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Biographie des femmes auteurs contemporaines françaises/Beaufort-d’Hautpoul

La bibliothèque libre.
M.
Texte établi par Alfred de MontferrandArmand-Aubrée, libraire (p. 264-271).


Mme la Comtesse de Beaufort d’Hautpoul.


Mme LA COMTESSE


DE BEAUFORT D’HAUTPOUL


(Anne-Marie)

NÊE À PARIS LE 9 MAI 1763.


Fille de René-Guillaume de Monlgeroult, trésorier général de la maison du roi, et de Anne-Élisabeth Marsollier desvivetières.


« L’éducation dès femmes, dit J.-J. Rousseau, doit être relative aux hommes. Leur plaire, leur être utile, se faire aimer et honorer ; les élever jeunes, les soigner grands, les conseiller, les consoler, leur rendre la vie agréable et douce, voilà les devoirs des femmes dans tous les temps, et ce qu’on doit leur apprendre dès leur enfance. »

J.-J. Rousseau a raison pour la généralité des femmes ; mais si y parmi elles, Dieu crée parfois un esprit supérieur qui puisse remplir les devoirs de fille, d’épouse et de mère, et servir ses semblables par l’utilité et l’éclat de ses talents, nous devons respecter les voies de la Providence, et honorer un phénomène dont l’heureuse influence contribue au bonheur de la:société. Si, dans un riche parterre qu’embellissent toutes les filles de Flore, il apparaît une fleur qui élève une tête superbe, vous n’allez pas la fouler sous vos pieds ; mais les yeux se plaisent à contempler la richesse de ses couleurs, et l’odorat respire avec délices les parfums qu’exhale son haleine embaumée.

C’est ainsi que l’on doit voir Mme la comtesse d’Hautpoul, nièce de ce Marsollier, aimable auteur de Nina, des Petits Savoyards, de Camille ou le Souterrain, d’Adolphe et Clara, etc. Fille aimable, tendre épouse et mère respectable, supportant les revers avec une fermeté d’âme d’autant plus admirable qu’elle s’unit à une sensibilité exquise, elle a su, au milieu des douceurs comme des amertumes de la vie, récolter dans le champ des Muses les fruits du travail et les lauriers de la gloire.

Les romans de Mme d’Hautpoul offrent toujours, avec une saine morale, cette pénétration d’esprit, ces pensées délicates, ces demi-teintes du cœur qui sont l’heureux secret des femmes, mais que toutes n’expriment pas comme notre auteur, avec cette grâce de style qui n’est autre chose qu’un naturel parfait.

Dans les ouvrages d’instruction destinés à son sexe, Mme d’Hautpoul développe ses intentions avec autant de clarté que de talent. Laissons-la parler elle-même : « Il ne faut pas, dit-elle, qu’une femme soit assez ignorante pour faire une question ou une réponse qui jetterait sur elle une sorte de ridicule. Il ne faut pas non plus qu’elle soit assez savante (ce qu’on ne doit pas confondre avec instruite) pour se croire en droit d’afficher une érudition déplacée. Il est bon qu’elle ne s’expose point à la raillerie, en parlant de ce qu’elle ignore, et ne montre point de prétention en parlant de ce qu’elle sait. »

À une époque oh la lyre française rend si peu d’accords harmonieux et respecte à peine cette langue poétique sortie du cerveau de Racine et de Boileau, comme la Minerve du cerveau de Jupiter, lisez et relisez les vers de Mme d’Hautpoul : vous y trouverez une entente admirable du rhythme français, et la plus heureuse flexibilité de talent qui joint la grâce à l’énergie, le naturel à l’élégance, et sait, comme le dit le législateur du Parnasse :

Passer du grave au doux, du plaisant au sévère.

Aussi me semble-t-il que Mme d’Hautpoul fait les idylles comme Deshoulières, les romans comme Berquin, les nouvelles comme Florian, et l’harmonie de son style est souvent un écho sonore de la lyre qu’animait le divin Racine.

Je suis sûr de n’être démenti par personne, si, parmi tant de beaux vers, je cite le fragment suivant du poëme dû Achille et de Déidamie, celui où, déguisé en femme, le fis de Pélée s’est montré à la cour de Lycomède.

Plus jeune que ses sœurs, pas encore aussi belle,
Et telle qu’une fleur que le bouton recèle»
Déidamie, à peine au printemps de ses jours,
Joint les traits de Vénus à l’age des amours.
Pour la première fois son beau teint se colore
De ce rouge ingénu qui l’embellit encore ;
De sa nouvelle sœur elle approche en tremblant,
La reçoit dans ses bras avec frémissement ;
Achille a partagé le trouble de son âme ;
Sa grâce le ravit, son désordre l’enflamme ;
Combien il va chérir ce vêtement trompeur
Qui seconde l’amour sans blesser la pudeur !
En vain autour de lui tant de beautés s’empressent.
Il n’est plus qu’un objet â qui ses vœux s’adressent ;
Admis à leurs plaisirs, se mêlant à leurs jeux,
Il ne suit que ses pas, ne cherche que ses yeux ;
Il lui lance un regard, puis un regard plus tendre ;
Déidamie encor ne sait pas les entendre.
Pourtant elle rougit, un trouble plein d’appas
Lui révèle un danger qu’elle ne connaît pas.
À la course il la suit, l’atteint bientôt, l’arrête,
La presse dans ses bras, pour prix de sa conquête ;
La frappe avec douceur d’un thyrse verdoyant.
Lui demande un baiser qu’elle évite en riant ;

Détache ses cheveux, de roses les couronne ;
Saisit avec transport la fleur qu’elle abandonne.
Dans ces aimables jeux ils finissent le jour.
Souriant de bonheur, d’innocence et d’amour.

Je ne puis résister au plaisir de reproduire ici cette célèbre idylle sur la violette, dont tant de recueils gracieux se sont enrichis. On sait que Delille, après l’avoir entendu lire, s’écria : « Oh ! que cela sent bon ! »

Ô fille du printemps ! douce et touchante image
D’un cœur modeste et vertueux,
Du sein des verts gazons, tu remplis ce bocage
De tes parfums délicieux.
Que j’aime à te chercher sous l’épaisse verdure
Où tu crois fuir mes regards et le jour!
Au pied d’un chêne vert qu’arrose une onde pure,
L’air embaumé m’annonce ton séjour ;
Mais ne crains pas cette main généreuse ;
Sans te cueillir j’admire ta fraîcheur ;
Je ne voudrais pas être heureuse
Aux dépens même d’une fleur.
Reste sur ta tige flexible.
Jouis des beaux jours du printemps ;
Que la douce haleine des vents,
Et ces rameaux, et ce lierre sensible.
Calment pour toi les feux des rayons dévorants!
Que l’automne aussi fasse éclore
Autour de toi des rejetons nombreux!
Que de l’hiver le souffle rigoureux
S’adoucisse et t’épargne encore !
Ah ! comme ta suave odeur,
Qui parfume les airs sans dévoiler tes charmes,
Que ne puis-je, du pauvre en essuyant les larmes,
Lui dérober l’aspect du bienfaiteur!
Timide comme toi, je veux dans la retraite
Et dans l’oubli passer mes jours :
Un peu d’encens vaut-il ce trouble qui toujours
Poursuit notre gloire inquiète ?
Simple en mes goûts, de paisibles loisirs
Rendent mon âme satisfaite ;
Mon nom contente mes désirs,
Puisque l’amitié le répète.

L’avenir m’oublira ; mais chère à mon époux,
Dans mes enfants trouvant le bien suprême T
Bornant le monde à ce que j’aime.
Je n’étonnerai point le vulgaire jaloux.
Oui, comme toi cherchant la solitude.
Ne me plaisant qu’en ces vallons déserts.
J’y viens rêver, et soupirer des vers
Qui ne doivent rien à l’étude.

Cette idylle, et la pièce intitulée : la Mort de Sapho, remportèrent des prix aux Jeux floraux de Toulouse.

Enfin, la charmante composition pastorale de Zélia contient ces stances si remarquables par la délicatesse du sentiment et de l’expression, et qui portent pour litre : le Refus d’un baiser.

De ce refus pénétrez-vous la cause ?
Vous êtes belle, et j’ai quatre-vingts ans ;
Par un baiser je fanerais la rose,
Et ce serait un outrage au printemps.

Je dois laisser à la vive jeunesse
Ces biens si doux, elle a droit d’en jouir ;
De vos plaisirs il reste à ma vieillesse
Moins un regret qu’un heureux souvenir.

Pour un refus, ne croyez pas, bergère,
Que l’âge rende un cœur indifférent ;
Mais un baiser pourrait-il satisfaire,
Ne causant plus le plaisir que l’on sent ?

Je m’en souviens, j’avais une maîtresse.
Belle, modeste, et fraîche comme vous ;
Elle eut vos traits, j’avais votre jeunesse.
Et c’est alors que les baisers sont doux.


Les richesses littéraires de Mme la comtesse d’Hautpoul sont nombreuses. En 1796, cette dame publia Zélia, roman pastoral, vol. in-12. Puis vinrent ensuite : Childéric, roi de France, 1806, 2 vol. in-12 ; Sévérine, 1808,6 vol. in-12 ; Clémentine, ou l’Evélina française, 1809, 4 vol. in-12 ; Harendal ou le Jeune Peintre, 1809, 2 vol. in-12 ; Cours de littérature ancienne, moderne et étrangère, 1815, in-12 (cet ouvrage a eu quatre éditions) ; Rhétorique des Demoiselles, Études des Demoiselles, 2 vol. in-12 ; Charades en action, 2 vol. in-12 ; les Habitants de l’Ukraine ou Alexis et Constantin, 1820, 3 vol. in-12 ; le Page et la Romance, 1824, 3 vol. in-12 ; Recueil de poésies, dédié au roi, 1825, 1 vol. in-8° ; Manuel de littérature, 1834, 1 vol. in-12 ; Abrégé de toutes les sciences, à l’usage des enfants ; les contes de la Grand?mère ou le Château pendant la neige, 2 vol. in-12.

Mme d’Hautpoul avait commencé un poëme religieux intitulé : Clotilde reine et sainte ou le Baptême de Clovis. Elle en terminait le troisième chant, lorsqu’elle fut frap¬ pée du malheur le plus terrible et le plus imprévu. Son fils unique, le marquis de Beaufort d’Hautpoul, colonel du génie, homme aussi recommandable par sa carrière militaire que par son esprit et ses talents, lui fut enlevé en trois jours par une maladie inflammatoire, le 24 juillet 1831.

Quand on a lu les ouvrages de Mme la comtesse d’Hautpoul, on ne possède pas toute son âme. Pour la connaître entièrement, il faut assister à son entretien, soutenu par une grande lecture, une mémoire heureuse et une tournure piquante qui a fait recueillir dans le monde une foule de reparties de cette dame.

D’Hautpoul sait plaire autant que les plus beaux esprits,
    Quand sa pensée, et noble et tendre,
S’écoule de sa lèvre, ou règne en ses écrits :
Heureux qui peut la lire, heureux qui peut l’entendre !


Mollevaut, de l’Institut.