Biographie universelle ancienne et moderne/2e éd., 1843/WŒLLNER (Jean-Christophe de)

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Texte établi par Michaud, A. Thoisnier Desplaces (Tome 45p. 4-6).

WŒLLNER (Jean-Christophe de), né le 19 mai 1732 à Dœberitz, village de la Marche électorale, où son père était ministre de la religion, étudia la théologie à l’université de Halle, et entra dans l’état ecclésiastique. On lui donna, en 1755, la cure du village de Gross-Behnitz, aux environs de Berlin. Dans cette place, il acquit toute la confiance de la veuve du général Itzenplitz, dont il éleva le fils, et se chargea de la gestion de ses biens après avoir renoncé à ses fonctions pastorales. Il épousa en secret la fille de cette veuve. La famille ayant attaqué la légalité de ce mariage contracté sans les formalités ordinaires, Wœllner jugea prudent de transiger avec elle, en renonçant à la succession de sa femme ; concession dont il se fit relever dans la suite par le roi. Il se livra dès lors à l’économie rurale, et se fit remarquer tant par la pratique que par les théories qu’il publia. Son mémoire sur le partage des biens communaux et sur d’autres objets d’économie publique donna une bonne opinion de ses vues. Il fut consulté dans des affaires importantes ; le prince Henri, frère du roi de Prusse, l’appela dans son conseil des domaines, et le prince héréditaire de Prusse reçut de lui des leçons d’économie publique, ainsi que des mémoires sur la plupart des branches de l’administration. Ce fut l’origine de la faveur dont Wœllner jouit dans la suite auprès de ce prince lorsqu’il fut monté sur le trône. Pour arriver à cette faveur, il s’était fait initier dans l’ordre secret des rose-croix, et en propageait avec chaleur les doctrines, moins sans doute par conviction que par calcul. Les rose-croix de Berlin formaient une secte d’un caractère particulier. A leur tête se trouvait Bischoffswerder (voy. ce nom), homme intrigant, qui avait toute la confiance du roi. Ils professaient une religion mystique, croyaient ou feignaient de croire à la magie, évoquaient les ombres, cherchaient la pierre philosophale, etc. Dans le public on les accusait d’être des jésuites déguisés, parce qu’ils paraissaient favoriser les dogmes ou du moins les cérémonies de la religion catholique. A peine le prince héréditaire fut-il monté sur le trône, sous le nom de Frédéric-Guillaume, que l’on vit tout l’ascendant que Wœllner avait pris sur lui. Il fut élevé au rang de la noblesse, nommé conseiller des finances et surintendant des bâtiments. En 1788, le roi le désigna pour être ministre d’État et de justice. et le mit à la place de Zedliz, chef des affaires ecclésiastiques. La Prusse vit bientôt les effets de cette faveur signalée. Wœllner, empressé de se distinguer par des coups d’Etat, fit d’abord signer par le roi le fameux édit de religion, dans lequel on tonnait contre les novateurs en matière de religion, contre les partisans des lumières et contre la détérioration de la doctrine évangélique et protestante. L’édit enjoignait aux pasteurs et instituteurs de revenir à l’ancienne doctrine, sous peine de destitution et de punitions plus graves encore. Un pareil édit signé par un roi voluptueux et insouciant, et contre-signé par un pasteur intrigant, dut surprendre les sujets du feu roi Frédéric II, qui avait laissé au culte la plus grande liberté. La partie éclairée de l’Église protestante n’admet pas de système invariable de dogmes. Il y avait d’ailleurs quelque chose de ridicule dans cette ferveur apparente d’un gouvernement aussi mondain pour la pureté de la foi. L’édit fut attaqué dans une foule de brochures. L’écrit qui eut le plus de succès fut la lettre d’un vieux pasteur à Wœllner, dans laquelle on exhortait le nouveau ministre à repousser le mysticisme et la superstition, au lieu d’exiger de l’orthodoxie et d’encourager l’hypocrisie. La vivacité des attaques anonymes fournit bientôt un prétexte pour enchaîner la presse ; et, loin de se laisser effrayer par le cri public, Wœllner pressa de toutes ses forces l’exécution de l’édit de religion et l’espèce de réforme qu’il avait imaginée. Un médiocre ouvrage du conseiller Rœnniberg, Des livres symboliques par rapport au droit public, qui contenait l’apologie du fameux édit, et qui justifiait par de faibles raisonnements l’intervention du roi dans les matières d’enseignement dogmatique, fut recommandé à tout le clergé. On écrivit contre cette apologie ; Wœllner voulut supprimer la réfutation, mais le consistoire n’y trouva de blâmable que quelques expressions. Wœllner arracha au roi une défense d’imprimer la brochure ; l’auteur, Villaume, la fit paraître à l’étranger, et le public apprit ainsi la dissidence qui existait à Berlin entre le chef du département ecclésiastique et le consistoire. Un autre auteur, Bahrdt, qui avait mis l’édit de religion en comédie, fut incarcéré. Wœllner fit prescrire ensuite à tout le clergé de se servir d’un catéchisme et d’un autre livre d’instruction religieuse qui étaient mauvais, et qui, selon l’avis de quelques théologiens, n’enseignaient même pas bien exactement la doctrine luthérienne. Il fallut les refaire ou du moins les corriger. De deux universités prussiennes qui avaient été consultées pour savoir s’il convenait d’introduire ces instructions religieuses, l’une avait donné un avis négatif ; le consistoire de Berlin avait été de la même opinion ; Wœllner n’en persista pas moins dans son projet, qui fut attaqué par une foule de nouvelles brochures. Dans quelques-unes on contestait aux souverains protestants le droit de déterminer les dogmes qui doivent être enseignés à leurs coreligionnaires. Une commission qu’il institua pour les examens ecclésiastiques, et qui devait s’enquérir avec soin des opinions religieuses des candidats, provoqua de nouveaux murmures. Il avait mis à la tête de cette espèce d’inquisition un prédicateur médiocre, nommé Hermès, qui exerça ses fonctions avec toute la morgue d’un parvenu. Les pasteurs furent obligés de faire preuve d’orthodoxie ; on tira de la poussière des livres surannés pour leur servir de modèles et de guides ; on leur prescrivit les textes sur lesquels ils devaient prêcher. Assez de plumes revendiquèrent la liberté religieuse ; ce fut en vain ; on donna de nouveaux ordres pour arrêter la circulation des ouvrages non approuvés par la censure. Le publiciste prussien Dohm accuse Wœllner d’avoir dirigé un parti qui déjà, du vivant de Frédéric II, s’occupait à détruire son système de gouvernement ; c’est à cette haine pour Frédéric que Dohm attribue la démarche qu’avait faite Wœllner pour se mettre en possession des manuscrits du feu roi. Profitant de son ascendant à la cour, celui-ci demanda ces manuscrits au roi régnant, et les obtint sans peine. Il les vendit au libraire Voss et a l’imprimeur Decker, en chargeant l’académicien de Moulines des soins d’éditeur. Dohm prétend qu’on laissa subsister à dessein, dans les œuvres posthumes de Frédéric II, les personnalités et les expressions offensantes, afin d’augmenter le nombre de ses ennemis ; mais il y avait probablement en cela plus de paresse que d’intention. Le fait est que ni Wœllner, ni de Moulines ne se donnèrent la moindre peine pour classer, mettre en ordre et préparer pour le public la masse de papiers qu’ils avaient en leur possession. Les liasses furent remises à l’imprimeur telles qu’on les avait trouvées, sans qu’on s’inquiétât même si les pièces se suivaient. Il en résulta la collection la plus désordonnée qu’on eût jamais vue. Aussi Jean de Müller observe qu’il est permis de douter si c’est un être raisonnable ou le hasard qui a présidé à cette édition. Cependant on avait déjà imprimé quinze volumes quand Wœllner et de Moulines, trouvant, dans le restant des papiers, des passages trop irréligieux et dont la publication ne s’accordait guère avec le fameux édit de religion, nl avec les ordonnances sur la censure, voulurent s’arrêter ; mais les libraires insistèrent pour l’impression de tous les papiers sans distinction, attendu qu’ils avaient acheté le tout à deniers comptant. Wœllner y consentit sous la condition que l’on publiât les six volumes restants avec le titre de Supplément aux œuvres posthumes, et en désignant pour le lieu de l’impression Cologne à la place de Berlin. Moyennant cet expédient tout fut imprimé dans le même désordre que les quinze volumes précédents. Il vint pourtant à Wœllner encore quelques scrupules après l’impression. On supprima les passages trop choquants, et l’on fit des cartons. Dohm assure qu’il s’est répandu néanmoins dans le public beaucoup d’exemplaires qui n’ont point ces cartons. Les manuscrits devaient être restitués à la bibliothèque royale ; Wœllner n’en fit rien ; ce ne fut que longtemps après qu’on les réclama auprès du libraire ; et, sans les vérifier, on les cacheta et on les déposa aux archives. Pendant que les intrigues dominaient a la cour, et que le roi était livré à ses maîtresses, la guerre de la révolution éclate ; Hertzberg cessa de diriger la diplomatie de la Prusse, qui devint dès lors vacillante ; ce règne, peu glorieux. fut enfin terminé en 1797. Le nouveau roi, dès son avènement, mit fin à quelques-uns des nombreux abus soufferts par son prédécesseur. Le fameux édit de religion fut révoqué ; l’examen des candidats de théologie fut enlevé à l’indigne commission à laquelle Wœllner l’avait confié. On attendait avec impatience que cet homme, généralement haï, se retirât. Ayant recommandé par une circulaire aux chefs du clergé de veiller sur les opinions religieuses de leurs subordonnés, il fut vivement réprimandé par le roi ; et, comme il ne s’éloigna point à la suite de cette scène humiliante, il fut enfin congédié le 11 mars 1798, à la grande satisfaction des Prussiens. Ses créatures eurent le même sort. Il restait à Wœllner une fortune considérable ; il se retira dans une de ses terres à Grossriez, auprès de Beeskow, où il ne survécut que deux ans à sa disgrâce ; il mourut le 11 septembre 1800. Son éloge a été prononcé en janvier 1802, par Teller, à l’académie des sciences de Berlin. Meusel donne la liste des ouvrages de Wœllner. On remarque dans ce nombre une traduction avec notes des Principes d’agriculture de Home, et plusieurs sermons. On a imprimé aussi de lui, mais seulement pour les adeptes, les discours qu’il avait prononcés dans les réunions des rose-croix. Nicolaï a donné des détails curieux sur la part que Wœllner a prise aux opérations secrètes de cet ordre ; on peut les lire dans les volumes 56 et 68 de la Nouvelle bibliothèque d’Allemagne.D—g.