Biographie universelle ancienne et moderne/2e éd., 1843/MUSÆUS (Jean-Charles-Auguste)
MUSÆUS (Jean-Charles-Auguste), littérateur
allemand, naquit à Iéna, 1735. Son père, juge
dans cette ville, fut appelé, peu de temps après,
à des fonctions supérieures à Eisenach. Le jeune
Musæus y gagna l’affection du surintendant ecclésiastique,
Weissenborn, son parent, qui commença
son éducation. Il passa quatre ans et demi à Iéna,
se livrant aux études théologiques, et retourna
ensuite à Eisenach, comme ministre, s’y exerçant
à la prédication, où il obtint même des succès.
Il fut, au bout de quelque temps, nommé
pasteur ; mais les paysans ne voulurent pas le
recevoir, parce qu’ils se souvenaient de l’avoir
vu danser. Obligé de se créer d’autres ressources,
il se lança dans la carrière littéraire et débuta
par un roman, en forme de lettres, intitulé Grandison der zweite (Le second Grandisson, etc.),
Eisenach, 1760-1762, 3 vol, in-8o. Ce n’est point
la critique du roman de Richardson, mais celle
de toutes les caricatures que produisait dans le
monde réel la fureur de l’imitation. Les qualités
qui firent plus tard la réputation de l’auteur s’y
trouvaient déjà dans un degré assez éminent :
néanmoins il ne dut sa vogue en Allemagne qu’à
la deuxième édition ; celle-ci fut publiée en 2 volumes
sous le titre de Der deutsche Grandison (le
Grandisson allemand), ibid., 1781, à la sollicitation
du libraire, témoin du succès des Voyages physiognomiques. L’ouvrage mérita même d’être
comparé au roman si célèbre en Allemagne de
Siegfried de Lindenberg. Musæus fut en 1763
nommé précepteur des pages du duc de Saxe-Weimar
et, sept ans plus tard, professeur au
gymnase de Weimar. Mais les appointements
de ces deux places ne pouvant suffire à l’entretien
de sa famille, il se détermina à donner des
leçons particulières et à prendre des pensionnaires.
Il publia successivement les ouvrages suivants :
2o Das Gärtnermädchen (La jardinière),
opéra-comique en trois actes, joué à Leipsick et
imprimé à Weimar en 1771, in-8o. C’est une imitation
de la Jardinière de Vincennes. 3o Physiognomische Reisen (Voyages physiognomiques),
4 vol. in-8o, Altenburg, 1778-1779 ; 2e édition,
4 vol. in-8o, ibid., 1781 ; 3e édition, ibid., 1781.
L’ouvrage de Lavater sur la Physionomie avait
paru quelques années auparavant ; on sait quel
effet il produisit en Europe. Il eut en Allemagne
beaucoup d’enthousiastes. Musæus conçut l’idée
d’attaquer par le ridicule cette admiration irréfléchie,
qui pouvait avoir d’autres inconvénients
que celui de déranger quelques cerveaux. L’auteur
voyage pour visiter ses coreligionnaires,
augmenter le nombre des adeptes et agrandir le
domaine de la Physiognomique. On devine que les
jugements qu’il porte sur le caractère et les dispositions
des individus qu’il rencontre sont fondés
sur les bases et les calculs de cette science des
sciences, et l’on doit s’attendre à des méprises
fort amusantes. Nous citerons seulement celle qui
a lieu à l’égard d’un personnage mystérieux qu’il
trouve dans un café et qui, d’après son profil, l’expression de sa physionomie, son maintien, ses
gestes et jusqu’à l’habitude de tenir la tête élevée
en fumant, lui paraît ne pouvoir être que le
sublime Klopstock, et qui est tout simplement un
garde de nuit (Nachtwæchter). Mais comme la
science ne peut être tout à fait en défaut, il se
donne beaucoup de peine pour persuader au faux
Klopstock que, s’il n’est pas ce grand poëte, il est
du moins un être supérieur. Cette production,
où l’on trouve des longueurs et beaucoup d’allusions
locales, qui maintenant en rendent parfois
la lecture un peu fatigante, est remarquable par
une grande simplicité, relevée par des traits spirituels,
des critiques fines des hommes, des mœurs
et des institutions, dans lesquelles les savants
eux-mêmes sont loin d’être épargnés ; une morale excellente, une grande tolérance ; enfin une
bonhomie assaisonnée de beaucoup de gaieté et
qui rappelle un peu le Vicar of Wakefield. Musæus,
mauvais juge de son mérite littéraire, fit
paraître son ouvrage sans nom d’auteur, le lançant
dans le public, pour ainsi dire, comme un
essai. Le succès surpassa ses espérances ; les
Voyages physiognomiques furent lus avec avidité.
L’on apprit avec étonnement qu’ils étaient l’ouvrage
d’un professeur de gymnase, et les savants
illustres qui habitaient Weimar furent tout surpris
de n’avoir pas su deviner un talent aussi
distingué. Cet ouvrage contribua beaucoup à la
fortune du libraire. Musæus en avait retiré tout
au plus un soulagement momentané ; chéri du
public, il eut peu à se louer de la fortune. Ces Voyages ont été traduits en anglais par Anne
Plumptre, Londres, 1800, 3 vol. in-12 ; la traduction
est précédée de la Notice de Kotzebue.
Aux Voyages succédèrent : 4o Wolksmährchen der Deutschen (Contes populaires), 5 vol. in-8o, Gotha,
1782 ; 6 vol., 2e édition, ibid., 1787 ; 8 vol.,
3e édition, par Wieland, ibid., 1806. Cet ouvrage
ajouta beaucoup à la réputation de Musæus. La
vogue du précédent ne pouvait que diminuer
avec l’enthousiasme croissant, excité par Lavater.
Celui-ci était un ouvrage national, qui convenait
à tous les temps et à tous les âges ; il s’est donc
soutenu et trouve encore des lecteurs en Allemagne.
Musæus n’a fait, dans presque tous ses
Contes, que prêter son style aux récits qu’il tenait
souvent des bouches les plus simples. Il rassemblait
chez lui de vieilles femmes du peuple,
qui venaient s’y établir avec leurs rouets et passaient
la soirée à raconter. Il faisait venir des
enfants et leur donnait une pièce de deux sous
(dreyer) pour chaque histoire. Enfin, on raconte
qu’un jour sa femme, en rentrant chez elle,
trouva sa chambre pleine de fumée et découvrit,
au milieu du nuage, son mari assis à côté d’un
vieux soldat, qui fumait à l’envi avec lui et lui
racontait des histoires. 5o Freund Heins Erscheinungen,
etc. (Apparitions de l’ami Hein), sous le
nom supposé de Schellenberg, Winterthur, 1785,
in-8o, avec 24 fig. Cette expression de freund Hein, ou plutôt Hain, était empruntée d’Asmus[1].
Les gravures représentent et l’auteur décrit des
scènes variées de la vie privée, dans laquelle
l’acteur ou les acteurs sont surpris par la mort.
Plusieurs sont imités de la fameuse Danse des morts de Holbein. Les explications sont en vers,
en prose mêlée de vers ; une est tout entière en
prose. Ce sont plutôt des réflexions morales que
des récits. 6o Straussfedern (Plumes d’autruche),
7 vol. in-8o, Berlin et Stettin, 1787-1707. C’est
un recueil de petits romans et de contes, mais le
premier volume seul est de lui. 7o Moralische Kinder-Klapper, un vol. in-8o, publié après la
mort de l’auteur par Bertuch, Gotha, 1788 ;
2e édit., ibid., 1794. C’est une imitation des Hochets moraux de Monget. Musæus laissa ces deux ouvrages
imparfaits et mourut le 28 octobre 1788,
d’un polype au cœur. On a aussi de lui un petit
opéra en un acte : Die vier Stufen des menschlichen Alters (Les quatre âges de l’homme), et il a
inséré plusieurs critiques dans la Bibliothèque allemande universelle, à partir du second volume. Ses
articles contribuèrent beaucoup à bannir des romans
allemands ce ton sentimental et ce faux pathétique
qui s’y étaient montrés de nouveau. Il
fut aussi l’un des collaborateurs de la Gazette de Gœttingue. Des OEuvres posthumes furent publiées
en un volume in-8o, Leipsick, 1791, par son neveu,
le célèbre et malheureux Kotzebue, qui y
joignit des détails fort touchants sur la vie et les
habitudes de Musæus, et une oraison funèbre,
courte, mais pleine d’intérêt, par Herder. Ce recueil
se compose de morceaux en prose et en
vers, de vers de circonstance, etc., dont plusieurs
sont adressés à sa femme. Presque tous se distinguent,
comme ses autres ouvrages, par une
ironie souvent piquante, et par un abandon qui
est quelquefois de la négligence, enfin par la
bienveillance la plus constante et la plus naturelle.
Cette dernière qualité l’accompagnait dans
toutes les circonstances de sa vie et dans tous ses
rapports avec les autres hommes, à quelque classe
qu’ils appartinssent. Toutes se réunissaient pour
rendre sa société extrèmement attachante. Personne
n’avait comme lui le don d’égayer une assemblée
pendant des heures entières. D—u.
- ↑ Nom sous lequel s’est fait connaître, par ses écrits populaires, Mathias Claudius, réviseur de la banque d’Altona, né en 1743, mort à Hambourg le 21 janvier 1815, traducteur du Tableau de Paris, du livre Des erreurs et de la vérité, etc.