Brassée de faits/03

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Collection des Orties blanches (Jean Fort) (p. 71-81).

III

LA DERNIÈRE DE GABY

Ce récit, fait par Mademoiselle Gaby, fut transcrit le lendemain.

Si le prénom est fantaisiste, les quelques détails signalétiques que voici sont d’une exactitude garantie.

Brune, grande, bâtie à chaux et à sable malgré une certaine élégance. Épaules et bras admirables, seins petits, bien formés et vraiment louables. Jambes et croupe aussi remarquables de forme que de tonicité. Peau blanche : un satin.

— Je suis des Ardennes, des environs de S. J’étais la seule enfant. Oui ! ah ! oui, j’en ai reçu. De maman, surtout. De papa aussi, mais pas plus tard qu’à quatorze ans. C’est déjà pas mal, car j’étais grande, à quatorze ans, et développée. Des nénés à peine, mais des mollets, des cuisses, des fesses. Des fesses surtout. Maman, une gaillarde, plus grande que je le suis et bien plus forte à proportion. Papa, costaud aussi : dans le pays, les gens sont d’attaque, de même que les chevaux et le bétail, tout comme dans le Nord.

Si, quand j’ai eu quatorze ans, papa s’est arrêté de me fesser, maman, elle, a continué. Et même de plus belle ! À seize ans, je n’y coupais pas. Chaque fois qu’elle trouvait que je le méritais, chaque fois que la travaillait une colère à passer sur quelqu’un autre que papa, j’avais sur les fesses. La dernière reçue d’elle, c’est à dix-huit ans, trois mois, comme je vous l’ai dit. Vous demandez si elle aimait cela ? Eh bien, je crois que oui, car autrement elle ne m’en aurait pas donné autant.

Il est vrai que c’est l’habitude là-bas. N’empêche que je n’ai pas connu de camarade ou de cousine qui y soit passée comme bibi. Car ce n’était guère ordinaire : à chaque instant ! Je ne crois pas pouvoir compter beaucoup de journées sans fessée, quand j’étais près d’elle. Si elle s’est arrêtée quand j’ai eu seize ans, c’est sans doute parce que, moi entrée en place, elle ne m’avait plus sous la main. Sûrement, ce n’est rien que pour cela.

Je vous ai dit combien elle était vigoureuse. Oh ! ce qu’elle était forte ! Il n’y avant pas à lui résister. Quand l’idée lui en venait, fallait que j’y passe. Souvent, pour peu de chose, et, des fois, je me demandais pourquoi. Du matin au soir, elle prenait du café. Des resucées, bien sûr : pas du café concentré tel que vous l’aimez ; mais de l’eau repassée sur le marc. N’importe, il n’y a rien d’énervant comme cela et je crois bien que c’est ce qui l’excitait encore. Dans le pays, toutes les bonnes femmes en prennent, de ce soit-disant café, de cette lavasse, et à plusieurs verrées, bien chaudes bien sucrées ! Maman n’était pas la seule.

Une voisine, elle aussi, fessait souvent ses deux filles, pas tout de même au point de maman. Ces deux-là. Angèle et Léocadie, mes aînées, l’une d’un an, l’autre de deux, que de fois leur vis-je claquer les fesses, car, pour leur faire honte, leur mère appelait la mienne, qui m’emmenait. Eh bien ! c’était aussi une buveuse de café ! Est-ce cela la cause, je ne peux pas dire, mais cela contribuait à les rendre irritables, et au moindre prétexte, à leur donner l’idée de lever la jupe de la gosse à leur portée.

C’est si vite fait, surtout que des culottes, il n’y en avait pas toujours quand on restait à la maison. Tandis qu’à l’école la règle veut que les filles en mettent et de fermées.

Mais, ce n’est pas cela qui eût rien empêché. On baisse une culotte facilement. À preuve les jours où nous en portions, les jours de classe ou les dimanches, par exemple.

À l’école d’abord, la culotte ne servait de rien. La maîtresse, dont je vous ai parlé déjà, Mademoiselle Delcroix, s’en chargeait de les rabattre, les culottes fermées. Une native du pays, celle-là, d’une famille de Givonne.

Une vieille fille de trente-cinq à quarante ans, de mon temps. Tous les jours, trois fessées et quelquefois quatre. Des bonnes ? Oh ! oui, et on les sentait. On en restait les fesses rouges. Il y a de belles filles par là : ce n’était jamais les moches qui en recevaient. Cela, je l’ai remarqué et depuis que j’y pense sérieusement, en connaissance de cause, je repasse en revue les élèves corrigées le plus, c’est toutes les jolies, les bien bâties, celles qui avaient de belles fesses.

Me trouvant du nombre, je les collectionnais, les fessées.

Mais, pas de vice de sa part, ça non, qu’elle en pinçât ou pas. De vraies fessées-corrections, jamais l’ombre d’une suspecte, non, je dois le reconnaître. Pendant un bon quart d’heure, la peau nous cuisait.

Quand, rentrée à la maison, il m’arrivait d’en recevoir une autre — cas présenté plus d’une fois — à une heure d’intervalle, je ne la supportais que mieux, me semblait-il. Affaire d’entraînement.

Comment elle nous tenait, Mademoiselle Delcroix ?

Comme maman et comme toutes les mères du pays et tous les pères. La tête entre les jambes. Oui ! je n’en ai jamais vu administrer autrement, de fessées, soit à l’école, soit à la maison, soit au dehors, chez les autres ou aux champs. Toujours et toujours, oui, même à quatorze ans. D’une main, on vous empoignait la nuque, d’une pesée on vous courbait en avant et on vous enjambait. Alors, prise comme cela entre ses cuisses, la maîtresse ou la mère vous relevant la robe, rabattait la culotte, et hardi ! elle l’avait belle pour claquer, claquer tout à son aise.

Et puis, avec ses abattis, elle était à la hauteur, mademoiselle Delcroix, une grande, maigre, dégingandée. De grands bras, des jambes qui n’en finissaient pas. Avec son habitude acquise depuis si longtemps, elle savait bien vous prendre et l’on avait beau faire.

Pour ne parler que d’elle et de son chic à se mettre entre les jambes la tête de la gosse à fesser, je vous certifie qu’il n’y avait pas à essayer de l’en empêcher. Ni de se dégager, une fois prise. Fallait encaisser la fessée jusqu’au bout, aussi longtemps et aussi fort qu’elle l’avait décidé. Certains jours, plus rosse que dans d’autres, elle vous claquait d’une manière spéciale : une dizaine de claques sur une fesse, une dizaine de claques sur l’autre et toujours ainsi jusqu’à la fin. Oh ! que cela fait mal, la fessée administrée ainsi ! Combien plus que si les claques frappent tour à tour les deux fesses, l’une après l’autre !

Elle le savait, la rosse ! et elle réservait ces fessées-là aux fautes graves ou à celles des élèves qu’elle appelait les « fortes têtes » ou bien qu’elle ne gobait pas.

Tenez, il y en avait une qui ne voulait rien savoir quand il s’agissait d’être corrigée et qui résistait, oh ! mais alors, je ne vous dis que cela ! Quand son tour venait, moi, je me faisais du bon sang. Rien ne m’amusait plus.

Il lui fallait bien deux, trois minutes pour y arriver, à mademoiselle Delcroix ; mais, elle en venait à bout, comme des autres. C’est Marie que se nommait la gosse. Une grande brune, un vrai garçon, qui jouait toujours avec les gars, grimpait aux arbres et qui avait le coup pour lancer des pierres loin et avec adresse. Personne comme elle pour les ricochets ; c’est elle qui sautait le mieux, avec et sans élan. Un garçon manqué. Pourtant, bien de son sexe, puisque, à treize ans, elle en savait long. Elle est à Paris maintenant, je l’ai rencontrée, il y a six mois : elle tient un bar avec un ami, à Levallois.

Eh bien, en dernier, elle en recevait ! Un jour sur deux, les trois derniers mois. Juste de mon âge, avec elle aussi, pour Mademoiselle, c’était une belle paire de fesses à claquer. Avec son entêtement, cette Marie, répondeuse, qui désobéissait par plaisir et n’aurait pas cédé, lui eût-on enlevé la peau, vous pensez si c’en étaient des fessées alors ! Tenez, un jour, à treize ans, elle avait été jusqu’à lancer à la tête de Mademoiselle un encrier. Un encrier de plomb, par elle retiré de la table, qui se plaqua contre le mur ; la carte de l’Europe en fut éclaboussée en plein sur les Dardanelles, comme d’un soleil à six rayons, mais noirs.

À ma droite, Marie était la première du second rang. Mademoiselle, debout devant le premier, se précipite sur elle, l’arrache de sa place en la tirant par le bras et, contrairement à l’habitude avec elle, voilà Marie en position ! Ce fut fantastique de rapidité. Jamais avec elle, on n’avait vu cela. C’est que ses pieds, entre le banc et le pupitre, s’embarrassèrent quand Mademoiselle la saisit : quelque chose comme cela sans doute. En tout cas, elle de nous toutes la plus longue à placer comme il faut, se trouva, cette fois, en un instant le derrière en haut, la tête en bas dans l’affreuse position habituelle.

J’étais dessus, pour ainsi dire. À moins d’un mètre, ses fesses tendues vers moi, braquées sur moi, s’étalaient au-dessus de sa culotte rabattue que je revois d’ici, bleu-clair en tissu de coton. Et, tout de suite les claques pleuvent et à la façon que je vous ai expliquée, dix sur une fesse, dix sur l’autre fesse et longtemps comme cela. Cela claquait, cela claquait ! À tout coup, relevant la main le plus haut possible, envoyant chaque claque de toute la longueur de son grand bras, avec le battoir qui servait de main à Mademoiselle, avec ses doigts osseux et durs, vous vous rendez compte de ce que c’était comme fessée.

Alors, huit jours de suite, ce fut pareil. Tous les jours, à trois heures, au moment de la petite récréation d’un quart d’heure. Il n’y a que la place qui changeait. C’était sur l’estrade, à côté du bureau, bien en lumière. Nous, nous la voyions de trois-quarts. D’abord, mais Mademoiselle se tournait pour nous la montrer mieux. Je ne l’avais plus sous les yeux d’aussi près, j’étais à deux mètres cinquante, à peu près. Mais, je voyais bien quand même la peau qui rougissait, d’une fesse d’abord, puis de l’autre après et bientôt, après la seconde dizaine, c’était un cercle rouge, les deux fesses bien égales. Fléchies, sur les jarrets, les deux jambes, avec la culotte arrêtée là, se levaient quelquefois l’une après l’autre, un tout petit peu, d’un pied, mais c’était tout ce que Marie pouvait faire. Les fesses, elles, ne bougeaient pas, tellement Mademoiselle la tenait bien à la taille avec sa main gauche, en plus de la tête entre ses cuisses. Dans cette position, on ne peut guère les remuer les fesses, ni les tortiller, on a beau se secouer. Vous parlez d’une position incommode ! La tête serrée, c’est affreux ! surtout quand c’est une femme qui vous tient. À cause de sa jupe. Avec un homme, cela va encore : on y voit un peu. Avec une femme, on est dans le noir. Et avec cela, on suffoque, on étouffe, on ne sait plus où l’on en est.

Elle venait en récréation avec les autres, tout de suite après. Avec sa fessée qui devait lui tenir chaud, elle jouait comme tout le monde, sans que rien n’en parût. Oh ! elle n’était pas ordinaire, cette Marie ! Des fessées comme cela, il n’y en a pas beaucoup qui les supporteraient, parmi les poules que je connais ici pour aimer cela. Eh bien, avec cette gosse de treize ans, il n’y paraissait pas cinq minutes après !

Tenez, nous irons la voir, un soir. Je le lui ferai dire devant vous. Non, plutôt un tantôt, elle aura plus de temps, et on sera bien tranquilles, sur le coup de quatre heures.

Pour ma dernière fessée, que j’ai eue de maman, moi, je vous l’ai dit, c’est à dix-huit ans, au temps de la moisson ! Deux jours après, j’étais à Paris.

Je savais où retrouver une copine qui, partie il y a six mois, m’engageait à venir vivre la bonne vie.

C’était un lundi. La veille, le dimanche, avec papa et maman, on avait fait un tour dans le tacot du cousin Bérard. Il y avait son fils Ovide qui était donc mon cousin aussi.

Tournant par Floing, Iges, Fleigneux, la Virée, Villers-Cernay, on rentrait pour dîner. Tout le long du chemin, Ovide qui avait mon âge, me pelotait un peu et j’avais bien crû voir que maman s’en apercevait, seulement je n’en étais pas sûre.

Faut dire que maman n’aimait pas me voir avec Ovide. Elle ne se doutait pas que depuis deux ans, on s’amusait quelquefois, tous les deux, et bien plus qu’elle ne l’aurait supposé. Ce n’est pourtant pas lui qui m’avait eue le premier : mais, celui-là, elle ne savait pas qui c’était, elle ne le soupçonnait même pas. Mais, de cousin à cousine, elle disait que cela ne doit pas se faire. Puis, elle ne l’aimait pas. Suivant elle, ce serait toujours un propre à rien, un coureur. Aussi je lui jurais qu’il n’y avait rien entre nous.

Le lendemain, on commence la moisson. On était vingt sur les quatre pièces du cousin. Il y en avait de Floing, d’Olges et d’autour de par-là, ainsi que quelques Belges, et Luxembourgeois venus en bécane par la route de Bouillon.

De toute la journée, cela va bien ; mais je voyais que la mère me tenait à l’œil quand Ovide tournait de mon côté ! Le mardi, rien encore. Moi, cela me démangeait. En ce moment-là, je ne sais ce que j’avais ! Aussi, le mercredi, ne voilà-t-il pas que vers les cinq heures, on venait de finir les avoines et tout le monde, éparpillé, cassait la croûte en buvant un coup. On s’était dépêché on craignait une averse. Moi, j’avais filé en douce avec Ovide, sur un signe de lui — il me faisait voir que, lui aussi, cela le démangeait — et, dans un petit creux herbu, avec trois peupliers, qui, grand comme deux billards, faisait un îlot de verdure dans cette mer jaune d’épis, je m’occupais de mon mieux, à examiner à l’envers les feuilles de ces peupliers dont la chanson, si chanson il y a, eût couvert mes soupirs. Je croyais maman auprès du cousin et de la cousine Bérard et des sept ou huit pères et mères, quand, tout d’un coup, épouvantée, j’aperçois derrière Ovide haletant, la vaste silhouette de maman, qui s’avance, tragique, détachant sa carrure du fond gris clair des nuages.

Patatras ! Elle ne pouvait pas arriver plus mal à propos. J’allais prendre mon vol directement vers le Paradis. À mon changement de figure, Ovide qui s’apprêtait à m’accompagner dans mon envolée, se retourne…

Et il se relève soudain, le misérable ! m’abandonnant à mon triste sort, en panne et dans l’impossibilité de nier l’évidence.

J’en étais tellement abasourdie que je reste comme cela, le dos dans l’herbe et toute retroussée… Mais, soudain, je reprends mes esprits, j’essaye de me lever en rabattant ma chemise, ma jupe… Maman est déjà sur moi et, tandis, qu’Ovide, brave chevalier, reste là, planté, en face, à trois pas, elle m’envoie une gifle qui m’étourdit et, pendant que la joue droite me brûle et que j’en vois les trente-six chandelles, sa main qui m’a giflé pèse irrésistible sur ma nuque, m’entraîne, ployée en avant, et me voici la tête subitement plongée dans l’ombre sous le jupon maternel, happée par l’étau de ses fortes jambes musclées. Et, dans le même temps, mes fesses, mes pauvres fesses sont déchirées d’épouvantables claquées de sa main terrible, plus lourde et plus meurtrissante qu’elle ne m’a jamais semblé !

Depuis deux ans que je n’en avais pas reçu, vous jugez de ce que j’étais sensible !

Combien de minutes cela dura-t-il, combien de fois ai-je senti l’horrible atteinte de cette main dont la fureur loin de faiblir, s’accroissait à chaque coup ? Quand brusquement mon supplice s’arrête, quand je reviens au jour, tombée assise dans l’herbe, fraîche à mes fesses en feu comme un bain glacé, j’aperçois, stupide, j’aperçois, formant le cercle, tous les dix-huit moissonneurs, le cousin Bérard, le père, les hommes, les femmes, la cousine Bérard, les grands jeunes gens, les grandes jeunes filles, aussi bien les gens du pays que ceux de Belgique et du Luxembourg, que je ne connais que depuis deux jours, et qui, tous, s’esclaffent encore, insultant à mon malheur.

Car, leurs rires ne font pas que commencer. C’est cela que j’entendais quand tant me bourdonnaient les oreilles qu’écrasaient les grosses cuisses nues de maman dont, à mes narines, arrivait l’odeur chaude de femme en sueur, mélangée à l’odeur de foin, de paille séchés au grand air. Mais je n’avais rien vu, rien, de leur arrivée. Je ne me doutais pas que trente-six yeux s’emplissaient de la vue de mes fesses rouges qui leur montraient le vice puni.

Anéantie dans un désarroi total, je ne songeais même pas à me dire que pourtant, sur les onze femmes ou jeunes filles présentes ici, en me comptant, c’était moi sûrement la moins garce. Mes yeux en pleurs suivaient Ovide qui, rigolant sous les invectives de maman, s’en allait, faraud comme toujours, tout en roulant une cigarette.