idole. La révolution de Février vint le surprendre dans la retraite où il était rentré depuis quelques mois. En face de nouveaux périls, il met encore une fois son épée au service de la France. Le Président de la République l’avait nommé commandant en chef de l’armée des Alpes ; plusieurs départements l’avaient envoyé à l’Assemblée législative. La gloire de sauver la civilisation et la société semblait la mission glorieuse réservée à sa vieillesse, lorsque, le 10 juin 1849, il fut cruellement enlevé par une attaque de choléra.

Le corps du maréchal Bugeaud a été déposé dans une chapelle sépulcrale de l’Hôtel des Invalides ; il se trouve placé au dessus du cercueil de l’amiral Du-perré, tout près de celui du général Du-vivier.

Le maréchal Bugeaud était un original et un homme d’esprit. Sa finesse et son habileté se cachaient, comme celles de Henri IV, sous les apparences de la bonhomie et de la gaîté.

Le 27 juin 1815, il était à Moustier, sur la Haute-Isère, lorsqu’il apprit le désastre de Waterloo et l’arrivée de 10,000 Autrichiens ; il n’avait, lui, que 1,700 hommes. — a Amis, dit-il, nous •sommes 1,700 chasseurs contre 10,000 lapins, la proportion est excellente et la chasse sera bonne : c’est 3,000 pièces de gibier à laisser sur le carreau. » II ne se trompait que de 40 ; 2,960 Autrichiens restèrent morts ou vifs en son pouvoir.

On connaît la chanson composée par nos soldats sur la Casquette à Bugeaud. En voici le sujet : Dans une marche forcée, sous une chaleur ardente, le maréchal aperçoit un tirailleur sansképy ; il avait laissé le sien dans un engagement, h des Kabyles qui voulaient lui couper le moule. — « Tu as bien fait, lui dit le maréchal, ta tête est bonne à garder ; » et il lui cède généreusement sa propre casquette. —Mais vous, maréchal, s’écrie le soldat confus, vous allez attraper un coup de soleil. — « Non pas, mon ami ; car tu m’apporteras le burnous d’un des premiers Arabes qui nous attaqueront : B

Le tirailleur fit mieux : il enleva un

drapeau ennemi au lieu d’un burnous. Le maréchal reprit sa casquette et donna la croix au brave. Le 24 février 1848, lorsque Louis-Philippe lui retira ses pouvoirs de commandant en chef : — a Sire, lui dit-il laconiquement, Votre Majesté est fichue. » On sent que nous déguisons l’énergie du mot.

Un montagnard soutenait un jour, dans une réunion ministérielle, le droit, qu’il s’arrogeait de s’écrier : Vive la république démocratique et sociale !

— « A quoi bon ? repartit le maréchal Bugeaud ; la république démocratique, vous l’avez ; la république sociale, vous ne l’aurez jamais ! C’est moi qui vous le dis, prenez-en note. »

A Lyon, un pompier ameutait la foule par des propos séditieux. Le maréchal qui passait, va droit à lui :

— « Tu es chargé, lui dit-il, d’éteindre le feu et non de l’allumer. Fais ton métier ou je ferai mon devoir. »

BUGET (CLAUDE-JOSEPH, baron)[modifier]

né à Bourg, le 10 septembre 1770. Son père, chirurgien-major de l’hôpital de cette ville, l’avait destiné à l’état ecclésiastique ; mais la révolution chassa Buget du séminaire et le jeta dans les camps. Parti comme soldat, il fut nommé sous-lieutenant le 25 avril 1793, dans un des régiments de l’armée du Nord, et attaché à l’état-major de Dugommier, chargé du siège de Toulon. M. Buget se distingua à ce siège et fut nommé adjudant-général, chef de bataillon.

Le 14 juin 179-4, il fut envoyé à l’armée d’Italie en qualité de chef de brigade. Il reçut sa première blessure le 6 germinal an vu sous les murs de Legnano, et le 27 floréal suivant, il fut de nouveau blessé à Marengo. Le premier Consul le récompensa de sa bravoure et de ses services par le grade de général de brigade

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le 8 germinal an ix. L’année suivante, il reçut de Bonaparte un sabre d’honneur et une lettre de félicitations.

Un peu plus tard, l’Empereur lui donna la croix deCommandeur, le titre de baron et une riche dotation en Westphalie.

Le général Buget continua à se couvrir de gloire dans toutes les affaires où il se trouva. A Fiïedland, ; il perdit la main droite emportée par un boulet ; il en donna la nouvelle à sa femme dans- une lettre écrite de la main gauche et empreinte d’un esprit de plaisanterie qui ne le quittaitjamais. Treize jours après, on le revit à la tête de sa brigade, après l’amputation de l’avant-bras.

M. Buget fit la guerre d’Espagne et se fit remarquer aux sièges de Sarragosse et de Lérida ; à ce dernier siège, un boulet emporta la moitié de son chapeau et brisa sa longue vue dans la main qui lui restait. Quelques jours après, montant le premier à l’assaut, flanqué de deux grenadiers, il eut sa montre brisée dans son gousset par une balle.

Rentré dans l’intérieur, il reçut le commandement supérieur deBelle-Isle et ensuite celui des Pyrénées-Orientales.

Employé à la défense de Paris, le IA juin 1813, la Restauration le rendit à la vie civile le 18 octobre suivant.

Le maréchal Victor, ministre de Louis XVIII, le fit nommer lieutenant-général le 28 mars 1823. M. Buget est mort dans sa retraite, à Perpignan, le 2 octobre 1839.

BULOW (FREDERIC-GUILLAUME, baron de)[modifier]

comte de Dennewitz, général en chef de l’infanterie prussienne, célèbre par la part active qu’il prit aux grandes luttes de la Prusse contre Napoléon, naquit le 16 février 1755, dans la Vieille-Marche, à Faïkenberg, domaine où résidait son père, fils de Guillaume Dietrich de Bulow, mort en 1737, ministre d’État prussien. Après avoir reçu une éducation distinguée dans la maison paternelle, il témoigna de bonne heure les dispositions les plus prononcées pour l’état militaire. A l’âge de 14 ans il entra au service avec le grade de lieutenant ; et il était parvenu à celui de capitaine, lorsqu’en 17R3 il fut nommé gouverneur du prince Louis-Ferdinand de Prusse, avec le tilre de major, et fit en cette qualité la campagne du Rhin. Au siège de Mayence il donna de nombreuses preuves de bra-voiire, notamment en faisant échouer une division tentée contre Marienborn par les Français, et contribua beaucoup à la prise de cette place importante, en enlevant d’assaut le bastion de Zahlbach. Sa mission auprès du prince une fois terminée, il entra dans la brigade des fusiliers de la Prusse orientale, et y obtint le commandement d’un bataillon. Pendant la guerre de 1806-1807, il concourut, en qualité de lieutenant-colonel, sous les ordres du général Lestocq, à la défense de Thorn, et se distingua dans plusieurs affaires, notamment à celle de Walterdorf. En 1808 il passa général major, puis général de brigade, et fut nommé, en 1811, gouverneur de la Prusse orientale et occidentale.

Lorsque la Prusse, déchirant les traités qui la liaient à la politique de Napoléon, eut tourné ses armes contre la France, ce fut le général Bulow qui, le 5 avril 1813, remporta, près de Mœckern, le premier succès dont furent couronnés, dans cette guerre, les efforts des troupes prussiennes. En s’emparant, le 2 mai suivant, de Halle, il gagna la confiance de son armée et ranima l’enthousiasme du peuple, que la perte toute récente de la bataille de Lutzen avait singulièrement découragé. Peu de temps après, par l’avantage qu’il remporta à Huckau, sur le maréchal Oudinot, il mit une première fois à l’abri du danger la ville de Berlin que les Français menaçaient déjà. A l’expiration’de l’armistice (août 1813), son corps d’armée fut placé sous les or-dresdeBernadotte,prince royal deSuède, commandant en chef de l’armée dite du Nord. Dans cette position dépendante, Bulow se vit souvent condamné à l’inaction par suite de la tactique temporisatrice adoptée par Bernadotte. Il sut cependant se dérober peu à peu à celte influence énervante, et agit de son propre mouvement toutes les fois que l’occasion s’en présenta. C’est ainsi, et à peu près contre’ l’avis du prince de Suède, qu’il livra la bataille de Gross-Beeren, dans laquelle il battit le maréchal Gudinot pour la seconde fois, et celle de Dennewitz, où, par ses excellentes dispositions, il repoussa le maréchal Ney accouru au secours de son collègue, sauvant ainsi une seconde et une troisième fois la ville de Berlin, et anéantissant du même coup une partie considérable des forces ennemies. Le roi de Prusse, en récompense de ces beaux faits d’armes, le nomma chevalier grand-croix de la Couronne de fer ; et ses troupes, désormais pleines de •la plus aveugle confiance dans l’étoile de leur chef, le saluèrent du surnom de l’heureux général. Après avoir été chargé pendant quelque temps de l’investissement de Wittemberg, il prit une part importante à la bataille de Leipzig. Débouchant de Paunsdorf et de Reudnitz, ce fut lui qui, le premier, dans la journée du 19 octobre, parut avec ses troupes aux portes de Leipzig, qu’il enleva de vive force. Pendant que les armées alliées poursuivaient l’armée de Napoléon dans sa retraite sur le Rhin, Bulow fut chargé d’occuper les provinces septentrionales de l’Allemagne, et d’observer militairement ie ©as-Rhin et l’Yssel. Ters la fin de janvier 1844., il occupa rapidement la Hollande et la Belgique, à l’exception de quelques points où les Français se retranchèrent, et reçut l’ordre de venir opérer sa jonction avec l’armée qui manœuvrait en Champagne sous les ordres de Blu.-cher. Ce qu’il exécuta, dès le 4 mars, en s’emparant, chemin faisant, deLaFère et de Soissons. Il prit part à la bataille de Laon, enleva Compiègne, et termina la campagne en occupant les hauteurs de Montmartre, lorsque les troupes alliées entrèrent dans Paris. Ce fut dans cette capitale que le roi de’ Prusse le créa comte de Dennewitz, et lui accorda une dotation en terres d’un million de francs.

Il fut nommé ensuite commandant supérieur de le Prusse orientale et occidentale.

A l’ouverture de la campagne de -1815, il reçut le commandement en chef du 4e corps qu’il amena en toute hâte à Blù-cher, et il lui aida ainsi à livrer la bataille de Waterloo.

Nommé, par suite de la part qu’il prit à cette affaire, chef du 15e régiment de ligne, qui dès lors porta son nom, il revint, le 11 janvier 1816, reprendre son poste à Kœnigsberg, et y mourut le 25 février de la même année. Bulow n’était pas seulement un officier distingué, il n’était pas moins estimable comme homme et comme citoyen. Initié dès sa jeunesse à la théorie de la tactique, il en fit l’objet constant de ses études, sans pour cela négliger les beaux-arts. C’est ainsi qu’il composa plusieurs morceaux de musique sacrée.

Une statue lui a été élevée sur l’une des places publiques de Berlin, par ordre du roi Frédéric-Guillaume.

BUSTAMENTE (D. ANASTACIO., général)[modifier]

né au Mexique en 1780.

Lorsqu’en septembre 1810, Hidalgo et Allende poussèrent contre les Espagnols le premier cri d’indépendance, et que ce cri, partout répété, mit la Nouvelle-Espagne en feu, "Bustamente, âge de trente ans environ, exerçait à Guadalajara, à 150 lieues à l’ouest de Mexico, la profession de médecin. Forcé de se joindre aux Espagnols, contre ses concitoyens insurgés, il servit sous les ordres du général Calleja, et assista à la fameuse bataille du pont Calderon, le 17 janvier 1811, où d 00,000 insurgés avec 103 bouches à feu, furent taillés en pièces par le général espagnol Calleja, qui n’avait avec lui que 6,000’hommes environ, dont la moitié d’une excellente cavalerie et 10 pièces de campagne.

La belle conduite de Bustamente à cette bataille attira sur lui l’attention publique, et ce fut le commencement de sa fortune militaire.

Nous ne suivrons pas Bustamente dans les sanglants épisodes de cette guerre acharnée ; nous dirons seulement que, devenu général après s’ôlre rangé parmi les indépendants, il se joignit, en 1821, au général Iturbide, le futur empereur du Mexique, et lui resta fidèle jusqu’à sa déchéance en 1823. A cette époque, le général Guadalupe Victoria fut le premier président de la République mexicaine. Pendant ce laps de temps jusqu’en 1828, Bustamente prit une part active dans les affaires de l’État. En décembre 1829, il commandait une division campée à Jalapa, lorsque ses soldats le choisirent pour renverser Guerrero, le second président élu. Il se mit en marche et s’empara de Mexico. 11 conserva le pouvoir jusqu’en 1833. Santa-Anna, devenu président à cette époque, bannit du pays le général Bustamente, celui-ci séjourna trois ans à Paris où il se livra à l’étude.

En 1836, l’état du Texas se déclara de nouveau indépendant, et Bustamente, fatigué de son exil, repassa l’Atlantique pour demander du service contre cette province révoltée ; il obtint mieux qu’il ne souhaitait, et, le 25 janvier 1837, il

fut élu président de la République mexicaine ; il conclut bientôt un traité définitif avec l’Espagne qui reconnut l’indépendance de la colonie.

Bustamente montra un grand courage dans deux circonstances qui suivirent : la première est le traité de l’amiral Bau-din et l’affaire de San-Juan d’UUoa, où il ne craignit pas d’affronter la colère de la France. La seconde est le siège de Mexico par Santa-Anna, et le danger de mort qu’il courut dans son propre palais dont la garnison révoltée s’était emparée.’

L’année suivante, une nouvelle révolution, suscitée encore par Santa-Anna, le força à abdiquer le pouvoir entre les mains du congrès, et à revenir en France où il arriva en octobre 1842. Au mois de novembre suivant, il partit pour l’Italie, et vit aujourd’hui à Gênes sans faste et sans bruit.

BUZEN (GERARD-SERVAIS)[modifier]

fils d’un médecin distingué, naquit à Schyndel (Brabant-Septentrional), le 22 septembre 1784. Entré au service à l’âge de 19 ans, dans le 13* régiment de chasseurs à cheval, il fut bientôt sous-officier.

Blessé et fait prisonnier après la bataille d’Iéna, il fut conduit en Pologne, y resta longtemps dans un hôpital, parvint à s’évader, et rejoignit l’armée française. Le lieutenant-colonel de La Roche se l’attacha comme secrétaire. Deux ans après il devint maréchal-des-logis au 1" régiment.de chasseurs, et lieutenant au T régiment le 26 juillet 1813. Il avait déjà fait sept campagnes et avait été blessé deux fois, et avait reçu la croix d’honneur.

En 1811, il rentra dans sa patrie, fut nommé lieutenant au 8° de hussards, assista à la bataille de "Waterloo, fut promu au grade de capitaine en septembre