Biographie des femmes auteurs contemporaines françaises/Genlis

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Texte établi par Alfred de MontferrandArmand-Aubrée, libraire (p. 180-187).


Mme  de Genlis.


Mme DE GENLIS


(Félicité - (Ëtiemutte )

NÉE AU CHATEAU DE CHAJCP&JÉHT, PRÉS d’AUTÜN, LE 25 JUWVISt 1745.

Fille de N. Du Crest, baron de St.-âubin, et de N. de La Hat.

SORTE A PARIS, LE 31 JANVIER 1632.


Mme de Genlis appartient à une ancienne famille dont la noblesse fut prouvée facilement, lorsque Félicité fiit nommée à sept ans chanoinesse du chapitre d’Alix, et un de ses frères admis dans l’ordre de Malte.

On voit par ses Mémoires que sa première éducation n’eut pour objet que les arts d’agrément et les talents les plus frivoles. Ce ne fut qu’après avoir épousé, à l’âge de quinze ans, M. de Bruslart, comte de Genlis 1, qu’elle s’occupa de lecture et d’études sérieuses, avec une per¬ sévérance dont rien ne la détourna.

La marquise de Montesson, sœur de sa mère, ayant épousé secrètement M. le duc d’Orléans 2, la comtesse de Genlis fut nommée dame de la duchesse de Chartres 3, et domina bientôt la cour du Palais-Royal par son es-

f Depuis marquis de Sillery, après avoir hérité de M m< la maréchale d’Estrces.

  • Grand-père du roi des Français, Louis-Philippe.

5 L. M. A. de Bourbon Peathîèvre, épouse de L. P. J., devenu duc d’Orléans après la mort de son .père, et qui prit le surnom & Égalité > père du roi Louis~Philippe I fr . prit, ses talents et les agréments de sa personne. Mme de Gcnlis était grande ; son visage, plus délicat encore que régulier, était embelli par un teint d’une blancheur éclatante ; ses mains et ses pieds pouvaient servir de modèles. Une grâce particulière de maintien, un goût exquis dans la manière de dire, un talent et une gaieté qui, dans aucun moment, n’allaient jusqu’à l’inconve¬ nance, tout ce qui peut plaire enfin, se trouvait réuni dans cette jeune femme, qui pouvait à la fois compren¬ dre les savants, juger les artistes et briller âu milieu de la cour la plus élégante. Ajoutons, pour maintenir l’éter¬ nelle vérité qui ne place la félicité que dans la fortune médiocre et la vie obscure, que la comtesse de Genlis a dit : que le temps le plus malheureux de sa vie fut celui quelle passa au Palais-Royal 1 . Ecrire fut, des nombreuses occupations qu’elle s’était imposées, celle que M me de Genlis préféra toujours. Le premier ouvrage qu’elle fit publier dans un journal littéraire, sans mettre son nom, fut l’ Amant anonyme ; mais plusieurs comédies morales qu’elle écrivit pour l’éducation de ses filles, et qu’elle leur fit représenter, eurent un succès si prodigieux, que la supériorité de la comtesse de Genlis, comme écrivain, fut proclamée dans toutes les sociétés. Cette supériorité eut bientôt un retentissement en Europe, lorsque pour retirer de leur prison trois gentilshommes 2, M®* de Gen¬ lis fit imprimer et vendre à leur profit le premier vo¬ lume du Théâtre cTéducation.


1 Mémoires y tom. m, pnjy. 1.


3 Les trois MM. de Quessat. Insultés par un négociant de Bordeaux* qui passait devant leur maison » un d’eux lui cassa le bras d’un coup de pistolet. Quoique défendus par Gerbicr, ils furent condamnés à demeurer en prison jusqu’à ce qu’ils eussent payé 75.000 francs. Leur captivité eût été perpétuelle si le livre de M”* de Genlis u’eut rapporté 46,000 francs dont M. Damade, leur adversaire, voulut bien se contenter.

Ce noble et généreux emploi de son talent valut à M me de Genlis la plus flatteuse des célébrités, et Ton applaudit généralement à M. et à Mme la duchesse de Chartres, lorsqu’ils lui confièrent l’éducation de la prin¬ cesse leur fille x, au moment de sa naissance. Mais lors¬ que, après avoir été nommée gouvernante de Mademoi¬ selle, elle fut aussi revêtue de la dignité de gouverneur des jeunes princes ses frères, une clameur générale s’éleva contre elle. On oublia que le meilleur des rois de France, Louis IX, avait été élevé par une femme ; tous les courtisans qui se croyaient des droits à ce nouvel honneur devinrent les ennemis de M œo de Genlis ; ils se joignirent aux encyclopédistes et aux partisans de Vol¬ taire, dont la comtesse méprisait hautemen t les prin¬ cipes, et qu’elle attaqua dans tous scs ouvrages comme aussi immoraux qu’impies. La révolution française, qui éclata en 1789, ligua de plus contre elle les royalistes, qui lui reprochèrent d’avoir secondé les projets ambi¬ tieux de M. le duc d’Orléans, et peut-être de les lui avoir inspirés ; tandis que les jacobins, qui succédaient à ceux que l’on nommait alors les philosophes, l’accusèrent à la fois de fanatisme et d’hypocrisie.

M“ c de Genlis émigra en 1792 ; elle vécut alternative¬ ment en Suisse, dans le Holstein et en Prusse. Réduite à la plus extrême pauvreté, elle n’eut recours à la mu¬ nificence d’aucun gouvernement ; elle donna des leçons, elle peignit pour vivre, quand sa santé ne lui permit pas d’écrire, ou quand elle ne trouva point d’éditeur. Sa soumission et sa résistance à l’adversité ne se démenti¬ rent point jusqu’à l’époque du consulat, où elle fut rayée de la liste des émigrés.


1 Aujourd’hui madame Adélaïde. Elle uaquii jumelle T mais sa sœur mourut à cinq ans.

N’ayant jamais eu de fortune personnelle, son rappel en France ne fut suivi d’aucune restitution ; elle travailla pour elle et pour un enfant qu’elle avait adopté à Ber¬ lin Le libraire Maradan lui donna douze cents francs par an pour écrire dans la Bibliothèque des romans quel¬ ques Nouvelles, qui, telles que Mademoiselle de Clermont, tirent renaître en France le goût delà bonne littérature, que les écrivains révolutionnaires semblaient avoir anéanti ; et bientôt la vente de plusieurs manuscrits, une pension de six mille francs de l’empereur Napoléon, une pension de trois mille francs du roi de Westplialie -, une pension de trois mille francs de la reine de Naples :i, suffirent aux besoins de Mme de Genlis, qui dédaignait le luxe et vivait avec une frugalité extraordinaire.

Sa société fut extrêmement recherchée sous l’empire, et il n’eut dépendu que d’elle de rendre durable une vogue basée sur un mérite aussi supérieur ; mais elle s’en souciait peu sans doute, puisqu’elle ne lit aucuns frais pour fixer le monde qui s’empressait autour d’elle.

Privée, lors du retour des Bourbons, des faveurs que lui avait accordées la famille impériale, clic rentra dans scs anciens droits de gouvernante et de gouverneur, et la maison d’Orléans lui fit payer les pensions d’usage ; mais vraiment fidèle au vœu de pauvreté qu’elle avait fait en émigrant, et à la plus rare générosité, la comtesse de Genlis donnait tout ce qu’elle possédait. Argent prove¬ nant de ses pensions, présents de ses élèves ou de ses amis, tout était distribué aussitôt que reçu ; des meubles communs et usés, quelques pièces de cuivre, composè¬ rent son héritage.


• M. Casimir lîæckcr, si célèbre par son talent incomparable sur la harpe,

  • Jérome Bonaparte*

3 Julie Clary, femme de Joseph Bonaparte. Dangereusement malade au mois de novembre 1829, elle reçut tous les sacrements de l’église avec un courage et une résignation admirables ; consolant ainsi Mme la comtesse de Choiseul 1, la comtesse Anquctil, Casimir, et les autres témoins de cette pieuse cérémonie, qui loin d’a¬ bréger ses jours sembla lui rendre les forces qui la soutin¬ rent jusqu’au 31 janvier 1832,, j our où entrant chez elle à neuf heures du matin, on la trouva morte dans son lit.

La vie littéraire de Mme la comtesse de Genlis a été aussi noble, aussi belle qu’elle a été brillante ; ses ou¬ vrages inspirent le respect pour la religion, l’amour des devoirs que Dieu et la société imposent, le goût de la vie simple et champêtre ; elle a peint le monde, ses fai¬ blesses, ses ridicules, scs travers, ses vices, avec une vérité, et parfois une énergie qui"a.profondément blessé ceux qui pourraient craindre d 3 ètre reconnus pour ses modèles. Nul auteur ne fait mieux connaître les mœurs de son temps. Nul n’a écrit avec plus de correction, de clarté, d’élégance et de délicatesse. On peut lui repro¬ cher de s’être trop abandonnée à sa riche imagination, et d’avoir créé des situations invraisemblables, des ca¬ ractères fantastiques ; mais on ne saurait trop louer la finesse de ses observations, le charme de ses descrip¬ tions, le naturel exquis de ses dialogues,la gaieté de ses critiques, et son art d’intéresser les différentes classes de lecteurs. Les traductions de la plupart de ses ouvra¬ ges serviront toujours à l’éducation de l’enfance et de la jeunesse européenne, et donneront longtemps encore aux étrangers une idée avantageuse des manières fran¬ çaises, ainsi que de la politesse, de la grâce du langage dans lequel M“ c de Genlis a écrit.

Le corps de Mme la comtesse de Genlis repose dans-le cimetière du calvaire placé sur le mont Val é ri en,

1 Nre princesse do Bcaufrcrnont.

Voici le catalogue des principaux ouvrages de M mc de Gcnlis :

A

Théâtre à lusage des jeunes personnes, ou Théâtre d’éducationj 1778, 7 vol. in-8° ; Théâtre de société,\78i, 2 vol. in-8° ; Annales de la Vertu, 1781, 2 vol. in-8° ; Adèle et Théodore, 1782, 3 vol. in-8° ; les Veillées du Château, 1784, 3 vol. in-8° ; Leçons d’une Gouvernante à ses élèves, ou fragments (Tun Journal qui a été fait pour l’éducation des enfants deM. d’Orléans, 1701,2vol. in-12 ;

j

Nouveau Théâtre sentimental, 1701,1 vol. in-8° ; les Che¬ valiers du Cygne, Hambourg, 1795, 3 vol. in-8° ; les Petits Émigrés, 1708, 2 vol. in-8° ; les Mères rivales, 1800,3 vol. in-8° ; le Petit La Bruyère, 1800,1 vol. in-8° ; les Vœux téméraires, 1800, 2 vol. in-8° ; Nouvelles Heures à l’usage des enfants, 1801, 1 vol. in-12 ; Mademoiselle de Clermont, 1802, 1 vol. in-18 ; Nouveaux Contes mo¬ raux et Nouvelles historiques, 1802, 3 vol. in-12 ; les Sou¬ venirs de Félicie, 1804, 1 vol. in-12 ; la Duchesse de La Vallière, 1805, 1 vol. in-8° ; A/phonsine, 1806, 2 vol. in-8° ; Madame de Maintenon, 1806, 1 vol. in-8° ; le Siège de La Rochelle, 1808, 1 vol. in-8° ; Saint Clair, 1808,

1 vol.in-18 ; Bélisaire, 1808,1 vol. in-8° ; Alphonse, ou le Fils naturel, 1809, 3 vol. in-8 # ; Arabesques mythologi¬ ques, 1810, 1 vol. in-12 ; la Maison rustique, 3 vol. in-8° ; Botanique littéraire, 1810, 1 vol. in-8° ; le Journal ima¬ ginaire, 1811, 1 vol. in-8° ; Mademoiselle de La Fayette, 1813, 1 vol. in-8° ; les Ermites des Marais Pontins, 1814,

1 vol. in-8° ; Histoire de Henri le Grand, 1815, 2 vol. in-8° ; Jeanne de France, 1S16, 2 vol. in-12 ; les Battue- cas, 1816,2 vol. in-12 ; Abrégé des Mémoires du marquis de Dangeau, 1817, 4 vol. in-8° ; Zumd, ou la Découverte du quinquina, 1817, 1 vol. in-12 ; Mémoires, 10 vol. in-8°.


Mme la Comtesse de Bradi