Biographie nationale de Belgique/Tome 1/ASSONLEVILLE, Christophe D’

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ASSONLEVILLE, Christophe D'



*ASSONLEVILLE (Christophe D’) ou ASSONVILLE ou DASSONLEVILLE[1], chevalier, seigneur de Hauteville, baron de Bouchaut, docteur en droit, membre du conseil privé et du conseil d’État, trésorier de la Toison d’or et diplomate, naquit à Arras vers 1528 et mourut à Bruxelles le 10 avril 1607. Il était issu d’une famille noble du Cambrésis. En 1555, il entra au conseil privé, probablement sous les auspices du puissant ministre de Granvelle qui a été évêque du diocèse de d’Assonleville et a toujours eu en lui un correspondant très-dévoué et actif. Le premier janvier de l’année suivante, il posa un acte politique qui devait fixer sur lui l’attention de Philippe II : dans un mémoire motivé, il conseilla à ce monarque d’adopter pour les Pays-Bas la forme de gouvernement établie en Espagne. Ce projet liberticide entrait dans les vues de ce souverain et fut reproduit en 1570 ; mais les complications politiques de l’époque l’en empêchèrent.

Les grandes connaissances, le zèle religieux et les opinions politiques de d’Assonleville étaient si bien appréciés dès les premières années de son entrée au conseil privé, qu’il fut bientôt appelé à siéger au conseil d’État sans en avoir le titre officiel. Sa présence y est constatée à partir du mois de février 1559. Au mois de mars 1563, il fut envoyé en mission en Angleterre pour se plaindre des infractions qui, du côté de ce pays, ne cessaient d’être commises aux traités d’entre-cours. Le 29 avril 1566, il se rendit à Bruges avec trois autres diplomates—le fils du jurisconsulte Pierre Ægidius était du nombre—pour reprendre ces négociations avec les ambassadeurs anglais. Il prit une grande part dans la création des nouveaux évêchés et dans les moyens mis en pratique pour les doter. Il avait été nommé commissaire avec Hopperus et contribua beaucoup à obtenir le consentement des abbés de Tongerloo, d’Afflighem et de Saint-Bernard. Quant à l’opposition que l’érection des évêchés rencontrait en Gueldre et en Frise, il était d’avis qu’il fallait obéir au tems et ne pas forcer le pays à cela quant à présent (Lettre du 15 janvier 1566).

Nous trouvons sa personne et sa plume dans toutes les phases de la question si grave du compromis des nobles. Il a mis en rapport avec la régente le nommé Andrelec, espèce d’espion qui scrutait toutes les démarches des confédérés. Les conseils d’État et privé réunis étaient en quelque sorte en permanence depuis l’arrivée des confédérés à Bruxelles, à l’effet de préparer les réponses et d’être prêts à parer à toutes les éventualités. L’homme qui se fit remarquer dans ces conjonctures difficiles, qui émettait presque toujours le premier son avis et dont on suivait la plupart du temps les opinions et celui qui rédigeait les projets de réponses et d’instructions, était d’Assonleville. C’est lui qui est l’auteur du projet de modération des édits de Charles-Quint relatifs à l’hérésie, œuvre indigeste en cinquante-trois articles à laquelle le peuple, pur dérision, donna la dénomination de moorderaey, meurderatie.

Marguerite le chargea d’une mission confidentielle auprès du prince d’Orange pour conférer sur les assemblées et les prêches des sectaires ; l’entrevue eut lieu le 6 juillet 1566. Au mois de septembre 1566, il contribua à faire rejeter par le conseil d’État l’accord que le prince d’Orange venait de conclure à Anvers avec les protestants. L’effervescence qui en résulta dans cette ville et dans les États de Hollande, porta la régente à envoyer d’Assonleville en mission auprès du prince à deux différentes reprises (les 4 et 10 octobre) pour le rassurer sur ses intentions et celles du roi et pour connaître son opinion en ce qui concernait les troubles et son retour dans les États de Hollande. Les rapports qu’il a rédigés de ces deux missions ont été recommandés à Philippe II comme très-importants pour son service et utiles à consulter. D’Assonleville s’y efforce de démentir le bruit suivant lequel le roi aurait formé le projet d’attenter aux jours de Guillaume d’Orange, en disant que Philippe II était prince bon et justicier, juste, clément et bening.

Au mois de mai 1567, il fut chargé d’une mission confidentielle et délicate auprès du seigneur Jean de Mérode, dont la nièce avait été instituée héritière du comte de Berghes qu’on venait d’assassiner dans les prisons d’Espagne.

Par les dépêches secrètes que la régente avait adressées au roi contre la plupart des seigneurs belges, notamment contre d’Egmont et de Hornes, et que d’Assonleville rédigeait en grande partie, ainsi que par la correspondance politique si active qu’il entretenait avec de Granvelle, personnage toujours bien disposé pour le duc d’Albe, notre conseiller aura beaucoup contribué à la résolution de Philippe II de confier à ce cruel Espagnol le gouvernement des Pays-Bas. Par ordre du duc d’Albe, il partit, au mois de janvier 1569, pour une nouvelle mission en Angleterre, afin de régler le différend qui s’était élevé au sujet de la saisie des navires néerlandais dans les ports britanniques et de la saisie faite, par réciprocité, dans les Pays-Bas, des personnes et des biens des Anglais. La reine Élisabeth ne le reçut pas, à cause des motifs qui regardaient le gouvernement espagnol. Néanmoins, lorsque, le 26 mars 1570, les commissaires anglais arrivèrent à Bruxelles pour terminer cette négociation, le duc d’Albe désigna de nouveau d’Assonleville avec Viglius, Noircarmes et Schetz, afin de s’entendre avec eux. Au mois de juin 1572, jusqu’au milieu de l’année suivante, il suivait avec d’autres conseillers le duc d’Albe dans l’expédition de la Hollande. On dit qu’il y trempa alors dans l’assassinat d’Ewout Piterson Worst, le vaillant amiral des gueux de mer dont Philippe II avait mis à prix la tête.

Pendant le gouvernement du commandeur Requesens, d’Assonleville fut le ministre le plus considérable du parti espagnol à Bruxelles. Les lettres patentes du 7 avril 1574 (nouveau style) lui conférèrent le titre de membre du conseil d’État, poste eminent qu’il occupait de fait depuis plusieurs années et qu’il méritait, du reste, par ses capacités et par ses services. Dans une lettre du 9 du même mois, le commandeur le dit un des meilleurs hommes qu’il y ait aux Pays-Bas, mais très-léger et ayant assez de défauts. Viglius le désigne au roi comme le plus versé dans les affaires d’État. Suivant Hopperus, Philippe II reçoit ses lettres avec beaucoup de plaisir, aussi il ne fut pas oublié dans les largesses du souverain[2]. A cet éloge magnifique, nous pouvons ajouter ce que le commandeur en disait au roi, le 16 septembre 1574 : « Je ne le propose pas pour la présidence du conseil privé, car il ferait faute pour les affaires qui passent toutes à présent par ses mains. » Cependant, le 24 du même mois, le gouverneur général le recommanda pour la place de trésorier de la Toison d’or, ouverte ensuite du décès de Charles Tisnacq. Il obtint cet emploi, qui avait surtout de l’importance en ce que cet officier était appelé, à l’occasion, à remplacer le chancelier de l’ordre.

Orateur du gouvernement dans la séance des états généraux du 7 juin 1574, d’Assonleville ne se borna pas à traduire en français la demanda d’aides faite en espagnol par Requesens, il prononça en même temps un véritable discours politique. Il eut encore une fois l’occasion de prendre la parole au nom du gouvernement, dans la fameuse junte du 24 novembre 1574. Il paraît avoir manque de prudence dans ce discours, qui lui attira le blâme de Requesens. Dans la nuit du 13 décembre 1574 éclata, à Anvers, une conspiration qui avait pour but de livrer la ville au prince d’Orange. Les individus arrêtés furent jugés par une commission spéciale dont d’Assonleville faisait partie : quatre d’entre eux furent écartelés, un brûlé vif et d’autres exilés. Il est l’auteur de la lettre circulaire du 2 septembre 1575, que le commandeur a adressée à tous les États et qui traitait des questions politiques et religieuses alors sur le tapis.

A la mort de Requesens, arrivée le 5 mars 1576, le conseil d’État prit les rênes du gouvernement. La situation critique du pays forçait pour ainsi dire ce gouvernement provisoire d’être en permanence : il avait souvent deux séances par jour, et d’Assonleville en était l’âme, le personnage principal. Le conseil ne fut pas au-dessous de sa tâche, mais ses meilleures mesures ayant été soit ajournées, soit rejetées par le roi, il devint antipathique à tous les partis. C’est alors qu’éclata le coup d’État du 4 septembre 1576, fait avec la participation du prince d’Orange, du duc d’Arschot et des amis de ce dernier seigneur. D’Assonleville le plus suspect d’espagnolisme avec Berlaymont, de Mansfelt et de Meghem, ne fut remis en liberté que le 23 mars 1577. Le mémoire justificatif de sa conduite et de celle de ses collègues qu’il publia alors, prouve que si Philippe II avait adopté les propositions du conseil, les vœux les plus ardents du pays étaient réalisés. Don Juan, à son arrivée à Bruxelles, le 1er mai 1577, prit encore, comme principal conseiller, notre d’Assonleville, le grand représentant de la politique espagnole. Au mois d’avril 1578, nous le trouvons à Louvain avec le conseil d’État que Don Juan y avait transféré et qui ne comptait plus alors que lui, Fonck et les deux secrétaires (Delrio était au camp) ; tous les autres membres avaient embrassé le parti des états généraux. Au mois d’avril 1579, il reçut l’importante mission de se rendre au congrès de Cologne, pour essayer vainement une dernière tentative de conciliation entre le roi et les députés de l’archiduc Mathias. Il y eut alors des négociations entre le prince de Parme, le prévôt Fonck, l’abbé de Sainte-Gertude, le secrétaire De Vaulx et d’Assonleville pour attenter à la vie du prince d’Orange. L’agent le plus actif était le duc de Terranova. Il est fort douteux que d’Assonleville soit l’auteur de la lettre du 31 juillet 1580, que rapporte l’historien Bor, qui renferme de méchantes insinuations contre le Taciturne et que Renneberg avait interceptée lors du siège de Steenwyck.

On l’accuse, non sans raison, d’avoir trempé dans l’assassinat du prince d’Orange. Il est constaté que d’Assonleville a été l’intermédiaire direct entre Farnese et Balthazar Gérard ; qu’il encouragea le meurtrier dans son entreprise ; qu’il lui donna des instructions et renseignements propres à commettre le forfait ; qu’il lui garantit de nouveau les récompenses et les honneurs, et enfin lui promit l’immortalité.

Dès sa création en 1582, d’Assonleville fit partie de la chambre des récompenses qui devait annoter et gérer les biens confisqués et séquestrés des condamnés. Cet emploi qui lésait beaucoup les intérêts de Champagny, attira à d’Assonleville l’inimitié personnelle de ce seigneur. Lorsque l’archiduc Ernest d’Autriche, arriva à Bruxelles, comme gouverneur général, en janvier 1594, il prit aussi conseil de d’Assonleville, le vieux et fidèle ministre de ses prédécesseurs. Il remit alors au duc un mémoire dans lequel il signale la corruption, l’indiscipline, les débauches et les exactions de la milice espagnole. En 1594, les Espagnols complotèrent l’assassinat du fils de Guillaume le Taciturne. Philippe II, l’archiduc, d’Assonleville et ses collègues du conseil d’État, paraissent avoir eu leur part dans ces menées coupables. Le 17 novembre de cette année, Pierre Dufour, soldat, né à Nivelles, fut condamné et exécuté pour avoir formé le projet d’assassiner le prince. Suivant la confession de ce criminel, d’Assonleville l’aurait encouragé dans l’exécution de son projet.

Sous Philippe II et les archiducs, d’Assonleville continua à siéger au conseil d’État. Par les lettres patentes du 30 juin 1605, il obtint le titre de baron de Bouchaut ; il ne survécut que deux années à ces honneurs.

Le tombeau de sa famille se trouve dans la chapelle du Saint-Sacrement, à l’église de Sainte-Gudule à Bruxelles. Christophe d’Assonleville a été précédé dans la tombe par son fils unique, Guillaume (qui suit).

Il a été, pendant cinquante ans, un des ministres les plus accrédités, les plus capables et les plus fidèles du gouvernement espagnol. Par ses connaissances juridiques, financières et commerciales, par son talent oratoire, par son grand zèle pour la religion catholique et par l’ardeur de son dévouement aux intérêts de la couronne, il avait gagné une grande influence dans les conseils des gouverneurs généraux et même dans ceux de Philippe II.

La biographie de ce personnage se trouve in extenso, dans le Messager des Sciences historiques, année 1865.

Britz.


  1. Son véritable nom est d’Assonleville ; c’est ainsi qu’il signe les lettres qui nous restent de lui.
  2. Par lettre du 10 août 1574, il reçut 600 florins de pension annuelle qu’il cumulait tant avec les 1200 florins de gages comme conseiller et à partir de 1582, qu’avec 1916 florins de traitement comme membre de la chambre des récompenses.