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Brief recit de la navigation faicte es ysles de Canada

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❧ BRIEF RECIT, &

succincte narration, de la navigation faicte es ysles de Canada, Hochelage & Saguenay & autres, avec particulieres meurs, langaige, & cerimonies des habitans d’icelles : fort delectable à veoir.

Avec privilege

On les vend à Paris au second pillier en la grand salle du Palais, & en la rue neufve Nostredame à l’enseigne de lescu de frãce, par Ponce Roffet dict Faucheur, & Anthoine le Clerc frères.

1545.
A MONSEIGNEUR LE
Prevost de Paris ou son lieutenant civil.


SUpplient treshumblement Ponce Roffet dict le Faulcheur, et Anthoine le Clerc freres et libraires de ceste ville de Paris, qu’il vous plaise leur donner la permission de imprimer et vendre, ung livre, intitulé Briefve et succincte narration de la navigation, faicte es ysles de Canada et autres choses y contenues : Pour lequel imprimer leur convient faire gros fraiz et despens, dont ilz pourroient estre frustrez, ensemble de leurs labeurs s’il estoit permys à tous de l’imprimer. Ce consideré il vous plaise et ordonner que deffences soient faictes à tous libraires et imprimeurs de la ville et prevoste de Paris, de ne imprimer icelluy livre, n’y de en vendre d’autre que de l’impression desdictz supplians, jusques à quatre ans finiz et accompliz, sur peine de confiscation desdictz livres et d’amende arbitraire, Et vous ferez bien.

Il est permys ausdictz suppliens, avec les deffences à tous autres, de ne imprimer le dict voyage pour le temps et espace de trois ans. Faict le dernier jour de Febvrier, Mil cinq cens quarante quatre
Ainsi signé                     I. Morin.
AU ROY
Treschrestien.



Considerant, O mon tres-redoubté prince, les grandz bien et don de grace qu’il a pleu à Dieu le Createur faire à ses creatures : Et entre les autres de mettre et asseoir le soleil, qui est la vie et congnoissance de toutes icelles, et sans lequel nul ne peult fructifier ni generer en lieu et place la ou il a son mouvement, et declination contraire, et non semblable es autres planettes. Par lesquelz mouvement et declinaison, toutes creatures estans sur la terre en quelque lieu et place qu’elles puissent estre, en ont, ou en peuvent avoir en lan dudict soleil, qui est 365. jours et six heures, Autant de veue oculaire les ungs que les autres, non qu’il soit tant chault et ardant es ungs lieux, que es autres par ses raiz et reverberations, ny la division des jours et nuictz en pareille esgalleté : Mais suffit qu’il ayt de telle sorte et tant temperement que toute la terre est ou peult estre habitee en quelque zone, climat, ou paralelle que ce soit : Et icelles avecques les eaues, arbres, herbes, et toutes autres creatures de quelques genres ou especes qu’elles soient par l’influence d’iceluy soleil, donner fruictz et generations selon leur nature par la vie et nourriture des creatures humaines. Et si aucuns vouloient dire le contraire de ce que dessus, en alleguant ledict des saiges philosophes du temps passé, qui ont escript et faict division de la terre par cinq zones, dont ilz dient et afferment trois inhabitées. Cest assavoir la zone torride, qui est entre les deux tropiques ou solstices, qui passe par le zenic des testes des habitans d’icelle : Et les deux zones artique et entartique pour la grande froideur qui est en icelle, à cause du peu d’eslevation qu’ilz ont dudict soleil et autres raisons : Je confesse qu’ilz ont escript de la maniere, et croy fermement qu’ilz le pensent ainsi, et qu’ilz le treuvent par aucunes raisons naturelles, ou ilz prenoient leur fondement, et d’icelluy se contentoient seulement sans aveuturer n’y mectre leurs personnes es dangiers, esquelz ilz eussent peu ancheoir à cercher l’experience de leur dire. Mais je dictz pour ma replique que le prince d’iceulz philosophes a laissé parmy les escriptures ung mot de grande consequence, qui dict que, Experientia est rerum magistra ; par l’enseignement duquel j’ay osé entreprendre de adresser à la veue de vostre magesté royalle, cestuy propos en maniere de prologue, de ce myen petit labeur : Car suyvant vostre royal commandement. Les simples mariniers de present non ayans eu tant de craincte d’eulz mectre à l’advanture d’iceulx perilz et dangiers qu’ilz ont eu, et ont desir de vous faire treshumble service à l’augmentation de la saincte foy chrestienne, ont congneu le contraire d’icelle opinion des philosophes par vraye experience.

Je allegue ce que devant, parce que je regarde que le soleil qui chascun jour se lieve à l’orient, et se reconce à l’occident, faict le tour et circuit de la terre, donnant lumiere et chaleur à tout le monde en vingt quatre heures, qui est ung jour naturel, sans aucune interruption de son mouvement et cours naturel. À l’exemple duquel je pense à mon foible entendement, et sans autre raison y alleguer, qu’il plaist à Dieu par sa divine bonté que toutes humaines creatures estans et habitans soubz le globe de la terre, ainsy qu’elles ont veue, et congnoissance d’icelluy soleil ayt et ayent pour la temps advenir congnoissance et creance de nostre saincte foy : Car premierement icelle nostre saincte foy a esté semee et plantee à la terre saincte, qui est en Asye à l’orient de nostre Europe : Et depuis par succession de temps apportee et divulguee jusques à nous, et finalement à l’occident de nostredicte Europe à l’exemple du dict soleil portant sa chaleur et clarté d’orient en occident comme dict est. Et pareillement aussy avons veu icelle nostre saincte foy, par plusieurs fois à l’occasion des meschans heretiques et faulz legislateurs, eclipses en aucuns lieux : et depuis soubdainement reluyre et monster sa clerté plus appertement que auparavant. Et maintenant encores à present voyons comme les meschans lutheriens apostatz et imitateurs de Mahomet, de jour en autre s’efforcent de icelle opprimer, et finablement du tout estaindre, si Dieu et les vrays suppostz d’icelle n’y donnent ordre par mortelle justice, ainsy qu’on veoit faire chascun jour en voz pays et royaulme, par le bon ordre et police que y avez mys. Pareillement aussi veoit on, comme au contraire d’iceulx enfans de Sathan, les paovres chrestiens et vrays pilliers de l’Esglise catholique s’efforcent d’icelle augmenter et accroistre, ainsi que a faict le catholique Roy d’Espaigne, es terres qui par son commandement ont esté descouvertes en l’occident de ses pais et royaulmes, lesquelles auparavant nous estoient incognues, estranges, et hors de nostre foy : Comme la neufve Espaigne, Lisabelle, terre ferme, et autres ysles ou on a trouvé innumerable peuple, qui a esté baptisé et reduict en nostre tressaincte foy.

Et maintenant en la presente navigation faicte par vostre royal commandement en la descouverture des terres occidentales, estans soubz les climats et paralelle de voz pays et royaulme, non auparavant à vous n’y à nous congneuz, pourrez veoir et scavoir la bonté et fertilité d’icelles, innumerable quantité de peuples y habitans la bonté et paisibleté d’iceulx, Et pareillement la fecondité du grant fleuve qui descend et arrose le permy d’icelles voz terres, qui est le plus grant sans comparaison que on sache jamais avoir veu. Les quelles choses donnent à ceulx qui les ont veues, certaine esperance de l’augmentation future de nostre dicte saincte foy et de voz seigneuries et nom tres chrestien, ainsi qu’il vous plaira veoir par cestuy present petit livre : Auquel sont amplement contenues toutes choses dignes de memoire, que avons veues, et qui nous sont advenues tant en faisant ladicte navigation, que estans et faisans sejour en vosdictz pays et terres.
LE dimenche jour et feste de la Penthecoste seziesme jour de May, en lan mil cinq cens trente cinq du commandement du cappitaine et bon vouloir de tous, chascun se confessa, et receusmes tous ensemblement nostre createur en lesglise cathédrale de sainct Malo. Apres lequel avoir reçu, feusmes nous presenter au cueur de ladicte eglise, devant reverend pere en Dieu monsieur de sainct Malo, lequel en son estat episcopal nous donna sa benediction.

Et le mercredy ensuivant dix neufiesme jour de May, le vent vint bon et convenable, et appareillasmes avec trois navires, Scavoir la grand Hermine du port, environ cent a six vingtz tonneaulz, ou estoit le cappitaine general, et pour maistre Thomas frosmond, Claude du pond briand, filz du seigneur de Montreueil et eschansson de monseigneur le Daulphin, Charles de la Pommeraye, Jehan poullet et autres gentizlhommes. Le second navire, nommé la petite Hermine du port, environ soixante tonneaulz : Estoit cappitaine soubz le dict cartier Mace jalobert, et maistre Guillaume le mariè. Et au tiers navire nommé l’Emerillon du port de environ quarante tonneaulz, en estoit cappitaine Guillaume le breton, et maistre Jacques maingart. Et navigasmes avec bon temps jusques au 20, jour dudict moys de May, que le temps se tourna en yre et tourmente, qui nous a duré en ventz contraire et serraisons, autant que navires qui passassent jamais la mer, eussent sans amendement : Tellement que le vingt cinqiesme jour de Juing par le dict mauvais temps et serraison, nous entreperdismes tous trois, sans que nous ayons eu nouvelles les ungs des autres jusques à la terre neufve ; la ou nous avions lymité nous trouver tous ensemble. Et depuis nous estre entreperduz, avons esté avec la nef generalle par la mer de tous ventz contraires, jusques au septiesme jour du moys de Juillet, que nous arrivasmes à la dicte terre neufve, et prismes terre à l’isle aux oyseaulx : laquelle est à quatorze lieues de la grand terre, quelle ysle est si tresplaine d’oyseaulx, que tous les navires de France y pourroient facilement charger, sans que on s’apperceust que l’on en eust tiré, et la en prinsmes deux barques pour partie de noz victailles : Icelle ysle est en leslevation du pole en. 49. degrez. 40. mynutes. Et le huictiesme dudict moys, nous appareillasmes de ladicte ysle, et avec bon temps vinsmes au hable du blanc sablon estant à labbaye des chasteaulx le. XV. jour dudict moys, qui est le lieu ou nous debvoyns rendre : Auquel lieu feusmes attendans noz compaignons jusques au vingt sixiesme dudict moys, lequel jour ilz arriverent tous deux ensemble : Et la nous acoustrasmes et prismes eaues, boys, et aultres choses necessaires, et appareillasmes et feismes voylle pour passer oultre le vingt neufiesme jour dudict moys à l’aube du jour, et feismes porter le long de la coste du Nort Gisant, est, Nordest, et Ornaist, Surnaist jusques environ les huict heures de soir, que meismes les voylles bas, le travers de deux ysles qui s’avancent plus hors que les autres que nous nommasmes les ysles Sainct Guillaume. Et sont environ vingt lieues oultre le hable de Brest : Le tout ladicte coste depuis les chasteaulz jusques icy gist est Nordest et Ornaist Surnaist rengee de plusieurs ysles et terres toute hachee et pierreuse, sans aucune terre ny boys, fors en aucunes vallees.

Le lendemain penultime jour dudict moys feismes courir à Ornaist pour avoir congnoissance d’autres ysles qui nous demouroient environ douze lieues et demye. Entre lesquelles ysles se faict une couche vers le Nort toute à ysles et grande voye apparoissantes y avoir plusieurs bons hables, et les nommasmes les ysles Saincte Marthe ; hors lesquelles environ une lieue et demye, à la mer y a une basse bien dangereuse ou il y a quatre ou cinq testes qui demeurent le travers desdictes bayes en la rotte d’Est et Onaist desdictes ysles Saincte Marthe, environ sept lieues : Lesquelles ysles nous vinsmes querir ledict jour, environ une heure apres midy ; et depuis ledict jour jusques à l’orloge vyrente feismes courir environ quinze lieues le travers d’ung cap d’ysles basses, que nous nommasmes les ysles Sainct Germain, au Suest duquel environ trois lieues y a une autres basse fort dangereuse. Et pareillement entre le dict cap Sainct Germain et Saincte Marthe, y a ung banc hors des dictes ysles environ deux lieues, sur lequel n’y a que quatre brasses. Et pour le dangier de la dicte coste mismes les voylles bas, et ne feismes porter la dicte nuict.

Le lendemain dernier jour de Juillet, feismes courir le long de la dicte coste qui gist Est et Onaist cart de Suest, qui est toute rengee d’isles et basses et coste fort dangereuse ; laquelle contient depuis le dict cap des ysles Sainct Germain, jusques à la fin des ysles environ dix sept lieues et demye. Et a la fin desdictes ysles, y a une fort belle terre basse plaine de grandz arbres et haultz : et est icelle coste toute rengee de sablons sans y avoir aucune apparoissance de hable, jusques au cap de Thiennot que se rabast, au Nor onaist qui est environ sept lieues des dictes ysles. Lequel cap congnoissons du precedent voyage. Et parce feismes porter toute la nuict à Onaist Noronaist jusques au jour que le vent vint contraire, et feusmes charcher ung havre ou mismes noz navires, qui est ung bon petit havre, oultre ledict cap Thiennot environ sept lieues et demye, et est entre quatre ysles sortentes à la mer, noud le nommasmes le havre Sainct Nicolas, et sur la plus prochaine ysle plantasmes une croix de boys pour merche. Et fault amener la dicte croix au Nordest, puis l’aller querir et la laisser de tribort, et trouverez de perfond six brasses posez dedans le dict hable à quatre brasses, et se fault donner garde de deux basses qui demeurent des deux costez à demye lieue hors. Toute ceste dicte coste est fort dangereuse et plaine de basses : nonobstant qu’il semble y avoir plusieurs bons hables n’y a que basses et plateys. Nous feusmes au dict hable depuis le dict jour jusques au Dimenche. vii. jour d’Aoust : Auquel jour appareillasmes et vinsmes querir la terre deca vers le cap de Rabast, qui est distant du dict hable, environ. xx. lieues Gisans Nort Nordest et Susur Onaist. Et le lendemain le vent vint contraire : Et parce que ne trouvasmes nulz hables à la dicte terre de Su. feismes porter vers le Nort oultre le precedent hable de environ dix lieues, ou nous trouvasmes une moult belle et grande baye, plaine d’ysles et bonnes entrees et passaige de tous les ventz qu’il scavoit faire : Et pour congnoissance d’icelle baye y a une grand ysle comme ung cap de terre, qui s’avance plus hors que les autres ; Et sur la terre environ deux lieues, y a une montaigne faicte comme ung tas de bled, nous nommasmes la dicte baye la baye sainct Laurens.

Le douziesme jour du dict moys nous partismes de la dicte baye sainct Laurens et feismes porter à Onaist, et vinsmes querir ung cap de terre devers le Su qui gist environ l’Onaist ung cart de Sur Onaist du dict hable Sainct Laurens environ vingt cinq lieues. Et par les deux sauvaiges que avions prins le premier voyage, nous fut dict que cestoit de la dicte terre devers le Su, et que cestoit une ysle, et que par le Su d’icelle estoit le chemin à aller de Honguedo ou nous les avions prins lan precedent à Canada : Et que à deux journees du dict cap et ysle commenceroit le royaulme de Saguenay à la terre devers le Nort allant vers le dict Canada, le travers du dict cap environ trois lieues y a de profond cent brasses et plus. Et n’est memoire de jamais avoir tant veu de ballaynes que nous vismes celle journee le travers dudict cap.

Le lendemain jour nostredame d’Aoust quinziesme dudict moys, nous passasmes le destroict la nuict de devant, et le lendemain eusmes congnoissance de terres qui nous demouroient vers le Su : qui est une terre à haultes montaignes à merveilles, Donc le cap susdict de la dicte ysle que nous avons nommee l’ysle de l’Assumption, et ung cap desdictes haultes terres gisent Est Nordest et Onaist sur Onaist, et y a entre eulx vingt cinq lieues, Et veoit on les terres du Nord encores plus haultes que celles du Su à plus de trente lieues. Nous rangeasmes lesdictes terres du Su depuis ledict jour jusques au mardy que le vent vint Onaist, et meismes le cap au Nord pour aller querir lesdites haultes terres que voyons, et nous estans là trouvasmes lesdictes terres unyes et basses vers la mer, et les montaignes devers le Nort par sus lesdictes haultes terres gisant icelles terres, Est, et Onaist ung cart de Sur Onaist. Et par les sauvaiges que avions, nous a esté dict que cestoit le commencement du Saguenay et terre habitable. Et que de la ve noit le cuyvre rouge qu’ilz appellent caignetdaze. Il y a entre les terres du Su et celles du Nort, environ trente lieues, et plus de deux cens brasses de perfond et nous ont lesdictz Sauvaiges certiffié estre le chemin et commencement du grant Silenne de Hochelaga et chemin de Canada : lequel alloit tousjours en estroissent jusques à Canada, puis que l’on treuve l’aue doulce qui va si loing que jamais homme n’auroit esté jusques au bout qu’ilz eussent ouy, et que autre passaige n’y avoit que par bateaulx. Et voyant leur dire et qu’ilz affermoient n’y avoir autre passaige, ne voulut ledict cappitaine passer oultre jusques a avoir veu le reste de ladicte terre et coste devers le Nort, qu’il avoit obmis de veoir depuis la Baye sainct Laurens pour aller veoir la terre du Su pour veoir s’il y avoit aucun passaige.


Comment nostre cappitaine feist retourner les navires en arriere, jusques a avoir congnoissance de la Baye sainct Laurens pour veoir s’il y avoit aucun passaige vers le Nort.



LE mercredy 18. jour d’Aoust, nostre cappitaine feist retourner ses navires en arriere, et mestre le cap à l’autre bort. Et rangeasmes ladicte coste du Nort qui gist Nordest et Sur Ornaist faisant ung demy arc, qui est une terre fort haulte non tant comme celle de Su : Et arrivasmes le jeudy ensuyvant à sept ysles fort haultes : lesquelles nous nommasmes les ysles Rondes, qui sont à environ quarante lieues des terres du Su, et s’avancent hors à la mer trois ou quatre lieues, le travers desquelles y a ung commencement de basses terres plaines de beaux arbres ; lesquelles terres nous rengeasmes le vendredi avec nos barques, le travers desquelles y a plusieurs bancqs de sablon à plus de deux lieues à la mer, fort dangereux, lesquelz descuevrent de basse mer, et au bout d’icelles basses terres qui contiennent environ dix lieues, y a une riviere d’eaue doulce, sortant à la mer, tellement que à plus d’une lieue d’elle est aussi doulce que eaue de fontaine. Nous entrasmes en ladicte riviere avecq noz barques, et ne trouvasmes à l’entree d’icelle que brasse et demye. Il y a dedans ladicte riviere plusieurs poissons, qui ont forme de chevaulx, lesquelz vont à la terre de nuict, et de jour à la mer, ainsi qu’il nous feut dict par nos deux sauvaiges : Et de ces dictz poissons veismes grand nombre dedans la dicte riviere.

Le lendemain 21. jour dudict moys au matin à l’aube du jour feismes voylle et feismes porter le long de la dicte coste, tant que nous eusmes congnoissance de la reste de la dicte coste du Nort, que n’avions veu, et de l’ysle de l’Assumption, que nous avions esté querir au partir de la dicte terre : et lors que nous feusmes certains que ladicte coste estoit rengee, et qu’il n’y avoit nul passaige, retournasmes à nos navires qui estoient esdictz sept ysles où il y a bonne radde à dix huict et vingt brasses de sablon : auquel lieu avons esté sans povoir sortir n’y faire voylle pour la cause des bruynnes et ventz contraires qui faisoient jusques au. xxiiii. jour dudict moys que sommes arrivez à ung hable de la coste du Su, qui est à environ quatre vingt lieues des dictz sept ysles, qui est le travers de trois ysles plattes, qui sont par le parmy du fleuve. Et environ le my chemin des dictes ysles et ledict hable devers le Nort, y a une fort grande riviere, qui est entre les haultes et basses terres, qui faict plusieurs bancqs à la mer à plus de trois lieues, qui est ung pais fort dangereux et sont de deux brasses et moins, et à la creste de iceulz bancqs trouverez xxv. et xxx. brasses bort à bort, toute icelle coste du Nort, gist, Nort, Nordest, et Su sur Onaist.

Le hable devantdict ou posasmes qui est à la terre du Su, est hable de marie et de peu de valleur, nous les nommasmes les Ysleaux sainct Jehan, parce que nous y entrasmes le jour de la decollation dudict sainct. Et au paravant que arriver audict hable, y a une ysle à Best d’icelluy environ cinq lieues, ou il n’y a point de passaige entre terre et elle que par basteaux : le dict hable des ysleaux sainct Jehan asseche toutes les marees, et y maryne l’eaue de deux brasses : Le meilleur lieu à mettre navires est vers le Su d’ung petit yslot qui est au parmy du dict hable bort au dict yslot.

Nous appareillasmes du dict hable le premier jour de septembre pour aller vers Canada, et environ quinze lieues du dict hable à l’Onaist, Sur Onaist y a trois ysles au parmy du fleuve, le travers desquelles y a une riviere fort perfonde et courante, qui est la riviere et chemin du royaulme et terre de Saguenay, ainsi que nous a esté dict par noz deux sauvages du pais de Canada. Et est icelle riviere entre haultes montaignes de pierre nue, sans y avoir que peu de terre, et nonobstant y croist grand quantité d’arbres et de plusieurs sortes qui croissent sur la dicte pierre nue comme sur bonne terre, de sorte qui y avons veu arbre suffisant à master navire de trente tonneaulx, aussi vert qu’il soit possible de veoir lequel estoit sur ung rocq sans y avoir aucune saveur de terre, à l’entrée d’icelle riviere trouvasmes quatre barques des sauvages, les quelz venoient vers nous en grand peur et craincte, de sorte qu’il en recueillit une, et lautre approcha pres qu’ilz peurent entendre l’un de noz sauvages, qui se nomma et feist sa congnoissance, et les feist venir seurement.

Le lendemain deuxiesme jour du dict septembre, resortismes hors de la dicte riviere pour faire le chemin vers Canada, et trouvasmes la mares fort courante et dangereuse, parce que devers le Su de la dicte riviere y a deux ysles, A l’entour desquelles, à plus de trois lieues n’y a que deux brasses semees de gros perrons, comme tonneaulz et pippes, et les marees de ce puantes par entre lesdictes ysles, de sorte que cuydasmes y perdre nostre gallyon, sinon le secours de noz barques et à la creste des dictz plateys, y a de perfond trente brasses et plus. Passe ladicte riviere du Saguenay et les dictes ysles, environ cinq lieues vers le Sur Onaist, y a une autre ysle vers le Nort, de laquelle y a de fort haultes terres le travers desquelles cuydasmes poser l’ancre pour estaller l’obbe, et ny peusmes trouver le fonds à six vingtz brasses a ung traict d’arc de terre, de sorte que feusmes contrainctz retourner vers la dicte ysle, ou passames à trente cinq brasses, et beau fondz.

Le lendemain matin feismes voylle, et appareillasmes pour passer oultre, et eusmes congnoissance d’une sorte de poissons, desquelz il n’est memoire d’homme avoir veu n’y ouy : Les dictz poissons sont aussi gros comme marsouyns sans avoir aucun estre, et sont assez faictz par le corps et teste de la facon d’ung levrier, aussi blancs que neige, sans avoir aucune tache : et en y a fort grand nombre dedans la dicte riviere qui vivent entre la mer et l’eaue doulce : Les gens du pais les nomment Adhothuys : et nous ont dict qu’ilz sont fors bons à menger, et nous ont affermè n’y en avoir en tout le dict fleuve que en cest endroict.

Le sixiesme jour dudict moys avec bon vent feismes courir à mont le dict fleuve environ quinze lieues, et vinsmes poser à une ysle qui est bort à la terre du Nort, qui faict une petite baye et couche de terre : à laquelle y a ung nombre inestimable de grandes tortues, qui sont es environs d’icelle ysle, Pareillement par iceulz du pais, se faist es environs de la dicte ysle grand pescherie de Adhothuys. Il y a aussi grant courant es environs de ladicte ysle comme devant Bordeaux de flo, et ebbe. Icelle ysle contient environ trois lieues de long et deux de large : et est une moult bonne terre et grasse, plaine de beaulx et grandz arbres de plusieurs sortes : et entre autres y a plusieurs couldres franches que trouvasmes fort chargees de noisilles aussi grosses et de meilleur saveur que les nostres, mais ung peu plus dures. Et parce la nommasmes l’ysle es Couldres.

Le septiesme jour dudict moys jour nostredame, apres avoir ouy la messe, nous partismes de ladicte ysle pour aller à mont ledict fleuve, et vinsmes à quatorze ysles qui estoient distantes de ladicte ysle es couldres de sept à huict lieues, qui est le commencement de la terre et province de Canada : desquelles en y a une grande qui a environ dix lieues de long et cinq de large, en laquelle y a gens demourrans qui font grand pescherie de tous les poissons qui sont dedans le dict fleuve selon leur saison. Nous estans posez et a l’encre entre icelle grande ysle, et la terre du Nort, alasmes à terre et portasmes les deux sauvaiges que avions prins le precedent voyage :

Et trouvasmes plusieurs gens du pays, lesquelz commencerent à fuyr, et ne vouloient aprocher jusques ad ce que nosdictz deux hommes commencerent à parler, et leur dire qu’ilz estoient Taignoagny et dom Agaya. Et lors qu’ilz eurent congnoissance d’eulx commencerent a demener joye dansans et faisans plusieurs cerimonies ; et vindrent parler des principaulz à noz basteaux, lesquelz nous apportoient force anguilles, et aultres poissons, avec deux ou trois charges de gros mil, qui est le pain de quoy ilz vivent en la dicte terre, et plusieurs gros melons. Et icelle journée vindrent à noz navires plusieurs barques du pays chargées de gens tant hommes que femmes pour veoir et faire chaire à nos dictz deux hommes, les quelz feurent tous bien receuz par nostre cappitaine, qui les festoya de ce qu’il peust, et pour faire sa congnoissance leur donna aucuns petis presens de peu de valleur, de quoy se contenterent fort.

Le lendemain le seigneur de Canada nommé Donnacona en nom, et l’appellent pour seigneur Agouhanna, vint avecques douze barques accompaigné de plusieurs gens davant noz navires. Puis enfeist retirer arriere dix, et vint seulement avec deux à bort desdictz navires, accompaigné de seize hommes, et commenca ledict Agouhanna le travers du plus petit de noz trois navires a faire une predication et preschement à leur mode, en demenant son corps et membres d’une merveilleuse sorte, qui este une cerimonié de joye et asseurance, Et lors qu’il fut arrivé à la nef generalle ou estoient les dictz Taignoagny et son compaignon, parla le dict seigneur à eulx, et eulx à luy, et luy commencerent a compter ce qu’ilz avoient veu en France, et le bon traictement qu’il leur avoit esté faict, dequoy fut fort joyeulx, et pria nostre cappitaine luy bailler ses bras pour les baiser et accoller, qui est leur mode de faire chere en ladicte terre. Lors nostre cappitaine entra en la dicte barque du dict Agouhanna, et commanda apporter pain et vin pour faire boire et menger ledict seigneur et sa bande, ce qui fut faict, dequoy furent fort contens. Et pour lors ne fut aultre present faict audict seigneur attendant lieu et temps. Apres lesquelles choses ainsi faictes, se departirent les ungs des aultres, et prindrent congé, et se retira le dict Agouhanna en ses barques pour se retirer et aller en son lieu. Et feist le dict cappitaine apprester ses barques pour passer oultre, et aller avant le dict fleuve avec le flo, pour cercher hable et lieu de sauveté pour mettre les navires, et feusmes oultre le dict fleuve environ dix lieues coustoyant la dicte ysle. Et au bort d’icelles trouvasmes ung asseurg d’eaulx fort beau et plaisant. Au quel lieu y a une petitie riviere et hable de barre marinant de deux à trois brasses, que trouvasmes lieu à nous propice pour mettre nosdictes navires à sauveté. Nous nommasmes le dict lieu saincte Croix, par ce que le dict jour y arrivasmes. Aupres d’iceluy lieu y a ung peuple, dont est seigneur le dict Donnacona, et y est sa demeurance qui se nomme Stadacone, qui est aussi bonne terre qu’il soit possible de veoir et bien fructiferente, pleine de fort beaulx arbres de la nature et sorte de France. Comme chesnes, ormes, fresnes, noyers, yfz, cedres, vignes, aubespines, qui portent le fruict aussi gros que prunes de damas, et aultres arbres : soubz les quelz croist de aussi beau chanvre que celuy de France, qui vient sans semence ny labour. Apres avoir visite ledict lieu, et trouvé estre convenable, se retira ledict cappitaine, et les aultres dedans les barques pour retourner es navires. Et ainsi que sortismes hors de la dicte riviere trouvasmes au devant de nous l’ung des seigneurs dudict peuple de Stadacone accompaigné de plusieurs gens tant hommes, femmes que enfans : lequel seigneur commenca a faire ung preschement à la facon et mode du pays, qui est de joye et asseurance, et les femmes dansoient et chantoient sans cesse estans en l’eaue jusques es genoulx. Nostre cappitaine voyant leur bonne amour et bon vouloir, feist approcher la barque ou il estoit, et leur donna des cousteaulx, et petites patenostres de voirre, de quoy menerent une merveilleuse joye, de sorte que nous estans departis d’avec eulx distant d’une lieue ou environ, les oyons chanter, danser, et mener joye de nostre benne.


Comme nostre cappitaine retourna es navires et alla veoir l’ysle, la grandeur et nature d’icelle, et comme il feist mener les dictz navires à la rivyere saincte Croix.



APres que nous feusmes arrivez avec noz barques ausdictz navires et retournez de la rivyere saincte Croix, le cappitaine Hinanda apprester lesdictes barques pour aller à terre à la dicte ysle veoir les arbres qui sembloient fort beaulx a veoir, et la nature de la terre d’icelle ysle. Ce que fut faict, et nous estans à ladicte ysle la trouvasmes plaine de fors beaulx arbres de la sorte des nostres. Et pareillement y trouvasmes force vignes, ce que n’avyons veu par cy devant à toute la terre, et par ce la nommasmes l’ysle de Bacchus. Icelle ysle tient de longueur environ douze lieues, et est fort belle terre a veoir, mais est plaine de boys sans y avoir aucun labouraige, fors qu’il y a aucunes petites maisons ou ilz font pescherie, comme par cy devant est faicte mention.

Le lendemain partismes avec nosdictz navires pour les mener audict lieu de saincte Croix, et y arrivasmes le .14. dudict moys. Et vindrent au devant de nous lesdictz Donnacona Taignoagny et Dom agaya avec vingt cinq barques chargez de gens qui venoient dudict lieu dont estions partis, et alloient audict Stadacone ou est leur demourance, et vindrent tous a noz navires faisans plusieurs signes de joye, fors noz deux hommes que avions apportez, Scavoir Thaignoagny et Dom agaya, lesquelz estoient tous changez de propos, et de couraiges, et ne vouloient entrer dedens nos dictz navires, nonobstant qu’ilz en feussent plusieurs fois priez : dequoy eusmes aucune deffiance d’eulx. Le cappitaine leur demanda s’ilz vouloient aller comme ilz luy avoient promis avec lui à Hochelaga, et ilz respondirent que oy : et qu’ilz estoient deliberez y aller : lors chascun se retira.

Le lendemain .15. ledict cappitaine feust à terre avec plusieurs pour faire planter ballises et merches pour plus seurement mettre les navires à sauveté. Auquel lieu se rendirent au-devant de nous plusieurs gens du pays et entre aultre le dict Donnacona noz deux hommes et leur bande, lesquelz se tindrent apart soubz une poincte de terre qui est sur le bort d’ung fleuve, sans ce que aucun d’eulx vint environ nous, comme les aultres qui n’estoient de leur bande faisoient. Apres que le cappitaine fut adverty qu’ilz y estoient, commanda à partie de ses gens aller avecques luy, et furent vers eulx soubz ladicte pointe, et trouverent les dictz Donnacona, Taignoagny, Dom agaya et plusieurs aultres : et apres se estre entre saluez, se avanca ledict Taignoagny de parler, et dit à nostre cappitaine que ledict seigneur Donnacona estoit marry, dont ledict cappitaine et ses gens portoient tant de bastons de guerre, par ce que de leur part n’en portoient nulz. A quoy leur respondist ledict cappitaine que pour leur marrisson ne laisseront a les porter, et que c’estoit la coustume de France, et qu’il le scavoit bien, mais pour toutes leurs parolles ne laisserent le dict cappitaine et Donnacona a faire grand chere ensemble. Lors aperceusmes que ce que disoit le Taignoagny ne venoit que de luy et son compaignon. Et avant de partir dudict lieu, lesdictz Donnacona et cappitaine feirent une asseurance de sorte merveilleuse, car tout le peuple dudict seigneur Donnacona gecterent et feirent trois cris à plaine voix, que cestoit chose horrible a ouyr, et a tant prindrent congié les ungs des aultres, et nous retirasmes à bort pour celuy jour, et le lendemain .16. dudict moys nous meismes les deux plus grandz navires dedens ledict hable et riviere, ou il y a de plaine mer trois brasses et de bas d’eaue demy brasse, et fut laisse le gallyon dedens la radde pour mener au dict Hochelaga. Et tout incontinent que lesdictes navires furent audict hable et asseur, se trouverent devant les dictes navires Donnacona, Taignoagny, Domagaya, et plus de cinq cens persones hommes, femmes, que petis enfans, et entra ledict seigneur avec dix ou douze des plus grandz personnaiges du pays, lesquelz furent par ledict cappitaine et autres festoyes, et leur fut donné aucuns petis presens, et fut par Taignoagny dict à nostre cappitaine, que ledict seigneur estoit marry dont il alloit à Hochelaga, et que ledict seigneur ne vouloit que luy que parloit y allast par ce que la riviere ne valloit riens, et leur fust respondu par ledict cappitaine que pour tout ce ne laisseroit y aller s’il luy estoit possible ; par ce qu’il avoit commandement du roy son maistre de aller le plus avant qu’il pourroit : mais si le dict Taignoagny y voulant aller comme il avoit promis, qu’on luy feroit present, dequoy il seroit content et grand chere, et qu’ilz ne feroient que aller et venir seulement audict Hochelaga, puis retourner. A quoy respondist le dit Taignoagny, qu’il n’y yroit point. Lors se retirerent a leurs maisons. Et le lendemain .17. dudict moys, le dict Donnacona et les aultres revindrent comme devant, et apporterent force anguilles et aultres poissons, dequoy se faict grand pescherie audict fleuve, comme sera cy apres dict. Lors qu’ilz furent arrivez devant lesdictes navires, commencerent a chanter et danser comme avoient de coustume. Et apres qu’ilz eurent ce faict, feict ledict Donnacona mettre tous ses gens d’ung costé, et feist ung cerne sur le sable, et y feist mettre nostre cappitaine et ses gens : et lors commenca une harengue, tenant une fille d’environ l’aage de dix à douze ans en l’une de ses mains, puis la vint presenter à nostre cappitaine, et tout incontinent tous les gens dudict seigneur se prindrent a faire trois criz et hurlemens en signe de joye et alliance. Puis de rechef presenta deux petis garsons de moindre aage l’un apres l’aultre, desquelz feirent telz criz et cerimonies que devant. Duquel present ainsi faict par le dict seigneur fut par nostre cappitaine remercié. Lors Taignoagny dist au cappitaine que la fille estoit la propre fille de la seur dudict seigneur, et l’ung des garsons frere de luy qui parloit, Et qu’on les luy donnoit sur l’intention qu’il n’allast point à Hochelaga. A quoy luy respondist nostre cappitaine, que si on les luy avoit donnez sur ceste intention, que on les reprint, et que pour riens ne laisseroit y aller par ce qu’il avoit commandement de ce faire. Sur les quelles parolles Dom agaya compaignon dudict Taignoagny, dict audict cappitaine que ledict seigneur luy avoit donné les dictz enfans par bonne amour, et en signe d’asseurance, et qu’il estoit content aller avec luy audict Hochelaga, de quoy eurent grosses parolles lesdictz Taignoagny et Dom agaya. Lors aperceusmes que ledict Taignoagny ne valloit riens, et qu’il ne songeoit que trahison et malice tant par ce que aultres mauvais tours que luy avions veu faire. Et sur ce ledict cappitaine feist mettre lesdictz enfans dedans les navires, et feist apporter deux espées, ung grand bassin d’arain plain, et ung ouvré pour laver mains, et en feist present audict Donnacona, lequel fort s’en contenta et remercia nostre cappitaine, Et commanda ledict Donnacona a tous ses gens chanter et danser, et pria ledict Donnacona nostre cappitaine faire tirer une piece d’artillerie, par ce que lesdictz Taignoagny et Dom agaya lui en avoient faict feste, et aussi que jamais n’en avoient veu, ny ouy. A quoy le cappitaine respondist qu’il le vouloit bien, et commanda que on tirast une douzaine de barges avec leurs boulletz le travers du boys qui estoit jouxte lesdictes navires et gens. Dequoy furent tous si estonnez qu’ilz pensoient que le ciel feust cheu sur eulx, et se prindrent a hucher et hurler si tres fort, que sembloit que enfer y feust vuide, et davant qu’ilz se retirassent, le dict Taignoagny feist dire par interposés personnes, que les compaignons du gallyon, lequel estoit demouré à la radde, avoient tué deux de leurs gens de coups d’artillerie : dont tous se retirerent à grand haste, ainsi que si les eussions voulu tuer. Ce que ne se trouva verité : car durant ledict jour ne fut dudict gallyon tiré artillerie.


Comment lesdictz Donnacona, Taignoagny, et aultres songerent une finesse, et feirent habiller trois hommes en guise de diables, faignans estre venuz de par Cudriagny leur dieu pour nous empescher d’aller audict Hochelaga.
LE lendemain 18 dudict moys pour nous cuyder tousjours empescher d’aller à Hochelaga, songerent une grand finesse qui feust telle, ilz habillerent trois hommes en la facon de trois diables, lesquelz avoient cornes aussi longues que le bras, et estoient vestus de peaulx de chien noirs et blancs. Et avoient le visaige painct aussi noir que charbon, et les feirent mettre dedans une de leurs barques à nostre non sceu ; et leur bande vint comme ilz avoient de coustume au prez de noz navires, lesquelz se tindrent dedans le boys sans apparoistre environ deux heures, attendant que l’heure et marée fut venue pour l’arrivée de la dicte barque, à la quelle heure sortirent tous du boys, et se presenterent devant lesdictes navires sans eulx approcher ainsi qu’ilz souloient faire, et commence le dict Taignoagny a saluer nostre cappitaine qui luy demanda s’il vouloit le bateau, lequel luy respondist que non pour l’heure, mais que tantost il entreroit dedans lesdictes navires et incontinent arriva ladicte barque ou estoient lesdictz trois hommes apparoissant estre trois diables ayans de grandz cornes sur leurs testes, et faisoit celuy du milieu ung merveilleux sermon en venant : lesquelz passerent le long de noz navires avec leur dicte barque, sans aucunement tourner leur veue vers nous, et allerent assener et donner en terre avec leur dicte barque, et tout incontinent ledict seigneur Donnacona et ses gens prindrent ladicte barque et lesditz trois hommes, lesquelz s’estoient laissé cheoir au fondz d’icelle comme gens mortz, et porterent le tout ensemble dedans le boys qui estoit distant d’ung gect de pierre, et ne demoura une seulle personne devant nosdictes navires que tous ne se retirassent dedans ledict boys, et eulx estans audict boys commencerent une predication et preschement que nous oyons de noz navires qui dura environ demye heure. Apres laquelle sortirent les dictz Taignoagny et Dom agaya marchans ver nous, ayans les mains joinctes, et leurs chappeaulx soubz leurs coddes, faisans une grande admiration. Et commenca le dict Taignoagny a dire, et proferer par trois Jesus, Jesus, Jesus levant les yeulx vers le ciel, puis Dom agaya commenca a dire Jesus Maria. Jacques Cartier regardant vers le ciel comme l’aultre. Le cappitaine voyant leurs mines et cerimonies, leur commenca a demander qu’il y avoit, et que c’estoit que estoit survenu de nouveau, Lesquelz respondirent qu’il y avoit de piteuses nouvelles, en disant, nenny, est il bon. Et ledict cappitaine leur demanda de rechef que c’estoit : et ilz repondirent, que leur dieu nome mé Cudragny avoit parlé à Hochelaga, et que les trois hommes devant dictz estoient venus de par luy leur annoncer les nouvelles, qu’il y avoit tant de glaces et de neiges qu’ilz mouroient tous. Desquelles parolles nous prinsmes tous a rire, et leur dire que leur dieu Cudragny n’estoit que ung sot, et qu’il ne scavoit qu’il disoit, et qu’ilz le disent à ses messagiers, et que Jesus les garderoit bien de froid s’ilz luy vouloient croire. Lors dedict Taignoagny et son compaignon, demanderent audict cappitaine s’il avoit parlé à Jesus, et il respondist que ses prebstres y avoient parlé, et qu’il feroit beau temps. Desquelles parolles remercierent le dict cappitaine, et se retirent dedans le boys dire les nouvelles aux aultres, qui sortirent dudict boys tout incontinent faignans estre joyeulx desdictes parolles par ledict cappitaine ainsi dictes. Et pour monstrer qu’ilz en estoient joyeulx, tout incontinent qu’ilz furent devant les navires commencerent d’une commune voix a faire trois criz et hurlemens, qui est leur signe de joye, et se prindrent a danser et chanter, comme avoient de coustume : mais pour resolution lesdictz Taignoagny et Dom agaya dirent à nostre dict cappitaine, que le dict seigneur Donnacona ne vouloit point que nul d’eulx allast à Hochelaga avec luy. S’il ne bailloit plege qui demourast à terre avec ledict Donnacona. Le cappitaine leur respondist que s’ilz n’estoient deliberez y aller de bon couraige qu’ilz demourassent, et que par eulx ne laisseroit mettre paine y aller.


Comment nostre cappitaine et tous les gentilz hommes avec cinquante hommes mariniers partirent de la province de Canada avec le gallyon, et les deux barques, pour aller à Hochelaga, et de ce que fut veu entre deux sur ledict fleuve.


Le lendemain 19 jour dudict moys de Septembre, nous appareillasmes et feismes voylle avec le dict gallyon et les deux barques, pour aller avec la marée amont ledict fleuve, ou trouvasmes à veoir des deux costez d’icelluy les plus belles et meilleures terres, qu’il soit possible de veoir. Aussi vives que l’eaue plaine des beaulx arbres du monde : et tant de vignes chargez de raisins le long dudict fleuve, qu’il semble mieulx qu’elles ayent esté plantez de main d’homme que aultrement : mais par ce qu’elles ne sont cultivez ne taillez, ne sont les raisins si groz et si doulx que les nostres : pareillement trouvasmes beaucoup de maisons sur ledict fleuve, lesquelles sont habitees de gens qui font grande pescherie de tous poissons : lesquelles gens venoient à noz navires d’aussi grand amour et privaulté, que si eussions esté du pays, Nous apportant force poisson, et de ce qu’ilz avoient pour avoir de nostre marchandise tendans les mains au ciel, et faisans plusieurs signes de joye. Et nous estans posez environ ving cinq lieues de Canada en ung lieu nommé Ochelay, qui est ung destroict dudict fleuve fort courant et dangereux, tant de pierres que d’aultres choses vindrent plusieurs barques à bort. Et entre aultres, y vint ung grand seigneur du pays, lequel faisoit un grand sermon en venant et arrivant à bort, monstrant par signes evidens avec les mains et aultres cerimonies, que le dict fleuve estoit ung peu plus avant fort dangereux, nous advertissant de nous en donner garde. Et presenta celuy seigneur au cappitaine deux de ses enfans, desquelz le cappitaine print une fille de l’aage d’environ sept a huict ans, et reffusant ung garson de deux ou trois ans, par ce qu’il estoit trop petit, Le dict cappitaine festoya le dict seigneur et sa bande de ce qu’il peust, et luy donna aucun petit présent : puis s’en allerent à terre, Et depuis sont venus celuy seigneur et sa femme veoir leur fille jusques à Canada, et apporter aucun present au cappitaine, Depuis le 19e jour jusques au 28, dudict moys nous avons esté navigans a mont ledict fleuve sans perdre heure ny jour, durand lequel temps avons veu et trouvé d’aussi beau pays et terres aussi unyes que l’on scauroit desirer, plaine comme dict est des beaulx arbres du monde, scavoir chesnes, hormes, noyers, cedres, pruches, fresnes, briez, sandres, oziers, et force vignes. Lesquelles avoient si grand habondance de raisins, que les compaignons en venoient chargez à bort. Il y a seulement force grues, signes, oultardes, oyes, cannes, allouettes, faisans, perdrix, merles, mauvis, teurtres, chardonnereulx, serins, roussignolz, passes solitaires, et aultres oyseaulx, comme en France, et en grand habondance.

Ledict 18e jour de septembre nous arrivasmes en ung grand lac et playne dudict fleuve, large d’environ cinq ou six lieues, et douze de long, Et navigasmes celluy jour amont sans y trouver partout icelluy que deux brasses de parfond esgallement sans haulser ny baisser. Et nous arrivans a l’ung des boutz dudict lac, ne nous apparoissoit aucun passaige n’y ſortye : Ains sembloit icelluy estre tout cloz sans aucune riviere, et ne trouvasmes audict bout que brasse et demie, dont nous convint poser et mettre l’ancre hors, et aller chercher passage avec les barques : et trouvasmes qu’il y a quatre ou cinq rivieres toutes sortantes dudict fleuve en icelluy lac, et venant dudict Hochelaga : mais en icelluy ainsi sortantes, y a barres et traverses faictes par le cours de l’eaue, ou il n’y avoit pour lors que une brasse : Et lesdictes barres passees y a quatre ou cinq brasses, qui estoit le temps des plus petites eaues de lannée, ainsi que nous vinsmes par les flotz des dictes eaues qu’elles croissent de plus de trois brasses de pic, toutes icelles rivieres circuysent et environnent cinq ou six belles ysles, qui sont le bout dudict lac : puis se rassemblent environ quinze lieues à mond toutes en une. Celuy jour feusmes à l’une d’icelles, ou trouvasmes cinq hommes qui prenoient des bestes sauvaiges : lesquels vindrent aussi privement à noz barques, que s’ilz nous eussent veu toute leur vie sans avoir peur ne craincte, et nosdictes barques arrivez à terre, l’un d’iceulx hommes print nostre cappitaine entre ses bras, et le porta à terre aussy legierement que sy feust esté ung enfant de cinq ans, tant estoit icelluy homme grand et fort. Nous leur trouvasmes ung grand mouceau de raz sauvaiges : lesquelz vivent en l’aue, et sont gros comme connyns, et bons à merveilles. Desquelz feirent present à nostre cappitaine, qui leur donna des couteaulx, et patenostres pour recompence. Nous leur demandasmes par signe, si c’estoit le chemin de Hochelaga : Ilz nous monstrerent que ouy, et qu’il y avoit encores trois journees à y aller.


Comment le cappitaine feist accoustrer les barques pour aller audict Hochelaga, et laisserent le gallyon pour la difficulté du passaige : et comment nous arrivasmes audit Hochelaga, et le racueil que le peuple nous feist à nostre arrivée.

Le lendemain nostre cappitaine voyant qu’il n’estoit possible povoyr pour lors passer le dict gallyon, feist advictailler et accoustrer les barques, et mettre victuailles pour le plus de temps qu’il feust possible, et que lesdictes barques en peurent accueillir, et se partit avecques icelle accompaigné des gentilz hommes : scavoir Claude du pont grand echanson de monseigneur le Dauphin. Charles de la Pommeraye, Jehan gouion, Jehan poullet, avec vingt huict marinyers, y comprins Mace jallobert et Guillaume le breton, ayans la charge soubz le cappitaine des deux autres navires, pour aller amond ledict fleuve, au plus loing qu’il nous seroit possible. Et navigasmes de temps à gré jusques au dixneufiesme jour d’Octobre, que nous arrivasmes audict Hochelaga, qui est distant d’ou estoit demouré ledict gallyon, de quarante cinq lieues. Auquel et chemin faisant trouvasmes plusieurs gens du pays, lesquelz nous apportoient du poisson et aultres victuailles, dansans et menans grand joye de nostre venue. Et pour les atraire et tenir en amytié avec nous, leur donnait ledict cappitaine pour recompence, des couteaulx, patenostres et autres menues choses, dequoy estoient fort contens. Et nous arrivez audict Hochelaga, Se rendirent au devant de nous plus de mil personnes, tant hommes femmes que enfans ; Lesquelz nous feirent aussy bon racueil, que jamais pere feist à enfant, menant joye merveilleuse : Car les hommes en une bande dansoyent. Les femmes d’aultre et les enfans de l’autre : et apres ce nous apporterent force poisson, et de leur pain faict de gros mil, qui gettoient dedans nosdictes barques, en force qu’il sembloit qu’il tumbast de l’aer, voyant ce, nostre dict cappitaine descendit à terre avec plusieurs de ses gens. Et si tost qu’il fut descendu, se assemblerent tous sur luy, et sur tous les autres, en faisant une chaire inestimable ; Et apportoient leurs enfans à brasees pour les faire toucher audict cappitaine et autres, faisant une feste, qui dura plus de demye heure, Et voyant nostre cappitaine leur largesse et bon recueil, feist asseoir et renger toutes les femmes, et leur donna des petites patenostres d’estain et aultres menues choses : et à partye des hommes des cousteaulx, puis se retira à bort des barques pour souper et passer la nuict : durant laquelle demoura icelluy peuple sur le bort dudict fleuve a plus pres desdictes barques, faisant toute nuict plusieurs feux et danses, en disant à toutes heures Aguyaze, qui est leur dire de salut et joye.

Comment le cappitaine et les gentilz hommes avec vingt cinq hommes bien armez et en bon ordre, allerent en la ville de Hochelaga et la situacion dudict lieu.


Le lendemain au plus matin le cappitaine s’acoustra et feist mettre ses gens en ordre pour aller veoir la ville et demourant dudict peuple, et une montaigne qui est jacente en leur dicte ville : ou allerent avec le dict cappitaine les gentilz hommes et vingt marinyers, et laissa le parsus pour la garde des barques, et print trois hommes de la dicte ville de Hochelaga pour les mener et conduyre audict lieu, et nous estans en chemin, le trouvasmes aussi battu qu’il soit possible, et plus belle terre et meilleure qu’on scaurait veoir, toute plaine de chesnes aussy beaulx qu’il ayt en forest de France : Soubz lesquelz estoit toute le terre couverte de glan. Et nous ayans marché environ lieue et demye trouvasmes sur le chemin, l’un des principaulx seigneurs de la dicte ville, accompaigné de plusieurs personnes : lequel nous feist signe qu’il se falloit reposer audict lieu pres ung feu qu’ilz avoient faict audict chemin. Ce que feismes, lors commenca ledict sei gneur à faire ung sermon et preschement, comme cy devant est dict estre leur coustume de faire joye et congnoissance, en faisant celluy seigneur chere audict cappitaine et la compaignie, lequel cappitaine luy donna une couple de haches, et une couple de cousteaulx, avec une croix, qu’il luy feist baiser, et la luy pendit au col : de quoy rendit graces audict cappitaine. Ce faict marchasmes plus oultre : et environ demye lieue de là, commencasmes à trouver les terres labourées et belles grandes champaignes plaines de bledz de leur terre, qui est comme mil de bresil, aussy gros ou plus que poix, dequoy vivent ainsi, comme nous faisons de fourment : et au parmy d’icelles champaignes est situee la ville de Hochelaga, pres et joignant une montaigne qui est à lentour d’icelle, labourée et fort fertile : de dessus laquelle on veoit fort loing. Nous nommasmes la dicte montaigne le mont Royal. La dicte ville est toute ronde, et close de boys à trois rencqs, en facon d’une piramide, croisée par le hault, ayant la rengée du parmy en facon de ligne perpendiculaire : puis rengée de boys couchez de long, bien joinctz et cousus à leur mode : Et est de haulteurs environ deux lances, n’y a en icelle ville que une porte et entrée, qui ferme à barres. Sur laquelle et en plusieurs endroictz de ladicte closture, y a manieres de galleries, et eschelles à y monter qui sont garnis de roches et chaillouz. Pour la garde et deffence d’icelle, il y a dedans icelle ville, environ cinquante maisons longues d’environ cinquante pas ou plus chascune, et douze ou quinze pas de larges, et toutes faictes de boys couvertes et garnyes de grandes escorces et pelleures desdictz boys aussy large que tables, bien cousus artificiellement selon leur mode : et par dedans icelles y a plusieurs estres et chambres : Et au meilleu d’icelles maisons y a une grande place par terre ou font leur feu, y vivent en communaulté, puis se retirent en leur dictes chambres les hommes avecques leurs femmes et enfans. Pareillement ilz ont grenyers au hault de leurs maisons, ou ilz mettent leur bled dequoy font leur pain, qu’ilz appellent Carraconny, Et le font en la sorte cy apres : Ilz ont des pilles de boys comme a piller chanure, et bastent avec pillons de boys le dict bled en pouldre, puis le massent en paste, et en font tourteaulx qu’ilz metent sur une pierre large qui est chaulde, puis le couvrent de cailloudz chauldz. Et ainsi cuysent leur pain en lieu de four. Ilz fond pareillement force potaiges dudict bled et de febves et poix, desquelz ilz ont assez et aussy grosses concombres et aultres fruictz. Ilz ont de grandz vaisseaulx comme thonnes en leurs maisons ou ilz mettent leur poisson, lequel ilz sechent à la fumée durant l’esté et en vivent l’yver : Et de ce font grant amas comme avons veu par experience. Tout leur vivre est sans aucun goust de sel : Et couchent sur escorces de boys estandues sur la terre avec meschantes peaulx de bestes sauvaiges, dequoy font leur vestement et couverture. La plus precieuse chose qu’ilz ayent en ce monde, est Esurgny, lequel est blanc comme neif, et le prennent audit fleuve en cornibotz en la maniere qui ensuyt. Quand ung homme a desservi mort, ou qu’ilz ont prins aucuns ennemys à la guerre ilz le tuent, puis l’incisent par les fessens, cuysses, et espaulles à grandes taillades puis au lieu ou est ledict Esurgny, avallent ledict corps au fond de l’eaue et le laissent dix ou douze heures, puis le retirent à mont et treuvent dedans lesdictes taillades et inciseures lesdictz cornibotz, desquelz ilz font manieres de patenostre, et de ce usent comme nous faisons d’or et d’argent, et le tiennent la plus precieuse chose du monde. Il a vertu d’estancher le sang des nazilles : car nous l’avons experimenté. Tout cedict peuple ne s’adonne que à labourage et pescherie pour vivre : Car des biens de ce monde n’en font compte, parce qu’ilz n’en ont congnoissance, et qu’ilz ne bougent de leur pais, et ne sont ambulataires comme ceulx de Canada, et du Saguenay, nonobstant que lesdictz Canadiens leur soyent subgectz avec huict ou neuf autres peuples, qui sont sur ledict fleuve.


Comment nous arrivasmes à ladicte ville, et de la reception que nous y fut faicte, et comme le cappitaine leur feist des presens : et aultres choses comme sera veu en ce chapitre.

Apres que feusmes arrivez au pres d’icelle ville, se rendirent au devant de nous grand nombre des habitans d’icelle, qui à leur facon de faire nous feirent bon racueil : et par noz guydes et conducteurs feusmes menez au meilleu d’icelle ville, ou il y a une place entre les maisons, spacieuse d’ung gect de pierre en carré ou environ : lesquelz nous feirent signe que nous arrestions audict lieu. Et tout soudain s’assemblerent les filles et femmes de ladicte ville, dont l’une partye estoient chargez d’enfans entre les bras, et qui nous vindrent frotter le visaige, bras et autres endroictz de dessus le corps ou ilz pouvoient toucher, pleurant de joye de nous veoir, en nous faisant le meilleure chere qu’il leur estoit possible, nous faisans signes qu’il nous pleust toucher à leursdictz enfans. Apres lesquelles choses les hommes feirent retirer les femmes et se assirent sur la terre à lentour de nous, comme sy eussions voulu jouer un mystere. Et tout soudain revindrent plusieurs femmes, qui apporterent chascun une natte carrée en façon de tapisserie : Et les estendirent sur la terre au milleu de ladicte place, et nous feirent mettre sur icelles, Apres lesquelles choses ainsy faictes, fut apportée par neuf ou dix hommes le Roy et seigneur du pays qu’ils appellent en leur langaige Agouhanna, lequel estoit assis sur une grande peau de Cerf, et le vindrent poser dedans ladicte place sur lesdictes nattes au pres de nostre cappitaine, nous faisant signe que cestoit leur Roy et seigneur. Cestuy Agouhanna estoit de l’aage environ cinquante ans, et estoit point myeulx accoustré que les aultres, fors qu’il avoit à lencontre de sa teste, une maniere de lysiere rouge pour sa couronne, faicte de poil de Herissons. Et estoit celluy seigneur tout percluz de ses membres. Apres qu’ilz eust faict son signe de salut audict cappitaine et à ses gens, leurs faisant signes evidens, qu’ilz feus sent les tres bien venuz : Il montra ses bras et jambes audict cappitaine, luy faisant signe qu’il luy pleust les toucher : lequel cappitaine les frota avecques les mains. Et lors ledict Agouhanna print la lysiere et couronne qu’il avoit sur sa teste, et la donna a nostre cappitaine. Et tout incontinent furent amenez audict cappitaine plusieurs malades, comme aveugles, borgnes, boisteulx, impotens, et gens sy tresvieulx, que les paupieres des yeulx leur pendoyent jusques sur les joues : les seant et couchant au pres de nostre dict cappitaine, pour les toucher : Tellement qu’il sembloit que Dieu feust la descendu pour les guerir.

Notre dict cappitaine voyant la pitié et foy de cedict peuple, dist l’evangile Sainct Jehan : scavoir l’imprincipio, faisant le signe de la croix sur les povres malades, priant Dieu qu’il leur donnast congnoissance de nostre saincte foy, et grace de recouvrer chrestienté et baptesme. Puis le dict cappitaine print une paires d’heures et tout haultement leut de mot à mot la passion de nostre seigneur. Sy que tous les assistans le peurent ouyr, ou tout ce pauvre peuple feirent une grand silence et feurent merveilleusement bien entendibles, regardans le ciel et faisans pareilles cerimonyes qu’ilz nous veoient faire. Apres laquelle feist le cappitaine renger tous les hommes d’ung coste, les femmes d’ung autre, et les enfans d’aultre, et donna aux principaulx des hachotz, es aultres des couteaulx et es femmes des patenostres, et autres menues besongnes puis gecta parmy la place entre les petis enfans des petites bagues, et agnus dei d’estain, dequoy menerent une merveilleuse joye. Ce faict ledict cappitaine commanda sonner les trompettes et aultres instrumens de musique : desquelz ledict peuple fut fort resjouy. Apres lesquelles choses nous prinsmes congié d’eulx et nous retirasmes, voyant ce les femmes se mirent au devant de nous pour nous arrester, et nous apportoient de leurs vivres, qu’ilz nous avoient apprestez, Comme poisson, potages, febves et autres choses pour nous cuyder faire repaistre et disner audict lieu ; et pource que leurs vivres n’estoient à nostre goust, et qu’il n’y avoit aucune saveur, les remerciasmes, leur faisant signe que n’avions besoing de manger.

Apres que nous feusmes yssuz de ladicte ville, plusieurs hommes et femmes nous vindrent conduyre sur la montaigne cy devant dicte, qui est par nous nommée, Mont royal, distant dudict lieu d’ung quart de lieues. Et nous estans sur icelle montaigne eusmes veue et congnoissance de plus de trente lieues à lenviron d’icelle : y a vers le Nort, une rengée de montaignes, qui sont Est et Onaist, gisantes, et autant devers le Su. Entre lesquelles montaignes est la terre la plus belle qu’il est possible de veoir, unye, plaine, et labourable : et par le meilleu desdictes terres voyons le dict fleuve oultre le lieu ou estoient demourees noz barques : auquel va ung sault d’aue le plus impetueulx qu’il est possible de veoir : lequel ne nous fut possible passer, tant que l’on povoit regarder grand, large et spacieulx, qui alloit au Sur Onaist : et passoit aupres de trois belles montaignes rondes, que nous voyons, et estimyons qu’elles estoient environ quinze lieues de nous : et nous fut dict et monstre par signes par nosdictz trois hommes du pais qui nous avoient conduict, qu’il y avoit trois telz saulx d’aue audict fleuve, comme celuy ou estoient nosdictes barques, mais nous ne peusmes entendre quelle distance il y avoit entre l’un et l’autre par faulte de langue : puis nous monstroient par signes que lesdiz saulx passez, l’on pouvoit naviguer, plus de trois lieues par ledict fleuve. Et oultre nous monstroient que le long desdictes montaignes estant vers le Nort, y a une grande riviere, qui descend de l’occident comme ledict fleuve : Nous estimions que c’est la riviere qui passe par le royaulme du Saguenay, et sans que leur feissions aucune demande et signes, prindrent la chaine du sifflet du cappitaine qui estoit d’argent et ung manche de poignard, lequel estoit de laton jaulne comme or : lequel pendoit au costé de l’ung de noz compaignons marinyers, et montrerent que cela venoit d’amond ledict fleuve, et qu’il y a des Agouionda, qui est à dire mauvaises gens : lesquelz sont armez jusques sur les doigtz, nous monstrant la facon de leur armeures, qui sont de cordes et de boys, lassez et tissues ensemble, nous donnant à entendre que lesdictz Agouionda menoient la guerre continuelle, les ungs contre les autres : mais par deffaulte de langue ne peusmes avoir congnoissance combien il y avoit jusques audict pays. Nostre cappitaine leur monstra du cuyvre rouge, qu’ilz appellent caignetdaze, leur monstrant vers ledict lieu, demandant par signe s’il venait de là et ilz commencerent à secourre la teste disant que non. Et monstrerent qu’il venoit du Saguenay, qui est au contraire du precedent : Apres lesquelles choses ainsi veues et entendues, nous retirasmes à noz barques, qui ne fut sans avoir conduicte de grand nom bre dudict peuple. Dont partie d’eulx quand veoyent noz gens las, les chargeoient sur eulx comme sur chevaulx, et les portoient : Et nous arrivez à nosdictes barques feismes voylle pour retourner à nostre gallyon, pour doubte qu’il n’eust aucun encombrier. Lequel partement ne feust sans grand regret dudict peuple : Car tant qu’ilz nous peurent suyvre aval ledict fleuve, ilz nous suyvirent, et tant feismes que nous arrivasmes à nostredict gallyon le lundy quatriesme jour d’octobre.

Le Mardy 5e jour dudict moys, nous feismes voylle et appareillasmes avec nostre dict gallyon et barques pour retourner à la province de Canada au port de saincte Croix, ou estoient demourez nosdictes navires. Et le 7e jour nous vinsmes poser le travers d’une rivière qui vient devers le Nort, sortant audict fleuve : à l’entrée de laquelle y a quatre petites ysles plaines d’arbres : nous nommasmes icelle riviere la riviere de Fouez. Et pource que l’une d’icelles ysles s’avance audict fleuve, et la veoit on de loing, feist le cappitaine planter une belle grande croix sur la poincte d’icelle, et commanda apprester les barques pour aller avec marée, dedans icelle, pour veoir la nature d’icelle : ce qu’il fut faict, et nagerent celuy jour amond ladicte riviere. Et parce qu’elle fut trou vée de nulle experience n’y perfonde retournerent et appareillasmes pour aller aval.


Comment nous arrivasmes audict hable de saincte Croix, et l’ordre comme nous trouvasmes noz navires, et comme le seigneur du pays veint veoir nostre cappitaine, et comme le dict cappitaine l’alla veoir, et partie de leur coustume en particulier.


Le lundi unziesme jour d’Octobre nous arrivasmes audict hable saincte Croix ou estoient noz navires, et trouvasmes que les maistres et mariniers qui estoient demourez, avoient faict ung fort davant lesdictes navires, tout cloz de grosses pieces de boys, plantez debout joignans les unes et autres : et tout à lentour garny d’artillerie, et bien en ordre pour soy deffendre contre toute la puissance du pais. Et tout incontinent que le seigneur du pais fut adverty de nostre venue, veint le lendemain douziesme jour dudict moys, accompaigne de Taignoagny, Dom agaya et plusieurs autres : lesquelz feirent une merveilleuse feste à nostre cappitaine, faignans avoir grand joye de nostre venue : lequel leur feist assez bon racueil, toutes foys qu’ilz ne l’avoient pas desservi. Ledict Donnacona pria nostre cappitaine de aller le lendemain veoir Canada, Ce que luy promist le dict cappitaine. Et le lendemain, 13e jour du dict moys, ledict cappitaine avecques ses gentilz hommes accompaigne de cinquante compaignons bien en ordre, allerent veoir ledict Donnacona et son peuple, qui est distant dou estoient lesdictes navires d’une lieue : et se nomme leur demourance Stadacone, Et nous arrivez audict lieu, vindrent les habitans au devant de nous loing de leurs maisons d’ung gect de pierre ou mieulx. Et la se rengerent, et assirent à leur mode, et facon de faire : les hommes d’une part, et les femmes de l’autre debout chantant et dansant sans cesse, Et apres qu’ilz s’entre furent saluez et faict chere les ungs aux aultres, ledict cappitaine donna aux hommes des cousteaulx et autres choses de peu de valleur, et feist passer toutes les femmes et filles par devant luy, et leur donna à chascun une bague d’estain, dequoy remercierent le dict cappitaine, lequel fut par ledict Donnacona et Taignoagny mené veoir leurs maisons, les quelles estoient bien estaurez de vivres selon leur sorte, pour passer leur yves, et nous fut par ledict Donnacona monstré les peaulx de cinq testes d’homme, estandues sur du boys, comme paulx de parchemin. Lequel Donnacona nous dist que c’estoient des Trudamans devers le Su, que leur menoient continuellement la guerre, et fut dict qu’il y a eu deux ans passez que les dictz Trudamans les vindrent assaillir jusques dedans ledict fleuve, à une ysle qui est le travers du Saguenay, ou ilz estoient a passer la nuict tendans aller à Honguedo leur mener la guerre, avec environ deux cens personnes tant hommes femmes qu’enfans. Lesquelz furent surprins en dormant dedans ung fort, qu’ilz avoient faict, ou misrent lesdictz Trudamans le feu tout à l’entour et comme ilz sortoient les tuerent tous reservé cinq qui eschapperent. De laquelle destrousse se plaignoient encores fort, nous monstrant qu’ilz en auroient vengeance. Apres lesquelles choses, nous reterasmes à noz navires.


De la facon de vivre du peuple de la dicte terre, et de certaines conditions creance et facon de faire qu’ilz ont.

Cedict peuple n’a aucune creance de Dieu, car ilz croient a ung qu’ilz appellent Cudragny, et disent qu’ilz parlent souvent à eulx et leur dict le temps qu’il doibt faire. Ilz disent aussi quand il se cou rouce à eulx, qu’il leur gecte de la terre aux yeulx. Ilz croyent aussi quand ilz tespassent, qu’ilz vont es estoilles, puis viennent baissans en lorrizon comme les dictes estoilles. Et s’envont en beaulx champs, vers plains de beaulx arbres, fleurs et fruictz sumptueux. Apres qu’ilz nous eurent donné le tout a entendre, nous leur avons remonstré leur erreur, et dict que leur Cudragny est ung mauvais esperit, qui les abuse et dict qu’il n’est que ung Dieu, qui est au ciel, lequel nous donne toutes choses necessaires, et est createur de toutes choses et que cestuy debvons croire seulement, et qu’il fault estre baptisez, ou aller en enfer, et leur feust remonstré plusieurs aultres choses de nostre foy. Ce que facilement ilz ont creu, et appellé leur Cudragny, Agouionda, tellement que plusieurs fois ont prié nostre cappitaine les faire baptiser, et y sont venuz ledict seigneur Taignoagny, Dom agaya, et tout le peuple de leur ville pour le cuyder estre : mais par ce que ne scavions leur intention et couraige, et qu’il n’y avoit qui leur remonstrant la foy pour lors, feust prins excuse vers eulx. Et dict à Taignoagny et Dom agaya, qu’ilz leur feissent entendre que retourneryons ung aultre voyage, et apporterions des prestres et du cresme, leur donnant a entendre pour excuse, que lon ne peult baptiser sans ledict cresme, Ce qui croient, par ce que plusieurs enfans ont veu baptiser en Bretaigne. Et de la promesse que leur fust faicte de retourner furent tresjoyeulx.

Cedict peuple vit en communaulté de biens assez de la sorte des Brisilans, et sont vestus de peaulx de bestes sauvaiges, et assez povrement. L’yver ilz sont chaulsez de chausses et soulliez qu’ilz fond de peaulx : et l’esté vont nudz piedz. Ilz gardent l’ordre de mariage, fors qu’ilz prennent deux ou trois femmes, et depuis que leur mary est mort jamais ne se remarient, ains font le dueil de la dicte mort toute leur vie, et se taignent le visaige de charbon pellé, et de gresse espez comme l’espesseur du doz d’ung cousteau, et a cela congnoist on que elles sont veuves.

Ilz ont une aultre coustume fort mauvaise de leurs filles, car depuis qu’elles sont d’aage d’aller à l’homme, elles sont toutes mises en une maison de bordeau, habandonnées à tout le monde qui en veult, jusques à ce que elles ayent trouvé leur party. Et tout ce avons veu par experience, car nous avons veu les maisons plaines des dictes filles, comme est une eschole de garsons en France. Et d’avantaige le hazard selon leur mode tient esdictes maisons ou ilz jouent tout ce qu’ilz ont jusques à la couverture de leur nature.

Ilz ne font point de grand travail, et labourent leur terre avec petis boys, comme de la grandeur d’une demye espée, ou ilz font leur bled, qu’ilz appellent Osizy. Lequel est gros comme poix, et de ce mesme en croist assez au bresil. Pareillement ilz on grand quantité de gros melons, concombres, et courges, poix, et febves, et de toutes couleurs, non de la sorte des nostres. Ilz ont aussi une herbe de quoy ilz font grand amastz l’esté durand pour l’yver. Laquelle ilz estiment fort et en usent les homes seulement en facon que ensuit. Ilz la font seicher au soleil, et la portent à leur col en une petite peau de beste en lieu de sac, avec ung cornet de pierre ou de boys : puis à toute heure font pouldre de ladicte herbe, et la mettent en l’ung des boutz dudict cornet, puis mettent un charbon de feu dessus, et sussent par l’autre bout, tant qu’ilz s’emplent le corps de fumée, tellement qu’elle leur sort par la bouche, et par les nazilles, comme par ung tuyau et chauldement, et ne vont jamais sans avoir lesdictes choses. Nous avons esprouvé ladicte fumée, apres laquelle avoir mis dedans nostre bouche, semble y avoir mis de la pouldre de poyvre tant est chaulde. Les femmes dudict pays travaillent sans comparaison plus que les hommes, tant à la pescherie de quoy font grand faict, qu’au labeur et aultres choses Et sont tant hommes femmes qu’enfans plus durs que bestes au froid. Car de la plus grand froidure que ayons veu, laquelle estoit merveilleuse et aspre venoient par dessus les glaces et neiges tous les jours à noz navires, la pluspart d’eulx tous nudz, qui est chose fort a croire qui ne la veu. Ilz prennent durand lesdictes glaces et neiges, grand quantité de bestes sauvaiges comme dains, cerfz, hours, lievres, martres, regnardz et aultres. Ilz mengent leur chair toute creue, apres avoir esté seichée à la fumée, et pareillement leur poisson. À ce que nous avons veu et peu entendre de cedit peuple, me semble qu’il seroit aisé à dompter. Dieu par sa saincte miséricorde y vueille mettre son regard. Amen.


De la grandeur et parfondeur dudict fleuve, et des bestes, oyseaulx, poissons, et aultres choses que y avons veu, et la situation des lieux.

Ledict fleuve commence passé l’isle d’assumption le travers des haultes montaignes de Honguedo et des sept ysles. Et y a de distance en traverse environ trente cinq ou quarante lieues, et y a au parmy plus de deux cens brasses de parfond le plus seur a naviguer est du costé devers le Su et devers le Nort, scavoir es dictes sept ysles y a d’ung costé et d’aultre environ sept lieues loing desdictes ysles deux grosses rivieres qui descendent des montz de Saguegnay, lesquelles font plusieurs barcqs à la mer fort dangereux. À l’entrée desdictes rivieres avons veu plusieurs ballaynes et chevaulz de mer.

Le travers desdictes sept ysles, y a une petite riviere qui va trois ou quatre lieues à la terre par dessus des marestz : en laquelle y a ung merveilleux nombre de tous oyseaulx de riviere : depuis le commencement dudict fleuve jusques à Hochelaga, y a trois cens lieues et plus, et est le commencement d’icelluy à la riviere qui vient du Saguenay : laquelle fort dentre haultes montaignes, et entre dedans ledict fleuve au par avant que arrive à la province de Canada, de la bande devers le Nort, Et est icelle riviere fort parfonde, estroicte, et fort dangereuse a naviguer.

Apres ladicte riviere est la province de Canada, ou il y a plusieurs peuples par villages non cloz. Il y a aussi es environs dudict Canada dedans le dict fleuve plusieurs ysles tant grandes que petites, et entre autres en y a une qui contient plus de dix lieues de long : laquelle est plaine de beaulx arbres et haultz. Et aussi en icelle y a force vignes. Il y a passaige des deux costez d’icelle. Le meilleur et plus seur est du costé devers le Su. Et au bort d’icelle ysle vers l’Onaist, y a ung affoug d’eaues, lequel est fort beau et delectable pour mettre navires, ou il y a ung destroict dudict fleuve fort courant et parfond : mais il n’a de long que environ ung tiers de lieue : le travers duquel y a une terre double de bonne haulteur toute labourée, aussi bonne terre comme jamais homme veist et la est la ville et demourance de Donnacona, et de noz deux hommes qui avoient esté prins le premier voyage, laquelle demourance se nomme Stadacone, et auparavant que arriver audict lieu, y a quatre peuples de demourance, scavoir Araste, Starnatau, Tailla, qui est sur une montaigne, et Scitadin, puis le dict lieu de Stadacone, soubz laquelle haulte terre vers le Nort est la riviere et hable de saincte croix auquel lieu avons esté depuis le 15e jour de Septembre, jusques au 6e jour de May. 1536. Auquel lieu les navires demeurent a sec, comme cy devant est dict passé ledict lieu et la demourance et peuple de Tequenondahi, qui est sur une montaigne et la ville de Hochelay, Lequel Hochelay est ung plain pays. Toute la terre des deux costez dudict fleuve jusques à Hochelaga et oultre, est aussi belle terre et unye que jamais homme regarda. Il y a aucunes montaignes assez loing dudict fleuve que on veoit par sus lesdictes terres, desquelles il descend plusieurs rivieres qui entrent dedans ledict fleuve. Toute ceste dicte terre est couverte et plaine de boys de plusieurs sortes et force vignes, excepté à lentour des peuples, laquelle ilz on desertée pour faire leur demourance et labour. Il y a grand nombre de cerfz, dains, hours, et aultres bestes. Il y a force liepvres, connins, martres, regnardz, loueres, byevres, escureux, ratz, Lesquelz sont gros à merveilles, et aultres sauvaigiens. Ilz s’acoustrent des peaulx des bestes, par ce qu’ilz n’ont nulz accoustremens. Il y a aussi grand nombre d’oyseaulx, scavoir grues, signes, oltardes, oyes sauvages, blanches, et grises, cannes, cannardz, merles, mauvis, teurtres, ramiers, chardonneaulx, turnis, serins, linotes, roussignolz, passes solitaires et autres oyseaulx comme en France. Aussi comme par cy devant es chapitres precedentz est faicte mention, ledict fleuve est le plus habondant de poissons et de toutes sortes qu’il soit memoire avoir jamais veu ny ouy : car depuis le commencement jusques à la fin y trouverrez selon les saisons la pluspart des sortes et espesses de poissons de la mer et eaue doulce, vous trouverez jusques audict Canada force ballaynes, marsouyns, chevaulx de mer, adhothuys qui est une sorte de poisson duquel jamais n’avyons veu ny ouy parler. Ilz sont gros comme marsouyns, blancs comme neigne, et ont le corps et la teste comme lepvriers, lesquelz se tiennent entre la mer et l’eaue doulce qui commence entre la riviere du Saguenay et Canada.


Chapitre d’aucuns enseignemens que ceulx du pays nous ont donnez depuis estre revenuz de Hochelaga.


Depuis estre revenuz de Hochelaga avec le gallyon, et les barques, avons conversé allé et venu avec les peuples plus prochains de noz navires en doulceur et amityé, fors que parfors avyons quelques differendz avec aucuns mauvais garsons, dont les aultres estoient fort marris et couroucez, et avons entendu par le seigneur Donnacona et aultres, que la riviere devant dicte est nommée la riviere du Saguenay, et va jusques audict Saguenay, qui est plus loing du com mencement de plus d’une lieue de chemin ver l’Onaist, Noronaist, et que passe huict ou neuf journées, elle n’est plus parfonde que par basteaulx : mais que le droict et bon chemin dudict Saguenay est par le fleuve jusques à Hochelaga, a une riviere qui descend dudict Saguenay, et entre audict fleuve, et que de la sont une lieue a y aller, et nous on faict entendre que les gens sont vestuz et habillez comme nous, et de draps, et qu’il y a force villes et peuples, et bonnes gens et qu’ilz ont grand quantité d’or et cuyvre rouge, et que le tout de la terre depuis ladicte premiere riviere jusques à Hochelaga et Saguenay, est une ysle, laquelle est circuite et environnée dudict fleuve, et de rivieres. Et que passé ledict Saguenay va ladicte riviere entrent en deux ou trois grandz lacz d’eaue, puis que on trouve une mer doulce, de laquelle n’est mention avoir veu le bout, a ce qu’ilz ont oy par ceux du Saguenay : car il nous ont dict ny avoir esté, oultre nous ont donné a entendre que au lieu ou nous avions laissé nostre gallyon quand feusmes a Hochelaga, y a une riviere qui va vers le Suronaist, ou semblablement sont une lune a aller jusques a une terre où il y a jamais glaces, ny neiges, mais que en ceste dicte terre y a guerres continuelles les ungs avec les aultres. Et que en icelle terre y a oranges, almandes, noix, pommes et aultres sortes de fruictz et en grand habondance. Et nous ont dict les hommes et femmes d’icelle terre estre vestuz et accoustrez de peaulx comme eulx. Apres leur avoir demandé s’il y avoit de l’or et cuyvre, nous ont dict que non. L’estime à leur dire ledict lieu estre vers la floride, à ce qu’ilz monstrent par leurs signes et marches.


D’une grosse maladie qui a esté au peuple de Stadacone, de laquelle pour les avoir frequentez en avons esté imbouez, tellement qu’il es mort de noz gens jusques au nombre de vingt cinq.

Au moys de Decembre feusmes advertis que la mortalité s’estoit mise au peuple de Stadacone, tellement que ja en estoient mors par leur confession plus de cinquante. Au moyen de quoy leur deffendismes nostre fort, et ne venir entour nous : mais nonobstant les avoir chassez commenca la maladie entour nous d’une merveilleuse sorte, et la plus incongneue : car les ungs perdoient la substance, et de leur deve noient les jambes grosses et enflez et les nerfz retirez et noirciz comme charbon, et à aucuns toutes fermées de gouttes de sang comme pourpre : puis montoit ladicte maladie aux hanches, cuisses et espaulles, aux bras et au col. Et a tout venoit la bouche si infecte et pourrye par les gensyves, que tout la chair en tumboit jusques à la racine des dentz, lesquelles tumboient pres que toute. Et tellement se esprit la dicte maladie à noz trois navires, que à la my Febvrier de cent dix hommes que nous estions il n’y en avoit pas dix sains, en sorte que l’ung ne pouvoit secourir l’aultre qui estoit chose piteuse à veoir, consideré le lieu ou nous estions. Car les gens du pays venoient tous le jours devant nostre fort, qui peu de gens veoyent, et ja y en avoit huict de mors et plus de cinquante, en qui on ne esperoit plus de vie.

Nostre cappitaine voyant la pitié et maladie ainsi esmeue, feist mettre le monde en prieres et oraisons et feist porter ung ymage en remembrance de la Vierge Marie contre ung arbre distant de nostre fort d’ung traict d’arc les travers des neiges et glaces. Et ordonna que le dimenche en suyvant l’on diroit audict lieu la messe. Et que tous ceulx qui pourroient cheminer tant sains que malades yroient à la procession chantant les sept pseaulmes de David avec la letanie, en priant ladicte vierge qu’il luy pleust prier son cher enfant qu’il eust pitié de nous. La messe dicte et celebrée devant ledict ymage, se feist le cappitaine pelerin à nostre dame de Roquemado promettant y aller si Dieu luy donnoit grace de retourner en France. Celuy jour trespassa Philippes Rougemont natif d’Amboise, de l’aage de environ vingt deux ans.

Et pour ce que la maladie nous estoit incongneue, feist le cappitaine ouvrir le corps pour veoir si aurions congnoissance d’icelle pour preserver si possible estoit, le persus. Et feust trouvé qu’il avoit le cœur blanc et fletry environé de plus d’ung pot d’eaue rousse comme dacte, le foye beau, mais avoit le poulmon tout noircy et mortifié et s’estoit retiré tout son sang au dessus de son cœur. Car quand il fut ouvert sortist au dessus du cœur grand habondance de sang noir infect. Pareillement avoit la ratte par devers l’eschine ung peu entamée environ deux doidz comme si elle euct esté frotée sur une pierre rude. Apres cela veu, luy feust ouverte et incise une cuisse, laquelle estoit fort noyre par dehors, mais dedans la chair fut trouvée assez belle. Ce faict, fut inhumé à mieulx que lon peust. Dieu par sa saincte gra ce pardonne à son âme, et à tous trespassez, Amen.

Et depuis de jour en aultre s’est tellement continuée ladicte maladie, que telle heure a este, que par tous les trois navires ny avoit pas trois hommes sains, de sorte qu’en l’ung desdictz navires n’y avoit homme qui eust peu descendre soubz le tillac pour tirer à boire, tant pour luy que pour son compaignon. Et pour l’heure y en avoit ja plusieurs de mortz. Lesquelz il nous convint mettre par par foiblesse soubz les neiges : car il ne nous estoit possible de povoir pour lors ouvrir la terre qui estoit gellée tant estions foibles, et avyons peu de puissance. Et si estions en une crainte merveilleuse des gens du pays qu’ilz ne se apperceussent de nostre pitié et foiblesse. Et pour couvrir ladicte maladie lors qu’ilz venoient pres nostre fort nostre cappitaine que Dieu a tousjours preservé, debout sortoit au devant d’eulx avec deux ou trois hommes, tant sains que malades. Lesquelz faisoit sortir apres luy. Et lors qu’il les voyoit hors du fort, faisoit semblant les vouloir battre en criant et leur gectant bastons apres eulx, les envoyant à bort monstrant par signes esdictz sauvages qu’il faisoit besongner tous ses gens dedans les navires les ungs à gallefestrer, les aultres à faire du pain et aultres besongnes, et qu’il ne estroit pas bon qu’ilz vinsent donner de hors. Ce qu’ilz croyent, et faisoit ledict cappitaine battre et mener bruict esdictz malades dedans les navires avec bastons et caillousz faignans callefestrer. Et pour lors estions si esprins de ladicte maladie que avions quasi perdu l’esperance de jamais retourner en France si Dieu par sa bonté infinie et misericorde ne nous eust regardé en pitié et donné congnoissance d’ung remede contre toutes maladies le plus excellent qui fut jamais veu ny trouvé sur la terre, ainsi qu’il sera faict mention en ce chapitre.


Le nombre de temps que nous avons esté au hable saincte Croix et places dedans les glaces et neiges, et le nombre de gens decedez depuis le commencement de la maladie jusques à la my Mars.


Depuis la my Novembre jusques au quinziesme jour d’Apvril, avons esté continuellement enfermez dedans les glaces, lesquelles avoient plus de deux brasses d’espesseur. Et dessus la terre avoit la haulteur de quatre piedz de neiges et plus, tellement qu’elle estoit plus haultes que les bortz de noz navires : lesquels les ont duré jusques audict temps, en sorte que nos breuvages estoient tous gellez dedans les fustailles, Et par dedans nosdictes navires tant de bas que de hault, estoit la glace contre les bortz a quatre doigtz d’espesseur. Et estoit tout le dict fleuve, par autant que l’eaue doulce en contenoit jusques au dessus dudict Hochelaga gellé : durant lequel temps nous deceda jusques au nombre de vingt cinq personnes des principaulx et bons compaignons que nous eussions : Et pour l’heure y en avoit plus de cinquante, en qui on esperoit plus de vie et le parsus tous malades que nul n’en estoit exempté excepté trois ou quatre : Mais dieu par sa saincte grace nous regarda en pitié : et nous envoya la congnoissance et remede de nostre guarison et santé de la sorte et maniere qu’il sera devisé en ce chapitre.


Comment par la grace de dieu nous eusmes congnoissance de la sorte d’ung arbre, par lequel nous avons esté guariz apres avoir usé dudict arbre, et la facon d’en user.

Ung jour nostre cappitaine voyant la maladie si esmeue et ses gens si fort esprins d’icelle, estant sorty dehors du fort, Et soy promenant sur la glace, apperceust venir une bende de gens de Stadacone, en laquelle estoit Dom agaya, lequel le cappitaine avoit veu dix ou douze jours auparavant fort malade de ladicte maladie que avoient ses gens. Car il avoit l’une des jambes par le genoul aussy grosse qu’ung enfant de deux ans. Et tout les nerfz d’icelle retirez : les dentz perdues et gastees, et les gensives pourries et infectées.

Le cappitaine voyant ledict Dom agaya sain et deliberé feust joyeulx esperant par luy scavoir comme il estoit guary : Affin de donner ordre et secours à ses gens. Lors qu’ilz furent arrivez pres le fort, le cappitaine luy demanda comme il s’estoit guary de sa maladie : lequel Dom agaya respondit qu’il avoit le jus et le marcq des fueilles d’ung arbre dont il s’estoit guary, et que c’estoit le singulier remede pour maladie. Ledict cappitaine luy demanda s’il y en avoit point la entour, et qu’il luy en monstrast pour guarir son serviteur qui avoit prins ladicte maladie audict Canada, durant qu’il demouroit avec Donnacona, ne luy voulant declarer le nombre des compaignons qui estoient malades. Lors ledict Dom Agaya envoya deux femmes pour en querir : lesquelles en apporterent neuf ou dix rameaulx, et nous monstrerent comme il failloit peller l’escorce et les fueilles dudict boys, et mettre tout boullir en eau, puis en boire de deux jours l’un, et mettre le marcq sur les jambes enflees et malades, et que de toute maladie ledict arbre guerissoit, ilz appellent ledict arbre en leur langaige Ameda.

Tost apres le cappitaine feist faire du breuvage pour faire boire es malades, desquelz n’y avoit nul d’eulx qui voulsist essayer ledict bruvage, synon ung ou deux qui se misrent en adventure d’icelluy assayer. Tout incontinent qu’ilz en eurent beu, ilz eurent l’advantage qui se trouva estre ung vray et evident myracle. Car de toutes maladies dequoy ilz estoient entachez, apres en avoir beu deux ou trois foys, recouvrerent santé et guarison : Tellement que tel y avoit desdictz compaignons qui avoit la grosse verolle cinq ou six ans au parvant ladicte maladie : a esté par icelle medecine curé nectement. Apres ce avoir veu et congneu, y a eu telle presse ladicte medecine, que on si vouloit tuer, à qui premier en auroit. De sorte que ung arbre aussi gros et aussi grand que chesne qui soit en France, a esté employé en six jours : lequel a faict telle operation, que si tous les medecins de Louvain et de Montpellyer y eussent esté avec toutes les drogues de Alexandrie, ilz n’en eussent pas tant faict en ung an, que le dict arbre a faict en six jours : Car il nous a tellement proffite, que tous ceulx qui ont voullu user, on recouvert santé et guarison la grace à dieu.


Comment le seigneur Donacona accompaigné de Taignoagny et plusieurs aultres faignans aller a la chasse aux Cerf et aux Dains, furent deux moys sans retourner. Et à leur retour amenerent grand nombre de gens que n’avions accoustumé de veoir.


Durant le temps que la maladie et mortalité regnoit en noz navires, se partirent Donnacona, Taignoagny, et plusieurs autres, faignans aller prendre des Cerfz et Dains : Lesquelz ilz nomment en leur langaige Aiounesta et Asquenoudo, parce que les neiges estoient et que les glaces estoient ja rompues dedans le cours du fleuve, tellement qu’ilz pouvoient naviguer par icelluy. Et nous fut par Dom Agaya et aultres dict, qu’ilz ne seroient que environ quinze jours, ce que croyons, mais furent deux moys sans retourner. Au moyen dequoy eusmes suspicion qu’ilz ne feussent aller amasser grand nombre de gens pour nous faire desplaisir, parce qu’ilz nous veoient si affoibliz, nonobstant que avions mys si bon ordre à nostre faict, que si toute la puissance de leur terre y eust esté, ilz eussent sceu faire autre chose que nous regarder. Et pendent le temps qu’ilz estoient dehors, venoient tous les jours force gens a noz navires, comme ilz avoyent de coustume, nous apportant de la chair fresche de Cerfz et Dains, poissons fraiz de toutes sortes : Lesquelz ilz nous vendoient fort cher, ou autrement myeulx aymoient l’emporter, parce qu’ilz avoyent necessité de vivres pour lors, a cause de l’yver qui avoit esté long.


Comment Donnacona revint à Stadacone avec grand nombre de gens et feist ledict Donnacona du malade de peur de venir veoir le cappitaine, cuydant que ledict cappitaine allast vers luy.

Le vingt et ungiesme jour dudict moys d’Avril, Dom Agaya vint à bort accompagné de plusieurs gens lesquelz estoient beaulx et puissans. Et n’avions accoustumé de les veoir : lesquelz dient que le seigneur Donnacona feroit le lendemain venu : et qu’il apporteroit force cher de cerfz et autre venaison. Et le lendemain vingt deuxiesme jour dudict moys, vint le dict Donnacona, lequel admena en sa compaignie grand nombre de gens audict Stadacone, ne scavions à quelle occasion, n’y pourquoy : mais on dict à ung proverbe, qui de tout se garde de aucuns eschappe. Ce que nous estoit de necessité ; Car nous estions si affoibliz tant de maladie que de gens mors, qu’il nous a fallu laisser ung de noz navires audict lieu de saincte Croix. Le cappitaine estant adverty de leur venue, et qu’ilz avoient admené tant de gens : et aussy que Dom Agaya le vint dire au cappitaine, sans vouloir passer la riviere qui seroit entre nous et ledict stadaconé : ains feist difficulté de passer, Ce que n’avoit acoustumé de faire, qui nous donna doubte de trahison. Voyant ce, le cappitaine envoya son serviteur accompaigné de Jehan poullet, lesquelz estoient plus que nulz aultres aymez dudict peuple du pais, pour veoir que estoit audict lieu,et qu’ilz faisoient, faignans les dictz poullet et serviteur estre aller veoir ledict Donnacona, parce qu’ilz avoient esté longuement avec luy à leur ville lesquelz luy porterent aucun petit present. Et lors que ledict Donnacona fut adverty de leur venue, feist le malade et se couche : Apres allerent en la maison de Taignoagny pour le veoir, ou par tout trouverent les maisons si plaines de gens, que on si povoit remuer : lesquelz on n’avoit accoustumé de veoir, et ne voulut permettre ledict Taignoagny que ledict serviteur allast es aultres maisons ; ains les convoya vers les navires la moytié du chemin, et leur dict que si le cappitaine luy vouloit faire ce plaisir de prendre ung seigneur du pays nommé Agouanna, lequel luy avoit faict desplaisir, et l’emmener en France qu’il seroit tenu à luy : Et feroit tout ce que vouldroit ledit cappitaine, et que ledict serviteur retournast le lendemain dire la responce.

Quand le cappitaine fut adverty du grand nombre de gens qui estoyent audict lieu, ne scavoit à quelle fin, se deslibera leur jouer finesse. Et prendre leur seigneur Taignoagny, Dom Agaya et des principaulx. Aussi qu’il estoit bien desliberé de mener le dict seigneur en France pour compter et dire au Roy ce qu’il avoit veu es pais Accidentaulx, des merveilles du monde. Car il nous a certiffié avoir esté à la terre de Saguenay, en laquelle y a infini or, rubis et aultres richesses. Et y sont les hommes blancs comme en France et accoutrez de dras de laynes. Plus dict avoir veu autre pays, ou les gens ne mengent poinct et ne ont point de fondement, et ne digerent point ains font seulement eaue par la verge. Plus dict avoir esté en autre pais de Picquemyans et autres pais, ou les gens n’ont que une jambe. Et autres merveilles longues à racompter. Ledict seigneur est homme ancien, et ne cessa jamais d’aller par pais, depuis sa congnoissance, tant par fleuves, rivieres que par terre.

Apres que lesdictz Poullet et serviteur eurent fait leur message, et dist au cappitaine ce que ledict Taignoagny lui mandoit, renvoya ledict cappitaine son dict serviteur le lendemain dire audict Taignoagny qu’il le vint veoir, et luy dire ce qu’il vouloit, et qu’il lui feroit bonne chere et partie de son vouloir. Ledict Taignoagny luy manda qu’il viendroit le lendemain, et qu’il admeneroit le seigneur Donnacona et celuy qui luy avoit faict desplaisir, ce que ne feist : Ains fut deux jours sans venir, pendant lequel temps ne veint personne es navires dudict Stadacone comme avoient de coustume, mais nous fuyoient comme si les eussions voulu tuer. Lors apperceusmes leur mauvaistié, Et parce qu’ilz furent advertiz que ceulx de Sicadin alloient et venoient entour nous, et que leur avions habandonné le fond du navire que laissions pour avoir les viel cloud, vindrent dudict Stadaconé le tiers jour ensuyvant de l’autre bort de la riviere, et passerent la plus grand partie d’eulx en petis basteaulx sans difficulté : mais ledict Donnacona n’y voulut passer. Et furent Taignoagny et Dom Agaya plus d’une heure à parlementer ensemble, avant que vouloir passer. En fin ilz passerent et vindrent parler audict cappitaine, et pria ledict Taignoagny ledict cappitaine vouloir prendre et emmener ledict homme en France. Ce que reffusa ledict cappitaine : disant que le Roy son maistre luy avoit deffendu de non emmener homme ni femme en France : mais bien deux ou trois petis enfans pour apprendre le langaige, mais que voluntiers l’emmeneroit en terre neufve, et qu’il le mettroit en une ysle. Ces parolles disoit ledict cappitaine pour les asseurer, et acelle fin d’amener ledict seigneur Donnacona, lequel estoit demeuré dela l’eaue desquelles parolles fut fort joyeulx ledict Taignoagny, esperant ne retourner jamais en France, et promist audict cappitaine de retourner le lendemain qui estoit le jour saincte Croix, et admener ledict seigneur Donnacona et tout le peuple dudict lieu.


Comment le jour saincte Croix, le cappitaine feist planter une croix dedans nostre fort, et comment ledict seigneur Donnacona, Taignoagny, Dom Agaya et leur bende vindrent, et de la prinse dudict seigneur.


Le troisiesme jour de May, jour et feste saincte Croix, pour la solempnité de la feste : le cappitaine feist planter une belle croix de la haulteur d’environ trente cinq piedz, soubz le croisillon de laquelle y avoit ung escusson en bosse des armes de France : et sur icelluy estoit escript en lettre attique Franciscus primus Dei gratia Francorum rex regnat. Et celluy jour environ mydi vindrent plusieurs gens de Stadacone, tant hommes, femmes, que enfans, qui nous dirent que leur seigneur Donnacona, Taignoagny, Dom Agaya et aultres qui estoient en sa compaignie venoient, dequoy feusmes joyeulx, espe rant nous en saisir : lesquelz vindrent environ deux heures apres mydi. Et lors qu’ilz furent arrivez devant noz navires, nostre cappitaine alla saluer ledict seigneur Donnacona, le quel pareillement luy feist grande chere, mais avoit tousjours l’oeil au boys, et une craincte merveilleuse. Tost apres arriva Taignoagny, lequel deist audict seigneur Donnacona, qu’il n’entrast point dedans le fort. Lors fut par l’ung de leurs gens, apporté du feu hors du fort, et allumé par ledict seigneur. Nostre cappitaine le pria de venir boyre et manger dedans les navires, comme avoit de coustume. Et semblablement en prya ledict Taignoagny, lequel dist que tantost il entreroit : Ce qu’ilz feirent et entrerent dedans ledict fort : Mais au paravant avoit esté notre cappitaine adverty par Dom Agaya, que ledict Taignoagny avoit mal parlé et qu’il avoit dict au seigneur Donnacona qu’il n’entrast point dedans les navires. Notre dict cappitaine voyant ce, sortist hors du parc ou il estoit, et veit que les femmes s’en fuyoient par l’advertissement dudict Taignoagny : et qu’il ne demouroit que les hommes : les quelz estoient en grand nombre. Et lors commanda ledict cappitaine à ses gens prendre ledict seigneur Donnacona, Taignoagny, Dom Agaya, et de deux autres des principaulx qu’il monstra, puis que on feist retirer les autres. Tost apres ledict seigneur entra dedans le fort avec le dict cappitaine : mais tout soudain ledict Taignoagny veint pour le faire sortir. Nostre cappitaine voyant qu’il n’y avoit autre ordre, se print à cryer que on les print : Auquel cry sortirent les gens dudict cappitaine : lesquelz prinsdrent ledict seigneur et ceulx que l’on avoit desliberé prendre. Lesdictz Canadians voyant la prinse, commencerent à fuyr et courir, comme brebis devant le loup : les ungs le travers la rivière, les autres parmy le boys serchant chascun son advantage. Ladicte prinse faicte des dessusdictz et que les autres se furent retirez, furent mys en seure garde.


Comment les Canadians vindrent la nuict devant les navires, sercher leurs gens : durant laquelle ilz hurloyent et cryoient comme Loups, et le parlement et conclusion qu’ilz feirent le lendemain, et des presens qu’ilz feirent à nostre cappitaine.


La nuict veneue vindrent devant noz navires, la riviere entre deux grand nombre du peuple dudict Donnacona huchant et hurlant toute la nuict comme Loups cryant sans cesse : Agouhanna pensent parler à luy, ce que ne permist le cappitaine pour l’heure, n’y lendemain jusques environ mydi : parquoy nous faisoient signe que les avions tuez et penduz. Et environ l’heure de mydi : retournerent de rechef en aussi grand nombre qu’avions vu de voyage pour ung coup : eulx tenans cachez dedans le boys, fors aucuns d’eulx qui cryoient et appelloient à haulte voix ledict Donnacona. Lors commanda le cappitaine faire monter ledict Donnacona hault pour parler a eulx. Et luy dist le cappitaine qu’il feist bonne chere, et que apres avoir parlé au Roy de France et compté ce qu’il avoit veu au Saguenay et aultres qu’il reviendroit dedans dix ou douze lunes : et que le Roy luy feroit ung grand present : de quoy feust fort joyeulx ledict Donnacona, et le dist es autres en parlant à eulx lesquelz en feirent trois merveilleux crys, en signe de joye. Et à l’heure feirent ledict peuple et Donnacona entre eulx plusieurs predications et preschemens : lesquelz il n’est possible d’entendre par faulte de langue : nostre cappitaine dist audict donnacona qu’ilz vissent seurement de l’autre bort pour mieulx parler ensemble, et qu’il les asseuroit, ce que leur dist ledict Donnacona : et sur ce vindrent une barquée des principaulx à bort desdictes navires. Lesquelz de rechief commencerent plusieurs preschemens, donnant louange audict cappitaine ; et luy feirent present de vingt quatre colliers de Esurgny, qui est la plus grand richesse qu’ilz ayent en ce monde : Car ilz l’estiment plus que or et argent. Apres qu’ilz eurent assez parlementé et devise les ungs avec les aultres, et veu qu’il n’y avoit remede audict seigneur d’eschapper et qu’il failloit qu’il veint en France, Il commanda que on luy apportast le lendemain vivres pour menger par la mer. Nostre cappitaine feist present audict Donnacona de deux paisles d’arain et de huict hachotz, et autres menues besongnes comme cousteaulx, et patenostres. Dequoy fut fort joyeulx en sou semblant : Et les envoya ledict cappitaine à ceulx qui estoyent venuz parler audict Donnacona, aucuns petis presens ; Dequoy remercierent fort ledict cappitaine. À tant se retyrerent et s’en allerent à leurs logis.

Comment le lendemain cinquiesme jour de May, ledict peuple retourna parler à leur seigneur, et comment il veint quatre femmes à bort luy apporter des vivres.


Le cinquiesme jour dudict moys au plus matin, ledict peuple retourna en grand nombre, pour parler à leur seigneur, et envoyerent une barque, qu’ilz appellent en leur langaige Casnouy, en laquelle ilz estoient quatre femmes, sans y avoir aucuns hommes, pour doubte qu’ilz avoient qu’on ne les retint : lesquelles apporterent force vivres, scavoir gros mil (qui est le bled duquel ilz vivent) chair, poisson, et aultres provisions à leur mode. Lesquelles estre arrivees es navires, le cappitaine leur feist bon recueil, et pria Donnacona audict cappitaine qu’il dist ausdictes femmes, que dedans douze lunes il retourneroit, et qu’il admeneroit ledict Donnacona a Canada : Ce disoit à celle fin de les contenter : Ce que feist ledict cappitaine, dont lesdictes femmes feirent grand semblant de joye, en montrant par signes et parolles audict cappitaine, mais qu’il retournast et admenast ledict Donnacona qu’ilz lui feroient plusieurs presens. Lors chascune dicelles donna audict cappitaine ung collier desurgny, puis s’en allerent de l’autre bort de la riviere ou estoit le peuple dudict Stadacone, et se retirerent prenant congié dudict seigneur.

Le samedy sixiesme jour dudict moys, nous appareillasmes du havre saincte Croix, et vinsmes à l’ysle es Couldres, ou avons esté jusques au seziesme dudict moys, laissant amortir les eaues, lesquelles estoient trop courantes et dangereuses pour avaller ledict fleuve ; et attendans bon temps. Pendent lequel temps vindrent plusieurs barques des peuples subjectz audict Donnacona lesquelz venoient de la riviere du Saguenay : Et lors que par Dom Agaya furent advertiz de la prinse de eulx, et la facon et maniere comme on menoit Donnacona en France, furent bien estonnez mais ne laisserent à venir le long des navires, parler audict Donnacona, qui leur dist que dedans douze lunes il retourneroit, et qu’il avoit bon traictement avec le cappitaine et compaignons, dequoy à une voix remercierent ledict cappitaine, et donnerent audict Donnacona trois pacquetz de peaulx de byevres et loups marins avec un grand cousteau de cuyvre rouge, qui vient du Saguenay et autres choses. Semblablement donnerent audict cappitaine ung collier Desurgny, pour lesquelz presens leur feist ledict cappitaine donner dix ou douze hachotz, desquelz furent fort contens et joyeulx, et en remercierent ledict cappitaine.

Le lendemain, 16e jour dudict moys de May nous appareillasmes de ladicte ysle es couldres, et veinsmes poser a une ysle qui est a environ quinze lieues de ladicte ysle es couldres, laquelle est grande d’environ cinq lieues de long, et la passasmes celluy jour pour passer la nuict, esperant le lendemain passer les dangier du Saguenay, lesquelz sont grandz. Le soir feusmes à ladicte ysle, ou trouvasmes grand nombre de lievres, desquelz eusmes quantité : et par ce la nommasmes l’ysle es lievres. Et la nuict le vent vint contraire et en tourmente tellement qu’il convint relacher à l’isle es couldres dont estions partis, par ce qu’il n’y avoit autre passage entre lesdictes ysles. Et y feusmes jusques au 21 dudict moys que le vent vint bon, et tant feismes par noz journées que passasmes jusques a Honguedo, lequel passage n’avoit par cy devant esté descouvert. Et feismes courir le travers du Cap de Prato, qui est le commencement de l’abbaye de Challeur. Et pource que le vent estoit bon et convenable, feismes porter le jour et la nuict. Et le lendemain veismes querir au corps l’ysle de Bryon. Ce que ne voulions faire pour l’abbregé de nostre chemin : Et sont les deux terres gisantes Suest et Noronaist ung quart de l’Est et de l’Onest. Et y a entre eulx 50 lieues. Ladicte ysle est en. 47 degrez demye de latitude. Le jeudi 26e jour dudict moys, jour et feste de l’ascention nostre Seigneur, nous traversasmes à une terre et sablon de basses araynes, qui demeurent au Suronaist de ladicte Ysle de Bryon environ huict lieues. Par dessus lesquelles y a de grosses terres plaines d’arbres, et y a une mer enclose dont n’avons veu aucune entrée ny ouverture pour entrer en icelle. Et le vendredy. 27. par ce que le vent changeoit à la coste, retournasmes à ladicte ysle de Bryon, ou feusmes jusques au premier jour de Juing, et vinsmes querir une terre haulte qui demeure au Suest de ladicte ysle, qui nous apparoissoit estre une ysle, et la rengeasmes environ deux lieues et demye, faisant lequel chemin eusmes congnoissance de trois haultes ysles qui demeurent vers les Araynes. Apres lesquelles choses congneues, retournasmes au cap de ladicte terre qui se faict à deux ou trois caps haultz à merveilles et grand parfond d’eaue et la marée si courante, qu’il n’est possible de plus. Nous arrivasmes celluy jour au cap de Lorraine, que est environ 46 degrez demye au Su, duquel cap y a une basse terre et semblant d’entrée de riviere : mais il n’y a hable que vaille. Parsus lesquelles terres vers le Su, veismes ung aultre cap de terre que nous nommasmes le cap de Sainct Paul, qui est environ 47 degrez ung quart. Le dimenche 4e jour dudict moys, jour et feste de la Pentecouste, eusmes congnoissance de la coste Dest Suest de terre neufve, qui estoit à environ vingt deux lieues du cap, et pource que le vent estoit contraire, feusmes a ung hable que nous nommasmes le hable de sainct esperit, jusques au mardi que appareillasmes dudict hable, et rengeasmes ladicte coste jusques aux ysles Sainct Pierre, lequel chemin faisant trouvasmes le long de ladicte coste plusieurs ysles et basses fort dangereuses estans en la routte Dest, Suest et Onaist, Noronaist à une, vingt trois lieues à la mer. Nous feusmes esdictes ysles sainct Pierre, ou trouvasmes plusieurs navires, tant de France que de Bretaigne, depuis le jour Sainct Barnabé unziesme jour de Juing, jusques au 16e jour dudict moys, que appareillasmes, des dictes ysles Sainct Pierre et vinsmes au Cap de Raze et entrasmes dedans ung hable nomme Rougnoze, ou prinsmes eaues et boys pour traverser la mer et la laissasmes l’une de noz barques et appareillasmes dudict hable le lundi. 19. jour dudict moys. Et avec bon temps avons navigué par la mer, tellement que le. 6. jour de Juillet. 1536. sommes arrivez au hable de Sainct Malo la grace du createur. Lequel prions faisant fin à nostre navigation, nous donner sa grace, et paradis à la fin. Amen.


Ensuyt le langage des pays et Royaulmes de Hochelaga et Canada, aultrement appellée par nous la nouvelle France.


Premier leur nombre de compter
Segada 1
Tigneny 2
Asche 3
Honnacon 4
Ouiscon 5
Indahir 6
Ayaga 7
Addegue 8
Madellon 9
Assem 10


Ensuit les noms des parties du corps de l’homme
La teste Aggourzy
Le frons Hetguenyascon
Les yeulx Hegata
Les oreilles Ahontascon
La bouche Escahe
Les dentz Esgougay
La langue Osvache
La gorge Agouhon
Le menton Hebehin
Le visaige Hogouascon
Les cheveulx Aganiscon
Les braz Ajayascon
Les esselles Hetnanda
Les coustez Aissonne
L’estomach Aggruascon
Le ventre Eschehenda
Les cuisses Hetnegradascon
Le genouil Agochinegodasion
Les jambes Agouguenehonde
Les piedz Onchidascon
Les mainz Aignoascon
Les doidz Agenoga
Les ongles Agedascon
Le vit Aynoascon
Ung con Chastaigne
Ung homme Aguehan
Une femme Agrueste
Ung garson Addegesta
Une fille Agnyaquesta
Ung petit enfant Exiasta
Une robbe Cabata
Ung propoinct Coioza
Des chausses Henondoua
Des soullyers Atha
Des chemises Anigoua
Ung bonnet Castrua
Ilz appellent leur bled Osizy
Pain Carraconny
Eaue Ame
Chair Quahouascon
Poisson Queion
Prunes Honnesta
Figues Absconda
Raisins Ozaha
Noix Quaheya
Une poulle Sahomgahoa
Une lamproye Zysto
Ung saulmon Ondaccon
Une ballaine Ainnehonne
Une anguille Esgneny
Ung escureul Caiognem
Une couleuvre Undeguezy
Des tortues Heuleuxime
Ilz appellent le boys Conda
Feuilles de boys Hoga
Ilz appellent leur dieu Cudragny
Donnez moy a boyre Quazahoa quea
Donnez moy a desjuner Quazahoa quascahoa
Donnez moy a souper Quazahoa quatfream
Allons nous coucher Casigno Agnydahoa
Bon jour Aignaz
Allons jouer Casigno Caudy
Venez parler a moy Asigni quaddadia
Regardez moy Quatgathoma
Taisez vous Aista
Allons au basteau Quafigno Casnouy
Donnez moy ung cousteau Quazahoa agoheda
Ung hachot Addogne
Ung harc Ahena
Ung fleche Quahetam
Allons a la chasse Quafigno donassent
Ung Cerf Aionnesta
De dains ilz disent que se sont moutons et les
appellent Asquenondo
Ung liepvre Sourhamda
Ung chien Agayo
Des ouyayes Sadeguenda
Le chemin Adde
Ilz appellent la graine de concombres ou
mellons Casconda
Quand ilz veullent dire demain
Ilz dient Achide
Le ciel Quenhia
La terre Damga
Le soleil Ysnay
La lune Assomaha
Les estoilles Siguehoham
Le vent Cahoha
La mer Agogasy
Les vagues de la mer Coda
Une ysle Cohena
Une montaigne Ogacha
La glace Honnesca
La neige Canisa
Froid Athau
Chault Odazan
Feu Azista
Fumee Quea
Une maison Canocha
Ilz appellent leurs febves Sahe
Ilz appellent une ville Canada
Mon pere Addathy
Ma mere Adanahoe
Mon frere Addagnin
Ma seur Adhoasseue
Ceulx de Canada disent qu’il fault une lune a naviger depuis Hochelaga, jusques à une terre ou se prend la canelle et le giroffle
Ilz appellent la canelle Adhotathny
Le giroffle Canonotha


Fin.