Biographie nationale de Belgique/Tome 2/BIOLLEY, Raymond-Jean-François, vicomte DE

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BIOLLEY, Raymond-Jean-François, vicomte DE



BIOLLEY (Raymond-Jean-François, vicomte DE), industriel, né à Verviers le 10 février 1789, y décédé le 22 mai 1846. Il était issu d’une ancienne famille noble de Sallanches, dont deux frères quittèrent la Savoie à la fin du xviie siècle pour se vouer à l’industrie. L’un d’eux s’établit à Augsbourg ; l’autre, François, fonda à Verviers, en 1725, la célèbre manufacture de draps qui eut une si grande part à la prospérité de cette ville. Detrooz (Histoire du marquisat de Franchimont) cite Jean Biolley comme bourgmestre en 1745 et ajoute : « Celui-ci était étranger et, par conséquent, était placé au consulat contre la loi ; plusieurs de la même famille y furent ensuite placés de même ; mais elle augmenta le commerce de la ville, l’embellit par beaucoup d’édifices particuliers et mérita du public à beaucoup d’autres titres : de manière que, si la loi a été transgressée, on a lieu d’en perdre la mémoire. »

Orphelin de bonne heure, le jeune Raymond Biolley fut bientôt appelé à prendre part aux travaux dirigés par sa tante, madame Biolley de Champlon. Il se trouvait là au milieu d’hommes marquants et fut bientôt en état d’être chargé de la direction de la succursale établie à Cambrai. En 1818, il épousa la nièce chérie de madame Biolley, Marie-Isabelle Simonis. Il acquit dès lors une position prépondérante dans les aifaires de la maison et il la justifiait par ses talents et son zèle infatigable. Il se rendit en Angleterre pour y étudier de près les merveilleux rouages de la prospérité matérielle de ce pays et attira à Verviers des ingénieurs et des mécaniciens anglais. Quoiqu’il s’occupât de toutes les parties de l’industrie lainière, il s’attacha spécialement à produire les draps avec une perfection telle que la France ni l’Angleterre ne lui contestaient point le premier rang. Il imprimait en même temps une vive impulsion aux exportations transatlantiques. On ne lit pas sans un juste sentiment d’orgueil national, ce que rapporte le célèbre voyageur Caillié, le premier Européen qui pénétra à Tombouctou, que, dans cette vaste foire de l’Afrique centrale, il ne trouva qu’un seul produit des pays civilisés : c’était un coupon de drap sur lequel il lut : « Maison François Biolley et fils, à Verviers. »

Le roi des Pays-Bas, Guillaume Ier, favorisa puissamment ce développement commercial, dans lequel la maison Biolley était secondée par ses parents et alliés, les Simonis, de Grand-Ry, Godin et autres ; il appela l’industriel verviétois à prendre part à divers travaux officiels relatifs à ce sujet et bientôt il lui décerna la décoration, alors fort enviée, de l’ordre du Lion Belgique. La grande société commerciale des Pays-Bas, Algemeen Handels Maatschappy, le choisit pour directeur.

La révolution de 1830 vint suspendre pour un temps assez long l’essor de la production. Sur ces entrefaites, le décès de madame Biolley de Champlon fut un coup cruel pour son neveu et augmenta les difficultés de sa situation. Après la liquidation, accomplie non sans générosité, de la succession de sa tante dont il fut le principal, mais non l’unique héritier, il se trouva avec son frère unique, Édouard, à la tête de la manufacture de draps. Au milieu de la prostration complète des affaires, il fut le seul qui continuât à donner du travail à la population ouvrière de Verviers. Extrêmement attentif à tous les progrès, il voyageait fréquemment en France et en Angleterre et aucun sacrifice ne lui coûtait pour mettre en pratique les améliorations nouvelles. Aussi la fabrication des draps atteignit bientôt son apogée et le chef de cette maison, à laquelle affluaient les distinctions de tout genre, était-il reconnu comme le premier industriel du pays et l’un des plus grands manufacturiers du continent européen.

La famille Biolley avait pour principe de consacrer la majeure partie de sa fortune à l’industrie, sans craindre la concurrence. Un grand nombre de fabricants de Verviers et des environs relevaient d’elle, soit comme commanditaire, soit comme bailleur de fonds, soit comme répartissant une partie de ses commandes parmi ceux qu’elle croyait capables de les exécuter. R. de Biolley contribua ainsi aux débuts de plusieurs maisons qui ont acquis plus tard une grande importance ; Dison, qui, aujourd’hui, le dispute en importance à Verviers, vit ses premiers établissements créés sous la direction ou par les conseils de cet industriel.

R. de Biolley, qui continuait d’ailleurs les traditions de société de sa tante, n’hésita pas à accepter, dès 1831, le mandat de sénateur, qui lui fut conféré à la presque unanimité et continué jusqu’à sa mort. Tous les partis rendaient hommage à sa sincérité, à ses talents et à sa modération. Léopold Ier apprécia bien vite cet homme distingué, dont les qualités se cachaient sous une simplicité qui ne le quittait jamais ; il le traita constamment avec cette distinction affectueuse dont il avait le secret. A chacun de leurs voyages, LL. MM. le roi et la reine des Belges considéraient comme à eux l’hôtel de Biolley à Verviers. Il avait plusieurs fois refusé des titres de noblesse, mais à l’occasion de l’inauguration du chemin de fer, en juillet 1843, le roi lui conféra, ainsi qu’à ses enfants mâles, le titre héréditaire de vicomte.

Il nous reste à signaler son affection pour ses ouvriers, sa charité pour les pauvres, son dévouement pour le bien en tout genre ; dans cette direction, il fut puissamment secondé par sa femme. Instruction variée, soins religieux et médicaux, hygiène des ateliers, habitations ouvrières isolées, ces deux époux allèrent au-devant de tous les besoins et devancèrent tous les progrès ; le nombre d’établissements utiles qu’ils créèrent ou soutinrent de leur bourse est considérable. Nous citerons particulièrement l’école industrielle de Verviers, les écoles primaires et les hôpitaux de cette ville et des environs. R. de Biolley contribua aussi largement à l’embellissement de sa ville natale ; il supporta la plus grande part des frais de construction, sur son terrain, de l’imposante église primaire de Verviers. — Sallanches, Augsbourg, anciennes patries des Biolley, ne furent pas oubliées. Une série d’articles publiés dans l’Univers, par M. L. Veuillot, sur l’alliance de la religion et de l’industrie, le contraria vivement, en livrant au public indifférent le secret de tant de bonnes œuvres. Il en avait le mérite, il en eut aussi les déboires. À l’occasion, il prouva qu’il ne reculait même pas devant l’émeute pour accomplir ce qu’il considérait avec conviction comme le bien ; ses adversaires l’en estimaient davantage.

Il fut enlevé, épuisé par le travail, à l’âge de cinquante-sept ans. Son décès fut un deuil public. Aussi personne ne fut étonné lorsque le commissaire de l’arrondissement de Verviers, F.-J. Lardinois, membre de la Chambre des représentants et ancien membre du Congrès, s’écria en commençant son discours : « Pourquoi cette tristesse générale et ce deuil public ? Assistons-nous aux funérailles d’un prince qui a vécu pour le bonheur de son peuple, ou d’un guerrier qui a rempli le monde de ses hauts faits ? »

La famille royale n’oublia pas la mémoire de cet homme de bien. En 1853, Léopold Ier demanda à sa veuve que la cérémonie de la remise de l’archiduchesse Marie-Henriette, aujourd’hui S. M. la reine des Belges, par les autorités autrichiennes entre les mains de la dynastie de Belgique, eut lieu dans l’hôtel de Biolley.

G. Dewalque.

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