Biographie universelle ancienne et moderne/2e éd., 1843/ATTIRET (le frère Jean-Denis)

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Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843
Tome 2 page 371

ATTIRET (le frère Jean-Denis)


ATTIRET (le frère Jean-Denis), jésuite et peintre français, de la mission de Pékin, né à Dole, en Franche-Comté, le 31 juillet 1702, reçut de son père, qui professait la peinture, les premières leçons de cet art, pour lequel il annonça les plus rares dispositions. Encouragé et secondé par le marquis de Brossia, il se rendit à Rome pour s’y perfectionner par la vue et l’étude des chefs d œuvre. À son retour, il passa à Lyon et y fit quelques tableaux qui méritèrent une première réputation. À l’âge de trente ans il entra chez les jésuites dans l’humble et simple qualité de frère convers. Quelques années après, les missionnaires de Pékin ayant fait la demande d’un peintre français, il sollicita cette destination et partit pour la Chine vers la fin de 1757. Le frère Attiret ne fut pas plutôt arrivé à Pékin qu’il offrit à l’empereur Khian-loung un tableau représentant l’Adoration des rois et ce prince en fut si satisfait qu’il le fit placer dans l’intérieur de ses appartements. On se figurerait difficilement les dégoûts et les contrariétés qu’eut à essuyer le talent de l’artiste français. Accoutumé en Europe a ne peindre que l’histoire et le portrait, il fallut qu’il se livrât à tous les genres selon les ordres qu’il recevait, et qu’il se conformât à toutes les irrégularités du mauvais goût chinois. L’empereur n’aimait pas la peinture à l’huile à cause de son vernis ; les ombres quand elles étaient un peu fortes lui paraissaient autant de taches. Il fallut préférer la détrempe et se résoudre à ne plus faire usage que d’ombres extrêmement claires et légères. Le frère Attiret se vit forcé de recommencer en quelque sorte un cours de peinture et de prendre des leçons des peintres chinois. Ceux ci, tout en reconnaissant la supériorité de ses talents, lui firent observer que les choses qu’il négligeait comme des minuties dans l’exacte représentation des fleurs, du feuillé des arbres, du poil des animaux, des habillements, des mains chinoises aux ongles longs, étaient, parmi eux, des détails dont la stricte précision était exigée avec rigueur et sans laquelle on ne pouvait plaire à des yeux chinois. Le frère Attiret sentit qu’il ne pourrait obtenir le suffrage du monarque qu’il servait qu’en gâtant ses tableaux et il eut le courage de s’y résigner. Ses travaux n’eurent presque point d’interruption ; ils furent souvent excessifs depuis 1735 jusqu’en 1760, années les plus brillantes du règne de l’empereur Khian loung, et dont presque chaque mois a été marqué par des victoires qui ont si considérablement agrandi les limites de son empire. Ces conquêtes et les batailles qui les avaient procurées fournirent les sujets d’un grand nombre de tableaux qui furent ordonnés au frère Attiret, et dans l’exécution desquels la bizarrerie du goût chinois lui fit rencontrer une foule de difficultés ; l’extrême célérité qu’il était forcé quelquefois de mettre dans son travail lui permettait à peine de songer à la nourriture et au sommeil. La modestie, la douceur et la docilité de l’artiste français l’avaient rendu cher à l’empereur qui ne laissait passer presque aucun jour sans se rendre à son atelier pour l’entretenir et le voir peindre. Le 19 juillet 1754, étant entré au palais selon son usage, un des grands de la cour lui annonça qu’il venait d’être créé mandarin. Une si haute distinction aurait pu tenter un cœur moins religieux. Le premier soin du frère Attiret fut d’aller se jeter pieds du contre-ministre et de le conjurer d’intercéder pour lui auprès de l’empereur afin qu’il lui fût permis de ne pas accepter un honneur qui convenait si peu à l’humble rang qu’il tenait dans l’état religieux. Le ministre étonné d’un refus dont la ne voit pas d’exemple fit tout ce qu’il put pour lui persuader d’accepter cette faveur, en le voyant inébranlable dans sa résolution. Du moins dit-il vous accepterez les revenus si vous ne voulez pas accepter les marques de la dignité. Le frère Attiret aussi désintéressé que modeste refusa constamment l’un et l’autre. Le lendemain l’empereur l’ayant fait appeler, lui fit un grand nombre de questions sur les motifs de son refus. Le frère se prosterna à ses pieds et sut employer des expressions si touchantes pour justifier et colorer sa résistance qu’il eut le bonheur de ne pas irriter le monarque et d’en obtenir ce que désirait son extrême modestie. Le frère Attiret au rapport des missionnaires avait du feu, de la vivacité, beaucoup d’esprit, une piété tendre et le plus aimable caractère. Nous n’avons de lui qu’une seule lettre très intéressante et élégamment écrite insérée dans le Recueil des Lettres édifiantes t. 27. Il y donne la description d’une des maisons de plaisance de l’empereur et quelques considérations sur le goût de l’architecture chinoise. D’après le compte qu’il y rend aussi de ses travaux les plus habituels on voit que pendant les premières années de son séjour à Pékin il était spécialement occupé à peindre, soit à l’huile sur les glaces, soit à l’eau sur la soie des arbres, des fruits, des oiseaux, des poissons, des animaux de toute espèce, rarement la figure. Les grands tableaux d’histoire ordonnés à l’occasion des conquêtes de l’empereur sont d’une époque postérieure. Tous les ouvrages de cet artiste sont renfermés dans l’intérieur du palais de l’empereur où personne n’est admis. Les missionnaires eux mêmes n’ont guère connu d’autre production de son pinceau que le beau tableau de l’Ange Gardien qui orne la chapelle des Néophites dans l’église de la mission française de Pékin. Le frère Attiret épuisé par tant de travaux mourut à Pékin le 8 décembre 1768 âgé de 66 ans. L’empereur Khian-loung l’honora publiquement de ses regrets, et donna 200 onces d’argent (1500 fr.) pour concourir aux frais de ses funérailles. (Voy. Lettre du P. Amiot, Journal des Savants, 1771, mois de juin.) G-r.