Biographie des femmes auteurs contemporaines françaises/Robert

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Texte établi par Alfred de MontferrandArmand-Aubrée, libraire (p. 76-87).


Mlle Robert.


Mlle Robert

(Clémence-Antoinette-Henriette)
née à Mâcon).
Fille de Jean-François Robert, avocat, et de Claudine-Henriette de Rohan.)

Chérie de ses parents, et traitée par eux avec une douceur qui même pouvait avoir trop d’influence sur ses qualités naissantes, Mlle Robert s’habituait à craindre ce qui viendrait du dehors, ce qui ne pourrait guère se montrer constamment favorable. C’est vraisemblablement par une suite de ces dispositions qu’elle n’aura pas accueilli l’idée du mariage : nul caractère pensif et timoré ne brave sans hésitation les hasards d’un lien irrévocable. Lorsque la première jeunesse s’écoule dans la sécurité, un talent médiocre reste méconnu, ou ne se développe qu’avec lenteur. Mlle Robert, au contraire, ne fut arrêtée ni par cette sorte d’obstacle, ni par celui qui provenait d’une santé faible et douteuse. Ainsi entravés pourtant, les plus vrais moyens, même après s’être révélés de bonne heure, ne donneront pas précisément de l’assurance ; mais, soutenu par un juste espoir, par quelque pressentiment, on écrira malgré soi, pour ainsi dire, et non sans timidité, parce qu’on entreverra, mieux que beaucoup d’autres, une tion inaccessible. Les forces tenues en réserve, les forces intimes ne sont pas perdues pour la pensée, pour l’imagination ; souvent les inspirations les plus puissantes ont été dues à ceux qui ne jouissaient pas d’une santé robuste. C’est en 1827 que Mlle Robert vint, avec sa mère, demeurer à Paris : elle avait perdu son père depuis peu. Elle ne tarda pas à donner dans différents recueils périodiques des morceaux en vers, et d’autres articles lus avec empressement. Les malheurs des Polonais l’ont ensuite invitée à publier les Ukrainiennes, traduction qui a paru vers le commencement de 1835, en 1 vol. in-8°. Ce volume doit être incessamment suivi de deux autres, consistant surtout en tableaux de mœurs, sous le titre Amour et Religion. Ces mots ainsi rapprochés n’ont rien qui surprenne aujourd’hui ; et quant au mérite du livre, il semble attesté par les fragments communiqués particulièrement au Journal des Femmes. Dans sa partie consacrée à la poésie, le même recueil a inséré, de Mlle Robert, le Luxembourg, le Froid, les Tuileries, et la pièce suivante :

une fleur à paris le 5 juin 1832.

Blanche rose des bois, qn’un souffle d’air effeuille. Elle est toute tombée.

Élie Mariaker.

Un soir » près de Paris, dans un joli village,
Une rose s’ouvrit toute blanche et sauvage.
Elle avait seulement quelque feuillage vert.
Et deux boutons, dont l’un se jouait entr’ouvert ;
Tandis que l’autre, encor tout petit et verdâtre.
Pressait étroitement sa corolle d’albâtre.

Le matin elle vit finir au point du jour
Sa jeunesse et la paix du rustique séjour :
Elle fut enlevée à son natal bocage.

Une petite fille, un enfant de village,

Guère plus haute qu’elle, et ronde, Dieu merci !
De soupe, de pain noir et de bon sans souci,
Dans son panier, où sont rose, lys, héliotrope,
Pressés comme le nègre en un vaisseau d’Europe,
Vint la vendre à Paris.

                   Voyez-vous maintenant
La villageoise, avec son bagage avenant.
Dans ce Palais-Royal que tant de foule inonde,
S’embusquer lestement autour de la rotonde ;

Puis à chaque passant gazouiller d’un air doux :

• J’aijJe jolis bouquets, monsieur, fleurissez-vous. *



Un jeune homme, pensif, suivait la galerie
Sans que rien d’alentour troublât sa rêverie ;

Un seul objet errait toujours devant ses yeux :

Car lorsque vous aimez, en tous temps, en tous lieux
Vous avez devant vous une image de femme,

Ombre de la beauté qui réside en votre âme.

Cependant il s’arrête un instant vers les fleurs.
Choisit la rose blanche entre toutes ses sœurs,

Y joint quelques boutons de jasmin, de grenade,
Puis avec son bouquet quitte la promenade.

—Madame, il va venir: arrondissez encor
Autour de votre cou la longue chaîne d’or ;
Arrangez vos cheveux, que la boucle incertaine
Autour de votre doigt roule en anneau d’ébène ;
Resserrez la ceinture, où viennent s’engager
Les deux bouts ondoyants de ce fichu léger ;

Madame, il va venir : à ce vase de Sèvres
D’un lait d’amande pur rafraîchissez vos lèvres ;

De l’eau de balsamine embaumez ce mouchoir ;
Baissez, baissez encor les rideaux du boudoir ;

Que de gaze et de soie une double barrière
Fonde en demi-lueur l’éclat de la lumière ;

Mais surtout que devant la mobile psyché
Plus d’une fois encor ce beau front soit penché :

A l’heure de l’attente, immobile sur place.

On regarde toujours la pendule ou la glace.

O bonheur! quand un bruit dans le cœur répété,
Une porte qui s’ouvre, un pas précipité.

Le doux son d’une voix dans la salle prochaine,
Annoncent que l’attente au moins ne fut pas vaine !

Il entre, et dans le trouble heureux de cet instant
Dépose son bouquet dans Ja main qui l’attend ;
Disant, comme le barde aux pieds de son amie :

  • Cueillons, cueillons la rose au matin de la vie ;


Des rapides printemps respire au moins les fleurs :
Aux chastes voluptés abandonnons nos cœurs.»

0 vous, toutes (es fleurs, jacinthe parfumée,

OEillet, camélias, jasmin del’Iduméc,

Myrte dont Tltalie embauma nos bosquets,

Églantine en guirlande, anémone en bouquets,
Étoile de gazon, violette champêtre,

Ccst pour mourir ainsi que le ciel vous fait naître :
Vos suaves parfums se mêleront toujours
En s’exhalant dans l’air aux soupirs des amours!

Puis viennent les moments d’intime confidence ;

Les projets de n’avoir qu’une seule existence,

De faire sur ses pas des heureux quelquefois,

De s’isoler du monde, et d’aller dans les bois
Bien cacher son bonheur : — comme va l’alouette
Chanter son chant d’amour sous la touffe secrète,
Pour que l’écho voisin ne le redise pas ; —

Ou bien de voyager, d’aller dans ccs climats
Où pour nous attirer au pied des sept collines
Le ciel a tant de feux, la terre de ruines,

Fouler dans scs gazons un sol en même temps
Si vieux de souvenirs, si jeune de printemps ;

Ou glisser doucement,auprès de son idole,

Sur une mer d’azur qui berce la gondole…..

»

Oui, confondre vos pas dans le sentier du sort ;

Oui, mourir tous les deux dans une même mort ;
Puis unir vos tombeaux sous les mêmes verdures
Et dans le ciel là-haut mêler vos âmes pures î
C’est cela, n’est-ce pas? — Oh! souvent le malheur
Entendit des projets si remplis de douceur ;

Mais il sait son pouvoir : certe, il est bien tranquille

Dans ce rêve de feu, ravissant et fragile.

Deux êtres abîmés n’entendraient pas près d’eux
Les éclats du volcan et de Forage en feux.

Non, le ciel de l’amour est trop loin de la terre.

Mais quand le jeune amant avec tant de mystère

S’éloigne du boudoir, vers le soleil couchant.

Dieu! quel bruit dans Paris!» le tambour bat au champ ;

Il passe à tout moment des bataillons en armes ;

Les logis sont fermés, comme voilés d’alarmes.—

Il s’arme, il court, guidé par un cri tout-puissant,

Par un étendard rouge et des traces de sang.

Au cloître Saint-Méry. —Dans ces sombres demeures

De la nuit du cinq juin il voit passer les heures.

Plus de’femme pour lui, plu» d’amour dans ce lieu !

Ah! son ame est passée aux mains d’un autre dieu.

Il croit entendre, il voit, aux éclats de la foudre.

Sur les mille débris du passé mis en poudre.

Le dieu de l’Avenir jeter du ciel ses lois,

La Liberté s’asseoir sur le’trone des rois…..


Le lendemain, à l’heure ou le soleil éclaire
De ses premiers rayons la ville funéraire.

Au pied du mont Louis on voit, sous les rameaux
De ces sombres cyprès, alcuve des tombeaux.
Cette masse de terre, humide encor, qu’exhausse
Un cercueil fraîchement déposé dans la fosse.

Là reposent, hélas! l’un sur l’autre jeté,

Une épée, un drapeau : —Valeur! — fatalité !

Là se penche une femme aux traits déjà livides,
Qui de son ’sein meurtri, de ses lèvres avides,
Étreint avec amour la tombe fraîche encor.

Puis est jetée aussi, comme un dernier trésor.
Une rose, penchant la tète sur sa branche
Et tombant feuille à feuille.

Hélas ! la rose blanche,
Resplendissante un jour, morte le lendemain,

A vécu plus longtemps que le bonheur humain.


Fût-il seul, ce morceau, si bien pensé (sauf une insi¬ nuation qu’il eût autant valu omettre), si bien exprimé, si attachant, si gracieux, deviendrait un titre littéraire digne d’attention. Dans les Toileries se rencontrent quel¬ ques vers faciles à isoler, et que dès lors on transcrit ici

de préférence :

Que d’amours voit passer cette ombre protectrice !
Depuis l’amour léger, délicieux caprice,

Knfant de l’air, qui jette eu riant ses aveux
Quand le tilbury vole ou quand la valse glisse,

Vit de fleurs, de billets, de boucles de cheveux.

Puis bientôt s’évapore, en laissant pour mémoire
Un nom de plus inscrit aux tablettes d’ivoire ;

Jusqu’à cet autre amour religieux, divin,

Qui va secrètement s’enfermer dans un sein,

Comme le solitaire en sa grotte profonde,

Demeure toujours là, seul, ignoré du monde.

Puise aux pieds de son Dieu des transports ravissants
Et lui fait de sa vie un éternel encens


Quelque exercée que soit la plume qui se soumet sans peine aux exigences de la versification, sans doute, on exprime aussi librement ses sentiments en prose, et plus exactement sa pensée. U n’appartient de le faire, sans discordance, qu’à ceux qui ont reçu mission pour écrire. Cet accord est habituel chez M Ile Robert, et l’intention morale si frappante, qu’on oublie le talent pour donner un plein assentiment à ce qui vaut plus que le talent même. Jusque dans un court article sur le suicide, on trouve réunis les aperçus de l’imagination et les appréciations de la raison. Il était sage d’éviter toute décision tranchante sur une question aussi compliquée. «Une telle mort est-elle crime ou vertu? » demande l’auteur en finissant. Ni l’un ni l’autre, serait tenté de répondre le moraliste exempt de prévention. Le suicide ne peut être que très rarement vertueux, malgré lès exagérations de quelques anciens, et n’est jamais précisément criminel, malgré d’aveugles malédictions prodiguées par les modernes. Souvent cette résolution, plus téméraire que courageuse, cet acte, triste suite d’une exaltation accidentelle, est une grande faute que pourtant les hommes ne doivent pas chercher à punir. Souvent aussi c’est l’effet d’un extrême malheur, et alors’ la société, avant de songer à sévir, ferait bien de porter de sévères regards sur ses lois un peu arides, et sur les restes d’une vieille insouciance. Frappée de tant de peines profondes, cl peut-être disposée à mettre en doute si d’agréables de¬ hors suffirent à la civilisation, M llc Robert demande une clarté venant d’en haut. Lorsqu’elle invoque ainsi la vé¬ rité, ce n’est pas un vain ornement de sa prose généra¬ lement animée ou poétique. Semblable à une de ses collè¬ gues si honorablement connue, M mc A. Dupin, elle tend au vrai par une sorte de nécessité, par inspiration, et ce don en elle n’est jamais plus caractéristique que quand il s’agit de vérités religieuses. Quelquefois alors elle s’élève à une grande hauteur. Les hommes les plus célèbres n’ont pas toujours montré cet heureux besoin ; rarement ils ont dû faire en cela la même impression, et rarement feur conviction aura paru aussi indépendante ou aussi réelle. On pourrait ne pas partager indistinctement les croyances dont M,,e Robert veut attendre de nouveaux fruits de sagesse ; on observerait même que, faute de connaître assez les traductions de l’Asie, elle attribue à l’antiquité en général ce qui ne doit s’entendre que du paganisme, et que cela entraîne à supposer nouvelles des maximes ou des coutumes qui ne l’étaient pas il y a vingt-cinq siècles. Mais, comme elle revient au vrai, toutes les fois qu’il dépend d’elle de le rencontrer ! de quel amer et louable dédain elle poursuit ce qui devrait être beau et ne l’est pas ! Ces regrets sont beaux eux-mê¬ mes, et cette ironie est plus religieuse et satirique. « Tout «est débris et ruines….. Cependant beaucoup de.per- « sonnes croiraient être hostiles enl’avouant franchement,

« et font comme les gens de cour qui cachent lamort d’un «roi jusqu’à ce qu’un autre soit proclamé….. Mon âme, «avide de fixer sa ferveur, avide d’aimer là-haut, de- « mande une foi, demande un Dieu, comme la jeune fille

« demande un premier amour. » Ce n’est pas qu’en déplo¬ rant l’affaiblissement des espérances religieuses, une ima¬ gination riche ou poétique ne soit exposée à y mêler dos souvenirs plus profanes, et à célébrer jusqu’aux écarts de l’enthousiasme ; ce n’est pas que les croisades même n’obtiennent ainsi un mot d’approbation. De loin, tout ce qui produit de l’effet doit séduire quand on regarde en artiste, mais ensuite M,,e Robert regarde en penseur ; elle n’est pleinement captivée que par ce qui perfectionnerait et consolerait les peuples. Si dans quel¬ ques lettres, qui, sans doute, feront partie d ’Amour et Religion, un prêtre, doué d’un caractère énergique, mais plus sensible que résigné, se plaint surtout de ce que l’ascendant du sacerdoce ne satisfait plus une âme am¬ bitieuse, si son découragement n’est pas encore étranger aux affections terrestres, c’est le personnage qui parle bien plus que l’auteur, ët ce petit drame,rempli d’un sombre intérêt, n’est pas moins remarquable par une sorte de concision que par la connaissance du cœur de l’homme. « Sans doute, le prêtre des premiers âges, dans «son austérité profonde, avait un douloureux labeur à « repousser ces images ravissantes, ces fantômes de fem-

«mes qui passaient sur les murs de sa cellule. et

«même sur le gazon où il était courbé pour creuser sa « tombe. Mais cette lutte éternelle, ce combat déchirant, « c’était encore la vie, et à chaque victoire qu’il rem- « portait sur lui-même, il avait conqpis une feuille de « la palme du martyre. Maintenant le fanatisme ne tour- « mente plus nos âmes dans ces cruelles agitations, et «-avec l’excès de la terreur a passé l’excès du désir. »

M 1!c Robert a désiré savoir si quelque prédicateur actuel réalisait l’idée qu’elle s’était formée d’un interprète de la parole céleste. «Je voulais, dit-elle, qu’il élevât « sa mission jusqu’à sa beauté idéale, que sa parole saisit

« cependant l’humanité, enfin qu’un souffle de la muse « sacrée eût passé sur son front. » Elle n’a pas courbé le sien, celle qui forme de tels vœux ; elle ne s’est pas jetée au milieu des groupes frivoles ou passionnés qui mécon¬ naissent l’importance des lettres, et font du plus grand art de la civilisation un métier inutile. Toute pensée forte a en vue l’avenir, et s’y établit d’avance ; au contraire, le temps use bientôt les talents équivoques, dus seulement à une jeune et stérile exaltation de l’amour- propre. On agite encore parmi nous cette question, si beaucoup de femmes doivent écrire ; mais du moins on rendra justice à celles qui, en obéissant à une voix inté¬ rieure presque irrésistible, propagent de généreux mou¬ vements de l’ànie, sans lesquels, à présent que la litté¬ rature futile s’éloigne, nul écrivain ne graverait son nom sur le bronze. Quelques difficultés, jusqu’à un certain point particulières aux femmes, ne les déconcerteront pas ; elles ont pour dédommagement le bonheur de pou¬ voir rester hors du trouble des affaires, sans que cela surprenne personne. C’est une sorte d’asile, de retraite, où la pensée sera plus désintéressée. On devra beaucoup aux femmes dans l’ordre religieux. Mais, occupées par devoir des intérêts matériels, plus libres en cela que les hommes, quelques-unes d’entre elles expieront noblement ce que leurs mères ont fait pour des erreurs successives, et tant de vieux écarts ne dissuaderont pas de suivre les voies heureuses. Difficilement les femmes se renfermeraient dans le cercle étroit des doctrines surannées d’ailleurs, qui empêchaient de se consoler et défendaient d’espérer. Quand on ne croit nullement aux dons impérissables, c’est par préoccupation ou par inap¬ titude : le génie, dans sa liberté, ne s’attache pas de pré¬ férence à ce qui ne dure qu’un jour. Ces réflexions sur l’indépendance et la dignité dont est susceptible le travail littéraire, se présentaient naturellement ici ; elles étaient suggérées par le souvenir de ce qu’en a dit elle-même, en 1834, M l,e Clémence Robert, dans une espèce de pro¬ fession de foi qu’il faut malheureusement affaiblir en l’abrégeant. « La. littérature n’ayant qu’un mérite pure- «ment littéraire, est un simple divertissement de l’esprit. «Faire des vers, seulement pour produire de jolis effets, « c’est un plaisir comme de broder ; raconter de belles « histoires dont on ne peut tirer nulle conclusion utile, « c’est aller à la chasse dans des terres de son imagina- «tion ; écrire en vers ou en prose pour le seul honneur «du style,c’est, dans la sphère intellectuelle, donner un « bal où des mots élégants et variés dansent gracieuse- « ment…. Mais les écrivains qui ont le sentiment de l’a- « venir, voient que le temps de ces fêtes est passé pour « la littérature….. et ils la chargent de porter une pierre « à l’édifice social : ces hommes-là sont religieux, car « toute pensée qui protège l’humanité remonte à Dieu »


De Sénancour.