Bleu, blanc, rouge/08

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Déom Frères, éditeurs (p. 42-44).


L’ÂME-SŒUR


À lui !

Étranger ici-bas, car nulle âme à mon âme
N’avait encor donné sa lumière et sa flamme.
J’allais toujours dans l’ombre, hésitant et craintif ;
Je fuyais les amours et le baiser furtif,
Le printemps, le soleil, la gaité, le sourire,
Car la désespérance irritait mon délire.
Perdu comme un brouillard dans la mer d’un ciel gris,
Je voguais avec lui vers d’étranges pays,
Où souriait mon rêve irréel, diaphane,
Bras souples et blancs, enlaçante liane
Autour de mon front pâle. Ah ! chère vision
Dont ma lèvre de feu buvait l’illusion.
Quand je croyais saisir le fantôme perfide,
Il glissait en mes mains et j’étreignais le vide !
Comme fuit en nos doigts l’eau couleur de saphir
Aux chatoyants reflets de l’éternel désir…
Quel désolant réveil ! Mon âme encor plus seule,
Molle ainsi qu’une chiffe, inconsistante, veule !
L’éclair étrange et dedur mon œil dilaté…
Mais depuis qu’en mon ciel a lui cette clarté
D’une amoureuse étoile enveloppant mon être,

Scintillant en mon cœur, je m’écoute renaître.
Je marche dans la nuit où brillent tes grands yeux,
Baigné de chaude effluve, enivré, radieux ;
Je sens à chaque instant sur ma tempe meurtrie,
D’une bouche de charme à la courbe amollie
Le souffle caressant errer doux et léger,
Comme un baiser discret du zéphir messager.
Un soupir de la rose à la brise qui passe.
Quel nom te fit le ciel, déesse, muse ou grâce,
Toi qui courbes vaincu le lion des déserts,
Le censeur rugissant du genre humain pervers
Et fais couler ses pleurs !… Sois donc béni, doux ange,
Pour ainsi te pencher sur mon indigne fange,
Deux ruisseaux de mes yeux dégoulinent sans fin
Comme la sève d’or du grand érable brun,
Rivières de douceurs qui suintent sur la pierre
Où fleurissent la mousse et le fidèle lierre
Au soleil d’un regard !… Ah ! qu’il fait bon pleurer
Quand le cœur est heureux, libre enfin d’espérer,
Ange, dis-moi…
 « Je suis l’âme sœur de la tienne.
Le deuxième verset de la joyeuse antienne
Alternant les amours au temps du renouveau.
Le reflet de ton front, se mirant au ruisseau,
Le décalque de toi sur le linge mystique
Pénétrant et subtil d’une autre Véronique.
L’écho de ta pensée, aérien, courant,
Qui traverse les mers, la tourmente et le vent,
Sur les fils de l’éther pour embrasser mon âme,
Et l’éclairer en rêve, avant-coureuse flamme
D’un jour ensoleillé… Et je suis le désir,
Le frisson de l’aimant, le passé, l’avenir,
L’étincelle jaillie à cette heure suprême,
Quand du foyer divin tu surgissais toi-même.
Je suis, ô cachottier, la clef d’or du coffret
Où tu gardes enfoui le merveilleux secret
De l’écrin de ton cœur : diamants de Golconde.
Gisements précieux, pour celle, brune ou blonde
Souveraine par droit de conquête et d’amour,
Que tu couronneras à l’aurore d’un jour
Immortel comme Dieu. Tu ne sais pas encore

Ce qu’une douce fée en toi sut faire éclore.
Quand ton regard rêveur suit le vol paresseux
D’une belle chimère au prisme dangereux,
Alors, je fais saillir le couvercle de pierre
Du coffret recéleur et je contemple fière
Mes chers joyaux d’amour finement ciselés :
Des colliers de caresse artistement fouillés,
Des chaines de baisers, des anneaux, doux emblème
De l’être qui fidèle, éternellement aime,
Des rubis rutilants couleur du sang vermeil
Qui colore la lèvre à l’heure du réveil…
Je compte mes trésors avec des yeux d’avare
Des parcelles jalouses à l’instar de Lazare.
Car je suis le passé, le présent, l’avenir,
Ta Douce, l’Âme-Sœur, celle qui doit venir. »