Biographie nationale de Belgique/Tome 2/BERGHES, Robert DE

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BERGHES (Robert DE) quatre-vingt-septième évêque de Liége, succéda le 7 mai[1] 1557 à Georges d’Autriche, abdiqua le 30 mars 1563 et mourut à Berg-op-Zoom, moins de deux ans après[2]. Il refusa de profiter, au détriment de son frère aîné Jean (voir l’art. précédent), des avantages qui lui étaient faits par le testament de ses parents ; il n’accepta pas non plus sa part dans la succession du troisième fils d’Antoine, Louis, comte de Walhain. Coadjuteur de Georges d’Autriche depuis le 18 décembre 1549, il arriva de Bruxelles à Liége un jour ou deux après la mort de ce prélat, et présenta incontinent ses bulles au chapitre ; de là il se rendit à l’abbaye de Herkenrode, pour y recevoir les ordres sacrés le 8 novembre 1557 : son entrée solennelle à Liége date du 12 décembre de la même année. Des lettres d’investiture lui furent délivrées par l’empereur Ferdinand, le 28 janvier 1558.

Le lendemain de son inauguration, il adressa aux états un discours qui eut pour résultats l’allocation immédiate de cinquante-deux mille florins en payement des taxes de l’empire, et une nouvelle publication des édits de Charles-Quint contre les hérétiques. Thomas Watelet, natif de Beho (marquisat de Franchimont), homme de basse condition, mais sectaire influent, ardent et courageux, fut livré au bras séculier et brûlé vif. On ne citerait toutefois, sous le règne de Robert, qu’un très-petit nombre d’exécutions capitales. Le clergé n’était pas sans crainte, surtout depuis que la diète germanique, réunie à Augsbourg en 1555, avait accordé aux luthériens la libre profession de leur culte dans plusieurs États de l’Allemagne, et avait autorisé les sujets protestants des États catholiques à s’exiler en emportant leurs biens, en cas de persécution : c’était, comme le dit M. Lenoir, une demi-tolérance. D’autres part, en 1560, François II, roide France, octroya aux huguenots la faculté de disputer en public, à condition que leurs discours ne continssent rien de séditieux : ils s’en prévalurent et se répandirent au dehors, jusque dans le pays de Liége. Les protestants liégeois saisirent l’occasion et demandèrent qu’il leur fût permis de se conformer ouvertement à la confession d’ Augsbourg. Grand émoi dans les corps de métiers, qui se réunirent pour témoigner hautement de leur attachementà la religion de leurs pères et pour réclamer le bannissement des dissidents. Cette fois ce furent les pétitionnaires qui se montrèrent timides : quand on les somma de faire enregistrer leurs noms, pas un ne répondit à l’appel. En revanche, Robert ayant publié un nouvel édit très-rigoureux au commencement de 1562, les bourgmestres et les métiers, indignés de n’avoir pas été consultés, le déclarèrent nul et non avenu, non qu’ils fussent partisans de la tolérance, mais parce que l’évêque n’avait pas tenu compte de leurs priviléges. Ce trait à lui seul caractérise les Liégeois du xvie siècle.

Les revers des Français à Saint-Quentin et à Gravelines amenèrent la paix de Cateau-Cambresis (3 avril 1559). Liége y gagna la restitution de la ville de Couvin et du château de Bouillon, sauf les droits des seigneurs de Sedan et de la Marck sur cette dernière place, ce qui fut réglé par des arbitres. Délivré des embarras de la guerre, Philippe II, sans perdre de temps, s’occupa de réaliser un des derniers projets de son père, qui, pour faire face à l’hérésie, avait résolu de demander au pape la création de plusieurs évêchés dans les Pays-Bas[3]. La bulle de Paul IV, du 12 mai 1559, institua treize nouveaux siéges, suffragants de Cambrai et d’Utrecht qui étaient érigés en métropoles, et de Malines, où devait résider le primat. Le diocèse de Liége fut démembré : il perdit Namur, Anvers, Bois-le-Duc, presque toute la circonscription de Ruremonde, enfin celle de Malines, ià laquelle furent incorporées la ville de Louvain et son université. Le mécontentement fut général dans les États de Robert : des libelles « remplis de sanglants reproches » circulèrent à Liége. Pourquoi, disait-on, ne pas avoir érigé l’église de Liége en archevêché, au lieu de la dépouiller ainsi ? Pourquoi réduire l’étendue du diocèse, au lieu de dédommager les Liégeois des pertes de territoire qu’ils avaient essuyées pendant les dernières guerres ? Mais il y avait parti pris. L’évêque de Liége et son chapitre eurent beau députer à Rome l’archidiacre de Brabant Liévin Vanderbeeke (Levinus Torrentius), avec la mission de solliciter le retrait de la bulle qui causait tant d’émoi, ou subsidiairement d’accorder à Liége une juste compensation : la cour pontificale ne voulut rien entendre. Les démarches de Robert et de Torrentius dans ces circonstances furent-elles suffisamment pressantes, furent-elles même sincères ? Les historiens liégeois en ont douté, bien que les lettres de Torrentius contiennent toutes sortes de protestations de zèle et de dévouement. « La crainte d’encourir l’indignation du roi d’Espagne, y disait l’envoyé, n’était pas capable d’ébranler sa fidélité envers son église et sa patrie ; il agissait de concert avec les prélats dont les intérêts concordaient avec ceux qu’il représentait lui-même ; enfin, le pape lui avait insinué qu’il accorderait quelques faveurs aux églises en instance. » Foullon, très-favorable aux plaintes des Liégeois, dit de son côté avoir eu sous les yeux des lettres écrites par l’évêque Robert au marquis De Berghes, son frère, et contenant des instructions au sujet des dédommagements à stipuler. Mais Foullon ne voit finalement dans tout cela que manœuvres et dissimulation, et les auteurs de L’art de vérifier les dates ne sont pas moins sévères que lui. Bouille est assez porté à croire que Robert et son envoyé jouèrent d’abord franc jeu ; mais leur conduite lui paraît suspecte à partir d’un certain moment, « si l’on observe, dit-il, que l’archidiacre agent avait, dit-on, fait espérer à son évêque un chapeau de cardinal de la part de Vargas, ambassadeur d’Espagne, et que l’agent lui-même fut fait évêque d’Anvers » (t. II, p. 413). La promotion de Torrentius n’ayant eu lieu que 26 ans plus tard, en 1586, cette dernière insinuation perd beaucoup de son importance ; d’ailleurs elle est peu compatible avec tout ce qu’on sait du caractère de ce personnage ; enfin il ne faut pas oublier que la résolution prise à Rome était irrévocable : le représentant de l’église de Liége dut finir par reconnaître l’inutilité de nouvelles démarches. Quoi qu’il en soit, tout ce que les Liégeois purent obtenir, c’est le privilége de ne pouvoir être évoqués hors de leur pays, en première instance, dans les causes ecclésiastiques. L’archevêque de Cologne réclama contre cette décision ; mais il ne fut pas fait droit à sa plainte.

Pie IV, successeur de Paul IV, envoya le 3 juillet 1560, à Robert de Berghes, une bulle très-importante, destinée à débouter de ses prétentions le clergé secondaire, qui, se fondant sur une déclaration de l’évêque Jean de Hornes (30 mai 1493), se considérait comme un corps séparé et indépendant des trois États, et à ce titre refusait de payer son contingent dans les subsides votés en assemblée générale. Le pape déclara que le chapitre de Liége était censé représenter l’état ecclésiastique tout entier ; que l’évêque était autorisé à exiger les sommes dues pour les arriérés, ainsi que celles qui seraient imposées par la suite, et ce par la saisie des revenus ecclésiastiques et des bénéfices des récalcitrants, lesquels encourraient en outre les censures, pourraient être mis en interdit et livrés, si besoin était, au bras séculier. Ces menaces ne produisirent pas l’effet qu’on en attendait : le conflit continua jusqu’à l’épiscopat de Gérard de Groesbeek, qui parvint à l’assoupir, mais non à le terminer.

Robert étant parti pour Hoogstraeten le 15 février 1562, avec l’intention d’y aller tenir un enfant sur les fonts baptismaux, fut surpris par un orage et « féru d’un mauvais vent : » comme s’il eût respiré un souffle contagieux, il se sentit frappé tout d’un coup, disent les historiens, dans toutes les parties de son corps. Il regagna Liége à grand’peine et s’installa dans le monastère de Saint-Laurent, comptant, mais en vain, sur l’influence de l’air vif et salubre des hauteurs. On a prétendu que ses facultés intellectuelles n’étaient pas moins affaiblies que sa santé : cependant il n’abandonna pas complètement les affaires. C’est ainsi qu’il obtint de l’empereur Ferdinand des lettres « portant inhibition d’appeler des sentences des Vingt-Deux, après qu’elles auraient été revues et discutées par les députés des états dans le conseil de l’empereur ou du prince. »

Il est permis de supposer que le marquis Jean de Berghes, qui résidait plus souvent à Liége qu’à Valenciennes, vint en aide à son frère dans ces circonstances. Ce fut auprès de Jean que le chapitre insista, dès le mois de mars 1562, pour décider l’évêque à remettre le gouvernement du pays aux mains d’un coadjuteur. Des documents authentiques, tout récemment signalés au public par M. Stanislas Bormans, nous apprennent que Jean et Robert luttèrent aussi longtemps qu’ils purent afin de maintenir le statu quo. Il y a là quelque mystère : peut-être la maladie de l’évêque ne fut-elle pas le véritable motif de sa démission. Quoi qu’il en soit, Jean gagna du temps sous divers prétextes, même après que le doyen Gérard de Groesbeek, nommé coadjuteur le 30 mars 1563, eut pris les rênes de l’administration, et que le pape eut consenti (7 janvier 1564) à la cession de l’évêché en faveur de ce dernier. Enfin il fallut céder : le 11 avril, l’abdication de Robert fut un fait accompli. Le dernier acte de ce prince avait été la promulgation des actes du concile de Trente, qui venait de terminer ses sessions. Robert se retira à Berg-op-Zoom, avec une pension de douze mille florins, qui ne lui fut pas accordée sans opposition. Il eut à peine le temps de jouir de ses loisirs forcés. — A l’époque où Sylvius écrivit sa chronique (1573), le corps de Robert n’avait pas encore été inhumé dans le caveau de la famille De Berghes : il y fut déposé plus tard.

L’art typographique fit son apparition à Liége sous Robert de Berghes. Une note du héraut d’armes Lefort, citée par M. U. Capitaine, nous apprend que Walter ou Gautier Morberius, imprimeur d’Anvers, « fut mandé à Liége par le magistrat en 1555, et établi par patentes premier imprimeur juré de la cité l’an 1558, le 28 octobre, ensuite de l’octroi des bourgmestres jurés, conseil et trente-deux métiers d’icelle, etc. » — Robert s’intéressa vivement, d’autre part, aux recherches du célèbre médecin Gilbert Lymborch sur les eaux minérales. La grande vogue de Spa date de son règne. Le Traité des fontaines acides de la forest d’Ardenne (Anvers, 1559, petit in-4o ) lui est dédié.

Alphonse Le Roy.

Sylvius, Chron. MS. — Chapeauville, Gesta, t. III. — Fouillon, Fisen, Bouille, Dewez, etc. — Mélart, Hist. de Huy. — Notice sur les lettres inédites de Lœvinus Torrentius, retalives à l’érection des nouveaux évêchés au XVIe siècle, etc. (Annuaire de l’Université de Louvain, 1851, pp. 302-310.) — Lenoir, Hist. du protestantisme à Liége. — Goethals, Dict. généal., au mot Glymes (t. II). — Stanislas Bormans, Résignation de l’évêché de Liége par Robert de Berghes, 1564 (Bull. de l’Institut archéol. liégeois, t. VII, 1866, pp. 461-477). — Le Bibliophile belge, t. I (1866), p. 396 et suiv.


  1. Le 5 mai, selon Sylvius.
  2. Selon Loyens, il décéda le 26 janvier 1564 ; le 27, selon Fisen. Ces dates sont inadmissibles, puisque Robert ne quitta Liége qu’après avoir fait lire au chapitre la bulle de la confirmation de Groesbeek, document qui fut seulement reçu le 11 avril de la même année.
  3. Strada dit que la densité de la population des Pays-Bas avait déjà inspiré la même pensée à Philippe le Bon, qui laissa à son fils Charles le soin d’y donner suite. Mais celui-ci, tout occupé de ses guerres, n’y songea plus. Quant à Charles-Quint peut-être fut-il retenu par la crainte de diminuer la puissance et l’autorité de son oncle Georges d’Autriche, évêque de Liége. (Guerres de Flandre, l. I.)