Biographie universelle ancienne et moderne/2e éd., 1843/LESUEUR (Eustache)

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Texte établi par Michaud, A. Thoisnier Desplaces (Tome 24p. 340-345).

LESUEUR (Eustache), l’un des plus grands peintres du 17e siècle, et surnommé le Raphaël français, naquit à Paris en 1617. Fils d’un sculpteur originaire de Montdidier, il montra de bonne heure pour le dessin, des dispositions qui le firent placer dans l’école de Simon Vouet, peintre habile dans la pratique des diverses parties de l’art qu’il avait puisé en Italie, mais, comme le Pérugin, moins célèbre par son propre mérite, que par celui de ses élèves, dont Lebrun fut un des principaux. Lesueur devint bientôt l’émule du maître avec lequel il partageait, à l’époque de la renaissance de la peinture en France, les nombreux travaux commandés par le cardinal de Richelieu au premier peintre du Roi. Une exécution séduisante et facile, qui était commune aux deux peintres, les fit d’abord confondre ; mais, le talent de l’expression, dont Vouet manquait, ne tarda pas à se développer chez Lesueur, à la vue de quelques ouvrages de Raphaël ; et ce fut peut-être le germe de cette envieuse rivalité de la part, non du maître dont il secondait trop bien la manière expéditive, mais de l’autre principal élève, dont le pinceau était moins agréable. Huit compositions de sujets romanesques, destinées à être exécutées en tapisseries, telles que le Songe de Polyphile, ou plutôt les Visions tirées du poëme de ce nom (voy. François Colonna), durent contribuer sans doute à le faire connaître ; mais leur auteur annonçait, dans ces sujets mêmes, un génie sage autant d’expressif, et chez qui la grâce n’ôtait rien à la dignité qu’il mettait dans les sujets religieux. Reçu maître à l’ancienne académie de St-Luc, il peignit pour elle un St-Paul imposant les mains aux malades, morceau d’expression qui attira l’attention du Poussin. Malheureusement ce grand artiste, nommé alors premier peintre du roi, ne fit qu’un court séjour a Paris. Mais de retour à Rome, il prenait la peine de dessiner des croquis de modèles du meilleur style qu’il envoyait à Lesueur. Depuis la mort de Vouet, d’après les conseils du Poussin, Lesueur ne s’était plus occupé que d’étudier les bons maîtres italiens, et surtout l’antique, mais d’après un petit nombre de copies et encore moins d’originaux. S’étant marié en 1642, sans autre ressource principale que son travail ni d’autre recommandation que son talent, il se trouvait fixé à Paris ; et il dut tirer en grande partie de son propre fonds tout ce qu’il acquit dans la composition et le dessin, sans aller à Rome. Cependant on voit, par l’espèce des sujets et l’époque des gravures, qu’il dessina d’abord des Thèses de théologie, dont une gravée à la date de 1645, des Frontispices de livres, entre autres une Annonciation pour un office à l’usage des chartreux ; qu’il peignit des portraits de Vierge en médaillon pour des religieuses ; qu’il grava lui-même une Ste-Famille de sa composition ; eutin, qu’il composa quelques sujets moraux ou allégoriques de circonstance : Minerve et la reine Anne d'Autriche, Louis XIV et le cardinal Mazarin, la Vertu au roi, etc. Mais la simplicité et la candeur de son caractère le rendaient peu propre à se produire à la cour. Bien que la reine mère le nommât son peintre, et le chargeât de décorer le cloître de la Chartreuse de Paris, ce que Félibien et Perrault ne disent point, la collection des tableaux de l’histoire de St-Bruno, qu’il peignit en trois années, lui fut payée médiocrement ; tandis qu’une Vision de St-Bruno, peinte dans le même temps par le Guerchin, pour les Chartreux de Bologne, valut à celui-ci trois mille cinq cents francs de notre monnaie. La galerie de la Chartreuse, peinte par Lesueur, offrait, dès les premiers tableaux, bien moins un élève de Vouet qu’un disciple de Raphaël, dont elle lui a mérité le nom ; mais, dans les suivants ainsi que dans les derniers, sous le rapport de l’expression des sentiments et des affections les plus intimes, il n’est comparable qu’à lui-même : son génie, son goût, c’est son âme ; il n’a pris ni l’un ni l’autre dans Raphaël. Les tableaux nombreux de cette galerie n’ont pu être tous exécutés par lui ; tous l’ont été sur ses dessins : mais ceux qu’il a lui-même terminés se distinguent non-seulement par leur disposition grande et simple, par la justesse et la naïveté des expressions, la vérité et la grâce naturelle des attitudes, le jet aisé et noble des draperies, mais par une délicatesse de correction, une suavité de ton, et une vérité de clair-obscur, analogues au genre et au mode de la composition. Lors de la création de l’académie de peinture, en 1648, époque de l’achèvement de cette galerie, Lesueur fut du nombre des douze anciens membres ou professeurs, et chargé de peindre le tableau que présentait au 1er mai le corps des orfévres de Paris à l’église Notre-Dame. Lebrun, à son retour d’Italie, s’était signalé en peignant le tableau du mai. L’émulation, plutôt que le modique prix de quatre cents francs attaché à ce travail, fit produire à Lesueur, en 1649, le St-Paul prêchant à Éphèse, où il mit son nom ; véritable chef-d’œuvre de poésie et de mouvement, d’invention et de style, à côté duquel ni le St-André et le St-Étienne de Lebrun, pour le dessin, ni la Descente du St-Esprit de Blanchard, pour le clair-obscur, n’ont pu prévaloir. La réputation de Lesueur s’étendait, mais sans sortir de la sphère des communautés et des églises, ou des hôtels et des maisons particulières. Il acheva, en 1651, pour le monastère de Marmoutier, plusieurs tableaux, dont ceux qui nous restent expriment, par leur caractère touchant et ascétique, la perfection du genre qu’il avait embrassé. Entre autres églises de Paris qu’enrichit si dignement son pinceau religieux, celle de St-Gervais possédait, comme la métropole de Notre-Dame, un grand tableau, le plus capital de la nef, où, dans la peinture des deux frères Gervais et Protais, entraînés pour sacrifier aux idoles, Lesueur s’est élevé au plus haut degré de son talent. Malgré la sévérité de la composition, rien n’égale la grâce inimitable des têtes des deux saints. C’est cette même grâce aimable, mais noble, qui lui a fait traiter, dans un genre bien différent, les sujets les moins graves de le mythologie, en peignant avec autant d’amabilité que de décence, les Amours, les Nymphes et les Muses, dans l’hôtel du président de Thorigny, connu depuis sous le nom de l’hôtel Lambert. L’auteur s’y trouva en concurrence avec Lebrun ; et, quoique celui-ci visitant un jour le cloître des chartreux et, se croyant sans témoin, se fût récrié d’admiration à chaque tableau, le peintre de la galerie de l’hôtel Lambert put bien devenir jaloux de celui du salon des Muses, lorsqu’il le vit préféré, en sa présence, dans le genre même d’invention allégorique où il prétendait exceller. On rapporte que le nonce du pape étant venu voir les peintures de l’hôtel Lambert commencées depuis plusieurs années, Lebrun s’empressa de lui montrer en détail la galerie et le plafond de l’Apothéose d’Hercule. Ils passèrent ensuite dans la salle où étaient peints au plafond l’Apollon et le Phaéton de Lesueur. Le nonce, frappé des beautés du plafond, s’écria : « Celui-ci est d’un maître italien ; mais l’autre est una coglioneria » et il ajouta que c’était dommage qu’ils ne fussent pas tous les deux de la même main. Il est bien difficile de croire qu’un nonce eut traité avec un pareil mépris une composition vigoureuse, mais moins expressive peut-être que celle de la Caverne d’Éole dans le Phaéton de Lesueur. Une tradition plus vraisemblable, reçue à l’hôtel Lambert, était que Lebrun, ayant accompagné le nonce dans la galerie, doublait le pas en traversant les pièces peintes par Lesueur, et qu’alors le nonce l’arrêta en lui disant : « Voilà pourtant de bien belles peintures ! » Quoi qu’il en soit, une préférence quelconque de la part d’un grand dut choquer celui qui cherchait à fixer l’attention de la cour, et à s’attirer exclusivement, par l’allégorie de ses louanges, les bienfaits de Louis XIV, auxquels on sait qu’en effet Lesueur, comme le bon la Fontaine, n’eut point de part. Le caractère noble et simple, spirituel et naïf qui distinguait Lesueur dans ses ouvrages comme dans sa personne, excitait contre lui l’envie et le laissait sans défense. Modeste et sans ambition, mais sensible à l’injustice, il se permit une seule allégorie, où il s’est représenté triomphant de ses rivaux, comme le Poussin. « J'ai toujours tout fait, disait-il, et je ferai tout encore pour en être aimé. » En effet, il fallait être bien fortement prévenu pour ne pas aimer l’auteur en voyant ses ouvrages. Mais les compositions qui l’occupaient à l’hôtel Lambert, quoique dans le genre gracieux, fatiguaient ses organes, épuisaient ses forces. Persécuté, resté veuf et seul, une maladie de langueur détermina sa retraite chez les chartreux, où la reconnaissance l’avait souvent accueilli. Ce fut dans ce pieux asile qu’il mourut en 1655, à l’âge de 58 ans. S’il est vrai que Lebrun, l’étant venu voir à ses derniers moments, ait dit avec une joie secrète, après avoir fermé les yeux à Lesueur, que la mort venait de lui ôter une grande épine du pied, ce trait ainsi raconté par un chartreux même (Bonaventure d’Argonne), témoignerait à quel point l’amour-propre et l’envie peuvent mettre un homme honnête en opposition avec ses sentiments. Lesueur fut inhumé à St-Étienne du Mont, où la simple épitaphe qui fut gravée sur sa tombe est aujourd’hui effacée[1], tandis qu’un plus digne monument a reçu la cendre de Lebrun à St-Nicolas du Chardonnet, et qu’un autre a été érigé au Poussin dans le Panthéon romain, à côté de Raphaël. Mort sans enfants, Lesueur n’a laissé que des neveux, dont un des descendants directs est devenu célèbre dans la composition musicale (voy. Lesueur Jean-François). Secondé par ses frères Pierre, Philippe et Antoine, et par son beau-frère Goulay, il ne forma point d’école. Laurent Colombel et Claude Lefebvre furent seul ses élèves, tandis que l’école de Lebrun comptait de nombreux disciples. C’est ce qui peut expliquer comment Lesueur ne fut point épargné, même après sa mort, et comment une main jalouse ayant endommagé plusieurs peintures du cloître des Chartreux, les religieux furent obligés de les couvrir de volets fermant à clef. Ses figures, d’une expression si vraie et en même temps si gracieuse, opposées aux figures de Lebrun, faisaient paraître celles-ci dures et moins naturelles, quoique expressives. Les tableaux de Lesueur respiraient, ainsi que ceux du Poussin, la vertu, mais une vertu douce et de plus une aimable mélancolie, qui rappelait trop un artiste mort, comme Raphaël, au milieu de sa carrière. Pour achever de faire connaître l’homme aussi bien que le peintre, nous allons indiquer, en y joignant quelques remarques, ceux de ses ouvrages dont le caractère exprime le mieux l’esprit qui les a produits : 1o St-Paul guérissant les malades et délivrant un possédé devant l’empereur Néron. C’est le tableau d’admission de l’auteur à l’académie de St-Luc. On y voit dès lors cette unité d’intention qui fait concourir diversement les traits, les gestes, les attitudes des différents personnages à l’action et à l’expression générale. Dès avant la révolution qui, en 1795, a dispersé les tableaux des églises et des établissements particuliers, plusieurs des ouvrages de Lesueur ont été, comme lui, méconnus ou peu respectés. Celui-ci fut acquis par un particulier. Depuis il a fait partie du musée du Louvre, et ensuite de la collection de Lucien Bonaparte. On le trouve gravé par Massard père dans le Musée français de Robillard. 2o La Salutation angélique, ou l’Annoncation. À la différence de la Vierge du Guide, qui, saluée par l’ange, joint ses belles mains et plaît par la douceur attachante de ses regards, la Vierge modeste de Lesueur baisse les yeux, en croisant les mains sur sa poitrine, signe expressif de l’humilité et du recueillement. L’artiste a répété ce geste dans le St-Bruno en prière, et dans la Ste-Scolastique peinte pour Marmoutier, où d’Argenville dit qu’il existait une Annonciation de Lesueur, ainsi qu’à Paris, dans la chapelle du président Turgot. La Salutation angélique est annoncée dans la notice du musée du Louvre comme gravée par Bosse : cependant Landon la donne comme inédite, et la distingue d’une autre Salutation, gravée, en effet, par Bosse, pour un office de la Vierge, ainsi qu’on l’a dit plus haut. 3o La Vie de St-Bruno, en vingt-deux tableaux, peints sur bois, et terminés en 1648. Le petit cloitre des Chartreux, où fut retracée cette histoire, avait déjà été peint en 1350, à fresque, et sur toile en 1508. Le prieur de cette maison, ayant fait l’offre, en 1776, des tableaux de Lesueur pour la galerie du Louvre, ils furent enlevés, mis sur toile et retouchés dans les parties dégradées. Mais ils n’ont été pleinement restaurés que plusieurs années après, au palais du Luxembourg, d’où ils ont passé, suivant leur destination, au musée du Louvre. Cette collection a été gravée par Chauveau, ou d’après ses dessins, en un volume in-fol., avec des vers latins et français, les mêmes qui avaient été tracés sur les murs du cloitre (voy. François Jarry). A. Villerey a publié, en petit, la gravure de la même galerie avec des explications, Paris, Didot, 1808. Parmi cette suite de tableaux que Lesueur appelait modestement des esquisses, moins parce qu’il avait été aidé dans l’exécution de quelques-uns, que parce qu’il voyait la perfection au delà, on remarque principalement : 1o le St-Bruno prostemé devant un crucifix. Cette figure, profondément recueillie, exprime, sous les replis du vêtement qui l’enveloppe, le sentiment intime dont elle paraît pénétrée. C’est ici que commence véritablement l’histoire du saint ; car la résurrection du chanoine damné qui opère la conversion de St-Bruno est une fable ; mais à l’époque de la controverse élevée à ce sujet, l’artiste n’avait pu se conformer aux peintures consacrées par la tradition et les chroniques de l’ordre. 2o St-Bruno distribuant ses biens aux pauvres. Dans l’esquisse qui avait appartenu à d’Argenville et qui se trouve au Musée, la ligne de composition paraît sous un angle plus aigu que dans le tableau, où, moins resserrée, elle est plus favorable au mouvement des figures qui se pressent sans se confondre. Au reste, cette disposition du plan semble retracer une fabrique du Poussin. 3o St-Bruno lisant une missive du pape. La physionomie du saint et celle de ses religieux, son air de piété et d’attention, leur contenance humble et respectueuse, expriment et produisent ce calme de l’âme qui attache et qui prête des charmes à la solitude simple du lieu. Le ton de la couleur et la disposition des lignes concourent à l’effet paisible de la composition. Elle a été gravée par Sébastien Leclerc, dans la collection de Chauveau. 4o La Mort de St-Bruno, entouré de ses religieux. On a reproché au pinceau de Lesueur de manquer d’énergie, parce que son ton est assorti au caractère de ses compositions, presque toujours gracieuses. La vigueur du clair-obscur est ici en harmonie avec le pathétique du sujet ; mais ce sont les diverses expressions répandues sur tous ces visages, dans toutes ces attitudes et sous ces vêtements uniformes et sans couleur, qui, rapportées à une même intention, à un même objet, frappent le plus vivement, par leur ensemble, les spectateurs de cette scène. Des études faites d’après nature sur les religieux eux-mêmes, ont dû seules contribuer à produire cette vérité d’effets, que des mannequins et les modèles de l’école n’eussent jamais pu rendre. 5o L’Apothéose de St-Bruno excite un autre sentiment, celui de l’admiration. Le groupe d’anges qui porte le saint peut bien rappeler le Ravissement de St-Paul du Dominiquin ; mais la pose hardie et gracieuse de la figure principale s’élevant doucement dans les airs sur un plan incliné appartient à Lesueur. Cette dernière pièce de la collection est gravée par Leclerc, sur les dessins de Chauveau ; elle l’a aussi été par François Poilly. 6o Prédication de St-Paul à Éphèse. Le style animé de la composition, le ton lumineux de la couleur, tout tend à rendre plus frappante l’action de l’éloquence de l’apôtre, dont le front élevé (os sublime) semble porter l’empreinte du ciel que ses yeux ont vu ; disposition que Raphaël a souvent cherché à exprimer. Les auditeurs admirent, recueillent les paroles de St-Paul. Dans leur enthousiasme, les jeunes gens, les femmes, les vieillards, apportent les livres profanes, les déchirent et les brûlent. Ce tableau, le premier de l’école française par la dignité de la composition et du sujet, a passé de l’église de Notre-Dame au musée du Louvre : il est gravé par Picart le Romain. Un autre tableau de St-Paul prêchant à Éphèse était une grande et première conception de l’auteur. La gravure qu’en a faite Benoît Audran y montre plusieurs circonstances accessoires, tirées du récit des Actes des apôtres ; mais ces épisodes compliquent et partagent l’action principale. Félibien, qui avait vu ce tableau chez M. Le Normand, secrétaire du roi, l’a décrit et en parle avec éloge : on ignore ce qu’il est devenu. 7o  Tableaux de l’Histoire de St-Martin et de celle de St-Benoît, peints pour le monastère de Marmoutíer : 1. La Messe de St-Martin. Une hostie rayonnante parait sur la tête du prêtre qui officie, et fait éprouver par degrés à plusieurs des assistants divers sentiments de surprise, d’étonnement et d’admiration. Les différentes nuances de la même expression générale y sont rendues par le trait le plus simple, et les figures y semblent faites au premier coup. Malgré l’impression produite sur une partie des fidèles, un caractère de recueillement et de paix fait le charme de cette scène religieuse des premiers siècles. Lors de la révolution, le cabinet de M. d’Angivilliers recueillit cette pièce, qui passa ensuite au musée. Landon ne l’a point comprise dans l’œuvre de Lesueur, quoiqu’il l’eût publiée dans ses Annales ; mais elle a été gravée depuis par Laurent, dans le Musée français. 2. La Vision de St-Benoît, auquel apparaît Ste-Scolastique, accompagnée de deux vierges couronnées de fleurs, etc. Les Annales du musée avaient donné comme une apparition de la Vierge à St-Martin, celle de la sœur de St-Benoît à son frère : l’erreur rectifiée dans l’Œuvre annonce qu’il existait un autre tableau de St-Martin à Marmoutier ; celui-ci ne s’est pas retrouvé, et aura péri avec une Cène du même auteur, que la révolution a détruite, suivant la Vie qui est en tête de son œuvre. La Vision de St-Benoît, conservée au musée de Tours, d’où elle a passé à celui de Paris, a été gravée par Guérin. Cette composition mystique, mais d’une exécution gracieuse, unit la suavité et l’harmonie de la couleur à la vivacité et à la finesse de l’expression. Le svelte des figures des deux vierges y est favorable à la légèreté ; mais la proportion en est un peu allongée. Au reste, l’artiste n’a guère employé ce mode qu’en cherchant l’idéal de l’antique dans les figures auxquelles il voulait donner une grâce plus élégante ou plus délicate. 3. Un tableau de la Mort de St-Benoît, où le saint, debout, appuyé sur ses religieux, rend l’esprit, et dont le dernier souffle est indiqué par un trait lumineux qui se dirige vers le ciel. Ce tableau se trouve dans le cabinet de M. de L** à Paris. Il n’a été ni mentionné ni gravé. 6° Le Martyre de St-Laurent, et Jésus chez Marthe et Marie, peints pour l’église de St-Germain l’Auxerrois. Dès avant 1750, ces tableaux, qui ne le cédaient point aux plus beaux du même maître, avaient été vendus et remplacés par des copies. Le premier fut vu dans le cabinet de M. Pasquier, et ensuite dans celui de M. de Lalive ; mais on croit qu’il périt depuis par un incendie. Gérard Audran en a reproduit le caractère et l’expression. La composition du second, qui a aussi disparu, nous est conservée dans les gravures de Leclerc, de Benoit Audran, de Picart le Romain et de Drevet. 7o La Mort de Tabithe, peinte pour la chapelle de St-Pierre à St-Étienne du Mont. Elle fut, malgré le respect dû aux cendres de Lesueur, vendue par les marguilliers à un marchand de tableaux, suivant ce que rapporte Papillon de la Ferté, en 1776 ; et en effet on ne l’a pas revue depuis. Il nous en reste une gravure faite par Duflos. 8o St-Gervais et St-Protais conduits devant le consul Astase, pour sacrifier aux idoles. C’est le principal des six grands tableaux de l’histoire de leur martyre, qui décoraient la nef de l’église de St-Gervais, et dont deux furent peints, le premier en totalité par Lesueur. et le second, en partie par son beau-frère. La grandeur et la simplicité de la composition, la vérité des caractères et des attitudes, et surtout l’expression touchante des deux frères, la fermeté du plus âgé qui baisse la vue, la candeur du plus jeune qui détourne la tête, contrastant avec l’audace et la violence des licteurs, laissent à peine apercevoir quelques parties moins terminées de cette composition, l’une des plus capitales du musée du Louvre. Elle avait été gravée en forme de thèse, et M. Baquoy l’a reproduite avec beaucoup de succès. Le deuxième tableau, représentant le Martyre de St-Gervais et de St-Protais, avait été composé par Lesueur, mais la mort empêcha ce grand peintre de le terminer. Il a passé au musée de Versailles. Deux Martyres de chacun des mêmes saints ont été gravés, l’un par Picart le Romain, l’autre par Gérard Audran. Deux autres sujets semblables, peints sur les vitraux de la même église, par Perrin, sur les dessins de Lesueur, ont été conservés au musée des monuments français. Enfin, une Descente de croix, qui était dans cette église, composition remarquable par la simplicité de l’ordonnance et le caractère touchant et divers des expressions, est au musée de Paris, et a été gravée par Duflos. 9o La Confiance d’Alexandre prenant un breuvage des mains de son médecin Philippe, auquel il fait lire une lettre où on l’accuse d’avoir voulu l’empoisonner. Ce tableau de chevalet, comme le précédent, et distingué de même par la variété et la délicatesse des expressions, appartenait à la galerie d’Orléans : il a passé en Angleterre. Benoit Audran l’a gravé. 10o Sujets mythologiques. Galerie de l’hótel Lambert, composée de dix-neuf tableaux, dont sept décoraient le salon de l’Amour ; sept, le cabinet des Muses, les cinq autres avaient été peints en camaïeu dans l’Appartement des Bains. L’artiste, sage et fécond, a su, sans s’écarter de la mythologie, créer des allégories ingénieuses et toujours claires, telles que l’Amour réprimandé par sa mère et se réfugiant dans les bras de Cérès ; l’Amour dérobant le feu du ciel à Jupiler, pour venir animer la terre, etc. On a déjà parlé du Phaéton demandant à conduire le char d’Apollon, composition de la plus grande richesse, où la force et la grâce se trouvent réunies, et où, comme dans les autres ouvrages de l’auteur, toutes les parties, tous les détails concourent à l’intelligence de l’ensemble, ainsi qu’à l’expression et au développement du sujet. Elle n’a pu être terminée par Lesueur, qui fut aidé dans ce travail par son beau-frère. La marquise du Châtelet ayant acquis l’hôtel Lambert en 1759, le cabinet de l’Apollon et des Muses, dont les figures sont si agréablement disposées et d’une harmonie si douce, devint celui de Voltaire, de 1745 à 1749. M. d’Angivilliers acheta pour le roi, en 1777, les tableaux de ce cabinet et ceux du salon de l’Amour, et ils ornent aujourd’hui le musée. La galerie de l’hôtel Lambert a été gravée par Desplaces, Dupuis, Beauvais et Duchange, sous la direction de Bernard Picart, en 1 vol. in-fol. 11o Plusieurs autres tableaux et dessins, dignes de remarque, se trouvent indiqués dans l’Œuvre de Lesueur, gravé au trait et publié par Landon, Paris, 1811, en 2 vol. in-4o, comprenant cent dix pièces ; mais comme la collection, quoique nombreuse, contient seulement les pièces qu’on a pu connaître pour les graver, il faut y joindre celles qui ont été désignées dans les Voyages pittoresques, comme existantes à l’ancien cabinet du roi, à la troisième chambre de la cour des aides, dans la chapelle du président Turgot, et à l’ancien hôtel de Bouillon, parmi lesquelles il en est qui formaient des collections plus ou moins remarquables. On a attribué à Lesueur une suite de dessins, au nombre de dix-huit, lavés à l’encre de Chine, et qu’on voyait dans la salle des marguilliers à St-Étienne du Mont ; mais ils ont été reconnus pour être de La Hyre. Un des frères de Lesueur les avait seulement peints en grand pour être exécutés en tapisserie. Les dessins de Lesueur sont la plupart à la pierre noire avec un léger lavis rehaussé de blanc : les contours en sont purs, élégants, et la touche légère. Il a fait aussi des esquisses à la gouache ou à l’huile, où l’on retrouve ces airs de tête fins et gracieux, ces expressions douces et naïves, ce jet de draperies élégant et naturel, qui le font partout aisément reconnaître. Lesueur a fait lui-même son portrait, qui a été gravé par Van Schuppen en 1696, et depuis par Cochin, pour sa réception à l’Académíe. Son buste, sculpté par Roland, décore la galerie française du musée. Enfin, dans un tableau du cabinet de M. de L**, et qui mériterait d’être gravé, Lesueur s’est peint tranquillement assis, demi-couché sur un lit de repos, tandis que son seul Génie terrasse la Calomnie et met en fuite l’Envie. Le fond représente un vaste jardin d’une perspective riante : image paisible de l’avenir, qui a rendu enfin une justice éclatante au génie modeste, en réunissant dans le palais de nos rois quarante de ses productions les plus belles, échappées à l’injure des hommes et aux révolutions. On peut consulter sur Lesueur l’excellent ouvrage de M. L. Vitet, intitulé Eustache Lesueur, sa vie et ses œuvres, Paris, 1845.

G—ce.

  1. Le rétablissement de cette épitaphe est ingénieusement supposé dans un tableau représentant l’intérieur de cette église, exposé au salon du Louvre, en 1817 (par madame de Manne). Cependant, puisqu’on a rétabli en 1818 à St-Étienne les pierres tumulaires de Racine et de Pascal, on devrait placer la tombe de Lesueur à côté de celle de Racine, comme on eût dû reporter près de Pascal celle de Descartes, dont une rue voisine garde encore le nom.