Biographie universelle ancienne et moderne/2e éd., 1843/HELVÉTIUS (Claude-Adrien)

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Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843
Tome 19 page 86 à 93

HELVÉTIUS (Claude-Adrien)


HELVÉTIUS (Claude-Adrien), auteur du fameux livre de l’Esprit, né à Paris en janvier 1715, était fils du précédent. Il étudia chez les jésuites, au collège Louis le Grand, où, suivant Grimm et Chastellux, de fréquents rhumes de cerveau lui donnèrent longtemps une apparence de stupidité. Saint-Lambert aime mieux imputer la lenteur de ses progrès au despotisme de ses régents. Lorsqu’il fut en rhétorique, le P. Porée découvrit en lui le germe d’un esprit observateur dont il hâta le développement par des soins particuliers. La famille d’Helvétius, le destinant aux emplois de la finance, l’envoya chez son oncle maternel, M. d’Armancourt, directeur des fermes à Caen. À l’âge de vingt-trois ans il obtint, par la protection de la reine (Marie Leczinska), une place de fermier général, qui valait cent mille écus de rente. Le jeune financier, à son entrée dans le monde, cherchait partout le mérite malheureux, et le secourait avec une ingénieuse délicatesse. Il donna trois mille francs de pension à Saurin ; et, dans la suite, lorsque celui-ci voulut se marier, il lui en assura le capital (soixante mille francs). Il fit accepter aussi une pension de deux mille francs à Marivaux, quoiqu’il eût à souffrir de son amour-propre irascible. Dans une discussion, ce dernier s’était emporté plus vivement qu’à l’ordinaire ; lorsqu’il fut parti, son généreux ami se contenta de dire : « Comme je lui aurais répondu, si je ne lui avais pas l’obligation d’accepter mes bienfaits ! » M. l’abbé Sabatier de Castres se met au nombre des pensionnaires d’Helvétius (voy. Les trois siècles de la littérature) : mais d’autres hommes connus ont eu la petitesse de dissimuler la reconnaissance qu’ils lui devaient. On sait que la compagnie des fermes envoyait dans les provinces les plus jeunes de ses membres, pour y surveiller le service des employés. Helvétius, en sa nouvelle qualité, parcourut successivement, pendant plusieurs années, la Champagne, la Bourgogne et la Guienne. Au lieu d’aggraver le régime fiscal, il en tempérait la rigueur. On dit même que, désapprouvant un droit établi sur les vins, il osa exciter plusieurs habitants de Bordeaux à s’y soustraire par la rébellion. Ce conseil imprudent ne fut pas suivi ; mais on devine que cette manière de faire exécuter les ordonnances ne dut pas être goûtée de ses confrères, qui lui suscitèrent plus d’un désagrément. Dans ses tournées, quelques gens de lettres, entre autres Dumarsais, l’accompagnaient presque toujours. Il visitait Voltaire composant Mahomet. etc., etc., dans sa retraite de Cirey ; Buffon préparant, à Montbar, les matériaux de l’Histoire naturelle, Montesquieu, dans sa terre de la Brède, méditant lEsprit des lois. Grimm tenait d’Helvétius lui-même les détails qu’il transmet sur sa vie privée, et que la décence nous défend de répéter. (Correspondance, 2° partie, t. 2.) S’il faut l’en croire, l’épicurien financier, étranger aux jouissances du cœur, se livrait à l’inconstance de ses goûts, et, pour les satisfaire dans toutes les classes de la société, il profitait également des dons de la nature et de la fortune. Sa figure, parfaitement régulière, où se peignaient la douceur et la bienveillance, lui valut beaucoup de ces liaisons passagères, que, d’après nos mœurs, on nomme bonnes fortunes. Un soir, au foyer de la Comédie française, un homme dont la richesse était l’unique moyen de séduction, offrit six cents louis a mademoiselle Gaussin en parlant assez haut pour être entendu. « Monsieur, je vous en donnerai deux cents si vous voulez prendre ce visage-là, répondit l’actrice en montrant Helvétius. » Dans le tourbillon du monde, Helvétius était tellement avide de tous les genres de succès, qu’il rechercha les applaudissements publics, en dansant une fois au théâtre de l’opéra, sous le nom et le masque de Javillier[1]. Il n’excellait pas moins dans l’escrime, et aspirait encore à la gloire des sciences et des lettres. Ses premiers efforts se dirigèrent vers les mathématiques, parce qu’il avait vu dans le jardin des Tuileries le géomètre Maupertuis entouré d’un cercle des dames les plus brillantes, malgré sa mine grotesque et ses vêtements bizarres. Ensuite, par des épîtres philosophiques, par un poëme sur le Bonheur, Helvétius voulut se montrer l’émule de Voltaire. On assure qu’il s’essaya dans la tragédie, sur le sujet de la Conjuration de Fiesque. Enfin le succès prodigieux de lEsprit des lois, publié en 1748, lui fit concevoir le hardi projet d’élever un monument à côté de celui de Montesquieu. Dès lors, il résolut de vivre dans la solitude. Outre les fonds qu’il avait dû, comme fermier général, avancer au gouvernement, il lui restait des sommes considérables : il acheta des terres. Mais il lui fallait une femme qui, dans la retraite, pût faire son bonheur et le partager. Son choix se fixa sur mademoiselle de Ligniville, élevée sous les yeux de sa tante, madame de Graffigny. Elle sortait d’une des plus anciennes maisons de Lorraine, et joignait à une beauté remarquable une âme supérieure à sa mauvaise fortune. Avant de l’épouser Helvétius quitta sa place, qu’il avait exercée pendant treize ans : il témoigna, pour s’en démettre, l’empressement qu’un autre aurait mis à se la procurer. « Vous n’êtes donc pas insatiable comme vos confrères. » lui dit l’austère Machault, contrôleur général des finances. Simple dans ses manières, Helvétius réservait ses hommages à l’ascendant du mérite. Il faisait une cour assidue à Fontenelle ; et c’est probablement à l’époque du mariage d’Helvétius, que le doyen des gens de lettres, presque centenaire, fit une de ces réponses charmantes qui lui étaient si familières. Il venait de dire mille choses aimables à la nouvelle mariée, lorsqu’il passa devant elle, sans l’apercevoir, pour se mettre à table : « Quel cas dois-je faire de toutes vos galanteries ? lui demanda madame Helvétius ; vous passez devant moi sans me regarder. Madame, repartit le vieillard, si je vous eusse regardée, je n’aurais pas passé. » Aussitôt après son mariage, en 1751, Helvétius partit pour sa terre de Voré, située dans le Perche, où régulièrement il séjournait huit mois de l’année. Il conserva, par un sentiment d’humanité, ses deux secrétaires, qui lui était devenus inutiles. L’un d’eux, l’ayant connu dès l’enfance, conservait avec lui le ton d’un pédagogue impérieux et chagrin. « Je n’ai pas tous les torts que me trouve Baudot, mais j’en ai quelques-uns. Qui m’en parlera si je ne le garde pas ? » Telle était la seule réflexion que se permit l’indulgent protecteur. La composition de ses ouvrages, le bonheur de sa femme, celui de ses vassaux, l’occupaient entièrement. Un habile chirurgien était fixé par lui dans ses domaines, où l’on distribuait aux malades et aux infirmes des remèdes et des aliments. Il inspirait le goût de l’agriculture dans toutes ses terres ; mais il encourageait principalement l’industrie à Voré, parce qu’elle pouvait seule donner aux habitants l’aisance que refuse un terrain stérile. Après bien des tentatives infructueuses, il y fit prospérer une manufacture de bas au métier, qui n’existe plus. Ses fermiers essuyaient-ils des pertes, il les dédommageait : s’élevait-il un procès, il se rendait médiateur entre les parties. La chasse était le seul droit dont il fût jaloux : il en aimait trop le plaisir pour souffrir patiemment que le gibier fût tué par d’autres ; mais il finissait par faire restituer aux braconniers le montant des amendes auquelles ils avaient été condamnés. Un gentilhomme, M. de Vasconcelle, avait un petit bien chargé de redevances, pour lesquelles on le poursuivait depuis longtemps au nom du seigneur de Voré. En prenant possession de cette terre, non seulement Helvétius n’autorisa pas de nouvelles procédures; mais il remit au débiteur une quittance générale et lui fit accepter une pension de cent pistoles pour l’éducation de ses enfants. Andrieux, en 1802, a mis sur la scène ce trait de bienfaisance. Helvétius n’avait encore rien publié, lorsqu'au mois d’aoùt 1758, il donna, sans y mettre son nom, le livre de l'Esprit, in-4o de 643 pages, avec cette épigraphe, qui en indique l’objet mieux que ne le fait un titre plus vague que piquant :

...Unde animi constet natura videndum,
Qua fiant ratione, et qua vi quaeque gerantur
la terris... (LUCRET., de Rer. Natura, lib. I.)

Par déférence pour son père, il avait acheté une charge à la cour. Croyant sans doute, au moyen de certaines précautions de style, s’être mis à l’abri des attaques, il porta l’assurance jusqu’à présenter son ouvrage à la famille royale. Ce singulier hommage fut agréé d’abord avec un intérêt que l’indignation remplaça presque aussitôt. Le Dauphin, fils de Louis XV, manifesta le premier sa juste surprise. On vit ce prince éclairé sortir de son appartement, un exemplaire de l’Esprit à la main, disant à haute voix : « Je vais chez la reine, lui montrer les belles choses que fait imprimer son maître d’hôtel (1)[2]. » Dès le 10 août, un arrêt du conseil d’État révoqua le privilège accordé le 12 mai, sur l’approbation du censeur Tercier, premier commis des affaires étrangères, et membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres. Effrayé de l’orage qui le menaçait, vaincu par les larmes de sa mère, Helvétius rédigea, sous la forme d’une Lettre au révérend père *** (Berthier, ou, suivant Collé, le P. Pleix), jésuite, son ancien ami, une rétractation, ou plutôt une apologie, qui fut trouvée insuffisante. Il y joignit une seconde déclaration plus courte, énoncée en termes moins ambigus, et finissant ainsi : « Je n’ai voulu attaquer aucune des vérités du christianisme, que je professe sincèrement dans toute la rigueur de ses dogmes et de sa morale, et auquel je fais gloire de soumettre toutes mes pensées, toutes mes opinions, et toutes les facultés de mon être, certain que tout ce qui n’est pas conforme à son esprit, ne peut l’être à la vérité. Voilà mes véritables sentiments; j’ai vécu, je vivrai et je mourrai avec eux.» L’archevêque de Paris, Christophe de Beaumont, exilé dans le Périgord, signale son zèle contre le nouveau livre par un mandement daté du château de Laroque, le 22 novembre. D’autres prélats réunirent leurs voix à la sienne. Helvétius remit lui-même à l’avocat général Joly de Fleury une troisième rétractation, plus positive que les deux précédentes. À la sollicitation de l’abbé de Chauvelin, l’impression n’en fut pas ordonnée (voy. la deuxième Lettre d’Helvétius à ce conseiller). Le magistrat reçut cette rétractation au parquet, le 22 janvier 1759, et prononça le lendemain son réquisitoire contre l’ouvrage, qu’il regardait comme l’abrégé des principes du Dictionnaire encyclopédique; mais il usa d’un ménagement particulier envers la personne de l’auteur : « Si moins livré, dit-il, à des impressions étrangères, il n'eût consulté que les sentiments intimes de son propre cœur, il n’aurait jamais donné le jour à cette production funeste..... » La lettre apostolique de Clément XIII parut le 31 janvier; et la faculté de théologie de Paris, dans sa censure du 9 avril, s’exprima de la manière suivante: « Nous avons choisi le livre de l' Esprit comme réunissant toutes les sortes de poisons qui se trouvent répandus dans différents livres modernes. » En effet, dans cette censure, divisée en quatre parties : De l'âme, de la morale, de religion, du gouvernement, on rapporte, sous chacun de ces titres, les passages de Spinosa, Collins, Hobbes, Maudeville, la Mettrie, d’Argens, etc., où Helvétius a puisé ses erreurs les plus contagieuses. Un arrêt du parlement, rendu le 6 février 1759, fit brûler, le 10 du même mois, l’ouvrage condamné de toutes parts. Neuf ou dix autres ouvrages, qui avaient été publiés par divers auteurs depuis plusieurs années, furent compris dans la même prohibition, et subirent la même flétrissure. Cette circonstance avait été préparée afin d’atténuer les torts de l’homme qui dans ce moment fixait l’attention publique, et qui d’ailleurs jouissait d’une grande considération. Après un tel éclats Helvétius ne pouvait plus rester attaché au service d’une princesse renommée pour son éminente piété: il se défit donc de sa charge. Le censeur fut admis à déclarer que son approbation était l'effet de l'inadvertance, et qu’il renonçait désormais à l’exercice de la censure (1)[3]. Si l’ouvrage d'Helvétius annonce partout le matérialisme, le mot ne s’y rencontre nulle part. Voici les principaux résultats des quatre discours qui le composent: 1° toutes nos facultés se réduisent à la sensibilité physique: se ressouvenir, comparer et juger ne sont proprement que sentir; nous ne différons des animaux que par une certaine organisation extérieure; 2° notre intérêt, fondé sur l'amour du plaisir et sur la crainte de la douleur, est l’unique mobile de nos jugements, de nos actions, de nos affections; nous n’avons pas la liberté de choisir entre le bien et le mal; il n’existe point de probité absolue; les notions du juste et de l’injuste changent selon les coutumes; 5° l'inégalité des esprits ne dépend pas d’une organisation plus ou moins parfaite ; elle à sa cause dans le désir inégal de s'instruire, et ce désir provient des passions dont tous les hommes, communément bien organisés, sont susceptibles au même degré: nous pouvons donc tous aimer la gloire avec le même enthousiasme, et nous devons tout à l’éducation; 4° l’auteur fixe les idées que l’on attache aux différents noms donnés à l’esprit, tels que le génie, l’imagination, le talent, le goût, le bon sens, le bel esprit, etc. Les définitions de ce genre sont ce qu’il offre de plus satisfaisant : il les discute avec finesse, et choisit adroitement ses exemples. D’après ce résumé fidèle, on voit combien la doctrine d'Helvétius est généralement avilissante, funeste et paradoxale : elle est d’autant plus insidieuse qu’il la cache sous le voile transparent des allusions, ou la montre avec des ménagements oratoires qui semblent en ai faiblir le danger. L'amour des hommes et de la vérité l'anime; et par ses sophismes il brise jusqu’au moindre lien social! Le mot imposant de vertu, dont il dénature l’acception véritable, est a chaque instant sous sa plume, et il conseille d’abandonner les détails de la vie à l’empire des passions! Lorsqu’on établit la morale sur des principes variables au gré des lieux et des temps, on l’expose à des interprétations bien étranges. Aussi, nous le disons à regret, les ouvrages d'Helvétius sont-ils l’un des arsenaux dans lesquels la perversité des factieux a dû choisir ses armes les plus meurtrières. C’est en consacrant la maxime, " Tout devient légitime, et même vertueux, pour le salut public " (Discours II, chap. VI de l'Esprit), que les comités d’une assemblée trop fameuse envoyaient à l’échafaud l’élite des Français. On a pu concevoir l’idée du plus grand des attentats, en voyant l’auteur blâmer les Anglais d’avoir, " après le crime affreux commis dans la personne de Charles ler....., mis au rang des martyrs un prince qu’il était de leur intérêt, disent quelques-uns d’entre eux, de faire regarder comme une victime immolée au bien général, et dont le supplice, nécessaire au monde, devait à jamais épouvanter quiconque entreprendrait de soumettre les peuples à une autorité arbitraire et tyrannique." (Discours II. chap. XXII). Ces mots soulignés, disent quelques-uns d'entre eux, infirment le blâme jeté sur la nation anglaise, et rendent vicieux le raisonnement de l’auteur; ou plutôt ils sont un des palliatifs employés pour faire passer les assertions les plus répréhensibles. Cette autre phrase n’était guère plus favorable au maintien de la monarchie : " Mettez dans le fils d’un tonnelier de l’esprit, du courage, de la prudence, de l’activité, chez des républicains où le mérite militaire ouvre la porte des grandeurs, vous en ferez un Thémistocle, un Marius; à Paris, vous n’en ferez qu’un Cartouche. " (Discours IV, chap. XIV). Palissot a vanté la progression lumineuse avec laquelle Helvétius présente les moyens de concilier l’intérêt particulier et l'intérêt général, en les dirigeant sans cesse l'un vers l’autre (Mémoires sur la littérature). Sans doute il faut unir ces deux intérêts par la distribution des récompenses et des peines. C’est une vérité élémentaire, reconnue par tous les législateurs: mais peut-on regarder les plaisirs physiques comme le ressort le plus actif d’un gouvernement sage et bien constitué ? Est-ce en dégradant l’homme qu’on forme le citoyen? N’est-ce pas des sentiments nobles et généreux que le patriotisme tire sa plus grande énergie ? Comment le vainqueur de Mahon, le maréchal de Richelieu, rappela-t-il nos soldats à la discipline? En menaçant ceux qui s’en écartaient de les priver de l’honneur de monter à l’assaut. Helvétius, comme moraliste, dépouille de leur lustre les plus hautes vertus, et fournit des excuses aux vices les plus honteux: comme politique, il bannit les lois religieuses; il méconnaît l’influence des vertus privées, fondement des vertus publiques, et rejette l’autorité des siècles, en prédisant aux novateurs, avec l’abbé de Saint-Pierre, que tout l'imaginable existera (Discours II, chap. XXV): comme métaphysicien, loin d’ajouter aux découvertes de Locke, il en abuse en les outrant, et ne fait, pour ainsi dire, que des faux pas, lorsqu’il marche sans l’appui de son maître. Madame du Deffant consultait son cœur aride, lorsqu’elle prétendait qu’Helvétius s’était attiré des ennemis, pour avoir révélé le secret de tout le monde. Ce mot a fait fortune, et n’en est pas plus vrai. En général, les partisans de notre auteur sont les hommes qui ont besoin de fermer l’oreille aux cris de la conscience: ses adversaires sont les esprits justes, qui repoussent des opinions insoutenables ; et les âmes honnêtes, auxquelles il s’efforce d’enlever leurs consolations. Sa composition n’est pas d’un talent vulgaire, quoique les idées principales y disparaissent au milieu des détails et des digressions. Sa diction, travaillée et correcte, est presque toujours claire, quelquefois agréable, sans avoir une physionomie distincte; mais l’élégance y dégénère souvent en ornements puérils[4]. Voici un exemple frappant de cette afféterie, que la Harpe n’a pas relevée dans sa longue et solide réfutation. Au lieu de se borner à la propositon suivante, exprimée d’une manière précise : « L’absence du malheur est la seule félicité dont jouissent les. gens froids; » Helvétius gâte sa phrase, en voulant la rendre sensible par une image : « et l’espèce de raison qui les guide sur la mer de la vie humaine, ne leur en fait éviter les écueils qu’en les écartant sans cesse de l’île fortunée du plaisir. » (Discours IV, chap. XV.) Dépourvu d’une imagination vive, il s’étudie à colorer des tableaux, et réussit particulièrement dans ceux où il peint la volupté. Afin de séduire la multitude des lecteurs, il prodigue, dans un sujet essentiellement grave, les figures, les mouvements, surtout les anecdotes frivoles, les histoires scandaleuses. Le P. Bettinelli assure que madame de Graffigny disait : " Croiriez-vous bien qu’une grande partie de l’Esprit, et presque toutes les notes, ne sont que des balayures de mon appartement? " Un tel propos a fait croire que ce livre était un composé de conversations incohérentes. Nul doute que les principes n’en soient légèrement posés; mais, en partant de ces principes, sur lesquels l’auteur glisse avec intention, les conséquences qu’il en déduit forment un ensemble dont les parties s’enchaînent. Peu d’écrivains sont autant dominés par le penchant à généraliser les idées, penchant qui entraine l’esprit à de vaines chimères, et qui conduit le génie seul à des vérités fécondes. Certes, il faut être bien esclave d’un système adopté, pour ramener le dévouement de Régulus à l’intérêt personnel. Nous ne donnerons pas ici le détail des ouvrages écrits pour et contre le livre de l’Esprit (voy. Gauchat, La Harpe, C.-G. Leroy et Lignac)[5]. Helvétius avait fait tirer, pour ses amis, des exemplaires sans cartons; ce que prouve une lettre de M. l’abbé Morellet à Beccaria (sept. 1766). On y rencontre peu de changements. Au sujet des princes modérés, on substitue le nom de Henri IV à celui de Louis XV (Discours II, chap. VI). On met dans la bouche d’un despote des Indes cette formule : Tel est mon bon plaisir, au lieu de telle est ma volonté. etc., etc. À la première apparition de l’Esprit, Buffon dit de l’auteur, avec lequel il était étroitement lié : « Il aurait dû faire un livre de moins, et un bail de plus dans les fermes du roi. » Jean-Jacques, dont les paradoxes n’étaient pas ceux d’Helvétius, attaqua l’ouvrage de celui-ci, mais discontinua son entreprise en apprenant que l’auteur était poursuivi. Il existe un exemplaire de l’Esprit que Rousseau, pendant son séjour en Angleterre, vendit à Dutens, avec toute sa bibliothèque, et sur les marges duquel sont des notes écrites de sa main. À la maxime dont on a si cruellement abusé: " Tout devient légitime, et même vertueux, pour le salut public; " il répond: " Le salut public n’est rien, si tous les particuliers ne sont en sûreté. " Quand tout fut pacifié, il eut occasion de s’expliquer sur les sujets traités par Helvétius, et il le fit sans nommer le livre ni l’auteur. Il combattit ses subtilités contre le pouvoir de l’organisation (Nouvelle Héloïse, 5° partie, lettre 3) ; et ce fut à lui qu’il adressa (Émile, liv.4) ce reproche honorable : « Tu veux en vain t’avilir: ton génie dépose contre tes principes, ton cœur bienfaisant dément ta doctrine, et l’abus même de tes facultés prouve leur excellence, en dépit de toi. » Si les rétractations d’Helvétius l’humilièrent, il se consola par le bruit que faisait son livre. Les étrangers les plus éminents par leurs dignités ou par leurs lumières désiraient d’être introduits chez un philosophe dont le nom retentissait dans toute l’Europe. Pendant les quatre mois d’hiver qu’il passait à Paris, sa maison était, un jour de semaine, leur rendez-vous habituel. Ce fut vraisemblablement pour mieux jouir de toute sa célébrité, qu’en 1764 il visita l’Angleterre, où le roi l’accueillit avec distinction. L’année suivante, sur les instances de Frédéric II, il partit pour la Prusse. Le monarque le logea dans son palais, et l’admit à sa table. Il aimait la personne d’Helvétius, estimait son admirable caractère; mais son ouvrage ne le persuadait pas[6]. Une réception flatteuse l’attendait également chez plusieurs princes d’Allemagne, surtout à Gotha. Telle était l’aveugle sécurité des souverains; ils répandaient les grâces sur ceux dont les écrits préparaient le renversement des trônes. A son retour de ces deux voyages, Helvétius reprit son genre de vie ordinaire. Il employait ses matinées à méditer et à écrire : le reste du jour, il cherchait un délassement. Sa complexion vigoureuse semblait être le présage d’une longue carrière, lorsqu’il mourut à Paris, d’une goutte remontée, le 26 décembre 1771, à l’âge de 56 ans. Il laissa dans la douleur sa veuve, dont nous parlerons, et deux filles, qui se marièrent, l’ainée à M. le comte de Meun; la plus jeune à M. le comte d’Andlau. Aussitôt après cette mort, le marquis de Chastellux publia l’Éloge de monsieur Helvétius, sans date, sans nom d’auteur, d’imprimeur ni de lieu, in-8o de 28 pages, d’un style obscur et diffus, où l’on n’apprend presque rien sur celui qui en est l’objet. Le Bonheur, poëme en six chants, Londres, 1 vol. in-8o, parut en 1772. Cet ouvrage posthume et non achevé n’offre que de faibles lueurs d’inspiration. La fiction en est commune ou plutôt nulle, la marche uniforme et traînante: les vers sont une prose sans couleur, péniblement assujettie à la rime ; il en est pourtant quelques-uns de gracieux, et d’autres remarquables par la pensée et par une précision didactique. Le poëte, fidèle au système qu’il s’est créé, déclame contre tous les cultes, et place le bonheur dans un siècle de lumière, où l’on verra se lier l’intérêt de chacun à l’intérêt de tous. Quelques mois avant sa mort, Helvétius retoucha ce poëme, qu’il avait abandonné depuis vingt-cinq ans. On l’a réimprimé longtemps après, avec des additions et de nombreuses corrections, qui l’ont rendu moins imparfait, mais non plus attachant : la versification en est moins sèche ; il y a plus de liaison : le quatrième et le cinquième chants, qui étaient deux épîtres sur les arts et sur le plaisir, en sont retranchés ; et ces épîtres reparaissent sous leur véritable forme : il est douteux que ces corrections soient de l’auteur lui-même. En tête de ce poëme du Bonheur, on a, sur la vie et les ouvrages d’Helvétius, un Essai de cent vingt pages, que les différents éditeurs ont inséré dans les œuvres de cet écrivain. Par un artifice employé fréquemment, on assurait l’avoir trouvé dans les papiers de Duclos. On ne saurait lire avec trop de défiance ce morceau méthodique et très-spécieux, dont le but était de rabaisser nos institutions, et dans lequel on avance des faits évidemment supposés. Par exemple, on affirme que lors du soulèvement général excité contre l’auteur de l'Esprit, un cardinal lui demandait : « On ne conçoit point à Rome la sottise et la méchanceté des prêtres français. » Grimm a l’inconséquence de présenter comme un modèle de sagesse ce long plaidoyer en faveur des opinions d’Helvétius, après avoir dit « qu’en écoutant raisonner ce philosophe, on pouvait être souvent tenté de le prendre pour un homme ivre qui parle au hasard.» Saint-Lambert s’est déclaré l’auteur de cette vie d’Helvétius, qu’il a placée dans ses OEuvres philosophiques, « comme un hommage rendu à l’amitié et au mérite.» Quoique le chantre des Saisons ait assisté aux désastres de la révolution, il n’a fait, dans cet Essai, aucun changement essentiel aux principes qu’il professait trente années auparavant. Il s’est contenté d’y supprimer quelques traits contre les grands, et de modifier les éloges donnés à la verve de son ami. Les ruines qui l’entouraient, obtiennent de lui néanmoins cet aveu, consigné dans une note: « Il y a des préjugés, même religieux nécessaires à la conservation des empires.» En 1772, on vit paraitre un autre ouvrage posthume d’Helvétius, ayant pour titre: De l’homme, de ses facultés intellectuelles et de son éducation, 2 vol. in-8o; production indigeste, partagée en dix sections, et qui est un commentaire de l' Esprit: mais on y trouve un style plus convenable au sujet. L’auteur s’attache particulièrement à démontrer l’égalité des esprits, et la toute-puissance de l’éducation: à cet égard, il invoque avec peu de bonne foi l’autorité du judicieux Quintilien. Dans tout le cours du livre, il ne garde aucune mesure; il se permet, contre la religion et contre l’État, les plus violents outrages. « Nulle crise salutaire, dit-il en parlant de la France, ne lui rendra la liberté; c’est par la consomption qu’elle périra: la conquête est le seul remède à ses malheurs » (Préface). Frédéric s’était longtemps amusé des combats livrés à l’Église. La guerre que l’on déclarait aux rois ne lui parut pas aussi divertissante, et son zèle pour les nouvelles maximes s’était refroidi sensiblement, même avant la publication de l’ouvrage De l’Homme. Aussi, malgré les éloges réitérés qu’il y reçoit, en parle-t-il avec dédain. Il n’y voit "que des paradoxes et des folies complètes, à la tête desquelles il faut placer la république française. Et cela s’appelle des philosophes, écrit-il à d’Alembert ? Oui, dans le goût de ceux que Lucien a persiflés » (Lettre du 7 janvier 1774). Le livre de l'Homme fut dédié à l’impératrice de Russie Catherine ll, par l’auteur d’une seconde édition (le prince Galitzin), Londres (la Haye), 1773. Le vrai sens du Système de la nature, ouvrage posthume de M. Helvétius, Londres, 1774, in-8o de 96 pages, passe pour être un écrit pseudonyme. Nous ne disputerons point à Helvétius des qualités personnelles, attestées par tous ceux qui l’ont connu particulièrement. Nous n’attribuerons point ses bienfaits aux calculs de l’ostentation: mais les actes d’une libéralité facile au sein de l’opulence expient-ils des systèmes où l’on pervertit ses semblables ? L’homme bienfaisant passe, et l’écrivain dangereux reste. Comment concilier un cœur droit et bon avec une persévérance obstinée à propager les théories corruptrices qui ont accéléré la décadence des peuples de l’antiquité ? C’est par la soif de la célébrité qu’il nous semble possible de résoudre un tel problème. Quand les vérités sont épuisées, quand elles ont reçu tout leur éclat des mains du génie, on s’éloigne des routes battues, afin de se faire distinguer, et l’on tombe dans des écarts inconcevables. D’ailleurs Helvétius, sans être un auteur de premier ordre, traite avec tant de logique certaines questions, il annonce tant de sagacité dans certains rapprochements, qu’il est difficile de le croire convaincu des sophismes qu’il tache d’accréditer sur d’autres points, en se mettant à une espèce de torture. On voudrait se persuader, pour l’honneur de sa mémoire, qu’il n’a fait un si grand nombre de tours de force qu’afin de déployer à tous les yeux la souplesse de son talent, sans prévoir les déplorables conséquences de sa témérité. Marmontel, qui avait vécu dans un commerce intime avec lui, raconte qu’il arrivait dans le cercle de madame Geoffrin, la tête encore fumante de son travail de la matinée, qu’il jetait sur le tapis les dificultés dont il était en peine; mais que, dans les moments où il n’était pas préoccupé de son ambition littéraire, il se laissait aller au courant des entretiens, et qu’alors il se montrait naïvement sincère. Marmontel ajoute que rien ne ressemble moins au caractère ingénu d’Helvétius que la singularité préméditée et factice de ses écrits (Mémoires, livre 6). On a souvent réimprimé les œuvres d’Helvétius. Les éditions les plus complètes ont paru en 1795 ; l’une chez Servière, 8 vol. in-8o; l’autre chez P. Didot, 14 vol. in-18. Les passages cartonnés du livre de l’Esprit y sont restitués. L’édition de Servière comprend les Progrès de la raison dans la recherche du vrai, morceau de 130 pages, inséré pour la première fois dans une édition de Londres, 1777, 2 vol. in-4o, et qui n’appartient pas à Helvétius, puisque le légataire de ses papiers, l’abbé Lefebvre de la Roche, lui a refusé place dans celle de Didot, à laquelle il a présidé. Cette dernière édition est augmentée de cent soixante Pensées et réflexions détachées, extraites des manuscrits de l’auteur, à la réputation duquel elles n’ajoutent rien. Vraisemblablement elles faisaient partie des matériaux de l’Esprit et de l’Homme ; ouvrages où la plupart de ces pensées se retrouvent en substance. Lefebvre de la Roche a donné, de plus, deux nouvelles lettres, qu’Helvétius lui avait adressées sur la constitution d’Angleterre, et sur l’instruction du peuple. Enfin, il prétend que la première édition de l’Homme a été faite, on ne sait comment, en Hollande (1772), sur une copie envoyée, en 1767, à un savant de Nuremberg, qui devait traduire ce livre et le faire paraître d’abord en allemand, afin d’éviter les persécutions de l’ancien despotisme. Il affirme que, depuis l’envoi de cette copie en Allemagne, l’auteur avait corrigé et perfectionné son travail ; que beaucoup de notes en ont été retranchées ou fondues dans le texte ; que des chapitres entiers ont été refaits ou supprimés. C’est avec ces changements qui n’ont pourtant pas. toute l’importance annoncée par l’éditeur, que Didot a imprimé le livre de l’Homme. Comment la première édition de cet ouvrage a-t-elle pu se faire sur une copie envoyée, en 1767, à Nuremberg ? L’auteur, dans sa préface, parle d’événements arrivés au commencement de 1771. Une correspondance plus ou moins étendue se trouve dans presque toutes les éditions des œuvres d’Helvétius. Elle se compose en très-grande partie de lettres de Voltaire, dont plusieurs sont pleines d’excellents conseils sur l’art des vers. On doit à François de Neufchâteau la connaissance d’une Épître sur l’orgueil et la paresse de l’esprit, dont Helvétius a soumis à l’auteur de la Henriade jusqu’à trois leçons successives (Le Conservateur, t. 2). Cette épître fut abandonnée ; mais les meilleurs vers et les détails principaux en ont depuis été placés dans le poëme du Bonheur. Le Magasin encyclopédique a publié (1814) une autre Epître sur l’amour de l’étude, à madame Duchastelet, par un élève de Voltaire, avec des notes du maître ; et l’on annonce qu’on en ignore l’auteur. Cette ébauche informe d’une muse encore novice est certainement d’Helvétius. Il en est question dans trois ou quatre lettres de Voltaire, surtout dans la première du recueil. « Plutus, écrit-il, ne doit être que le valet de chambre d’Apollon ; le tarif est bientôt connu ; mais une épître en vers est un terrible ouvrage : je défié vos quarante fermiers généraux de la faire. Madame Duchastelet vous remercie ; allons, qu’uh ouvrage qui lui est adressé soit digne de vous et d’elle. » (Cirey, 4 décembre 1738.) L’original de cette pièce est déposé à la bibliothèque de Paris. Les vers sont écrits, de la main d’Helvétius, sur le recto des pages ; et le verso est couvert de remarques, où l’on reconnaît l’écriture de Voltaire, et les traits saillants qui lui échappaient, même dans ce qu’il rédigeait à la hâte. Quoique ce dernier n’ait cessé de prodiguer des témoignages d’estime et d’amitié à son disciple, il ne lui pardonnait pas d’avoir dit : « M. de Crébillon exprimera ses idées avec une force, une chaleur, une énergie qui lui sont propres ; M. de Fontenelle les présentera avec un ordre, une netteté, un tour qui lui sont particuliers ; M. de Voltaire les rendra avec une imagination, une noblesse et une élégance continues » (de l’Esprit, discours 4, chapitre S). L’homme qui prétendait à l’universalité des talents, ne pouvait être flatté de ce parallèle ; et c’est probablement Ce qui lui faisait écrire à Marmontel, un mois après la mort d’Helvétius : « Je n’avais pas beaucoup à me louer de lui » (Lettre du 26 janvier 1772). On lit dans ses Questions sur l’Encyclopédie (article Quisquis), une critique superficielle du livre de l’Esprit. Didot a joint à l’Esprit des lois (édition de 1795), les notes qu’Helvétius avait écrites sur les marges de son exemplaire. L’auteur de l’Esprit ne devait pas applaudir à la circonspection de Montesquieu, dont le génie, mûri par l’expérience, a voulu plutôt justifier les idées reçues qu’en établir de nouvelles. Une tête systématique, accoutumée à chercher un principe unique là où il y en a plusieurs , ne pouvait guère admettre les balances compliquées des pouvoirs intermédiaires, et les combinaisons variées des divers gouvernements. En 1792, la municipalité de Paris donna le nom d’Helvétius à la rue Sainte-Anne, où il logeait, et qui a repris, en 1814, son ancien nom.

— Madame HELVÉTIUS, née en 1719 au château de Ligniville, en Lorraine, avait eu vingt et un frères ou sœurs. Après avoir perdu son mari, qu’elle aimait passionnément, et dont elle partageait les inclinations bienfaisantes, elle choisit le séjour d’Auteuil, où elle a toujours vécu. Turgot et Franklin voulurent l’épouser. Sa maison était un point de réunion pour les hommes les plus célèbres. Peu après son retour d’Egypte, Bonaparte vint pour ainsi dire y déposer les faisceaux consulaires. Se promenant dans son jardin avec l’ambitieux conquérant, madame Helvétius lui dit : « Vous ne savez pas combien on peut trouver de bon heur dans trois arpents de terre. » Elle est morte le 12 août 1800, au milieu d’amis qui demeuraient chez elle et qu’elle n’oublia pas dans son testament. Entre autres dispositions, elle laissa la jouissance de sa maison à Lefebvre de la Roche et à Cabanis. Le médecin Roussel (Notice sur madame Helvétius), la représente comme douée d’un beau naturel, qui n’empruntait rien à l’étude, et d’une bonté que ne dirigeait pas la réflexion. Obéissant aux impulsions subites de son âme, elle donnait sans mesure. Ses soins journaliers s’étendaient sur une foule d’animaux, chiens, chats, poules, serins, etc., etc. Un des Conseils à ma fille, par M. Bouilly, est intitulé Les oiseaux de madame Helvétius. ( Voy. CABANIS et CHAMPFORT.)

St-s—N.


  1. Avant Noverra, les danseurs de l’opéra étaient masqués.
  2. (1) Voyez les Mélanges de littérature publiés par Suard, t. 1, p.30
  3. (1) Chez un peuple qui met en couplets même les événements les plus sinistres, un livre pernicieux devait être l'objet d'une chanson. Celle-ci courut dans le temps :

    Admirez tous cet auteur-la,
    qui de l'Esprit intitula
    Un livre qui n'est que matière,
          Laire, lanlaire, etc.

    Le censeur qui l’examina,
    Par habitude imagina
    Que c'était une affaire étrangère
          Laire, lanlaire, etc.

  4. Suivant Grimm, on y reconnaît facilement à toutes les "belles page qui ne sont, qui ne peuvent être que de Diderot" (Correspondances, 3e partie, t. 4) Rien ne ressemble moins à la diction négligée, obscure, inégale, quelquefois éloquente et rapide de ce dernier, que la diction fleurie, nette, uniforme et même un peu languissante de l'auteur de l'Esprit; on aperçoit à peine, dans cet ouvrage, quelques morceaux où l’on pourrait retrouver la manière de Diderot.
  5. Un anonyme a publié une Nouvelle réfutation du livre de L’esprit , Clermont-Ferrand, 1817, in-8o.
  6. Lettres à d’Alembert, 24 mars 1765, et 26 janvier 1772.