Biographie des femmes auteurs contemporaines françaises/Tastu

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Texte établi par Alfred de MontferrandArmand-Aubrée, libraire (p. 38-45).

Mme  TASTU


(Sabine-Casimir-Amable)


NÉE À METZ LE 31 ÀOUT 1798.
Fille de Jacques-Philippe Voïart, ancien administrateur général des vivres, et de Jeanne-Amable Bouchotte, sœur du ministre de ce nom.


Mme  Voïart, femme à l’esprit puissant, mourut jeune encore, et dès l’âge de sept ans sa pauvre fille connut ce chagrin amer de voir une place vide au foyer de famille. Les années passèrent, l’enfant grandit, et les facultés brillantes que le ciel lui avait données commencèrent à se développer. Dieu, en la créant, avait mis du soleil dans sa pensée ; il avait embaumé son cœur de parfums qui devaient bientôt s’exhaler au dehors ; il avait mis dans son âme une foule de cordes délicates que le moindre souffle agitait : il l’avait faite poète enfin. Bientôt toute cette poésie intérieure se répandit en mots brillants, en mélodie, et à neuf ans elle fit ses premiers vers. S’il faut dire quelle circonstance les fit naître, je ne puis, je ne sais. Sans doute cette poésie qu’elle avait en elle se fit jour tout naturellement parce que peut-être la veille elle avait regardé les ailes d’un papillon, parce qu’elle avait fait un beau rêve, parce qu’il fallait que cela fût, et qu’il est dans l’ordre des choses que les semences produisent leurs fruits. À dix-sept ans la jeune fille publia des vers sur des fleurs. Dans l’extrême jeunesse du poëte, tous les sujets sont frais et roses ; puis viennent les poésies de flamme, puis viennent les poésies tristes et noires. Une de ces gracieuses idylles, le Narcisse, parut dans le Mercure. Mme  Dufresnoy fut ravie de cet essai, et offrit au jeune poëte ses conseils et son amitié.

Une année s’écoula, la jeune fille devint jeune femme. En 1816 M. Joseph Tastu épousa Mlle  Voïart, et lui donna ce nom que la gloire devait illuminer. Quelque temps avant M. Voïart s’était remarié, et une femme de talent, Mme  Élise Voïart, était devenue la belle-mère de Mme  Tastu.

Après avoir remporté plusieurs prix aux Jeux-Floraux, et reçu en échange de ses vers de belles fleurs d’un or pur comme les poésies qu’elles couronnaient, après avoir publié un charmant ouvrage intitulé la Chevalerie française, Mme  Tastu réunit enfin ses gracieuses poésies, que nous savons tous par cœur (cinq éditions, formats in-8o et in-18, Paris, 1826). Ce premier recueil, avec ses vers ravissants, avec ses élégantes traductions, est riche de beautés poétiques ; les couleurs en sont pures, la mélodie toujours douce à l’oreille. On voit que l’auteur évite tout ce qui est étrange ou trop hardi ; dans ses vers, la raison qui pèse et qui calcule marche à côté de l’inspiration. Aussi la poésie de Mme  Tastu reste toujours à la même hauteur : elle ne tombe jamais, parce qu’elle regarde où elle va marcher avant de poser ses pieds blancs. Vous ne verrez rien de dérangé dans sa parure, car avant de se mettre en chemin elle arrange avec soin les plis de sa robe et les fleurs de sa guirlande. Elle exhale un charme infini ; sa voix a des sons qui viennent de l’âme ; elle a une beauté noble, un mélange de grâce et de gravité que l’on ne voit peut-être qu’en elle seule;

elle est toute chasteté, et garde toujours des vêtements blancs ; en la regardant on sent en soi quelque chose de pur et de doux, comme lorsqu’on contemple une vierge de Raphaël.

Belle dans l’ensemble, la poésie de Mme  Tastu l’est encore dans les détails : on y remarque un art extrême, des peintures habiles. Mme Tastu excelle dans les tableaux. Celles de ses poésies où ce talent est le plus frappant sont le Dernier Jour de l′année , les Feuilles de Saule, la Chambre de la Châtelaine. Dans ce premier recueil cependant elle emploie rarement ces épithètes qui peignent matériellement les objets, en indiquent la forme ou la couleur, et servent à faire image ; mais elle sait suppléer à ce moyen par un choix savant de mots et par une grande justesse d’expressions.

Son rhythme n’est presque jamais heurté ; on y rencontre fort peu d’hémistiches brisés, de vers enjambés, et l’on serait fâché d’en trouver, car cela ferait un contraste trop grand avec l’ensemble de sa poésie ; il faut que toutes les parties d’une chose s’accordent entre elles, un trait qui embellit un visage, sur un autre paraîtrait disgracieux ; et le rhythme brisé, qui convient si bien à Hugo, serait comme un son faux dans les vers de Mme  Tastu. Sa poésie est un instrument dont l’un des charmes principaux est une harmonie parfaite, toutes les notes en sont mélodieuses, et un mouvement plus pressé, une mesure moins égale, pourraient blesser l’oreille. Elle a cependant quelquefois un rhythme plus heurté, surtout dans les Scènes de la Fronde et dans Peau d’âne, mais cela prouve justement son tact exquis ; dans ces deux poëmes, elle prend un autre style, elle doit changer de marche en changeant de manière et de couleur.

Trois ans après la brillante apparition de ses premières poésies. Mme  Tastu publia les Chroniques de France (un vol.

in-8°, Paris, 1829 ). Cet ouvrage comprend cinq chroniques où l’auteur peint le quatrième siècle ou les temps religieux, le sixième ou les temps barbares, le quatorzième ou les temps chevaleresques, etc. C’est une idée grande que celle d’aller chercher tous ces cadavres de siècles, pour recomposer leurs traits, y lire la pensée dominante qui les caractérisait, et écrire, sur le front de chacun d’eux, Religion, Barbarie, Chevalerie. La chronique des temps religieux a une teinte chaste et douce qui lui sied bien ; la seconde, intitulée les Enfants de Clodomir, peint bien ces temps barbares où les princes se massacraient entre eux pour arriver au trône ; visaient sur les couronnes, sans regarder si elles étaient posées sur la tête d’un frère ou d’un fils, et n’entraient dans leurs palais de rois qu’en en forçant la porte. Les trois autres chroniques, surtout celle des Cent Jours, ont aussi de fort beaux passages.

Dans ces secondes poésies la touche de l’auteur devient moins légère et plus profonde ; là les graves travaux de l’historien se mêlent à l’inspiration du poëte : point de vague dans ces vers ; de la précision. Ils sont plutôt pensés que rêvés. fs Les Chroniques de France doivent être classées parmi les ouvrages de haute portée ; l’idée première en est neuve, large, grandiose, et l’on y trouve de fortes pensées, des vers qui ressortent en relief dans les pages, des vers tels que ceux-ci :

Quel monarque aujourd'hui croirait s'y maintenir(sur le trône)
Quand la serre de l'aigle a peine à s'y tenir


On attendit long-temps un nouveau recueil après les Chroniques de France ; pendant plusieurs années les poésies de Mme  Tastu ne parurent qu’éparpillées dans des journaux, dans des keepsakes. Il lui prit fantaisie de faire de la prose, et elle publia quelques nouvelles dans le Livre des Femmes, le livre des Conteurs, les Cent et une Nouvelles, le Salmigondis. Cela sembla d’abord étrange d’entendre l’oiseau parler ; mais quand on vit que sa voix dans son nouveau langage conservait toute la douceur du chant, on l’applaudit comme d’habitude. Enfin, après six ans d’attente, on vient de voir paraître, les Poésies nouvelles (un vol. in-18, Paris, 1835). Ces poésies, un cours d’enseignement pour les enfants, intitulé Simples Leçons d’une mère à ses enfants, et une traduction de Robinson, d’un style élégant et pur, viennent clore la liste des œuvres de Mme  Tastu ; certes cette liste est brillante, son écrin se compose de joyaux précieux.

On retrouve dans ces Poésies nouvelles la touche des premières ; c’est bien la même grâce, la même sensibilité ; mais six années de distance ont apporté nécessairement un changement dans la forme ; là, les couleurs sont plus vives, l’allure plus hardie. Un poëme intitulé Peau d’âne est en tête du volume : Mme  Tastu a vu, dans le naïf conte de fée, une ingénieuse allégorie ; elle l’a développée dans des vers pleins de finesse. Ce poëme est mélangé de récits et de chants ; dans les récits, l’auteur quitte son style habituel et adopte un style de conte, un style railleur, à la couleur simple, à l’allure bourgeoise. Dans les chants, le style change, il reprend les anciens ornements et la manière noble que nous lui connaissons jusqu’à présent ; c’est celle qui me semble convenir le mieux au talent de Mme  Tastu : sa poésie est essentiellement grande dame : comme à la belle infante qu’elle a chantée, il lui faut ses robes couleur d’azur, couleur de la lune, couleur du soleil. Elle est née princesse comme d’autres naissent bourgeoises ; et quelque charmante qu’elle soit en négligé, elle fera bien de garder son rang et de conserver toujours ses riches parures.

Je citerai deux rhythmes d’un effet heureux : celui de la poésie intitulée Chant, et celui d’un chant de Peau dâne. Dans cette dernière poésie, chaque strophe se compose de vers de neuf syllabes, et se termine par un vers de trois ; cette chute fait parfaitement, parce que ce petit vers s’harmonise avec les autres, où le repos est ménagé à la troisième syllabe. C’est un rhythme neuf, tout artistique, que l’on aime par son étrangeté. Ces vers de neuf syllabes, défendus autrefois, sont vraiment dignes d’être employés ; et, tout en se gardant bien de les prodiguer, on devrait s’en servir quelquefois dans les poésies de peu d’étendue. Ils sont moins connus que les autres vers, et n’ont pas été maniés par toutes les mains ; puis ils sont souples comme des joncs, et se ploient à tous les caprices : tantôt le repos est à la troisième syllabe, tantôt à la quatrième ; on les construit à son gré.

On a trouvé généralement dans ce dernier recueil une profonde empreinte de souffrance et de décourage¬ ment. Ce que l’on y remarque surtout, c’est une soif ardente du bonheur des deux pour se consoler des douleurs de la terre ; c’est une horrible crainte d’être trompée, et de ne trouver qu’un ciel vide ; c’est le be¬ soin impérieux d’un point lumineux qui se fasse jour dans les ténèbres, d’un Dieu qui nous tende la main, quand nos amis nous retirent la leur. Après avoir lu ces vers, on se dit tristement : « Pauvre poëte, comme il a pleuré avant de chanter ! » Mais ces plaintes ne sont pas seulement, comme on se l’imagine, le cri d’une âme qui souffre, elles sont naturelles à tous les poètes. Lisez Lamartine, Hugo, lisez-les tous, et vous verrez qu’heureux ou malheureux, tôt ou tard ils se lassent de la vie et en désirent une plus radieuse ; quand ils se sont enorgueillis de leur gloire, ils en sentent le vide ; ils finissent par être las de cette poésie de mots qui n’est jamais qu’une pâle traduction de leurs pensées ; ils sentent qu’il leur faut de la poésie vivante, de la poésie de soleil, d’étoiles, d’in¬ fini ; alors, ils ne chantent plus qu’avec amertume les choses de la terre ; ils lèvent la tête vers le ciel, et puis ils disent : «Mon Dieu!» Ce dégoût de la vie n’est-il pas tout palpitant dans ces vers que Lamartine adresse à Mme Tastu ?

À ces vains jeux de l’harmonie
Disons ensemble un long adieu :
Pour sécher les pleurs du génie
Que peut ia lyre ?… Il faut un Dieu !

Quelques vraies que soient les paroles du poëte saint, nous supplions tous M mc Tastu de ne pas suivre son conseil : elle jfclire adieu à la poésie! elle, déposer sa ba¬ guette de fée avec laquelle elle nous bâtit des palais ma¬ giques ! Oh ! si parfois, dans les heures de chagrin et de lassitude du monde, elle se sent prête à jeter sa plume d’or, qu’elle s’en garde bien, par pitié pour le public! £lle sait que ce public l’aime ; il lui a donné la gloire, cette splendide royauté du génie ; il a entouré son nom de rayons éclatants, et il l’a mise au nombre des poëtes qu’il distingue entre tous, comme on choisit parmi les oiseaux les rossignols et les fauvettes.


Mme Anaïs Ségalas.