Bladé - Contes populaires de la Gascogne, t. 3, 1886.djvu/La Femme méchante

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VI

la femme méchante



Celui qui cherche à se marier, court la chance de grands malheurs. Il y a des filles méchantes. Il y en a de débauchées : y en a qui aiment la bouteille. Le galant peut faire ce qu’il voudra, prendre des renseignements, tâcher de voir par lui-même. Cela ne lui sert jamais de rien. Tant que le curé n’a pas parlé, les filles cachent leurs vices ; mais, après, c’est une autre affaire. — Dieu vous préserve de ce danger ! Dieu vous préserve surtout d’épouser une femme méchante ! Il ne vous servirait à rien de la sermonner, ni de la battre. La carogne serait peut-être capable de vous empoisonner. Si vous tombez mal en mariage, mieux vaudrait pour vous vivre dans la compagnie de Lucifer, et de ses Diables.

Un homme avait eu le triste sort de tomber sur une de ces méchantes filles. Le soir même de la noce, elle fit un sabbat d’enfer. Pendant dix ans, cela recommença vingt fois par jour. L’homme était fort comme Samson, patient comme un ange, et il se disait souvent en lui-même :

— « Si je bats cette malheureuse, je suis capable de l’estropier, peut-être même de la tuer, sans le vouloir. Jamais les juges ne pourraient croire ce que j’ai souffert par elle. Ils commanderaient de me faire mourir. Cela serait un grand affront pour la famille. Mieux vaut faire comme auparavant, et offrir mes peines au Bon Dieu. »

La femme, voyant que son homme ne répondait jamais à ses insultes, et qu’il n’avait pas l’air de prendre garde à ses malices, devint encore plus méchante.

— « Ah ! c’est ainsi, pensa-t-elle. Eh bien ! nous verrons ce soir. »

Le soir, l’homme revint de son champ, las et affamé.

— « As-tu trempé la soupe, ma femme ?

— Non, ivrogne, voleur, mauvais sujet. Je suis lasse de servir un rien-qui-vaille comme toi. Fais ta cuisine, si tu veux. »

Le pauvre homme ne répondit rien. Il alla couper des choux au jardin, alluma le feu, et fît la soupe. Mais, comme il s’apprêtait à la tremper, la femme cassa la marmite d’un coup de pelle à feu.

— « Ma femme, pourquoi as-tu cassé la marmite ?

— Cela m’a plu, pouilleux.

— Je te défends de m’appeler pouilleux.

— Pouilleux ! Pouilleux !

— Si tu le redis, je te noie dans la mare.

— Pouilleux ! Pouilleux ! Pouilleux ! »

L’homme prit sa femme, la porta dans la mare, et l’y fit entrer, jusqu’à mi-jambe.

— « Pouilleux ! »

L’homme plongea sa femme dans la mare, jusqu’à la ceinture.

— « Pouilleux ! Pouilleux ! »

L’homme plongea sa femme dans la mare, jusqu’au menton.

— « Pouilleux ! Pouilleux ! Pouilleux ! »

L’homme plongea dans la mare toute la tête de sa femme. Mais celle-ci élevait ses mains en l’air, et frottait ses pouces l’un contre l’autre, comme qui écrase des poux. Alors, l’homme comprit que cela ne servait de rien, et il ramena sa femme au bord de la mare.

— « Cette leçon est perdue, dit-il. Je dépenserais mal mon temps à recommencer. Ma femme est née méchante, et méchante elle mourra[1]. »

  1. Dicté par Marianne Bense, du Passage-d’Agen (Lot-et-Garonne).