Biographie universelle ancienne et moderne/2e éd., 1843/KANT (Emmanuel)

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Texte établi par Michaud, A. Thoisnier Desplaces (Tome 21p. 428-445).

KANT (Emmanuel), fondateur de l’école de philosophie qui a succédé à celle de Leibnitz, en Allemagne, naquit a Kœnigsberg, en Prusse, le 22 avril 1744, et mourut presque octogénaire dans la même ville, le 12 février 1804. S’il est vrai que la plupart des doctrines philosophiques qui font époque dans l’histoire de l’esprit humain portent l’empreinte du caractère et des habitudes de leurs auteurs jusque dans les principes abstraits sur lesquels elles reposent, il est heureux pour l’appréciation de la philosophie de Kant, que l’existence calme et uniforme du philosophe de Kœnigsberg ait été décrite avec plus de soin que la vie brillante et agitée d’un grand nombre des hommes les plus célèbres des temps modernes. MM. Hasse (1)[1], Borowski (2)[2], Wasianski (3)[3] et Jachmanu (4)[4], tous amis particuliers de Kant, ont publié sur la vie de leur collègue ou de leur maître des Mémoires écrits avec candeur et simplicité, et ils méritent plus de confiance que la compilation d’un anonyme (5)[5], et que les fragments d’une biographie de Kant, imprimés de son vivant et sous ses yeux (6)[6]. Sa famille était originaire d’Écosse, circonstance assez curieuse, si nous considérons que c’est aux écrits de David Hume que nous devons le système de Kant. Son père (sellier, estimé pour sa probité à toute épreuve) et sa mère, animée des sentiments de la piété la plus austère, fortifièrent en lui, par leur exemple et leur direction, cette croyance en la vertu que sa doctrine morale inspire au plus haut degré. Son père avait la fausseté en horreur ; sa mère, d’une sévérité inexorable envers elle-même, exigeait de ses enfants le même respect pour l’accomplissement de leurs devoirs ; et c’est à son ascendant que Kant attribuait cette rigidité inflexible de ses principes qui l’aida à trouver, par l’analyse des faits de conscience, la règle absolue du bien moral, et qui le porta à donner aux espérances religieuses de nouveaux appuis. « Jamais, disait-il, je n’ai vu ni entendu dans la maison paternelle rien qui ne fût d’accord avec l’honnêteté, la décence, la véracité. » L’heureuse influence qu’exercèrent des modèles aussi exemplaires sur ses principes et sur sa vie contribua sans doute puissamment à le pénétrer de la conviction que le seul moyen vraiment efficace de donner au sens moral tout son développement et toute son énergie serait d’entretenir l’homme constamment de la sainteté du devoir, de borner toute institution pratique au soin d’en inculquer sans relâche les maximes, et d’en offrir incessamment l’image et le précepte dans toute leur sévérité, sans en souiller la pureté, ni en affaiblir la force par l’alliage de vaines récompenses, ou d’une émulation corruptrice. Ce qui vient à l’appui de l’opinion de Kant sur l’efficacité de cette méthode, c’est l’aversion pour le mensonge, qui, de l’âme de son père, passa tout entière dans la sienne, et dont les traces se retrouvent dans les principes comme dans les détails de son système de morale. Tout se tient dans l’homme, et s’enchaîne par des liens secrets. Il n’est pas douteux que la disposition dont nous parlons ne soit à la fois la source et le soutien de l’amour de la vérité, et que Kant n’y ait puisé le double courage de sonder, dans toute son affreuse étendue, l’abîme creusé par le scepticisme de David Hume (1)[7] sous les fondements de tout savoir humain, et de ne pas désespérer de la possibilité de rétablir sur des bases plus solides l’édifice ébranlé. Mais reprenons Kant au moment où ses parents le livrent aux écoles savantes avec la volonté du bien et le sentiment de ses devoirs. Sa vie académique n’offre que le cours paisible d’études fortes, régulières et persévérantes, embrassant, sans prédilection apparente, toutes les branches de connaissances préparatoires qui donnent la clef des sciences d’application. Les langues, l’histoire, les sciences mathématiques et naturelles l’occupèrent successivement : il y porta cet instinct scrutateur et cette avidité de savoir qui, dans chaque district de ce grand domaine, ne laissent de repos à l’esprit que lorsqu’il a exploré toute la surface du terrain, lorsqu’il en a examiné le sol, sondé la profondeur, reconnu les limites de la portion cultivée, et déterminé ce qui reste encore à défricher. Condisciple de Ruhnkenius, dont il paraissait partager le goût pour la littérature ancienne, auditeur du mathématicien Martin Knutzen, du physicien Teske, du théologien Schultz, professeurs à l’université de Kœnigsberg, plus savants que célèbres, Kant remplit, par des études aussi variées que profondes, une des conditions essentielles de la tâche que lui imposait son génie, celle de ramener à un point central, à quelques principes fondamentaux, la masse des connaissances humaines, de les classer et coordonner, de les fondre et de les lier, pour en faciliter l’acquisition, la revue et l’emploi. Le moment qui appelait un autre Aristote, un architecte qui reconstruisit l’édifice des sciences sur un plus vaste plan, semblait erre arrivé. Aucun des systèmes métaphysiques qui partageaient les esprits méditatifs ne pouvait satisfaire ce besoin d’unité qui commande impérieusement à la raison humaine, et dont le philosophe qui nous occupe a montré l’intime connexion avec l’essence de cette faculté. L’anarchie qui régnait dans les écoles naguère dominantes donnait à ce besoin des forces nouvelles. Si la manière victorieuse dont Locke avait combattu les idées innées, si les succès éclatants qui avaient couronné les recherches des disciples de Newton et sanctionné la méthode expérimentale de Bacon avaient diminué progressivement le nombre des adhérents de la philosophie de Leibnitz, et jeté dans le discrédit toute métaphysique, tout système surtout qui part de principes à priori ; la doctrine de Locke devint à son tour l’objet d’une défiance toujours croissante, et enfin de la réprobation la plus décidée aux yeux des bons esprits et des cœurs honnêtes, lorsqu’on vit les écrivains qui la professaient en France trahir par leurs essais les plus heureux l’insuffisance de cette théorie pour le classement des connaissances humaines, et introduire dans les doctrines morales des principes de matérialisme et d’égoïsme qui dégradaient notre nature et que repoussait avec dédain la conscience du for intérieur, tandis que, dans la patrie même de Locke, les conséquences tirées de ses principes avec une justesse incontestable conduisaient Priestley au fatalisme, et David Hume à des opinions destructrices de toute certitude. Tel était l’état de la philosophie, lorsque Kant, par la vaste étendue de son plan d’études, se ménageait les moyens de se porter juge des controverses les plus abstruses, et médiateur entre les partis philosophiques. L’histoire de ses travaux est celle de sa vie ; son activité littéraire, qui offre à la Biographie les seuls événements qu’elle ait à consigner, embrasse plus d’un demi-siècle, et se partage en deux périodes distinctes. À la première, dans laquelle il préludait au rôle de fondateur d’une nouvelle école, appartiennent les ouvrages, non moins variés que nombreux, qu’il publia depuis 1746 jusqu’à 1781, où parut la Critique de la Raison pure, et par lesquels, légitimant, pour ainsi dire, sa mission de réformateur de la philosophie, et de créateur d’un nouveau système sur l’origine des connaissances humaines, il prépara les esprits méditatifs à recevoir avec déférence et à examiner avec une attention respectueuse sa nouvelle analyse des facultés de l’homme. La deuxième période de la carrière littéraire de Kant part de 1781, et comprend les écrits où il a exposé, développé, défendu les diverses parties de sa doctrine, et ne finit que peu de temps avant sa mort. Afin de ménager l’espace, nous réserverons, pour la revue des principaux ouvrages de Kant, celle des écrits qui ont été imprimés dans la première moitié de sa carrière littéraire ; et nous nous attacherons principalement ici à ce qui peut servir soit à expliquer la génération de son système, soit à en faire concevoir une idée générale. Quelques renseignements, fournis par lui-même (1)[8], et rapprochés de ceux de ses traités de métaphysique qui se rapportent à la première époque, surtout d’une Dissertation latine qui remonte à l’an 1770, et qui contient déjà comme l’embryon de toute sa doctrine, seront nos guides pour essayer de retracer la progression d’idées qui le conduisit à la pensée fondamentale de sa théorie. Apportant à ses méditations sur les problèmes de la haute métaphysique, et à la révision des essais tentés jusqu’à lui pour en obtenir la solution complète, la détermination de tout examiner sans prévention et avec le seul désir de ne se rendre qu’à l’évidence ; décidé surtout à ne rien adopter uniquement sur l’autorité d’autrui, il fut, sans doute, dans cette tâche difficile, soutenu par la confiance en ses ressources, et par la certitude qu’il saurait au besoin se frayer des routes nouvelles et trouver de nouveaux appuis pour les vieux et indestructibles intérêts de l’homme, si les anciennes bases venaient à lui paraître mal assurées. Mais n’aurait-il pas trop présumé de ses forces ? N’aurait-il pas payé lui-même, et peut-être fait payer trop cher à plus d’une génération, sa noble croyance en la raison humaine, et surtout sa foi en la suffisance de la sienne ? De tous les reproches qu’il serait possible d’adresser au philosophe de Kœnigsberg, celui d’avoir été poussé à reconstruire la métaphysique par amour de la nouveauté ou par l’ambition de briller comme chef de secte, serait le plus injuste et le mieux démenti par les faits. Épuiser l’examen de toutes les tentatives antécédentes, avant de s’en permettre une nouvelle ; rendre à chacun de ses devanciers entière justice, en lui assignant la part de reconnaissance qui lui revient pour ses travaux ; mettre en pleine évidence celles des faces de la vérité dont on doit à chacun la découverte ; mûrir pendant toute une vie des idées dont l’originalité, à elle seule, place celui qui les conçut parmi l’élite des penseurs les plus profonds ; négliger, en les mettant enfin au jour, tous les moyens qui auraient pu leur donner de l’attrait, n’est certes pas le rôle d’un novateur téméraire, et encore moins celui d’un charlatan ou d’un ambitieux. Ce qui, de très-bonne heure, frappa singulièrement Kant, c’est le contraste extrême de la forme rigoureusement scientifique, sous laquelle, dès l’enfance pour ainsi dire des essais de la raison spéculative, la logique était sortie des mains d’Aristote, comparée à l’allure vacillante et incertaine que toutes les autres doctrines philosophiques n’ont cessé de présenter dans leurs principes, leur méthode et leurs résultats à toutes les époques de leur histoire. Pourquoi cette seule section de la théorie de l’intelligence prit-elle, presque dès l’origine, une marche tellement ferme et assurée qu’elle ne peut être comparée qu’à celle de la géométrie depuis Euclide ? Les formes auxquelles est soumise l’activité de notre intelligence, lorsque nous considérons abstraitement la suite de ses actes, dans la formation d’un jugement ou d’un syllogisme, dégagé de son objet d’application, formes dont aucun homme sensé ne révoqua en doute l’existence ni la suprématie dans tout le domaine de la pensée humaine, depuis qu’Aristote eut montré qu’elles règlent invariablement le jeu des opérations de l’esprit par lequel est engendré une proposition ou un raisonnement, ces formes ne seraient-elles pas, envisagées sous un autre aspect, les lois mêmes que nous croyons tirées de l’observation de la nature, tandis que c’est nous qui les lui imposons et qu’elle est, dans sa partie phénoménale, notre propre ouvrage par leur intermédiaire ? Ces lois de l’entendement ne seraient-elles pas tout simplement l’ordre prescrit aux procédés qui s’exécutent dans l’atelier où se construit, où s’élabore le savoir humain ? Ne seraient-elles pas comme le ciment qui lie nos perceptions en un corps d’expérience ? En d’autres termes, ne pourrait-on y voir les moyens donnés à l’entendement pour s’emparer des impressions, pour en prendre une espèce de possession intellectuelle, pour les revêtir du caractère sans lequel elles resteraient des modifications aussi stériles que passagères, sans lequel elles ne nous appartiendraient pas, qui seul enfin les élève à la dignité de conceptions, de notions, de connaissances réelles et utiles ? Cette conjecture tendait à la fois à créer une véritable ontologie avec des matériaux fournis par la logique et à rayer la métaphysique du nombre des sciences, ou du moins à reléguer dans la région des chimères celle qui avait jusqu’ici été qualifiée de ce nom. Quoique, en relisant les premiers ouvrages de Kant, nous en trouvions la trace et comme le reflet dans plus d’un de ces écrits ; il est néanmoins hors de doute que l’hypothèse d’une identité radicale des principes d’où le logicien dérive ses préceptes avec les lois primordiales que l’ontologie s’arroge le droit de prescrire à l’ensemble des êtres qui sont soumis à nos perceptions ne se présenta originairement à l’esprit de Kant que sous la forme d’un rapprochement plausible, d’une supposition digne de quelque attention, mais nullement dans toute son importance et dans son immense portée. Ce fut à la lueur funèbre du flambeau de Hume qu’il aperçut tout à coup l’une et l’autre ; ce fut la théorie du philosophe d’Édimbourg sur la naissance des notions de cause et d’effet qui féconda cette idée de Kant, en la lui montrant, dans son développement, à la fois comme l’unique contre-poids d’un scepticisme destructeur de toute certitude humaine, de toute liaison entre nos perceptions, de toute confiance dans les résultats des opérations de nos pouvoirs intellectuels, et comme le seul moyen de concilier ce que les systèmes de Locke et de Leibnitz offraient de bon à conserver pour la solution des plus grands problèmes de la métaphysique. Une réformation de la philosophie était désirée par les âmes droites et généreuses, autant que par les esprits réfléchis et méditatifs. Si, d’un côté, les doctrines désolantes ou dégradantes de Hume et d’Helvétius avaient révélé l’inévitable tendance de la doctrine de Locke, lorsque son défenseur est assez pénétrant pour voir, assez courageux pour s’avouer toutes les conséquences de ses prémisses, de l’autre côté les efforts d’hommes tels que Baumgarten, Lambert et Mendelssohn, avaient prouvé l’impossibilité d’adapter la théorie de Leibnitz aux nouveaux besoins de l’existence intellectuelle et morale de l’Europe éclairée. Le rédacteur de cet article, en tentant la vaine entreprise de resserrer dans quelques pages un des plus vastes tableaux qu’offre l’histoire de l’esprit humain, ne saurait qu’effleurer une foule d’objets, sans aucune instruction pour le lecteur ; il doit, plus fructueusement, se borner à éclaircir le point capital, la génération du principe fondamental du criticisme. Pour la faire concevoir, nous ne pouvons nous dispenser de retracer les raisonnements sceptiques de Hume sur la relation de cause et d’effet, ou le principe de causalité, tels qu’il les a présentés dans les 4e, 5e et 7e sections de ses Recherches sur l’entendement humain. Ce sont eux qui interrompirent le sommeil dogmatique de Kant, suivant ses propres expressions (1)[9]. Comme c’est ici le point cardinal auquel tout se rattache dans les vues originales du philosophe de Kœnigsberg, le lecteur qui ne consultera pas cet article uniquement pour y puiser quelques renseignements biographiques ou littéraires, mais pour se former une idée nette des motifs de la réforme métaphysique de Kant, et des véritables fondements de sa doctrine, nous saura gré de l’étendue que nous allons donner à l’exposé des réflexions pour ainsi dire génératrices de son système. En voici la substance : « Que deux événements se suivent, ou, en d’autres termes, que la perception de l’autre dans la conscience du moi ; figurons-nous que le second n’aurait pas existé si le premier ne l’eût précédé, et nous voilà saisis de la notion de cause : d’où nous vient-elle ? Nous a-t-elle été donnée avec la perception même de ces événements. Locke et tous les adhérents de son analyse de nos facultés, en répondant à cette question affirmativement, ne s’étaient, jusqu’à Hume, jamais doutés que leur opinion tendit à détruire la rectitude de l’axiome qu’il n’y a point d’événement sans cause, à lui enlever ses caractères de nécessité et d’universalité, et à ébranler, dans leurs fondements, toutes les connaissances humaines qui reposent sur son application. Hume distingue entre connexité nécessaire et liaison ou plutôt jonction naturelle ; il nie qu’il nous soit possible de trouver une véritable connexion entre la cause et l’effet. « L’effet, dit-il, nous le reconnaissons pour être un événement distinct de l’événement réputé cause, dans lequel nous n’apercevons le germe du premier en aucune façon : nous voyons uniquement la suite des événements censés cause et effet (par exemple, une bille mise en mouvement après avoir été frappée par une autre bille ; un bras levé à la suite d’une détermination de la volonté) ; leur connexion n’est pas et ne peut être du domaine de la perception. Si donc, avant et indépendamment de l’expérience, la notion de ce qui est cause ne renferme nullement la notion du produit, il est évident que nous ne pourrons déduire la notion de causalité que de l’expérience, qui ne peut motiver que l’attente d’une succession probable de deux événements, mais non la supposition d’une connexité nécessaire, c’est-à-dire d’une liaison telle qu’il serait contradictoire d’admettre le contraire (1)[10]. » Reid (2)[11], un des adversaires les plus zélés et les plus habiles des théories de Hume, convient avec franchise de la vérité de cette observation.

« L’expérience, dit-il, ne nous donne
« aucune information de ce qui est nécessaire ou
« de ce qui doit exister. Nous apprenons par l’ex-
« périenee ce qui est ou a été, et nous en con-
« cluons avec plus ou moins de probabilité ce qui
« sera dans des circonstances semblables (par
« exemple, nous croirons que les astres se lève
« ront demain à l’orient, et se coucheront à l’oc-
« cident, comme ils ont fait depuis le commence
« ment du monde) ; mais, sur ce qui doit exister
« nécessairement, l’expérience se tait absolument
« (il n’y a pas un homme qui se croie sûr de l’im-
« possibilité que le lever du soleil eût pu avoir
« lieu à l’occident, et que le créateur eût pu faire
« faire à notre globe sa révolution de l’est à
« l’ouest). Pareillement, lors même que l’expé
« rience nous eût constamment appris que chacun
« des changements observés par nous a été le
« produit d’une cause, cela nous porterait raison
« noblement à croire qu’il en sera de même à l’a-
« venir, mais ne nous donnerait nullement le droit
« d’affirmer qu’il en doit être ainsi, et qu’il n’en
« peut être autrement. »

Concession importante, décisive pour le sort de la doctrine de Locke ! Toutefois, ni Reid, ni aucun des philosophes qui combattirent Hume, ne virent la portée des concessions que le sceptique leur avait arrachées, et l’impossibilité de repousser son attaque, en s’arrêtant aux points où les écoles de Locke et de Leibnitz se trouvaient placées. De quel droit affirmons-nous qu’il ne peut arriver de changement qui n’ait sa cause ? Si nous nous bornions à soutenir que tous les changements qui se sont présentés à notre observation, tant ceux qui sont attribués par le sentiment à un acte de notre volonté, que ceux qui se sont passés sous nos yeux en dehors de nous, ont eu sans exception leur cause efficiente, notre assertion pourrait se justifier par notre expérience ou par celle d’autrui. Proclamons la persuasion intime où nous sommes qu’aucun fait ne viendra contredire cette expérience, personne assurément ne condamnera une attente aussi raisonnable. Mais cette attente est-elle uniquement le fruit d’une induction fondée sur l’expérience ? Kant soutient que non. L’induction, dit-il (et c’est ici la considération génératrice de son système), l’induction, quelque vertu généralisante qu’on lui suppose, l’induction, quelque large que soit la base qu’on lui assigne, quelque nombreuses que soient les données fournies à son appui par l’activité efficace du moi ou par la perception externe, l’induction ne saurait fonder l’attente qu’il s’agit de justifier au tribunal de la raison, ni produire le sentiment de conviction inébranlable avec lequel nous nous livrons à cette attente, sans pouvoir nous imaginer la possibilité qu’elle soit jamais trompée. Si ce sentiment est un fait de conscience ; s’il se manifeste dans la première enfance avec la force et la ténacité d’une vieille habitude ; si, en énonçant cette proposition, Tout ce qui arriva suppose nécessairement une cause efficiente, nous avons la certitude de sa vérité dans tous les cas qui ont pu se présenter avant notre naissance ou qui se présenteront dans la suite des siècles, il faut que le philosophe nous montre comment nous avons acquis cette certitude. Qu’il l’admette comme un fait primitif, en renonçant à sa démonstration, ainsi qu’en agit l’école écossaise, cela se conçoit ; au moins ne donnera-t-il pas un démenti au for intérieur : il n’en résultera qu’une lacune dans son analyse des facultés humaines ; on dira qu’elle manque de profondeur, et ne satisfait pas aux conditions qu’elle avait à remplir. Mais, si l’auteur de cette analyse, en se vantant de fournir les moyens de rendre compte du fait qui nous occupe, loin de l’expliquer, non-seulement le rend impossible à concevoir, mais propose une solution qui est en opposition directe avec quelques-uns des principaux éléments du problème, comme il est arrivé à Hume, qui, après adopté et développé les principes de Locke, s’en est servi pour dénaturer autant qu’invalider celui de la raison suffisante, mal justifié par Leibnits il est vrai, mais au moins laissé par lui dans son intégrité, et tel qu’il s’annonce au sentiment intérieur ; en reniant ainsi un fait de conscience, il est évident que l’auteur de l’hypothèse explicative aura prononcé la condamnation de sa doctrine. La relation de cause et d’effet, dit Hume, n’existe nullement dans les choses et les événements que nous observons ; cette relation ne nous est nullement donnée par l’expérience : dans deux événements qui se suivent, il n’y a absolument rien qui dans l’un puisse s’appeler cause, et dans l’autre effet. De cette remarque aussi juste que fine, le philosophe écossais tire la conclusion tout aussi juste que cette

liaison de causalité que nous établissons entre les choses est une opération de notre esprit, et procède uniquement de nous. Jusqu’ici, Hume, de concert avec Kant, marche appuyé sur des observations et des raisonnements incontestables. Voici le point de séparation. Voulant expliquer d’où provenait cette opération de notre esprit, qui établit la loi de causalité entre les événements et les choses, au lieu de chercher le principe de cette opération dans la nature méme de notre esprit (ce qui l’aurait conduit sur le chemin de Kant), il crut le trouver dans l’activité de notre imagination, qui met en connexion réelle et nécessaire ce que nous avons constamment vu joint ensemble, et dans l’habitude, née de cette association répétée, de placer les événements qui se succèdent dans la relation de dépendance mutuelle, ou de cause et d’effet. L’insuffisance de cette solution ne put, échapper à Kant. Comment rapporter à la même origine les propositions qui, dès qu’elles se montrent à l’esprit, le frappent d’une manière irrésistible, et celles que nous n’adoptons, sur la foi de l’expérience, que provisoirement, et avec la réserve expresse que nous les abandonnerons aussitôt qu’une expérience contraire les aura démenties ? L’esprit repousse toute idée de possibilité qu’une exception puisse un jour, ou quelque part, poser des limites à l’application universelle de ces propositions (par exemple de toutes les vérités géométriques), tandis que les propositions qui reposent sur l’expérience, fût-elle répétée des millions de fois, n’ont jamais qu’une certitude hypothétique et conditionnelle, soumise aux chances d’expériences futures, qui pourraient les renverser (par exemple, en affirmant que tout être organisé doit mourir, que tout bois est combustible, on ne prétend nullement soutenir qu’il répugne à la raison de penser qu’on puisse un jour découvrir un étre organisé, échappant à la mort par un rajeunissement périodique, ou une espèce de plante que le feu laisserait intacte, comme on a trouvé des minéraux combustibles : mais on prétend simplement énoncer le résultat des observations faites jusqu’ici, et la croyance bien motivée qu’aucune expérience ne viendra le contredire). Kant ne tarda donc pas à reconnaître que les raisons alléguées par Hume contre la réalité objective (c’est-à-dire existante réellement dans les objets) du principe de la causalité s’appliquaient à une foule d’autres jugements que nous portons sur les choses, et que nous adoptons avec une entière certitude, sans que les éléments dont ils se composent puissent se retrouver dans ces mêmes choses. Telles sont toutes les propositions des mathématiques pures ; celles qui servent de fondement à la physique générale, à l’ontologie, à la logique ; en un mot, toutes celles qui, portant un caractère d’universalité et de nécessité absolues, ne peuvent provenir des impressions faites par les objets. Hume ne voyait dans l’expérience qu’un assemblage de perceptions isolées, réunies en groupés par l’imagination et la mémoire. Kant, démêlant, dans l’expérience, des éléments de nature et d’origine diverses, se garda bien de traiter comme choses contraires ou hétérogènes l’expérience et l’entendement, ainsi que Hume avait fait ; mais considérant l’entendement et les perceptions comme choses opposées, il reconnut que c’était de leur concours, sous l’influence médiatrice de l’indéfinissable sentiment du moi, que naissait l’expérience ; que l’entendement en était l’ouvrier, que les intuitions lui fournissaient les matériaux, et que les instruments ainsi que les lois d’arrangement ou les règles de construction étaient identiques avec les modes d’opération auxquels nos facultés intellectuelles étaient assujetties dans leur exercice. On comprendra maintenant pourquoi, dans son principal ouvrage, Kant a exprimé le grand problème qu’il s’était proposé de résoudre, en ces termes si souvent accusés d’obscurité : Comment sont possibles des jugements synthétiques a priori ? Synthèse dit composition. Un jugement synthétique sera donc celui dont les termes, ne se renfermant pas mutuellement, n’ont pu être tirés l’un de l’autre par l’analyse. Nous avons vu qu’il existe, selon Kant, des propositions par lesquelles nous attribuons aux choses extérieures certaines manières d’être dont l’idée ne nous est pas donnée avec ou par l’impression de ces objets sur la sensibilité (appelée réceptivité par l’école de Kant). Eu conséquence nous ajoutons à cette impression qui nous vient du dehors des formes et des conceptions que nous tirons de notre propre fonds, et qui sortent du sein de notre être intellectuel. Ainsi dans cette proposition : Tout ce qui arrive doit avoir une cause et produire un effet, épuisons sur l’idée du sujet (le fait, l’événeméut donné, ce qui arrive) les ressources de la plus profonde analyse ; nous aurons beau creuser, nous ne trouverons point dans l’idée de quelque chose qui arrive l’idée de quelque autre chose qui a dû nécessairement précéder, ni d’une autre chose qui devra suivre nécessairement. Il y a donc addition faite à l’idée du sujet. Mais l’attribut, élément additionnel qui ajoute à l’autre terme de la proposition une qualité qui n’y était pas, nous a-t-il été fourni par l’expérience ? Nullement, si les raisonnements de Kant ont de la justesse. Pareillement dans les propositions suivantes :

« La ligne droite est le
« plus court chemin d’un point à l’autre ; Dieu
« existe ; le monde est fini ; l’âme est immortelle ;
« tout est lié dans la nature ; tous les accidents
« que nous apercevons et qui peuvent changer
« doivent être les attributs d’une chose qui les
« supporte, et qui ne change pas, c’est-à-dire
« d’une substance ; »

il y a amalgame (synthèse) d’un sujet avec un attribut qui n’a été tiré ni de l’idée du sujet, ni de l’expérience ; et les jugements dérivés de cette combinaison sont des jugements a priori, c’est-à-dire des jugements indépendants de l’expérience, des jugements dans lesquels entrent, comme éléments, des actes de

facultés antérieures à toute expérience, et nécessaires à sa formation. Qu’on se représente un miroir doué d’apperception, ou sachant que les objets extérieurs se mirent en lui ; qu’on le suppose réfléchissant sur les phénomènes qu’il offre au spectateur et qu’il s’offre à lui-même. S’il parvenait à découvrir les propriétés qui le rendent susceptible de produire ces phénomènes, il se trouverait en possession de deux genres de représentations tout à fait distinctes : il aurait connaissance des images qu’il réfléchit et des qualités qu’il a dû posséder antérieurement à toute production d’images. Les premiers seraient ses connaissances a posteriori. tandis qu’en se disant à lui-même : Ma surface est plane, elle est polie, je suis impénétrable aux rayons de la lumière, il se montrerait pourvu de notions a priori, puisque ces propriétés qu’il reconnaîtrait être inhérentes à sa structure sont plus anciennes que toute image renvoyée par sa surface, et sont les conditions auxquelles est attachée cette faculté de former des images dont il se saurait doué. Poussons plus loin cette fiction bizarre. Imaginons-nous encore que notre miroir se représentât les objets extérieurs comme entièrement dépourvus de profondeur, tous placés sur le même plan, se traversant mutuellement comme leurs images se croisent sur sa superficie, etc., nous aurions un exemple de réalité objective attribuée à des modifications purement subjectives ; et si enfin nous pouvions nous le figurer analysant et combinant de diverses manières ces propriétés dont il s’est reconnu revêtu, mais dont il devait se borner à constater l’existence et approfondir l’usage, tirant de ces combinaisons des conclusions relatives à l’organisation, au but, à l’origine des objets qui se peignent sur sa surface, fondant peut-être des systèmes tout entiers sur les conjectures que lui suggérerait l’analyse des propriétés de sa structure, et qu’il croirait pouvoir appliquer à un emploi absolument étranger à la nature et aux fins de ces propriétés ; nous aurions une idée grossière, mais assez analogique, des motifs et de la tendance des reproches que le fondateur de la philosophie critique adresse à la raison humaine, lorsque, méconnaissant la véritable destination de ses lois et de celles des autres facultés intellectuelles, destination qui est limitée à l’acquisition et au perfectionnement de l’expérience, elle fait servir ces lois à l’investigation d’objets placés hors du domaine de l’expérience, et s’attribue le droit d’affirmer leur existence, de reconnaître leurs qualités, et de déterminer leurs rapports avec l’homme. Nous espérons avoir fait concevoir nettement comment le philosophe de Kœnigsberg, en généralisant les objections que Hume avait dirigées uniquement contre l’autorité légitime de la loi de causalité, et en les étendant à toutes ces propositions universelles sans lesquelles nos perceptions ne pourraient s’organiser en corps d’expérience, et qui sont le fondement de notre savoir, dut se demander à lui-même ; Est-il possible de prouver la vérité des jugements synthétiques a priori ? On a pu voir comment, en cherchant la solution de ce problème, il se trouva conduit à examiner toutes les bases de nos connaissances, et à sonder les profondeurs de l’être intellectuel. Le premier pas que fit Kant dans une carrière toute nouvelle pour l’esprit humain le porta à un point de vue qui lui montra les propositions universelles et absolues sous un nouveau jour. Ne provenant pas de l’objet observé, n’émaneraient-elles pas du sujet observateur ? Frappé de l’harmonie, de la rigueur, de l’autorité suprême et inaltérable de ces lois qui régissent les opérations de l’esprit, et dont le code est sorti des mains d’Aristote, si admirablement rédigé que les siècles postérieurs n’ont fait que gâter son travail lorsqu’ils ont prétendu l’enrichir et le perfectionner, il conçut cette grande pensée : le mode d’activité auquel l’entendement est astreint quand il forme des notions de genre et d’espèce, des jugements et des syllogismes catégoriques, hypothétiques, disjonctifs, etc., est peut-être la source même de l’influence ordonnatrice que nous exerçons sur les impressions faites par les objets extérieurs ; les lois en vertu desquelles les différents jugements développés dans les traités de logique s’exécutent sont les lois mêmes d’après lesquelles l’esprit s’empare des objets individuels par l’intuition, en prend connaissance et en lie les perceptions en corps d’expérience ; en un mot, les lois intellectuelles sont les lois du monde phénoménal. Ce rapprochement qu’un homme simplement spirituel aurait abandonné comme bizarre, dès le premier aperçu, s’offrit à l’esprit pénétrant et vaste de Kant dans toute son importance et dans toute sa fécondité en ressources nouvelles pour le perfectionnement de la philosophie. A l’instant où il se présenta nettement à sa pensée, il lui fit concevoir l’espérance d’entreprendre avec plus de succès que ses devanciers la séparation de ce qui est purement subjectif dans nos connaissances d’avec leur élément objectif. Dès ce moment il se vit appelé à opérer dans les sciences spéculatives la révolution que son illustre compatriote. le Prussien Copernic, avait produite dans les sciences naturelles ; parallèle dont l’idée appartient à Kant lui-même[12] et qui, singulièrement propre à caractériser sa réforme philosophique, mérite de fixer un instant notre attention. Quelle était l’ancienne définition de la vérité, but de toutes les théories métaphysiques : La vérité, disait-on, est l’accord de nos représentations avec les choses représentées. Comment établir cet accord ? comment s’assurer qu’il existe effectivement ? Aristote et Locke, d’un côté ; de l’autre, Platon, Descartes et Leibnitz tracent des routes, suivent des méthodes diverses. Les premiers cherchent dans nos sensations l’image fidèle des objets et en étudient l’empreinte, peur y épier la vérité, et comme pour l’y saisir sur le fait, tandis que leurs rivaux s’adressent à l’être pensant lui-même, et osent interroger la Divinité, pour en obtenir une instruction authentique sur l’essence des choses et sur leurs véritables qualités. Mais quelle que soit la divergence de leurs résultats, celle des méthodes de ces philosophes est plus apparente que réelle. Ils commencent tous par l’objet pour arriver au sujet ; lors même qu’ils semblent s’occuper d’abord du dernier, ce n’est qu’en tant qu’il est lui-même objet, et dans ses qualités absolues, qu’ils l’envisagent : ce n’est pas sa faculté de connaître qu’ils cherchent premièrement à apprécier dans ses lois et dans sa portée. Tous ils débutent par se demander : Qu’est-ce que les choses ? et ils s’efforcent ensuite de déterminer ce que l’homme peut en savoir. Kant retourne l’ordre des questions : il tâche de se faire d’abord une juste idée de l’homme, en tant que doué de la faculté de connaître, pour en conclure ce que les choses, dans lesquelles il est compris lui-même, peuvent ou doivent être, ou seront, en conséquence de l’organisation de cette faculté, pour un être qui est astreint à s’en servir lorsqu’il veut pénétrer jusqu’à elles. On voit qu’ici la marche est entièrement opposée à celle des philosophes qui ont précédé Kant. Ce n’est plus l’homme qui est modifié par l’impression des objets, dont la pensée se meule sur leurs formes et suit l’ondulation de leurs mouvements par l’effet, soit de leur influence directe, soit de la volonté de leur ordonnateur suprême : ce sont les objets eux-mêmes qui se moulent sur les formes des pouvoirs de l’intelligence humaine, et qu’elle incorpore dans le système de ses connaissances, en y mettant son cachet. En nous plaçant dans ce point de vue, il nous faudra renoncer à la définition vulgaire de la vérité ; nous ne la chercherons plus dans l’accord de la représentation avec la chose représentée, mais dans celui qui doit régner entre les phénomènes soumis à notre observation, et liés en système de connaissances, et les lois fondamentales de nos facultés intellectuelles : la vérité ne nous paraîtra pas plus être le calque exact des objets, que la tête d’Antinoüs n’est l’image fidèle de la cire ou du soufre qui en a reçu l’empreinte. Nous ne tournerons plus autour des choses : en nous constituant leur centre, nous les ferons tourner autour de nous. C’est la révolution de Copernic. Pour contester au fondateur de la nouvelle école l’originalité de ses vues, il ne suffirait pas de prouver que des sceptiques, des idéalistes, des métaphysiciens du plus grand nom, ont, avant lui, fait aux dispositions de nos organes et de notre esprit une forte part dans les qualités que nous rapportons aux objets, et doivent, par conséquent, être envisagés comme défenseurs de l’origine subjective de nos connaissances[13]. Sans doute Platon, Descartes, Pascal[14], d’Alembert, semblent avoir, chacun suivant ses vues particulières, entrevu cette nouvelle carrière que Kant a ouverte à l’esprit philosophique. Mais y sont-ils entrés ? Qui est-ce qui songe à faire honneur du système de l’attraction aux écrivains antérieurs à Newton, qui semblent en avoir eu quelque notion ? Et qu’on y prenne garde : Kant ne fait pas époque pour avoir pensé que, dans nos représentations des choses extérieures, il se mêlait à l’impression reçue du dehors celle de notre mode de la recevoir. C’est pour avoir tâché de déterminer avec précision la part qui, dans toutes nos sensations, perceptions, propositions, revenait à notre propre manière de sentir, de percevoir, de juger ; c’est pour avoir entrepris de déduire de quelques faits primitifs, bien observés et bien analysés, le mécanisme intellectuel qui constitue l’organisation de notre faculté de connaître ; pour avoir fondé sur cette analyse une théorie du jeu des ressorts de la pensée ; pour avoir assigné à chacune de nos facultés ses bornes, ses droits, sa portée ; enfin, pour avoir fixé l’étendue et les limites de la juridiction de chacune d’elles, et surtout la valeur des titres d’acquisitions ou de conquêtes que la raison s’est de tout temps vantée d’avoir faites dans les régions soustraites a nos sens, que Kant peut être justement présenté comme l’auteur du premier système de philosophie, véritablement critique imaginé jusqu’à ce jour. Le résultat de cette critique n’est point favorable aux antiques prétentions de cette raison présomptueuse. Kant exige qu’elle renonce à ses excursions stériles, à ses conquêtes imaginaires ; il lui montre, sur le sol circonscrit de l’expérience, l’unique domaine qu’elle ait le pouvoir d’atteindre ou le droit d’exploiter, et, dans la culture de ce sol de plus en plus perfectionnée, sa légitime sphère d’activité, ainsi que le terme de ses efforts. C’est le procès fait à la raison à son propre tribunal. Telle est l’idée mère et la tendance générale de la réforme philosophique de Kant. On voit maintenant par qui cette réforme a été provoquée, comment elle est née dans l’esprit de son auteur, pourquoi il a donné à sa philosophie le nom de critique, et par quel motif ses disciples l’appellent philosophie formelle ou formale. Nous pourrons nous borner à l’exposé des principaux résultats du système de Kant, en renvoyant les Français qui ne peuvent recourir aux sources pour étudier sa philosophie, et qui désireraient en avoir une idée plus développée, aux ouvrages de M. de Villers[15], de Gérando[16] et Buhle[17]. Ils liront aussi avec plaisir la spirituelle esquisse qu’en a donnée madame de Staël[18] dans son livre De l’Allemagne[19]. Les réflexions que nous avons retracées ayant conduit Kant à donner à tout le savoir humain d’autres bases que celles qu’avaient posées ses prédécesseurs, et à ébranler la confiance qu’ils avaient mise dans certains procédés de la raison spéculative, comme propre à nous élever à la connaissance d’objets placés hors du territoire de l’expérience, il se vit appelé à résoudre, d’après ses principes et en satisfaisant à tous nos besoins moraux, ces trois problèmes : Que puis-je savoir ? Que dois-je faire ! Qu’osé-je espérer ? Pour séparer nos connaissances réelles des illusions que nous leur associons, pour déterminer quelle prise notre faculté de connaître a sur le monde invisible, il commença par soumettre au plus rigoureux examen l’instrument avec lequel l’homme construit ses systèmes, celui au moyen duquel il pense, il combine, il raisonne ; en un mot, son organe d’acquisition de connaissances, qu’un de ses interprètes français a dénommé organe cognitif. Comment nos facultés intellectuelles transforment-elles, tant les impressions venant du dehors, que l’action du moi sur lui-même, en connaissances réelles, utiles, suffisantes à nos besoins ? Leur portée atteint-elle les choses qui n’agissent pas sur nos sens ? De cet examen, le plus patient et le plus profond qu’offrent les annales de la philosophie, il résulta pour celui qui l’entreprit la pleine conviction que l’organe cognitif ne nous a été donné que pour former l’expérience ; qu’en franchissant les bornes de l’expérience, il méconnaît ses droits et abuse de ses pouvoirs ; que la raison spéculative, malgré le rang élevé qu’elle tient parmi les facultés intellectuelles, n’est investie, à l’égard de la sphère de son exercice, d’aucune prérogative particulière ; qu’en conséquence les plus sublimes comme les plus anciens objets des investigations et des doutes philosophiques, Dieu, la liberté, l’immortalité, sont à la fois hors de ses attributions et de ses atteintes. Après avoir mis ainsi ces grands et seuls vrais intérêts de l’homme à l’abri des attaques du raisonnement, Kant les transporta sur un autre terrain, selon lui inaccessible aux objections spéculatives, et offrant aux vérités de la religion des bases immuables. Quand il eut achevé ses travaux relatifs à.la métaphysique et à la morale, il reprit en sous-œuvre toutes les autres doctrines qui empruntent leurs principes de la philosophie, la théorie des idées du beau et du sublime, celle des arts qui se proposent de les offrir réalisées, la théologie rationnelle, la morale appliquée aux relations sociales, à la législation et au droit public. Nous allons indiquer le contenu des principaux ouvrages.qui peuvent être considérés comme les parties essentielles et systématiques de son cours de philosophie : 1° Critique de la raison pure in-8o, Riga, 1781 ; 2e édit., ibid., 1787, avec des augmentations précieuses, mais aussi avec des retranchements qui font rechercher la première). Ce titre signifie : Examen de la faculté de connaître, des forces qui concourent à son exercice, de leurs lois, du jeu de leurs opérations et dès effets qui en résultent pour l’homme, relativement aux impressions qu’il reçoit, aux jugements qu’il porte, aux conceptions qu’il forme et aux idées auxquelles sa raison s’élève. L’épithète de pure que Kant donne ici à la raison, c’est-à-dire aux procédés intellectuels dont nos connaissances sont le fruit, avertit simplement qu’il les considère en eux-mêmes et dans les formes inhérentes à la faculté de connaître, indépendamment de ce qui constitue la matière de nos connaissances. Cette matière, ce sont les impressions que les objets font sur nous : ces impressions sont ensuite considérées, classées, ordonnées, combinées, c’est-à-dire soumises à l’opération de la pensée qui en forme des conceptions. Les impressions offrent un multiple, un canevas, un varium que l’entendement rappelle à l’unité. Ce rappel à l’unité embrasse, soit la totalité, soit une partie plus ou moins grande de l’impression ; dans le premier cas, il se forme la représentation d’un objet individuel, tandis que le rappel à l’unité partiel donne naissance aux notions abstraites, aux conceptions d’espèces et de genres. Les conceptions sont à leur tour comparées, combinées par une faculté supérieure qui en forme des conclusions, des notions d’enchaînement indéfini, des idées. Le pouvoir de connaître, ou l’organe cognitif, se compose donc de trois facultés distinctes : 1. La sensibilité, qui reçoit les impressions et les change en intuitions. Les fonctions de cette faculté renferment un élément actif et un élément passif. L’influence exercée par les objets extérieurs suppose dans le sujet une aptitude à être modifié par cette influence, et le pouvoir de réagir sur l’impression, une réceptivité et une spontanéité. La sensation est passive ; elle provoque un premier exercice de notre activité ; elle engage à l’intuition, qui est une production de la spontanéité au premier degré. La réceptivité est donc l’aptitude à éprouver une sensation qui fournit les matériaux de la représentation, une pluralité, un varium : la spontanéité est le pouvoir de rappeler cette multiplicité, ce varium, à l’unité. On voit que la réceptivité n’est qu’une des facultés qui forment la sensibilité ; elle reçoit des choses extérieures ou des modifications internes de l’âme, une impression qui détermine la réaction de la spontanéité. Du concours de ces deux fonctions, de l’accès donné à l’impression qui fournit la matière ou le varium, et de l’activité du moi qui produit l’unité, naît la représentation ou la conscience de la chose représentée. 2. L’entendement, qui forme les conceptions, est la spontanéité exercée à un degré supérieur, le rappel à l’unité de plusieurs intuitions à la fois ; 3° la raison proprement dite (la spontanéité élevée à la plus haute puissance) forme les conclusions, par le rappel de plusieurs conceptions à l’unité, et les idées proprement dites, en ajoutant aux conceptions de l’entendement la notion de l’infini ou de l’absolu. Chacune de ces facultés a ses formes ou lois auxquelles elle est astreinte dans ses procédés, et qui constituent sa nature. À la sensibilité appartiennent l’espace et le temps, qui sont les conditions générales de toutes nos perceptions, les cadres dans lesquels il faut que les objets s’enchâssent avant de pouvoir entrer dans la sphère de notre faculté de connaître. Cette hypothèse, si étrange au premier aperçu, résout des difficultés que Kant tient pour insolubles dans d’autres systèmes. Sans elle, il est impossible de se rendre raison du caractère de nécessité empreint dans toutes les notions qui dérivent de l’espace et du temps, et de comprendre comment il se fait que l’idée la plus abstraite ne saurait se dégager de leur enveloppe, ni le vol le plus hardi de la pensée leur soustraire la plus petite partie de notre essence. Sur l’espace et le temps purs, c’est-à-dire sur l’intuition à priori des formes inhérentes à notre sensibilité antérieurement à toute impression externe ou interne, se fondent les sciences mathématiques ; sur la notion pure de l’espace, la certitude des propositions de la géométrie ; sur la notion pure du temps, la science de l’arithmétique. L’entendement opère de même suivant ses lois propres, que Kant nomme catégories (dans un sens différent de celui où l’a pris Àristote), et qu’il établit au nombre de douze, divisées en quatre classes. Dans celle de quantité sont : 1. Unité ; 2. Pluralité ; 3. Totalité. À la classe de qualité appartiennent : 4. Affirmation ou réalité ; 5. négation ou privation ; 6. limitation. La classe de la relation comprend les notions corrélatives : 7. de substance et d’accident ; 8. de causalité, ou loi de cause et d’effet ; de communauté, ou loi d’action et de réaction. Enfin, sous la rubrique de modalité, sont rangées les catégories : 10. de possibilité et impossibilité ; 11. d’existence et non-existence ; 12. de nécessité et contingence. Quel que soit l’objet que nous apercevions, si sa représentation doit entrer dans la série de nos connaissances, il faut nécessairement que nous lui appliquions au moins, quatre catégories à la fois, prises dans les quatre différentes classes. Toutes nos conceptions, tous nos jugements subissent la même loi. Enfin, les formes de la raison, qui réunit, combine les conceptions élaborées par l’entendement, formes que Kant nomme idées pures, sont : l’idée de l’unité absolue ou de l’être simple (idée psychologique) ; l’idée de la totalité absolue (idée cosmologique) ; l’idée de la réalité absolue, de la cause première (idée théologique). Ces idées n’ont, dans le système de Kant, d’autre pouvoir ni d’autre but que ceux d’exciter l’homme à ne pas s’arrêter aux causes prochaines, à remonter persévéramment et sans interruption, de chaînon en chaînon, aux plus éloignées, à en prolonger indéfiniment la chaîne, à étendre incessamment ses observations et ses recherches, à ne jamais les croire assez complètes, ni leur ensemble assez lié et assez vaste, ni leur application assez utile et assez variée. Ici se séparent de Kant quelques-uns de ses plus illustres disciples. Au lieu d’attribuer à un besoin de sa raison les opérations par lesquelles l’homme pose l’unité intérieure ou l’âme, l’unité extérieure ou la matière, et s’élève enfin à l’unité absolue, fondement de tout ce qui est contingent, ils voient dans la notion de l’absolu une véritable aperception, et pensent que la raison aperçoit l’absolu, l’être fondamental, le principe réel et primitif de tous les phénomènes, aussitôt qu’elle aperçoit le relatif et le variable, c’est-à-dire le phénomène. Ne se contentant pas de cette réalité humaine et subjective que Kant avait assignée à l’homme comme son vrai patrimoine, ils ont voulu pénétrer dans le champ qui, d’après les principes kantiens, lui est interdit. Aussi les adhérents purs de ces principes reprochent-ils aux écoles de Fichte et de Schelling de méconnaître les limites que la philosophie critique avait posées, et de rendre à la raison spéculative sa confiance en ses efforts ambitieux et en ses conquêtes transcendantes, dont la Critique avait, selon eux, démontré la vanité et la folie : car si nous admettons, disent-ils, comme exacte l’analyse des facultés intellectuelles qui y est exposée, et dont les principes fondamentaux ont été adoptés par les auteurs mêmes des nouvelles hypothèses, il est évident que le seul produit qui puisse résulter de l’exercice de ces facultés est un monde d’apparences, de phénomènes, qui est entièrement subjectif, et dont il est impossible de dire s’il ressemble en aucune manière au monde réel des choses en elles-mêmes (c’est-à-dire considérées dans leur existence absolue et indépendante de notre mode de nous les représenter), des noumènes, que nous n’avons aucun moyen d’apercevoir tel qu’il est. Nous en recevons des impressions, mais ces impressions, accueillies d’abord par notre faculté de sentir, se revêtent de ses formes, l’espace et le temps, deviennent des objets étendus, des corps, etc. Ces formes ont sans doute de la réalité pour nous, et les choses en sont pour nous réellement empreintes. Tel le cachet qui ne pourrait se trouver en contact avec de la cire sans y laisser empreinte la tête de Minerve ne verrait jamais, s’il nous est permis de lui prêter le sentiment, la cire sous une autre apparence que celle d’une matière offrant à sa surface la tête de Minerve. Mais si le cachet se figurait que la cire ne peut exister que sous cette forme ; si le miroir plan s’imaginait que les objets qui s’y réfléchissent sont en eux-mêmes sans profondeur ; si le miroir cylindrique leur supposait inhérente une configuration ovale prodigieusement allongée, ils commettraient tous l’erreur manifeste de confondre la réalité subjective et phénoménale avec la réalité objective et absolue. À ces impressions revêtues de la forme qui provient de notre sensibilité, notre entendement donne, pour ainsi dire, une façon nouvelle ; il les soumet à des lois générales, qui sont les siennes propres, et nous les offre comme liées ensemble par la loi de cause et d’effet, ou par celle d’action et de réaction, enfin par les autres lois comprises sous les douze catégories. On tomberait dans une erreur grave en supposant que ces qualités virtuelles qui, selon Kant, sont des dispositions innées ou primitivement inhérentes à notre organe cognitif, ressemblent aux idées innées telles que les a conçues Platon et après lui Descartes, ou à celles que Locke s’est forgées pour les combattre. La manière dont Leibnitz les a entendues dans ses Nouveaux Essais se rapproche seule des formes pures et virtuelles de Kant. La raison spéculative ou théorique s’emparant enfin des impressions modifiées par l’entendement, et nous les présentant (à l’aide de la notion de l’infini tirée des formes de son activité) comme des réalités absolues ou comme un tout absolu, les élève au rang d’idées, dans le sens que Platon avait donné à cette expression, et que Kant lui a rendu. Dans ce système, la raison n’ajoute rien aux impressions, absolument rien qui nous fournisse les matériaux d’un pont à jeter sur l’abîme ouvert entre le monde phénoménal ou subjectif et le monde objectif ou des choses en elles-mêmes. En voulant le franchir par un vol transcendant, elle se consume en vains efforts, et s’irritant d’être attachée à des sens et à des perceptions qui entravent son essor, elle offre, pour me servir d’une comparaison de Kant, l’image d’une colombe se plaignant de la résistance que lui oppose l’élément qui la soutient, et se persuadant que, si elle cessait d’être gênée par l’air, elle volerait beaucoup mieux dans le vide. Kant ayant donné aux lois pures et subjectives de notre faculté de connaître, et aux recherches dont elles sont l’objet, la qualification de transcendantales, sa doctrine en a reçu le nom de philosophie transcendantale. Nous en terminons ici l’esquisse, telle que son auteur l’a exposée dans la Critique de la raison pure, celui des ouvrages de l’esprit humain où il a peut-être montré le plus de hardiesse, de profondeur et d’indépendance. On voit qu’en résumé le but de cette philosophie est d’examiner la possibilité, la nature, les limites de notre savoir ? et son résultat de représenter ce savoir comme exclusivement et immuablement borné au domaine des perceptions sensibles. L’illusion et l’erreur commencent aussitôt que nous prétendons appliquer cette manière subjective de voir aux, objets tels qu’ils sont en eux-mêmes. Kant comparé le domaine qu’il nous est possible de connaître et d’exploiter à une île riante et féconde, mais environnée d’un océan brumeux et d’écueils insurmontables. Si la raison théorétique, au lieu de borner sa tâche et ses prétentions à aider les autres facultés cognitives à bien explorer et cultiver le sol de cette habitation insulaire, veut diriger son vol ambitieux sur les ailes de ses idées pures dans d’autres régions ; si elle s’imagine pouvoir, en pilote habile, traverser la mer orageuse qui environne le domicile circonscrit assigné à l’homme par son créateur, elle ne trouve que chimères et dangers, et perd en vaines tentatives un temps qu’elle aurait dû employer à aiguillonner les facultés d’observer et de concevoir, et à les seconder dans leur travail, le seul fructueux, puisqu’il porte sur des objets accessibles aux sens. À ce grand ouvrage fondamental se rapportent deux autres écrits de Kant : 2° Prolégomènes, ou Traité préliminaire à toute métaphysique qui voudra désormais prétendre au titre de science, 1783 (c’est la Critique reprise en sous œuvre et exposée analytiquement), et Principes métaphysiques de la science de la nature, 1786 ; Critique de la raison pratique (Riga, 1787, 1 vol. in-8o), c’est-à-dire, Examen des procédés et des droits de la raison, en tant qu’elle exerce une puissance législative sur le domaine de la liberté morale, Kant indique, dans ce dernier ouvrage, la seule des choses en elles-mêmes qu’il soit donné à l’homme de percevoir, de voir immédiatement, et qui devient ainsi l’anneau qui le lie au monde invisible ? c’est la conscience de la loi morale, source auguste et mystérieuse du sentiment du devoir. Comme elle renferme certains principes absolus qui règlent la volonté et les actions de l’homme, Kant l’a nommée la raison pratique. Dans ce sanctuaire de son être moral, l’homme reconnaît immédiatement qu’il est libre, c’est-à- dire qu’il possède un arbitre exempt de toute nécessité, et qui le constitue personne morale ou responsable de ses actions. Dans ce sentiment fondamental, où le moi est en contact avec lui même, sans aucun intermédiaire, et où il est à la fois objet et sujet, l’homme trouve deux lois principales, qui s’annoncent comme régulatrices de sa volonté : l’une qui le porte, à rechercher son propre bien-être, et l’autre qui lui commande impérativement de faire le bien, d’être vertueux sans restriction, et même aux dépens de son bien-être. Cette loi, qui oblige au bien l’être doué de raison, est, en dernière analyse, le principe de généralisation qui sert de fondement à tous les procédés syllogistiques, mais qui, sans autorité constitutive sur le terrain des pouvoirs intellectuels, exerce légitimement sa puissance souveraine dans la sphère des actions morales. Kant l’appelle l’impératif catégorique de la conscience, et l’exprime par cette formule ;

« Regarde
« constamment et sans exception l’être intelli-
« gent comme étant à lui-même son propre but,
« et comme ne devant jamais devenir simple
« moyen pour les fins d’autrui, »

et par cette autre formule :

« Agis toujours de telle sorte
« que le motif prochain ou la maxime de ta vo-
« lonté puisse devenir règle universelle dans
« une législation obligatoire pour tous les êtres in-
« telligents. »

(Voyez Kant, Crit. de la raison pratique, § 7, p., 54.) Ces principes portent le nom de lois pratiques formelles, parce qu’ils ne reposent sur aucune expérience, et qu’ils ne proposent à la volonté aucun but matériel, c’est-à-dire aucune des jouissances attachées à l’impression d’objets extérieurs, ou liées aux modifications que subit le sens intérieur. La règle générale, obligatoire pour la volonté, n’est qu’une application de la forme de la raison aux actions humaines. Cette forme consiste dans le besoin d’unité absolue, et dans la faculté de lui tout subordonner ; il découle de là que la raison, exerçant sa puissance normale, prescrit à la volonté de réaliser l’unité dans ses résolutions, c’est-à-dire de ne point tenir compte des affections, des goûts, des vœux, des avantages, des intérêts et des besoins provenant de la nature sensible ou de la position particulière des êtres intelligents ; en un mot, de ne point s’abandonner à l’influence des principes matériels (tirés des impressions extérieures), mais de se conformer, dans ses déterminations, à des vues qui conviennent aux intérêts de tous les êtres doués de raison, et qui puissent servir de principes législatifs universels. La raison présente donc sa propre forme à la volonté comme unique mobile vraiment moral de ses décisions, et devient pratique en faisant adopter son principe d’unité par la volonté de l’homme pour règle dominante des actes de sa liberté. L’organisation physique de l’homme étant une des conditions auxquelles étaient attachés le réveil de la conscience du moi, la mise en activité de ses pouvoirs intellectuels, et l’exercice des fonctions de la raison pratique, l’acte par lequel cette raison révèle à l’homme l’existence de la loi morale absolue doit être envisagé comme une promulgation de cette loi faite par l’auteur de notre organisation physique lui-même, et comme une. manifestation de sa volonté divine. Quant à l’autre loi fondamentale de notre être actif, celle qui nous porte à chercher le bonheur, Kant nous fait observer que la voix secrète de la conscience n’annonce comme digne du bonheur que l’être vertueux, et il nomme souverain bien l’état de félicité où la vertu et le bonheur sont réunis dans le même sujet. Mais comme, dans l’ordre des choses auquel nous appartenons maintenant, ces deux, lois fondamentales de l’être sensible et de l’être moral sont perpétuellement en opposition et qu’il n’arrive que trop souvent que la vertu et le bonheur ne se trouvent pas unis dans une proportion juste, Kant en conclut la nécessité absolue d’une autre vie, où ces lois seront également satisfaites, et, comme corollaire immédiat, la nécessité de l’existence d’un arbitre doué de la toute-science et de la toute-puissance, qui assignera à chacun la portion de bonheur, dont il se sera rendu digne. Pour compléter la notice des considérations les plus importantes qui établissent l’union indissoluble des principes moraux et religieux dans la doctrine du criticisme, il faut rapporter ici ce qui en résulte en faveur de l’espérance d’une durée sans fin de l’être moral ; fondée sur la tâche de perfectionnement progressif que sa raison pratique lui impose irrémissiblement, et qu’il n’achèvera jamais, quels que soient ses efforts et sa carrière. C’est par ces vues que Kant met le for de la conscience à l’abri des attaques du sophisme, et qu’il, fait résulter immédiatement de notre nature la certitude de l’immortalité de l’âme, et de l’existence de Dieu, en fondant cette certitude, non sur la science et sur la démonstration par raisonnement, mais sur la nécessité de l’accomplissement de la loi morale. Le développement des principes sur lesquels repose la Critique de la raison pratique et leur application à diverses branches de la morale, sont l’objet de deux autres ouvrages de Kant, intitulés Bases d’une métaphysique des mœurs, 1784, et Principes métaphysiques de la doctrine ou théorie de la vertu, 1797. Les principes de la morale kantienne ont été à la fois exposée avec beaucoup de clarté, et combattus avec autant de candeur que d’impartialité, par C. Garve, dans sa Revue des principauté systèmes de morale, Breslau, 1798 (p. 183-394). Cette critique, écrite dans le dernier période de la maladie douloureuse qui termina la vie d’un des moralistes les plus distingués des temps modernes (voy. GARVE), est dédiée à Kant lui-même (1)[20].

4e Critique du jugement (Libau, 1790, 1 vol, in-8o). C’est en vertu de la faculté judiciaire que nous jugeons de tous les genres de convenances et de proportions, par conséquent de tout accord des moyens avec le but ; des causes finales ; de la concordance des lois et des choses dans l’ensemble de la création ; de la conformité des actions avec les règles du bon et du juste ; du degré de plaisir ou de peine qui accompagne nos sensations et nos sentiments, et qui n’est autre chose que le degré de leur harmonie ou de leur discordance avec le jeu de nos organes, avec le développement de notre énergie vitale, avec les fonctions de tous nos pouvoirs favorisés ou troublés dans leur exercice par ces sentiments et par ces sensations. Enfin le beau et le sublime, dans la nature et dans les arts, sont encore, dans le système critique, du ressort de la faculté judiciaire, faculté à la fois spéculative et pratique qui tient des deux pouvoirs par lesquels Kant a commencé son travail analytique, et en est comme le lien et le supplément. Ses lois et ses formes virtuelles sont exposées dans la Critique du jugement. L’introduction à ce livre offre mieux qu’aucun autre des écrits de Kant l’ensemble de ses vues philosophiques, et cette liaison entre les diverses parties de son système qu’on l’a souvent accusé de n’avoir établie nulle part. Il est une partie de la Critique du jugement qui, malgré la nouveauté des aperçus, a obtenu les suffrages des adversaires les plus décidés des doctrines kantiennes : c’est celle qui renferme la théorie du goût, et l’analyse des sentiments que les arts se proposent de réveiller. Pour que celui du beau soit excité par un objet, son action sur la sensibilité doit, selon Kant, mettre en jeu l’imagination, de telle sorte qu’il en résulte, dans ce cas particulier, un accord spontané de l’exercice de cette faculté avec une règle de l’entendement, sans que cette dernière faculté ait besoin de contraindre l’imagination à se conformer à la règle, comme il arrive dans tous les cas où l’imagination concourt à la formation d’une conception, et se trouve, pour remplir ce but, assujettie au contrôle de l’entendement. La découverte inopinée de cet accord qui nous offre l’image d’une harmonie primitivement établie entre ces deux pouvoirs, est, d’après cette théorie, la source du plaisir que nous fait éprouver le beau, et se trouve liée au sentiment d’un degré plus élevé de la vie, puisque tout exercice aisé et concordant de plusieurs facultés accroît la confiance que nous aimons à placer dans la sagesse et dans la stabilité de notre organisation. Les éléments dont Kant compose le sentiment du sublime sont d’une nature plus élevée. Il en a trouve la source dans le concours de l’imagination et de là raison, s’exerçant, tour à tour et avec un succès inégal sur un objet de grandeur illimitée. L’imagination s’efforçant d’abord vainement d’en embrasser l’étendue, et obligée de renoncer à son entreprise avec le sentiment pénible de son impuissance, fait naître en nous celui du néant de nos forces, et appelle à son secours la faculté de concevoir l’infini : cette faculté est la raison : son action ne tarde pas à réveiller la conscience de notre dignité morale ; et l’être intellectuel, s’élevant avec énergie contre le découragement qui était près de le saisir, met la noblesse de sa nature en balance avec les objets qui paraissent insulter à sa faiblesse, et, sortant victorieux d’une comparaison qui avait commencé par l’humilier, plane avec le sentiment de ses forces mystérieuses au-dessus des images gigantesques, dont les dimensions accablantes semblaient l’anéantir. 5e La religion d’accord avec la raison (Kœnigsberg, 1793 ; 2e édit. augmentée, 1794, in-8o). La religion, considérée dans le sujet, n’est, selon Kant, autre chose que l’accomplissement des devoirs, envisagés comme lois divines. De son analyse de la raison pratique combinée avec la connaissance de l’homme, tel qu’il se manifeste par ses actions et tel qu’il s’est fait lui-même, il déduit un système de doctrine entièrement conforme à l’orthodoxie protestante. Il est, dit-il, dans l’homme un principe de mal, inhérent à sa nature, mais non pas originairement essentiel à cette nature. Le principe et le type du bien, qui est inséparable de sa raison, et qui est gravé dans la forme même de cette faculté suprême de l’homme, dépose d’un état primitif plus noble, plus assorti aux rapports primordiaux de subordination établis entre ses pouvoirs et les mobiles de sa volonté, tandis que l’existence trop certaine du mal et d’une perversité universelle prouve une chute, une dégradation réelle de l’homme. Le principe du bien doit triompher de celui du mal, et reprendre son ascendant légitime, au moyen d’une association morale d’hommes réunis dans le but de le faire prévaloir sous l’invocation et avec le secours d’une coopération divine. Le fondateur de cette société morale, formée sous la protection d’un législateur qui veut établir le règne du bon principe, est Jésus de Nazareth. Il est lui-même l’idéal de la perfection morale, revêtu de la forme humaine. Il représente l’humanité comme elle doit être pour plaire à Dieu : ce n’est qu’autant que nous croyons en lui, autant que nous conformons nos inclinations aux siennes, et que nous réalisons progressivement en nous-mêmes, par des efforts sans cesse renouvelés, une faible image de ses vertus, que nous pouvons trouver grâce et espérer un sort plus heureux que celui qu’en stricte justice nous avions mérité. C’est ainsi que Kant établit l’harmonie, et, pour ainsi dire, l’identité parfaite de la religion avec la raison, la nécessité d’une rédemption qui réhabilite l’homme, et d’une communauté religieuse offrant sur la terre une représentation de plus en plus fidèle de la cité de Dieu. Garve, qui en voulait beaucoup à Kant d’avoir rajeuni et justifié l’ancienne orthodoxie de l’Église protestante (voy. p. 319 du 2e volume de ses lettres à Cn. Fx. Weisse), est obligé d’avouer qu’il règne dans cet Exposé de la religion rationnelle une sagacité, une connaissance du cœur humain et une bonhomie qui le ravissent ibid., p. 332). Ces qualités sont en effet les traits caractéristiques de Kant, homme et moraliste. Lorsqu’on réfléchit à la marche du raisonnement dans son livre sur la religion, à ses assertions si fréquemment répétées, que la raison seule ne peut nous donner aucune certitude sur le degré de sévérité ou d’indulgence avec lesquelles Dieu traitera l’infracteur de ses lois ; qu’il ne conçoit pas comment l’homme, sans une assistance divine extraordinaire, pourrait rendre au principe du bien l’ascendant sur ses actions, et l’autorité exclusive, qu’il a perdus ; qu’on ne saurait prouver ni l’impossibilité ni l’invraisemblance d’une révélation ; lorsqu’on réfléchit à la tendance de ces opinions, éminemment favorables à l’idée d’une intervention de Dieu, comme dirigeant et secondant l’éducation morale de l’espèce humaine, on est aussi étonné qu’affligé de trouver, dans quelques parties de ce livre, mais surtout dans les mémoires de ses amis, la preuve de sa répugnance à admettre l’origine surnaturelle du christianisme. M. Borowski est positif à cet égard (p. 195-202) ; et c’est à lui cependant que Kant adressait une lettre où, parlant d’une comparaison de sa morale avec celle de Jésus, hasardée dans un écrit que M. Borowski avait soumis à son approbation avant de l’imprimer, il exprime une sorte d’effroi religieux, à la vue de son nom rapproché de celui du Christ. Il prie son ami de ne pas mettre cet ouvrage au jour, et s’il le publie, il lui recommande de ne pas laisser subsister ce parallèle, un de ces noms (celui devant lequel les cieux s’inclinent) étant un nom sacré, tandis que l’autre n’est que celui d’un pauvre écolier essayant d’expliquer le mieux qu’il peut les enseignements de son maître (p. 7 et 86 de l’ouvrage cité). L’inconséquence dans laquelle il est tombé sur un point aussi capital n’est pas la seule qu’on remarque dans les opinions d’un des logiciens les plus rigoureux qui aient existé. Dans sa Critique de la raison pure, il refuse à l’argument physico-théologique pour l’existence de Dieu toute force probante : toute la tendance de son système exigeait de lui ce refus. Cependant, en conversation, il faisait un grand éloge de l’argument théologique, et s’entretenait volontiers des causes finales ainsi que de leur utilité dans la religion. Un jour on l’entendit s’écrier tout à coup : il est un Dieu ! et puis développer avec vivacité les preuves qu’offre de toutes parts le spectacle de la nature Hasse, 1. c. p. 26). Le 2 juin 1803, peu de temps avant sa mort, le célèbre orientaliste J. G. Hasse, homme d’esprit et son ami intime, lui demanda ce qu’il se promettait de la vie à venir : il parut absorbé, et après avoir réfléchi, il dit : « Rien de déterminé. » Quelque temps auparavant, on l’avait entendu répondre à une pareille question, en disant : « Je n’ai aucune notion de l’état « futur. » Une autre fois il se déclara pour une espèce de métempsycose (voy. Hasse, Derniers entretiens de Kant, p. 28, 29). Et dira-t-on encore que la raison éclairée suffit à tous les besoins de l’homme droit qui cherche sincèrement et ardemment la vérité sur les grands problèmes de la vie, lorsqu’on voit le penseur le plus profond que nous fasse connaître l’histoire de l’esprit humain, doué de toutes les qualités, et animé de tous les sentiments qui disposent l’âme à s’ouvrir aux lumières de la religion naturelle, après avoir passé sa vie et employé, dans le calme des passions, dans l’absence de tout souci, les ressources du plus puissant génie à chercher de nouveaux appuis aux doctrines de la religion, hésiter, se contredire, varier sur ses points les plus importants, dans les épanchements de l’amitié où la pensée se dévoile avec le plus de franchise ? 6e Principes métaphysiques de la science du droit, 1796, in-8o. Ayant établi l’existence et la légitimité des devoirs absolus que la raison pratique prescrit à la volonté, en lui commandant de réaliser la forme de la raison pure, Kant en fait découler des droits, et en premier lieu, celui de n’être jamais contraint à violer ces devoirs, ou empêché de leur obéir. La première loi pratique de la raison étant « que tout être raisonnable est à lui-même son propre but, et ne doit, en aucune rencontre, servir de simple moyen à la volonté arbitraire d’un autre, » il s’ensuit que l’homme ne peut aliéner sa liberté, ni attenter à celle des autres. Les Eléments métaphysiques du droit font un corps d’ouvrage avec les Principes de la théorie de la vertu, qui en sont la suite. Moins riche peut-être en vues originales et profondes que les autres grands ouvrages de Kant, son Exposé de la science du droit est remarquable par des digressions intéressantes sur des questions de législation et de haute politique, il examine si l’on peut concevoir un état de choses tellement en opposition avec les buts essentiels de l’ordre social, qu’il pourrait motiver une insurrection au tribunal d’une raison éclairée et il nie qu’il puisse rencontrer une circonstance qui justifie l’auteur d’une révolution. Son opinion se fonde principalement sur l’intérêt de la civilisation. Mais si l’on doit obéissance et fidélité au gouvernement aussi longtemps qu’il sait se faire respecter, les motifs mêmes qui prononcent la condamnation de toute maxime révolutionnaire imposent aux citoyens la sainte obligation de tirer, pour les intérêts dé la patrie et de l’humanité, le meilleur parti possible de la révolution que le crime ou la faiblesse ont opérée. Kant suivait avec un extrême intérêt les phases de la révolution française, et avait une haute idée des améliorations dans l’organisation civile qu’il croyait qu’elle amènerait ; mais personne n’a parlé avec plus d’indignation de ses excès. Le traité dont il s’agit offre sur la mort de Louis XVI une page qui surpasse peut-être en énergie et en effet tout ce que cet attentat a inspiré de plus éloquent aux âmes honnêtes. 7e Essai philosophique sur la paix perpétuelle, Kœnigsberg, 1795, in-8o. Ce traité n’a rien qui ressemble aux conseils et aux rêveries du bon abbé de St-Pierre. Kant n’attend rien de l’influence de la raison, mais tout de la force des choses. S’élevant à des régions d’où il embrasse l’ensemble des rapports actuels entre les nations et les individus, il découvre et signale les faits ou les besoins qui doivent amener graduellement les peuples à sortir de l’état d’inquiétude barbare et destructrice en pure perte où ils se trouvent aujourd’hui, de même que rétablissement des institutions sociales s’est formé de la réunion des familles, lorsqu’elles renoncèrent à l’état de nature pour se garantir mutuellement la sécurité des personnes et des propriétés, par la création d’une autorité centrale, appuyée d’une force irrésistible. Il règne dans cet écrit un ton de naïveté maligne, auquel la hauteur des vues et la sagacité des aperçus donnent un caractère et un charme tout particuliers. Ce même mélange de finesse, d’enjouement et de sévère pureté dans la tendance générale qui rendait la conversation de Kant aussi piquante qu’instructive, se fait aussi remarquer dans le dernier des écrits qu’il a publiés lui-même ; il est intitulé : 8e Essai d’anthropologie, rédigé dans des vues pragmatiques (c’est-à-dire d’application aux besoins de la vie), ibid, in-8o. Cet ouvrage, plein d’observations fines et d’aperçus ingénieux, considère la nature humaine dans les modifications que les différences d’âge, de sexe, de tempérament, de race, d’organisation sociale, de climat, etc., apportent à l’exercice et à la culture de ses facultés primitives. Kant s’y montre aussi grand connaisseur des hommes qu’il s’est montré profond investigateur de l’homme dans ses écrits métaphysiques. Ce traité, joint à sa Géographie physique, prouve qu’il avait donné à l’étude de l’homme in concreto autant de soins qu’à celui de l’homme in abstracto. Dans le tableau comparatif des qualités qui distinguent les principales nations de l’Europe, on est surpris de voir la nation française traitée avec une sorte de prédilection, et bien plus favorablement que les Anglais, parmi lesquels il comptait plusieurs de ses plus anciens et de ses meilleurs amis. Dans la préface de l’Anthropologie, Kant fit ses adieux au public ; et, peu de temps après, il remit à MM. Jaesche et Rînk, ses disciples et ses amis, tous ses manuscrits, en leur abandonnant le soin de mettre au jour ce qu’ils y trouveraient d’utile. Le premier en tira un Manuel pour l’enseignement de la logique, 1801 ; le dernier, un Traité de l’éducation, qui a paru en 1803, sous le titre de Pédagogique, et le Précis de géographie physique dont nous avons fait mention, publié à Kœnigsberg (1802, en 2 volumes in-8o), dans le but de faire tomber un ouvrage donné sous le même titre à Hambourg, en sept volumes, par J. J. W. Wollmer, et rédigé sur des notes prises dans les leçons de Kant. Ce but ne fut point rempli : l’édition de Wolhner ayant paru offrir plus complètement que celle de M. Rink le vaste et intéressant tableau de la terre et de ses habitants, que Kant avait composé des traits recueillis dans un nombre immense d’historiens et de voyageurs, sa lecture favorite. Cette description a été reproduite par C.-G. Schelle, en deux volumes, avec des corrections et des augmentations tirées de relations plus récentes, mais qui devraient être beaucoup plus nombreuses, pour la mettre au niveau des connaissances actuelles. À cette notice sur un travail de Kant étranger aux conceptions hardies et aux analyses profondes qui ont fait sa renommée, se rattache naturellement le peu que nous avons à dire sur celles des productions de sa plume qui n’ont pas de rapport avec son système. Dans la première des deux périodes de sa carrière littéraire, qui. offrent deux hommes et deux génies différents, on voit Kant occupé de physique, de mécanique, d’astronomie et de géographie encore plus que de philosophie proprement dite. À cette époque appartiennent vingt-cinq écrits plus ou moins considérables ; nous n’en pouvons indiquer que quelques-uns des plus remarquables par des vues neuves et profondes : 1° Pensées sur la véritable évaluation des forces vives, et Critique des démonstrations employées par Leibnitz et d’autres mathématiciens (Wolf, Bernoulli, Hermann, Bülfînger, etc.), dans cette matière (240 p. in-8o avec deux planches, 1746). L’ouvrage de Zanotti sur la même question parut dans la même année. ― 2° Histoire naturelle du monde, et Théorie du ciel d’après les principes de Newton (1755, et pour la quatrième fois, 1808, in-8o). Il établit par l’excentricité progressivement plus forte des orbites planétaires qu’il doit exister des corps célestes placés entre Saturne et la comète, la moins excentrique. D’autres conjectures encore sur le système du monde, sur la voie lactée, les nébuleuses, sur l’anneau de Saturne, ont été pleinement confirmées, trente ans plus tard, par les observations d’Herschel, qui, frappé des prédictions raisonnées de Kant, a plus d’une fois exprimé son admiration pour le génie de l’auteur de la Théorie du ciel. – 3° Théorie des vents, 1756, in-4o ; — 4e Nouvelle Théorie du mouvement et du repos des corps, avec un essai de son application aux éléments de la physique, 1758, in-4o. – 5e Essai sur les quantités négatives en philosophie, 1763, in-8o. Il semble qu’en rédigeant ce petit écrit de soixante-douze pages, Kant ait eu quelques pressentiments des découvertes de la chimie moderne et du galvanisme. De la fausse subtilité des quatre figures du syllogisme, 1762, in-8o ; 7e Seule base possible pour établir solidement une démonstration de l’existence de Dieu, 1763, in-8o, 205 p. Ces deux traités, surtout le dernier, attirèrent sur lui l’attention de toute l’Allemagne, comme sur l’homme le plus propre à opérer dans les sciences philosophiques la réforme dont le besoin se faisait de jour en jour plus vivement sentir. L’argument unique exposé dans le n° 7, et renversé ensuite par Kant dans la Critique de la raison pure, avec tous les autres arguments fondés sur des raisonnements théorétiques, repose sur la nécessité de croire à une réalité, dont l’anéantissement anéantirait toute possibilité, et sur l’impossibilité de reconnaître un pareil caractère dans le monde ; dont l’existence et les propriétés sont contingentes et variables. 8e Les Considérations sur le sentiment du beau et du sublime (1771, in-8o) renferment des pensées fines, exprimées spirituellement, mais n’attaquent pas le fond du sujet, et ne doivent pas être confondues avec la profonde analyse de ces sentiments, qui forme la première section de la Critique du jugement. 9e Sur les races diverses de l’espèce humaine, 1775 ; morceau souvent réimprimé, dont les idées ont été en partie adoptées par Blumenbach, et expliquées par le docteur Girtanner, dans un ouvrage particulier. Kant y ajouta de nouveaux développements en 1785. Tous ces écrits, de la première époque de Kant, ont été réunis, par le professeur Tieftrunk, en quatre volumes (les trois premiers en 1799, le quatrième en 1807, à Halle), avec les traités, d’une étendue bornée, qui ont paru depuis 1781. Ces derniers sont au nombre de vingt-cinq, et, pour la plupart, tirés des journaux, où ils avaient d’abord été insérés par l’auteur on en trouvera la liste dans Meusel, et, plus complète, dans la Vie de Kant par M. Borowski (p. 44-83). Aucun de ces opuscules n’est sans intérêt ; presque tous sont remplis de conceptions neuves et grandes sur les sujets les plus variés. Tous sont, comme les plus petits traités d’Aristote et de Bacon, dignes de l’attention du littérateur aussi bien que du philosophe, du théologien, du jurisconsulte, de l’historien, autant que du naturaliste et du physicien ; c’est une mine de pensées originales et profondes, de renseignements savants et de rapprochements ingénieux, qu’il sera longtemps encore difficile d’épuiser. Il serait trop long d’en donner l’analyse, et fort inutile d’en transcrire ici la stérile nomenclature (1)[21]. Nous ne ferons mention que de l’écrit intitulé la Contestation des facultés académiques (1798) où il discute jusqu’à quel point il doit être permis, à un fonctionnaire dans l’ordre de l’enseignement de soumettre au public, en sa qualité de membre de la république des lettres, des opinions contraires à la doctrine qui est enseignée dans les écoles, par ordre de l’Église et du gouvernement, et à laquelle il doit se conformer lui-même dans la chaire académique ou ecclésiastique. Dans la préface de ce traité, l’auteur raconte en détail le seul événement qui ait troublé le calme parfait de toute sa vie, les difficultés qu’il eut avec la censure royale de Berlin, au sujet de son Traité sur l’accord de la religion avec la raison, et qui acquirent une importance inquiétante pour, la tranquillité de Kant, par l’intervention du roi de Prusse, prévenu contre ce philosophe. Kant montra, dans cette circonstance, qui l’affecta vivement, beaucoup de dignité, mais aussi une grande résignation, et la déférence la plus. absolue pour les intentions du monarque, dans tout ce qui pouvait se concilier avec la vérité et l’honneur ; il se refusa avec fermeté à une sorte de rétractation que ce prince exigeait : mais, tout en lui représentant avec force qu’il n’avait fait qu’user d’un droit inhérent à un professeur de philosophie et à un citoyen, il promit au roi, dans les termes de la soumission la plus respectueuse, de ne rien publier désormais sur des matières de religion, et il observa scrupuleusement son engagement jusqu’à la mort de Frédéric-Guillaume II. Ce fut la seule occasion où il devint l’objet de l’attention immédiate de son souverain. Ses places, son aisance, il les dut uniquement à la marche ordinaire de l’avancement académique et au succès de ses écrits. D’abord instituteur dans quelques maisons particulières, en 1755 maître en philosophie, et, pendant quinze ans, simple répétiteur très suivi, mais sans traitement ; sous-bibliothécaire en avec un chétif salaire, il obtint enfin, en 1770, la chaire de professeur de logique et de métaphysique ; remplit, en 1786 et 1788, les fonctions de recteur de l’université ; fut, en 1787, inscrit au nombre des académiciens de Berlin, et mourut sans avoir vu ajouter d’autre dignité à son titre de professeur que le rang de senior (doyen d’âge) de la faculté de philosophie. On aurait peine à se faire une idée de son extrême modestie et de sa simplicité. Jamais il ne parlait de sa philosophie, et tandis qu’elle était l’objet de l’entretien des hommes les plus éclairés dans tous les pays où la langue et la littérature allemande font la base des études, c’était de sa maison seule qu’elle était entièrement bannie. C’est avec beaucoup de répugnance qu’il se prêtait à satisfaire le désir des étrangers de marque, qui ne voulaient pas quitter Kœnigsberg sans avoir vu celui qui en faisait l’ornement. Dans les derniers temps, il ne se montrait à la porte de son cabinet, aux personnes qui l’attendaient, que peu de moments, et ne leur adressait que des mots d’étonnement sur leur curiosité. Il disait quelquefois en riant à ses convives : « J’ai vu aujourd’hui des curieux à crachats. » Ses amis assurent qu’il ne lut presque aucun des écrits dans lesquels ses principes furent, pendant vingt ans, attaqués, défendus, développés, appliqués à toutes les branches des connaissances humaines, et dont on n’évalue pas le nombre trop haut en les faisant monter à plusieurs milliers. Quand on nommait devant lui ses partisans les plus distingués, ou des créateurs de nouveaux systèmes, qui étaient acquis une grande renommée en paraissant développer et compléter le sien, tels que Reinhold, Fichte, Schelling, il ne prenait aucun intérêt à cet entretien, et se hâtait de l’écarter, en exprimant, avec assez de dédain, une forte désapprobation de leurs prétendus perfectionnements. Quant à ses antagonistes, il ne s’en occupait pas davantage. Il ne s’est montré sensible qu’aux attaques d’Éberhard (1)[22], qu’il repoussa victorieusement, mais avec une vivacité et un ton de supériorité presque offensants, et à celles de Herder, qui avait été son disciple, et qui, dans une critique amère du système de Kant (2)[23], se plut à mettre en contraste la rebutante sécheresse et la subtilité scolastique des écrits de son ancien maître, avec le charme, l’intérêt, la clarté de l’enseignement du professeur et la variété de faits instructifs, d’idées fines et intéressantes, de traits spirituels et gais, dont il assaisonnait des leçons d’une tendance entièrement éclectique. Peut-être qu’Éberhard et Herder montrèrent trop de dépit de la suprématie que Kant exerça, pendant quelque temps, dans les sciences où ils brillaient au premier rang, et qu’ils s’en prirent, dans leurs écrits polémiques, beaucoup trop au chef même, du despotisme arrogant, de l’intolérance et du ton de mépris que la tourbe de ses sectateurs affecta longtemps pour tous ceux qui refusaient de plier les genoux devant leur idole. Il est juste de rappeler qu’un des plus habiles adversaires de Kant, le savant théologien Storr, fut traité par le philosophe avec beaucoup d’égards et d’estime. Dans la préface de la deuxième édition de l’ouvrage sur la religion, que le docteur Storr avait combattu, Kant le remercie des observations pleines de candeur qu’il lui a opposées, et lui témoigne son regret d’être empêché, par son grand âge et l’affaiblissement de ses forces, de les examiner avec toute l’attention qu’elles méritent par leur importance et leur sagacité. La plus douce jouissance de Kant, pendant ses dernières années, était d’inviter tous les jours à sa table, et tour à tour, quelques anciens amis, et de s’entretenir avec eux de toute autre chose que de son système ou de sa renommée ; il prenait un vif intérêt aux événements liés à la révolution française, et c’était le point sur lequel il supportait le moins une opposition de vues. Sa conversation enjouée et instructive l’avait, dans tous les temps, fait rechercher par la bonne compagnie. Ses mœurs étaient douces et pures : comme Newton et Leibnitz, il resta célibataire, quoiqu’il ne fût pas insensible aux charmes de la société de femmes aimables et instruites. La modicité de sa fortune, qui ne s’accrut que vers la fin de sa vie, par une longue économie et par le produit de ses ouvrages, l’empêcha deux fois de former une union assortie et mutuellement désirée. Il survécut de quelques mois à une partie de ses grandes facultés : avant de les voir s’affaiblir, il s’était souvent entretenu, avec ses amis, de sa mort prochaine ;

« Je ne crains pas la mort, di-
« sait-il (Wasiansky, p. 52) ; je saurai mourir. Je
« vous assure, devant Dieu, que si je la sentais
« approcher cette nuit, je lèverais mes mains, et
« je dirais ; Dieu soit béni ! Ce serait tout autre
« chose, si j’avais causé le malheur d’une de ses
« créatures. »

Sa devise, dit le plus intime de ses amis (Wasiansky, p. 53), était la maxime renfermée dans les vers d’un poète qu’il affectionnait :

Summum crede nefas, animam praeferre pudori,
Et propter vitam vivendi perdere causas.

On l’entendait souvent se l’adresser à lui-même. Il aimait la poésie et particulièrement les beaux vers qui exprimaient avec énergie une pensée morale ; mais il avait en aversion l’art oratoire, et ne voyait dans les plus éloquents morceaux des grands orateurs que de la mauvaise foi plus ou moins adroitement déguisée, et, dans le style élevé, de la prose en délire, Kant était de petite stature et d’une complexion très-délicate. Nous avons déjà parlé de ses qualités morales : il était d’une véracité parfaite, d’une extrême attention à éviter tout ce qui aurait pu causer de la peine, si l’intérêt de la vérité ne l’exigeait pas : il était affable, bienfaisant sans ostentation, et reconnaissant des soins qu’on lui donnait. Dans les derniers temps de sa vie, il se montra vivement touché de ceux que lui rendait son domestique ; plusieurs fois cet homme eut de la peine à empêcher son maître de lui baiser les mains. Il ne faisait pas volontiers l’aumône aux mendiants ; mais on a su, après sa mort, qu’indépendamment d’autres charités particulières, il donnait annuellement 1123 florins, tant à ses parents pauvres qu’à des familles indigentes, somme énorme si on la compare avec son revenu. Tel fut l’homme extraordinaire qui a remué les pensées humaines à une plus grande profondeur qu’aucun des philosophes du même rang n’avait fait avant lui. Les opinions sur le résultat permanent de son analyse des facultés humaines sont naturellement très divergentes encore. Ses disciples fidèles, dont le nombre est, il est vrai, fort diminué, voient toujours en lui le Newton, ou tout au moins le Keppler du monde intellectuel ; hors même de son école, un grand nombre d’observateurs attribuent à l’influence de ses principes ce réveil des sentiments patriotiques et généreux, ce retour de vigueur dans les âmes, et ce zèle désintéressé pour le bien qui se sont manifestés en Allemagne, dans ces derniers temps, avec autant d’honneur pour la nation que de succès pour son indépendance et de fruit, pour les sciences morales. Un nombreux parti accuse Kant d’avoir créé une terminologie barbare, innové sans nécessité en s’enveloppant à dessein d’une obscurité presque impénétrable, enfanté des systèmes absurdes ou funestes, augmenté l’incertitude sur les intérêts les plus graves de l’humanité ; d’avoir, par le prestige du talent, détourné la jeunesse d’études positives, pour lui faire consumer son temps dans de vaines subtilités ; d’avoir, par son idéalisme transcendantal, conduit ses disciples rigoureusement conséquents, les uns à l’idéalisme absolu, les autres au scepticisme, d’autres encore à un nouveau genre de spinosisme, tous à des systèmes aussi absurdes que funestes. On accuse de plus cette doctrine d’être en elle-même un tissu d’hypothèses hasardées et de théories contradictoires, dont le résultat est de nous faire voir dans l’homme la créature la plus discordante et la plus bizarre. On l’accuse enfin d’avoir, en exigeant de l’homme des efforts plus que stoïques, jeté dans les âmes le découragement et l’incertitude bien plus que des germes de vertu active, de confiance et de sécurité. Il y a sans doute de l’exagération dans ces deux jugements extrêmes, Les disciples de Socrate s’éloignèrent de ses idées plus encore que ceux de Kant ne se sont écartés des principes du Criticisme. Qui niera cependant le mérite de Socrate et son influence salutaire ? Quant au style de Kant, il faut convenir qu’il est extrêmement défectueux. Dans sa Critique de la raison pure, ses fréquentes répétitions font sans cesse perdre le fil de son raisonnement, et ce grand ouvrage n’a été bien apprécié du public que depuis la publication du sommaire que MM, Schultz et Reinhold en donnèrent en 1785 et 1789, Reinhold contribua surtout à le tirer de l’espèce d’oubli où il était tombé, et rendit d’ailleurs à la philosophie de Kant, sous beaucoup de rapports, des services analogues à ceux que Wolf avait rendus à celle de Leibnitz. Le blâme de n’avoir point rattaché à un principe unique le sujet et l’objet, les facultés diverses de l’homme et la solution de tous les grands problèmes de la philosophie, ne se trouve guère justifié par le succès, soit des tentatives de ce genre antérieures à Kant, soit des systèmes ingénieux de l’idéaliste Fichte et du réaliste Schelling, qui, se proposant de satisfaire ce besoin de la raison théorétique, ont entrepris d’atteindre, par la force de la spéculation, à l’unité absolue du moi et de la nature. Cette investigation paraît aux kantiens purs aussi vaine que la recherche de la quadrature du cercle, et tout juste l’écueil dont la Critique de la raison pure a voulu détourner à l’avenir les métaphysiciens. Il est un reproche mieux fondé qu’on peut faine au criticisme, celui de n’avoir résolu qu’une partie des doutes de Hume ; reproche d’autant plus grave que c’est pour nous garantir de leur atteinte que Kant a eu recours à une hypothèse qui réduit ce touchant et magnifique spectacle de la création à un être plus que problématique, à une valeur inconnue et impossible à déterminer, à l’x d’une équation intellectuelle. Il faut se garder toutefois de conclure de ces observations que les théories de Kant ont en définitive été rejetées par l’opinion en Allemagne ; un grand nombre de leurs principes et de leurs résultats ont passé dans l’enseignement académique ; leur empreinte se retrouve partout et se reconnaît surtout dans les écrits des moralistes et des théologiens. En comparant la marche du raisonnement de M. Ancillon, lorsqu’il trace le Tableau analytique des développements du genre humain (p, 99-360, t. 2 à de ses Nouveaux mélanges, 1807), avec les principes de Bonnet et de M. David Steward, et avec la méthode des philosophes les plus distingués de l’école de Condillac, tels que MM. de Tracy, Laromiguière, etc., le lecteur français se fera une idée assez juste de l’influence que la doctrine de Kant a exercée sur les classes éclairées de la nation allemande.

S—n.


  1. (1) Letzte Aeusserungen Kant’s, von einem serner Tischgenossen, Kœnigsberg, 1804, in-8o.
  2. (2) Tableau de la vie et du caractère de Kant (en allemand), revu et rectifié par Kant lui-même, ibid., in-8o.
  3. (3) Emanuel Kant dans les dernières années de sa vie, peint par E. A. Ch. Wasianski (son secrétaire privé et son commensal), ibid., in-8o (en allemand).
  4. (4) Lettres à un ami sur Émannuel Kant, ibid., in-8o (en allemand).
  5. (5) Imman. Kant’s Biographie, Leipsick, 1804, 2 vol. in-8o. Les deux derniers volumes, qui devaient compléter cet ouvrage, n’ont jamais paru. Cette compilation n’est point sans mérite ; on y trouve des anecdotes intéressantes, puisées dans les relations des voyageurs et dans les lettres des personnes qui ont vécu avec le philosophe qui en est l’objet.
  6. (6) Fragmente aus Kants Leben, Kœnigsberg, 1802. L’article de Kant, dans la Presse littéraire de l’abbé Denina (t. 2, p. 306 et suiv.), fourmille d’erreurs et d’omissions *.
    • Aux noms qui précèdent, il faut ajouter ceux de Grohmann et de Rink, qui ont egalement donné des renseignements precieux sur la vie de Kant. Mais la meilleure biographie qu’on possède aujourd’hui est celle qui accompagne l’édition des œuvres complètes donnés pour la première fois par M. Rosenkranz.
    J. T. T.
  7. (1) Voy. HUME.
  8. (1) Dans son écrit intitulé Prolégomènes de toute métaphysique qui s’élèverait au rang de science. Voyez aussi le plus ancien de ses écrits sur la métaphysique : Principiorum primorum cognitionis metaphysicae dilucidatio, 1755, in-4o.
  9. (1) Prolégomènes de toute métaphysique, préface, et paragraphes 14-30.
  10. (1) Voyez Enquiry concerning the human understanding, t. 4, p. 1.
  11. (2) Essays on the active powers of man, Edinburg, 1788, in-4o, p. 31 ; Essay 1, ch. 4, et Essay IV, ch. 2, p. 279. Voy. Aussi Essays VI, ch. 6, on the intellectual powers of man.
  12. Voyez la préface de la troisième édition de la Critique de la raison pure, de 1790.
  13. Comme l’ont fait Eberhard et Dugald Stewart. Kant répondit au premier, dans un opuscule intitulé D’une prétendue découverte suivant laquelle toute nouvelle critique de la raison pure doit être rendue inutile par une plus ancienne, 1790. Eberhard prétendait retrouver le système de Kant dans Leibnitz. La réponse de Kant devient plus victorieuse encore, s’il est possible, lorsqu’on la rapproche d’un autre récit sorti de la même plume : Sur la question proposée par l’Académie de Berlin : Quels sont les progrès réels de la métaphysique en Allemagne depuis Leibnitz et Wolf jusqu’à nos jours. Cet opuscule, publié en 1804, avait été composé en 1791, dix ans après la première publication de la Critique de la raison pure. Dugald Stewart croyait au contraire avoir retrouvé les idées fondamentales de criticisme dans Cudworth. J. T – T.
  14. Il a dit : « Au lieu de recevoir les idées des choses en nous nous feignons des qualités de notre être toutes les choses que nous contemplons. »
  15. Philosophie de Kant, ou Principes fondamentaux de la philosophie transcendantale, Metz, 1801, in-8o. L’auteur n’avait jamais abandonné l’idée de traiter, dans une seconde partie, avec plus d’étendue, les matières qu’il n’avait pas suffisamment développées dans la première partie, par exemple, la théorie de la morale, et celle des beaux-arts. Une mort prématurée l’a empêché d’exécuter ce dessein et d’autres projets utiles, ainsi que de mettre la dernière main à un article sur Kant, qu’il avait rédigé pour la Biographie universelle, mais dont il n’était pas content, et qu’il désirait voir refondu. Il avait chargé de ce soin l’auteur de cet article, qui l’a remplacé dans cette tâche, sans pouvoir lui soumettre ce travail.
  16. Histoire comparée des systèmes de philosophie, relativement aux principes des connaissances humaines, 3 vol. in-8o, Paris, 1804, t. 2, ch. 16, p. 167-253, et t. 3, ch. 13, p. 505-551.
  17. Histoire de la philosophie moderne, depuis la renaissance des lettres jusqu’à Kant, par J.-G. Buhle, traduit de l’allemand par A.-J.-L. Jourdan, 1817, in-8o, 7e vol. Voyez les intéressants articles de M. Cousin sur cet ouvrage, insérés dans les Archives philosophiques de juillet et août 1817.
  18. De l’Allemagne, 1814, t. 3, ch. 6, p. 67 et suiv., ch. 8 et suiv., p. 124-170 ; et ch. 14 et suiv., p. 198-222.
  19. Depuis 1818, la philosophie de Kant a été exposée et traduite en partie dans notre langue, par Kinker, Schœll, Cousin, Tissot, Barchou de Penhœn, Trullard, Wilm, Barni, etc. Born en fit une traduction en latin en 1796-1798. La Critique de la raison pure fut traduite en italien par Mantovani de 1820 à 1822. Depuis lors, Galuppi, Testa et plusieurs autres Italiens ont donné des analyses plus ou moins fidèles de sa philosophie critique. En Angleterre, J.-W. Semple donna en 1836, une traduction d’une partie de la Métaphysique des mœurs. Th. Wirgman a fait une bonne analyse de la Critique de la raison pure, in-4o sans date, et M. Francis Haywood a publié en 1838 la traduction de la même critique, dont il a donné un abrégé en 1844. J. T – T.
  20. (1) Kant a répondu aux critiques de Garve dans la 2e édition de ses Principes métaphysiques du droit, et dans l’opuscule : Sur le dicton : Cela peut être juste en théorie, mais c’est sans utilité pratique, 1793. J. T – T.
  21. (1) On trouvera la liste complète et traduite de tous les ouvrages de Kant, dans la biographie de ce philosophe, en tête de la traduction de la Critique de la raison pure, par l’auteur de cette note, 2° édit. 1845, p. 30-35. J. T-T.
  22. (1) Sur une découverte d’après laquelle une ancienne Critique de la raison pure aurait rendu superflue la nouvelle, 1790, seconde édit., 1792, in-8o.
  23. (2) Métacritique pour servir de pendant à la Critique de la raison pure, par J.-G. Herder, Leipsick, 1799, 2 tomes in-8o. Calligone ; Critique de la Critique du jugement, par le même, ibid., 1800, 3 tomes in-8o.