Biographie nationale de Belgique/Tome 12/Ligne (les de)
LIGNE (les DE). Comme toutes les familles illustres, celle de Ligne a vu son origine embellie et dénaturée par des généalogistes peu scrupuleux. Des mémoires que l’on a publies sous le nom du prince de Ligne, dont je m’occuperai spécialement dans l’article suivant, exposent avec complaisance ces légendes dans le passag suivant : “ Un homme de ma chancellerie, un secrétaire allemand nommé Seygel, dit (et moi aussi à la vérité) qu’il a lu un vieux cartulaire qui nous descendait d’un roi de Bohème : il dit aussi qu’il a lu sur une tombe, je ne sais où, que nous descendons de Charlemagne par un certain Thierri d’Enfer ; il dit encore que des généalogistes nous donnent la même tige que la maison de Lorraine, et que d’autres prétendaient que nous serions une branche de celle de Bade. Et puis ce qui me ferait croire qu’il y a du Charlemagne et du Vitikind dans notre sang, c’est que nous avons la Toison depuis quatre siècles et que nous sommes princes d’Empire depuis deux ” . Sans m’arréter à ces raisonnements, qu’il serait difficile d’étayer de preuves, je me bornerai à esquisser les faits les plus remarquables (et ils sont nombreux), qui donnent un véritable intérêt à l’histoire de la famille de Ligne.
Les de Ligne figurent depuis le xie siècle dans la noblesse du Hainaut. Ils portent, pour armoiries, d’or à la bande de gueules, et affichent pour devise cette phrase orgueilleuse, mais qu’ils se sont toujours attachés à justifier : Sit semper linea recta. Par une coïncidence presque unique dans la féodalité belge, trente générations se sont transmis de père en fils les titres, les possessions, les honneurs que les souverains se sont plu a accumuler sur les seigneurs de Ligne, en qui ils ont troué des vassaux aussi fidéles que vaillants. Le petit village de Ligne, situé sur la voie romaine de Bavai vers Gand, a été le berceau de cette lignée, qui, depuis le xive siècle, a adopté pour résidence favorite le château de Belœil, entre Mons et Ath.
Les premières générations de la famille sont très mal établies par les généalogistes, qua l’on a copiés sans examen jusqu’à notre époque. Un Fastré de Ligne, cité dans un prétendu diplôme de 1049, n’a jamais existé que dans l’imagination féconde du faussaire Le Carpentier ; mais le chevalier Héribrand de Ligne et son frère VValter vivaient en 1073, le même Heribrand et son fils et son frère Walter en 1084 ; à la même époque, on cite encore un Thierri de Ligne. Les premiers (ou des homonymes) reparaissent en 1128, et un Thierri de Ligne se montre de nouveau, depuis 1128 jusqu’en 1185, au nombre des guerriers qui entouraient le comte de Hainaut, Baudouin, fils d’Yolende, ou Baudouin III, et son fils du même nom. En 1172, Walter de Ligne recevait du roi d’Angleterre, Henri III, un fief consistant en une rente annuelle de dix marcs ; il marcha ensuite, à la suite de son seigneur, contre le duc de Limbourg. De son union avec Mathilde, fille de Gosuin, châtelain de Mons, et de Béatrice de Rumigny, sortirent deux fils, Walter et Fastré, qui combattirent à Bouvines et y furent pris par les Français. Un Walter le Jeune vivait en 1288, et un autre gentilhomme du même nom se distingua du temps du duc de Brabant, Jean Ier, en réconciliant ce prince et Thibaud, comte de Bar, avec les bourgeois de Metz, en 1287. On cite ensuite un Jean de Ligne comme ayant laissé, entre autres, deux fils : Mathieu, mort à la bataille des Eperons d’or, en 1302, en combattant les Flamands, et Fastré, d’abord seigneur d’Ollignies, puis seigneur de Ligne, de Montreuil, de Rumigny, de Maulde-sur-l’Escaut et maréchal du Hainaut ; il mourut à Venise, en 1337, en revenant de la Terre sainte. Il avait épousé successivement Jeanne de Morialmé et Marguerite de Gavre, dont la première lui apporta en mariage la terre de Belœil.
Son fils aîné, Michel, seigneur de Ligne, épousa l’héritière de Briffœil et mourut en 1345, après avoir brillé dans mainte campagne et maint tournoi. Il accompagna en Angleterre Jean de Hainaut lors de l’expédition qui détrôna le roi Edouard II, et de nouveau, lors de la guerre que le roi Edouard III fit aux Ecossais ; il suivit également en Flandre le roi Charles de Valois et assista à la terrible journée de Cassel, si fatale et si glorieuse à la fois pour les Flamands ; il combattit souvent aussi à la suite de Guillaume II, comte de Hainaut, notamment lorsque ce prince, avec le roi d’Angleterre et le duc de Brabant, alla assiéger les villes de Cambrai et de Tournai. Il fut tué à la bataille de Staveren, livrée aux Frisons par le comte Guillaume II, en 1345. Michel de Ligne figura aussi parmi les feudataires du Brabant, pour un fief consistant en soixante aimes de vin (de la valeur de quatre moutons d’or l’aime ou la tonne), qui lui était payé à la fête de la Purification (2 février). Ce fief causa de grands embarras à son petit-fils Michel. Sous prétexte que des sommes d’argent lui étaient dues par le Brabant, Michel rassembla ses vassaux et entra, en 1394, dans ce pays, où il commit des hostilités. Mais la duchesse Jeanne, alors veuve, était l’amie du duc Aubert de Bavière, comte de Hainaut et de Hollande ; des ordres furent aussitôt donnés pour arrêter ces pillages, et un nommé Pierre de Le Berghe ou Vanden Berghe, qui fut pris à Hal, comme ayant accompagné Michel de Ligne, fut mis à la question et justicié. Après une enquête faite par les conseils du Brabant et du Hainaut, et grâce à l’intercession de Guillaume, comte d’Ostrevant, fils du duc Aubert, un accord fut signé à Bruxelles, le 7 août 1397. Michel de Ligne dut rester prisonnier à Genappe pendant six semaines et prendre ensuite l’écharpe et le bourdon en l’église Sainte-Gudule, de Bruxelles, pour aller en pèlerinage à Saint -Jacques de Compostelle, et, de son côté, la duchesse Jeanne s’engagea à payer les arrérages de rentes qu’elle devait à la maison de Ligne.
Michel de Ligne n’avait pas laissé d’héritier de sa femme, Eléonore de Coucy, dame de Rumpst ; il eut pour héritiers les fils de son frère Guillaume, seigneur de Montreuil, Thumaide, etc. ; Guillaume, seigneur de Ligne, qui ne laissa pas d’héritiers, puis Jean, seigneur de Belœil, d’Ollignies et de Fauquemberghe. A peine ce dernier eut-il relevé les fiefs de son frère qu’il partit pour l’Italie, où il prit part à l’expédition des Génois contre les Sarrasins, ou Maures d’Afrique, en 1390 ; puis il entra dans l’armée cjuc le comte d’Ostrevant conduisit en Frise, en 1390. Il fit partie de l’expédition conduite par ce comte, devenu le comte Guillaume de Hainaut, contre les Liégeois, en 1408, et ce fut lui qui mit en déroute, à Othée, une des ailes de l’armée liégeoise. Lorsque la fille et l’héritière de ce prince, Jacqueline de Bavière, devint comtesse de Hainaut, il fut son curateur (acte du 1er août 1417), et ce fut encore lui qui, au mois de juillet de l’année suivante, figure le premier parmi les seigneurs hennuyers qui agréèrent, comme comte et comme mari de Jacqueline, le duc de Brabant, Jean IV. Mais lorsque les deux époux se séparèrent, il soutint la cause de Jacqueline et assista au serment prêté à Mons, le 3 janvier 1425, par le duc de Glocester, Humfroi, avec qui Jacqueline s’était remariée ; il en fut puni par la confiscation d’une rente de 200 livres sur le domaine de Leuze, que le duc de Brabant, mari légitime de Jacqueline, lui enleva pour en faire don à un de ses conseillers, Rolin Daule (28 mars 1426-1427). Mais plus tard, le 23 juin 1427, il reconnut publiquement Philippe de Bourgogne pour comte, et mourut en 1442.
Son fils aîné, Guillaume, seigneur de Maulde et maréchal du Hainaut, étant mort avant lui, en 1411, ce fut le deuxième, Jean, qui lui succéda, et le troisième, Michel, qui continua la lignée. Jean et Michel eurent avec leur père, en août 1440, uu grand différend et le firent prisonnier dans son château de Belœil. Je ne sais rien de plus de cet incident, qui fit grand bruit à cette époque, et que l’on supposa avoir été concerté avec le duc de Bourgogne. Jean de Ligne, baron de Ligne et de Behril, fut prévôt de Saint-Lambert à Liège, et donna en mourant (1468) ses biens à Jean, son neveu. Il reçut la sépulture à Ath, au couvent des Récollets, qu’il avait fondé. Son frère Michel, baron de Barbançon, s’était distingué à la bataille de Montlhéry et expira également en 1468. Le deuxième des fils de celui-ci, Guillaume, eut eu partage la terre de Barbançon et fut pére de Jean de Ligne, qui prit, en se mariant, les armes et le nom d'Arenberg et devint la souche de la famille de ce nom qui existe encore de nos jours. Quant à l’aîné, Jean, baron de Ligne, seigneur de Roubaix, etc., maréchal du Hainaut, il servit avec le plus grand dévouement le roi des Romains, Maximilien. En 1478, son château de Ligne fut pris par les Tournaisiens et son château de Belœil par les Français. En 1479, il fut fait prisonnier à la bataille de Guinegate et, pour payer sa rançon, vendit, moyennant 2,000 écus, la seigneurie d Ollignies à Godefroid de Gavre. Lorsque les hostilités recommencèrent en 1484, il s’empara du château d’Audenarde et défit les Français. C’est à cette époque qu’il fut créé chevalier de la Toison d’or, à Bruges, le 5 mai 1484, dignité qui, à partir de cette époque, fut héréditaire dans sa famille jusque pendant le xixe siècle. Il mourut en 1491, et fut enseveli à Belœil, près de sa femme, Jacqueline de Croy, fille d’Antoine de Croy, surnomme le Grand.
Son fils Antoine eut une existence non moins accidentée que la sienne. En 1513, il combattit vaillamment à la bataille de Blangy ou de Térouanne, gagnée sur les Français par le roi d’Angleterre, Henri VIII, et son allié Maximilien d’Autriche. Il accompagna ensuite le premier de ces princes dans son expédition contre Tournai, et s’empara de Mortagne et de Saint-Amand. Mais, peu de temps après, le roi d’Angleterre se réconcilia avec François Ier, alors roi de France, et lui restitua la ville de Tournai. Henri VIII avait donné Mortagne au comte de Suffolk et celui-ci l’avait vendu 1,000 écus au seigneur de Ligne, qui fut créé prince de Mortagne. Invité à rendre sa conquête, Antoine s’y refusa et il fallut les ordres les plus sévères de son souverain et de Marguerite d’Autriche pour qu’il consentît à la restituer, encore fallut-il lui donner une indemnité quintuple du prix d’achat. Mais Charles-Quint et François Ier ne tardèrent pas à se brouiller ; Tournai, assiégé une seconde fois, fut pris et annexé désormais aux provinces des Pays-Bas. Mortagne fut également reconquis, puis démantelé. Quant à la possession de ce domaine, elle fut vigoureusement revendiquée par Antoine de Ligne, à qui la défense énergique de ses droits valut le surnom de grand diable de Ligne. Il n’en continua pas moins à se signaler en défendant les frontières du Hainaut et prit encore la ville de Roye, en Picardie, en 1528. Le prince de Mortagne, créé comte de Fauquemberghe par Charles-Quint, mourut en 1532, et choisit également pour sépulture l’église de Belœil, où il repose à côté de sa femme, Philippine de Luxembourg, fille de Jacques, seigneur de Fiennes, et à côté de la plupart de ses successeurs.
Leur fils, Jacques, créé comte de Ligne en 1543, fut ambassadeur près du pape Clément VII, et mourut d’une pleurésie, en 1552, après avoir épousé Marie, baronne de Wassenaer, héritière du vicomte de Leyde, puis Jeanne de Hallewyn. De Marie de Wassenaer il eut Philippe, comte de Ligne et de Fauquemberghe, qui, avant l’âge de vingt-quatre ans, assista à trois sanglantes batailles : Renty, Gravelines et Saint-Quentin ; mais il fut ensuite retenu chez lui par une longue maladie, et mourut en 1583. Un second fils, Lamoral , vécut à la cour des archiducs Albert et Isabelle, qui, ainsi que toute la maison d’Autriche-Espagne, le combla d’honneurs et de dignités. L’empereur d’Allemagne ordonna de l’inscrire au rang des princes de l’Empire, le 20 mars 1601 ; ses princes naturels relevèrent au rang de prince de Ligne, le 2 août 1602 ; le roi d’Espagne le créa Grand de ce pays, lui et ses héritiers ; il fut, en outre, chevalier de la Toison d’or, du conseil d’État, gentilhomme de la chambre des archiducs, capitaine de cinquante hommes d’armes des ordonnances, gouverneur et capitaine général de l’Artois. Son alliance avec Marie de Melun, héritière du marquisat de Roubaix, augmenta encore sa fortune. Quand il mourut, le 5 février 1624, il avait eu la douleur de voir expirer avant lui, le 17 avril 1622, son fils Florent, qui avait acheté la principauté minuscule d’Amblise à Claude d’Anglure, et qui s’était allié à l’illustre famille de Lorraine par son mariage avec Louise de Lorraine, fille de Henri, comte de Chaligny, arrière-petite-fille d’Antoine, duc de Lorraine et de Bar ; Louise de Lorraine, devenue veuve, prit le voile dans l’ordre des Pénitentes capucines.
Des deux fils issus de cette dernière union, l’aîné, Albert-Marie, mourut en 1641, sans avoir eu de postérité de Claire-Marie de Nassau-Siegen, sa cousine, tandis que le second, Claude-Lamoral, qui épousa la veuve de son frère, parcourut une brillante carrière. Chevalier de la Toison d’or dès 1647, il fut chargé d’aller complimenter Charles II, roi d’Angleterre, sur son rétablissement au trône, et devint maître de camp général de la cavalerie aux Pays-Bas. Un mémoire anonyme, daté de l’an 1670, fait de lui le portrait suivant : “ Le prince de Ligne est un homme qui accorde la civilité française avec la retenue espagnole. Il a eu des déférences jusques aux bassesses pour toutes les personnes de cette nation-là dans le commencement de son élévation, ce qui l’a fait considérer comme un homme propre à obéir et lui a donné la cavalerie, ce qu’aucun Flamand n’aura plus après lui. Il s’est toujours bien ménagé et a fait sa charge avec réputation pendant les guerres, où il n’a jamais eu de malheur que par des accidents imprévus. Il est splendide et économe tout ensemble, d’un esprit assez ordinaire et plutôt bon que brillant. Il le porte haut par les alliances de Lorraine et de Nassau et, quelque froideur qui paraisse dans son air doux et modeste, il sacrifierait tout pour maintenir sa gloire. Au reste, les prises qu’il a eues avec le marquis de Caracena (alors gouverneur général), avec lequel il a rompu ouvertement... et celles qu’il a eues avec le marquis de Castel-Rodrigo, qui n’ont pas été moindres, ont donné de quoi s’étonner, vu sa conduite passée fort uniforme et raisonnable. Le prince eut aussi des démêlés avec le duc d’Aerschot, qui lui enleva le gouvernement du Hainaut, et avec le comte d’Egmont, à qui il disputa le commandement des hommes d’armes. Il y eut, à ce sujet, un “ appel ” du comte au prince, ce qui fit grand éclat et fut empêché par la prudence de M. de Louvignies ”. Claude de Ligne devint vice-roi de Sicile en 1670, fut nommé gouverneur du duché de Milan le 16 août 167S, et enfin fut membre du conseil d’Etat à Madrid, où il mourut, le 21 décembre 1679. Son troisième fils Prosper-Hyacinthe, fut la tige des marquis de Mouy ; le quatrième, Charles-Joseph , devint marquis d’Aronches, grand de Portugal, ambassadeur de ce pays à Vienne et commença la famille des Ligne-Sousa.
L’aîné, Henri-Louis-Ernest, fut gouverneur de la province de Limbourg, et mourut le 8 février 1702, à Raudour, dans le bois, en attendant un sanglier à son poste, à ce que rapportent des mémoires attribués à son petit-fils. Il s’était marié, à Madrid, en 1677, à dona Joanna-Monique de Aragon y Benavidez, et en eut plusieurs fils. Antoine-Joseph, le premier, fut colonel d’un régiment d’infanterie espagnole, et mourut à Belœil, en 1707 ; ce fut probablement cet oncle mystérieux à qui les mémoires dont je viens de parler attribuent une existence romanesque : une jeunesse amoureuse, un attachement profond pour une femme dont la condition ne lui permettait pas de l’épouser, une vieillesse austère dans l’habitation dite le Petit Hôtel de Ligne, à Bruxelles, où il aurait vécu avec un seul domestique, n’ayant d’autres meubles qu’une chaise et un crucifix. Un troisième frère, Ferdinand, prince du Saint-Empire, combattit d’abord dans les troupes espagnoles à Ramillies, mais quitta ensuite le service d Espagne pour celui d’Autriche. Il se distingua à Audenarde et à Malplaquet, devint feld-maréchal et colonel propriétaire d’un régiment de dragons, et mourut, le 9 mai 1757, sans avoir été marié. Il était fort dévot et méticuleux, et s’efforça toujours, dit le prince de Ligne, de m’inculquer son goût pour la guerre et sa haine pour les Français. Le deuxième frère s’appelait, comme son aïeul, Claude-Lamoral, et nous est mieux connu, non par ce que nous lisons dans les mémoires déjà cités, mais par d’autres témoignages. Il était né le 7 août 1685. Il prit part à la guerre de la succession d’Espagne, puis à celle de l’Autriche contre la Turquie ; il se conduisit avec beaucoup de bravoure au siège de Belgrade, conquit successivement les grades de colonel, de général-major, de général d’artillerie et de feld-maréchal, et devint propriétaire d’un régiment d’infanterie wallonne de son nom. Il entra, en 1718, au conseil d’Etat formé pour gouverner les Pays-Bas autrichiens et y resta lorsque les trois conseils collatéraux eurent été rétablis en 1725. Il fut chargé de représenter l’empereur Charles VI, lorsque celui-ci prit possession de la West-Flandre et du Tournaisis, en 1719, et remplit la même mission pour l’impératrice Marie-Thérèse, lorsque celle-ci fut proclamée souveraine du Tournaisis, en 1741, et souveraine d’Ypres et de la West-Flandre, en 1749. Le 23 novembre 1721, il fut créé chevalier de l’ordre de la Toison d’or, qu’il reçut à Waterloo, le 24 mars suivant, et devint conseiller d’Etat intime actuel, le 8 mai 1736. Voilà ses titres. Quant à son caractère : il joignait à une grande élévation d’âme l’amour du grand et du beau ; il dépensa des millions pour embellir Belœil et y donner des fêtes dignes d’un roi. C’est à lui, enfin, que le château dut une reconstruction presque complète et le parc qui l’entoure, son aspect grandiose, ses immenses allées qui en font une résidence digne d’un monarque. C’est de son temps, en 1761, que l’on y plaça le Neptune colossal, accompagné d’une naïade et d’un triton, qui s’y dresse sur le bord du grand étang, vis-à-vis de la façade principale du château, œuvre de Henrion, élève de Pigalle, “ qui s’y est montré digne de son maître ”. Pour juger le prince Claude-Lamoral II, il faut lire la correspondance qu’il échangea avec le roi de Prusse, le célèbre Frédéric II, dans un instant où la monarchie autrichienne traversait une phase très critique. Invité par le roi, qui venait de rompre avec Marie-Thérèse et d’envahir la Silésie, le 31 août 1741, à passer à son service, sous peine de confiscation de la terre de Wachtendonck, située dans la Gueldre prussienne, le prince s’excusa, en alléguant que cette seigneurie appartenait à son fils, dont il n’était que le tuteur. Invité alors à prendre l’engagement de faire entrer au service de la Prusse celui de ses fils qui lui succéderait dans la terre en question, le prince de Ligne adressa au roi cette fière réponse :
“ Le prince de Ligne est sensible, au-delà de toute expression, aux offres gracieuses de Sa Majesté Prussienne. Son zèle pour ses anciens maîtres ne lui permet pas de rien accepter pour son fils unique, âgé de six ans. D’ailleurs, cette terre de Wachtendonck fait partie d’un bien qui lui est substitué. La maison du prince de Ligne est accoutumée à faire de plus grands sacrifices à l’auguste maison d’Autriche, par rapport à la fidélité inviolable que ses ancêtres lui ont vouée depuis près de trois siècles ; elle a été, dans tous les temps, à toute épreuve. Dans celui des troubles ou révolutions des Pays-Bas, elle peut se vanter d’avoir été quasi la seule qui n’a jamais varié, de même que, pendant la guerre de 1667 et celle de 1700, que la France, pour attirer les familles, brûlait et ruinait tout, ses princes sont toujours restés inébranlables. Si donc le bon plaisir de Sa Majesté Prussienne est de s’emparer de la ville et pays de Wachtendonck, le prince de Ligne, en perdant son bien, se flatte de mériter l’estime d’un si grand roi, ce qui lui est plus avantageux et glorieux que l’acquisition de tout domaine, et par la même raison, se rendre digne, aux occasions, de sa royale protection ”.
Gachard, à qui l’on doit la connaissance de ce précieux document, véritable titre d’honneur pour celui qui l’a écrit, ignorait l’impression que ce noble langage avait produit sur le grand Frédéric, mais Marie-Thérèse, dans une dépêche du 10 février 1742, y reconnut “ le louable zèle, le parfait attachement et l’inviolable fidélité du prince ”.
C’est à Claude-Lamoral que l’on doit la publication d’un travail important, publié par De l’Averdy sous le titre de : Mémoire pour établir en faveur des princes de Ligne le droit de succéder aux états de Lorraine et de Bar, supposé que la lignée directe de Son Altesse Royale duc de Lorraine, du sérénissime prince Charles, son frère, et des sérénissimes princesses , leurs sœurs, vienne à manquer, pour prouver que le même ordre de succession doit être accordé par rapport au grand-duché de Toscane, qui par le traité de paix est subrogé aux états de Lorraine et de Bar (Paris, Charles Osmont, 1739 ; in-4o). Il s’agissait, comme on le voit, de sauvegarder les droits éventuels de la maison de Ligne sur la Toscane, qui venait d’être cédée à la famille ducale de Lorraine (devenue depuis la famille impériale d’Autriche), en échange de la Lorraine même.
Le prince Claude-Lamoral de Ligne mourut le 7 avril 1766. Il s’était allié, le 17 avril 1721, à Elisabeth-Alexandrine Wild et Rheingrafin, fille du prince de Salm, Henri-Othon, qui lui donna trois enfants : Louise-Marie, chanoinesse de Remiremont ; Marie-Josèphe, chanoinesse d’Essen, et le prince Charles-Joseph, qui s’est fait un nom brillant dans les lettres. Quoique cette union n’ait pas été des plus heureuses, ayant été dictée par les convenances plus que par l’affection, car la princesse manquait d’attraits, on ne doit pourtant pas exagérer et attribuer la mort de la princesse aux exigences de son mari, ni croire qu’elle soit morte à la suite de ses dernières couches ; en effet, elle expira le 27 décembre 1739, trois ans après avoir donné le jour au prince Charles.
Je parlerai dans l’article suivant du célèbre prince de Ligne et des enfants que celui-ci eut. Son fils aîné n’eut qu’une fille ; le second, Louis-Eugène Lamoral, mourut avant lui à Bruxelles, le 10 mai 1813. Il avait épousé, le 27 avril 1803, Louise-Joséphine, comtesse Vandernoot de Duras, baronne de Carloo, qui lui survécut un demi-siècle, et se maria en secondes noces avec le comte Ferdinand-Joseph d’Oultremont, mort le 11 mars 1852. L’aîné des fils issus du premier mariage , Eugène-François-Charles-Joseph-Lamoral, prince de Ligne, né à Bruxelles le 28 janvier 1804, parcourut à son tour une brillante carrière. Sous le règne du roi Guillaume, il fut d’abord désigné pour faire partie de l’ordre équestre de la province de Hainaut (13 août 1816), mais il fut rayé de ce corps pour avoir accepté, sans autorisation, la charge de chambellan de l’empereur d’Autriche. La révolution de 1830 le compta d’abord au nombre de ses adhérents et, dans l’entrevue de Vilvorde, au commencement du mois de septembre, il s’éleva énergiquement contre le projet du prince d’Orange d’entrer à Bruxelles à la tête des troupes ; mais il changea de sentiments dans la suite, et fut le premier signataire de la liste de souscripteurs pour le rachat des chevaux du même prince, en 1834, ce qui fut la cause du pillage de son hôtel (situé au coin de la rue de la Loi et de la rue Ducale), par le peuple de Bruxelles. Le prince de Ligne se retira en Autriche, mais revint ensuite en Belgique et accepta, en 1838, du roi Léopold Ier, la mission d’aller le représenter au couronnement de la reine d’Angleterre, Victoria ; en 1842, il devint ambassadeur à Paris, poste qu’il occupa jusqu’en 1848. C’est au retour de son ambassade d’Angleterre que le prince de Ligne, voulant seconder l’ardeur qui se manifestait, à cette époque, pour la connaissance de nos anciennes annales, institua un prix de 2,500 francs pour la meilleure histoire de Bruxelles et provoqua l’apparition de l’histoire de cette ville, par MM. Henné et Wauters, publiée de 1842 à 1845. Entré au Sénat en 1849, le prince fut élevé à la présidence de cette assemblée le 25 mars 1852, et, chaque année, pendant plus d’un quart de siècle, les suffrages de ses collègues, à quelque parti qu’ils appartinssent, le maintinrent dans ses fonctions jusqu’en 1878 ; il se retira alors de l’arène politique, ses opinions, au sujet de la loi sur l’enseignement primaire, n’étant plus d’accord avec celle de la majorité de ses électeurs. Dans l’entretemps, il avait été, en 1849, ambassadeur près du pape et des autres souverains d’Italie, puis, en 1856, envoyé à Moscou pour y représenter la Belgique au couronnement de l’empereur Alexandre II. Il fut nommé ministre d’Etat le 13 mai 1863, et avait été créé, dès 1838, grand-cordon de l’ordre de Léopold. Il était, en outre, chevalier de la Toison d’or, grand d’Espagne de première classe, magnat de Bohême et de Pologne. Il a été marié trois fois : le 12 mai 1823 à Marie-Melanie de Conflans, morte en 1833, puis, le 28 juillet 1834, à Nathalie-Charlotte de Trazegnies, morte dès 1835 ; enfin, le 28 octobre 1836, à Helwige-Julie-Wanda, princesse Lubomirska. Il est mort le 20 mai 1880. De ses différentes unions sont nés sept enfants, qui continuent la longue et honorable série des de Ligne.
Butkens, Trophées du Brabant. — Les nobiliaires des Pays-Bas. — Goethals, Dictionnaire généalogique de la Belgique. — Historiens du pays, passim. — Gachard, Notice sur la famille de Ligne (Revue de Bruxelles, octobre 1839). — Notice historique sur la maison de Ligne (dans la Revue générale, biographique, politique et littéraire (Paris, 1844, in-8°). — Bulletin de la Commission royale d’histoire, 3e série, t. X. — La princesse de Ligne, dans le Fanal, du 30 novembre 1839. — Les ouvrages cités a la suite de l’article qui suit.