Biographie nationale de Belgique/Tome 12/LIÉVIN, saint

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LIÉVIN (saint), a été certainement un des saints les plus populaires des Pays-Bas au moyen âge. Patron de Gand, la plus riche et la plus remuante des villes flamandes, son nom apparaît fréquemment dans l’histoire de la grande cité. Ce fut, comme on sait, une procession en son honneur qui donna le signal de la révolte de la commune, en 1467, contre Charles le Téméraire. Et pourtant, à la différence de saint Lambert, le patron de Liège, saint Liévin n’est pas un saint national. Bien plus, il est à peine un personnage historique. Il ne doit sa réputation qu’aux moines de Saint-Bavon, qui lui ont fait une légende, et aux Gantois qui l’ont adopté comme le protecteur de leur ville. C’est au XIe siècle que, pour la première fois, on entend parler de saint Liévin. Entre 1025 et 1058, en effet, un moine de Saint-Bavon rédige une Vita sancti Livini, qui est bien certainement une des supercheries littéraires les plus caractéristiques du moyen âge. À en croire ce factum, saint Liévin serait né en Irlande de parents appartenant à une race royale. Il aurait été baptisé par l’illustre apôtre des Anglo-Saxons, saint Augustin, puis promu au rang d’archevêque. Enfin, aspirant à la gloire du martyre, il serait venu évangéliser les païens du Brabant et aurait été mis à mort à Houthem, le 12 novembre 657, au milieu d’atroces supplices. La légende ainsi formée s’est rapidement répandue. Dès le XIe siècle elle était connue en Angleterre et, peu à peu, elle se propagea par toute l’Europe. En 1513, Eloi Houkaert en imprimait à Gand un remaniement littéraire, et plus tard, traduite en néerlandais, elle devenait une des lectures favorites du peuple flamand. Les arts ne contribuèrent pas moins à sa diffusion ; on sait, en effet, qu’elle a inspiré à Rubens un de ses tableaux les plus admirables. Il n’y a rien d’étonnant, d’ailleurs, dans ce succès extraordinaire. L’auteur anonyme de la légende avait, en effet, fort habilement pris ses précautions. Pour donner à son œuvre une autorité que son caractère fabuleux et les impossibilités de toute sorte qui y abondent lui auraient sans doute fait refuser, il en avait attribué la paternité à l’un des plus grands saints du moyen âge, à saint Boniface, le fameux apôtre anglo-saxon de la Germanie. Malgré la célébrité de la Vita sancti Livini, il n’a cependant pas fallu attendre jusqu’à nos jours pour que l’inauthenticité absolue de ce texte fût démontrée. Papebroch, au XVIIe siècle, la considérait déjà comme une pure falsification, et personne, depuis, n’a songé à en appeler de ce jugement. Pendant longtemps, toutefois, on a cru posséder sur saint Liévin un document aussi authentique que la biographie l’était peu. Il existe, en effet, un charmant poème en vers élégiaques, adressé par le saint à Florbert, le premier abbé des deux monastères gantois de Saint-Pierre et Saint-Bavon. L’Histoire littéraire de la France, Ampère, Ozanam ont cité ce poème comme une des productions les plus parfaites de la littérature latine du temps, comme une des preuves les plus évidentes de la haute culture intellectuelle de l’Église irlandaise et de saint Liévin en particulier, à une époque où le continent était encore plongé dans la plus extrême barbarie. Mais il faut malheureusement renoncer à attribuer au patron de Gand la célèbre élégie. Rettberg a déjà montré qu’il était impossible de placer au VIIe siècle un poème où il est fait allusion à la destruction du monastère de Saint-Bavon, par les Normands, en 851, et tout récemment, Mr Holder-Egger a prouvé par de nouveaux arguments que la gracieuse épître n’était qu’une falsification du XIe siècle, faite a Saint-Bavon. C’est donc à un moine anonyme du moyen âge qu’il faut faire honneur du talent littéraire que l’on attribuait à saint Liévin. Mais désormais, privés des renseignements de la Vita et de l’élégie, que nous reste-t-il de certain sur le célèbre missionnaire ? Peut-on croire du moins à un passage de la Translatio sancti Livini, écrite a la fin du XIe siècle, et à une notice des Annales de Saint-Bavon, compilées au XIVe, rapportant que l’évêque Thierry, de Cambrai (830 à 863), aurait, à la demande des moines de Saint-Bavon, effrayés par l’approche des Normands, transporté en 842, de Houthem dans un autre endroit qui n’est pas indiqué, les reliques du saint ? Il ne le semble pas. Au IXe siècle, Houthem n’appartenait pas encore à l’abbaye de Saint-Bavon ; quant aux Normands, ils n’avaient pas encore approché de Gand en 842. En somme, tout ce que l’on peut affirmer se réduit à ceci : il existait antérieurement au XIe siècle, au village de Houthem, les reliques d’un saint appelé Liévin, dont on célébrait la fête le 12 novembre. En 1007, ces reliques furent solennellement transférées au monastère de Saint-Bavon, à Gand, où fut écrite, peu de temps après, une légende dont la critique ne laisse rien subsister.

H. Pirenne.

Acta sanctorum, juin, t. I, p. 494 Papebroch. — Monumenta Germanicæ historica, Script., t. XV : Translatio S. Livini, éd. O. Holder-Egger. - Rettberg, Kirchengeschichte Deutschlands, t. II, p. 510. — O. Holder-Egger, Zu der Heiligengeschichten des Genter St. Bavosklosters, dans Historische Aufsatze dem Andenken an Georg Waitz gewidmet, p. 623-665.