Biographie universelle ancienne et moderne/1re éd., 1811/Thibaudeau (Antoine-Claire)

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THIBAUDEAU (Antoine-Claire), conventionnel, conseiller d’État, préfet, sénateur. — Chaque jour voit disparaître quelques-uns des derniers membres de la convention nationale, et Thibaudeau, je crois, en termine la liste ; sombre cortége aux funérailles de la maison de Bourbon. Qui peut nier la culpabilité des régicides ? mais ceux-là furent plus coupables encore qui préparèrent par leurs doctrines la révolution elle-même : les bras n’agissent que lorsque la pensée est mûre. Diderot fut le précurseur de Marat, comme le baron d’Holbach l’avait été de Chaumette, et J.-J. Rousseau de Rohespierre. Quand toute une génération récitait les vers de la tragédie de Brutus par Voltaire, quoi de plus simple qu’on en conclût classiquement au régicide ? Pour les puritains et les têtes rondes, rien de plus légitime que l’échafaud de Charles Ier. A qui doit-on reprocher ces anomalies ? La faute en est toujours aux pouvoirs qui laissent grandir et triompher les fausses opinions. — Thibaudeau naquit à Poitiers, en 1767, fils d’un avocat distingué, député aux états généraux (Voy. l’article qui précède). Son éducation, confiée aux oratoriens, fut toute classique ; l’oratoire faisait des Romains et des citoyens d’une république en France et sous la monarchie de Louis XVI. Le jour de l’expulsion des jésuites, l’éducation des jeunes gens, confiée aux oratoriens, prépara la chute de la maison de Bourbon. Savants dans l’antiquité, ceux-ci nourrissaient la génération nouvelle de la vertu des Aristide et des Gracques. Thibaudeau, avec la renommée et les opinions de son père, fut élu à la Convention nationale qui imprima au pouvoir une si sombre énergie. Il vint s’asseoir, à vingt-cinq ans, au sein de cette assemblée, dont le premier vote fut l’acclamation de la république. Rien de plus logique. Les colléges, les écoles chantaient depuis vingt ans les vertus des héros républicains de l’antiquité. De l’éducation, la république passa dans le gouvernement. On devait s’y attendre. Thibaudeau vota la mort de Louis XVI, sans hésitation et sans remords, comme un acte nécessaire au nouveau pouvoir, et il vint immédiatement siéger sur cette partie de la montagne, où s’asseyaient les ministériels de la révolution, car chaque système ases ministériels ; le comité de salut public eut les siens, dont les types furent Siéyès et Cambacérès, qui secondèrent constamment le comité. Les Mémoires de Thibaudeau disent qu’il n’aimait pas Robespierre, et cependant il vota constamment avec lui contre les cordeliers, les girondins ; il ne l’abandonna que le lendemain du 9 thermidor, parce qu’il n’était plus au pouvoir. Thibaudeau fit dès tors partie de cette majorité qu’on appela thermidorienne, et qui se composait de ces deux éléments : les débris des montagnards dantonistes, terroristes, ne brisant le pouvoir de Robespierre que par peur ou par vengeance, puis la partie la plus tempérée de la Convention qui se serait arrangée d’une formule de royauté avec le duc d’0rléans ou Louis XVIII (alors régent). Thibaudcau, d’une fermeté de caractère incontestable, avait parfaitement compris que, pour les votants de la mort de Louis XVI, il n’était pas de transaction possible avec la maison de Bourbon ; il fallait pour les conventionnels ou le maintien d’une république modérée, ou l’institution d’une dictature (empire ou consulat), née de la révolution elle-même, et garantissant tous ses principes et tous ses droits. En attendant, Thibaudeau appuya de ses votes les nouveaux comités formés après le 9 thermidor, s’opposant de toutes ses forces à la réaction royaliste. Il combattit également l’anarchie ou ce qu’on appelait alors la queue de Robespierre, et se fit surtout remarquer dans la résistance de la convention, lors de l’insurrection des faubourgs, au 13 prairial. J’ai toute estime pour la fermeté de Boissy d’Anglas, mais j’imagine qu’en saluant la téte sanglante de Féraud, le président de la convention dut avoir quelques souvenirs ou quelques remords des insurrections, que l’assemblée législative avait elle-même provoquées, et que ses amis les girondins avaient inspirées aux faubourgs. Les gouvernements, nés de l’insurrection ont pour premier châtiment l’insurrection elle-même. Thibaudeau fut un des membres du comité de l’instruction publique ; classique et quelque peu lettré, il y fit du bien à la manière des philosophes du xviiie siècle. Après le 9 thermidor, tenant le milieu entre les montagnards et les royalistes, il présida l’assemblée dans le mois d’avril 1795, et parla alors souvent des objets d’administration, présenta des rapports sur la marine, sur l’enseignement, et sur la suppression du maximum et des commissions exécutives. Il obtint ensuite la révision des lois révolutionnaires, et, ce qui causa un peu de surprise, il fit hautement l’éloge de l’ancien comité de salut public et de son système de gouvernement, déclarant qu’il n’aurait pas gouverné trois mois s’il n’avait pas eu le droit de vie et de mort sur la Convention elle-même. Dans l’émeute de germinal, an iii, il fit preuve de courage contre l’insurrection des démocrates, et fut aussitôt après nommé membre du comité de sûreté générale. Dans l’insurrection de prairial (20 mai 1795) qui suivit de près, il déploya encore beaucoup d’énergie et proposa des mesures de rigueur contre les chefs (Voyez Goujon, XVIII, 181, et Tissot dans ce volume), voulant qu’on s’en tînt à la déportation pour Collot, Billaud-Varennes et Barrère, avec qui il avait été plus particulièrement lié. Plus tard, il repoussa avec la même énergie les projets des royalistes qui dirigeaient les sections de Paris, aux approches du 13 Vendémiaire an iv, et se déclara prêt à combattre ce qu’il appelait l’anarchie royale, l’accusant hautement de vouloir décimer la convention et rétablir la monarchie. Deux jours après, il s’éleva avec force contre Tallien et Fréron qu’il accusa de favoriser l’anarchie, déjoue le projet, formé alors par le reste de la montagne réuni aux dantonistes de thermidor, de maintenir le gouvernement révolutionnaire, et mérita par sa vigueur à combattre ainsi toutes les factions le surnom de Barre de fer. Après la chute de la convention, il entra au conseil des Cinq-Cents, et ne se sépara pas plus de la politique du directoire qu’il ne l’avait fait de celle des comités de la convention, où il trouvait les régicides, ses anciens collègues. S’inquiètant moins des droits et de la liberté que du triomphe de la révolution, il s’associa franchement à toutes les mesures du directoire contre les divers partis qui troublaient la quiétude des satisfaits de la révolution. Intimement lié avec Régnauld de Saint-Jean d’Angély, il fut initié au mouvement du 18 brumaire en faveur de Bonaparte, et il ne vit dans le consulat que le gouvernement du comité de salut public qui se faisait homme dans une intelligcnce supérieure. Tous les intérêts de la révolution se trouvaient satisfaits ; Thibaudeau entra presque aussitôt au conseil d’Etat, à cette première époque où les principes du droit politique et civil furent solennellement discutés, et il fit partie de cette fraction du conseil d’Etat opposée sans doute au retour des formes de l’ancien régime, de la vieille société mais qui accepta et grandit le pouvoir matériel du consulat. Thibaudeau vota d’une façon maussade le concordat, le retour des émigrés, la Légion-d’Honneur, mais il accorda volontiers le pouvoir discrétionnaire au premier consul dans les questions de gouvernement, cequi était, je le répète, une tradition du comité du salut public. Aussi Napoléon jugea-t-il qu’il ferait de lui un excellent préfet, ferme dans la pensée, prompt dans l’action. Un moment désigné pour le département de la Gironde, il fut nommé à Marseille, où il remplaça Charles Delacroix, esprit d’une grande tempérance et d’une certaine élégance diplomatique. Le consulat était un gouvernement de force et de volonté. Un préfet n’était qu’une espèce de représentant en mission avec les plus vastes pouvoirs, situation qui devait plaire à Thibaudeau. Il administra fortement dans la transition du consulat à l’Empire. Créé comte, commandeur de la Légion-d’Honneur, il garda le titre de conseiller d’Etat, comme s’il n’eût été que détaché à une préfecture. Son zèle fut grand pour Napoléon ; il fit exécuter les lois de la conscription surtout, avec une rigueur dont il est resté de tristes souvenirs à Marseille. Les choses marchèrent ainsi jusqu’en 1808, époque où les circonstances devinrent plus graves pour le département des Bouches-du-Rhône. Deux personnages importants vinrent alors l’habiter, Charles IV, roi d’Espagne, et l’ancien directeur Barras. Charles IV était resté en lui-même un personnage fort insignifiant, mais on craignait qu’il ne fût enlevé par les vaisseaux anglais, qui alors dominaient toute la Méditerranée, et détruisaient chaque jour les batteries de la côte. Le séjour de Barras était une autre inquiétude pour Thibaudeau : l’ex-directeur, longtemps son collègue, son supérieur, ne se gênait pas pour rappeler son passé ; jamais la population de Marseille n’avait été favorable au préfet ni au régime qu’il représentait. Quand vinrent les jours difficiles, il se forma plus d’un complot. Le plus grave fut celui qui correspondit à la conspiration Mallet, tentative de fusion des jacobins et des royalistes. La police de Thibaudeau fut surprise, comme celle de Savary, et la répression fut d’autant plus inflexible que les événements avaient été moins prévus. Avec la fermeté de son caractère, Thibaudeau dissimula nos échecs et nos revers à une population mécontente, et ce ne fut que le 13 avril 1814, qu’il fit communiquer les actes du sénat sur la déchéance de Napoléon. Il quitta Marseille sous un déguisement, et vint se réfugier à Paris, où les ennemis de la restauration trouvèrent bientôt un refuge assuré.

Il était trop facile de conspirer en 1814, pour que tous les adversaires des Bourbons ne le fissent pas, Thibaudeau resta fidèle à la cause de la révolution et de l’empire ; il ne devait rien aux Bourbons ; nul reproche ne peut donc lui être adressé. Après le 20 mars, il fut porté à la nouvelle chambre des pairs. Toujours dévoué à la cause impériale, il ne se laissa ni leurrer ni conduire par Fouché, Carnet et d’autres mécontents ; il défendit la cause de Napoléon II avec énergie. A la seconde restauration, la loi de 1816 contre les régicides lui imposa l’obligation de quitter la France : il s’y résigna sans murmurer, visita la Suisse, l’Allemagne. Prague lui fut ensuite assigné comme résidence ; il y retrouva Fouché. C’est là que Thibaudeau écrivit ses premiers ouvrages. Rappelé en 1819, il fit paraître des Mémoires sur la convention national, où il règne un ton franc et sévère, sans hypocrisie ; ce qu’il a fait, il le dit, l’avoue et s’efforce de le justifier ; Ensuite viennent ses Mémoires sur le cortsulat, simple collection de procès-verbaux, mais curieux par les détails. Thibaudeau s’y pose comme l’expression de la révolution et le défenseur des principes qu’elle a voulu faire triompher.

Deux ans après cette publication, vinrent les journées de juillet. Si Thibaudeau put les saluer comme l’expression de quelques-unes de ses idées, il n’y trouva pas sa place : le parti orléaniste n’avait jamais été le sien. Il l’avait repoussé, en 1792, par la république ; en 1799, par le consulat ; et plus tard, en 1815, il ne s’était engagé qu’avec ses principes : la république ou l’empire ; il y resta fidèle. On vit le vieux conventionnel reprendre la parole aux funérailles de l’abbé Grégoire, et le saluer comme étant resté fidèle à la révolution ; il l’appela même son honorable complice, comme pour lui donner un brevet justificatif du vote régicide.

Vers l’année 1839, on annonca l’histoire du Consulat et de l’Empire, par Thibaudeau. C’est un ouvrage en dix volumes, exact, froid, avec les qualités de l’auteur, et ses défauts, surtout l’absence d’une portée politique, et nulle élévation de pensées. Du reste sous plus d’un rapport préférable à une autre histoire de l’empire dont on fit plus de bruit, avec ses inexactitudes, son terre à terre de récits, et ses ridicules prétentions à la science militaire. Thibaudeau a le merite au moins de raconter ce qu’il a vu, ce qu’il a pratiqué, ce qu’il sait. Son ouvrage n’eut pas un éclatant succès. Le vieux conventionnel continua à s’effacer sous le gouvernement de Louis-Philippe, jusqu’à sa chute, et il resta également en dehors de la république de 1848 ; mais il fut compris dans la liste des sénateurs après le 2 décembre 1852, sans doute comme l’expression de son dévouement à la fortune de la révolution et de l’empire. Thibaudeau avait alors plus de quatre vingts ans. Il siégea peu au sénat et finit sa vie, ainsi qu’il l’avait commencée, fermement dévoué aux principes de la révolution et de l’Empire, qui, selon lui, en avait été la consécration forte et dictatoriale. On a encore de lui, avec Bourdon de la Crosnière : I. Recueil des actes héroïques et civiques du républicanisme français, Paris, 1794 et années suivantes, publiés par numéros, dont Bourdon a rédigé les quatre premiers et Thibaudeau les autres. II. Histoire du terrorisme dans le département de la Vienne, 1795, in-8º. III. Beaucoup de Discours et Rapports aux assemblées dont il a fait partie. IV. Dans le recueil des Mémoires de l’Académie de Marseille, un discours sur le musée, un autre sur la bibliothèque de cette ville, et un troisième sur le xviiie siècle, etc. — Son fils a traduit de l’anglais : Le Ministère de la réforme et le Parlement réformé, 1833, in-8º, et il a, de plus, concouru à la rédaction de plusieurs journaux entre autres du National. C—f—e.


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