Bismarck et la Papauté/III/02

La bibliothèque libre.
BISMARCK ET LA PAPAUTÉ
LA PAIX
(1878-1889)

II[1]
NOUVEAUX POURPARLERS
LA PREMIÈRE LOI RÉPARATRICE
(1879-1880)


I

Falk était parti, mais les lois de Mai subsistaient, et, d’une façon fatale, prolongeaient leur fonctionnement, tel que Falk l’avait concerté : c’étaient des mécanismes tout montés, qui marchaient, d’une allure implacable, et qui, jusqu’à ce qu’on les arrêtât, ravageaient. Un tribunal, en septembre 1879, en frappant encore d’une amende l’archevêque Ledochowski, attestait à la fois l’acharnement et l’impuissance de l’Etat : ce prélat, émigré, continuait de gouverner son diocèse, malgré l’accumulation des pénalités platoniques qui faisaient haïr l’autorité prussienne, mais qui la faisaient aussi bafouer.

Des calculs allaient bientôt prouver que dans 601 paroisses peuplées de 646 000 âmes, il n’y avait plus aucun prêtre ; que, dans 584 paroisses, peuplées de plus de 1 500 000 âmes, le nombre des prêtres, depuis 1873, avait diminué de moitié. Sur cette terre de Prusse où depuis sept ans les jeunes clercs n’avaient plus la possibilité légale d’exercer le sacerdoce, les vocations diminuaient ; et d’autres statistiques établissaient que 296 couvens, — asiles de prière, d’enseignement ou de charité, — avaient été renversés, puis balayés par la tourmente, et que 1 181 religieux, 2 778 religieuses, avaient dû se séculariser ou s’exiler, et déserter ainsi, soit leur vocation, soit leur patrie : on voyait à vue d’œil s’appauvrir et se vider, en Prusse, les cadres traditionnellement organisés pour le service de Dieu, et pour le service des serviteurs de Dieu.

Mais ces innombrables âmes que le Culturkampf privait de secours et d’abri se refusaient à chercher asile, soit dans le protestantisme, soit dans les groupemens qui, sous les auspices de l’État, avaient essayé de s’ériger en face de « l’ultramontanisme. » La Prusse du Culturkampf faisait œuvre de démolition, mais elle était impuissante à remplacer ce qu’elle démolissait.

Les vieux-catholiques, petite Eglise de laïques mécontens, avaient achevé de se diminuer, aux yeux mêmes d’un anti-infaillibiliste comme Doellinger, en déchargeant leurs prêtres de l’obligation du célibat ; le savant exégète Reusch, scandalisé, avait douloureusement abandonné les fonctions sacerdotales qu’il occupait près de l’évêque Reinkens. Ce bon savant un peu naïf jugeait qu’on devait se révolter contre Rome au nom de la science, non pas au nom de la chair, et que le synode vieux-catholique de 1879, proposant aux prêtres romains l’appât du mariage, s’était montré trop complaisant pour toutes les causes de révolte. Tant de complaisances, du moins, achetaient-elles des conquêtes ? Nullement : les conquêtes mêmes qu’on croyait assurées périclitaient : les paysans de Mering, — de ce village bavarois que l’on célébrait naguère comme le berceau de la réforme nouvelle, comme le point d’attache du vieux-catholicisme parmi les masses rurales, — laissaient partir en 1878 le curé vieux-catholique Renftle, et rentraient dans le bercail d’un prêtre ultramontain ; et quant aux classes cultivées, le vieux-catholique Huber se plaignait que du haut de leur morgue intellectuelle, qui ne daignait s’intéresser qu’à Darwin, elles regardassent le vieux-catholicisme avec un demi-sourire. « Bismarck, écrivait une revue luthérienne, croyait utiliser les vieux-catholiques contre Rome ; il a trouvé que le couteau ne coupe pas, il le jette au vieux fer. » Et les vieux-catholiques, sentant l’abandon progressif des gouvernemens, gémissaient amèrement.

Il ne restait donc que l’Église romaine, que l’Église dite « ultramontaine, » pour satisfaire aux besoins religieux de plusieurs millions de catholiques ; pouvait-on lui marchander la possibilité de vivre ? L’immoralité montait, dans le royaume et dans l’Empire ; la jeunesse était contaminée ; un opuscule retentissant propageait, au sujet de l’état moral des gymnases, quelques vérités très dures. On avait sous la main, proche de soi, une grande éducatrice de consciences, l’Eglise catholique, exaltée et purifiée par la persécution, et l’on continuait à la décimer, à l’anémier. On redoutait l’ascension du matérialisme, et c’est contre le Centre qu’on guerroyait ; on lui faisait un crime de représenter les intérêts religieux, au lieu d’observer, avec le publiciste protestant Constantin Franz, que le Centre, par cela même, élevait précisément une digue contre les philosophies subversives. On commençait de se rendre compte que dans cette Allemagne nouvelle, laborieuse et somptueuse parvenue, engouée de sa force militaire, engouée de sa prospérité industrielle, quelque chose manquait aux âmes ; que le Culturkampf, également nuisible aux deux confessions chrétiennes, avait favorisé dans l’Eglise évangélique certains courans de négation ; que la vie spirituelle du peuple allemand se tarissait dans ses sources vives, et qu’à la faveur de cette disette morale, l’idéal exclusivement terrestre du socialisme révolutionnaire s’acclimatait dans les foules ; on avouait même, dans les Grenzboten, que la politique du Culturkampf avait été une politique à courte vue, et que l’Etat avait besoin de certaines racines spirituelles ; mais, au jour le jour, on laissait arracher quelques-unes de ces racines, par le seul fait de l’application des lois de Mai ; et l’on permettait, au jour le jour, que toute paroisse prussienne dont le curé mourait devînt une paroisse où la lampe du tabernacle s’éteignait. Ainsi s’étendaient les misères, ainsi s’accumulaient les ruines ; et sur ces décombres spirituels planait la monarchie prussienne, toute fière assurément que la raison d’Etat fût invaincue ; mais en même temps qu’elle, avec elle, en elle et chez elle, c’était le matérialisme vainqueur qui se levait, et qui aspirait à régner.

Le Culturkampf n’avait presque plus de partisans : ceux qui n’osaient pas réclamer la paix, de peur qu’elle ne s’appelât Canossa, condamnaient du moins les méthodes de guerre. « Tout le monde comprend, déclarait le comte d’Arnim, que le Culturkampf a grandi l’influence du Pape sur la masse catholique, amoindri la force de cohésion du nouvel Empire allemand, diminué la force de résistance de l’empire en cas de malheurs militaires, éveillé dans les populations non catholiques les tendances révolutionnaires et socialistes. Il a tout désorganisé, à l’exception de la seule chose qu’il devait désorganiser, l’opposition politique de nos concitoyens catholiques. » Mais alors, pourquoi reculer la paix ? Peu à peu, dans les cercles mêmes où le Culturkampf avait soulevé le plus d’enthousiasme, le désir de la paix s’éveillait et s’avouait. « J’y aspire passionnément, » écrivait à Bennigsen ce même comte Munster qui cinq ans plus tôt, à Londres, sous le frac brodé du diplomate, s’était fait le Pierre l’Ermite d’une croisade antiromaine.


II

Bismarck savait cette profonde lassitude ; il souhaitait, lui aussi, d’en finir avec le Culturkampf. Le Centre, dans l’été de 1879, venait de l’aider à construire une belle barrière de douanes ; Bismarck était content ; et comme les gens du Centre, les prêtres, les évêques et le Pape étaient à ses yeux solidaires les uns des autres, il se sentait d’humeur à faire plaisir au Pape. Il en prévenait, dans un long bavardage, le président même du Centre du Reichstag, Franckenstein. « Je me réjouis, lui disait-il, que vous vous soyez rapproché des conservateurs, et je me flatte d’y avoir contribué. » Puis il déroulait un aperçu de l’histoire du Culturkampf assez semblable à celui que dans ses Pensées et Souvenirs il devait tracer pour la postérité. « Je ne suis pas un Culturkaempfer de profession, » protestait-il. Tout d’une traite, il redisait son mécontentement de 1871 contre la formation du Centre, les déceptions qu’en 1872 lui avaient ménagées les conservateurs, la nécessité où ils l’avaient mis de s’appuyer sur les nationaux-libéraux ; il se passionnait, une fois de plus, contre les Polonais hostiles, et contre la haute noblesse de Prusse, qu’il disait jalouse de lui ; il répudiait toute responsabilité personnelle dans l’institution du mariage civil. Il parlait ensuite de la pacification religieuse. « De Rome, expliquait-il, on a proposé, comme base de pourparlers, l’abolition des lois de Mai, ou le rétablissement des paragraphes constitutionnels concernant la liberté des églises ; ce sont deux choses impossibles. » Le mieux, à son avis, c’était de pourvoir tout de suite les paroisses vacantes, par un accord avec le Pape : quant aux questions de principe, il jugeait toujours qu’à ce sujet aucune entente n’était réalisable. Il jetait enfin dans la conversation le nom d’un prélat qui, d’après lui, pouvait être un bon intermédiaire, et qu’on lui dépeignait comme un homme de doigté : c’était Hefele, évêque de Rottenburg, l’illustre historien des conciles. Le Wurtemberg était le seul pays d’Allemagne qui eût échappé à la guerre religieuse : l’évêque de Wurtemberg pourrait peut-être rendre la paix religieuse au reste de l’Allemagne.

Mais Hefele, en 1879, ne fut rien de plus qu’un consulteur. Le véritable négociateur allait être, pour la seconde fois, Bismarck lui-même. Il avait à Gastein, dans la première quinzaine de septembre, un long rendez-vous politique avec le comte Andrassy, d’où l’alliance des deux empires devait définitivement sortir ; il attendit, dans cette même villégiature, un représentant de Rome. Le choix du Pape s’arrêta sur Jacobini qui, dans le cours de l’année, avait déjà pris langue, à Vienne même, avec l’ambassadeur Stolberg. Bismarck mit ses informateurs en éveil, pour que l’arrivée du prélat lui fût immédiatement signalée : il avait l’intention de le surprendre chez lui, au débotté, pour l’inviter à dîner. Il voulait, quelques jours durant, ne s’occuper que des choses d’Église. Il apprêta son personnage et mit ses propos en train, en faisant venir, pour causer durant une bonne heure, un camérier du Pape, aumônier d’un lycée de Paris, qui se trouvait alors à Gastein dans la famille du comte Appony. Mgr Vallet, — c’était le nom de ce prêtre, — se rendit à l’appel, et le chancelier fut tout de suite prolixe. Annoncer, sur un ton de demi-confidence, l’alliance de l’Autriche avec la Prusse faisait plaisir à Bismarck : il trouvait une volupté de vainqueur à montrera ce Français, qui n’oubliait pas Sedan, qu’on avait apparemment, à Vienne, oublié Sadowa. Il affectait de songer à une guerre contre la Russie ; il se targuait d’avoir, éventuellement, l’alliance de l’Angleterre. Puis il parla contre le socialisme ; et comme le prêtre alléguait que le Culturkampf faisait les affaires du socialisme, Bismarck, se redressant sur son canapé, lui dit en martelant ses mots : « Ceci est la question de l’Eglise et de l’Etat. Comme homme politique, je hais l’Église, et comme homme politique je la connais bien. Son influence a été très mauvaise au moyen âge : elle a retardé la civilisation. » Le prêtre ébauchait une contradiction. « Peu importe ! interrompait Bismarck. Voici ce que je sais bien : il ne faut jamais refuser à un peuple la satisfaction de la conscience. Il n’y a qu’un cinquième de l’Empire qui soit catholique, mais parce qu’il n’a pas la satisfaction de la conscience, ce cinquième m’a donné plus d’ennuis et de soucis que toutes les affaires de l’Europe. Aussi je veux la paix. » Il prétendait qu’elle se serait faite si le cardinal Franchi avait vécu quinze jours de plus, et il se plaignait du cardinal Nina, qui laissait tout traîner, du cardinal Nina, qui ne comprenait pas que Rome, pour traiter, devait profiter de l’instant où les conservateurs en Prusse reprenaient la prépondérance. Supprimer les lois, c’était impossible. « Les lois, on ne les supprime pas, expliquait-il, on les laisse tomber en désuétude. Nina dit : Le Parlement fait tout ce que veut Bismarck, c’est vrai. Mais c’est parce que Bismarck ne demande rien quand il aurait des chances d’être battu. » Il voyait une solution : revenir à l’état de choses qui existait en 1848. Les catholiques alors s’en étaient bien contentés ; pourquoi Nina ne s’en contenterait-il pas ? Ainsi mêlait-il les regrets et les ouvertures, les accusations et les avances, et sur ses lèvres, à plusieurs reprises, survenait un mot étrangement imprévu : Je veux un concordat. Il disait qu’on pourrait aboucher des commissaires et qu’ensemble ils étudieraient les concordats existans, article par article ; chacun d’eux inscrirait, en marge, ses observations ; ils discuteraient entre eux les points controversés, et la Prusse ne demanderait rien à Rome qui ne fût déjà dans d’autres concordats. Bref, il déclarait qu’il écouterait Jacobini, mais qu’il fallait aboutir.

Deux jours après, fort tard dans la soirée, Jacobini arrivait à Gastein, et dès le lendemain matin, 15 septembre, il apprenait, par le prélat français, les propos de Bismarck. Entre le nonce et le chancelier commencèrent tout de suite les longs entretiens : la princesse de Bismarck s’en inquiétait. « J’ai hâte, disait-elle, que ce Mgr Jacobini parte : depuis qu’il est ici, le prince ne dort plus, il est très nerveux. » Les deux représentans de l’Église et de l’Empire se quittèrent le 19, le jour même où Léon XIII, à Rome, créait cardinal le nonce Jacobini ; ils se revirent à Vienne, le 23 ; Bismarck, se rendant en personne à la nonciature, y fit une longue visite à son interlocuteur de Gastein. (Jue se disaient-ils, durant ces heures prolongées et répétées ? L’idée d’un concordat s’agitait-elle vraiment entre eux, comme le langage tenu à Mgr Vallet permettait de l’escompter ? On ne saurait le dire, ni même si dans leurs causeries quelque sérieuse amorce fut posée. Il semble que Jacobini était et voulait être lent, qu’une mûre étude du terrain lui paraissait nécessaire. Le mois d’octobre lui apporta désinformations nouvelles : sans mêler aux négociations les hommes du Centre, — ce qui eût irrité Bismarck, — il tenait du moins à savoir d’eux ce qu’ils pensaient. Windthorst alors descendit jusqu’à Vienne et, sous le toit de l’historien Onno Klopp, il conversa longuement avec le cardinal. Jacobini put ainsi parler, non seulement en représentant du Saint-Siège, mais en avocat discret des catholiques allemands, lorsqu’il reprit avec le prince de Reuss, successeur de Stolberg à l’ambassade de Vienne, les pourparlers ébauchés avec le chancelier.

Les organes bismarckiens, pour accélérer la bonne volonté romaine, faisaient de malignes allusions aux progrès de l’anti-cléricalisme français : puisque, du côté de Paris, les menaces grossissaient contre Rome, Rome avait intérêt à épier les sourires de Berlin. Ils affirmaient avec un mélange de hauteur et de complaisance que le chancelier ne serait pas homme à profiter des embarras de Rome pour imposer des conditions draconiennes : le chancelier voulait la paix, et ne s’abaissait pas à ces calculs de despote. Il expédia à Vienne, pour éclairer et seconder le prince de Reuss, un consulteur compétent, qui n’était autre que le bureaucrate Hübler, ancien collaborateur de Falk. Hübler avait fait les lois de Mai ; on lui confiait un rôle dans une besogne qui aboutirait, fatalement, tôt ou tard, à la démolition de ces lois ; telle l’ancienne Pénélope, défaisant avec ponctualité la tapisserie que ponctuellement elle avait tissée. Bismarck pensait peut-être que, pour démonter des rouages, on ne pouvait trouver ouvrier plus compétent que celui-là même qui les arrangea.

Il y avait une autre capitale où les deux diplomaties causaient volontiers : c’était Paris. Les réflexions qu’échangeaient entre eux, sur les bords de la Seine, le prince de Hohenlohe et le nonce Czacki, n’avaient pas le caractère d’entretiens diplomatiques ; elles n’engageaient aucun des deux pouvoirs, ni même aucun des deux ambassadeurs : elles pouvaient et voulaient passer pour des propos en l’air ; mais il est des circonstances où l’atmosphère devient sonore, et les propos en l’air, alors, sont volontairement destinés à l’écho. Le 9 novembre 1879, Czacki, allant voir Hohenlohe, s’étendait sur les bonnes intentions du Pape, sur le péril auquel le Culturkampf exposait l’État, sur la gratitude que témoignerait Léon XIII si la paix survenait. « Ni vous ni moi, d’ailleurs, ajoutait-il, n’avons mandat pour négocier ; » et le séduisant prélat, comme s’il eût craint d’en avoir trop dit, ajoutait que c’étaient là paroles académiques. Hohenlohe pourtant les commentait, demandait que le Vatican permît aux évêques de notifier au pouvoir civil les noms des curés. « Impossible, répondait Czacki, la Curie paraîtrait baisser pavillon ; les concessions doivent être réciproques et simultanées. » Hohenlohe discutait, faisait des objections... « Un échange, disait coquettement Czacki, un échange de bouquets ; et tout rentrera dans l’ordre. Lentement, mais sûrement, ajoutait-il : il ne faut pas trop se presser, pas trop hésiter non plus. »

Huit jours s’écoulaient, et Hohenlohe rendait à Czacki sa visite. Il signifiait d’abord au nonce, très nettement, qu’on ne devait pas songer au rétablissement des articles constitutionnels qui garantissaient la liberté des Églises ; « on ne veut pas chez nous, insista-t-il, d’Église libre dans l’État libre. » Mais Czacki, très souple, insinuait, sans s’obstiner, que les concessions pourraient prendre une autre forme. Czacki d’ailleurs ne précisait rien : il n’avait mission ni de traiter, ni même de proposer. Et Czacki s’abandonnait aux longs propos caressans, qui semblaient solliciter l’avenir : il parlait du Pape, de sa sympathie pour Bismarck. « Saisissons l’occasion ; Bismarck et Léon XIII sont seuls capables de se réconcilier. » Il laissait entendre que le Pape avait la résolution et la force nécessaires pour ramener les catholiques de Prusse à une attitude loyale à l’endroit du gouvernement : à charge de concessions, naturellement. D’un geste velouté, il semblait étaler, sous les yeux de Hohenlohe, l’échantillon de certaines bonnes grâces que le Vatican était tout prêt à offrir si la Prusse les voulait acheter. Mais l’ambassadeur n’était pas conquis ; il demeurait plutôt inquiet. Au delà de ce que disait Czacki, il apercevait une conclusion logique, qui était une menace : l’État serait en danger, par le fait du Centre, si la Prusse et le Vatican ne s’entendaient pas.

Lorsqu’il avait affaire à l’Église, le prince de Hohenlohe avait un malheureux caractère ; il était choqué si elle résistait. et tremblant si elle souriait ; il redoutait encore plus peut-être, ses avances que ses refus. Son frère le cardinal, qui à Rome se tenait aux aguets, avouait à Bismarck lui-même, en ce même mois de novembre, dans un hâtif billet, une demi-inquiétude. Il entendait dire, au fond de son palais, que les négociations avec Jacobini marchaient fort bien, et que déjà même on parlait d’un paragraphe qui rouvrirait la Prusse aux ordres religieux, et tout de suite, sautant sur sa plume, le cardinal écrivait au chancelier : « On se flatte qu’à l’abri d’un tel article les Jésuites rentreront. Heureuse naïveté ! Il est toujours bon de préserver de cette plaie notre patrie. » Les Hohenlohe, décidément, n’étaient pas encore bien sûrs de Bismarck, et si l’idée fût venue au chancelier d’accorder à la célèbre Compagnie quelque réparation, c’est sur les lèvres cardinalices de Gustave de Hohenlohe qu’eût retenti le cri d’alarme.


III

« Les Jésuites vont rentrer : » c’est le cri qui toujours retentit en Allemagne, dès que se dessine, dans l’administration, un mouvement en faveur de l’idée religieuse, ou dès qu’on voit, dans l’arène électorale, les partis religieux gagner du terrain. Puttkamer, successeur de Falk au ministère de l’Instruction publique, passait pour un homme de réaction : cela suffisait pour qu’on pût s’imaginer que le jésuitisme était aux portes. Président général de la Silésie, on l’avait vu, l’année d’avant, résister à certaines exigences des vieux-catholiques ; il avait appliqué les lois de Mai sans grande ferveur, avec une séante exactitude. En lui, tout était distingué : la naissance, la parole, la poignée de main et jusqu’à la coupe de barbe, trop fignolée d’ailleurs pour le goût de Bismarck. Sur ce fauteuil ministériel où l’on avait vu, six ans durant, un bourgeois médiocrement élégant, bûcheur pointilleux et concentré, parvenu par sa science aux plus hautes fonctions de l’Etat, était assis, désormais, le représentant d’une autre classe sociale, où l’on sert l’Etat, de père en fils, par devoir de naissance, où le service public, avant d’être le couronnement des études, est la suite d’une tradition. Puttkamer était un protestant correct et pratiquant. Cela rentrait d’ailleurs dans cette définition de l’homme comme il faut, dont il n’aurait jamais voulu s’écarter ; mais comme ministre, aussi, et parce que ministre, parce que fonctionnaire d’un Etat chrétien, il tenait à ce qu’on sût sa réelle piété, et ce que tout de suite on remarqua, c’est que, dans les banquets officiels, il donnait, en pleine table, l’exemple de prier Dieu. Et puis on apprit, de ses propres lèvres, par des discours publics, qu’il ne partageait pas toutes les idées pédagogiques de Falk et que le caractère confessionnel de l’école primaire serait bientôt accentué. Un certain nombre d’instituteurs, que Falk avait habitués à se croire les lumières du monde, s’inquiétèrent aussitôt, pour eux-mêmes et pour la civilisation ; ils parlèrent d’obscurantisme. L’obscurantisme, pour eux, c’étaient les pasteurs évangéliques qui croyaient au Christ, c’étaient les hommes politiques qui, pour la formation de l’âme d’un peuple, attachaient plus d’importance à la culture des vertus profondes, vertus morales, vertus civiques, qu’à l’aride apport d’une science primaire, superficielle et verbale. Puttkamer apparaissait, dans certains cercles scolaires, comme le type du ministre rétrograde ; et le 22 septembre 1879, une voix s’éleva, claire et haute, pour lui crier sans retard : Halte-là !

C’était la voix de Falk. L’opinion publique en fut ébahie. Ce ministre d’hier semblait s’ériger en leader d’une opposition, et vouloir incarner, en face de son successeur, les mécontentemens et les hostilités des fonctionnaires sur lesquels hier il régnait, sur lesquels aujourd’hui Puttkamer régnait. Toujours respectueux du chancelier, Falk ne disait pas encore : Nous allons à Canossa ; il avait l’espoir que Bismarck pourrait éviter cette route. Il ne visait pas à diriger contre la politique nouvelle une attaque d’ensemble ; il affectait de parler en administrateur qui trouvait que son œuvre administrative était malencontreusement disloquée. C’est au sujet de son propre département ministériel qu’il poussait un cri d’anxiété. Il observait qu’au ministère de l’Instruction, l’action personnelle des ministres ne se heurtait pas à l’entrave d’une loi, et que l’esprit de l’enseignement dépendait de leurs circulaires, et d’elles seules. Cette souveraineté ministérielle, dont naguère il avait usé, était une arme à deux tranchans. Falk craignait que Puttkamer ne s’en servît pour faire trop de concessions à certains courans. Il voulait encore avoir confiance, tant étaient nombreux les messages de sympathies qu’il avait reçus au moment de sa chute, et tant lui paraissaient enracinées certaines de ses réformes ; il avait, surtout, confiance dans la justice de l’avenir, qui refrénerait les passions de la lutte. « Vous le voyez, concluait-il, je n’appartiens pas à la catégorie des pessimistes ; mais assurément, les idées des pessimistes se vérifieront, si ceux qui sont qualifiés pour agir mettent les mains dans leurs poches. Puisse-t-il n’en pas être ainsi ! »

Falk insistait, en passant, sur l’importance des élections qui devaient bientôt renouveler le Landtag : on pouvait se demander s’il voulait faire condamner par le peuple prussien son successeur Puttkamer, les prédicateurs de la Cour, et la politique personnelle du roi Guillaume, et si le ministre de la veille voulait susciter contre le ministre du jour la formation d’une future majorité. Bismarck, apparemment, fut choqué de cette démarche, car les Grenzboten, qu’il inspirait, la déclarèrent incompatible avec les devoirs d’un ancien ministre. La lettre de Falk était d’un politicien. Dans ce royaume de Prusse où l’on était habitué de considérer les membres du Cabinet comme de très hauts chefs de bureau, l’anomalie même de cet appel électoral le rendit à peu près inutile : il avait, si l’on ose dire, trop de portée, pour obtenir une immédiate efficacité. On peut supposer que Guillaume le jugea sévèrement, et que les antipathies de la Cour contre les nationaux-libéraux furent fortifiées.

Le Centre observait ces intéressans incidens, qui finalement lui devaient profiter. Il constatait que pour l’instant les pétitions scolaires des catholiques n’étaient pas mieux accueillies par Puttkamer que par Falk : une fois de plus le clergé de Munster avait demandé qu’avant d’enseigner le catéchisme l’instituteur en reçût de l’Eglise la mission ; une fois de plus, la Prusse officielle évinçait la requête, sans que Windthorst en fût très surpris. Mais les élections étaient proches : Windthorst songeait, d’abord, à ramener ses troupes, fraîches et fortes, dans le nouveau landtag : on discuterait ensuite avec Puttkamer et Bismarck. La campagne électorale qu’engagea le Centre fut surtout une campagne d’explications : elle visait d’une part à faire excuser par les catholiques l’appui récent qu’avait prêté à Bismarck le Centre du Reichstag, et d’autre part à leur faire comprendre combien était nécessaire, quand même, le maintien des protestations incessantes, des revendications continues. Les orateurs du Centre promenèrent à travers la Prusse rhénane de véritables conférences d’éducation publique ; ils surent présenter à des foules une politique qui commençait d’être une politique nuancée. Tout au fond d’eux-mêmes, l’ancien officier de tendance conservatrice qu’était Schorlemer-Alst et le tribun particulariste qu’avait été Windthorst se sentaient assurément séparés par certaines divergences, portant sur des points de détail, ou sur des questions d’opportunité, et c’était toujours un paradoxe, pour les spectateurs mal informés, de voir collaborer avec des aristocrates de haute lignée des plébéiens fiers de leur roture, comme le boucher Falk, de Mayence, très considéré dans les congrès catholiques, et qui se flattait un jour, publiquement, d’avoir, lui aussi, tout comme Bismarck, travaillé vingt années durant « avec le fer et dans le sang, » Mais en présence des foules toutes divergences se voilaient ; alors l’unité des chefs catholiques s’épanouissait, leur cohésion n’était entamée par aucune fissure.

Une revue d’ensemble suivit ces mobilisations partielles : elle eut lieu à Aix-la-Chapelle, dans l’assemblée générale des catholiques. Windthorst, qui jusque-là n’avait pas assisté à ces meetings annuels du catholicisme germanique, se rendit à celui-là, en compagnie de Franckenstein : l’année 1879 marquait ainsi une sorte de tournant dans l’histoire des grandes assemblées catholiques allemandes : les parlementaires, les hommes de négociation, belliqueux ou pacifiques suivant les heures, allaient y prendre une place prépondérante, et devant eux s’effaceraient, dociles, les militans de l’action locale, voués à l’opposition systématique par le fait même de leurs souffrances et des incessantes vexations gouvernementales. Il y eut même, dans le comité d’organisation du congrès d’Aix-la-Chapelle, une minorité déjà notable, pour souhaiter que le buste de l’Empereur figurât, sur l’estrade, à côté du buste du Pape. Les temps n’étaient pas encore mûrs pour une aussi symbolique exhibition ; mais les temps mûrissaient, puisque déjà l’on y pensait. « Le mot d’ordre, signifiait Auguste Reichensperger, c’est de prier et de travailler. Tranquilles et d’avance soumis nous laisserons à la sagesse de notre Saint-Père le soin de concerter la paix. »

La Prusse, le 8 octobre, sous l’impression de la lettre de Falk et du congrès d’Aix-la-Chapelle, vota pour renouveler son Landtag : elle infligea aux nationaux-libéraux la plus éclatante des disgrâces. Ils étaient sortis 168, ils rentrèrent 105. Les conservateurs, qui naguère ne disposaient que de 42 voix, arrivaient en rangs serrés : à l’appel, ils étaient 150. Le Centre gagnait 7 sièges : il comptait 96 membres. La Prusse avait soutenu, contre les doléances de Falk, la politique de Puttkamer ; le catholique Joerg écrivait triomphalement que le faux libéralisme avait trouvé son Sedan, Keyserling, le vieil ami de Bismarck, notait avec finesse : « Le chancelier est peut-être trop vainqueur pour son goût. » C’était vrai ; Bismarck, — un article des Grenzboten le laissait voir, — déplorait que la question scolaire fût devenue un objet d’agitation et que la Prusse eût paru plébisciter pour ou contre Puttkamer, pour ou contre Falk. Il comprenait trop peu les luttes d’idées, il y était, au fond, trop indifférent, pour aimer ces allures-là. L’effacement exagéré des nationaux-libéraux lui déplaisait presque autant que leur prépotence de naguère ; ils se mettaient à bouder, laissaient le Centre et les conservateurs former à eux seuls le bureau du Landtag. Il avait souhaité que les nationaux-libéraux fussent un peu vaincus, et voilà que le Centre était trop vainqueur. Bismarck n’était pas content. Des nationaux-libéraux, un Centre, et autres partis, qu’avait-il à faire de toutes ces étiquettes. Il lui fallait des bismarckiens, voilà tout, et il ne savait plus très bien où seraient les bismarckiens, dans ce Landtag-là.

Puttkamer, au lendemain même des élections, fit à la lettre de Falk une réponse implicite : d’un geste cassant, il dérouta, dans la petite ville d’Elbing, tout le corps municipal, qui était national-libéral, et tout le personnel primaire. La commune d’Elbing, au temps de Falk, avait fait une belle dépense de zèle et d’argent pour se transformer en un champ d’expériences : tour à tour, toutes les écoles confessionnelles avaient disparu ; des écoles simultanées, où se coudoyaient les élèves des diverses religions, s’étaient installées à leur place. Un de ces nouveaux bâtimens scolaires restait encore à inaugurer : on avait fixé pour cette cérémonie, qui parachevait à Elbing la réforme laïque, la date du 9 octobre. Le matin même, un télégramme de Berlin survint, donnant Tordre de surseoir à la fête et d’interrompre, à Elbing, le fonctionnement des classes : la vie scolaire, dans cette ville qui se piquait de lumières, était ainsi brusquement suspendue. Le bourgmestre, les édiles prirent le train pour Berlin, coururent chez Puttkamer. Il leur déclara fort poliment qu’avant de rouvrir à Elbing les écoles simultanées, qu’il détestait, on devait d’abord faire la preuve qu’il était impossible d’y faire fonctionner un enseignement confessionnel.

On apprenait, en même temps, que dans le synode général évangélique circulaient des pétitions en faveur du caractère confessionnel de l’école, et que, de leur côté, 653 prêtres catholiques, dans le diocèse de Trêves, manifestaient pour la même cause. En haut lieu, les sourires se multipliaient pour ces ardens pétitionnaires : le président supérieur du Brandebourg candidat dans un arrondissement rhénan, et puis, au fond de l’Alsace, le nouveau gouverneur Manteuffel leur faisaient écho. Haranguant les instituteurs, Manteuffel évoquait Rome, Athènes, Sparte, tombées en décadence du jour où la jeunesse avait cessé de croire aux dieux, et déplorait qu’en voulant bannir de l’école le clergé, on eût banni la religion elle-même.

Puttkamer, d’ailleurs, affectait très habilement, dans le synode général, de défendre contre les détracteurs certaines des innovations scolaires de Falk : il affectait de maintenir, aussi, que si l’Église et l’Etat devaient collaborer fraternellement pour la besogne pédagogique, c’était du moins à l’Etat, tout seul, qu’appartenait le rôle directeur et l’influence décisive. Mais, abordant le débat qui mettait aux prises l’idée laïque et l’idée confessionnelle, il le ramenait à certains termes qui laissaient prévoir la rigoureuse âpreté de ses solutions. « L’école primaire, disait-il, doit-elle se fourvoyer dans la mer sans rivages d’une culture générale purement humanitaire, ou doit-elle demeurer solidement fondée sur les imprescriptibles principes qui ont leur point de départ dans l’éternité, et qui ramènent vers l’éternité, sur les principes qui donnent en même temps les garanties de toute vie morale, de toute liberté morale ? »

Le synode général applaudissait ; sous l’œil bienveillant du ministre, on émettait le vœu qu’il n’y eût plus d’écoles primaires simultanées, et puis on émettait l’exigence qu’en tout état de cause il ne fût plus question d’écoles normales simultanées. L’Empereur avait laissé partir Falk avec joie ; la représentation suprême des communautés évangéliques condamnait à son tour le système Falk. « La base la plus profonde de la formation des partis politiques, lisait-on dans une feuille conservatrice, c’est la situation que chacun prend vis-à-vis de Dieu. Reconnaître le Dieu vivant, c’est être conservateur ; le nier, c’est être libéral. » La vieille majorité bismarckienne qui avait fait le Culturkampf était ainsi accusée de nier Dieu ; le synode général et Puttkamer vengeaient Dieu.


IV

Ils faisaient ensemble un pas de plus. Koegel, le prédicateur de la Cour, le familier de l’Empereur, demandait, dans le synode, que les futurs pasteurs évangéliques qui devaient, d’après les lois de Mai 1873, subir préalablement un examen d’histoire, de philosophie, de littérature, eussent pour juge, dans ces trois épreuves, le jury même qui les questionnait sur la théologie. C’était une réforme qui pouvait s’accomplir par voie administrative, sans modifier le texte des lois de Mai : elle rendait toute souveraineté aux représentans de la science théologique, pour l’examen des candidats aux fonctions pastorales. Le synode vit Puttkamer se lever, et s’associer à la proposition Koegel, avec des complimens : elle fut votée. Compatible assurément avec la lettre des lois de Mai, elle était, à la bien envisager, contraire à l’esprit de ces lois. Ce qu’avait rêvé Falk, c’était d’assurer aux divers clergés une formation qui, dans une certaine mesure, fût laïque, et de leur inculquer bon gré mal gré, au nom de l’Etat, certaines connaissances qui n’étaient pas proprement théologiques, histoire, philosophie, littérature ; Puttkamer, de par la loi, maintenait ces matières-là sur le programme des futurs pasteurs ; mais il allait désigner comme examinateurs les professeurs mêmes de théologie. C’est ainsi qu’en octobre 1879, le synode général de l’évangélisme prussien donnait une discrète entorse aux lois de Mai : les représentans de la théologie, de la science d’Eglise, recevaient mission d’interroger sur les sciences profanes, requises encore pour la forme ; les représentans des sciences profanes, jusque-là mêlés à ces besognes d’examen, étaient mis en disponibilité.

Mais comme l’Eglise catholique, elle, n’admettait pas, en principe, que ses clercs fussent soumis, soit à des programmes d’Etat, soit à des jurys d’Etat, cette réforme, dont se réjouissaient les protestans orthodoxes, la laissait profondément indifférente. Elle pouvait l’enregistrer comme un symptôme, mais non la saluer comme une victoire. Les six premiers mois de l’administration de Puttkamer n’apportèrent aux catholiques qu’un seul succès : Puttkamer, le 5 novembre 1879, se déclara prêt à réintégrer dans leurs fonctions de maîtres de religion les ecclésiastiques que Falk en avait évincés, pourvu qu’ils se montrassent respectueux du but visé par l’Etat dans l’école, et respectueux, aussi, des circulaires des autorités scolaires.

Les catholiques réclamaient autre chose, des modifications législatives, des modifications budgétaires ; mais là, tout de suite, ils se heurtaient au flegme de Puttkamer, qui savait Bismarck hostile. Bismarck s’agaçait de cette obstination des gens du Centre à vouloir eux-mêmes donner le coup de sape à l’édifice des lois de Mai. Des concessions à l’Eglise, c’était affaire à lui ; il ne pouvait comprendre que le Centre fît graviter toute la politique autour de la question religieuse. Une feuille de caricatures, Les Guêpes, représentait Windthorst arrêtant Bismarck qui portait dans un gros sac le projet relatif aux voies ferrées, puis secouant à sa table Eulenburg, qui étudiait un projet de loi sur la Silésie, puis sautant sur le ministre des Finances, qui voulait légiférer sur la Bourse, et leur criant aux oreilles, comme une sorte de Delenda Carthago : Il faut traiter avec Rome ; oui, traiter avec Rome.

« Il faut, » c’est un mot que Bismarck tolérait à la rigueur, sur les lèvres de son Roi ; c’est un mot qu’il acceptait de se laisser souffler à l’oreille par les circonstances, ces grandes souveraines ; mais un tel mot, harcelant, lancinant, sur les lèvres de ce « petit Guelfe aux dents de loup, » cela, Bismarck ne le voulait pas. Il voulait que les députés du Centre votassent pour lui, Bismarck, sans mettre les choses d’Eglise sur le tapis parlementaire ; les choses d’Eglise, cela le regardait, lui, et cela regardait le Pape. Mais ces députés faisaient tout le contraire, puisque, d’une part, ils obsédaient Puttkamer de leurs réclamations, et puisque, d’autre part, dans le débat sur les chemins de fer, dans un débat sur la police rurale et forestière, ils votaient contre l’opinion de Bismarck. Alors, au cours de décembre, le chancelier perdit patience, et vengea sur Rome les allures indépendantes du Centre. Il écrivit à Vienne pour commander au prince de Reuss de laisser les négociations en suspens ; il se disposa même à faire savoir à Rome, sur le ton dont il savait briser, pourquoi il brisait. Un rapport de Reuss survint à temps pour le faire renoncer à cet éclat ; il se contenta de bouder sans dire pourquoi, laissant au Pape le soin d’en deviner les causes ; et lorsque Puttkamer, après Noël, voulut renvoyer Hübler à Vienne pour un supplément d’entretiens, Bismarck s’y opposa.


V

Bismarck, en mars, puis en mai, avait conversé avec Windthorst ; de septembre à décembre, il avait conversé, puis fait converser, avec Jacobini ; les pessimistes pouvaient dire, au début de 1880, que causer inutilement est parfois plus grave que de n’avoir pas causé du tout. Et cependant, en dépit des hésitations et des accrocs, il y avait en Prusse quelque chose de nouveau. L’État cherchait désormais, non plus à prendre les curés en faute, mais au contraire à fermer les yeux : Puttkamer, le 20 janvier 1880, stipula que les policiers qui constateraient certains actes de culte tombant sous le coup de la loi devraient, non pas les déférer aux parquets, mais informer le président supérieur, qui jugerait s’il y avait lieu de poursuivre ; il prescrivit, par surcroît, que le président supérieur, jusqu’à nouvel avis, s’abstînt de prononcer contre des prêtres la peine de l’interdiction de séjour. Puttkamer ne pouvait pas faire que les cruelles lois de Mai n’existassent ; mais il laissait voir à ses subordonnés que le prestige de ces lois subissait une éclipse.

Le Centre, en février, lui demandait, au Landtag, pourquoi elles duraient, et jusques à quand. Il rappela, dans sa réponse, que les empiétemens de l’Eglise, intolérables, disait-il, pour un Etat dont les origines ne sont pas catholiques, avaient en partie motivé ces lois ; il exprima son espoir d’un arrangement, qui ne pourrait se faire, d’ailleurs, que sur le terrain des lois, et signifia que les membres du Centre, s’ils persistaient à vouloir appliquer, vis-à-vis de l’Etat, certaines de leurs maximes, étaient condamnés à être éternellement dans la minorité. Ils lui pardonnèrent à peu près ce pronostic, heureux de l’entendre dire : « Que l’Eglise catholique soit une institution parfaitement digne du respect de (ses fidèles et de l’estime des hommes du dehors, jamais un chrétien évangélique n’en doutera. » De pareils propos étaient rares sur les lèvres des ministres prussiens. Agacé par Puttkamer, houspillé dans un discours de Schorlemer-Alst, Falk se leva, se défendit d’avoir fait, dans le Culturkampf, une œuvre négative et destructrice, affirma que la victoire resterait à ses idées.

Quelques jours se passaient, et le mercredi des Cendres, un discours de Puttkamer donnait un nouveau coup de bélier dans l’édifice scolaire construit par Falk. Puttkamer déclara que l’inspection des écoles locales devait régulièrement appartenir aux hommes d’Eglise, plus cultivés que les instituteurs, et mieux situés socialement, et qu’il ne convenait pas, dès lors, de les subordonner à des inspecteurs de districts qui, sortis des écoles normales, fussent d’une culture inférieure à la leur. La surveillance de l’enseignement à tous les degrés était lentement rendue aux membres des deux clergés. On créait au ministère une section spéciale pour y installer comme directeur un bureaucrate qui, du temps de Falk, s’était fait remarquer par son hostilité contre Falk ; sous le patronage des conservateurs protestans et du Centre catholique, une nouvelle ère s’ouvrait pour l’école prussienne. Les caricatures représentaient Bismarck tendant à Puttkamer un long fleuret sur lequel était écrit le mot : Culturkampf ; mais c’était un fleuret moucheté, et Bismarck disait à son ministre : « Va à Canossa, mon fils ! Moi, je suis trop vieux. »

Bismarck, à certains jours, lorsqu’il souhaitait que les bonnes volontés romaines reprissent haleine et courage, faisait dire par ses journaux qu’il ne pouvait pas tout ce qu’il voulait, qu’il devait compter avec son Landtag. Il y avait un pays où il était plus maître que dans la Prusse même, c’était la « terre d’Empire : » à Strasbourg, à Metz, le maréchal de Manteuffel inaugurait une politique que l’on traitait de cléricale. Sa première visite, à Metz, était pour l’évêque Dupont des Loges ; il l’interrogeait sur ses désirs et il les exauçait ; le petit séminaire de Zillisheim était solennellement rouvert, et Manteuffel y faisait une promenade ; pour les besoins du sacerdoce, il faisait exempter des séminaristes déclarés aptes au service ; il allait bientôt ouvrir l’Alsace-Lorraine aux religieux expulsés de France, pourvu qu’ils ne fussent ni Jésuites ni Rédemptoristes ; il présentait à Dupont des Loges, pour les décrets de Jules Ferry, des condoléances sincères et gênantes. Ainsi la dictature, en Alsace, était entre les mains d’un bon protestant qui protégeait l’Eglise romaine, et que l’on considérait, à Berlin, comme un successeur possible de Bismarck.


VI

Rome assurément épiait ces divers symptômes, et Rome, de son côté, lançait une phrase, qui fit croire, au milieu de mars, que le Culturkampf touchait à son terme. La presse répandit une lettre que Léon XIII avait, le 24 février 1880, adressée à l’archevêque Melchers, et qui témoignait éloquemment d’un grand désir d’entente[2]. Le Pape remerciait Melchers d’avoir commenté pour l’Allemagne son encyclique sur le socialisme, il affirmait de nouveau son désir de la paix ; et puis il ajoutait que, « pour hâter l’accord, il était disposé à souffrir que les noms des prêtres appelés par les ordinaires des diocèses à partager leur sollicitude pour le soin des âmes fussent communiqués au gouvernement avant l’institution canonique. » Cette démarche pontificale fit grand bruit. Dans le Centre, les avis étaient partagés : Windthorst, Franckenstein, demeuraient médiocrement confîans dans l’issue ; Schorlemer-Alst, au contraire, saluait comme un heureux présage l’avance esquissée par Léon XIII. Que l’Eglise fût obligée de communiquer à l’Etat les noms des curés, c’était là, aux yeux de Reichensperger, une exigence inacceptable, tant qu’elle faisait partie du système de contraintes organisé par les lois de Mai ; mais il ajoutait qu’envisagée en elle-même, détachée de cet orgueilleux et tyrannique réseau, cette exigence n’avait pas la portée d’un casus belli, et Reichensperger applaudissait à la générosité de Léon XIII. Le Pape capitule, s’écriaient les journaux libéraux ; c’est un Canossa à rebours. A quoi un publiciste du Centre ripostait : « Ces journaux, autrefois, voulaient enlever à celui qu’ils appelaient le prêtre étranger toute influence sur les affaires allemandes ; aujourd’hui, il y a grande joie dans Israël parce que ce même prêtre explique n’avoir pas d’objections à faire bénéficier l’Allemagne de telle ou telle tolérance. »

Tandis que s’échauffait la presse, Reuss, à Vienne, réclamait de Jacobini quelques éclaircissemens : quelles étaient exactement les catégories de prêtres auxquelles s’appliquerait la concession proposée, par le Pape ? et quelles concessions précises le Pape réclamait-il, en échange ? Une déclaration du ministère prussien, datée du 17 mars, précisait les réflexions de Reuss : le ministère, dans cette note, déclarait apprécier le signe nouveau qu’avait donné Léon XIII de ses dispositions pacifiques ; il se réjouissait que « pour la première fois ces dispositions trouvassent une expression concrète, » mais il ajoutait que, malgré cet effort pour être concret, le langage papal était encore trop exclusivement théorique ; il demandait quelle suite pratique serait donnée aux ouvertures de Léon XIII, et promettait qu’en retour le gouvernement réclamerait de la Chambre les autorisations nécessaires pour relâcher l’application des lois de Mai, et pour adoucir ou pour écarter les mesures administratives que l’Église interprétait comme des duretés.

Cette décision ministérielle mit quelque temps à parvenir à Rome ; le Saint-Siège ne la connaissait pas encore, lorsque, le 23 mars, le cardinal Nina, dans une lettre à Jacobini, s’expliquait sur les concessions que le Pape et la Prusse devaient échanger. Les instructions que Léon XIII était prêt à envoyer aux évêques stipuleraient que les noms des curés inamovibles, — mais de ces curés seuls, — devraient à l’avenir être communiqués à l’État ; que cette formalité viserait simplement à requérir pour ces nominations l’agrément du pouvoir civil, et qu’en cas d’objections émises par l’État contre telle ou telle personnalité, les évêques et en dernier ressort le Pape seraient juges. Puis, ayant ainsi formulé les offres du Pape, le cardinal posait trois questions :


La Prusse, demandait-il, permettrait-elle que les évêques, présens ou absens, s’adressassent au gouvernement, par lettre, pour indiquer les noms des prêtres à nommer ? La Prusse accorderait-elle la réintégration des évêques, l’amnistie, l’abolition des procès en cours ? La Prusse s’engagerait-ello à mettre sa législation en accord avec les principes de l’Église, surtout en ce qui regarde le libre exercice du ministère et la formation du clergé ?


Si Reuss, à ces trois questions, répondait oui, Léon XIII, tout de suite, rédigerait, à l’adresse des évêques, les instructions conciliantes que faisait prévoir sa lettre à Melchers.

Le courrier portant la décision ministérielle du 17 mars et le courrier portant la lettre de Nina du 23 mars se croisèrent en route : de part et d’autre, les deux pouvoirs purent constater leur grave désaccord. Léon XIII persistait à vouloir la révision des lois de Mai : et tout ce à quoi Bismark consentait, c’était à en mitiger l’application, moyennant quelques pouvoirs discrétionnaires qu’il obtiendrait de la Chambre. Bismarck se montrait défiant ; il trouvait trop académiques, trop peu pratiques, les avances de Léon XIII ; il épluchait, devant Busch, certains mots de la lettre à Melchers. Ce Pape est conciliant, disait-il, mais qui nous garantit que le successeur pensera de même ? Cette idée s’étalait dans un article des Grenzhoten, dans une correspondance du Daily Telegraph : le prochain Pape pouvait être intransigeant ; et l’on serait bien aise, en face de lui, d’avoir conservé, bien intact, l’appareil des lois.

Jacobini, dans la seconde semaine d’avril, ne cacha pas à Reuss que Rome était très désappointée. Reuss s’efforça de mettre les choses au point : une modification des lois, expliquait-il, ne pourrait jamais être assez complète pour satisfaire le Pape ; au contraire, si le ministère obtient la faculté de ne les pas appliquer, et s’il en use très largement, le Pape sera content. Mais Jacobini constatait qu’avec un tel système le clergé prussien demeurerait à la merci de l’arbitraire prussien, et Reuss n’avait rien à riposter. Le cardinal, pressant l’ambassadeur, voulait savoir si les évêques seraient réintégrés : « On ne peut traiter de ce point, répliquait Reuss, que lorsque le Pape aura expédié aux évêques les instructions annoncées : sans cette entrée pratique dans le champ des concessions, il n’y aura pas de contre-concession de la part de la Prusse. » Jacobini poursuivait son interrogatoire : « Rétablira-t-on, demandait-il, les rapports diplomatiques ? » et Reuss s’évadait par une boutade.

Le 16 avril, le cardinal revoyait Reuss : il apportait une lettre de Nina, parlant de l’impression très pénible que ressentait le Pape, et faisant augurer, de la part de Rome, certaines décisions graves, si les négociations avec Reuss échouaient. Cette lettre inquiétait Jacobini, elle le peinait ; elle semblait annoncer une nouvelle rupture. « Le moment est très critique, disait-il à Reuss. Je cherche vainement des moyens de détourner le Saint-Siège d’une décision qui serait néfaste au rétablissement de la paix. J’accorde que Puttkamer apporterait un désir de paix dans l’usage des pouvoirs discrétionnaires. Mais après lui, un autre ministre pourrait venir. » Jacobini se défiait du successeur de Puttkamer, comme Bismarck se défiait du successeur de Léon XIII ; et le premier voulait, par précaution, faire tomber du bras de la Prusse cette arme qui s’appelait les lois de Mai, comme le second voulait, par précaution, garder cette arme au fourreau, tout en cessant de la brandir.

Et Jacobini continuait : « Il faut que le Pape fasse espérer aux fidèles qu’on marchera vers un modus vivendi légal, vers une révision. Si je pouvais lui dire que la création d’une légation de Prusse à Rome per mettrait de reprendre les pourparlers de Vienne sur la modification des lois, cela lui rendrait possible, peut-être, de rassurer les fidèles. » Pour épargner à l’amour-propre de l’État prussien l’apparence même de collaborer avec le Saint-Siège en matière législative, le cardinal expliquait : « Rome ne demande pas un Concordat ; elle a même renoncé à l’idée de constater par un échange de notes l’issue des négociations ; on se contentera, si une entente survient, de voir cette entente sanctionnée par la présentation à Berlin d’un projet de loi. » Il insistait pour que le gouvernement de Berlin donnât à Rome satisfaction, et laissait comprendre à Reuss que le Pape pourrait bien, en cas d’échec des pourparlers, adresser une lettre aux catholiques de Prusse, pour leur expliquer les raisons de l’échec, et pour s’en plaindre, et pour les plaindre.

Czacki savait, à Paris, que les négociations s’embourbaient ; le 16 avril, il allait voir Hohenlohe. Est-il nécessaire, lui demandait-il, que la Curie fasse de nouvelles démarches, si elle veut que le ministre prussien dépose sur le bureau des Chambres le projet de loi que laisse prévoir la note du 17 mars ? — Assurément oui, répondait l’ambassadeur, qui jugeait indispensable que les évêques soumissent au pouvoir civil les noms des futurs curés. — Mais alors, répondait Czacki, pourquoi ne pas passer une convention, par laquelle, en retour, la Prusse amnistierait les évêques déposés ; et pourquoi ne pas faire entrevoir au Pape la révision légale des lois de Mai ? Hohenlohe répondait en faisant des réserves au sujet de Ledochowski. « Mais il serait moins dangereux à Posen qu’à Rome, répliquait Czacki ; d’ailleurs, c’est un personnage insignifiant. » L’entretien s’arrêtait là : et le prince de Hohenlohe, probablement, tint Bismarck au courant de ces détails.


VII

Mais Bismarck, cette semaine-là, s’occupait de faire prolonger par le Reichstag la loi d’exception contre les socialistes : par principe, le Centre repoussait cette prolongation, et de nouveau Bismarck entrait en colère. « Il est possible, notait anxieusement Auguste Reichensperger, qu’il devienne d’autant plus tenace à, l’endroit de la Curie ; mais nous devons rester logiques, advienne que pourra. Ce qui peut nous rassurer, c’est que presque partout la poudre du Culturkampf est mouillée. » Reichensperger, en ses pronostics, avait encore plus raison qu’il ne croyait : le chancelier, prévenu des doléances de Jacobini, expédiait à Reuss, dès le 20 avril, un message surexcité. Rome se disait mécontente ; lui aussi, il allait s’ériger en mécontent, et comme il ne savait trop, apparemment, quels griefs imputer à Rome, qui depuis deux mois lui faisait des avances, ce fut le Centre qu’il accusa. « J’étais préparé, écrivit-il, à l’accroc qui survient, je m’y attendais, vu l’attitude du Centre. Nous voyons dans cette attitude un éclaircissement pratique, une interprétation des instructions papales. » Il constatait que le Centre votait toujours avec les socialistes.


Quand, il y a un an, continuait-il, le parti catholique nous soutint dans la question douanière, je crus que les avances du Pape étaient sérieuses, et je trouvai dans cette confiance un encouragement pour les pourparlers. Mais, depuis lors, le parti catholique, qui professe publiquement être au service du Pape, attaque le gouvernement, au Landtag, sur tous les terrains. On dira qu’il y a là quelques chefs, qui vivent de la lutte, parce que la paix les rendrait superflus ! Mais tous les prêtres, mais tous les nobles riches, qui siègent au Centre ! Leur contenance ne peut s’expliquer que par l’influence des confesseurs sur les hommes, et plus encore sur les femmes. Un mot du Pape ou des évêques, fût-ce le plus discret avertissement, mettrait un terme à cette alliance contre nature, qui coalise avec les socialistes la noblesse et les prêtres.


Ici même, le 1er avril, Victor Cherbuliez avait prévu : « M. de Bismarck, dans ses négociations avec le Saint-Siège, haussera ou baissera le ton, selon que Windthorst et le parti du Centre montreront plus de souplesse. » La lettre bismarckienne du 20 avril justifiait cette prédiction : le réquisitoire contre le Centre en était le point capital. Bismarck répondait, d’ailleurs, aux diverses plaintes de Jacobini. Le cardinal avait dit : « Qu’adviendrait-il des pouvoirs discrétionnaires, si le gouvernement prussien changeait ? » Et Bismarck répondait : « Chacun garde son épée, pour maintenir au fourreau celle de l’autre. » Le cardinal avait questionné Reuss sur les contre-concessions de la Prusse ; et Bismarck, mentionnant les circulaires de Puttkamer, qui invitait policiers et magistrats à une grande tolérance, faisait honneur à la Prusse d’avoir déjà, elle, fait pratiquement un pas vers la paix. « Si l’on a cru, déclarait-il, que nous voulions non pas seulement déposer nos armes, mais les détruire par la voie de la législation, l’on nous a imputé une grosse sottise ! » Le cardinal avait paru tenir un langage menaçant, et Bismarck ripostait : « Si de ce langage Rome attend quelque profit, je vois avec regret combien on est loin, là-bas, de toute conception d’un modus vivendi qui soit acceptable pour nous. » Il accusait les prélats romains d’avoir une connaissance insuffisante de la situation prussienne, des espérances exagérées, des visées trop hautes ; et mettant très haut son amitié, il lançait comme une flèche, à la fin de sa lettre, cette menace d’adieu : « Si Rome ne trouve pas que le rétablissement des rapports diplomatiques soit digne de quelque prix, nous ne l’offrirons plus. » Le chancelier savait que le Pape aimait, en face du Quirinal, s’entourer d’une représentation diplomatique : cette dernière flèche visait Léon XIII.

La rupture était inévitable. Bismarck avait dit à satiété : Nous voulons procéder pari passu ; que Rome avance, et nous avancerons. — Je propose d’avancer, avait dit Léon XIII le 24 février ; mais vous, comment avancerez-vous ? — Avancez d’abord, répliquait Bismarck. — J’avancerai si vous avancez, reprenait Léon XIII. Et soudainement Bismarck, interrompant ce monotone et subtil dialogue, criait à son auguste interlocuteur : Je veux que le Centre m’obéisse ; donnez les ordres ! La réponse, le 30 avril, arriva de Vienne ; Reuss informait le chancelier que le Vatican refusait d’influer sur le Centre.

Alors, le 5 mai, le prince de Hohenlohe, venu pour quelque temps à Berlin comme secrétaire d’Etat, expédiait à Reuss un long Mémoire contre cette fraction, coupable, dans la monarchique Allemagne, de marcher avec les socialistes, avec les démocrates progressistes. « Bismarck, écrivait Hohenlohe, a une impression accablante de la stérilité des pourparlers. Son espoir dans une heureuse issue des négociations a disparu, par la faute du Centre. » La dépêche de Hohenlohe était volontairement brutale : lorsque bientôt elle fut publiée, les membres du Centre la jugèrent scandaleuse, et, quatorze ans plus tard, quand Hohenlohe fut chancelier, ils avaient peine, encore, à la pardonner.

Mais la Prusse catholique continuait de souffrir, par le fait des lois de Mai, d’une souffrance que la prolongation même aggravait ; et quelque adroite que fût la dialectique bismarckienne, la Prusse s’en prenait de ses souffrances, non pas au Centre qui combattait les lois, mais à Bismarck qui les avait faites, à Bismarck qui les maniait. Le chancelier le sentit : au moment même où de sa part Hohenlohe disait à peu près à Rome : Je ne veux plus traiter avec vous, Bismarck, se retournant vers les catholiques de Prusse, se préparait à leur dire Parlons ensemble, et parlons de vous.

Il causait à tort et à travers, le soir du i mai, au cours de sa soirée parlementaire, et lançait, probablement à dessein, des réflexions qui paraissaient se contredire entre elles. « Puttkamer, disait-il, a fait beaucoup d’avances aux catholiques, peut-être trop, parfois. Il se peut bien faire que nous soyons dans l’obligation de reprendre toutes nos anciennes armes ; » et puis il ajoutait, faisant volte-face : « Je n’attendrai pas que Rome ait accompli le premier pas ; je ne m’inquiéterai pas de savoir jusqu’où elle le fera : je déposerai dans la prochaine session un projet de loi qui m’autorisera à une application douce des lois de Mai. Contre le rappel des évêques émigrés, je n’aurais pas d’objections : ils pourraient ensuite, en pourvoyant les cures vacantes, contribuer à l’apaisement. » Sa décision était prise ; il allait, sans Rome, travailler à la paix. « Se désarmer, il ne le voulait pas : il ne jetterait pas au loin les lois de Mai, mais il les déposerait dans l’arène. » Les bureaucrates furent mis sur les dents : il fallait que, pour le 18 mai, le projet fût prêt.

Le 8 mai, le Reichstag, où l’on discutait un projet de loi sur la navigation de l’Elbe, fut surpris de voir Bismarck se lever, et parler des choses d’Eglise. Parce que, dans cette question commerciale, Windthorst ne pensait pas comme lui, Bismarck proclama devant l’Allemagne entière que l’attitude du Centre à l’endroit du gouvernement devait être considérée comme un baromètre des intentions de Rome. Or, qu’était-ce que le Centre ? Une tour de siège, dont se servaient contre lui, Bismarck, les autres partis ; un assaillant, sur les épaules duquel montaient tous les autres opposans. Les métaphores les plus incohérentes se succédaient sur ses lèvres. Le Centre, c’était encore une sorte de passif dont l’avenir parlementaire était grevé ; le Centre, c’était un poids mort. El voilà pourquoi Bismarck n’avait plus confiance dans Rome. Il feignait le découragement, tout proche chez lui de la colère ; il était prêt à s’en aller, à laisser le Roi lui donner pour successeurs, en Prusse, des ministres conservateurs et cléricaux, qui prendraient, eux, le chemin de Canossa ; et ce serait tant pis pour les élémens libéraux, qui passaient leur temps à le quereller et à fortifier ainsi l’opposition même que lui faisait le Centre. Quelques bravos s’essayaient, à droite, sur certains bancs conservateurs ; le Centre ne bougeait pas ; les nationaux-libéraux cachaient leur agitation sous un masque de froideur ; les progressistes ricanaient. Bismarck ayant parlé s’en alla de la salle, sans attendre ce que pourrait répondre Windthorst au nom du Centre, ou Bennigsen au nom des nationaux-libéraux : que lui importaient, à cette heure, leurs propos ? Il savait, lui, où il voulait en venir ; le Reichstag ne le savait pas encore.

D’aucuns, parmi les nationaux-libéraux, voyaient dans ce discours une grande salve, pour masquer la capitulation devant Rome. Bennigsen, plus confiant, disait joyeusement : Le bloc noir, le bloc conservateur clérical est en miettes. Il y avait de la naïveté dans cette joie : car Bismarck, qui avait besoin des nationaux-libéraux pour faire passer au Landtag le prochain projet de loi, les avait ramenés dans son jeu ; il les avait flattés, d’abord, par l’annonce du refroidissement entre Rome et Berlin, et puis il les avait bien grondés : c’étaient deux bons procédés pour les conquérir. Accusés le 8 mai de se comporter en opposans, de ne pas vouloir un gouvernement fort, et de faire ainsi les affaires du Centre, les nationaux-libéraux allaient essayer de rentrer en grâce : Bismarck les guettait là ; habile à les saisir, à les déconcerter, à les dompter, il saurait leur dire à brûle-pourpoint : « Soyez hommes de gouvernement, et prouvez-le, tout de suite, en faisant avec moi et derrière moi une première brèche dans les lois de Mai, dans vos lois. » Ce serait là jouer un excellent tour à ses anciens alliés du Culturkampf ; et ce serait en même temps narguer Rome, narguer le Centre, en disant à Rome et au Centre : La paix, je la fais sans vous.

Il lui restait à prendre personnellement congé de Rome : c’est ce qu’il fit le 14 mai. Il expédia à Reuss, ce jour-là, une philippique nouvelle contre le Centre. « Le Saint-Siège, expliquait-il, condamne le socialisme ; le centre marche avec les socialistes. Le Saint-Siège manque-t-il de volonté, ou de puissance, pour arrêter le Centre dans cette voie ? » Bismarck revenait ainsi, après trois essais de négociations avec Léon XIII, au dilemme dont autrefois sa presse se faisait une arme contre Pie IX : ou vous pouvez influer sur le Centre et vous ne le faites pas, alors vous m’êtes hostile ; ou vous ne le pouvez pas, alors vous m’êtes inutile. « La confiance du gouvernement est affaiblie, » déclarait le chancelier. Et puis il continuait :


Cependant le gouvernement royal, dans le même esprit pacifique avec lequel il a accueilli les premières ouverture ; de Sa Sainteté, avec la sympathie qu’il a toujours éprouvée pour les communautés privées de prêtres, ne tardera pas plus longtemps, de sa propre initiative, à proposer aux organes législatifs les mesures compatibles avec les droits imprescriptibles de l’État, pour rendre possible le rétablissement d’une administration diocésaine et pour remédier au manque de prêtres. Sur l’instant où nous pourrons continuer les pourparlers avec la Curie, nous ne serons en mesure de nous expliquer qu’après que le Landtag aura voté sur le projet de loi. À mon avis, il s’agira d’aviser, par la voie des mesures de clémence et des pouvoirs discrétionnaires, à rendre possible l’exercice des fonctions épiscopales, soit aux anciens titulaires, soit à des titulaires nouveaux, étant donné qu’ils se soumettront à l’obligation de ne pourvoir les cures qu’après avoir fait connaître à l’État les noms des curés.


Ainsi Bismarck, brusquement, dans la lettre même par laquelle il tournait le dos à Rome, annonçait le dépôt d’un premier projet réparateur ; projet qui ne priverait l’État prussien d’aucune de ses armes, mais qui lui permettrait, à son gré, de serrer certaines d’entre elles au lieu de les manier, et qui d’ailleurs, même voté, n’aurait sa pleine efficacité que si le Vatican, donnant suite à ses avances du mois de février, permettait aux évêques de transmettre au pouvoir civil les noms des curés.

Mais, en cette même journée du 14 mai 1880, dans laquelle Bismarck annonçait cette grave résolution, Nina prévenait Jacobini que, si la Prusse se bornait à corriger l’application des lois de Mai par l’usage de quelques pouvoirs discrétionnaires, le Saint-Siège retirerait la concession proposée en février. Ainsi finissaient trois mois de pourparlers. Bismarck, le 21 mai, prenait acte de la décision de Nina ; il avouait la déplorer, il l’attribuait, soit à des visées exagérées, soit à un malentendu ; il concluait que les velléités d’accord dont avait témoigné la Curie n’étaient pas bien sérieuses ou qu’elles s’étaient heurtées à des obstacles. « En tout cas, déclarait-il, l’attitude de la Curie n’influera pas sur ce que nous avons à faire chez nous, dans l’intérêt de nos concitoyens. Nous déposons le projet de loi. S’il échoue ou si le clergé n’en fait pas usage, ce ne sera pas notre faute. Nous ne demandons pas de contre-concession à la Curie ; nous légiférons dans l’intérêt des sujets catholiques. »

Ni la Curie n’avait rien accordé à Bismarck, ni Bismarck n’avait rien accordé à la Curie : à force de vouloir marcher du même pas, on n’avait pas marché du tout. Bismarck, te 26 mai, livrait aux journaux l’inutile correspondance diplomatique à laquelle le point final venait d’être mis ; ils avaient mission de conclure que, si les catholiques de Prusse continuaient de souffrir, le Pape, le Centre, en étaient responsables. Mais le bénévole chancelier, s’attendrissant sur les souffrances des catholiques du royaume, apportait un projet de loi qui lui permettrait, à son gré, s’ils étaient des sujets bien sages et s’ils s’adressaient à lui, d’adoucir certaines de leurs souffrances ; et si le Centre le voulait, ce projet de loi deviendrait loi ; et si le Pape le voulait, s’il autorisait curés et fidèles à se servir de la loi, elle pourrait leur être secourable. Telle était l’impopularité croissante du Culturkampf que Bismarck, qui se déchargeait, déjà, de la responsabilité de l’avoir déchaîné, travaillait artificieusement à charger Léon XIII et Windthorst d’une responsabilité presque aussi grave : celle de le faire durer.


VIII

Le 20 mai, le jour même où se rouvrait le Landtag, le projet de loi était déposé. Il comprenait onze articles, qui ne formaient pas un tout : on eût dit, bien plutôt, onze projets de loi différens, indépendans les uns des autres. Sur les onze, il n’y en avait qu’un seul qui corrigeât, d’une façon définitive, le texte des lois de Mai : l’Etat, de par cet article, renonçait à dire que les prêtres indociles aux lois pouvaient être « licenciés de leurs fonctions, » mais maintenait qu’ils seraient déclarés incapables de revêtir ces fonctions : c’était une rectification de forme, une reconnaissance implicite de ce fait que la collation des fonctions sacerdotales était chose d’Eglise ; mais la concession était singulièrement platonique, puisque l’Etat, en frappant un prêtre d’une telle déclaration d’incapacité, continuerait, en fait, sous des peines très sévères, à lui interdire sa besogne de prêtre. Les dix autres articles mettaient le gouvernement en mesure de suspendre ou de mitiger, à certains égards, l’application des lois. La déposition de plusieurs évêques, la mort de quelques autres, avaient condamné les diocèses à un long veuvage : trois articles permettaient à l’Etat, s’il le jugeait bon, de reconnaître de nouveau, comme évêques, les prélats déposés, d’admettre à l’exercice des prérogatives épiscopales, en les dispensant du serment d’obéissance, les vicaires capitulaires ou administrateurs épiscopaux reconnus par l’Eglise ; et de supprimer, dans les diocèses en détresse, les commissaires laïques préposés à l’administration des biens. Les patrons des bénéfices, les électeurs paroissiaux, avaient été, en 1874, invités à nommer eux-mêmes les curés, dans les paroisses que l’évêque maintenait vacantes : un article du projet nouveau subordonnait à l’autorisation des présidens supérieurs l’exercice de ce droit. La loi de 1875 avait suspendu le paiement des crédits que prévoyait pour l’Église le budget de l’Etat : un article autorisait le ministère à les rétablir à son gré, là où bon lui semblait. Les lois de 1873 avaient institué l’appel aux autorités civiles contre les décisions disciplinaires ecclésiastiques : un article supprimait le droit d’appel pour les victimes de ces décisions et réservait aux seuls présidens supérieurs la faculté de manier cette arme. De par les lois de Mai, on voyait s’essouffler sur la piste des prêtres délinquans toutes les autorités judiciaires et policières : un article stipulait que seuls les présidens supérieurs auraient le droit de les poursuivre ; ainsi l’Etat pourrait, selon son caprice, punir ou ne pas punir les délits de messe, de confession, de catéchisme. La loi de 1875 contre les ordres religieux avait laissé subsister les maisons congréganistes destinées au soin des malades : de par le projet nouveau l’Etat, pourrait, à sa fantaisie, autoriser ou prohiber l’installation de nouvelles maisons de religieuses hospitalières, permettre ou défendre aux nonnes d’abriter des enfans en bas âge, et retirer ces licences, brusquement, après les avoir accordées. La loi de 1875, qui créait vis-à-vis de la hiérarchie une représentation des fidèles, excluait les curés de la présidence des conseils d’Eglise : l’Etat, en vertu du projet nouveau, devait être libre de régler à sa façon cette question de présidence, même en faveur des curés. Enfin les lois de 1873’interdisaient toute besogne sacerdotale aux clercs qui n’avaient pas subi l’examen d’Etat, à ceux qui avaient été élevés à l’étranger, aux prêtres de nationalité étrangère : le ministère demandait qu’on l’autorisât à fixer les principes d’après lesquels il pourrait dispenser ces diverses catégories de prêtres des exigences de la loi.

C’était un étrange projet, et fort habilement conçu, par un chancelier jaloux d’omnipotence. Qu’il fût voté, tel quel, et Bismarck aurait à sa disposition deux séries de lois : les unes, les vieilles, permettant de marcher vers la guerre ; l’autre, la nouvelle, permettant de marcher vers la paix. Il serait équipé, soit pour se battre, soit pour pacifier. L’Eglise continuerait d’étouffer, ou bien elle respirerait « par la grâce du ministre. »

C’est Canossa, criait la Gazette de Cologne à propos du paragraphe permettant de rappeler les évêques. Le Kladderadatsch montrait un train de pénitence qui, joyeusement acclamé par les « noirs, » filait vers Canossa. Sur une autre caricature, un immense Bismarck, un peu courbé, s’égarait dans une forêt ; un homme de service du Vatican, — c’était Windthorst, — surgissait devant lui, tout petit, presque à ras de sol, brandissant en l’air, d’un bras court et nerveux, des paperasses déchirées, les lois de Mai. « Je vais vous conduire, disait ce petit homme ; mais ce n’est pas un doigt qu’il faut me donner, c’est toute la main. » — Il ne s’agit pas de Canossa, ripostaient les Grenzboten : le projet de loi sera, suivant les cas, « un outil de concorde, ou la préface d’opérations de guerre plus intensives. » L’organe bismarckien s’efforçait ainsi de rassurer les nationaux-libéraux, et Windthorst pensait de même, en fait lorsqu’il reprochait au projet d’être une arme à deux tranchans.

A l’écart du bruit que faisait la presse, les débris de l’épiscopat prussien se rassemblaient à Aix-la-Chapelle, pour causer : il y avait là les évêques de Culm et de Fulda, et puis, s’aventurant quelques heures dans leur propre patrie, Brinkmann, l’évêque émigré de Munster, Melchers, l’archevêque émigré de Cologne. C’était un colloque de catacombes. Les voix étaient basses à cause de la police, dont Melchers était justiciable ; mais si basses qu’elles fussent, elles étaient nettes et formelles. Elles concertaient une lettre à l’adresse du Pape. Les évêques remerciaient le Pape, et d’avoir cherché la paix, et d’avoir repoussé les expédiens provisoires que lui proposait Berlin. Ils épluchaient le projet de loi ; ils observaient que ce projet laissait intactes les pires stipulations des lois de Mai : ces paroisses vacantes, qui chaque jour se multipliaient, c’était un souci pour le gouvernement ; il avait voulu, par ce projet, alléger le souci.


Si l’Église coopérait au succès du projet, le gouvernement atteindrait son but ; il serait tiré de son embarras. Mais l’Église, elle, au lieu de voir son sort amélioré, serait réduite à une condition, bien pire encore, de dépendance et d’extrême servitude ; elle serait livrée à l’arbitraire des fonctionnaires gouvernementaux, qui sont le plus souvent ses adversaires, ses persécuteurs. Elle perdrait toute liberté, toute faculté d’agir par elle-même et par son autorité propre ; si elle se soumettait à cette loi, on devrait presque désespérer, pour l’avenir, d’une situation meilleure.


Les évêques déclaraient que, si l’Église acceptait cette fin de bataille, leurs populations, si vaillantes depuis sept ans, seraient troublées et indignées, et qu’elles étaient prêtes, au contraire, a continuer de combattre. Ils affirmaient que la Prusse ne voulait pas, en réalité, rendre à l’Église ses droits, qu’elle ne voulait pas, en réalité, une paix véritable avec le Saint-Siège, mais qu’avant peu, elle devrait céder aux réclamations des sujets et qu’avant peu elle devrait, en face du socialisme, recourir à l’Église. Aussi suppliaient-ils le Pape de s’abstenir de toutes concessions, surtout au sujet de la collation des cures.

Après les évêques, c’était le Centre, à son tour, qui se tournait vers Rome. Un de ses membres, le prêtre Majunke, s’en fut voir le Pape, trois heures durant : le cardinal Franzelin, le célèbre théologien jésuite, qui connaissait par cœur les lois de Mai, assistait à l’entretien. Cette audience papale avait l’aspect d’un conseil de Cabinet. Bismarck avait voulu diviser le Pape et le Centre : le Pape et le Centre conversaient ensemble ; les instructions romaines, ainsi mises en délibéré, étaient, sur l’heure, rédigées par Franzelin, et emportées à Berlin par Majunke. Elles allaient être, non seulement pour le prochain débat, mais pour plusieurs années, la charte du Centre. Un résumé risquerait de les trahir ; il les faut traduire :


A. Dans les questions purement politiques, le Centre est tout à fait libre et indépendant du Saint-Siège.

B. Au point de vue de la politique religieuse le Centre doit constamment réclamer que les lois hostiles à l’Église soient, ou abrogées, ou modifiées d’accord avec le Saint-Siège ; il doit expliquer que les catholiques du pays ne se reposeront pas avant d’avoir atteint cette situation juridique. Il s’agit des droits de l’Église et des principes de la liberté de conscience pour les catholiques de tous pays.

C. Au sujet du projet attendu, plusieurs remarques s’imposent :

1o  Si le projet est ainsi conçu qu’il ne puisse avoir d’autre sens, que d’assurer la puissance discrétionnaire du gouvernement, pour qu’à sa propre guise il applique ou n’applique pas les lois de Mai, il n’est pas permis d’adhérer à ce projet sans amendement.

2o  Mais si le projet était conçu de telle façon qu’on pût l’interpréter, — et le Centre devrait expressément donner cette interprétation, — comme accordant au gouvernement, purement et simplement, cette prérogative de ne pas appliquer les lois, il serait, dans ce sens, permis de voter pour.

3o Le Centre, en fait, doit-il voter pour ? Afin d’en décider, il faut savoir si par un tel vote on peut obtenir un avantage effectif pour l’Église en Prusse ou éviter pour elle un plus grand mal.

4o Si dans le projet de loi, directement ou indirectement, on allait réclamer de la part de l’Église des concessions auxquelles serait subordonnée la non-application des lois de Mai, on ne peut pas y consentir, parce que de telles concessions dépendent exclusivement du Saint-Siège.

5o Si l’on prend comme base le principe de la puissance discrétionnaire, le Saint-Siège ne s’engagera jamais dans des pourparlers tendant à la révision des lois de Mai. Par là, toute la base qu’a fixée le Saint-Siège pour les négociations serait modifiée.


Windthorst, qui de son côté s’était rapidement évadé jusqu’à Vienne, avait trouvé, près du cardinal Jacobini, des conseils analogues ; et la Voce della Verità, journal catholique de Rome, disait que le Centre, en adhérant au projet, perdrait sa dignité et encourrait les censures suspendues sur les législateurs qui portent atteinte à la liberté de l’Église. Avant même que la discussion parlementaire ne fût ouverte, les positions de l’Église et du Centre étaient prises.

Mais les nationaux-libéraux, dont Bismarck avait besoin pour réussir, étaient plus lents à prendre les leurs. Bennigsen prétendait que la loi nouvelle ne fût efficace que pour une durée limitée. Stolberg, le vice-chancelier, tenta, le 26 mai, de le chapitrer. « La Curie, lui écrivait-il, a toujours fini par avoir raison des États ; Bismarck seul est de taille à faire la paix sans préjudice pour l’État. » Stolberg se réjouissait que le Pape fût hostile au projet ; il expliquait que si Bismarck avait fait la paix avec le Pape contre le Centre, la Papauté, d’une telle aventure, fût sortie fortifiée. Mais on allait, par la loi nouvelle, réaliser la pacification, malgré le Pape et malgré le Centre. Et Stolberg conjurait Bennigsen de ne pas insister pour que la loi fût seulement provisoire : ce serait offrir au Centre l’occasion de nouveaux tumultes lorsque viendrait l’échéance où l’on devrait renouveler la loi, et puis Bismarck, à cette échéance, pourrait n’être plus là, et l’on risquerait, alors, en l’absence d’un tel guide, d’étendre la loi dans un sens favorable à l’ultra-montanisme, et de glisser vers Canossa. Ainsi faisait-on croire à Bennigsen, pour lui faire accepter les coups de canif donnés aux lois de Mai, qu’on n’en donnerait pas d’autres dans l’avenir. On allait faire quelque chose de définitif, proclamait Stolberg : il s’agissait d’une question de puissance (Machtfrage), c’est-à-dire d’une de ces questions où Bismarck était spécialiste ; Bennigsen devait avoir confiance, Bennigsen devait obéir.

Bennigsen lisait la lettre de Stolberg, et continuait d’hésiter. L’opposition des hommes du Centre, la tergiversation des nationaux-libéraux, paraissaient compromettre le sort du projet. Mais Bismarck se rendait compte qu’on pouvait réfuter les seconds par les premiers, et les premiers par les seconds. Il allait faire dire aux nationaux-libéraux : « Voyez comme cette loi contrarie le Centre ; la laisserez-vous succomber ? » Il allait, pour nuire au Centre, faire dire aux populations catholiques : « Voyez comme cette loi, combattue par Windthorst et par Borne, contrarie les nationaux-libéraux ; si vraiment elle menaçait l’Eglise, serait-elle si suspecte aux auteurs du Culturkampf ? » Bismarck savait faire bon usage des hostilités qu’il rencontrait ; elles se figuraient être des obstacles, elles espéraient le desservir : et puis elles s’apercevaient bientôt qu’il les exploitait comme des argumens, et que, finalement, elles le servaient.


IX

La discussion générale, qui s’ouvrit le 28 mai, mit deux doctrines aux prises : Windthorst, Pierre Reichensperger, combattirent le projet, parce qu’il livrait l’Église aux pouvoirs discrétionnaires de l’Etat, c’est-à-dire à l’arbitraire de Bismarck ; Zedlitz, au nom des conservateurs libres, l’approuva, en raison même de cette pleine souveraineté dont l’État demeurait investi. Deux ministres, aussi, se mesurèrent, l’ancien et le nouveau, le représentant de la bureaucratie d’État, et le représentant de l’État chrétien, Falk et Puttkamer. Le collaborateur de Bismarck dans la préparation des lois de Mai fit entendre des mots d’inquiétude, des protestations tranchantes, des insinuations captieuses, dont Bismarck fut choqué.

La Commission à laquelle fut renvoyé le projet comprenait 21 membres : 11 d’entre eux appartenaient, soit au parti conservateur, soit au Centre. Les discussions furent des plus confuses. Les amendemens se croisaient, s’enchevêtraient, se bousculaient. De séance en séance, la Commission se déjugeait. Les membres du Centre assistaient à ce désordre, en spectaeurs actifs. On crut un instant, le 9 juin, qu’un résultat était obtenu : dans la série d’amendemens qui furent tour à tour votés, les uns visaient à diminuer les pouvoirs donnés à l’Etat, les autres visaient, au contraire, à les élargir. Par exemple, le paragraphe qui permettait de réinstaller les évêques était supprimé : c’était une victoire pour Bennigsen. Mais le Centre et les conservateurs culbutaient l’article qui laissait les présidens supérieurs libres de poursuivre ou de ne pas poursuivre les prêtres délinquans, et, sur les ruines de cet article, le parti conservateur édifiait une rédaction tout autre : la formule nouvelle autorisait formellement les prêtres dûment reconnus par l’État et régulièrement pourvus d’emplois à s’en aller, par surcroît, faire besogne de prêtres dans les paroisses vacantes ; elle stipulait qu’en cas de mort d’un curé les prêtres auxiliaires qui auparavant aidaient son ministère pourraient demeurer dans la paroisse et y continuer leurs fonctions. Après avoir ainsi accordé à l’Eglise, tour à tour, moins et plus que Bismarck ne proposait d’accorder, la Commission, votant sur l’ensemble, le repoussa.

Effiloché, tout en lambeaux, l’infortuné projet revint devant la Chambre : la presse officieuse signifia qu’en refusant aux catholiques prussiens les satisfactions compatibles avec les droits de l’Etat, on ne répondrait pas aux intentions paternelles du roi Guillaume. Mais le projet semblait bien menacé ; déjà l’on prévoyait qu’après beaucoup de scrutins partiels, qui échafauderaient la loi, un scrutin final la démolirait. Devant la Prusse qui regardait, devant Rome qui de loin guettait, il était à craindre que cet amas d’articles pacificateurs dont Bismarck un instant s’était montré si fier ne se gonflât puis ne s’effondrât, comme les tas de sable que bâtissent les enfans. « Si le Centre vote contre, lisait-on dans la Gazette de Magdebourg, on se vengera sur la presse catholique, sur les associations catholiques ; on établira le petit état de siège dans les provinces catholiques. » De telles bravades cachaient mal l’anxiété. Bismarck, sentant la situation grave, ne paraissait pas au Landtag, faisait dire qu’il était malade ; que, s’étant retiré de toutes les autres affaires prussiennes, il n’allait pas se jeter dans cette bagarre ; et que d’ailleurs, harcelé de désagrémens, il serait déjà démissionnaire si Guillaume ne le retenait pas. Mais son Roi le retenait ; il restait donc, et faisait prévoir que Guillaume, en cas d’échec du projet, aimerait mieux, peut-être, renvoyer la Chambre que de renvoyer son ministre. Il laissa se dérouler, dans le Landtag, quelques parades oratoires, et s’ébaucher quelques scrutins ; et puis, dans les coulisses, il travailla.

Pour faire plaisir à Bennigsen, il supprima l’article 4 qui autorisait le ministère à réinstaller les évêques ; pour faire plaisir aux conservateurs libres, il accepta de stipuler dans l’article 1er que l’État n’accorderait aux prêtres des dispenses d’examen qu’autant que les évêques, se soumettant à la formalité légale, les présenteraient nominalement, pour une cure, aux présidens supérieurs. Bennigsen, en revanche, consentit à voter la rédaction nouvelle de l’article 9, qui ouvrait les paroisses vacantes au ministère des prêtres voisins. On discuta derechef, en séance, et, finalement, il ne subsista que sept morceaux de loi. L’article relatif aux dispenses d’examen fut repoussé par une manœuvre du Centre : c’était la revanche des catholiques contre l’addition que les conservateurs libres étaient parvenus à y glisser. L’article sur le rappel des évêques, l’article autorisant l’Etat à rendre au curé la présidence du conseil d’Église, l’article qui restreignait le droit des patrons ou des électeurs paroissiaux à nommer eux-mêmes les curés, l’article qui réservait aux présidens supérieurs le droit d’en appeler des décisions disciplinaires dans l’Eglise, furent tour à tour balayés. On vota les articles qui permettaient à l’État de dispenser du serment les administrateurs épiscopaux et de supprimer, dans les diocèses vacans, l’administration financière des commissaires : c’était la possibilité, pour Bismarck, de laisser fonctionner dans ces diocèses, à ciel ouvert, une administration ecclésiastique qui fût canoniquement régulière ; mais cette possibilité n’était accordée que pour dix-huit mois : au 1er janvier 1882, elle expirerait. On vota l’article qui autorisait Bismarck à rétablir les traitemens ecclésiastiques dans l’étendue d’un diocèse : c’était la possibilité, pour Bismarck, de remédier à certaines détresses matérielles ; mais cette possibilité n’était accordée que pour dix-huit mois ; au 1er janvier 1882, elle expirerait. On vota l’article qui ouvrait, au ministère des prêtres dûment reconnus par l’Etat, les paroisses environnant la leur : c’était la faculté, pour l’Église, de distribuer légalement, à l’avenir, les secours spirituels, sacremens, prédication, dans des paroisses où jusque-là elle ne pouvait le faire sans délit ; cette faculté, reconnue définitivement, mettait un terme à d’incroyables vexations, plus gênantes encore pour le gouvernement qui les ordonnait que pour l’Église même qui les subissait. On vota, enfin, l’article qui autorisait l’Etat à laisser s’essaimer les ordres hospitaliers ; et cette autorisation aussi avait un caractère définitif. Bennigsen, qui n’avait voulu qu’une loi provisoire, était donc à demi exaucé, à demi vaincu. Cet ensemble, fort hybride, obtint dans la Chambre basse quatre voix de majorité : les conservateurs, les libres conservateurs, une partie des nationaux-libéraux en assurèrent le succès ; le Centre, les progressistes, et le reste des nationaux-libéraux déposèrent des bulletins hostiles.

La Chambre des Seigneurs, à son tour, discuta. Udo de Stolberg, qui approchait beaucoup le chancelier, déclara que l’empire des Hohenzollern ne pouvait se mettre sous la pantoufle romaine ; et puis, après ce tribut payé à la phraséologie de jadis, Stolberg ajoutait : « Les catholiques allemands doivent forcer le Pape et le Centre à la paix. » Ainsi présentait-on la loi nouvelle, première concession faite par la Prusse aux intérêts catholiques, comme un échec au Pape, comme un échec au Centre. Dès que les catholiques feraient violence au Pape, ils ne seraient plus catholiques, riposta le comte Brühl. Puttkamer, au nom du gouvernement, déplora que les catholiques qui avaient le plus d’intérêt à voir finir la guerre eussent, par les bulletins de vote du Centre, repoussé les premières mesures d’apaisement : ce qui nous console, continua-t-il, c’est que la majorité du protestantisme prussien ait reconnu qu’il était temps d’amener une pacification. Sans chicaner, la Chambre des Seigneurs dit : Amen, et le 14 juillet 1880, la signature royale s’apposa sur la première des lois réparatrices.

Parmi les auteurs de la loi, personne n’était content, absolument personne. Il y avait trente mois qu’on parlait de paix religieuse ; et Bismarck, ni à Rome ni à Berlin, n’avait obtenu ce qu’il voulait. Il avait espéré enchaîner le Centre : le Centre et Rome avaient refusé. Il avait longtemps déclaré, avec une pointilleuse arrogance, qu’il ne consentirait de concessions à l’Eglise que lorsque Rome aurait fait un premier pas : Rome, finalement, n’avait rien accordé au sujet de la nomination des curés ; Rome n’avait réalisé aucune concession effective ; et Bismarck, sans plus attendre, commençait cependant de porter atteinte aux lois de Mai. Il avait spécialement désiré qu’on l’autorisât à réinstaller les évêques, ayant l’arrière-pensée, naïvement avouée par sa presse, d’imposer à leur retour certaines conditions draconiennes et de dire au peuple : « Ils ne rentrent pas, mais c’est de leur faute ; » mais les nationaux-libéraux, qui déjà voyaient les évêques rentrer en triomphe et Bismarck à pied derrière le char, avaient opposé un refus formel ; et Bismarck demeurait très dépité de leur inintelligence, qui l’avait empêché de jouer une belle partie. Il avait à l’origine stipulé que, dans la loi nouvelle, toutes les concessions accordées à l’Eglise seraient subordonnées, en fait, à son pouvoir discrétionnaire, à lui Bismarck ; et voici qu’en vertu du texte définitif, tous les curés prussiens reconnus par la Prusse pouvaient, sans demander aucune permission spéciale aux agens du chancelier, s’en aller dire la messe, confesser, baptiser, dans les paroisses vacantes. L’habileté bismarckienne avait fait des prodiges ; mais Bismarck, cependant, enregistrait une série de déceptions. On était mécontent, aussi, chez les nationaux-libéraux : il y en avait un grand nombre, dans les provinces, qui demeuraient, à travers vents et marées, fidèles à l’intransigeance de Falk, et les députés qui derrière Bennigsen avaient fait un premier dégât dans la bâtisse nationale-libérale des lois de Mai étaient sévèrement jugés ; de plus en plus le parti se disloquait, et bientôt, laissant s’affaisser sa vieille énergie, l’historien Sybel quittait la politique, en disant tristement qu’au temps où il avait fait les lois de Mai, il avait pensé qu’elles dureraient toujours.

Mais l’épiscopat, mais le Centre, pouvaient doublement se réjouir. Ils pouvaient se réjouir d’abord, pour avoir repoussé la loi, qui substituait à l’inflexibilité des lois précédente ? la souplesse de la dictature bismarckienne : il ne convenait pas que le Culturkampf finît par un geste de l’Eglise, se remettant au bon plaisir de Bismarck. Et puis, — cela n’était pas contradictoire, — ils pouvaient se réjouir, ensuite, de constater que malgré eux le projet de loi triomphait : car à l’écart de l’Eglise, et sans le concours de l’Eglise, la majorité protestante du Landtag, poussée par une nécessité nationale, avait pour la première fois tâté les chaînes dont la législation prussienne avait surchargé le catholicisme : il lui avait paru convenable que certaines d’entre elles fussent brisées, ou, tout au moins, pussent être relâchées. Habemus confitentem reum, disait triomphalement Auguste Reichensperger en constatant cette résipiscence de la Prusse, et il écrivait à sa femme, le lendemain du vote : « Rarement une victoire du Centre m’a fait le même plaisir que me fit hier sa défaite. »

« En repoussant le projet de loi, déclarait la Gazette Générale de l’Allemagne du Nord, les hommes du Centre ont rompu avec tous les vrais partisans de la dynastie et de l’Etat, ils ne pourront plus s’affubler, désormais, d’un masque loyaliste ; entre eux et les conservateurs, tout compromis est devenu impossible. » — « Les poissonnières de Hambourg, répliquait plaisamment Windthorst dans un meeting tenu à Cologne, insultent aussi les gens qui ne veulent pas leur acheter leurs poissons pourris. » Windthorst et ses amis laissaient passer l’insulte ; ils étaient approuvés par leurs électeurs dans les meetings, par leurs évêques du fond de l’exil : cela leur suffisait. Bismarck, sans eux, atténuait un peu les misères de l’Eglise, et se vantait ensuite de s’être passé d’eux. C’était exact : mais il aurait besoin d’eux quelque jour, pour les affaires de l’Etat ; ils étaient, à certaines heures, l’indispensable appoint pour une majorité gouvernementale. Bismarck, sans le Pape, avait apporté au mal certains palliatifs ; il se vantait ensuite de s’être passé de lui. C’était exact, aussi, mais ces palliatifs étaient provisoires : ces prêtres dûment installés, dûment reconnus par l’Etat, auxquels on permettait désormais d’aller évangéliser les paroisses vacantes, verraient au jour le jour la mort éclaircir leurs rangs, et ceux d’entre eux qui mourraient ne pourraient, dans leurs propres paroisses, être légalement remplacés ; la loi de 1880 serait ainsi paralysée, peu à peu, par le mécanisme désastreux des lois de Mai ; et d’une façon plus lente assurément, mais toujours aussi méthodique, ces lois continueraient d’étendre, inévitablement, sur la surface du royaume, le désert spirituel qui chaque jour s’élargissait. En se passant du Pape, en se passant du Centre, Bismarck avait pris une initiative législative qui impliquait, par elle-même, l’aveu du mal commis, et l’aveu de la responsabilité de l’Etat ; mais après la loi nouvelle, la responsabilité de l’Etat persistait, et cette loi même ne supprimait pas le mal. L’Etat pécheur rusait avec son péché ; Léon XIII attendait de Bismarck, patiemment, une plus complote repentance.


GEORGES GOYAU.

  1. Voyez la Revue du 1er février 1912.
  2. Il y avait eu, antérieurement, une lettre de Léon XIII à Bismarck, lettre dont nous ne savons pas le contenu, mais que mentionne dans ses Mémoires, à la date du 20 janvier 1880, le prince de Hohenlohe.