Bourses de voyage (1904)/Première partie/Chapitre IX

La bibliothèque libre.
Hetzel (Tome Ip. 166-185).

IX

en vue de terre.

Il était à peu près sept heures lorsque l’Alert débouqua de la baie de Cork, laissant sur bâbord le promontoire de Roche-Pointe. Le littoral du comté de Cork lui restait à quelques milles dans l’ouest.

Avant de porter leurs yeux vers cette vaste étendue de mer sans limites, les passagers contemplaient les hautes terres, à demi noyées d’ombre, de la côte méridionale de l’Irlande. Installés sur la dunette, dont la tente avait été serrée pour la nuit, ils regardaient, sans se défendre d’une certaine émotion, si naturelle à leur âge. À peine avaient-ils conservé le souvenir des traversées précédemment faites, lorsqu’ils étaient venus des Antilles en Europe.

Et leurs vives imaginations travaillaient en songeant à ce grand voyage qui les ramenait au pays natal. Dans leur pensée foisonnaient ces mots magiques : excursions, explorations, aventures, découvertes, qui appartiennent à la nomenclature des touristes. Les récits qu’ils avaient lus, et plus particulièrement durant les derniers jours passés à Antilian School, leur revenaient à l’esprit. Et ce qu’ils avaient dévoré de voyages alors qu’ils ne connaissaient pas encore la destination de l’Alert !… Ce qu’ils avaient feuilleté d’atlas et consulté de cartes !…

Il faut donc se rendre compte de l’état de ces jeunes cerveaux singulièrement surexcités, avec leur trop plein de désirs et de souhaits. Et, maintenant, bien que n’ignorant plus le but de ce voyage, très simple et très facile, en somme, ils étaient toujours sous l’impression de leurs lectures. Ils suivaient les grands découvreurs lors de leurs expéditions lointaines, ils prenaient possession de terres nouvelles, ils y arboraient le pavillon de leur pays !… Ils étaient Christophe Colomb en Amérique, Vasco de Gama aux Indes, Magellan à la Terre de Feu, Jacques Cartier au Canada, James Cook aux îles du Pacifique, Dumont d’Urville à la Nouvelle-Zélande et aux contrées antarctiques, Livingstone et Stanley en Afrique, Hudson Parry et James Ross aux régions du pôle nord !… Ils répétaient avec Chateaubriand que le globe terrestre est trop petit, puisqu’on en a fait le tour, et ils regrettaient que ce monde n’eût que cinq parties et non une douzaine !… Ils se voyaient déjà loin… loin, bien que l’Alert ne fût qu’au début de sa traversée et encore dans les eaux anglaises !…

Il est vrai, d’autre part, que chacun d’eux eût été heureux, au moment de quitter l’Europe, de saluer son pays une dernière fois, Louis Clodion et Tony Renault la France, Niels Harboe et Axel Wickborn le Danemark, Albertus Leuwen la Hollande, Magnus Anders la Suède : il n’y fallait point songer.

Seuls, Roger Hinsdale, John Howard, Hubert Perkins auraient cette satisfaction d’envoyer un dernier adieu à cette Irlande qui, avec la Grande-Bretagne, complète la trinité du Royaume-Uni.

Et, à partir du lendemain, après avoir franchi le canal de Saint-George, ils ne rencontreraient pas un continent, avant l’arrivée dans les mers d’Amérique, où chacun d’eux retrouverait un peu de ce qu’il laissait en Europe.

Du reste, on va le voir, un certain temps se passerait sans que les côtes britanniques eussent disparu sous l’horizon.

En effet, la brise qui venait de se lever avait permis à l’Alert de quitter son mouillage de l’anse Farmar. Mais, ainsi qu’on pouvait le craindre, cette brise de terre, sans force ni durée, mourait à quelques milles au large.

Pour prendre direction au sortir du canal de Saint-George, l’Alert devait mettre le cap au sud-ouest, et c’est bien ce qu’eût fait le capitaine Paxton. Et, s’il avait pu pousser jusqu’à une centaine de milles, peut-être aurait-il rencontré le vent mieux établi en pleine mer. Telle n’était pas l’intention d’Harry Markel : ce serait vers le sud qu’il donnerait la route en sortant du canal.

Au surplus, — ce qui aurait favorisé ses abominables projets, — c’eût été de s’éloigner le plus possible de la côte pendant la nuit, de se déhaler des nombreux bâtiments qui la fréquentent et que retenait le défaut de brise.

Or, la mer était au calme blanc. Aucune ride à sa surface, pas même un clapotis, ni à la côte, ni aux flancs du navire. La mer d’Irlande vidait tranquillement ses eaux dans l’océan Atlantique.

Il suit de là que l’Alert était aussi immobile qu’il l’eût été entre les rives d’un lac ou d’une rivière. On ne sentait pas à bord le plus léger roulis, grâce à l’abri de la terre. M. Horatio Patterson se félicitait, à la pensée qu’il aurait le temps de s’acclimater et de se faire le pied marin.

Les passagers prenaient donc cet état de choses en patience, et, d’ailleurs, quel moyen d’y remédier ? Mais que d’inquiétudes pour Harry Markel et son équipage dans ce voisinage de la terre ! Il était toujours à craindre qu’un aviso de l’État vînt mouiller à l’ouvert du canal de Saint-George, avec ordre de visiter tous les bâtiments qui sortiraient de la baie de Cork.

À cette inquiétude se mêlait aussi la colère. Harry Markel se demandait s’il pourrait en empêcher la manifestation. Corty et les autres montraient des figures dont les passagers finiraient peut-être par s’effrayer.

John Carpenter et lui essayaient vainement de les modérer. On ne se fût pas expliqué une telle irritation par les contrariétés du temps. Si ce retard était désobligeant, c’était surtout pour M. Patterson et ses jeunes compagnons, non pour des matelots indifférents à ces habituels désagréments de la mer.

Harry Markel et John Carpenter causaient, en arpentant le pont du navire, et, finalement, John Carpenter dit :

« Voyons, Harry, la nuit va venir, et ce que nous avons fait dans l’anse Farmar, en nous débarrassant des gens de l’Alert, est-il donc impossible de le faire à un ou deux milles de la côte ?… Il me semble que c’était encore plus risqué dans la baie de Cork…

— Tu oublies, John, répondit Harry Markel, que nous ne pouvions agir autrement, puisqu’il fallait à tout prix s’emparer du navire.

— Eh bien, Harry, lorsque les passagers seront endormis dans leurs cabines, qui nous empêchera d’en finir avec eux ?…

— Qui nous en empêcherait, John ?…

— Oui, reprit John Carpenter. Ils sont embarqués, maintenant… L’Alert est hors de la baie… Je n’imagine pas que personne leur rende visite jusqu’ici…

— Personne ?… répliqua Harry Markel. Et, à Queenstown, lorsque les sémaphores annonceront que le navire est retenu par les calmes, es-tu sûr que des amis ne viendront pas leur apporter un dernier adieu ?… Et que se passerait-il, quand on ne les trouverait plus à bord ?…

— Avoue, Harry, que c’est assez improbable ! »

Improbable, en effet ; possible, après tout ! Que, le lendemain, l’Alert fût encore sous la terre, pourquoi ne serait-il pas accosté par quelque embarcation de promeneurs ?… Cependant les compagnons d’Harry Markel ne semblaient point devoir se rendre à ces raisons. Et la nuit ne s’achèverait pas sans avoir amené le dénouement de cet épouvantable drame.

La soirée s’avançait et sa fraîcheur reposait des accablantes chaleurs d’une chaude journée. Après huit heures, le soleil disparaîtrait sous un horizon sans nuages, et rien ne permettait de croire à une prochaine modification dans l’état de l’atmosphère.

Les jeunes garçons étaient réunis sur la dunette, peu pressés de descendre dans le carré. Dès qu’il leur eut souhaité le bonsoir, M. Patterson regagna sa cabine et procéda minutieusement à sa toilette de nuit. S’étant déshabillé méthodiquement, il accrocha ses vêtements à la place qu’ils occuperaient pendant le voyage ; il se coiffa d’un bonnet de soie noire ; il s’allongea sur son cadre. Puis son ultime pensée, avant de s’endormir, fut celle-ci ;

« Excellente madame Patterson !… Ma dernière précaution lui a bien causé quelque peine !… Mais c’était agir en homme sage, et tout sera réparé au retour. »

Cependant, si le calme de la mer égalait le calme de l’espace, l’Alert subissait toujours l’action des courants, très prononcés à l’entrée du canal de Saint-George. Le flot qui arrivait du large tendait à le rapprocher de terre. Outre que Harry Markel pouvait craindre de se mettre au plein s’il n’immobilisait pas son navire, il n’aurait voulu pour rien au monde être entraîné plus au nord jusqu’à la mer d’Irlande. D’autre part, si l’Alert venait à s’échouer sur le littoral, bien que le sauvetage n’eût offert aucune difficulté par une mer si tranquille, quelle situation périlleuse pour ces fugitifs, obligés de prendre terre, alors que la police devait diriger ses recherches aux environs de Queenstown et de Cork !

Du reste, nombre de bâtiments se trouvaient en vue de l’Alert — une centaine au moins — voiliers qui ne pouvaient gagner le port. Tels ils étaient ce soir-là, tels ils seraient sans doute le lendemain, la plupart ayant mouillé pour étaler la marée de nuit.

À dix heures, le trois-mâts n’était séparé de la côte que d’un demi-mille. Il avait un peu dérivé vers l’ouest jusqu’au travers de Roberts-Cove.

Harry Markel jugea qu’il ne fallait pas attendre pour envoyer l’ancre par le fond, et il appela ses hommes.

Lorsque Louis Clodion, Roger Hinsdale et les autres l’entendirent, ils s’empressèrent de quitter la dunette.

« Est-ce que vous allez mouiller, capitaine Paxton ?… demanda Tony Renault.

— À l’instant, répondit Harry Markel. Le flot prend de la force… Nous sommes trop près de terre… et je craindrais de m’échouer…

— Ainsi, questionna Roger Hinsdale, il n’y a pas apparence que la brise se lève ?…

— Pas apparence.

— Cela commence à devenir contrariant, fit observer Niels Harboe.

— Très contrariant.

— À pleine mer, il est possible que le vent s’élève, dit Magnus Anders.

— Aussi serons-nous prêts à en profiter, car l’Alert ne sera mouillé que sur une ancre, répondit Harry Markel.

— Dans ce cas, vous nous préviendrez, capitaine, pour vous donner la main à l’appareillage ?… demanda Tony Renault.

— Je vous le promets.

— Oui !… vous serez réveillés à temps ! » murmura ironiquement John Carpenter.

Les dispositions pour le mouillage furent prises à un quart de mille de la côte, qui se recourbait par une pointe projetée à l’ouest.

L’ancre de bâbord envoyée par le fond et sa chaîne raidie, l’Alert présenta l’amure au littoral.

Cette opération achevée, les passagers regagnèrent leurs cabines, où chacun d’eux ne tarda pas à s’endormir d’un tranquille sommeil.

À présent, qu’allait faire Harry Markel ?… se rendrait-il aux désirs de son équipage ?… Le massacre s’accomplirait-il cette nuit même ?… La prudence ne lui commandait-elle pas d’attendre des circonstances plus favorables ?…

Évidemment, puisque l’Alert, au lieu d’être isolé sur les parages de Roberts-Cove, comme il l’avait été à l’anse Farmar, se trouvait au milieu de ces nombreux navires encalminés à l’entrée ouest du canal de Saint-George. Pour la plupart, à l’exemple de l’Alert, ils avaient mouillé afin de résister au flot qui les poussait à la côte. Il en était même deux ou trois qui stationnaient dans le voisinage du trois-mâts, à une demi-encablure au plus. Dès lors, comment se hasarder à jeter les passagers par-dessus le bord ?… Bien qu’il fût facile de les surprendre en plein sommeil, était-on assuré qu’ils ne chercheraient pas à se défendre, qu’ils n’appelleraient pas au secours, que leurs cris ne seraient pas entendus des hommes de quart des autres bâtiments ?…

C’est ce que Harry Markel, non sans peine, fit comprendre à John Carpenter, à Corty, à tous ces misérables pressés d’en finir, et ils durent se rendre. Mais si l’Alert eût été seulement de quatre à cinq milles au large, nul doute que cette nuit eût été la dernière pour M. Horatio Patterson et les jeunes lauréats d’Antilian School.

Le lendemain, dès cinq heures, Louis Clodion, Roger Hinsdale et leurs camarades allaient et venaient sur la dunette, tandis que, moins impatient, moins vif, M. Patterson continuait à se prélasser dans son cadre.

Ni Harry Markel ni le maître d’équipage n’étaient encore levés. Leur entretien s’était continué très avant dans la nuit. Ils guettaient l’arrivée de la brise, qui ne soufflait ni de la terre ni du large. N’y en eût-il que de quoi remplir les voiles hautes, ils n’auraient pas hésité à lever l’ancre, en prenant garde de réveiller les dormeurs, et ils se fussent dégagés de cette flottille qui les entourait. Mais, vers quatre heures du matin, la marée étant basse, le flot prêt à remonter, ils avaient dû renoncer à tout espoir de s’éloigner de Roberts-Cove. Aussi avaient-ils réintégré, l’un sa cabine, sous la dunette, l’autre, la sienne, près du poste de l’équipage, afin d’y reposer quelques heures.

Les jeunes garçons ne rencontrèrent donc que Corty à l’arrière, tandis que deux des matelots faisaient le quart à l’avant.

Ils adressèrent à cet homme la seule question qu’il fût naturel de faire :

« Et le temps ?…

— Trop beau.

— Et le vent ?…

— Pas de quoi éteindre une chandelle ! »

Le soleil débordait alors de l’horizon, au large du canal de Saint-George, au milieu d’une buée de vapeurs chaudes. Ces brumes se dissipèrent presque aussitôt, et la mer étincela sous les premiers rayons de cette matinée.

À sept heures, Harry Markel, ouvrant la porte de sa cabine, rencontra M. Patterson, qui sortait de la sienne. Il y mit, d’une part, un aimable bonjour, formulé dans les termes les meilleurs, et, de l’autre, une simple inclination de tête.

Le mentor monta sur la dunette, où il trouva tout son monde.

« Eh bien ! jeunes lauréats, déclama-t-il, est-ce aujourd’hui que nous allons labourer de notre proue ardente l’immensité liquide ?…

— Je crains plutôt que nous ne perdions encore cette journée, monsieur Patterson… répondit Roger Hinsdale, en montrant cette mer calme que la longue houle gonflait à peine.

— Alors, le soir venu, diem perdidi, pourrai-je m’écrier comme Titus…

— Sans doute, répliqua Louis Clodion ; mais c’était parce que Titus n’avait pu faire le bien, et nous, ce sera parce que nous n’aurons pu partir ! »

En ce moment, Harry Markel et John Carpenter, causant à l’avant, furent interrompus par Corty, qui leur dit à voix basse :

« Attention…

— Qu’y a-t-il ?… demanda le maître d’équipage.

— Regardez… mais ne vous montrez pas », répondit Corty, en indiquant du doigt une partie de la côte dominée par de hautes falaises.

Sur la crête, s’avançait une troupe d’une vingtaine d’hommes. Ils circulaient, observant tantôt du côté de la campagne, tantôt du côté de la mer.

« Ce sont les constables… dit Corty.

— Oui… fit Harry Markel.

— Et je sais bien ce qu’ils cherchent !… ajouta le maître de l’équipage.

— Tous les hommes dans le poste », ordonna Harry Markel.

Les matelots, réunis près du gaillard d’avant, redescendirent aussitôt.

Harry Markel et les deux autres restèrent sur le pont en se rapprochant du bastingage de bâbord, de manière à ne point être aperçus, tout en guettant les policemen.

C’était en effet une escouade d’agents à la poursuite des fugitifs. Après avoir inutilement fouillé le port et la ville, ils s’étaient mis en quête le long du littoral, et il sembla qu’ils examinaient l’Alert avec une obstination particulière.

Mais, qu’ils eussent cette pensée que la bande d’Harry Markel se fût réfugiée à bord du trois-mâts, après s’en être emparée la veille dans l’anse Farmar, cela paraissait fort improbable. Tant de navires étaient réunis devant Roberts-Cove, qu’ils auraient été dans l’impossibilité de les visiter tous. Il est vrai, il ne se fût agi que des bâtiments sortis la nuit de la baie de Cork et les constables ne devaient pas ignorer que l’Alert était un de ceux-là.

La question se posait donc de savoir s’ils allaient redescendre sur la grève, réquisitionner une embarcation de pêcheurs et se faire conduire à bord.

Harry Markel et ses compagnons attendaient en proie à une anxiété facile à comprendre.

D’autre part, l’attention des passagers avait été attirée par la présence de cette escouade, qu’ils reconnurent à son uniforme. Assurément, ce n’était pas là une simple promenade sur la crête de la falaise. Ces policemen opéraient quelque recherche aux environs de Cork et de Queenstown, et ils surveillaient le littoral. Peut-être un débarquement suspect qu’ils voulaient empocher, quelques marchandises de contrebande…

« Oui… ce sont des constables… déclara Axel Wickborn.

— Et même armés de revolvers », assura Hubert Perkins, après les avoir observés, sa lorgnette aux yeux.

Du reste, la distance qui séparait le trois-mâts de la falaise n’était au plus que de deux cents toises. De telle sorte que, si du bord on distinguait parfaitement tout ce qui se passait à terre, de la terre on voyait parfaitement tout ce qui se passait à bord.

Et c’est bien cette circonstance qui, à bon droit, causait tant d’appréhensions à Harry Markel, — appréhensions qui auraient disparu, si le navire eût été d’un quart de mille en mer. Avec une longue-vue, le chef des agents les aurait reconnus sans peine, et l’on sait ce qui s’en serait suivi. L’Alert ne pouvait se déplacer, et, d’ailleurs, la marée montante l’eût plutôt porté à la côte. Quant à se jeter dans un des canots du bord, en quelque endroit qu’ils eussent débarqué, Harry Markel et ses complices auraient été certainement repris. Aussi ne se montraient-ils pas, les uns cachés dans le poste, les autres se dissimulant derrière les bastingages, tout en se gardant d’éveiller les soupçons des jeunes passagers.

Il est vrai, comment ceux-ci eussent-ils pu soupçonner qu’ils étaient tombés entre les mains des échappés de la prison de Queenstown ?…

Aussi, Tony Renault, plaisantant, déclara-t-il qu’il ne s’agissait pas de recherches effectuées par la police.

« Ces braves constables ont été envoyés là pour voir si l’Alert a pu appareiller, afin d’annoncer son départ à nos familles…

— Tu te moques ?… lui répondit John Howard, qui prit l’observation au sérieux.

— Mais non, John, mais non !… Allons le demander au capitaine Paxton. »

Tous de descendre alors sur le pont et de gagner l’avant du navire.

Harry Markel, John Carpenter, Corty, ne les virent point venir sans quelque inquiétude. Quant à leur intimer l’ordre de rester sur la dunette, pourquoi ? Et ne pas répondre à leurs questions, pourquoi encore ?…

Ce fut Louis Clodion qui prit la parole :

« Voyez-vous ce groupe sur la falaise, capitaine Paxton ?…

— Oui… dit Harry Markel, et je ne sais ce que ces hommes sont venus faire en cet endroit…

— Est-ce qu’ils n’observent pas l’Alert ?… ajouta Albertus Leuwen.

— Pas plus l’Alert que les autres bâtiments… répondit John Carpenter.

— Mais ce sont des constables ?… demanda Roger Hinsdale.

— Je le pense, dit Harry Markel.

— Est-ce qu’ils seraient à la recherche de malfaiteurs ?… ajouta Louis Clodion.

— Des malfaiteurs ?… répliqua le maître d’équipage.

— Sans doute, poursuivit Louis Clodion. N’avez-vous pas entendu dire que les pirates de l’Halifax, après avoir été capturés dans les mers du Pacifique, ont été ramenés en Angleterre, à Queenstown, pour y être jugés et qu’ils sont parvenus à s’échapper de la prison ?…

— Nous l’ignorions, déclara John Carpenter du ton le plus naturel, le plus indifférent aussi.

— Pourtant, dit Hubert Perkins, avant-hier, à notre arrivée, en débarquant du paquebot, nous n’avons entendu parler que de cela…

— C’est possible, mais ni avant-hier ni hier nous n’avons quitté le bord un instant, et nous ne sommes pas au courant de ces nouvelles.

— Cependant, demanda Louis Clodion, vous aviez bien entendu dire que l’équipage de l’Halifax avait été ramené en Europe ?…

— En effet… répondit John Carpenter, qui ne voulut point passer pour plus ignorant qu’il ne fallait… D’ailleurs, nous ne savions pas que ces gens-là s’étaient évadés de la prison de Queenstown…

— Cette évasion a pourtant eu lieu, assura Roger Hinsdale, et la veille du jour où ces misérables allaient être jugés…

— Puis condamnés !… s’écria Tony Renault. Espérons que la police parviendra à retrouver leur piste…

— Et, ajouta Louis Clodion, qu’ils n’échapperont point au châtiment que méritent leurs abominables crimes…

— Comme vous dites », se borna à répondre Harry Markel.

Au surplus, les craintes, si justement éprouvées par Harry Markel et ses compagnons, eurent bientôt pris fin. Après un quart d’heure de halte au sommet de la falaise, l’escouade continua de suivre la crête du littoral dans la direction du sud-ouest. Les agents ne tardèrent pas à disparaître, et Corty de murmurer, en donnant du jeu à ses poumons :

« Enfin… je respire !…

— D’accord, répondit John Carpenter, mais, si les constables sont venus, le vent, lui, est resté au diable !… S’il ne se lève pas avant le soir, il faudra, coûte que coûte, nous déhaler pendant la nuit…

— On se déhalera, n’est-ce pas, Harry ?… demanda Corty. Nos embarcations remorqueront l’Alert… Les passagers ne refuseront pas de se mettre aux avirons pour nous venir en aide…

— Bien, déclara le maître d’équipage, et, quand le jusant nous aura emportés à trois ou quatre milles de la terre, nous ne courrons plus autant de dangers qu’ici…

— Et, conclut Corty, nous pourrons faire ce qui nous reste à faire… »