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Biographie nationale de Belgique/Tome 2/BOLOGNE, Jean

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BOLOGNE (Jean), sculpteur et architecte célèbre, naquit très-probablement à Douai (ancienne Flandre.) C’est du moins ce que dit Vasari, qui l’a beaucoup connu. Cette ville avait été indiquée par la plupart des auteurs, lorsque Fiorillo, sans appuyer son assertion d’aucun témoignage, ni d’aucune preuve, désigna la ville de Gand comme le lieu de naissance de l’artiste. Jusqu’à preuve du contraire, nous maintenons l’indication primitive. Pour la date de la naissance, il y a une circonstance qui laisse de l’indécision : Vasari ne donne aucun millésime ; mais les traducteurs français de son ouvrage, J. et L. Leclanché, dans la table qui accompagne les dix volumes de leur édition, disent : « Né en 1524, mort vers 1606. » Le Conversations — Lexicon für bildende kunst, Leipzig, 1846, indique 1524 et 1608. Ce sont là les dates les plus acceptées, celle de la mort surtout. Mais, dans l’édition de Van Mander, annotée par De Jongh (2e partie, p. 14), celui-ci dit : « Jean de Bologne, né en 1529, fut portraité en 1589, donc à l’âge de soixante ans ; son portrait est fort bien gravé sur cuivre. » M. Chrétien Kramm fait observer que probablement De Jongh aura trouvé cette date de 1529 sur la gravure dont il parle ; il y aurait, en ce cas, quelque motif d’incertitude. En effet, cette gravure est, presque sans aucun doute, celle qui fut gravée à Venise, en 1589, et dont l’Abecedario de Mariette parle ainsi : « Suivant l’inscription qui est autour du beau portrait de Jean de Bologne, gravé à Venise par Gisbert Vœnius, en 1589, laquelle est conçue en ces termes : Joannes Bolognus Belga statuarius et architectus, act. anno 60, ce sculpteur devoit estre né en 1529, ce qui se trouve confirmé par le témoignage de Borghini qui le connaissoit particulièrement et qui a mesme écrit sa vie avec assez de détail. Baldinucci dit qu’il estoit âgé de quatre-vingt-quatre ans lorsqu’il mourut, en 1608. Ainsy il le fait plus vieux de cinq années ; mais il y a grande apparence qu’il estoit mal informé de son âge, et que Jean de Bologne n’étoit âgé à sa mort que de soixante-dix-neuf ans. (Voir Borghini, p. 585.) Le portrait de Jean de Bologne dont on vient de parler, a été gravé par un Allemand de ses amys, nommé Jacques Kinig. Baldinucci prétend que c’est d’après un tableau du Bassan. » Mariette ajoute en note : « Il se peut cependant fort bien que cette date : Aet. an. 60, se rapporte au temps que le portrait a été peint et non à celui qu’il a été gravé. Mais j’en reviens toujours au témoignage du Borghini et j’ai peinne à m’en départir d’autant que je le trouve exact dans ses calculs. Lorsqu’il parle d’artistes avec lesquels il a vécu, toutes ses dates se rapportent à l’année 1584, qui est celle de la publication de son livre. » Cependant, nous ferons remarquer que ce que l’on écrit au bas des gravures n’est pas toujours infaillible et, en second lieu, que l’observation de Mariette sur ce chiffre nous paraît fort admissible. Nous n’osons donc condamner la date de 1524, et nous la maintiendrons jusqu’à nouvel ordre. Le père de notre artiste était sculpteur, assez médiocre sans doute, puisqu’il n’a point laissé trace de ses œuvres; n’ayant probablement entrevu aucune chance de fortune pour son fils dans la carrière artistique, il le destinait à devenir notaire, mais le jeune homme était doué d’aptitudes telles que la volonté paternelle dut céder devant l’invincible vocation qui l’entraînait. Jean fut placé à Mons chez un artiste renommé, le sculpteur Jac. de Breuck, que Vasari nomme de Beuch, la Biographie universelle de Didot, Jacques Beuch, et dont le vrai nom paraît être Du Brœucq. Ce maître découvrit bientôt les rares facultés de son jeune élève et les développa. Les aspirations de Jean Bologne l’attiraient vers des sphères les plus élevées et à vingt ans, il se dirigea vers la terre classique des arts où une phalange de talents supérieurs et de génies divers entourait les grandes figures de Léon X et des Médicis. Jean Bologne arriva à Rome et alla droit au plus illustre des artistes vivants, à Michel-Ange, dont il devint le disciple et auprès duquel il travailla pendant deux années. Dès lors il n’avait plus rien à apprendre, et l’on peut dire qu’il fit honneur à son maître. Vasari rapporte (vol. VI, p. 54, traduction de Leclanché) que le jeune artiste fut employé à Rome par André Contucci, dit Andréa dal Monte Sansovino, lorsque Léon X commanda à celui-ci d’achever, à Notre-Dame de Lorette, l’œuvre commencée par le Bramante. Il y a cependant une difficulté à accepter cette assertion, c’est que Contucci, né en 1460, mourut en 1529, alors que le petit Bologne avait à peine cinq ans et résidait encore dans la maison paternelle, à Douai. Est-ce une erreur de traduction? Est-ce une inadvertance de Vasari? Ceci est le plus probable, car l’auteur italien, auquel nous devons une foule de renseignements utiles, commet souvent des erreurs encore plus graves. C’est ainsi que nous lisons dans le vol. IV, p. 239 de la même traduction, que Bologne fut un de ceux qui aidèrent Raphaël dans l’exécution des loges du Vatican, et Vasari cite la nouvelle loge commencée par Bramante, que la mort de cet artiste avait laissée inachevée. A moins qu’il y ait eu un grand artiste du même nom, qui précéda celui qui nous occupe, nous devons signaler cette nouvelle erreur qui rend notre artiste, né en 1524, collaborateur de Raphaël, mort en 1520. C’est à Florence que Jean de Bologne alla d’abord se fixer; les travaux arrivèrent bientôt de tous côtés; sa réputation franchit rapidement les frontières et les princes de l’Europe voulurent à l’envi posséder une de ses œuvres. Immerzeel dit avec raison que « si des écrivains dignes de foi ne l’affirmaient point, on aurait peine à croire que la vie d’un seul homme, quelque longue qu’elle fût, ait pu suffire à mettre au jour les innombrables travaux sortis de la main de Jean de Bologne. » Il paraît certain que le sculpteur flamand passa quelques années de sa jeunesse à Bologne. On sait, dans tous les cas, que lorsque sa réputation était déjà établie à Florence et qu’il s’y trouvait au service du grand-duc, les Bolonais prièrent celui-ci de leur céder son sculpteur pour la fontaine qu’ils voulaient construire sur la Piazza Maggiore ou de San Petronio. Une circonstance remarquable est que ce monument fut commandé à Jean Bologne par saint Charles Borromée, alors légat à Bologne. C’est, sans contredit, une des plus belles fontaines de l’Italie; l’architecture en est du Sicilien Thomas Laureti. Un grand Neptune en bronze, haut de six brasses, domine la composition; aux quatre coins des syrènes, tout autour des enfants et des mascarons d’invention bizarre. Le Neptune est admirable, il est plein de caractère et de grandeur; on reproche à cette figure un certain manque de naturel, défaut qui se remarque dans plusieurs œuvres de notre artiste, mais non dans toutes; on ajoute encore que le piédestal étant trop petit, il en résulte de la confusion. Cet ouvrage fut achevé en 1563. Le sujet adopte par l’artiste rappelle un épisode intéressant dans lequel le Bologna joua un rôle et qui n’est pas, peut-être, sans liaison avec la fontaine. Un grand bloc de marbre de Carrare avait été extrait de la carrière pour le sculpteur Baccio Bandinelli, depuis plusieurs années; il était haut de six brasses et demie et large de cinq. Baccio avait donné an propriétaire du bloc cinquante écus d’arrhes et en était devenu possesseur. Il obtint de Cosme de Médicis, au service duquel il était, et grâce à la protection de la duchesse Éléonore, d’en faire un Neptune sur un char traîné par des veaux marins, groupe destiné à une fontaine que l’on devait construire sur l’une des places de Florence. Comme la plupart des projets de Baccio, celui-ci resta sans exécution pendant cinq ans; à cette époque une foule d’intrigues s’agitèrent autour du bloc pour l’enlever à Baccio; un concours fut autorisé par le duc; Benvenuto Cellini et l’Ammanati firent des modèles, mais Baccio trouva moyen de rapetisser méchamment le marbre et d’empêcher ainsi l’exécution des modèles déjà achevés; il arriva par ses manœuvres à obtenir encore une fois la préférence, et un atelier fut construit. La mort de Baccio vint tout remettre en question. C’était en 1559; de nouvelles rivalités se produisirent et un concours fut ouvert. Parmi les rivaux les plus ardents étaient Benvenuto et l’Ammanati; Vincent Danti, de Pérouse et Jean Bologne se mirent aussi sur les rangs, sans espoir de réussir, mais afin de faire mieux connaître leur talent. Le Bologna, ainsi que Vasari l’appelle, fit son modèle dans le couvent de Santa Croce. L’Ammanati fut le vainqueur.

Voici ce que dit Vasari de notre compatriote : « Giovan Bologna n’étant pas assez connu pour les ouvrages en marbre, le duc n’alla pas même voir son modèle, quoique, selon les artistes et les connaisseurs, ce fût le meilleur de tous. »

Cette version n’est point tout à fait celle de Baldinucci qui, d’accord avec Vasari pour nous dire que le modèle du Bologna fut hautement jugé le meilleur, ajoute « qu’il aurait été chargé d’exécuter la fontaine, n’était la crainte du Grand-Duc de perdre un aussi grand bloc de marbre par l’inexpérience du jeune sculpteur. »

Et maintenant, n’est-il pas permis de supposer que le modèle du Neptune de Florence, si bien jugé dans Vasari et les autres auteurs italiens, servit pour la fontaine de Bologne? C’est dans cette dernière ville encore que notre sculpteur se maria; mais cette union fut bientôt brisée par la mort de la jeune femme qui n’avait pas donné d’enfants à son mari. C’est à Florence que Jean Bologne séjourna la plus grande partie de sa vie, c’est là qu’il travailla sans discontinuer jusqu’à la vieillesse la plus avancée, puis- qu’à quatre-vingts ans il sculpta encore les anges destinés à son propre tombeau. C’est à Florence, enfin, qu’il se créa un grand nombre de protecteurs et d’amis, grâce à son caractère plein de douceur et de dévouement. Toujours prêt à obliger, il n’empoisonna pas son existence par cette envie cruelle qui remplit de tragiques événements l’histoire des artistes italiens; ses conseils, son aide étaient acquis à celui qui les réclamait; il était heureux des succès d’autrui, il admirait toute belle chose pour sa beauté en elle-même, aussi ce fut un deuil général lorsque le vaillant octogénaire quitta ce monde sans avoir jamais souffert d’aucune infirmité et sans que la grandeur et l’énergie de son talent eussent jamais été altérées. L’histoire de sa vie se résume dans celle de ses innombrables travaux; c’est donc écrire sa biographie que de parler de ses ouvrages.

Cependant il est utile de rappeler quels furent ses débuts à Florence. C’était en retournant vers sa patrie qu’il s’arrêta dans cette ville: il ne devait plus la quitter que pour quelques excursions momentanées. Bologne était pauvre, sans amis, sans ressources; c’était à pied sans doute qu’il comptait regagner la Flandre. La Providence lui envoya un de ces hommes généreux, un de ces Mécènes dont l’intelligence savait deviner le génie, dont la fortune était consacrée à le soutenir et à l’encourager. Bernardo Vecchietti, gentilhomme florentin, vit ses études et ses essais et comprit ce qu’il serait un jour. Il le logea, lui fit continuer ses études d’après ses grands prédécesseurs, et, pendant plusieurs années, il fut son protecteur et son ami. La reconnaissance de Bologne se traduisit par les dessins magnifiques sur lesquels fut construit le palais Vecchietti, un des monuments de son génie. C’est à cette époque de sa jeunesse que notre artiste produisit une Vénus nommée admirable par Vasari et qui, montrée au prince François, fils aîné du duc régnant, Cosme de Médicis, valut à l’auteur la protection du jeune prince. Le Samson combattant les Philistins vint ensuite et fut exécuté pour le Casino du prince François; plus tard ce groupe qui surmontait une fontaine fut offert par le grand-duc Ferdinand, successeur de son frère François, au duc de Lerme, premier ministre du roi d’Espagne. Ici vient se placer le Neptune de Bologne, puis le beau Mercure ne reposant que sur un pied, et que l’on voit au Musée de l’Uffizi, à Florence. Cette statue est connue dans le monde entier, grâce à une innombrable quantité de reproductions. Le groupe de Florence victorieuse, commandé par le grand-duc François, donc vers 1575, orne le vieux palais; il fait pendant à une Victoire de Michel-Ange. Une de ses meilleures statues est celle de saint Luc, en bronze et décorant l’église d’Or San Michele. En 1580, il fut appelé à Gênes et non à Genève comme Immerzeel l’imprime par erreur, pour y décorer une chapelle édifiée par Luc Grimaldi, dans l’église de Saint-François, en l’honneur de la Sainte-Croix. Il se fit accompagner dans ce voyage par son compatriote et élève Pierre Francheville ou Franqueville, nommé en Italie Pietro Francavilla. Celui-ci exécuta pour cette chapelle et d’après les modèles de son maître, six statues représentant la Foi, l’Espérance, la Miséricorde, la Justice, la Force et la Tempérance. Jean Bologne y fit huit bas-reliefs, représentant des scènes de la Passion. Un beau Christ domine toute la composition. Plusieurs statues du maître ornent le jardin Boboli. Viennent ensuite la statue en marbre de Cosme Ier et enfin l’Enlèvement des Sabines. Ce groupe colossal mit le comble à sa réputation. Un jeune homme enlève une belle jeune fille des bras d’un vieillard qu’il foule aux pieds. Le modèle du jeune homme était un gentilhomme florentin, Leonardo Ginori, qui avait deux mètres trente centimètres de hauteur. Le superbe bas-relief de bronze ornant le piédestal, et qui représente l’Enlèvement des Sabines, est une œuvre digne de tous éloges. Le dessin, d’une puissance et d’une pureté admirables, le moelleux de l’exécution, l’expression sentie des deux principales figures, le désespoir de l’une, la force et la volonté de l’autre, excitèrent une admiration universelle et firent oublier facilement quelques légers défauts dans la figure agenouillée. Le groupe fut placé à la Loggia, le peuple florentin éclata en transports, les commandes et les élèves affluèrent; le Grand-Duc nomma Bologne son sculpteur, et, des poésies consacrées à la louange du dernier chef-d’œuvre, on forma un volume. Inspiré encore par cet éclatant triomphe, Bologne entreprit à la villa royale de Pratolino, qui venait d’être construite par Buontalenti pour François de Médicis, son ouvrage le plus colossal. Au centre des délicieux jardins de Pratolino, se déta- chant au milieu d’un groupe de sapins sombres, on voit une statue gigantesque dominant la nature qui l’environne; devant elle est une pièce d’eau semi-circulaire, et, servant de piédestal, un groupe de rochers. C’est le fameux Jupiter pluvius nommé vulgairement l’Apennin. Le Dieu est accroupi; de sa main droite il s’appuie sur la roche, de la gauche il presse une tête de monstre qui laisse échapper une énorme masse d’eau. Ces cheveux descendent sur un front ridé et austère, une longue barbe couvre sa poitrine et se prolonge sur le torse jusqu’au rocher; l’expression est imposante et les proportions sont si harmonieuses et si parfaites qu’on est presque incrédule en apprenant que le colosse debout mesurerait vingt et un mètres. Tous les élèves du Bologna l’aidèrent dans cette immense machine et tous furent, dit-on, quelque temps avant de retrouver la justesse de leur coup d’œil et la sûreté de leur main pour les figures de grandeur ordinaire. En 1588, après la mort de François de Médicis, son frère et son successeur, le cardinal Ferdinand Ier commanda au Bologna la statue équestre de Cosme Ier, père des deux souverains. En 1594, cette statue, coulée trois ans auparavant, fut érigée sur la place du Vieux Marché. Le piédestal en marbre est orné de bas-reliefs. C’est un monument plein de noblesse : comme toujours, les bas-reliefs sont très-remarquables et le cheval passe pour une des plus belles productions de la Renaissanoe. L’Hercule tuant le Centaure fut achevé en 1599. Encore un chef-d’œuvre pour lequel Franqueville aida son maître et qui fut terminé en 1600; on l’admire à la galerie d’Orgagna. Des difficultés inouïes y sont vaincues comme en jouant. Nous n’avons guère parlé que des travaux du maître à Florence, mais quelle innombrable quantité de productions ornent encore les diverses villes d’Italie? Nous allons les citer rapidement.

Outre les grands travaux exécutés à Florence, il fit encore pour cette ville, au Musée des Gemmes, huit bas-reliefs coulés en or, la belle fontaine de l’Isoletto ou des trois fleuves, les statues de la chapelle de Saint-Antonin, dans l’église Saint-Marc, la statue de Ferdinand Ier à la chapelle des Médicis, un Christ en bronze dans la chapelle de San-Spirito; les Génies de la chapelle des Annonciades (génies qui décorent son tombeau); les armes ducales, au palais de Florence, un de ses premiers ouvrages; sa dernière œuvre, la statue équestre du grand-duc Ferdinand Ier, en bronze, érigée quelques mois après la mort de l’auteur, est le seul travail qui se ressente d’une main octogénaire; une statue de marbre, en pied, de Cosme Ier; une statue en bronze de Cosme II pour la basilique de Saint-Ambroise, etc., etc. A Lucques, il fit, à la cathédrale, les statues colossales du Christ ressuscité, de saint Pierre et de saint Paulin; deux chapelles y furent bâties sur ses dessins et ornées de ses sculptures, car, ne l’oublions pas, le Bologna laissa quelques ouvrages remarquables d’architecture. Il alla à Pise en 1601, accompagné de Franqueville; il y fit deux anges en bronze pour le dôme; aidé de son élève, il fut chargé de refaire pour ce même dôme, les portes brûlées en 1595 et dues à Bonammi; on voit encore dans la cathédrale un bénitier en bronze et un crucifi ; puis, sur la place des Chevaliers, une fontaine avec la statue de Cosme Ier (les accessoires sont de Franqueville). A Arezzo, une statue de François Ier; à Orvieto, saint Mathieu; à Gênes, à l’Université, six Vertus; à Paris, Mercure et Psyché, groupe colossal; deux statues équestres étaient commencées lorsque arriva la mort du maître; elles furent achevées par ses élèves; l’une est celle de Philippe III, roi d’Espagne, terminée par Tacca, l’autre celle de Henri IV, roi de France, terminée par Franqueville. Celle-ci, commandée par Ferdinand Ier et offerte par Cosme II à Catherine de Médicis, fut placée sur le Pont-neuf, à Paris, et renversée par la révolution; il en reste quelques débris. Il fut encore l’auteur de la plus grande partie de la décoration intérieure de l’église Saint-Marc, ainsi que de celle des Annonciades qui lui appartenait. Nous avons dit plus haut qu’il bâtit également le palais de son bienfaiteur Vecchieti; c’est un ouvrage visiblement traité avec le plus grand soin et inspiré par la reconnaissance; les ornements de la maison et le charmant satyre en bronze de l’angle de la rue sont de sa main. Enfin, sur ses plans on bâtit l’église de la Confrérie de Saint-Nicolas du Ceppo, en 1561.

On le voit, les travaux de notre illustre compatriote sont innombrables et nous sommes loin de les avoir tous énumérés. Il constitue une des gloires artistiques belges les plus grandes et les plus pures. L’article de la Biographie universelle de MM. Didot frères, commence, il est vrai, par ces mots : « célèbre sculpteur et architecte français; » nous aurions relevé comme il couvient cette erreur, si, dans le cours du même article, nous n’avions trouvé, à plusieurs reprises, la vérité rétablie; ainsi, entre autres, à propos de l’opinion de Vasari, l’auteur de la biographie susdite nomme Bologna « jeune sculpteur flamand. » Nous en avons naturellement conclu qu’il y avait, sinon une faute d’impression, du moins une inadvertance de l’écrivain dans le début de l’article.

Jean Bologne resta fidèle au souvenir de sa patrie. Transplanté au loin, il n’oublia jamais qu’il devait le développement de ses admirables qualités aux leçons de son premier et excellent maître, De Breuck ou Du Brœucq; sa qualité de Belge était précieuse pour lui: une œuvre capitale de son élève Franqueville, érigée à Pise et exécutée d’après son modèle, nous en donne la preuve : elle porte cette inscription : Ex archetypo Joan. Bonon. belg. Petrus a Francavilla cameracensis fecit Pisis A. D. 1594. Un souvenir des plus touchants nous reste encore des sentiments qui animaient notre compatriote. A l’église des Annonciades, il acquit une chapelle qu’il dota, dit-on, de 150,000 florins. Il la destina non-seulement à sa sépulture, mais encore à celle de tous les artistes flamands qui mourraient à Florence. C’est là que se trouve son tombeau, sur lequel on lit : Jean Bologna, un Belge, noble nourrisson de la famille princière de Médicis, chevalier de l’ordre du Christ, célèbre pour la sculpture et l’architecture, renommé pour sa vertu, éminent de mœurs et de piété, a élevé cette chapelle a Dieu, dans l’année 1600, comme un lieu de sépulture, tant pour lui que pour tous les Belges qui professent le même art.

Notre compatriote avait été anobli par l’Empereur. En 1594, le Grand-Duc lui fit l’honneur de visiter ses ateliers. La maison où il demeurait, à Florence, lui avait été donnée par son souverain; elle appartenait en, 1856, à MM. Bellini et est située au borgo Pinti (n° 6815). Au-dessus de la porte d’entrée se voit un buste en marbre de François Ier de Médicis, sculpté par Bologne.

Les Italiens l’appellent tantôt le Bologna, tantôt Gianbologna et même Zarabologna. Ils le placent au nombre des plus grands artistes de la Renaissance. En effet, son admirable entente du nu, le moelleux non moins parfait de son exécution, la grandeur et la noblesse de ses compositions, l’harmonie exquise de ses proportions, son entente pleine de goût des grandes machines, son dessin aussi pur qu’élégant et gracieux, son expression profonde et juste, sont autant de qualités de premier ordre qui lui assignent un rang très-élevé dans les arts. Nous aurions dit le rang le plus élevé si parfois des agencements un peu tourmentés et surtout si, dans quelques œuvres, un certain maniéré ne venaient jeter une légère ombre sur son mérite. C’est la renaissance enfin, grande sans doute, pompeuse, éblouissante, mais ce n’est plus cette admirable simplicité antique que rien n’est encore parvenu à égaler.

Le portrait de Bologne, gravé par Gisbert van Veen ou Vœnius, frère du célèbre Otto, est très-bien exécuté, en buste, dans un ovale, d’après une peinture de Jacques da Ponte dit Bassano ou le Bassan. Cette peinture est actuellement au Louvre; elle a été acquise à Florence et M. Viardot, dans son Livret du Louvre, suppose qu’elle pourrait être la même que celle qu’a possédée Baldinucci et dont cet auteur fait un si grand éloge dans sa biographie de Jean Bologne. L’artiste est représenté « de trois quarts, tourné vers la droite, avec barbe et moustaches; sa tête est nue. Il porte une fraise et un pourpoint noir orné de ganses de même couleur. »

M. Hippolyte Duthillœul a publié un Éloge de J . de Bologne. Douai, 1820; avec portrait.

Jean Bologne mourut le 14 août 1608, pleuré de tous, ainsi que nous l’avons dit plus haut. Jamais peut-être un rival redouté, un talent hors ligne n’excita de regrets aussi sincères et aussi universels, tant les éminentes qualités de l’homme avaient fait oublier et pardonner les succès de l’artiste. Bologne laissa une école célèbre et un grand nombre d’élèves parmi lesquels on cite: Pierre Francheville ou Franqueville, de Cambrai, Antonio Lusini, Pierre Tacca, Anzirevelle(?), allemand, Adrien Frisio, de la même nation, Francesco et Gaspari della Bella, le Moca, etc.

Ad. Siret.