Boileau - Œuvres poétiques/Ode II

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II


ODE[1]

SUR UN BRUIT QUI COURUT EN 1656 QUE CROMWELL ET LES ANGLOIS ALLOIENT FAIRE LA GUERRE A LA FRANCE.


Quoi ? ce peuple aveugle en son crime,
Qui, prenant son roi pour victime,
Fit du trône un théâtre affreux,
Pense-t-il que le ciel complice
D’un si funeste sacrifice,
N’a pour lui ni foudre ni feux ?

Déjà sa flotte à pleines voiles,
Malgré les vents et les étoiles,
Veut maîtriser tout l’univers ;
Et croit que l’Europe étonnée,
A son audace forcenée
Va céder l’empire des mers.

Arme-toi, France ; prends la foudre ;
C’est à toi de réduire en poudre
Ces sanglans ennemis des lois.
Suis la victoire qui t’appelle,
Et va sur ce peuple rebelle
Venger la querelle des rois.

Jadis on vit ces parricides,
Aidés de nos soldats perfides,
Chez nous, au comble de l’orgueil,
Briser tes plus fortes murailles,
Et par le gain de vingt batailles
Mettre tous tes peuples en deuil.

Mais bientôt le ciel en colère,
Par la main d’une humble bergère
Renversant tous leurs bataillons,
Borna leurs succès et nos peines ;
Et leurs corps, pourris dans nos plaines,
N’ont fait qu’engraisser nos sillons.

  1. Je n’avois que dix-huit ans quand je fis cette ode, mais je l’ai raccommodée. (B.) — Boileau était, quoi qu’il en dise, dans sa vingtième année en 1656.