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Biographie des femmes auteurs contemporaines françaises/Mennessier-Nodier

La bibliothèque libre.
Texte établi par Alfred de MontferrandArmand-Aubrée, libraire (p. 118-125).


Mme Mennessier-Nodier.



Mme MENNESSIER-NODIER


(Marie-Antoinette-Élisabeth)


née à quintigny (jura) le 22 avril 1811.


Fille de Charles Nodier.


Le nom de Charles Nodier fut un des premiers noms qui éveillèrent mes jeunes sympathies. C’était une imagination qui me plaisait à moi, nourri de Bernardin de Saint-Pierre et de Charles Bonnet. Et son style me paraissait merveilleusement adapté au genre d’études et de sentiments que je lui supposais.

Nous étions aux premiers jours du dix-neuvième siècle, à ces jours d’espérance et d’heureux pressentiments qui succédaient immédiatement à des jours si affreux, Nodier et moi, inconnus l’un à l’autre, nous vivions dans des lieux bien éloignés, dans des habitudes bien différentes. Je recueillais ses rares écrits et ses articles de journaux : je les lisais avec une sorte de prédilection devinatrice, et son nom sonnait à mon oreille comme une expression toute romantique. Lui, de son côté, saluait de loin mes premiers et informes essais.

Ce n’est pas que Nodier m’ait devancé dans la vie ; au contraire, je le crois plus jeune de très peu d’années ; mais toute ma première jeunesse avait été employée à souffrir ; et à cause de cela, je n’ai jamais eu d’âge.

Il y eut à l’époque dont je parle une réaction littéraire, aurore de cette réaction spiritualiste qui déjà se manifestait dans les hauteurs de l’intelligence. La réaction littéraire reportait la pensée vers notre grand siècle, et appelait l’anathème sur les novateurs, alors en petit nombre et peu puissants. Un seul devait être épargné : c’était un géant, et il venait réhabiliter à la fois l’histoire, la poésie, les croyances.

L’empire passe comme une éclatante invasion : toutes les gloires anciennes et nouvelles de la patrie vent se réconcilier.

Dès 1812 je travaillais à Antigone. Certainement je versais dans cette composition plus de choses que je n’en soupçonnais moi-même. Je pensais seulement à une restitution à l’antiquité, et j’y faisais entrer à mon insu le sentiment chrétien, sous la forme de la théorie du dévouement et du sacrifice, les sympathies pour les traditions générales de l’humanité, par la peinture et le consentement des grandes expiations imposées à l’homme.

J’ai écrit Antigone à Lyon et à Borne, sous les yeux de la noble exilée à qui je devais plus tard dédier la Palingénésie. J’en commençais l’impression au moment où s’accomplissaient les événements de 1814.

Je vins à Paris. Nodier et moi nous ne pouvions manquer de nous reconnaître, comme si nous nous étions déjà rencontrés, et de mettre en commun nos espérances, qui devaient être soumises à de si rudes épreuves.

Il était marié. Il avait une charmante petite fille, que j’ai vue dans toutes les grâces de la première enfance, qu’à présent je vois dans tout l’éclat de sa brillante jeunesse.

C’est elle qui est l’objet de cette courte notice.

Marie-Antoinette-Élisabeth Nodier est née dans un village du département du Jura, appelé Quintigny, où la famille de sa mère, qui y possède une propriété, se trouvait alors réunie. Les premiers mois de sa vie se sont passés là. En 1812 M. Nodier partit pour l’illyrie, emmenant avec lui sa femme et sa fille. Les malheurs de la guerre les forcèrent de revenir tous les trois en France, après un an de séjour à Laybach. Ne demandons pas à la jeune fille des souvenirs d’un si beau voyage : c’est à son père à les rendre vivants par son imagination poétique, par son style pittoresque.

Marie Nodier a fait depuis, avec son père et sa mère, plusieurs autres voyages, qui ont enrichi et développé ses jeunes facultés. Nulle éducation ne pouvait être meilleure que la sienne. Elle n’a jamais quitté ses parents, qui eux-mêmes se sont toujours trouvés fort entourés de toutes les distinctions dans les lettres et les arts. Heureusement née, douée d’une rare intelligence, passant sa noble vie avec des personnes noblement occupées, elle a dû recevoir une culture hâtive sans être prématurée. Sa belle figure a cette transparence qui permet à l’âme et à la fantaisie de s’échapper tour à tour, qui fait l’expression et la mobilité de la physionomie. Marie Nodier, mariée à M. Jules Mennessier sans quitter ses parents, a donné non pas la mesure, mais la preuve de ses talents divers dans plusieurs genres différents. De charmantes pièces de poésie, échappées à sa plume insouciante, à son imagination douce et rêveuse, ornent plusieurs recueils. Les Heures du Soir contiennent la délicieuse nouvelle qui a pour titre Laura Murillo ; le Livre rose a fait connaître la Croix d’or ; la Bibliothèque d’éducation s’est enrichie de la pièce intitulée le Mystère de la Mère et de l’Enfant. Enfin Mme Mennessier a fourni des articles au Journal des Jeunes Personnes, à d’autres recueils littéraire ; et elle a fait sur des paroles de Victor Hugo, d’Alfred de Vigny, de Mmes Desbordes-Valmore, Amable Tastu, etc., une musique pleine d’originalité et de caractère.

Pour donner un exemple de la grâce qui règne dans les productions poétiques de Mme Mennessier, je citerai la pièce suivante :


À UNE JEUNE FILLE.

Enfant, vous êtes blonde et tout à fait charmante.
On dirait à vous voir, timide et rayonnante
    Au milieu de vos sœurs,
Une royale fleur, de fleurs environnée,
Vermeille, et des parfums dont elle est couronnée
    Épanchant les douceurs.
    
Vous riez bien souvent d’un ineffable rire ;
Tout ce que vous pensez vos yeux semblent le dire,
    Vos beaux veux bleus et doux !
Votre front est si pur qu’on y lirait votre âme,
Où l’ardente prière étend sa pure flamme,
    Plus pure encore en vous !
Oh ! vous aimez beaucoup les fleurs et la prairie,

Les oiseaux et les vers, et puis la causerie.
    Le soir, dans le jardin,
Lorsque près d’une amie à la tète qui penche,
Votre bras blanc passé sur son épaule blanche
    Et la main dans sa main ;

Vous parlez bien souvent d’amitiés éternelles.
Du Ciel qui réunit les âmes fraternelles
    Qu’il sépare ici-bas ;
Et lorsque vous voyez une étoile qui tombe,
Vous dites : « Le Seigneur vient d’ouvrir une tombe, »
    Et vous pressez le pas.

Mais vous aimez surtout la musique et la danse ;
Votre cœur tout entier vers le plaisir s’élance
    Et bondit avec vous ;
Nul souci n’a passé sur le front, sur la vie
De l’enfant qui sourit et qui nous fait envie,
    Hélas ! à presque tous !

Le bonheur est partout lorsque l’on a votre âge,
Enfant ! Mais rien ne peut arrêter au passage
    Votre printemps d’amour.

La jeunesse et la joie ont des ailes pareilles ;
Chacun prend une fleur dans leurs fraîches corbeilles
    Et la fane à son tour.

Quand on pense qu’un jour ce front pur, cette bouche
Si fraîche encor qu’à peine un sourire la touche,
    Changeront de couleur ;
Que le Temps, sans pitié, sur ces traits que l’on aime
Viendra poser sa main, on ressent en soi-même
    Une amère douleur.

Et pourtant il le faut ; c’est ainsi qu’est la vie :
Toujours l’heure qui suit d’un regret est suivie,
    Depuis le gai matin,
Jusqu’au soir, ou, marchant sans trouble et sans prestige,
On voit que bien souvent la fleur manque à la tige,
    Le convive au festin.

Cette pièce porte la date de 1831. Ainsi c’est à vingt ans que cette poétique intelligence semait, au milieu des fleurs, des ris, des enivrements de la musique et du bal, dans des vers délicieux, les pensées les plus austères, les plus graves. Mélange de tristesse et de joie douce, de philosophie et de sentiments gracieux, ces vers offrent l’empreinte d’une réflexion profonde. On est étonné de la part d’une âme si nouvelle à la vie d’entendre des sons si plaintifs. Que fera donc la vieillesse, si dans l’âge où tout est vivement coloré par les reflets d’une riche aurore, la Muse chante avec des cyprès à sa lyre, et donne des regrets à des jours qui ne sont point encore venus ! Ah ! pour rencontrer de telles expressions, il fallait vivre à notre époque, il fallait naître dans un temps où toute une grande période de l’esprit humain s’ouvre et se ferme en quelques années.

Ce que je viens de montrer avec tant de réserve serait bien suffisant pour construire une véritable biographie ; et certainement j’aurais a donner mille justes éloges qui n’auraient rien à démêler avec ma toute vieille amitié. Mais, je l’avoue, je me sens une sorte de pudeur pour cette si jeune femme déjà mère, qui n’a pas demandé à s’asseoir au banquet de la renommée, et qui y a été conviée comme une jeune fille à la noce d’une compagne chérie. Peut-être voudrait-elle quelque temps encore se contenter du reflet de la gloire inoffensive de son père, le meilleur et le plus aimable des hommes, et dont l’admirable talent peut fournir aisément à plusieurs couronnes.


Ballanche.