Biographie nationale de Belgique/Tome 2/BERGHES, Antoine DE

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BERGHES (Antoine DE), frère du précédent, dignitaire ecclésiastique et historien, né le 14 décembre 1454, mort à Saint-Bertin (Sithieu), près Saint-Omer, le 22 janvier 1531. On ne saurait accorder à ce personnage, soit au point de vue du désintéressement, soit sous le rapport de la loyauté ou de la dignité du caractère, les mêmes éloges qu’à Henri, évêque de Cambrai ; en revanche, ou lui attribue, comme à son aîné, de brillantes facultés intellectuelles. Son éducation fut cependant négligée : ses parents le destinaient à l’état ecclésiastique, mais se préoccupaient moins de le préparer à recevoir les ordres sacrés, que de lui faire obtenir les dignités monacales que pouvait lui assurer sa naissance. Très-jeune encore, Antoine fut appelé à gouverner le monastère de Sainte-Marie, en Bourgogne, de l’ordre de Cîteaux. Arnould de Beringen, abbé de Saint-Trond, étant venu à mourir en 1483, Corneille de Zevenberghe, investi de l’autorité temporelle dans cette partie du territoire liégeois, résolut de proposer, pour remplacer le défunt, un candidat dévoué à l’empereur. Un premier échec ne le rébuta pas : il se présenta devant l’abbaye accompagné d’un grand nombre de chevaliers, et soit que cet appareil militaire intimidât les moines, soit que les arguments de Corneille, qui leur promettait la protection impériale en échange de leur complaisance, fissent impression sur leur esprit, toujours est-il qu’ils élurent Antoine, l’abbé de Cîteaux, le propre frère du négociateur (1483). Tel était alors le relâchement dans l’Église, qu’à la veille de la nomination du nouvel abbé, un cardinal sollicita la commende de la maison de Saint-Trond, et que les moines, pour se débarrasser de ses importunités, se crurent obligés de lui garantir une rente viagère de mille florins du Rhin. Le pays de Liége était livré à l’anarchie : le mambour Guillaume d’Arenberg (le Sanglier des Ardennes) avait décidé le chapitre à choisir son fils Jean pour succéder à l’évêque Louis de Bourbon, dont il venait lui-même de verser le sang. Cette élection fut contestée par une partie des chanoines, réfugiés à Louvain, et solennellement invalidée. Jacques de Croy et Jean de Hornes se partagèrent les voix au second scrutin ; le pape opta pour ce dernier, partisan de l’archiduc Maximilien. La fureur du Sanglier ne saurait se décrire : il mit à feu et à sang le comté de Hornes et ne se décida qu’après plus d’un an, sous le coup d’une défaite, à traiter de la paix. Toutes les rancunes parurent instantanément oubliées : on vit Jean de Hornes faire son entrée officielle à Liége, escorté du terrible Sanglier. Ils devinrent en apparence, et certainement de bonue foi du côté de Guillaume, les meilleurs amis du monde. Ils ne se quittaient plus, ils mangeaient ensemble, ils couchaient ensemble, dit un l’écit contemporain. Mais l’évêque, peut-être en cela d’accord avec Maximilien, méditait une indigne trahison, dont Antoine de Berghes est fortement soupçonné de s’être fait le complice. L’abbé de Saint-Trond convia les deux inséparables à un grand festin. « On rit, on folâtra, on dansa : De Berghes, d’un caractère jovial, aimait les bons mots et avait une manière agréable d’en faire sentir le sel ; la gaieté était empreinte sur sa face rubiconde[1]. » Le lendemain, Jacques de Hornes et Frédéric de Montigny, frères de l’évêque, firent seller leurs chevaux pour se rendre, disaient-ils, à Louvain. L’évêque Jean se mit en devoir de les reconduire à quelque distance ; Guillaume voulut être du cortége et s’y joignit sans armes, suivi d’un seul valet. Aux approches du bois de Heers, Montigny, pour isoler le Sanglier, le défia à la course. Des soldats les attendaient dans une embuscade, la mèche allumée : Montigny déclara d’Arenberg son prisonnier et le conduisit, sans retard, à Maestricht, c’est-à-dire à la mort[2]. Cependant Guillaume avait aussi des frères : ils jurèrent de le venger. Un certain Guy de Kanne, sous prétexte de les servir, s’empara de l’autorité à Liége, alla surprendre et piller la ville de Saint-Trond, et ramena Antoine dans la capitale, les fers aux pieds (1486). Guy de Kanne s’était appuyé sur le parti populaire ; mais ayant abusé de son pouvoir, il devint suspect à ses amis d’un jour, et fut massacré sur les degrés de Saint-Lambert. Les meurtriers pénétrèrent aussitôt dans la prison d’Antoine, qu’ils n’avaient pas cessé de considérer comme un ennemi : ils allaient le frapper, lorsqu’il tomba à leurs genoux, leur demanda grâce en pleurant et fit si bien qu’il les fléchit, moyennant l’engagement de payer à la ville de Liége une somme annuelle de quinze mille florins du Rhin, rente dont plusieurs termes furent effectivement soldés. Ou le força de chanter un Te Deum à la cathédrale, après quoi il fut libre d’aller retrouver, à Cologne, Jean de Hornes et Maximilien. Il retourna ensuite à Saint-Trond, où il ne trouva que désolation et misère. Ne voyant pas la possibilité d’y être entretenu selon son rang, il alla vivre à Louvain aux dépens de son frère Jean : son intention, disait-il, était de s’occuper de travaux littéraires. Si ruinée que fût son abbaye, il en garda cependant la commende, laissant à un moine de son choix le fardeau de l’administration, et se faisant payer tous les ans une redevance dont son représentant fixait lui-même le chiffre. En 1493, par l’influence de ses alliés, il se fit élire abbé de Saint-Bertin. Ce fut dans cette dernière retraite que, de 1497 à 1512, il consacra son temps à rédiger la chronique de l’abbaye de Saint-Trond et l’histoire de l’ordre de la Toison d’or, où sa famille occupait des nombreuses pages. Si l’abbé commendataire de Saint-Trond s’intéressait à ses prédécesseurs, il se montrait fort indifférent à l’égard de ses subordonnés : il les laissa tranquillement négocier avec son frère Jean pour la cession de leurs droits de souveraineté : l’acte était rédigé, il n’y manquait plus que le sceau abbatial, lorsque l’évêque Jean de Hornes se rendit précipitamment à Saint-Trond, menaça les moines, les conjura de ne point commettre une telle imprudence et parvint enfin à faire rompre le contrat. Antoine de Berghes renonça définitivement à ses droits sur Saint-Trond, en 1516 ou 1517 ; il obtint d’assez larges compensations pécuniaires. On sait peu de chose de son séjour à Saint-Bertin. En 1520, il fut autorisé par le pape Léon X à consacrer la nouvelle église de cette abbaye, où ses ossements, onze ans plus tard, devaient être déposés.

L’Histoire de la Toison d’or, citée par tous les biographes, n’a pas été retrouvée. Les Gesta abbatum Trudonensium ordinis sancti Benedicti, imprimées dans le Spicilegium de D. Luc d’Achery (1er édition, t. VII, p. 346 et 2e édition, t. II, p. 659 et suivantes), se composent de treize livres, écrits par l’abbé Rodolphe, qui mourut en 1138, et s’étendent jusqu’à son administration, inclusivement. Il est probable que le texte publié n’est pas la reproduction fidèle de l’œuvre de Rodolphe ; du moins les différentes copies de la chronique de Saint-Trond existant à la Bibliothèque royale, surtout celle qui figure depuis le plus longtemps dans ce dépôt, ressemblent fort peu à l’édition donnée par les Bénédictins. Le manuscrit principal comprend quatre parties dont les deux premières sont incontestablement de Rodolphe, sauf quelques retouches à la seconde ; la troisième et la quatrième, embrassant respectivement les périodes 1138-1180 et 1181-1366, ne portent pas de nom d’auteur : mais il n’est pas douteux que la dernière ne soit l’œuvre d’Antoine de Berghes. Quelques-uns sont d’avis que la troisième est de la même main ; si ce fait était prouvé, dit M. Goethals, à qui ont été empruntés la plupart des éléments de la présente notice, toute l’histoire perdrait malheureusement de son autorité. Quoi qu’il en soit, c’est avec raison que le savant bibliothécaire émet le vœu de voir la Commission royale d’histoire publier le texte original de la Chronique de Saint-Trond. Il n’exagère rien en signalant à l’attention les Gesta comme un des documents les plus précieux que nous possédions, au point de vue de la peinture de nos mœurs nationales au moyen âge. Mentionnons, en passant, une observation chronologique de M. Goethals. A l’abbaye de Saint-Trond, on comptait l’année à partir de la fête de Noël, tandis que, dans la plupart des autres localités, on la faisait commencer à Pâques.

Alphonse Le Roy.

Moréri, Dict. hist. — Goethals, Dict. généal., au mot Glymes. — Id., Hist. des lettres, etc., t. I., p. 85 et suiv. — Courtejoie, Hist. de Saint-Trond. — Polain, Mélanges. — Id., Récits historiques. — Foppens, Bibl. Belgica, etc.


  1. Goethals, Hist. des lettres, etc. — V. les Récits hist. de M. Polain, éd. de 1866, p. 282.
  2. Réponse du captif quand on lui eut fait connaître, à sa prière, le lieu de sa destination.