Biographie universelle ancienne et moderne/1re éd., 1811/Albe (Ferdinand Alvarez de Tolede, duc d’)

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ALBE (Ferdinand Alvarez de Tolede, duc d’), ministre d’état, et général des armées impériales, naquit, en 1508, d’une des plus illustres familles d’Espagne. Élevé sous les yeux de son grand-père, Frédéric de Tolède, qui lui apprit l’art militaire et la politique, il porta les armes, jeune encore, à la bataille de Pavie, commanda sous Charles-Quint, en Hongrie, au siége de Tunis, à l’expédition d’Alger, défendit Perpignan contre le dauphin de France, et se signala dans la Navarre et en Catalogne. Son caractère de circonspection, et son penchant pour la politique, avaient d’abord donné peu d’idée de ses talents militaires ; Charles-Quint lui-même, à qui il avait conseillé, en Hongrie, de faire un pont d’or à l’armée turke, pour éviter une bataille décisive, le croyait peu capable de commander en chef, et ne lui accorda les premiers grades que par faveur. L’opinion de son incapacité était si généralement établie, qu’un Espagnol osa lui adresser une lettre avec cette suscription : A Monseigneur le duc d’Albe, général des armées du roi en temps de paix, et grand-maître de la maison de sa majesté en temps de guerre. Ce trait de mépris piqua son amour-propre, donna l’essor à son génie, et lui fit entreprendre des choses dignes de la postérité. Parvenu au commandement des armées de Charles-Quint, il se signala contre les protestants d’Allemagne ; et, en 1547, il gagna, par ses savantes manœuvres, sur l’électeur de Saxe, la bataille de Mulberg, qui rendit à l’empereur sa supériorité. L’électeur ayant été fait prisonnier dans cette journée, le duc d’Albe présida le conseil de guerre qui condamna ce prince à perdre la tête, et pressa vivement l’empereur de ne pas commuer la peine. Après la réduction des confédérés, il commanda, sous Cbarles-Quint, au siége de Metz, où le duc de Guise triompha de sa valeur et de ses talents. Chargé, en 1555, d’aller combattre en Italie les Français, et le pape Paul IV, ennemi implacable de l’empereur, sa fierté lui fit dédaigner la qualité de vice-roi, et il exigea celle de vicaire-général de tous les domaines de la maison d’Autriche en Italie, avec des pouvoirs illimités. Il se montra, dans cette mission importante, à la fois homme d’état et grand capitaine, fit lever le siége d’Ulpian au duc de Brissac, mit le duché de Milan en sûreté, se rendit à Naples, agitée par les intrigues du pape, et y affermit par sa présence l’autorité de l’Espagne. Le duc conserva tout son crédit, et le commandement de l’armée a l’avènement de Philippe II, successeur de Charles-Quint. il entra sur le territoire de l’église, se rendit maître de la campagne de Rome, fit échouer les Français dans toutes leurs entreprises ; et, forcé par Philippe II d’accorder une paix honorable au pape qu’il avait résolu d’humilier, il frémit d’indignation, et ne put s’empêcher de dire que la timidité et les scrupules étaient incompatibles avec la politique et la guerre. Rappelé d’Italie, en 1559, il parut à la cour de France, où il épousa, au nom du roi son maître, Elisabeth, fille d’Henri II, destinée d’abord à dom Carlos, et déploya à Paris la magnificence d’un souverain. Henri II lui ayant demandé s’il était vrai que, pendant la fameuse bataille de Mulberg, gagnée sur les protestants, on avait vu un phénomène dans le ciel, le duc répondit en riant, au monarque français : « J’étais si occupé de ce qui se passait sur la terre, que je n’ai pas remarqué ce qui paraissait au ciel. » Vers cette époque, les habitants des Pays-Bas, aigris de ce que la cour de Madrid attentait à leur liberté et gênait leurs opinions religieuses, se montraient disposés à prendre les armes ; le duc d’Albe excita Philippe II à les réprimer avec rigueur ; et Philippe, qui n’y était que trop disposé, trouva dans le duc un ministre propre à l’exécution de ses projets,. Il lui confia une puissante armée, et le revêtit d’un pouvoir sans bornes, pour aller abolir dans les Pays-Bas les privilèges des provinces, pour les soumettre au despotisme, à l’inquisition, et livrer aux exécutions militaires tous ceux qui oseraient résister à la volonté du monarque. Cette nouvelle répandit la terreur dans toute la Flandre ; on y regardait depuis long-temps le duc d’Albe comme un homme dur et implacable. Arrivé en Flandre, en 1566, il déploya un pouvoir souverain, et établit un tribunal pour prononcer sur les excès commis pendant les troubles. Ce tribunal, nommé conseil des troubles par les Espagnols, et conseil de sang par les Brabançons, avait pour uniques arbitres le duc d’Albe et son confident, Jean de Vargas. On y cita indistinctement tous ceux dont les opinions étaient suspectes, et ceux dont les richesses excitaient la cupidité ; on y fit le procès aux présents et aux absents, aux vivants et aux morts, et on procéda à la confiscation de leurs biens. Une consternation générale saisit tous les esprits, et l’on vit un grand nombre de négociants et de fabricants se réfugier en Angleterre, et y transporter leur fortune et leur industrie ; plus de cent mille Flamands s’expatrièrent, et la plus grande partie se rallia sous les drapeaux du prince d’Orange, qui, devenu le chef d’une confédération contre l’Espagne, fut déclaré, par le duc d’Albe, criminel de lèze-majesté, lui et ses principaux partisans. Alors éclata la guerre civile dans ces malheureuses provinces. Le comte d’Aremberg, lieutenant du duc d’Albe, ayant été vaincu et tué, en 1568, par le frère du prince d’Orange, cet échec, loin d’ébranler le duc, ne servit qu’à aigrir son caractère féroce, et il crut braver le vainqueur en faisant périr sur un échafaud les comtes d’Egmond et de Horn. Cette exécution avait été précédée de celle de trente seigneurs moins distingués ; elle fut suivie du supplice d’une foule de malheureux, condamnés comme rebelles. Couvert du sang de tant de victimes, le duc d’Albe marcha contre le comte de Nassau, l’atteignit dans les plaines de Gemmingen, et remporta une victoire complète ; mais le prince d’Orange, chef des confédérés, parut bientôt avec une armée plus considérable. Le jeune Frédéric de Tolède, chargé de l’observer, envoya conjurer son père de lui permettre d’attaquer les rebelles. Le duc, persuadé que les subalternes doivent une obeïssance aveugle et passive à leurs chefs, fit répondre à son fils, qu’il lui pardonnait à cause de son inexpérience : « Qu’il se garde bien, ajouta-t-il, de me presser davantage ; car il en coûterait la vie à celui qui se chargerait d’un pareil message. » Le prince d’Orange, vaincu en détail, harcelé, poursuivi, fut contraint de se retirer en Allemagne, et le duc d’Albe s’acquit, dans cette campagne, une gloire qu’il flétrit bientôt par de nouvelles cruautés. Les bourreaux répandirent, par ses ordres, plus de sang que ses soldats n’en avaient versé les armes à la main ; et, comme il n’est que trop ordinaire, les représailles vinrent ajouter aux malheurs de l’humanité. Dans le parti opposé, le barbare Senoy livra à d’horribles exécutions les paysans catholiques. Cependant, le duc d’Albe acheva de réduire les Flamands au désespoir ; il éleva de fortes citadelles dans les principales villes, et imposa de nouvelles taxes ; Malines et Zutphen, qui avaient résisté, furent livrées à l’avidité des soldats espagnols, et le duc publia un manifeste dans lequel il déclara que les citoyens n’avaient souffert que le juste châtiment de leur rebellion, et que les villes coupables devaient s’attendre à éprouver le même sort. Tout pliait sous son impitoyable rigueur. Le pape lui envoya l’estoc et le chapeau béni, que les souverains pontifes n’avaient accordés jusqu’alors qu’à des têtes couronnées. Cet honneur mit le comble à sa fierté. Déjà il avait donné lui-même son nom et ses qualités à quatre bastions de la citadelle qu’il avait fait construire à Anvers, sans y faire nulle mention du roi son maître ; et, lorsque la forteresse fut achevée, l’orgueilleux Espagnol y fit placer sa statue en bronze. Elle y paraissait avec un air menaçant ; la noblesse et le peuple étaient à ses pieds, et, sur le piédestal, était gravée une inscription fastueuse qui le représentait comme l’appui de la religion, le restaurateur de la paix et de la justice dans les Pays-Bas. Cependant, les provinces de Zélande et de Hollande résistaient encore à ses armes. Son fils Frédéric prit Woërden d’assaut, et en massacra les habitants. Il fit ensuite le siége d’Harlem, et fut sur le point de le lever ; mais les vifs reproches de son père le lui firent continuer ; à la fin, la fatigue et la disette triomphèrent de la constance des assiégés. Le vainqueur avait accordé des conditions supportables ; mais, trois jours après la reddition de la place, le duc d’Albe y vint lui-même, et satisfit sa vengeance, en faisant périr un grand nombre de victimes auxquelles on avait fait espérer leur pardon. Alcmaër fut ensuite attaqué, mais le désespoir animait alors à tel point les Hollanllais, que les vétérans espagnols furent repoussés avec perte et forcés de se retirer. Peu de temps après, une flotte, que le duc d’Albe était parvenu à mettre en mer à force de travaux et de dépenses, fut entièrement défaite par les Zélandais, et son commandant fait prisonnier ; la ville de Gertruydemberg fut surprise par le prince d’Orange, et les Hollandais opposèrent partout une résistance et un courage invincibles. Ces revers, et l’altération de la santé du duc d’Albe, le portèrent à demander son rappel ; quelques historiens assurent qu’il ne le sollicita que dans la crainte qu’une trop longue absence ne lui fit perdre la faveur de Philippe II. Quoi qu’il en soit, sa demande ne déplut point à Philippe ; ce prince, las de voir que les cruautés ne faisaient qu’accroître la résistance des rebelles, était enfin résolu à éprouver les effets d’une administration plus douce. Ce fut au mois de décembre 1573 que le duc d’Albe, après avoir publié une amnistie, laissa le commandement à don Louis de Requesens, commmandeur de Castille, et quitta un pays dans lequel il se vantait d’avoir, en six ans, livré au bourreau plus de 18,000 individus. Le premier acte d’autorité de son successeur, fut d’abattre la statue érigée à Anvers, de sorte qu’il ne resta du duc d’Albe, dans les Pays-Bas, que l’éternelle mémoire de ses cruautés. Il fut traité à Madrid avec distinction, et jouit quelque temps à la cour de son ancien crédit ; mais, un de ses fils ayant été arrêté pour avoir séduit une des filles d’honneur de la reine, qu’il avait promis d’épouser, le duc d’Albe favorisa son évasion, et le maria à une de ses cousines, contre la volonté de Philippe II, qui, pour cette offense, le bannit de la cour, et l’envoya en exil à son château d’Uzeda. Le duc d’Albe était depuis deux ans dans cet état de disgrâce, lorsque les succès de don Antonio, prieur de Crato, qui s’était fait couronner roi de Portugal, obligèrent Philippe II à recourir au général dont les talents et la fidélité lui inspiraient le plus de confiance. Il envoya un secrétaire demander au duc d’Albe si sa santé lui permettrait de reprendre le commandement d’une armée ; et, recevant une réponse pleine de zèle, il le nomma commandant suprême en Portugal ; mais, en même temps, il ne daigna ni lui pardonner son ancienne offense, ni lui permettre de venir à la cour. Cette sévérité de Philippe II, envers un général auquel il accordait tant de confiance, est, tout à la fois, un trait caractéristique de l’inflexibilité du monarque, et un rare témoignage rendu au duc d’Albe. Ce grand capitaine se montra digne de son ancienne réputation ; il entra en Portugal en 1581, gagna deux batailles en trois semaines, chassa don Antonio, se rendit maître de Lisbonne, et soumit tout le Portugal à Philippe II. Il s’empara des trésors de la capitale, et permit à ses soldats d’en saccager les faubourgs et les environs, avec leur violence et leur rapacité accoutumées. Philippe, indigné, fit rechercher la conduite de son général, qu’on accusait d’avoir détourné à son profit les richesses des vaincus : « Je n’en dois compte qu’au roi, dit le duc d’Albe ; et, s’il me le demande, je ferai entrer dans ce compte des royaumes conservés, des victoires signalées, des siéges difficiles, et 60 ans de service. » Philippe craignit une sédition dans l’armée, et fit cesser les recherches. Le duc ne vécut point assez pour jouir des honneurs et des récompenses qu’il avait mérités par son dernier exploit ; il mourut le 12 janvier 1582, à 74 ans, ayant horreur, dit-on, du sang qu’il avait fait répandre. Il fut, sans aucun doute, le plus habile général de son siècle, et c’est surtout dans les opérations lentes et savantes, dans la partie de la guerre la plus difficile, qu’il excella. Sa campagne contre le prince d’Orange, en 1568, est, dans ce genre, un des plus beaux exemples que les militaires puissent suivre ; si on le pressait d’attaquer, il répétait sa maxime favorite : « De tous les événements, le plus incertain, c’est la victoire. » Ses actions et ses paroles donnent une idée si complète de son caractère, qu’il serait inutile d’y rien ajouter, et de rapporter le portrait que Ravnal en a tracé dans son Histoire du Statoudhérat. Il suffira de dire qu’il avait le maintien et la démarche grave ; l’air noble et le corps robuste ; qu’il dormait peu, travaillait et écrivait beaucoup ; que sa jeunesse fut raisonnable, et que ce fut dans le tumulte même des camps qu’il se forma à la politique. On prétend que, dans 60 ans de guerre contre différents ennemis, jamais il n’a été battu, ni surpris, ni prévenu. Sa vie a été publiée à Paris, 1698, 2 vol. in-12. On avait imprimé à Amsterdam, en 1620, un Miroir de la tyrannie des Espagnols, perpétrée aux Pays-Bas par le duc d’Albe, in- 4º, fig. B—p.


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