Bourassa et l’Anti-Laurierisme/L’atavisme de M. Bourassa

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L’ATAVISME DE M. BOURASSA.


Les fervents du nationalisme grimacier dont M. Bourassa est le prophète ne manquent jamais de hisser le petit-fils sur le socle de l’aïeul. Ils nous forcent, par ce procédé, à établir quelques comparaisons, à faire certaines constatation.

Le Papineau d’avant 1837, symbolise toutes les aspirations, toutes les énergies nationales. L’âme canadienne vibre aux échos de sa puissante parole. Il est le grand justicier de ces fils de paysans, de coureurs de bois, qui au lendemain de la Cession, voulant conserver leur langue, leur foi, leurs coutumes, résistent bravement au vainqueur qui tente de leur ravir ce patrimoine sacré.

Comme O’Connell et Kossuth, Papineau, à ce moment suprême, est le chef incontesté de sa race, de sa race décidée à vaincre et à vivre. Quiconque a vu le tableau d’Alexander, « L’ASSEMBLÉE DES SIX COMTÉS » d’où se détache, rayonnante et belle, au milieu des patriotes, la figure inspirée de Papineau, ne peut s’empêcher de dire : « Cet homme incarne la nation. Cette voix prie, pleure et chante pour la patrie ! »

Combien différent est le Papineau d’après 1837 !

Et d’abord, à St-Denis, que ne s’obstinait-il à faire face aux balles anglaises ? C’était, disons-le en toute justice, sa volonté, sa détermination plusieurs fois exprimée. Wolfred Nelson commandait ce jour-là, (23 novembre 1837), les PATRIOTES, et c’est lui qui ordonna à M. Papineau de partir. « Celui-ci répondit qu’il aurait peut-être pu s’éloigner la veille, mais qu’à ce moment-là, il ne lui était plus loisible de le faire ; que son départ jetterait du découragement parmi les patriotes et que les abandonner à l’heure décisive du danger, c’était s’exposer plus tard peut-être, à des reproches sévères ».

Ces reproches sévères qu’appréhendait M. Papineau, l’histoire doit sans doute les mitiger, si l’on tient compte de la vaillance et du talent du tribun à servir ses concitoyens à cette période troublée et confuse où ils réclamaient au nom des traités de la Constitution, la liberté.

Mais la mort à St-Denis, avec les humbles et pauvres habitants qui, aux appels du tribun, s’étaient transformés en héros ; la mort à St-Denis, quel dénouement superbe dans la vie de Papineau ! Et quel apothéose ! Il eut la faiblesse de céder aux sommations fort injudicieuses de Nelson — et voilà comment et pourquoi la carrière de M. Papineau se divise désormais en deux périodes : la première, glorieuse et féconde ; la deuxième, inglorieuse et inféconde.

Et quand les forcenés du nationalisme veulent à tout prix comparer le petit-fils à l’aïeul, ils rendent à l’un et à l’autre, un mauvais service. Ils nous obligent à comparer, nous aussi, une fin de carrière avec le commencement d’une autre et à constater avec regret que celle-ci n’est que le prolongement de celle-là.

Nous sommes dans la Confédération ; nous avons été partie au pacte de 1867. Cartier et l’Épiscopat voulurent qu’il en fût ainsi.

Nous sommes la minorité dans la Confédération et les plus beaux gestes ne feront pas qu’il en soit autrement. LES FAITS SONT LES FAITS, et le panache de M. Bourassa, ne changera rien à la réalité des choses, croyez-le bien.

Sir Wilfrid Laurier est le Premier Ministre du Canada, du Canada de 1911, dont l’horizon s’étend beaucoup plus loin que les deux rives du St-Laurent. Le destin — ou plutôt la Providence a voulu que ce Canadien d’origine française atteigne les sommets. Il gouverne notre pays suivant l’esprit de la Constitution — non au bénéfice exclusif D’UNE RACE, ou D’UNE PROVINCE — mais au bénéfice de TOUTES LES NATIONALITÉS dont se composent les NEUF PROVINCES. Il est l’adepte des idées libérales anglaises que par une habile confusion de mots, l’on voudrait trop souvent identifier avec d’autres idées inacceptables.

Que le Gouvernement Laurier soit étroitement surveillé et vigoureusement combattu, cela est de bonne guerre. Cela est même tout à fait constitutionnel, l’opposition étant l’un des rouages essentiels à la machine administrative.

Mais que dans Québec, à propos de défense navale, l’on veuille sous le couvert d’un nationalisme — lisez castorisme — ombrageux et féroce, découronner, avilir, au nom de la race et de la religion, celui qui dirige les destinées du Canada, c’est ce que nous ne saurions tolérer.

M. Bourassa et les Éliacins qui l’entourent, s’emploient à cette tâche. Ayons la charité de dire au chef nationaliste qu’il ne suffit pas d’avoir du talent, de la fatuité et de l’aigreur pour jouer un rôle utile à son pays. En s’acharnant comme il le fait contre Laurier, ses adulateurs lui font croire qu’il recommence la lutte d’avant 1837, celle de Papineau contre le despotisme.

Erreur profonde, car c’est exactement la scène renouvelée de la lutte si peu héroïque et si injuste de Papineau contre Lafontaine, que reproduit à distance M. Bourassa.

Qui n’a pas lu sans poignants regrets, les dénonciations amères et virulentes de Papineau contre Lafontaine, dont toute la politique tendait à tirer le meilleur parti possible de la Constitution ?

La grande erreur de M. Bourassa c’est de se croire un peu, beaucoup, le Rédempteur politique du pays. Il lui faudra pourtant, un beau matin descendre du ciel de ses rêves sur la grève dure et froide de la réalité.

Avez-vous remarqué avec quelle jactance, il promet de révéler certains secrets que lui seul possède — et qu’il ne révèle jamais ? Et puis, voyez comme il affirme avec emphase — mais sans jamais prouver ses affirmations.

Un jour, il a dit, — Ô perfidie ! — qu’en 1897, lors du prébiscite, Laurier fit mander les députés de Québec au Windsor, et leur enjoignit de doser sans scrupule dans leurs comtés respectifs, le vote contre la prohibition. Voilà une méchanceté doublée d’une fausseté — mais cela fait si bien dans le paysage du « Devoir » !

Un autre jour, ou plutôt, un autre soir, il a affirmé devant la jeunesse universitaire que Laurier n’a qu’un signe à faire pour peupler Québec et l’Ouest de paysans de France. « Soixante mille Français, dit-il, quittent la France annuellement ; nous pourrions canaliser cette émigration vers nos rives — mais Laurier est un Anglifié, ses ministres et les députés, tous sont des MOUTONS ! Il ne veut pas — ils ne veulent pas ! » La salle des promotions de l’Université trop complaisamment prêtée pour la circonstance, croula sous les cris de « HONTE ! HONTE ! » et Monsieur Bourassa, le front auréolé, descendit les marches du péristyle de Laval, en esquissant un large sourire sardonique. C’est un bon tour qu’il venait de jouer à Laurier. Il a soulevé la jeunesse française contre le Premier Ministre.

Il sait, il ne peut ignorer que cinq à six mille Français au plus, quittent la France ; il sait, il ne peut ignorer que la population de la France est en décroissance ; il sait, il ne peut ignorer que de tous les pays de l’Europe, la France est celui où le travail de recrutement est le plus difficile, parce que jalousement surveillé, par des fonctionnaires avertis. Il sait tout cela, mais qu’importe ! il a insufflé méchamment dans l’oreille et dans l’âme de ses jeunes auditeurs que Laurier est anti-Français ; il a ridiculisé et calomnié M. Wiallard, notre agent en France — et il est satisfait de sa besogne de dénigreur.

Il y a trois ans que M. Bourassa a prononcé ce discours devant les Étudiants de Laval.

Or, les statistiques démontrent que depuis la nomination de M. Wiallard, à Paris, il est venu, BON AN MAL AN, au Canada, deux mille colons Français. Avant 1896, il nous venait quelques colons de hasard, une centaine au plus. Depuis 1896, le Gouvernement Laurier a nommé plusieurs sous-agents PRÊTRES et AUTRES qui, sans violer les lois françaises, ont créé un mouvement sérieux vers le Canada.

Et malgré le soin pris par nos représentants là-bas, de se conformer aux rigueurs de la loi, le Gouvernement de la République n’en lançait pas moins, il y a six mois à peine, une circulaire signée : Briand, mettant les préfets en garde contre toute propagande d’immigration au Canada.

M. Bourassa dont le rôle en politique est purement NÉGATIF, n’en affirme pas moins à tort et à travers de semblables faussetés chaque fois qu’il en a l’occasion. Une estrade, une foule, des battements de mains, et M. Bourassa n’est plus maître de lui-même.

C’est à Iberville, qu’il racontait avec indignation les offres de portefeuille de M. Gouin. « J’ai repoussé ces offres des pieds et des mains », ajoutait-il avec dédain.

M. Bourassa avait rêvé cela. On le lui fit bien voir, mais au vingtième siècle, un Rédempteur se rétracte-t-il ? Nenni.

Oui, le rôle de M. Bourassa est purement négatif. Et pourtant, songez donc aux services que cet homme si bien doué, de si bonne naissance pouvait rendre à son pays !

Avec son verbe étincelant, avec ses talents immenses, il eût d’emblée brillé au premier rang.

Voyez Mackenzie King, petit-fils de rebelle, lui aussi ! Il n’a renié ni son aïeul, ni les principes qu’à l’instar de Papineau il revendiqua pour le Haut-Canada. Le petit-fils du patriote Anglo-Canadien n’est ni un jouisseur, ni un repus. Il gagne honnêtement son salaire de Ministre du Travail. Ce n’est pas un démolisseur ; — Ce n’est pas un agitateur. C’est un édificateur ; c’est un législateur. L’un s’accommode des avantages que donne la liberté. L’autre est constamment en rébellion contre les hommes et les choses.

MacKenzie King, est une force acquise ; Bourassa, une force perdue.

MacKenzie King est un modéré ; Bourassa un ultra. Sous un régime constitutionnel, les libéraux, les vrais, doivent rester modérés afin d’être les plus forts. La force dans la modération ! Cela dépasse M. Bourassa et là, sincèrement, nous le regrettons pour lui et pour le pays.

Ce n’est pas tout d’être né affiné et supérieur. Il faut savoir mettre en valeur cette supériorité et cet affinement. Noblesse oblige.

Ce qui rend les aristos et les seigneurs détestables, c’est précisément cette idée dont est pénétré M. Bourassa, à savoir que, sans eux, la terre ne pourrait pas tourner sur son axe.

Inconsciemment peut-être, du haut de sa tour d’ivoire, le seigneur de Montebello se sent NOBLE, profondément séparé du vulgaire, preux, homme d’une classe qui compte très peu de membres. Pour son bien, la nationalité Canadienne-Française doit être menée par un homme de cette classe-là, et l’HOMME, c’est LUI !

Penser autrement, songer, par exemple, — quelle audace ! — que Laurier est l’homme de son temps et de son pays, c’est, aux dires de Bourassa et à travers tous les méandres de son imagination vagabonde, se montrer stupide et présomptueux ; c’est avouer une tare, c’est commettre un gros péché, un péché mortel !

SAINT-DENIS.


LES CAMORRISTES


BAPTISTE — Criez, hurlez, la justice n’en suivra pas moins son cours