Aller au contenu

Bref discours pour la réformation des mariages

La bibliothèque libre.


Brief Discours pour la reformation des mariages.

1614
◄   TOME III Les Jeux de la Cour   ►



Brief Discours pour la reformation des mariages.
À Paris, de l’imprimerie d’Anthoine du Brueil, rue Saint-Jacques, au dessus de Saint-Benoist, à la Couronne.
M.DC.XIV. In-8.

Encor que le mariage soit sainct, selon son institution et premiere origine, voire mesme necessaire pour la multiplication du genre et societé humaine, si est-ce qu’à la deduction des difticultez quy s’y rencontrent l’on y trouvera beaucoup plus d’espines que de roses, et d’amertume que de miel. C’est pourquoy la plus part des sages de l’antiquité, pour despeindre le mariage, ils representoyent en leurs hieroglyphiques toutes sortes de gehennes et tortures qu’ils se pouvoient imaginer, afin que par leurs diverses significations on fust instruict à eviter les escueilz et perilz quy journellement s’y rencontrent ; ce que le sieur Desportes a bien sceu faire cognoistre et expliquer en ces Stances du Mariage, où il commence1 :

De toutes les fureurs dont nous sommes pressez,
De tout ce que les cieux, ardemment courroucez,
Peuvent darder sur nous de tonnerre et d’orage,
D’angoisses2, de langueurs, de mœurtre ensanglanté,
De soucys, de travaux, de faim, de pauvreté,
Rien n’approche en rigueur la loy de mariage.

Il vaudroit beaucoup mieux que nostre premier père, lors de sa creation, fust demeuré en cest estat d’innocence, sans avoir effrenement desiré une compagne et abandonné en luy-mesme ceste perfection et prerogative que nostre Dieu luy avoit donnée en sa creation, et mis en fief comme un tiltre d’aisnesse et premier et unique en son estre, ce que les anciens appellent androgine, quy est à dire tout un en sa perfection. Neantmoins, curieux de son malheur et du nostre, il suscita nostre Dieu de l’assister d’une compagne, ce quy luy fut accordé, et tirée de soy-mesme, quy nous apporta pour douaire tous les malheurs du monde dont elle nous a affublez, punition de Dieu quy envers nous se void journellement executée par tous les inconvenients quy nous surviennent, tant durant nostre vie que lors de nostre trepas ; le tout prevenu par ceste première association quy, à nos despens, a porté et porte encore tiltre de mariage envers les mortels,

Dure et sauvage loy nos plaisirs meurtrissant3,
Quy, fertille, a produit un hydre renaissant
De mespris, de chagrin, de rancune et d’envie,
Du repos des humains l’inhumaine poison4,
Des corps et des esprits la cruelle prison,
La source des malheurs, le fiel de nostre vie.

Pour inscription à ceste loy rigoureuse du mariage, je serois d’advis qu’elle portast sur le front en belle et grosse lettre : LE BREVIAIRE DES MALHEUREUX.

Helas ! grand Jupiter, si l’homme avoit erré5,
Tu le devois punir d’un mal plus moderé,
Et plustost l’assommer d’un eclat de tonnerre
Que le faire languir durement enchaisné,
Hoste de mille ennuys, au dueil abandonné,
Travaillant son esprit d’une immortelle guerre.

Depuis que le serpent a mis la curiosité et l’ambition en la teste de la femme, toutes choses se sont revoltéz qui auparavant avoient esté creez à la submission et hommages deues et acquyses à nostre premier père et aux siens, c’est-à-dire à la posterité, quy est nous autres, quy avons herité de la mort par son crime, c’est-à-dire par la seduction d’Eve, nostre marastre, quy s’est servie de sa fragilité pour le rendre serf et assugety par ses blandices à toutes les infirmitez du monde.

De là le mariage eust son commencement6,
Cruel, injurieux7, plein de commandement,
Que la liberté fuit comme son adversaire,
Plaisant à l’abordée à l’œil doux et riant,
Mais quy, sous beau semblant, traistre nous va liant
D’un lien que la mort seulement peut deffaire.

Les femmes sont du naturel des sergents : quand elles veulent attraper quelques uns, elles font bien les douces et traictresses ; puis, estant prins, elles peuvent bien dire : Nous tenons le couïllaut dans nos retz attrapé.

Puis, estant logé à la valée de Misère, il doit la foy et hommage en tiltre de relief à sainct Innocent, à sainct Prix8, et sainct Mar, ribon, ribeine, sans pouvoir desdire, où le plus souvent il faut

Languir toute sa vie en obscure prison9,
Passer mille travaux, nourrir en sa maison
Une femme bien laide et coucher auprès d’elle ;
En avoir une belle et en estre jaloux,
Craindre tout, l’espier, se gêner de courroux,
Y a-t-il quelque peine en enfer plus cruelle ?

L’on dit ordinairement que là où la vache est liée, il faut qu’elle broute10 ; ainsi où le pauvre idiot est attrapé, il faut qu’il demeure en ces liens ; il tient beaucoup mieux que par le pié ; le geolier en ces affaires-là s’emprisonne soy-mesme, et, en cette restrainction, il ne peut trouver de caution quy l’en delibère ; tel octroy est à la mort et à la vie. Quant à ceux quy ont de belles femmes, sont heureux et ne peuvent pas par elles estre incommodez ; quand une belle femme est bien entretenue, elle est de plus grand rapport qu’un moulin à vent ; comme au contraire, quand elles sont laides, elles baillent de l’argent pour faire ce qu’on faict de là les pontz, quy, outre l’injure, fait souvent faire banqueroute au pauvre malotru confraire de Saint-Prix11.

Le commun dire est bien veritable, que la femme fait ou ruine le mesnage, et comme dict le sage en ses problesmes par ces termes : La meilleure et plus excellente richesse qu’un homme puisse avoir, c’est de s’allier avec une femme sage et vertueuse, parce qu’après il se pourra vanter d’avoir en possession un heritage merveilleusement fertile.

Escoutez ma parole, ô mortels esgarez12,
Quy dans la servitude aveuglement courez,
Et voyez quelle femme au moins vous devez prendre :
Si vous l’espousez riche, il vous faut13 preparer
De servir, de souffrir, de n’oser murmurer,
Aveugle en tous ses faictz et sourd pour ne l’entendre.

Le plus grand malheur que puisse avoir un homme qui desire avoir l’esprit tranquille et en repos, c’est de prendre une femme qui luy mettra à tous propos sur le tapis les moyens et commoditez qu’elle luy aura apporté, afin que, par ces reproches que journellement elle luy fera, jouer au pair, et tirer au court baston quand besoing en sera, ce quy contraindra le pauvre Job de faire le muet, comme vous entendrez cy après en ces vers.

Desdaigneuse et superbe, elle croit tout savoir14 ;
Son mary n’est qu’un sot trop heureux de l’avoir ;
En ce qu’il entreprend elle est toujours contraire,
Ses propos sont cuisantz, hautains et rigoureux.
Le forçat miserable est beaucoup plus heureux
À la rame et aux fers d’un outrageux corsaire.

C’est de pareilles femmes que l’on tient ce discours : que la poulle chante ordinairement devant le coq15. De mesme, donnez un pied d’advantage à une femme, elle en prendra dix ; c’est ce que conseilloit un ancien poète :

—.Ne souffre jamais pour rien
De ta femme un pied sur le tien :
—.Car après la pauvre beste
Le voudra mestre sur ta teste.

Et toutefois en ce discours je ne desire pas faire une reigle generale : car, comme en toutes autres, il y peut avoir quelque default.

Si vous la prenez pauvre, avec la pauvreté16
Vous espousez ainsy17 mainte incommodité,
La charge des enfants, la peine et l’infortune.
Le mespris d’un chacun vous fait baisser les yeux ;
Le soin rend vos esprits chagrins et soucieux.
Avec la pauvreté toute chose importune.

La pauvreté est mère de beaucoup de travaux, de soupçons, de meffiance ; c’est d’elle d’où ce vieux proverbe a prins son estre et origine, quy dit : necessité contraint la loy ; encore que pauvreté ne soit pas vice18, mais une espèce de ladrerie, que plusieurs fuyent comme la peste.

Si vous la prenez belle19, asseurez-vous aussy20
De n’estre jamais franc de craincte et de soucy.
L’œil de vostre voisin comme vous la regarde ;
Un chacun la desire, et vouloir l’empescher,
C’est esgaler Sysiphe et monter son rocher.
« Une beauté parfaicte est de mauvaise garde. »

Les belles femmes et les beaux chevaux sont merveilleusement souhaitez, non seullement pour les plaisirs du monde, mais aussy (admirez les plus religieux personnages, quy, par ce moyen, ont subject de louer le Createur) par la perfection de ses creatures tant recommandables. Toutefois je diray estre un grand soin au maistre quy les possède, quy, quand mesme ayant en sa puissance tous les yeux d’Argus, y pourroit bien estre trompé, parce que la garde de ces creatures là est un peu dangereuse : tant de vieux historiens tesmoins, quy nous ont laissé leurs fragments par escript, comme la guerre de Troie et autres, outre les meurtres et querelles quy se commettent pour cet effect.

Si vous la prenez laide, adieu toute amitié21 ;
L’esprit, venant du corps, est plain de mauvaistié.
Vous aurez la maison pour prison tenebreuse ;
Le soleil desormais à vos yeux ne luira ;
Bref, l’on peut bien penser s’elle vous desplaira,
Puisqu’une femme belle22 en trois jours est fascheuse.

Encore que ta femme soit laide, voire mesme contrefaicte en plusieurs parties de son corps, si dois-tu recognoistre qu’elle est ta compagne et adjacente à toutes tes entreprises ; toutefois je veux que ce soit une très grande incommodité pour la deffectuosité quy peut subvenir en la generation des enfants, comme, par example, estant un jour interrogé Pittacus pourquoy il ne vouloit espouser aucune femme : Parce, dit-il, que, la prenant belle, elle sera commune à tous ; et si elle est laide, ce sera un martyre à moy seul.

Pour conclusion, je pourrois dire ce qu’a dict le mesme Desportes en ces stances, quoy que je ne m’y veuille resoudre ; et toutefois je repetteray,

À l’exemple de luy quy doit estre suivy23 :
Tout homme qui se trouve en ses lacs asservy
Doit par mille plaisirs alleger son martyre,
Aimer en tous endroitz sans esclaver son cœur,
Et chasser loing de luy toute jalouse peur.
Plus un homme est jaloux, plus sa femme on desire.

Et après, fermant la porte à toutes ses prepositions, fait une grande admiration en ces termes :

Ô supplice infernal en la terre transmis24
Pour gêner les humains ! gêne les ennemis
Et les charge de fers25, de tourments et de flamme ;
Mais fuy de ma maison, n’approche point de moy :
Je hay plus que la mort ta rigoureuse loy,
Aymant mieux espouser un tombeau qu’une femme.

Demosthène disoit que les hommes ayment les femmes pour le plaisir qu’ils espèrent, sans avoir esgard qu’elles sont ordinairement le travail de l’esprit et le fleau le plus violent qu’ils puissent avoir.

Quoy que j’ay parlé de mariages en diverses façons, si neantmoins je cognois que c’est une necessité à la nature humaine pour plusieurs et diverses raisons, tant pour la generation qu’autres commoditez qu’ils apportent ; mais il faut regarder premierement, pour bien et deuement choisir une femme, qu’elle soit chaste et vertueuse, venue de bon lieu, issue de parents sans reproches, bonne mesnagère, et surtout mediocre en habitz, parce que la superfluité la rend orgueilleuse et mescognoissante26, tout ainsy que ces joüeurs de tragedies, où un faquin, estant revestu, representera librement le personnage d’un roy ou empereur en gravité et audace ; de mesme elle sera hautaine, et quelques fois contraincte pour son entretient faire des metamorphoses domestiques, comme dict un poète françois en ces vers :

Du temps passé nous lisons que les fées
Firent changer d’homme en cerf Actéon,
Et maintenant ceste mutation
S’exerce encor par des nymphes coiffées.

Ceux quy se veulent marier, il faut qu’ils s’interrogent eux-mesmes s’ils sont puissans assez pour s’acquitter d’un si pesant fardeau : car de joüer après à Jan-qui-ne-Peut, le diable seroit bien aux vasches. Or, pour le bien choisir, je serois de l’avis du sieur Desportes en ces Stances du Mariage, qui dict :

Il faut un bon limier, penible et poursuivant27,
Nerveux, le rable gros et la narine ouverte,
Quy roidisse la queue et l’alonge en avant
Sitost qu’il sent la beste ou qu’il l’a descouverte.

Non pas des petits darioletz28 effeminez, à quy leurs femmes sont contrainctes dire, peu de temps après qu’elles sont mariées : Jan, ne trouvez pas estrange que, si ne faites mieux qu’avez faict ces jours passez, je mettray un autre à vostre place. Voilà, en somme, mon amy, comme il y a beaucoup de cornards par leurs fautes.

Quiconque se veut marier et s’employer à son devoir, il faut qu’il soit d’un age mediocre, fort et bien sain en tous ses membres, bonne veüe et point subject à ce reproche, pourtant lunettes, d’estre banni du bas mestier, comme disoit un jouvenceau de ce temps :

Veillard quy portez des lunettes,
Retirez-vous loin des fillettes,
Et permettez-nous que l’amour
De chacun se serve à son tour :
Car, si vous prenez ma maistresse
Pour vos biens et vostre richesse,

Cela n’est rien : il faut un poinct
Pour conserver son embonpoinct.

Voilà en bref ce que je puis dire du mariage, non pas pour l’avoir esprouvé, car, Dieu mercy, je suis puceau, et si le veux estre tout le temps de ma vie, afin qu’après ma mort je me voye promener en terre avec de belles torches blanches, en tesmoignage de ma chasteté : car je me puis bien vanter d’estre vierge, ou jamais vache ne le fust. Adieu.


1. Les Œuvres de Philippe Des Portes, abbé de Thiron, reveuez et corrigées, Rouen, 1591, in-12, p. 575, Stances du Mariage.

2. Var. : d’angoisseuses langueurs.

3. Cette stance, dans la pièce de Des Portes, suit celle qui a été citée tout à l’heure.

4. Poison, comme le mot latin potio, dont il est le dérivé, fut long-temps du féminin. C’est Vaugelas et Balzac qui lui assignèrent le genre qu’il a gardé depuis, et cela en dépit de Malherbe, et même de Ménage, qui, dans ses Observations sur les poésies de ce dernier (Paris, 1666, p. 451) soutient qu’en vertu de l’étymologie, c’est le féminin qui eût dû prévaloir. Le peuple est resté de l’avis de Ménage et du latin.

5. C’est la 9e des Stances de Des Portes.

6. C’est la 6e stance.

7. Var. : Tyran injurieux.

8. On disoit alors : « Il est de Saint-Prix, il est marié. » (Oudin, Curiosités françoises, p. 494.) Quant à saint Mar, comme on écrit ici, en faisant suivre son nom du refrain ribon, ribaine, on faisoit aussi de lui le patron des maris, très marris, comme dit Molière.

9. La 11e des stances de Des Portes.

10. Molière donne une variante de ce proverbe quand il dit, dans le Médecin malgré lui (acte 3, scène 3) : « La où la chèvre est liée, il faut bien qu’elle y broute. »

11. V. l’avant-dernière note de la page 8.

12. C’est la 16e stance de Des Portes.

13. Var. : il se faut.

14. 15e stance de Des Portes.

15. Encore un proverbe dont Molière a donné une variante, mais cette fois très opposée :

La poule ne doit pas chanter devant le coq.
——————Les femmes sçavantes (act. V, sc. 3).

Jehan de Meung avoit dit dans le Roman de la Rose :

C’est chose qui moult me desplaist
Quand poule parle et coq se taist.

16. Stance 17e de Des Portes.

17. Var. : aussi.

18. Ce n’est ainsi qu’un proverbe tronqué ; pour qu’il soit complet, il faut dire comme on le faisoit au moyen âge : Pauvreté n’est pas vice, mais c’est une sorte de ladrerie : chacun la fuit. Ce qui revient à la variante si énergique de Dufresny : Pauvreté n’est pas vice ; c’est bien pis.

19. Var. : Si vous l’épousez belle.

20. La stance 18e de Des Portes.

21. La 19e stance de Des Portes.

22. Var. : Quand la plus belle femme.

23. Stance 24e de Des Portes.

24. 25e stance.

25. Var. : Qu’ils soyent chargez.

26. C’est un mot perdu et très regrettable. Marmontel, qui tenoit pour notre vieille langue, indique par cette phrase la demi-teinte d’ingratitude qu’il faut y découvrir : « Il ne faut jamais être oublieux au point d’être méconnoissant. » (Mémoires, Paris, 1804, in-8, t. 2, p. 97.)

27. Cette stance ne se trouve pas dans l’édition de Des Portes par Raphael du Petit-Val.

28. V., sur ce mot et sur ceux de daron et dariolette, une note de notre tome 3, p. 145.