Bladé - Contes populaires de la Gascogne, t. 3, 1886.djvu/Les Deux présents

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II

les deux présents



Henri IV était un roi[1] haut d’une toise, gros à proportion, fort comme un bœuf, et hardi comme un César. Il faisait beaucoup d’aumônes, et n’aimait pas les intrigants. Avant d’aller s’établir à Paris, ce roi demeurait à Nérac ; et il avait toujours près de lui Roquelaure, qui était l’homme le plus farceur de France.

Un jour, Henri IV et Roquelaure jouaient aux cartes, après dîner, quand ils virent entrer dans la chambre un paysan, qui portait sur sa tête une citrouille si grosse, si grosse, qu’on n’a jamais vu, ni qu’on ne verra jamais la pareille.

— « Bonjour, mon prince, et la compagnie.

— Bonjour, mon ami. Que viens-tu faire ici, avec ta citrouille ?

— Mon prince, je viens vous porter ce présent. La soupe de citrouille et de haricots frais est une fort bonne chose. Ne manquez pas de recommander à votre cuisinière de conserver les graines. Vous en donnerez à tous vos amis et connaissances ; et je viendrai moi-même en chercher, pour l’année prochaine.

— Merci, mon ami. Va-t’en manger un morceau à la cuisine.

— Avec plaisir, mon prince. »

Le paysan descendit donc à la cuisine, où on ne le laissa pas manquer de pain, de vin, et de viande. Pendant qu’il buvait et mangeait, Henri IV dit à Roquelaure :

— « Roquelaure, ce paysan m’a l’air d’un brave homme. Je crois qu’il m’a apporté sa citrouille de bon cœur. Que pourrais-je bien lui donner ?

— Mon prince, mettez-le à l’épreuve. S’il ne vous a pas donné un œuf pour avoir un bœuf, faites-lui présent d’un beau cheval.

— Roquelaure, tu as raison. »

Quand le paysan eut mangé à sa faim, et bu à sa soif, il revint dans la chambre du roi, pour le saluer avant de partir.

— « Mon ami, dit Henri IV, que demandes-tu pour ta récompense ?

— Mon prince, je vous demande de ne pas oublier de me faire garder des graines de citrouille, pour me maintenir en belle semence. »

Alors, Henri IV commanda qu’on donnât un beau cheval au paysan, qui rentra chez lui fort content.

Ce paysan était le métayer de M. de Cachopouil[2], un noble, glorieux comme un paon, et avare comme un juif. Quand M. de Cachopouil vit que son métayer avait été si bien récompensé, pour une citrouille, il pensa :

— « Demain, j’irai trouver Henri IV, et je lui ferai présent d’un beau cheval. Pour le moins, il me fera marquis, et me donnera un baril plein de doubles louis d’or. »

En effet, le lendemain matin, M. de Cachopouil descendit à l’écurie, choisit son plus beau cheval, partit pour la ville de Nérac, et trouva Henri IV et Roquelaure, qui jouaient aux cartes après dîner.

— « Bonjour, mon prince, et la compagnie.

— Bonjour, mon ami. Qu’y a-t-il pour ton service ?

— Mon prince, je suis M. de Cachopouil ; et j’ai appris que vous aviez donné un beau cheval à mon métayer, qui vous avait fait présent d’une citrouille. Je vous amène une autre bête, pour remplacer celle que vous n’avez plus.

— Merci, mon ami. Et où est cette bête ?

— Mon prince, je l’ai laissée là-bas, à l’écurie.

— Eh bien, mon ami, je veux aller la voir. Passe devant. Moi et Roquelaure, nous te rattrapons dans cinq minutes. »

M. de Cachopouil descendit donc à l’écurie. Alors, Henri IV dit :

— « Roquelaure, ce Cachopouil m’a l’air d’un bien brave homme. Je crois qu’il m’a amené son cheval de bon cœur. Que pourrais-je bien lui donner ?

— Mon prince, mettez-le à l’épreuve. S’il ne vous a pas donné un œuf pour avoir un bœuf, donnez-lui sept métairies, avec un grand pouvoir dans tout le pays.

— Roquelaure, tu as raison. »

Henri IV et Roquelaure descendirent à l’écurie.

— « Mon prince, dit M. de Cachopouil, voici le cheval.

— Mon ami, je n’en ai jamais vu aucun d’aussi beau. Que demandes-tu pour ta récompense ?

— Mon prince, je vous demande, pour le moins, de me faire marquis, et de me donner un baril plein de doubles louis d’or.

— Mon ami, je veux te donner mieux que ça. Viens avec moi à la cuisine. »

Roquelaure et M. de Cachopouil suivirent donc Henri IV à la cuisine.

— « Cuisinière, dit Henri IV, as-tu gardé les graines de la grosse citrouille qu’un paysan m’a apportée hier ?

— Oui, mon prince.

— Eh bien, remplis-en deux cornets de papier. L’un sera pour Cachopouil, l’autre pour son métayer[3]. »

  1. Le nom de Henri IV est encore fort populaire en Gascogne. On débite sur son compte, et surtout dans l’arrondissement de Nérac (Lot-et-Garonne), des anecdotes dont plusieurs ont été imprimées dans divers ouvrages.
  2. En gascon Cachopouil, en agenais Cachopeu, c’est-à-dire : « écrase-pou. » Est-il besoin d’ajouter que ce nom a été forgé par la malice populaire, et qu’il n’y a jamais eu, dans le sud-ouest de la France, ni famille noble, ni terre seigneuriale de ce nom ?
  3. Dicté à la gare de Fumel (Lot-et-Garonne), par un vieux chasseur d’alouettes dont j’eus le tort de ne pas prendre le nom. Son langage dénotait un homme natif du Haut-Agenais. Dans mon enfance, une jeune fille nommée Claire, servante à Marmande (Lot-et-Garonne), chez ma grand’mère maternelle, Mme Liaubon, me fit un récit à peu près semblable. Cependant, Henri IV y était remplacé par un roi quelconque, et Roquelaure par un personnage anonyme.