Biographie universelle ancienne et moderne/1re éd., 1811/Abailard (Pierre)

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ABAILARD, ou ABÉLARD (Pierre), religieux de l’ordre de St.-Benoît, naquit en 1079 à Palais, petit bourg, à quelques lieues de Nantes, dont Berenger son père était seigneur. Son goût l’entraîna vers l’étude, dès l’âge le plus tendre ; et pour s’y livrer avec moins de distraction, il abandonna à ses frères son droit d’aînesse et ses biens. Ce qui était un travail pour ses camarades n’était qu’un jeu pour lui : poésie, éloquence, philosophie, jurisprudence, théologie, langues grecque, hébraique et latine, tout lui était facile, tout lui devint bientôt familier, mais il s’attacha principalement à la philosophie scolastique. Quoique la Bretagne possédât alors parmi ses professeurs, des savants distingués, Abailard eut bientôt épuisé leur savoir. Il vint chercher d’autres maîtres à Paris, dont l’université attirait des écoliers de toutes les parties de l’Europe. Parmi ses professeurs les plus célèbres, on remarquait Guillaume de Champeaux, archidiacre de Paris, qui fut depuis évêque de Châlons-sur-Marne, et ensuite religieux de Citeaux. C’était le dialecticien le plus redoutable de son temps. Abailard suivit ses cours, et profita si bien de ses leçons, que l’écolier embarrassa souvent le maître dans ces assauts d’esprit et de subtilités qu’on appelait thèses publiques. A l’amitié, qui les avait d’abord unis, succéda bientôt la haine, lorsque Champeaux se fut aperçu que son élève, non moins orgueilleux que savant, ne disputait avec lui que pour l’embarrasser, et ne l’embarrassait jamais que pour l’humilier. Les autres élèves de Champeaux prirent le parti de leur maître ; et autant pour éviter l’orage qui allait se former contre lui, que pour se mettre plus en état de le braver par la suite, Abailard, qui n’avait encore que 22 ans, quitta brusquement Paris, se retira à Melun, où déjà le bruit de ses succès était parvenu, et lui procura une foule d’élèves qui abandonnèrent les écoles de Paris pour venir l’entendre et l’admirer. L’envie et la persécution le suivirent dans cette retraite. Il en changea, et vint à Corbeil, où il ne fut ni moins admiré, ni plus tranquille. Mais plus avide de gloire qu’effrayé des dangers qu’elle entraîne, Abailard ne songeait point à calmer l’envie. Il ne répondait à ses rivaux que par de nouveaux succès, et par des études dont l’assiduité excessive épuisa ses forces. Les médecins lui ordonnèrent d’aller prendre du repos dans son pays natal. Il obéit à regret, suspendit le cours de ses travaux, soigna sa santé ; et après l’avoir rétablie, il revint au bout de deux ans à Paris, se réconcilia avec son ancien maître, et ouvrit une école de rhétorique, dont l’éclat extraordinaire fit bientôt déserter toutes les autres. Il enseigna successivement la rhétorique, la philosophie et la théologie. On lit dans les mémoires du temps que le nombre de ses auditeurs s’élevait à plus de 3,000, et que dans ce nombre il y en avait de tous les âges et de toutes les nations. C’est de cette ecole que sont sortis plusieurs docteurs célèbres dans l’église, tels que Guy-du-Chatel, depuis cardinal, et pape sous le nom de Celestin II ; Pierre Lombard, évèque de Paris ; Gaudefroy, évèque d’Auxerre ; Berenger, évèque de Poitiers, et saint Bernard lui-même. La mëtliode qu’employait Abailard dans ses leçons mérite que nous en fassions mention. Il commençait par faire l’éloge de la science, et la censure de ceux qui, suivant les préjugés d’une certaine classe d’hommes de ce temps-là, regardaient l’ignorance comme un titre de noblesse ; puis il donnait des leçons de logique, de métaphysique, de physique, de mathématiques, d’astronomie, de morale et enfin de théologie. Il lisait à ses élèves des extraits de tous les anciens philosophes grecs et romains, en les invitant à ne s’attacher à aucun en particulier, mais à la vérité seulement, ou plutôt à Dieu, source de toute vérité. Enfin, il expliquait les Saintes Écritures dont il était le plus savant et le plus éloquent interprète de son temps. C’est ainsi qu’il devint le maìtre des maîtres, l’oracle de la philosophie, et le docteur à la mode. Cela ne doit pas étonner ; il était le seul qui, dans ce siècle de subtilités scolasliques, joignît la science du philosophe et les talents de l’homme de lettres aux agréments de l’homme du monde. Il fut aimé des femmes, autant qu’il était admiré des hommes. Dans ce temps-là vivait à Paris une jeune demoiselle, nommé Louise, eu Héloïse, âgée de 17 ans, nièce de Fulbert, chanoine de Paris ; peu de femmes la surpassaient en beauté, aucune ne l’égalait en esprit et en connaissances de tout genre ; on n’en parlait qu’avec enthousiasme. Abailard voulut connaître ce prodige. Il avait alors 39 ans. Ce n’était plus l’âge des passions. Cependant celle qu’il prit pour Héloise fut portée à un tel excès qu’il oublia pour elle ses devoirs, ses leçons, et jusqu’à la célébrité dont il était si avide. Héloïse ne fut pas moins sensible à son mérite. Sous prétexte d’achever son éducation, Abailard obtint de Fulbert la permission de la voir souvent ; et pour la voir plus souvent, il se mit en pension chez son oncle. Ces heureux amants vécurent ainsi plusieurs mois, s’occupant plus de leur passion que de leurs études (et comme dit Abailard dans une de ses lettres : « Plura erant oscula quàm sententiæ, sæpiùs ad sinum quàm ad libros deducebantur manus. ») Mais ce commerce secret et dangereux transpira et devint bientôt public. Abailard faisait, à la louange de sa maitresse et sous des noms empruntés, des chansons dont on le nommait publiquement l’auteur, et qu’il chantait avec beaucoup de goût. C’est Héloise elle-même qui nous apprend cette particularité : « Parmi les qualités qui brillaient en vous, écrivait-elle longtemps après, il y en avait deux qui me touchaient plus que les autres : savoir les grâces de votre poésie et la douceur de votre chant ; toute autre femme n’en aurait pas moins été touchée. Lorsque, pour vous délasser de vos exercices philosophiques, vous composiez en mesure simple ou en rime, des poésies amoureuses, tout le monde voulait les chanter, à cause de la douceur de votre expression et de celle du chant. Les plus insensibles aux charmes de la mélodie ne pouvaient vous refuser leur admiration. Comme la plupart de vos vers chantaient nos amours, mon nom fut bientôt connu par le vôtre. Les sociétés particulières et les assemblées publiques ne retentissaient que du nom d’Heloïse. Les femmes enviaient mon bonheur. » Nous remarquerons ici, en passant, que le savant abbé Dubos s’est trompé, en disant que les cbansons d’Abailard ont été faites en français. La langue française était alors tout-à-fait au berceau, et son rhythme se prêtait peu à la douceur du chant. Abailard dit lui-mème qu’il ne pouvait souffrir les jargons populaires ; et enfin l’éditeur des Poésies du roi de Navarre, page 206, dit positivement qu’il a vainement cherché ces pretendues chansons françaises. « Je n’en ai rencontré aucune, ajoute-t-il, et tout ce qu’on a dit à ce sujet est sans fondement. » (V. S. Bernard.) De tous les vers amoureux que produisit la muse d’Abailard, aucun n’a échappé aux rigueurs de l’oubli. Seulement à la un de sa seconde lettre à Héloïse, on en lit deux qui se ressentent de la piété dans laquelle il cherchait alors des consolations. Les voici :

Vive, vale, vivantque tuæ, valeantque sorores,
Vivite, sed Chrsto, quæso mei memores.

Fulbert n’apprit que le dernier les dérèglements de sa nièce, et il l’apprit par les chansons qui couraient la ville. Il essaya d’y mettre ordre en séparant les deux amants ; il n’était plus temps. Héloïse portait dans son sein le fruit de sa faiblesse. Abailard l’enleva, la conduisit en Bretagne, où elle accoucha d’un fils que son père nomma Astralabe (Astre Brillant). Il ne vécut pas long-temps. Abailard songeait alors à l’épouser en secret. Il en fit faire la proposition à Fulbert, qui l’accepta, ne pouvant faire mieux ; mais Héloïse n’y consentit qu’avec peine, disant, dans son délire passionné, qu’elle aimait mieux être sa maîtresse que sa femme. Cependant le mariage se fit ; et pour le cacher au public, Héloïse alla demeurer chez son oncle ; Abailard reprit son ancien appartement, et continua ses leçons ; ils se voyaient rarement. Fulbert, mécontent de ce mystère qui compromettait l’honneur de sa nièce, le divulgua. Mais Héloïse, à qui la prétendue gloire d’Abailard était plus chère que son honneur, nia le mariage avec serment. Fulbert, très irrité, la maltraita ; et, pour la soustraire à sa tyrannie, Abailard l’enleva une seconde fois, et la mit au couvent d’Argenteuil. Fulbert, croyant qu’il voulait la forcer de se faire religieuse, conçut un projet de vengeance atroce, et l’exécuta. Des gens apostés par lui, entrèrent de nuit dans la chambre d’Abailard, et tandis que quatre de ces misérables le retenaient par les bras et par les jambes, un cinquième, armé d’un rasoir, lui fit subir une mutilation infâme, dont la trace et l’effet devaient empoisonner le reste de ses jours. Le lendemain, toute la ville apprit cet attentat, et en fut indignée. Fulbert fut décrété, dépouillé de ses bénéfices et exilé ; deux de ses gens furent arrêtés, et subirent la peine du talion. Ces actes de justice ne consolèrent point le malheureux Abailard. Il alla cacher ses larmes et sa honte dans l’abbaye de Saint-Denis, où il se fit religieux. De son côté, Héloïse, non moins désespérée, prit le voile à Argenteuil. Lorsque le temps eut adouci les chagrins d’Abailard, il consentit à reprendre ses leçons. Il ne tarda pas à retrouver de nombreux élèves, et avec eux des envieux de son mérite. Soit zèle pour la religion, soit jaiousie de ses succès, Albéric et Rothulphe, professeurs à Rheims, dénoucèrent au concile de Soissous, en 1122, un Traité sur la Trinité, qu’Abailard venait de composer, aux instantes prières de ses élèves, et qui avait été reçu du public avec un applaudissement universel ; ils parvinrent à le faire condamner comme hérétique. Abailard, aussi malheureux dans ses écrits que dans ses amours, fut obligé lui-même de brûler son ouvrage en plein concile. « Est-ce là, disait-il, les larmes aux yeux, le salaire de mes travaux, et la récompense que mérite la droiture de mes intentions ? » Par une suite des persécutions qui lui furent suscitées, il fut obligé de quitter l’abbaye de Saint-Denis, dont l’abbé Suger était alors le supérieur. Il se retira dans le voisinage de Nogent-sur-Seine, où il fit bâtir à ses frais un oratoire qu’il dédia au Saint-Esprit, et qu’il nomma le Paraclet ou le Consolateur. On l’accusa d’hérésie, pour avoir dédié son église au Saint- Esprit, mais il triompha en cette occasion de ses adversaires. Nommé abbé de Saint-Gildas-de-Ruys, dans le diocèse de Vannes, il invita Héloïse et les religieuses d’Argenteuil à venir habiter le Paraclet ; il les reçut lui-même dans cette retraite, où les deux malheureux ëpoux se revirent, pour la première fois, après avoir été séparés pendant onze ans. Abailard se rendit ensuite à l’abbaye de St.-Gildas, où il trouva peu de consolation à ses chagrins. Il décrit lui-même sa nouvelle retraite : « J’habite, dit-il, un pays barbare dont la langue m’est inconnue ; je n’ai de commerce qu’avec des peuples féroces ; mes promenades sont les bords inaccessibles d’une mer agitée ; mes moines ne sont connus que par leurs débauches ; ils n’ont d’autre règle que de n’en point avoir. Je voudrais, Philinte, que vous vissiez ma maison ; vous ne la prendriez jamais pour une abbaye ; les portes ne sont ornées que de pieds de biche, d’ours, de sangliers, des dépouilles hideuses de hiboux, etc. J’éprouve chaque jour de nouveaux périls ; je crois à tout moment voir sur ma tête un glaive suspendu. » Abailard voulut mettre la réforme dans le monastère de Saint-Gildas ; mais sa conduite, le bruit de ses amours, les pensées profanes qu’il avait portées dans sa retraite, et qu’il exprimait encore dans ses lettres avec une éloquence peu religieuse, ne lui permettaient point d’obtenir la gloire d’un réformateur ; les moines dont il était le supérieur, aimèrent mieux suivre son exemple que ses conseils ; ils lui reprochèrent ses torts, sans chercher à réformer leurs mœurs, et portèrent même la haine contre leur abbé, jusqu’à tenter de s’en délivrer par le poison. Tandis qu’Abailaid était exposé à toutes leurs fureurs, il recevait des lettres d’Héloïse qui lui parlait de la paix qui régnait dans la retraite du Paraclet. « Cette église, lui écrivait-elle, ces autels, cette maison nous parlent sans cesse de vous ; c’est vous qui avez sanctifié ce lieu qui n’était connu que par des brigandages et des meurtres, et qui avez fait une maison de prières d’une retraite de voleurs. Ces cloîtres ne doivent rien aux aumônes publiques ; les usures et les pénitences des publicains ne nous ont point enrichies ; vous seul, nous avez tout donné. » Ces expressions, pleines de tendresse, touchaient d’autant plus Abailard, qu’il était entouré de mortels ennemis ; toutes ses pensées étaient pour Héloïse. Il avoue, dans sa lettre à Philinte, qu’il n’avait pu triompher de l’amour dans la solitude et au pied des autels. « Je pousse des soupirs, dit-il, je verse des larmes de sang… Le nom d’Héloïse m’échappe ; je prends plaisir à le prononcer… » Il quitta plusieurs fois le monastère de St.-Gildas pour visiter le Paraclet. Tandis qu’il s’occupait ainsi de la réforme de St.-Gildas, et qu’il faisait de vains efforts pour triompher lui-même des passions, on renouvela contre lui les accusations d’héresie. On le représenta à S. Bernard comme un homme qui prêchait des nouveautés dangereuses. S. Bernard refusa d’abord de commencer une lutte avec un homme dont il estimait les lumières ; mais, à la fin, entraîné par les discours de ses amis, et peut-être aussi, importuné par la réputation d’Abailard qu’on lui représentait comme son rival, il déféra sa doctrine au concile de Sens, en 1140, le fit condamner par le pape, et obtint même un ordre pour le faire enfermer. Dans son animosité, l’abbé de Clairvaux écrivait « qu’Abailard était un horrible composé d’Arius, de Pelage et de Nestorius, un moine sans règle, un supérieur sans vigilance, un abbé sans religieux, un homme sans mœurs, un monstre, un nouvel Hérode, un Ante-Christ, etc. » On sent bien qu’ici le zèle du saint abbé de Clairvaux n’est pas selon la science, et que sa prévention le rendait injuste. Abailard en appela au pape, publia son apologie, et partit pour Rome. En passant par Cluny, il vit Pierre-le-Vénérable, abbé de ce monastère, homme doux et pieux, aussi compatissant qu’éclairé, qui entreprit de calmer ses chagrins, de le ramener à Dieu, et de le réconcilier avec ses ennemis. Il réussit dans tous ces points ; Abailard résolut de finir ses jours dans la retraite ; il revit saint Bernard ; et les deux hommes les plus célèbres de leur siècle se jurèrent une. amitié qui dura jusqu’à leur mort. S’il ne trouva point dans sa solitude le repos et le bonheur qui l’avaient toujours fui, il oublia du moins ses erreurs, et devint l’exemple des cénobites. « Je ne me souviens point, écrivait Pierre-le-Vénérable, d’avoir vu son semblable en humilité. Je l’obligeais à tenir le premier rang dans notre nombreuse communauté, mais il paraissait le dernier par la pauvreté de ses vêtements ; il se refusait, non seulement le superflu, mais l’étroit nécessaire ; la prière et la lecture remplissaient tout son temps ; il gardait un silence perpétuel, si ce n’est lorsqu’il était forcé de parler dans les conférences ou dans les sermons qu’il faisait à la communauté. » Son corps s’affaiblit par les austérités et les jeûnes, et peut-être aussi par le chagrin qui empoisonna toute sa vie. Il fut envoyé au prieuré de St.-Marcel, près de Châlons-sur-Saône, où il mourut en 1142, âgé de soixante-trois ans. Pierre de Cluny qui l’aimait tendrement, honora sa mémoire par deux épitaphes latines ; il le compare à Homère et à un astre nouveau qui va reprendre sa place parmi les étoiles du ciel. Il est inutile de relever ici l’exagération d’un pareil éloge. On ne peut s’empêcher de convenir qu’Abailard fut un des hommes les plus éclairés de son siècle ; il était à la fois grammairien, orateur, dialecticien, poète, musicien, philosophe, théologien, mathématicien, mais il n’a rien laissé qui justifie la réputation dont il jouissait parmi ses contemporains : il excellait dans la dispute. Dans un temps où tout présentait l’image de la guerre et de la barbarie, les écoles étaient une arène où les athlètes s’occupaient moins de convaincre que de terrasser leurs adversaires. Abailard sortit presque toujours triomphant de ces sortes de combats, et tant de victoires fixèrent sur lui l’attention de l’Europe. On peut lui reprocher, avec raison, cette opiniâtreté et cette présomption que devaient lui donner les nombreux succès de l’école. Sa passion pour Aristote lui fit commettre quelques erreurs dans le dogme ; il soutenait entre autres propositions peu orthodoxes, que la foi doit être dirigée par la lumière naturelle ; que J.-C. n’est pas venu pour nous délivrer de la captivité du démon, mais seulement pour nous attacher à lui par ses instructions, ses exemples, et surtout par l’amour qu’il nous a témoigné dans sa passion ; que plusieurs philosophes anciens avaient cru au Messie par la prédiction des Sibylles, et qu’on ne doit pas désespérer de leur salut. Si la doctrine d’Abailard ne fut pas toujours irréprochable, sa conduite fut souvent un sujet de scandale ; mais telle est l’indulgence du cœur humain pour les faibiesses de l’amour, qu’Abailard doit aujourd’hui une grande partie de sa renommée à ces faiblesses qui le condamnent aux yeux de la morale et de la religion ; ses amours et les malheurs qui en furent la suite, défendront toujours son nom de l’oubli des hommes, et la philosophie austère aura long-temps à s’étonner de voir la postérité célébrer, comme un héros de roman, celui que son siècle admirait comme un profond théologien. Pope a montré, dans le siècle dernier, que le nom d’Abailard appartenait à la poésie bien plus qu’à l’histoire et à la religion. Sa fameuse lettre d’Héloïse produisit la plus grande sensation en Europe ; le prestige des beaux vers ajouta à l’intérêt qu’on portait aux illustres amants. Le poète anglais eut plusieurs imitateurs parmi les français. Colardeau est le seul qui mérite aujourd’hui d’être cité. Abailard fut d’abord enseveli au prieuré de St.-Marcel ; mais, sur la demande d’Héloïse, ses restes furent transportés au Paraclet. Ils ont subi plusieurs translations, et, comme s’il eût été dans la destinée d’Abailard de ne trouver le repos ni pendant sa vie ni après sa mort, ses ossements et ceux d’Héloïse ont été transportés, en 1800, à Paris, où ils sont déposés au Musée des Monuments français. La religion n’a point présidé à cette dernière cérémonie. Les œuvres d’Abailard et d’Héloïse ont été recueillies et imprimées sous ce titre : Petri Abælardi et Heloïsæ conjugis ejus opera, nunc primum edita ex Mss. codd. Francisci Amboesii. Paris, 1616, in-4º. Au frontispice d’une partie des exemplaires l’édition est attribuée aux soins d’André Duchesne (Andreæ Quercetani) qui est en effet l’auteur des notes. Quelques exemplaires portent la date de 1606, d’autres la date de 1626. On y trouve des Lettres (dont la 1re. contient le récit de ses malheurs ; les 3e. 5e. 7e. et 8e. sont adressées à Héloïse, d’autres aux religieuses du Paraclet ; etc.) ; des Traités moraux et dogmatiques, parmi lesquels des sermons au nombre de trente-deux. L’Hexameron in Genesim d’Abailard est imprimé dans le tome III du Trésor des Anecdotes de Martène. Dom Gervaise donna, en 1720, la Vie de Pierre Abailard et celle d’Héloïse son épouse, 2 vol. in-12 ; et en 1725 une traduction de leur correspondance, sous le titre de Véritables Lettres d’Abailard et d’Héloïse, avec le texte latin à côté, 2 vol. in-12. Parmi les nombreuses éditions de ces lettres on doit distinguer celle de 1782, 2 vol. in-12, corrigée par Bastien où le texte se trouve en regard. Le libraire Fournier a donné en 1796 une très belle édition des Lettres d’Héloïse et d’Abailard en latin et en français, avec une nouvelle Vie, par M. Delaulnaye, 3 vol. in-4º. Beaucbamps a traduit ces Lettres en vers français. On recherche l’édition latine de ces lettres publiée par les soins de Richard Rawlinson, Londres, 1714, in-8º. de 279 pages ; et Oxford, 1728. On a publié en anglais une histoire très estimée d’Héloïse et d’Abailard, sous ce titre : The History of the lives of Abailard and Heloïsa, with theis original letters, Birmingham, 1787, et Basle, 1795. G—s.


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