Biographie nationale de Belgique/Tome 3/BYNS, Anna

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BYNS (Anna), femme poëte, du XVIe siècle, née vers la fin du siècle précédent, probablement à Anvers.

A en croire la plupart de ses biographes, son apparition dans le monde littéraire daterait de 1520, l’année même où le frère mineur Nicolas Peeters publiait ses sermons si fortement empreints de l’esprit de la réforme. La première édition des poésies d’Anna Byns date de 1528; elle reçut un accueil si favorable du public, qu’au bout de quelques mois il en parut une traduction latine composée par Eligius Eucharius, écolatre à Gand, un des princes de la poésie latine à cette époque. Cette première édition est intitulée : Dit is een scoon ende suverlyc boecsken, inhoudende veel scoone constige Refereinen, vol Scrifturen ende doctrinen van diverche materien na utwisen der regelen, als hier in register navolgen, seer wel gemaect van de eersame ende engeniose maecht, Anna Biins, subtilic en retorijclic, refuterende in de warachticheijd alle dese dolingen ende grote abusyen comende wt de vermaledide luterice secte. De welcke niet alleene van allen doctoren ende universiteijten, maer ooc vander Keyserlycke Maiesteyt rechtverdelyc gecondemneert is. Tantwerpen, Jacob van Liesvelt, M.CCCCC.XXVIII, den IX dach in oostmaent.

Ce recueil de poésies fut réimprimé en 1543, à Anvers, chez Martin Nuyts, et, en 1564, dans la même ville, par Jean van Ghelen; mais, dès 1548, il avait été augmente d’une seconde partie. Les éditions postérieures contiennent une troisième partie, plus volumineuse, à elle seule, que les deux premières réunies. La dernière édition vit le jour en 1668, sous le titre de Schoone Refereynen, Schriftueren ende leeringhen teghen alle ketteryen. Antw. by Godgaf-Verhulst, 1668, in-12, 76, 91 et 226 pp.

Les poésies contenues dans les trois livres des Refereinen constituent, pour la plupart, une protestation ardente contre le mouvement général du siècle. On croirait entendre le cri de détresse d’une âme pieuse arrachée, violemment, de ses rêveries par la voix vibrante de Luther. Le fougueux réformateur y est traité avec une véhémence qui ne le cède en rien à ses propres invectives contre Rome. Toutes les misères de la société : la peste, la guerre, le luxe effréné, la licence des femmes, tous les maux enfin sont attribués au bouleversement causé par le moine de Wittemberg. Si l’Église voit ses adeptes déserter l’autel, ses vierges abandonner leurs cellules pour se livrer aux joies mondaines; si le souvenir de l’héroïsme des martyrs s’efface de la mémoire des hommes, si les mystères les plus sacrés provoquent les risées de la multitude, c’est Luther qui a déchaîné toutes ces erreurs; jamais l’Église n’a vu éclore un enfant aussi satanique que le moine apostat!

Toute cette virulence se dégage en un style correct, harmonieux et poétique. Anna Byns reste supérieure aux autres poëtes de son temps, par l’expression, la verve, la pureté de la langue, si fortement altérée pourtant depuis la domination de la maison de Bourgogne. Le caractère dominant de ses écrits lui suscita beaucoup d’inimitié même de la part de ses proches; elle s’en consola assez facilement, comme ou le voit dans le refrain : Is God met my, wie sal my schaden? où elle dit entre autres :

Vervolghen my myn naeste, tzyn doude gewenten,
’t en is van gisteren niet of van heden;
Want van mynder ieucht zy noyt anders en deden
Danse altyt quaet van my hebben gesproken.

C’était, sans doute, à cause de ces tracasseries qu’elle avait pris pour devise les mots : Meer suers dan soets (plus d’amertume que de douceur).

Le ton austère, bien qu’il domine dans ses vers, n’y règne pas exclusivement. Byns est cruelle comme un inquisiteur contre les sectaires; mais, quand elle n’est pas animée de ce sentiment vengeur, elle devient douce, aimante et rêveuse, pour s’en convaincre, il suffit de lire le recueil intitulé : Le Rossignol spirituel, ouvrage formé de cinquante poëmes extraits de ses œuvres complètes. Ce recueil fut, probablement, publié pour la première fois dans la seconde moitié du XVIe siècle, quoiqu’on n’en connaisse qu’une seule édition de date postérieure, et portant pour titre : Den gheestelycken Nachtegael, oft diversche Refereynen vande welvermaerde maghet Anna Byns, eertyts van haer wtghegheven tot profyt ende stichtinghe van aile menschen nu tot behoeft der jonckheydt oversien ende verbetert. T’Antwerpen, by Hieronymus Verdussen, in de Cammerstrate, in den Rooden Leeuw 1623, in-12, 88 pages.

On possède très-peu de renseignements sur la vie d’Anna Byns. On ne connaît ni l’année de sa naissance, ni celle de sa mort. Comme nous l’avons dit, il est admis qu’elle se serait fait connaître dès l’année 1520 mais l’on n’en possède aucune preuve. La seule pièce de vers du premier recueil revêtue d’une date porte celle du 21 novembre 1523 ; une autre, insérée dans le second recueil, est écrite à l’occasion du nouvel an (Nieuwjaerwensch) de 1532 ; enfin, dans le troisième livre se trouve un poëme signé du 14 octobre 1529. Quant aux poésies considérées comme ayant été écrites par Anna Byns aux derniers jours de sa vie, plusieurs font naître des incertitudes sur l’année précise de sa mort. Un poëme, inséré dans le troisième livre, parle de l’incrédulité datant de vingt-cinq ans : « Wat isser over vyfentwintich iaer herwaerts ongheloofs gesaeyt ! » L’interprétation de ces paroles ne permet certes pas de reculer dans le passé au delà de l’année où Luther arracha les lettres d’indulgence (1517); il est même probable que l’expression employée s’attache exclusivement à des faits d’hérésie survenus dans les Pays-Bas. On ne connaît guère de livre flamand antérieur à 1520 qui traite du mouvement soulevé par Luther ; le premier placard contre les sectaires fut publié en 1521, la première exécution eut lieu à Bruxelles en 1523. Si les paroles citées devaient s’appliquer au grand réformateur, elles auraient donc été écrites en 1542, deux ans après la date présumée du décès d’Anna Byns ; si l’auteur avait en vue des faits appartenant exclusivement au mouvement religieux dans les Pays-Bas, le poëme dans lequel se trouvent ces vers daterait au moins de 1546. Enfin ailleurs il est fait mention des événements de Munster (1544). On peut en conclure que Anna Byns a vécu, au delà du terme qu’on lui assigne communément, car les pièces précitées portent trop évidemment le caractère de son style pour qu’on doute sérieusement de leur authenticité. Il est néanmoins possible que tout n’y soit pas d’elle, surtout dans le troisième livre ; son nom, plus retentissant encore après sa mort, lui aura fait attribuer maint poëme se rapprochant plus ou moins de sa manière. Il devait être facile à un éditeur de faire accroire qu’une chance favorable venait de faire tomber dans ses mains des morceaux inédits. Le cinquante et unième poëme du Nachtegael, écrit en vers alexandrins, est d’une facture de beaucoup postérieure à notre poëte; a-t-elle même jamais connu les vers de cette mesure ? On est allé jusqu’à rattacher le nom de l’auteur à des Refrains insérés dans le recueil de 1529 et portant les dates de 1579 et 1580.

J’avais émis ailleurs (De Eendragt) l’opinion que Anna Byns pourrait être aussi l’auteur anonyme du remarquable livre ascétique Die Evangelische Peerle. J’étais dans l’erreur : l’auteur anonyme, mort en 1540, était, selon l’éditeur, d’extraction noble ; Anna Byns, au contraire, sortait de la classe plébéienne.

F. Snellaert.

Sweertius, Athen. Belg., p. 129. — Foppens, Bibl. belg., I, 63. — Paquot, Mémoires, t. 5, p. 406. — Devries, Geschiedenis der nederl. letterkunde, 2e uitg. — Ypey, Geschiedenis der nederl. taal, I, 402. — Willems, Verhandeling over de nederduytsche taal-en letterkunde. I, 222, volg. — Witsen Geysbeek, Anthologisch critisch woordenboek. — Snellaert, Verhandeling over de nederlandsche dichtkunst in Belgie, etc. — Snellaert, Schets eener geschiedenis der nederl. letterkunst, 4e dr., bl. 86. — Alberdingk Thym, Gedichten uit de verschillende tydperken der Noord- en Zuidnederlandsche literatuur, I, 160, De Eendragt, 6e jaergang, bl. 62. — Politieke balladen, Refereinen enz. uitgegeven door de Vlaemsche Bibliophilen.