Boileau - Œuvres poétiques/Chapelain décoiffé/Lettre de Boileau à Brossette

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Chapelain décoifféImprimerie généraleVolumes 1 et 2 (p. 461-463).
LETTRE
DE BOILEAU A BROSSETTE
AU SUJET DU CHAPELAIN DÉCOIFFÉ.


Paris, 10 décembre 1701.


Je pourrois, monsieur, vous alléguer d’assez bonnes excuses du long temps que j’ai été sans vous écrire et vous dire que j’ai eu durant ce temps-là affaires, procès et maladies ; mais je suis si sûr de mon pardon, que je ne crois même pas nécessaire de vous le demander. Ainsi, pour répondre à la dernière lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, je vous dirai que je l’ai reçue avec les deux ouvrages qui y étoient enfermés. J’ai aussitôt examiné ces deux ouvrages, et je vous avoue que j’en ai été très-peu satisfait. Celui qui porte pour titre l'Esprit des cours vient d’un auteur[1] qui a, selon moi, plus de malin vouloir que d’esprit, et qui parle souvent de ce qu’il ne sait point. C’est un mauvais imitateur du gazetier de Hollande, et qui croit que c’est bien parler, que de parler mal de toutes choses.

A l’égard du Chapelain décoiffé, c’est une pièce, où je vous confesse que M. Racine et moi avons eu quelque part ; mais nous n’y avons jamais travaillé qu’à table, et le verre à la main. Il n’a pas été proprement fait currente calamo, mais currente lagena, et nous n’en avons jamais écrit un seul mot. Il n’étoit point comme celui que vous m’avez envoyé, qui a été vraisemblablement composé après coup, par des gens qui avoient retenu quelques-unes de nos pensées, mais qui y ont mêlé des bassesses insupportables. Je n’y ai reconnu de moi que ce trait :

Mille et mille papiers, dont ta table est couverte,
Semblent porter écrit le destin de ma perte ;

et celui-ci :

En cet affront La Serre est le tondeur,
Et le tondu, père de la Pucelle.

Celui qui avoit le plus de part à cette pièce, c’étoit Furetière, et c’est de lui :

O perruque ma mie !
N’as-tu donc tant vécu que pour cette infamie ?

Voila, monsieur, toutes les lumières que je vous puis donner sur cet ouvrage, qui n’est ni de moi ni digne de moi. Je vous prie donc de bien détromper ceux qui me l’attribuent. Je vous le renvoie par cet ordinaire.

J’attends la décision de vos messieurs sur la prononciation du latin, et je ne vous cacherai pas qu’ayant proposé mes questions à l’Académie des médailles, il a été décidé tout d’une voix que nous ne le savions point prononcer, et que, s’il revenoit au monde un civis latinus du temps d’Auguste, il riroità gorge déployée en entendant un François parler latin, et lui demanderoit peut-être quelle langue parlez-vous là ? Au reste, à propos de l’Académie des médailles, je suis bien aise de vous avertir qu’il n’est point vrai que j’en sois ni pensionnaire ni directeur, et que je suis tout au plus, quoi qu’en dise l’écrit que vous avez vu, un volontaire qui y va quand il veut, mais qui ne touche pour cela aucun argent. Je vous éclaircirai tout ce mystère, si j’ai jamais l’honneur de vous voir. Cependant faites-moi la faveur de m’aimer toujours, et de croire que, tout négligent que je suis, je ne laisse pas d’être très-cordialement...

  1. Gueudeville