Biographie universelle ancienne et moderne/2e éd., 1843/CHODOWIECKI (Daniel-Nicolas)

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Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843
Tome 8 page 179 à 180

CHODOWIECKI (Daniel-Nicolas)


CHODOWIECKI (Daniel-Nicolas), peintre et graveur, naquit à Dantzick, le 16 octobre 1726. Son père, qui était marchand de drogues, voulut l’élever pour le même commerce. Cependant, comme il avait appris lui-même la miniature, il enseigna à son fils tout ce qu’il savait, et le jeune Chodowiecki commençait à faire sa principale étude de ce qui ne lui était enseigné que pour le distraire de travaux plus utiles, quand son père mourut. Resté très-jeune encore à la charge d’une mère sans fortune, il fut placé chez un épicier, où il était occupé des détails du commerce depuis six heurts du matin jusqu’à onze heures du soir. Chodowiecki, qu’un goût décidé pour le dessin appelait vers d’autres occupations, souffrait de cette contrainte, et surtout de la position de sa mère, qu’il voyait dans le besoin. L’espoir de lui procurer par ses dessins quelques secours l’enchaîna au travail ; pendant la nuit, retiré dans sa chambre, il y travaillait jusqu’à quatre heures du matin. Il ne tarda pas à faire des dessins dignes de l’attention des amateurs ; mais il fut obligé de quitter son épicier, par suite du mauvais état où le commerce était tombé. Privé plus que jamais des moyens de subvenir aux besoins de sa mère, il fut envoyé en 1745 à Berlin, chez un oncle où il finit son apprentissage en fréquentant les foires comme teneur de livres. À ses heures de loisir, il peignait en miniature de petits sujets sur des tabatières qu’il vendait à des marchands de Berlin. Son oncle, qui trouvait des avantages dans ce nouveau genre de commerce, pensa qu’il le rendrait encore plus lucratif si son neveu connaissait les procédés de la peinture en émail et lui faisait un grand nombre de bottes émaillées. Chodowiecki ignorait encore les principes de la composition, lorsque le hasard lui fit voir des figures académiques et d’autres dessins. Il renonça dès lors a peindre les tabatières que son oncle vendait, se livra tout entier à de nouvelles études, et ses premiers essais dans ce genre ne tardèrent pas à fixer les regards des artistes les plus distingués ; ce fut surtout une petite gravure exécutée en 1756, et CHO CHO 173

qui a pour titre le Passe-dix, qui attira sur lui l’attention de l’académie de peinture de Berlin. Cette société le chargea des figures de son almanach, qui n’avait été jusque-là que médiocrement recherché. Les gravures pleines d’esprit de Chodowiecki lui donnèrent une vogue extraordinaire. Il grava, pendant la guerre de sept ans, différents sujets qui y avaient rapport, et, entre autres, les Prisonniers russes à Berlin, secourus par les habitants : c’est une de ses gravures les plus rares. Il parut à peu près dans le même temps, à Paris, une estampe intitulée la Malheureuse famille de Calas. Ce fut dans cette production médiocre que Chodowieki prit l’idée de ses Adieux de Calas ; il choisit le moment ou le père quitte ses enfants pour être conduit à la place de l’exécution. Cette scène, vraiment déchirante, était rendue avec tant d’ame et d’expression, que Chodowiceki, qui l’avait peinte en détrempe, la grava à la pointe sèche, à la sollicitation de toutes les personnes qui avaient vu son tableau. Cette gravure, terminée en 1767, ne parut que l’année suivante. Les épreuves qui portent la date de 1767 sont très-recherchées, parce qu’il n’en fut tiré que cent. il avait peint quelques années auparavant la Passion de Jésus-Christ, en 12 parties ; ce n’était qu’une miniature, mais elle était d’un fini si précieux, et en même temps d’une énergie si admirable, que tout le monde avait voulu la voir et en connaître l’auteur. Chodowiecki eut dès lors beaucoup d’occupation ; il fut même obligé de renoncer à la peinture, pour donner tout son temps à la composition des dessins et des gravures qu’on lui demandait de toutes parts. Presque toutes les estampes qui enrichissent le grand ouvrage de Lavater sur la physiognomonie ont été faites sur ses dessins ; il en a même gravé plusieurs avec une perfection inimitable. On retrouve le même esprit de composition dans les estampes dont il a enrichi les ouvrages de Basedow et l’Almanach de Gotha. Sa réputation s’accrut au point que tous les libraires voulaient avoir des gravures de sa composition pour en orner les ouvrages qu’ils publiaient, et il ne paraissait pas un livre en Prusse qui n’eût au moins un frontispice gravé par Chodowiecki. Il avait fait une étude particulière de l’histoire, et il a donné à chaque personnage le costume du temps et du pays on il a vécu. Son œuvre se compose de plus de 5,000 pièces. Il a beaucoup travaillé pour l’Arioste, Gesner, et le roman de Don Quichotte ; pour la Messiade de Klopstock ; quelques comédies de Lessing lui ont aussi fourni le sujet de charmantes compositions. Il semblait faire avec son burin l’extrait de tous les livres qu’il lisait. Les contrastes qui renouvellent nos pensées semblent aussi renouveler ses compositions ; tantôt malin ou pathétique, il persifle avec Voltaire, ou conspire avec Shakspeare ; il dessine avec le crayon de la Bruyère, ou burine avec l’énergie de Tacite ; il rit avec la Fontaine, ou épie avec Lavater les secrets de la physionomie. On a dit qu’il fut l’Hogarth de l’Allemagne ; il n’aimait pourtant pas qu’on lui donnât ce nom ; moins bizarre dans ses compositions que l’artiste anglais, il est aussi original. Avec des qualités si

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remarquables, on ne doit pas s’étonner de l’empressement des amateurs à rechercher les ouvrages de Chodowiecki. Plusieurs se sont attachés à compléter son œuvre, et leurs efforts ont été plus ou moins heureux. Par une bizarrerie qui n’est pas sans exemple parmi les artistes, il se plaisait à faire quelque changement à ses ouvrages quand il en avait tiré un petit nombre ; de sorte que toutes les épreuves d’une estampe ne sont jamais les mêmes, et que, pour avoir son œuvre complète. il faut se procurer, pour ainsi dire, l’œuvre complète de chacune de ses gravures. On trouve le catalogue de ses ouvrages dans le Dictionnaire des artistes du baron de Heinecken, dans les Miscellaneen artistischen Inhalts de Meusel, t. Ier, n° 131 ; dans le Manuel des amateurs de l’art, par M. Hubert, école allemande, t. 1er, p. 165. Cet artiste est mort à Berlin en 1801, étant directeur de l’académie des arts et des sciences mécaniques de cette ville. A-s.