Bladé - Contes populaires de la Gascogne, t. 2, 1886/La Nuit des Quatre-Temps

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III

La nuit des Quatre-Temps



Il y avait, une fois, une demoiselle, noire comme l’âtre, et vieille, vieille comme un chemin. Plus elle vieillissait, plus elle se croyait jeune et jolie. Cette demoiselle n’avait qu’un valet, appelé Bourtoumieu[1]. Tous deux vivaient au milieu des bois, dans un grand château, plein de chauves-souris et de hiboux. Pourtant, la vieille avait en cave sept tonneaux, pleins de quadruples d’Espagne. Chaque matin, elle faisait sécher son or aux rayons du soleil levant.

Un matin qu’elle travaillait comme de coutume, vint à passer un beau seigneur sur son cheval noir.

— « Bonjour, demoiselle. Que faites-vous là ?

— Beau seigneur, je fais sécher mon douaire aux rayons du soleil levant.

— Demoiselle, le douaire est beau. Mais la fille est plus belle encore. Voulez-vous de moi pour mari ?

— Beau seigneur, file ton chemin. File ton chemin, et reviens me chercher dans la nuit des Quatre-Temps. »

Un an plus tard, à minuit, le beau seigneur frappait à la porte du château.

— « Ho ! Demoiselle, levez-vous. Il est temps de nous marier.

— Beau seigneur, quel temps fait-il ?

— Demoiselle, il pleut à grand déluge.

— Beau seigneur, file ton chemin. Je ne me marie pas encore. »

Un an plus tard, à minuit, le beau seigneur frappait encore à la porte du château.

— « Ho ! Demoiselle, levez-vous. Il est temps de nous marier.

— Beau seigneur, quel temps fait-il ?

— Demoiselle, il pleut à grand déluge. L’orage gronde à rendre sourd.

— Beau seigneur, file ton chemin. Je ne me marie pas encore. »

Un an plus tard, à minuit, le beau seigneur frappait encore à la porte du château.

— « Ho ! Demoiselle, levez-vous. Il est temps de vous marier.

— Beau seigneur, quel temps fait-il ?

— Demoiselle, il pleut à grand déluge. L’orage gronde à rendre sourd. Il vente à décorner les taureaux.

— Beau seigneur, file ton chemin. Je ne me marie pas encore. »

Un an plus tard, à minuit, le beau seigneur frappait encore à la porte du château.

— « Ho ! Demoiselle, levez-vous. Il est temps de nous marier.

— Beau seigneur, quel temps fait-il ?

— Demoiselle, il pleut à grand déluge. L’orage gronde à rendre sourd. Il vente à décorner les taureaux. La grêle tombe, épaisse, et grosse comme le poing.

— Beau seigneur, c’est la nuit des Quatre-Temps. Vite, il faut nous marier. — Ho ! Bourtoumieu, debout. Selle et bride ta jument blanche.

Ho ! Bourtoumieu, selle, selle,
Selle, selle ma bourriquette[2]. »

Une heure après, la vieille, vêtue en mariée, Bourtoumieu, et le beau seigneur, galopaient à travers le bois. Il pleuvait à grand déluge. L’orage grondait à rendre sourd. Il ventait à décorner les taureaux. La grêle tombait, épaisse et grosse comme le poing.

— « Ho ! Bourtoumieu, fouette, fouette,
Fouette, fouette ma bourriquette[3].

— Oui, demoiselle.

— « Ho I Bourtoumieu, fouette, fouette,
Fouette, fouette ma bourriquette.

Bourtoumieu, quel beau temps !

— Oui, demoiselle.

— « Ho I Bourtoumieu, fouette, fouette,
Fouette, fouette ma bourriquette.

Bourtoumieu, vois-tu ces lumières dans le bois ?

— Oui, demoiselle. Ce sont les loups qui nous poursuivent. Leurs yeux brillent dans la nuit noire.

— « Ho I Bourtoumieu, fouette, fouette,
Fouette, fouette ma bourriquette.

Non, Bourtoumieu. C’est le beau seigneur qui fait illuminer pour moi. Comme il est riche ! Comme il m’aime !

— Oui, demoiselle.

— Ho ! Bourtoumieu, fouette, fouette,
Fouette, fouette ma bourriquette.

Bourtoumieu, entends-tu ces cris dans le bois ?

— Oui, demoiselle. Ce sont les loups qui hurlent de faim. Gare à nous.

— Ho ! Bourtoumieu, fouette, fouette,
Fouette, fouette ma bourriquette.

Non, Bourtoumieu. C’est le beau seigneur qui fait chanter pour moi. Comme il est riche ! Comme il m’aime !

— Ho ! Bourtoumieu, fouette, fouette,
Fouette, fouette ma bourriquette.

Alors, les loups tombèrent sur la vieille et sa bourriquette. Bourtoumieu tira son épée ; mais le beau seigneur l’arrêta.

— « Bourtoumieu, laisse ces bêtes manger à leur faim. Tu n’auras pas à t’en plaindre. »

Les loups repus et partis, le beau seigneur dit :

— « Bourtoumieu, mets pied à terre, et regarde ce qu’il reste de la vieille et de sa bourriquette.

— Beau seigneur, de la vieille, il reste une jambe d’or. De la bourriquette, il reste quatre fers d’or, avec les clous de diamant.

— Bourtoumieu, tout est pour toi. Ramasse vite, et partons. »

Tous deux rentrèrent au château de la vieille demoiselle, et ils y vécurent riches et heureux[4].

  1. En gascon Bourtoumiou est le nom propre correspondant à Barthélémy.
  2. En gascon, ces deux lignes riment par assonance :

    Ho ! Bourtoumiou, sèro, sèro,
    Sèro, sèro ma bourriqueto.

  3. Ces deux lignes, qui reviennent, riment aussi en gascon :

    Ho ! Bourtoumiou, hoeto, hoeto
    Hoeto, hoeto ma bourriqueto.

  4. Je sais ce conte depuis mon enfance. Mes souvenirs concordent exactement avec ceux de l’abbé Magenties, de Lectoure, qui reproduit le récit de sa grand’mère, Catherine Dubuc, veuve Langlade, femme illettrée, morte à Lectoure, en 1855, dans un âge avancé.