Brest (Honoré Dumont)/Chant quatrième

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Impr. de P.-L. Tanquerey (p. 23-28).

BREST.


CHANT QUATRIÈME.

Combien, depuis trente ans, Brest a changé de face !
On le voit, chaque jour, embellir sa surface,
Et maintenant le goût préside à ces travaux,
Qui viennent élever des bâtimens nouveaux.
On aime à contempler ces vastes édifices,
Ces beaux hôtels publics, ces imposans hospices,
Créés d’après les plans de la sagacité,
Conçus avec génie, avec humanité.

Brest a droit d’espérer que le cours des années
Ne fera qu’augmenter ses hautes destinées.
Brest est du plus grand prix pour notre nation :
Ce lieu doit attirer toute l’attention
D’un gouvernement sage et plein de vigilance,
Qui veut sincèrement la gloire de la France.
Si Brest est loin du centre où tout vient aboutir,
Tout d’un fatal oubli devrait le garantir :
Tout devrait lui promettre un intérêt suprême,
Puisque du monde il est le point le plus extrême,

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Ils n’avaient pas été créés pour cet usage ;
Ils ne présentaient point alors tout l’avantage
Que l’on devait attendre, en toute occasion,
D’édifices formés par la compassion.
Des tentes suppléaient au local des hospices :
Pouvait-on aux blessés les rendre bien propices ?
Combien n’a-t-on pas vu de braves matelots
Expirer, en ce temps, sur de durs charriots,
Lorsqu’on les transportait dans une résidence
Dont la distance encore accroissait leur souffrance !
Les douleurs arrachaient de lamentables cris
À ces guerriers mourans pour servir leur pays.
Un homme généreux, plein de philanthropie,
Un véritable ami de sa noble patrie,
Un Français éclairé, sensible, plein d’honneur,
Nous dit que ce spectacle a déchiré son cœur,
Bien souvent, lorsqu’à Brest il montra sa présence ;
Et dans ses sentimens, remplis de bienfaisance,
Qui voulaient des humains qu’on soulageât les maux,
Il demande qu’on crée ici des hôpitaux.
Tes voeux sont exaucés, mortel recommandable :
À Brest on fait construire un hospice admirable.
Ô Cambry ! de ton nom je veux orner mes vers.
Puisque ton cœur avait des sentimens si chers,
Et que tous les travaux de ton âme épurée
Hélas ! ont amené ta fin prématurée[1].

 
Brest, alors que je peins ce qui fait ta splendeur,
Que d’objets différens s’offrent à mon ardeur !
Rien ne m’est étranger dans ce qui t’intéresse,
Et toute noble vue à mon esprit s’empresse
De s’offrir, à l’effet d’enrichir mon pinceau
De ce qui peut former un utile tableau :
Tout aime à se grouper dans mon cadre héroïque ;
L’Humanité sourit à mon feu poétique.

Les soldats de Neptune et les soldats de Mars
Bravent également de périlleux hasards :
Ils sont tous les soutiens de la chose publique,
Ils sont tous animés du feu patriotique ;

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Que votre adresse, hélas ! pour l’homme est désastreuse !
À combien vous causez une douleur affreuse !
Lorsqu’un être par vous est mis dans le cercueil,
Combien d’autres mortels sont plongés dans le deuil !
Votre succès fatal, qu’on doit nommer un crime,
Semble immoler, d’un coup, bien plus d’une victime :
Combien d’êtres par vous sont dans le désespoir !
La loi, de vous punir, se fait un saint devoir ;
Mais elle ne peut point, par toute sa puissance,
D’un père, d’une mère, adoucir la souffrance.
Que de jeunes mortels votre barbare main
N’a-t-elle pas ravis à l’autel de l’Hymen !
Quand vous percez le cœur de votre antagoniste,
Vous avez à gémir d’un succès aussi triste.

Fin du quatrième Chant.
  1. « M. de Cambry (auteur du Voyage dans le Finistère en 1794 et 1795) était un des hommes les plus distingués par des connaissances très-variées, par l’amour des beaux-arts, et par des qualités aimables. Il employait une fortune considérable à cultiver les lettres et à encourager les jeunes talens qui s’adressaient à lui. S’il ne connaissait pas mieux que personne les origines françaises, du moins les avait-il étudiées avec un soin et une constance soutenus. Ses recherches en ce genre, ses travaux, ses ouvrages l’avaient porté à la présidence de l’Académie Celtique : il était persuadé que cette Société rendrait un jour de grands services à l’histoire, si elle continuait de donner à ses travaux une sage et utile direction.

    Une attaque d’apoplexie l’a enlevé aux lettres à l’âge de 42 ans ; il était de Quimper, et avait épousé la veuve de M. Dodun, ancien Directeur de la Compagnie des Indes, femme aimable et qui partageait avec son époux le même goût des arts et les mêmes sentimens de délicatesse et de bienfaisance. »

    (Note des Auteurs de la Statistique du Finistère, MM. Peuchet et Chanlaire.)