Brassée de faits/06

La bibliothèque libre.
Collection des Orties blanches (Jean Fort) (p. 115-128).

VI

UN BON MARIAGE

Notre ami Monsieur Léon est l’auteur de ce mariage.

Lui, lui seul — et il s’en vante — présenta les deux futurs conjoints l’un à l’autre et les fit se rencontrer.

Puis, ce fut très simple. Un quart d’heure après la présentation, ils s’appréciaient mutuellement. Connaissant bien les aptitudes de chacun, Monsieur Léon les avait jugés à leur juste valeur. Il ne s’était pas trompé et, créés l’un pour l’autre, ces deux êtres furent heureux, grâce à lui.

Il avait eu du mérite, car il n’ignorait pas ce qu’à l’envi répètent les sages. S’il est une chose dangereuse au monde, disent-ils, c’est bien de faire un mariage. La plus élémentaire des prudences le déconseille formellement à ceux qui, avant tout, sont soucieux de ne prendre aucune responsabilité. Si Monsieur Léon, prudent parmi les prudents, en avait pourtant pris une de cette gravité, c’est qu’il devinait que, trois mois plus tard, leur lune de miel durerait encore. Trois mois après, en effet, jour pour jour, ou plutôt nuit pour nuit, en cette fin de janvier 1926, elle brille, leur lune, sereine et radieuse sur le ciel montmartrois.

C’est qu’à ses yeux, l’amour du Fouet que professaient ces deux êtres était un titre au-delà suffisant pour qu’il les aidât à trouver le bonheur dans leur étroite conjonction.

Mais, était-il bien nécessaire de dire tout cela à nos lecteurs qui, n’est-ce pas, l’avaient soupçonné ? À qui Monsieur Léon pourrait-il les intéresser, et s’intéresser personnellement, sinon à des flagellants sortant de la banalité, et aurait-il réuni des deux-là s’il n’avait conjecturé qu’une correspondance parfaite de goûts nettement opposés les accouplerait à merveille ?

Hâtons-nous donc de couper court à ce préambule combien superflu et de leur donner tour à tour la parole. Ce sera, si vous le voulez-bien, dans l’ordre où ils auraient signé, l’un après l’autre, sur le registre de la mairie, si leur mariage avait été dûment légalisé, ainsi qu’il le mériterait. D’ailleurs, dans ce ménage original, c’est le mari qui, contrairement à l’habitude, possède la langue la mieux pendue.

Un mot encore, un mot seulement, pour tracer de l’épouse et de l’époux, en quelques lignes, un signalement digne par son laconisme de figurer sur leur passeport.

D’abord, le monsieur, le mari. C’est Camille, une petite blonde, svelte sans maigreur, d’âge idéal, vingt-cinq ans, et dansant à ravir.

La dame, l’épouse, c’est Albertine. Grande et brune, et de même âge. La tête de plus, presque, que son mari. Signe particulier : ne lui cède en rien comme danseuse, mais le surpasse encore comme callipyge.

Voici donc le récit de Camille !

— J’ai de qui tenir ! maman adorait fesser. Mais, les garçons surtout. Par chance, elle en avait un, mon aîné de trois ans.

Il faut vous dire d’abord et ceci explique tout, peut-être, que maman était une féministe convaincue.

Restée veuve après quatre ans de mariage, elle n’avait pas voulu se remarier, bien qu’elle eût été demandée plus d’une fois. C’est qu’elle n’avait pas été heureuse et sa première expérience ne l’incitait pas à recommencer. Mon père était, paraît-il, un coureur et s’il n’avait pas trouvé la mort dans l’accident du métro, en 1908, cela aurait tourné mal.

Dans les affaires, ayant une belle situation, il lui laissait de quoi vivre et nous élever. Maman avait de l’instruction et s’occupait activement de politique et surtout de revendications féminines. Elle fréquentait certains groupements et assistait aux réunions, aux meetings prenant parfois la parole avec une énergie passionnée. C’était une grande femme châtain foncé. Je tiens mon blond de papa. Devançant la mode des cheveux courts, elle portait les siens rejetés en arrière, ne dépassant pas la nuque et découvrant son front qui était vaste et beau, en coupole. Elle avait des yeux épatants. Du reste, tout le monde dit que je les ai hérités.

Moi, elle me fessait quelquefois, mais pas souvent. En tout cas, c’était toujours seule à seule, et, pour ainsi dire, jamais plus tard qu’à dix, onze ans. Sauf en deux circonstances que je vous dirai peut-être. Tandis que mon frère, lui, toujours devant moi ou quelqu’un d’autre, des amies à elle, des féministes dans son genre.

Quand souvent, celles-ci étaient accompagnées de leurs filles, cela n’en valait que mieux et maman ne ratait pas l’occasion. Elle avait comme grande amie une madame Henry, elle, mère de deux garçons. Quand nous allions la voir ou quand madame Henry venait à la maison, il y avait chaque fois une fessée au moins pour un ou deux de ces messieurs, parfois pour les trois.

Et moi, je jubilais autant que ces dames.

Élevée dans la rancune envers l’homme qui a fait les lois en sa faveur, au détriment de la femme qui, tant qu’il y aura un code, restera l’éternelle mineure, je partageais déjà leurs idées et j’avais pour ce sexe oppresseur ni sympathie, ni considération. Aussi déjà étais-je heureuse, chaque fois que je voyais humilier un des représentants de ce sexe qui se croit toutes les supériorités et qui, si l’on veut voir les choses de près, n’en possède réellement aucune. C’est positif, aucune. Heureusement, à présent le mouvement est commencé et les temps s’approchent où l’égalité ne sera plus un vain mot. Et ce ne sera, croyez-le bien, qu’une étape, car, comme disait maman, c’est la supériorité de la femme qui sera proclamée dans l’avenir et c’est elle qui aura le pouvoir et la direction du progrès. Mais, en voilà assez là-dessus, vous connaissez mes opinions, je ne les cache pas. Retenez bien ce que je vous dis aujourd’hui : avant vingt ans, vous verrez, messieurs ! La femme, enfin, s’émancipe, je vous dis : la jupe courte et les cheveux courts marquent la venue d’un temps nouveau.

Quand maman est devenue veuve, j’avais dix ans C’est à ce moment que remontent mes souvenirs présentant pour vous de l’intérêt. Avant cela, je n’avais jamais vu madame Henry qui, devenue intime amie de maman, vint chez nous à chaque instant. Nous avions déménagé et pris un appartement plus petit, dans le voisinage immédiat du sien. C’est elle d’ailleurs qui l’avait cherché, rue Saint-Denis, non loin des boulevards.

Madame Henry demeurait à côté, deux numéros plus haut. Elle avait été abandonnée avec ses enfants, en bas âge, par son mari. C’est pourquoi elle ne pouvait porter en son cœur messieurs les hommes. Il était parti, croyait-on, en Amérique et l’on n’en avait plus de nouvelles. Ses enfants avaient, l’aîné, l’âge de mon frère Raoul ; le second, deux ans de moins. C’est à dire un an de plus que moi.

Du temps du père, maman donnait bien des fessées à Raoul, mais ce n’était rien à côté de celles qu’elle lui flanqua dorénavant. Il les méritait. Désobéissant, volontaire, effronté, vaniteux, égoïste, gourmand, comme le sont les garçons. Certainement tous, à peu près. Les deux qu’avait madame Henry ne valaient pas mieux et possédaient les mêmes défauts, ceux de leur sexe incontestablement, indociles, entêtés, prétentieux, personnels et goinfres.

Moi, comme toutes les petites filles, j’avais à me plaindre des garçons qui, vous le savez bien, se montrent brutaux et désagréables avec elles, même dans leurs jeux. Cela me fit donc grand plaisir, tout de suite, de voir traiter comme il le fallait, et strictement selon leurs mérites, ces trois-là, que ce fût mon frère par maman, ou que ce fussent les deux autres par leur mère. J’avais près de sept ans, ils en avaient donc, Raoul et André, bientôt dix, chacun. Et Émile, huit. Ils étaient donc d’âge, même ce dernier, à recevoir déjà de belles et bonnes fessées, les claquant bien.

Madame Henry, une grosse femme brune, moins grande que maman, mais forte tout autant, sinon plus, n’en doutait pas d’avantage, et je vous réponds que, des fessées qu’elles étaient l’une et l’autre capables d’administrer, il résultait, sur la peau des fesses masculines, une riche couleur rouge. Le ton en différait pourtant. Bruns tous deux, comme leur mère, les deux frères ne possédaient pas la peau si blanche du blond Raoul, une vrai peau de fille. Moi, cela m’amusait d’observer ces différences de coloration et, quoique blonde moi-même, je ne jugeais pas déplaisante à voir, à côté du joli ton pur de mon frère, le contraste du ton mat des deux autres. Le rouge amené par les fortes claques de leur mère semblait plus sombre, moins rose foncé, moins frais, mais je trouvais quand même joli ce fard qui les parait bien. À mon avis, le fard ne convient bien aux garçons que sur leurs fesses ; mais, là, il leur convient admirablement et plus je vais, plus je les voudrais voir, toutes fardées ainsi du fait de bonnes fessées.

C’étaient tous les deux de beaux petits gosses râblés, membrus suffisamment. Deux bons derrières à fesser. Mon frère, lui, plus délicat dans l’ensemble, s’ornait peut-être de plus de fesses relativement ; mais, ce qu’il en avait, moins musculeux, se rapprochait un peu de la conformation féminine. Ce n’est que par comparaison avec ses congénères que je m’aperçus de cette particularité. Tandis qu’André et Émile, eux, montraient des fesses franchement masculines, plus étroites, avec, sur le côté, le creux marqué à l’attache de l’os de la cuisse. Chez les femmes, ce creux s’accuse moins brutalement, les formes sont plus reliées, plus enveloppées. À cause du ton local de leur peau mate, ces deux derrières s’ombraient différemment du blond derrière de mon frère, au modelé plus chaud, et se teintaient, dans le creux de la raie surtout, d’un brun olivâtre. Avec le carmin de la fessée, cela faisait un tout autre effet de couleur que chez le frangin, où se vérifiait la justesse banale de la comparaison courante, « des lys parsemés de roses », comparaison s’appliquant assez bien, en effet à beaucoup de derrières fessés. Bien claqués, à grandes claques, ceux des deux bruns me faisaient, eux, penser à de beaux brugnons, mûrs et à point.

Tous les trois, en grandissant, devinrent encore plus intéressants, cela va sans dire et, dès qu’ils atteignirent une douzaine d’années, j’appréciai à sa valeur le spectacle qu’ils m’offraient, déculottés.

Maman, comme madame Henry, ne se croyait pas assujettie à adopter sempiternellement une même façon d’opérer. L’une et l’autre les tenaient, des fois, couchés sur elles « à la maman », selon l’expression heureuse que vous employez. Elles les tenaient aussi la tête entre leurs jambes. Parfois, quand deux de ces messieurs demandaient — façon de parler — demandaient à être corrigés en même temps, c’est ainsi qu’elles les mettaient se faisant vis-à-vis.

Mais, je dois dire que les corrections doubles avaient lieu, le plus souvent, l’une après l’autre. Par exemple, maman commençait avec Raoul. Quand elle jugeait suffisante la fessée, elle s’arrêtait. On pouvait être tranquille : ses fesses en fumaient, il avait son compte. Madame Henry alors qui, en face, y avait fait assister ses deux garçons, près d’elle, saisissait l’un d’eux sans se lever de sa chaise, le plaçait pareillement sur ses genoux, le déculottait posément et vous le fessait avec non moins d’application. Elle avait, cette madame Henry, une façon de fesser régulière, en quelque sorte mécanique. Je n’ai jamais vu cela depuis, réglé à ce point là.

Et comme elle gantait du sept et demie et qu’elle avait la main d’un dur, vous parlez de fessées à la manière forte !… À chaque claque, le monsieur en bondissait comiquement sur ses genoux ! C’était rigolo tout plein. Il fut visible pour moi que maman s’en inspira et que c’est à son exemple qu’elle soigna de plus en plus les fessées de Raoul. À treize ans déjà, qu’est-ce qu’ils prenaient, non, qu’est-ce qu’ils prenaient ?…

Ce qui m’amusait autant que la vue de derrières masculins rougissants, mais rougissants à faire croire que le sang allait partir de toute la peau claquée, c’était la tête que les deux autres représentants du sexe dominateur faisaient pendant ce temps-là. Chacun d’eux, la plupart des fois, se doutait que son tour viendrait ensuite. Leur honte d’être fessés par une femme, eux, des hommes, de futurs électeurs, de futurs faiseurs de lois, d’être fessés devant une autre femme et devant une fillette qui se moquait d’eux et qui, ils le savaient, savourait leur humiliation, oh ! j’ai passé des instants exquis à la déguster, je le déclare, et rien, rien, ne vaudra jamais cela… C’est mon plus cher souvenir.

Et, entre temps, dans l’intervalle de deux corrections, les menaces outrageantes qu’ils s’entendaient adresser, venant doucher leur orgueil à des moments savamment choisis pour que cela leur fût plus sensible et particulièrement vexant. Cela aussi me ravissait… En promenade, par exemple, au Luxembourg, aux Tuileries, ou ailleurs, madame Henry, que bientôt maman imita, trouvant l’idée excellente, madame Henry s’ingéniait à profiter de ce qu’à proximité passaient des fillettes ou de grandes jeunes filles pour s’adresser en ces termes, à l’un quelconque de ses fils, et de manière à ce que ce fût parfaitement entendu :

— Tu auras la fessée en rentrant. Ton frère aussi !…

Maman, venant à l’appui, ajoutait, avec son articulation merveilleuse :

— Ils l’auront tous les trois. Et ce sera comme hier, une bonne fessée !… une bonne fessée à chacun…

Aussitôt, les fillettes de leur âge, ou plus âgées qui nous croisaient ou, mieux encore, marchaient près de nous, dans le même sens d’une allée, regardaient curieusement, une flamme de plaisir aux yeux, les garçons qui, baissant le nez, rouges jusqu’aux oreilles, serraient les fesses. Les grandes jeunes filles surtout, celles de seize de dix sept ans, semblaient se réjouir, plus encore que leurs cadettes, et elles en avaient, toutes, le sourire. Quand un autre jour, en même lieu, nous les croisions encore par hasard, je voyais bien qu’elles nous reconnaissaient. Elles fixaient les garçons d’un œil plein de malice. Il en fut deux principalement, que nous revîmes plusieurs fois au Luxembourg autour de la musique.

Ah ! celles-là ! je suis sûre qu’elles avaient parlé de nous entre elles ! Elles devaient les envier, certes, ces deux femmes qui avaient le bonheur de fesser de grands garçons ; mais elles devaient l’envier aussi celle qui, jeune fille comme elles, avait la chance d’assister au réjouissant spectacle ! De treize ans alors, les deux aînés. Les yeux qu’elles faisaient ! Au passage, c’était un regard complice qu’elles échangeaient avec nous, je vous jure. Et quand elles regardaient les garçons qui, eux aussi, les reconnaissaient, elles avaient tellement l’air d’être au courant et de les narguer, qu’ils en devenaient pivoine. Après, elles se retournaient sur nous, et à la façon dont elles les jaugeaient, ces messieurs, en vêtements clairs d’été, dessinant leurs formes sanglées dans leurs culottes, elles les déculottaient des yeux, ma parole.

J’aurais eu leur âge, nous eussions fait connaissance. Maintenant, dans un cas pareil, ce serait franc. Vous savez : je sais ce que je dis. Elles étaient allumées, ces deux-là, j’en réponds. Les deux sœurs ? Ah ! non, je ne crois pas. Elles ne se ressemblaient en rien. Deux amies plutôt et cela n’en vaudrait que mieux, dites ?

À la place d’une des deux mamans, je les aurais abordées, cela n’eût pas fait un pli. Mais, ni l’une ni l’autre, pas plus la mienne que madame Henry n’y songèrent un instant. En instruisant ces demoiselles de leur habitude de fesser de grands garçons, elles n’avaient qu’un but : leur montrer le bon exemple, leur indiquer pour plus tard le vrai moyen d’inculquer à leurs fils le respect de la femme.

Car, chez maman, nulle idée sensuelle ne se mêlait à son goût pour le Fouet, à sa passion de flagellation, si vous préférez. Passion chez elle inconsciente, cela est pour moi de toute évidence. Oui, je l’affirme, j’en jurerais. Maman du reste m’a dit qu’elle n’avait jamais, jamais éprouvé de plaisir voluptueux. Elle était, prétendait-elle, comme George Sand et cette ressemblance avec une femme justement illustre entre toutes la rendait fière. Madame Henry, elle ne m’a pas fait de confidence, mais je ne serais pas étonnée que, constituée de même, en digne féministe, elle ne fut affligée de la même absence de tempérament.

Moi, à l’inverse, heureusement, si je suis franchement sensuelle et voluptueuse, c’est de papa que je le tiens. Si j’ai eu quelques faiblesses avec des hommes, c’est à ma part d’atavisme venant de lui, que j’en dois imputer la faute. En recherchant — ou en accueillant, devrais-je dire plutôt — des êtres du sexe opposé au mien, je ne faisais que suivre son exemple. Lui ne faisait que cela, toute sa vie. Mais, j’ai su m’arrêter à temps et trouver ma voie. Mais, je dois l’avouer, si je me suis mise à aimer fesser les jolies femmes, mes amies, c’est d’abord par pénurie de grands garçons. C’est plus difficile à trouver qu’on ne le croit. Si j’avais été à même d’en avoir autant que je le désirais, je n’aurais peut-être pas cherché ailleurs une diversion qui, maintenant, fait mon bonheur, je n’hésite pas un instant à le proclamer. Oui, je me suis lancée jusqu’au cou dans cette divine fantaisie qui m’enchante, tous les jours plus que la veille. Car je préfère la femme pour une infinité de raisons toutes meilleures les unes que les autres et dont je vous fais grâce : vous les connaissez. En outre, mon aversion tranquille pour le sexe masculin s’est renforcée. À de rares exceptions, les hommes me sont indifférents. Pour qu’ils m’inspirent un peu, faut-il alors que je les trouve sortant tellement de l’ordinaire que je discerne réunies chez eux, des qualités que je qualifierai de féminines et qui sont une délicatesse, une douceur de sentiments et de manières alliées à une cruauté savante et raffinée que j’appellerai sadisme élégant.

Tenez, je vais vous raconter une histoire, ou, plus exactement, vous répéter une histoire que m’a contée un gentil ami, gentleman accompli, qui fut aviateur au Maroc.

Cette histoire, je regrette de ne pas l’avoir vécue, je regrette de n’y avoir pas joué un rôle. Elle contient, résumées, toutes mes aspirations sensuelles, tout mon idéal voluptueux, toute mon esthétique amoureuse.

Il était aviateur au Maroc. Il faisait partie d’une escadrille qui eût l’occasion de se rendre agréable à un grand, très grand personnage marocain. Celui-ci, dont vous connaissez certainement le nom, voulut remercier les aviateurs de lui avoir fait assister à une belle randonnée, à laquelle même il prit part dans un avion, côte à côte avec l’un des as. Il les invita tous à un festin, dans un de ses palais. Je tais l’endroit, ce serait nommer le personnage.

Imaginez le décor féerique : les arcades aux fines dentelures que supportent mille colonnettes et la nuit étoilée baignant de sa lumière violette les jardins embaumés. Le repas fut merveilleux, mais le dessert le surpassa.

Des femmes parurent et donnèrent un aperçu de leurs talents quintessenciés que les Barbares que vous êtes ignorent ici. Il les méconnaîtraient peut-être, les malheureux !

Pendant une heure, elles torturèrent une des leurs, une des plus belles.

Il y eut tous les supplices que vous ne pouvez même pas rêver, vous, fades Européens, qui ne savez rien de la vraie volupté et des traditions séculaires de l’Orient. De l’Orient, omniscient en Amour !

Il y eut les aiguilles enfoncées dans les lieux du corps les plus sensibles, les morsures, les pincements et toutes, toutes les formes de la sublime fessée…

Et pendant une heure, la femme délira d’âcre souffrance et de bonheur céleste, car toujours, toujours, à la souffrance se mêlaient les plus savantes pratiques voluptueuses, les plus subtiles caresses, les plus décisifs baisers…

Oh ! que j’aurais voulu être une de ces femmes qui suppliciaient celle-là, avant de l’élever avec elles en plein Paradis !… Car, moi, c’est ainsi que je conçois l’Amour, je ne puis même le concevoir autrement !